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[1] Le 14 juillet 2004, monsieur Mario Fournier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 2 juillet 2004.
[2] Par celle-ci, la CSST rejette la plainte produite par ce dernier conformément à l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1] (la loi) au motif qu’il n’a pas démontré avoir été l’objet d’une sanction ou d’une mesure discriminatoire ou de représailles au sens de cet article.
[3] L’audience a lieu à Montréal le 18 mai 2005 en présence du travailleur non représenté, de monsieur Stéphane Paré, directeur des ressources humaines chez l’employeur Métro-Richelieu inc., et de Me Yves Girard, représentant de ce dernier.
[4] Au début de l’audience, la Commission des lésions professionnelles explique son rôle, la nature des décisions qu’elle rend et le litige dont elle est saisie. Elle informe le travailleur de son droit d’être représenté et elle s’assure que ce dernier se représente lui-même de son plein gré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’employeur ne pouvait mettre fin à son assignation temporaire et garder dans une telle assignation des employés ayant moins d’ancienneté que ce dernier. Il réclame les sommes versées pour les heures supplémentaire attribuées à ces travailleurs pour la période du 23 mars au 14 avril 2004.
LES FAITS
[6] Des documents au dossier et des témoignages du travailleur et de monsieur Paré, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments suivants.
[7] Le travailleur est préparateur de commandes chez l’employeur depuis 22 ans lorsque, le 29 janvier 2004, il est victime d’une lésion professionnelle. Il s’inflige alors une épicondylite bilatérale et il fait l’objet d’un suivi médical et de traitements pour cette condition.
[8] Dès le 2 février 2004, le médecin traitant du travailleur autorise l’accomplissement de travaux légers. De tels travaux sont donc fournis à ce dernier conformément aux articles 179 et 180 de la loi.
[9] Le 22 mars 2004, l’employeur met fin à cette assignation temporaire. Monsieur Paré explique que les assignations temporaires sont réévaluées régulièrement et elles sont cessées lorsqu’il semble qu’elles ne sont pas favorables à la réhabilitation des travailleurs. Cette norme est appliquée à tous sans exception. C’est donc dans ce contexte que l’assignation temporaire du travailleur prend fin le 22 mars 2004.
[10] Le travailleur cesse donc toute activité de travail à compter du 22 mars 2004 et la CSST reprend alors le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[11] Le 15 avril 2004, le médecin traitant de ce dernier produit un rapport final. Il y consolide la lésion à cette date, sans atteinte permanente ou limitations fonctionnelles. Le travailleur reprend donc son travail habituel le 15 avril 2004.
[12] À l’audience, il précise que, lors de son retour au travail, il apprend que des travailleurs ayant moins d’ancienneté que lui ont bénéficié d’une assignation temporaire du 22 mars au 14 avril 2004 et que certains d’entre eux ont accompli des heures supplémentaires durant cette période.
[13] En conséquence, le 27 avril 2004, le travailleur dépose une plainte selon l’article 32 de la loi. Il indique comme date de la sanction le 23 mars 2004 et il la décrit en ces termes :
discrimination pour avoir prie la décision de me laisser à la maison (avais de asignation temporaire) + pour le temp supplémentair [sic]
[14] Le 2 juillet 2004, la CSST rejette la plainte du travailleur d’où le présent litige.
[15] À l’audience, le travailleur identifie les travailleurs qui, ayant moins d’ancienneté que lui, auraient été en assignation temporaire et auraient fait des heures supplémentaires. Il détaille ces heures effectuées du 23 mars au 14 avril 2004. Il croit que certains travailleurs ont reçu des indemnités de l’employeur pour les heures supplémentaires perdues. Enfin, il précise que les heures supplémentaires sont offertes aux travailleurs qui se trouvent sur les lieux du travail. Il admet que de telles heures ne sont jamais payées aux travailleurs qui sont à la maison.
[16] De son côté, monsieur Paré confirme que d’autres travailleurs ont déposé des plaintes en raison de la cessation de l’assignation temporaire mais qu’ils ont tous produit des désistements. Il indique, de plus, qu’aucune entente n’est intervenue et qu’aucune somme n’a été versée par l’employeur à la suite de ces plaintes.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[17] Le travailleur ne comprend pas pourquoi des travailleurs ayant moins d’ancienneté que lui ont pu poursuivre l’assignation temporaire et accomplir des heures supplémentaires.
[18] Il doute des motifs de l’employeur quant à l’arrêt de l’assignation temporaire.
[19] Il croit qu’il devrait être indemnisé pour les heures supplémentaires perdues au profit de travailleurs ayant moins d’ancienneté.
[20] Le représentant de l’employeur soutient que, à sa face même, la plainte est déposée à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à la loi. En effet, l’assignation temporaire est cessée le 22 mars 2004 et le travailleur attend jusqu’au 27 avril 2004 pour produire sa plainte. Or, le travailleur sait que les travailleurs qui sont à la maison ne peuvent recevoir de prestations reliées aux heures supplémentaires non effectuées par ceux-ci. Sa plainte est donc irrecevable pour ce motif.
[21] Quant au fond du litige, le représentant de l’employeur rappelle que ce dernier n’a aucune obligation d’assigner temporairement un travailleur victime d’une lésion professionnelle ou de garder celui-ci en assignation temporaire. Les articles 179 et 180 de la loi ne créent effectivement aucune contrainte à cet égard.
[22] De plus, l’employeur ne peut être tenu de payer des heures supplémentaires à un travailleur qui n’est pas au travail.
[23] Le fait de cesser l’assignation temporaire ou le fait de ne pas payer d’heures supplémentaires au travailleur déjà indemnisé par la CSST ne peut être considéré comme une sanction ou une mesure discriminatoire ou de représailles au sens de la loi. Le représentant de l’employeur ajoute que, dans ce cas précis, l’employeur a justifié la cessation de l’assignation temporaire et il s’est comporté avec le travailleur comme il se comporte avec tous les travailleurs. Il ne saurait donc être question de sanction, de discrimination ou de représailles dans les circonstances.
[24] Le représentant de l’employeur demande donc à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête présentée par le travailleur.
L’AVIS DES MEMBRES
[25] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont tous deux d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête déposée par le travailleur, de confirmer la décision rendue par la CSST et de déclarer que ce dernier n’a pas été victime d’une sanction ou de mesures discriminatoires ou de représailles au sens de l’article 32 de la loi.
[26] Les membres disposent d’abord du moyen préliminaire soulevé par le représentant de l’employeur. Ils estiment que la plainte du travailleur est déposée dans les 30 jours de sa connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure dont il se plaint conformément à l’article 253 de la loi. En effet, le travailleur se plaint du fait que des travailleurs ayant moins d’ancienneté aient poursuivi l'assignation temporaire et aient accompli des heures supplémentaires. Or, il prend connaissance de ces faits à son retour au travail le 15 avril 2004. Sa plainte déposée le 27 avril 2004 est donc produite dans le délai de 30 jours prévu à cet article.
[27] Cependant, sur le fond du litige, les membres estiment que la situation décrite par le travailleur ne peut être assimilée à une sanction ou à une mesure discriminatoire ou de représailles.
[28] En effet, l’employeur n’a aucune obligation d’assigner temporairement un travailleur ou de maintenir cette assignation. Il peut y mettre fin à sa guise. Le travailleur ne peut donc revendiquer de droits à cet égard et encore moins prétendre au paiement des heures supplémentaires effectuées par d’autres travailleurs alors qu’il reçoit une indemnité de remplacement du revenu.
[29] La plainte du travailleur ne peut donc être accueillie puisqu’elle ne correspond pas aux situations prévues à l’article 32 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a fait l’objet des mesures prohibées décrites à l’article 32 de la loi et s’il peut bénéficier du paiement des heures supplémentaires qu’il réclame.
[31] Mais d’abord, la Commission des lésions professionnelles doit disposer du moyen préliminaire présenté par le représentant de l’employeur. En effet, ce dernier soutient que la plainte est irrecevable puisque déposée à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à l’article 253 de la loi.
[32] L’article 253 de la loi édicte qu’une plainte en vertu de l’article 32 doit être faite par écrit dans les 30 jours de la connaissance de l’acte, de la sanction ou de la mesure dont le travailleur se plaint.
[33] Dans ce dossier, les doléances du travailleur concernent non seulement l’arrêt de son assignation temporaire mais le fait que d’autres travailleurs ayant moins d’ancienneté aient effectué des heures supplémentaires rémunérées durant cette période. Il demande d’ailleurs une indemnité correspondant à ces heures perdues. Or, la preuve révèle que le travailleur prend connaissance de cette assignation de travailleurs ayant moins d’ancienneté et des heures supplémentaires accomplies par ces derniers lors de son retour au travail le 15 avril 2004. Sa plainte déposée le 27 avril 2004 est donc produite à l’intérieur du délai de 30 jours prévu à la loi et est, en conséquence, recevable.
[34] La Commission des lésions professionnelles doit donc se prononcer sur l’application de l’article 32 de la loi.
[35] Cet article énonce que l’employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur ou exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu’il a été victime d’une lésion professionnelle ou à cause de l’exercice d’un droit que lui confère la présente loi.
[36] Le travailleur qui croit avoir été l’objet d’une telle sanction ou d’une telle mesure peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la CSST conformément à l’article 253 de la loi.
[37] Dans cette affaire, l’employeur n’a certes pas congédié, suspendu ou déplacé le travailleur puisque ce dernier a repris, après la consolidation de sa lésion professionnelle, son travail habituel de préparateur de commandes. Le travailleur prétend toutefois que le fait de mettre fin à son assignation temporaire alors que des travailleurs ayant moins d’ancienneté poursuivaient une telle assignation ainsi que le fait d’avoir octroyé des heures supplémentaires à ces derniers constituent des mesures discriminatoires ou de représailles ou une sanction au sens de l’article 32 de la loi.
[38] Or, la Commission des lésions professionnelles ne partage pas ce point de vue.
[39] En effet, l’assignation temporaire est prévue aux articles 179 et 180 de la loi.
[40] Ces articles précisent que l’employeur d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle « peut » assigner temporairement un travail à ce dernier à certaines conditions. Si ces conditions ne sont pas respectées, l’employeur ne peut faire une telle assignation. De plus, l’employeur ne peut contester le refus du médecin traitant d’autoriser une telle assignation. Seul le travailleur peut se prévaloir du recours prévu au dernier alinéa de l’article 179 de la loi.
[41] Par ailleurs, lorsque l’assignation est offerte par l’employeur et autorisée par le médecin traitant du travailleur, l’article 180 de la loi indique que l’employeur verse au travailleur qui « fait le travail qui lui est assigné temporairement » le salaire et les avantages liés à l’emploi qu’il occupait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle et dont il bénéficierait s’il avait continué à l’exercer.
[42] La lecture de ces deux articles amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que, d’une part, l’employeur n’a aucune obligation d’assigner temporairement un travail à un travailleur. Il bénéficie de cette opportunité mais la loi ne crée pas de contrainte à cet égard. L’employeur n’a également aucune obligation de maintenir une telle assignation. Elle peut être interrompue sans que le travailleur puisse s’y opposer puisque la loi ne lui offre aucun recours à ce sujet.
[43] D’autre part, l’article 180 de la loi ne s’applique que lorsque le travailleur accomplit le travail assigné par l’employeur. Quand l’assignation prend fin, le travailleur ne peut prétendre à aucun droit en vertu de cet article.
[44] Ces dispositions ne militent donc pas en faveur de la position soutenue par le travailleur. En fait, ce dernier n’a aucun droit au maintien de l’assignation temporaire et il n’a aucun droit de revendiquer le paiement d’heures supplémentaires accomplies par un autre travailleur alors qu’il n’est plus au travail et qu’il reçoit une indemnité de remplacement du revenu.
[45] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc conclure que la situation décrite par celui-ci correspond à une sanction ou à une mesure discriminatoire ou de représailles et, en conséquence, elle n’a d’autre choix que de confirmer la décision rendue par la CSST et de rejeter sa contestation.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par le travailleur, monsieur Mario Fournier ;
CONFIRME la décision rendue par la CSST le 2 juillet 2004 ;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas été l’objet d’une sanction ou d’une mesure discriminatoire ou de représailles au sens de l’article 32 de la loi.
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Carmen Racine, avocate |
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Commissaire |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.