Roussel c. Gosselin |
2016 QCCA 1461 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
200-09-008994-151 |
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(250-17-001026-132) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
13 septembre 2016 |
CORAM : LES HONORABLES |
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. (JC1722) |
PARTIE APPELANTE INTIMÉE INCIDENTE |
AVOCAT |
BRUNO ROUSSEL
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Me DAVE BOULIANNE (Cain, Lamarre)
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PARTIE INTIMÉE APPELANTE INCIDENTE |
AVOCAT |
GILLES GOSSELIN
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Me STÉPHANE MICHAUD
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PARTIE MISE EN CAUSE |
AVOCAT |
MUNICIPALITÉ DE SAINT-ANTONIN
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Me GILLES MOREAU (ABSENT) (Moreau Avocats inc.)
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En appel d'un jugement rendu le 12 mars 2015 par l'honorable Marc St-Pierre de la Cour supérieure, district de Kamouraska. |
NATURE DE L'APPEL : |
Biens et propriété - Municipal - Injonction - Dommages - Responsabilité |
Greffière : Rose-Marie Rousseau (TR1540) |
Salle : 4.33 |
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AUDITION |
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11 h 59 |
Observations de Me Boulianne; |
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Observations de la Cour; |
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Me Boulianne poursuit; |
12 h 17 |
Observations de Me Michaud; |
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Observations de la Cour; |
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Me Michaud poursuit; |
12 h 28 |
Réplique de Me Boulianne; |
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Discussions; |
12 h 31 |
Observations de Me Boulianne; |
12 h 32 |
Suspension; |
13 h 04 |
Reprise; |
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Arrêt. |
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(s) |
Greffière audiencière |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Le jugement a donné lieu à un appel de la part de M. Roussel et à un appel incident de la part de M. Gosselin. L’appel incident impliquait également la municipalité mise en cause, mais il a été rejeté sommairement sur requête en rejet d’appel le 7 décembre 2015.
[2] L’appelant reproche au juge de première instance d’avoir rendu une ordonnance qui a pour conséquence de contredire sa propre analyse et d’aller au-delà de ce que prévoit le règlement municipal dont il veut forcer le respect (jugement dont appel, paragraphe 93).
[3] L’appelant a raison.
[4] Le jugement lui ordonne de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser les jappements, aboiements, hurlements et gémissements des chiens (les siens et ceux qu'il garde en pension) que l’intimé, son voisin, serait susceptible d’entendre.
[5] L’article 34 du Règlement numéro 699-13 (relatif aux animaux) ne va pas aussi loin lorsqu'il précise que « le fait pour un animal de japper, aboyer, hurler ou gémir de manière à troubler la paix et la tranquillité » constitue une nuisance et est interdit. En d’autres mots, ce n’est pas le simple fait pour un chien de japper, d’aboyer, de hurler ou de gémir qui est visé, mais c’est de le faire « de manière à troubler la paix et la tranquillité » des voisins. Il est bien difficile, voire impossible, d’empêcher un chien de japper, d’aboyer, de hurler ou de gémir à l’occasion, mais il est sûrement possible de prendre les moyens nécessaires pour éviter que cela trouble la paix et la tranquillité du voisinage.
[6] Il s’agira donc de modifier la conclusion du paragraphe 113 du jugement dont appel pour la rendre conforme au raisonnement du juge de première instance et à la réglementation municipale relative aux animaux.
[7] L’appelant reproche au juge d’avoir adjugé au-delà de ce qui lui était demandé. L’argument ne tient pas. L’intimé demandait au tribunal d’annuler le permis délivré à l’appelant en 1999 et de mettre fin à l’exploitation de la pension pour chiens. À titre subsidiaire, il demandait qu’un mur coupe-son soit érigé le long de la ligne mitoyenne ou « toutes autres ordonnances que [le tribunal] jugera utile (sic) dans les circonstances ». C’est ce que le juge a fait en prononçant l’ordonnance qu’il a rendue.
[8] Selon l’appelant, le juge commet une erreur de droit dans l’analyse qui le mène à la conclusion qu’il est responsable des inconvénients causés à l’intimé par les jappements, aboiements et gémissements de ses chiens et qu’il doit l’indemniser pour le préjudice subi. L’erreur serait d’avoir affirmé qu’en matière de violation de règlements municipaux sur les nuisances, il n'y a pas lieu de tenir compte de la tolérance aux inconvénients normaux que se doivent les voisins en vertu de l’article 976 C.c.Q. L’erreur serait déterminante puisque le juge ne mentionne pas dans son jugement que l’appelant a contrevenu à l’article 976 C.c.Q.
[9] En matière de voisinage, deux régimes de responsabilité coexistent : celui de la responsabilité sans faute fondé sur la mesure des inconvénients (article 976 C.c.Q.) et celui du droit commun de la responsabilité civile (article 1457 C.c.Q.)[1].
[10] Les deux régimes de responsabilité sont ici invoqués par l’intimé au soutien de son recours, mais les motifs du jugement dont appel ne nous indiquent pas clairement la voie suivie par le juge de première instance. Ce dernier fait allusion à plusieurs reprises à l’article 976 C.c.Q., mais jamais ne réfère-t-il expressément au caractère anormal des inconvénients subis par l’intimé. Au contraire, son analyse porte plutôt sur le comportement de l’appelant, en particulier sur sa violation de la réglementation municipale relative aux animaux (et aux nuisances qu’ils peuvent constituer), ce qui est plus compatible avec le régime général de la responsabilité civile.
[11] Le règlement de la municipalité mise en cause relatif aux animaux (Chapitre 5 : Nuisances, articles 34-36) énonce une norme de comportement à laquelle tous sont tenus sur son territoire, y compris les personnes « exerçant le commerce de vente d’animaux ou de garde d’animaux » (article 14(1) du Règlement). Après avoir analysé la preuve, le juge conclut que l’appelant ne se conforme pas à cette réglementation municipale. Bref, que les jappements, aboiements, hurlements et gémissements de ses chiens troublent la paix et la tranquillité de son voisin, l’intimé.
[12] Dans ce contexte, le devoir de tolérance énoncé à l’article 976 C.c.Q. et l’analyse contextuelle des inconvénients qu’il commande ne sont pas pertinents à l’analyse. Cela découle du principe même de la « dualité des recours »[2] énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent : le devoir de tolérance de l’article 976 C.c.Q. ne peut pas être invoqué pour autoriser un comportement par ailleurs fautif.
[13] En terminant, la Cour souligne l’engagement pris par l’appelant de continuer à respecter les conditions de l’ordonnance de sauvegarde prononcée le 7 juillet 2015[3], soit 1) de garder tous les chiens à l’intérieur et 2) de ne pas laisser sortir plus de deux chiens à la fois, étant entendu que cet engagement ne le dispense pas pour autant de prendre tous les moyens nécessaires pour assurer le respect de la réglementation municipale.
[14] L’intimé soutient que le montant des dommages constitue une indemnisation manifestement insuffisante pour le préjudice subi.
[15] Il n’y a pas, selon la Cour, matière à intervention.
[16] Tous les arguments de l’intimé concernant ce qu’il a enduré depuis qu’il a acheté la propriété voisine de celle de l’appelant (en 1996) ne sont pas pertinents puisque l’indemnité couvre les années 2010-2014, soit trois ans avant l’institution des procédures jusqu’au procès.
[17] Quant au reste, l’évaluation des dommages dans un cas comme celui-ci n’a rien de mathématique ou de scientifique. Elle relève dans une très large mesure de la discrétion du juge de première instance, discrétion qu’il exerce à la lumière de la preuve qu’il a entendue. L’intimé, qui n’a déposé aucune transcription des témoignages au procès, ne convainc pas la Cour qu’il y a lieu ici de substituer son évaluation des dommages à celle du juge de première instance.
Pour ces motifs, la Cour :
[18] ACCUEILLE l’appel à la seule fin de substituer au texte du paragraphe 113 du jugement dont appel le texte suivant :
ORDONNE au défendeur Bruno Roussel de prendre les moyens nécessaires pour faire cesser les jappements, aboiements, hurlements et gémissements susceptibles de troubler la paix et la tranquillité de son voisin, le demandeur Gilles Gosselin, émis par ses propres chiens ou par les chiens qu’il prend en pension sur sa propriété située au […], à Saint-Antonin, district de Kamouraska.
[19] PREND ACTE de l’engagement de l’appelant 1) de garder tous les chiens à l’intérieur et 2) de ne pas laisser sortir plus de deux chiens à la fois et lui ORDONNE de s’y conformer.
[20] Les autres conclusions du jugement dont appel demeurent inchangées.
[21] REJETTE l’appel incident.
[22] Chaque partie payant ses frais de justice en appel, vu le sort mitigé réservé aux appels et les circonstances de ce litige entre deux voisins.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
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BENOIT MORIN, J.C.A. |
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DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A. |
[1] Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, 2008 CSC 64, paragr. 3, 75 et 96.
[2] L’expression est de Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoit Moore, La responsabilité civile, volume I, Principes généraux, 8e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2014, paragr. 1-251.
[3] Roussel c. Gosselin, 2015 QCCA 1152.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.