Berthiaume c. Carignan |
2012 QCCS 4628 |
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JB3976 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-053564-095 |
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DATE : |
Le 2 octobre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S. |
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MARIE-JOSÉE BERTHIAUME |
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Demanderesse |
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c. |
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STÉPHANE CARIGNAN -et- NICOLE GOUGEON -et- JOCELYN BLAIS -et- PIERRE BOULIANNE -et- MICHEL DUBÉ -et- MICHEL-PIERRE DUFRESNE -et- VAGHARCHAG EHRAMDJIAN -et- ROBERT FILION -et- MARC GIRARD -et- THUY KHANH NGUYEN -et- ANDRÉE-ANNE PISTONO -et- PATRICIA UGOLINI |
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Défendeurs |
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-et- |
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GAÉTAN BARRETTE -et- MÉLANIE DESLANDES |
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Mis-en-cause |
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TRANSCRIPTION DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 28 SEPTEMBRE 2012 (Incident relatif à des objections à la preuve portant sur la protection des sources journalistiques) |
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[1] Pour le Tribunal, il importe de situer le contexte procédural général dans lequel s'inscrit le débat sur la question de la protection des sources journalistiques. Il s'avère donc utile pour le Tribunal de référer à la procédure de la demanderesse, celle du 18 septembre 2012 aux paragraphes 34.1 à 34.7 :
34.1 En cours d'instance, le défendeur Carignan a constitué un dossier d'enquête sur le mis en cause Barrette, dans la poursuite de son comportement de harcèlement envers la demanderesse, sachant que l'attaque à l'encontre de son conjoint l'affecterait et aggraverait l'ostracisme à son endroit;
34.2 Le défendeur Carignan a accédé à des milliers de dossiers concernant des patients que le mis en cause Barrette avait examinés durant la période s'étalant de 2007 à 2011 et a prétendu y identifier 33 erreurs, qu'il dénonça aux instances hospitalières;
34.3 Le défendeur Filion a alors révélé l'existence de cette dénonciation et des conclusions de l'enquête du défendeur Carignan à M. André Noël, journaliste de La Presse, et des documents décrétés confidentiels par la loi furent remis à ce dernier;
34.3.1 À tout le moins, le défendeur Filion a contribué à la fuite desdites informations et a toléré les gestes de ceux des défendeurs qui, à sa connaissance, ont accédé à des dossiers radiologiques pour des fins impropres;
34.4 Les 7 et 8 juin 2012, l'existence de cette dénonciation et de cette enquête et la teneur des documents confidentiels susmentionnés furent révélées au grand public, tel qu'il appert de plusieurs articles de La Presse, Pièce P-11 en liasse;
34.5 Le défendeur Filion a été sanctionné par l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont pour ces actes, en ce qu'il fut mis en demeure de démissionner de son poste de chef du département de radiologie pour avoir participé à cette divulgation, ce à quoi il obtempéra;
34.6 Les actions des défendeurs à l'égard du mis en cause Barrette constituent un procédé illicite et intentionnel entrepris notamment dans le but de continuer à nuire à la demanderesse et à ostraciser celle-ci au sein de sa communauté médicale, les défendeurs sachant et voulant que ces actions affectent celle-ci;
34.7 Ces actions des défendeurs constituent en outre du harcèlement à l'égard de la demanderesse, toujours dans le but d'obtenir son départ de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont;
[2] On doit également y ajouter les paragraphes 37.1 et 37.2 de cette même procédure, qui se lisent ainsi :
37.1 Les actions des défendeurs (sauf la défenderesse Pistono) depuis le rejet de leur requête en rejet d'action constituent une aggravation du préjudice déjà subi par la demanderesse et, par conséquent, celle-ci est en droit de leur réclamer solidairement la somme additionnelle de 20 000 $;
37.2 Les actions des défendeurs alléguées aux paragraphes 24.7 à 24.9 et 34.1 à 34.7 constituent des faits nouveaux survenus en cours d'instance, mais postérieurement à la mise en état du dossier, et ont résulté en une nouvelle aggravation du préjudice déjà subi par la demanderesse.
[3] On constate à la lecture de la pièce P-11, c'est-à-dire les articles parus dans le journal La Presse, qu'effectivement certaines informations qui participent à la confidentialité d'un certain processus au sein de l'hôpital et au sein du Collège des médecins ont été effectivement révélées à la population.
[4] Dans le cadre de son témoignage, le journaliste, André Noël (« Noël ») s'objecte à répondre à certaines questions et à fournir certains documents tel que requis par un subpoena duce tecum.
[5] Premièrement, on peut génériquement regrouper les demandes formulées à Noël dans le cadre de son interrogatoire ainsi :
- Premièrement, la liste des noms des personnes ayant transmis de la documentation;
- Deuxièmement, des noms des personnes à qui il a parlé;
[6] Notons que Noël a fourni un CD et une transcription « maison » d'une entrevue qu'il a eue avec Gaétan Barrette (« Barrette »), la représentante du Collège des médecins et un représentant de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont ainsi que la transcription d'un courriel. (Voir les pièces P-35 A) et P-35 B).
[7] Noël s'objecte parce que la fourniture de certains autres documents ou des informations requises permettrait l'identification, soit directement ou indirectement, de sa ou de ses sources.
[8] Dans le subpoena duce tecum, on requerrait de lui d'apporter :
1) Toutes notes que vous avez prises et tout enregistrement que vous avez fait de vos discussions ou conversations téléphoniques avec l'un ou l'autre des membres, le personnel et/ou les employés du département de radiologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et/ou de SORAD, y compris avec le mis en cause, Dr. Barrette;
2) Toute communication écrite (lettres, courriels, etc.) que vous avez échangée avec l'un ou l'autre des membres, le personnel et/ou les employés du département de radiologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et/ou de SORAD ainsi que tout document obtenu de l'un d'entre eux.
[9] Le Tribunal a eu le bénéfice d'entendre tous les témoins, hormis, bien sûr, la fin du témoignage de M. Noël. Il a reçu, dans cette optique, toutes les pièces pertinentes au débat judiciaire et à tout événement, tel qu'en a convenu le procureur de la demanderesse, la preuve est somme toute complète sauf en ce qui a trait à la fin du témoignage de M. Noël, quant à l'identification des sources et les questions qui pourraient en découler.
[10] Cette perspective privilégiée du Tribunal lui permet donc d'apprécier dans son entièreté la preuve qui a été offerte par les parties. Il se considère donc dans une position adéquate pour pouvoir, bien qu'il ne soit pas encore au stade de son délibéré, en apprécier, d'une part, la pertinence et d'autre part, pourrait même en apprécier la valeur probante.
[11] Soulignons également que Barrette intente, le 6 septembre 2012, une action en justice devant la Cour supérieure du district de Montréal contre le journaliste Noël ainsi que son employeur et une autre journaliste.
[12] Il importe pour les fins du débat d'en citer certains extraits :
14. Ces articles (pièce P-11 dans notre dossier) s'inscrivaient dans un contexte où le département de radiologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont était aux prises avec un important litige impliquant, d'un côté, le demandeur et sa conjointe et, de l'autre côté, la quasi-totalité des autres radiologistes dudit département, dans le dossier 500-17-053564-095;
15. Plus particulièrement, la conjointe du demandeur poursuivait ses collègues de département pour le harcèlement, le dénigrement et les comportements d'ostracisme dont ils faisaient preuve à son endroit, le tout dans le but d'obtenir son départ de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et d'ainsi nuire à sa carrière;
16. Le défendeur Noël a admis au demandeur, lors de leur conversation téléphonique du 6 juin 2012, que ses sources étaient quelques-uns des radiologistes poursuivis par la conjointe du demandeur;
17. Compte tenu du litige les opposant à celle-ci et, par association, au demandeur, les sources du défendeur Noël devaient être considérées comme compromises, intéressées et tarées;
(…)
20. Les défendeurs savaient que leurs sources étaient impliquées dans un litige avec le demandeur et que leurs propos étaient motivés notamment par des sentiments de vengeance, d'hostilité et de règlement de compte;
(…)
24. Les défendeurs ne pouvaient raisonnablement ignorer que, en publiant ces articles, ils s'associaient à la campagne de salissage entreprise par les sources susmentionnées à l'encontre du demandeur;
[13] Situons maintenant le contexte jurisprudentiel dans lequel se situe le présent débat.
[14] À cet égard, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. National Post[1] fait figure d'autorité :
[52] Dans le cas de la protection des sources secrètes des journalistes, le privilège fondé sur les circonstances de chaque cas, s’il est établi au vu des faits, ne s’applique pas nécessairement qu’au témoignage, c.-à-d. au moment où le journaliste est contraint à témoigner devant un tribunal judiciaire ou administratif. La protection offerte peut déborder la simple règle de preuve. Sa portée dépend de l’intérêt public auquel elle doit son existence. Elle peut, dans certains cas, être opposable à la délivrance ou à l’exécution d’un mandat de perquisition, comme dans l’affaire O’Neill c. Canada (Attorney General) (2006), 213 C.C.C. (3d) 389 (C.S.J. Ont.). Le privilège fondé sur les circonstances de chaque cas peut être absolu ou partiel et sa portée dépend, comme son existence même, d’une analyse effectuée au cas par cas (Ryan, par. 18).
[15] À l'évidence, on peut faire un parallèle entre un mandat de perquisition et un subpoena duce tecum, tel qu'en l'instance.
[16] Continuons la lecture des passages pertinents de cet arrêt :
[53] Le test ou « critère de Wigmore » comporte quatre volets qui peuvent se résumer comme suit dans le contexte qui nous occupe. Premièrement, les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance que l’identité de l’informateur ne serait pas divulguée. Deuxièmement, le caractère confidentiel doit être essentiel aux rapports dans le cadre desquels la communication est transmise. Troisièmement, les rapports doivent être des rapports qui, dans l’intérêt public, devraient être « entretenus assidûment », adverbe qui évoque l’application constante et la persévérance (selon le New Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles (6e éd. 2007), vol. 2, p. 2755, le terme anglais « sedulous[ly] » utilisé par Wigmore signifie : « diligent[ly] [. . .] deliberately and consciously »). Enfin, si toutes ces exigences sont remplies, le tribunal doit déterminer si, dans l’affaire qui lui est soumise, l’intérêt public que l’on sert en soustrayant l’identité à la divulgation l’emporte sur l’intérêt public à la découverte de la vérité. (…)
[17] Marie-Josée Berthiaume (« Berthiaume »), par l'entremise de son avocat, convient que les trois (3) premiers critères sont rencontrés par Noël. Il s'agit donc de voir maintenant, toujours dans l'arrêt National Post, d'autres passages qui peuvent s'avérés pertinents pour notre affaire.
[18] À cet égard, les paragraphes 58, 59, 61, 64 et 69 méritent que l'on s'y attarde :
[58] C’est donc le quatrième volet du test de Wigmore qui sera le plus déterminant. Une fois établie l’importance pour le public des rapports en question, le tribunal doit mettre en balance la protection de ces rapports et tout autre intérêt public opposé, comme la tenue d’une enquête sur un crime précis (ou la sécurité nationale, la sécurité publique ou une autre considération intéressant le bien collectif).
[59] Cette analyse est guidée par l’objectif d’une certaine proportionnalité dans la recherche d’un équilibre entre les intérêts qui s’opposent.
(…)
[61] On mettra en balance (entre autres, bien sûr), d’un côté, la nature et la gravité de l’infraction faisant l’objet de l’enquête et la valeur probante des éléments que l’on cherche à obtenir et, de l’autre côté, l’intérêt public à ce que la promesse de confidentialité faite par un journaliste soit respectée. (…)
(…)
[64] En résumé, à la quatrième étape, le tribunal soupèse la preuve appuyant les deux thèses (complétée par les faits admis d’office et ceux qui relèvent du bon sens, du discernement et de la prise en compte de la « situation très particulière des médias »). L’intérêt public à la liberté d’expression joue toujours un grand rôle dans la pondération. Bien que les sources confidentielles ne jouissent pas d’une protection constitutionnelle, leur rôle est étroitement lié à celui de la « liberté de la presse et des autres moyens de communication » et l’importance qu’on lui accorde est à l’avenant. Cependant, je le répète, c’est la partie qui revendique le privilège qui assume en définitive le risque de non-persuasion à chacune des quatre étapes.
(…)
[69] En définitive, aucun journaliste ne peut donner une garantie de confidentialité absolue à l’une de ses sources. Une telle entente est toujours assortie d’un risque que l’identité de la source soit dévoilée. Il ne sera possible de connaître l’étendue véritable du risque qu’au moment où le privilège sera revendiqué, lorsque toutes les circonstances seront connues et pourront être soupesées. Cela signifie notamment qu’une source qui profite de l’anonymat pour verser de façon malveillante des renseignements dans le domaine public pourrait être tenue de rendre des comptes. (…)
[19] Dans l'arrêt Globe Mail c. Procureur général du Canada[2], la Cour suprême élabore sur les principes déjà énoncés, notamment aux paragraphes 60 à 64, 69 et 84 de son arrêt qu'il convient d'ajouter ici :
[60] Le caractère essentiel de la question pour le débat judiciaire représentera aussi l’un des facteurs pertinents dans le cadre du différend. En effet, la question de l’identité peut être tellement secondaire par rapport à l’objet véritable du débat judiciaire en fait et en droit que l’on devra se garder de forcer le journaliste à témoigner au sujet de sa source, bien que l’identité de celle-ci puisse être pertinente au litige, en raison de la conception large de la pertinence applicable dans les affaires civiles.
[61] Toujours à propos du caractère essentiel de la question pour le litige, il faut aussi se demander si le journaliste est une partie à l’instance ou simplement un témoin ordinaire. Par exemple, le problème de l’existence d’un intérêt public à contraindre un journaliste à témoigner sur l’identité d’une source confidentielle se réglera sans doute différemment si le journaliste se trouve un défendeur dans une action en diffamation, plutôt que d’être un tiers assigné à témoigner dans une affaire où il n’a aucun intérêt personnel. L’identité de la source se situera plus probablement au cœur du litige qui oppose les parties dans le premier de ces cas, mais non dans le second.
Ici, rappelons, à charge de redite, que M. Noël a un intérêt dans ce débat, notamment parce qu'il est poursuivi par M. Barrette, dans un autre dossier judiciaire.
[62] Lorsqu’un tribunal est appelé à déterminer si le privilège a été établi, il doit vérifier si les faits, les renseignements ou les témoignages peuvent être connus par d’autres moyens. Comme la Cour l’a reconnu dans National Post, « le principe des “autres sources” est reconnu en droit canadien depuis l’arrêt Re Pacific Press Ltd. and The Queen, tout comme au Royaume-Uni ». En effet, selon les tribunaux du Royaume-Uni l’exigence de nécessité s’impose et ont conclu que la simple commodité administrative ne suffit pas.
[63] Ce principe est tout à fait logique. Si des renseignements pertinents peuvent être obtenus par d’autres moyens, il faut recourir à ces derniers avant de contraindre un journaliste à briser sa promesse de confidentialité. L’exigence de nécessité, tout comme la condition préalable de pertinence, agit comme une protection additionnelle contre les interrogatoires à l’aveuglette et les ingérences inutiles dans le travail des médias. Les tribunaux ne devraient contraindre un journaliste à rompre une promesse de confidentialité faite à une source qu’en dernier recours.
[64] D’autres facteurs, comme le degré d’importance de la nouvelle du journaliste pour le public et la question de savoir si elle a été publiée et relève donc déjà du domaine public, peuvent être pertinents dans un cas donné. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. En définitive, l’examen de tout le contexte demeure crucial.
(…)
[84] De plus, de solides raisons de principe militent en faveur du rejet de l’assujettissement automatique des journalistes aux contraintes et obligations juridiques auxquelles leurs sources sont tenues. Force est de constater que, pour mettre au jour des nouvelles d’une grande importance pour le public, les sources désireuses de révéler ces informations doivent souvent violer des obligations juridiques. Les exemples abondent dans l’histoire. À mon sens, le travail et les activités des médias seraient par ailleurs dramatiquement perturbés si on obligeait un journaliste, au risque de lui imposer une ordonnance de non-publication, à s’assurer que sa source ne viole aucune obligation juridique en lui fournissant des renseignements. Le journaliste n’est pas tenu d’agir comme conseiller juridique auprès de ses sources de renseignements.
(…)
[69] En l’espèce, il semble que l’intérêt public à préserver la confidentialité de MaChouette soit largement fondé sur le risque de dévoilement de l’identité de celle-ci, que créeraient des réponses précises aux questions posées. Par conséquent, M. Leblanc ne pourrait refuser de répondre à une question capable d’étayer significativement la défense de prescription du Groupe Polygone et qui ne révélerait pas l’identité de MaChouette. Dans ce contexte, une preuve établissant la probabilité qu’une réponse à une question particulière puisse révéler l’identité de MaChouette serait utile. Ce n’est que dans le cas où la réponse de M. Leblanc risquerait réellement de divulguer l’identité de MaChouette que le juge devrait se demander, après avoir analysé les considérations pertinentes, si la balance des intérêts penche en faveur du privilège plutôt que de la divulgation. Par exemple, à cette extrémité du spectre où les réponses de M. Leblanc permettraient presque assurément d’identifier MaChouette, le juge, gardant à l’esprit que le public a un intérêt élevé dans le journalisme d’enquête, ne pourrait l’obliger à témoigner que si sa réponse s’avérait essentielle à l’intégrité de l’administration de la justice. En dernière analyse, ces questions devront être réglées par le juge, mais il doit les examiner auparavant.
[20] À l'évidence, de tels principes sont applicables à notre affaire.
[21] Premièrement, qu'en est-il de la question de la pertinence?
[22] Nous sommes dans un contexte d'une action de Berthiaume contre la presque totalité de ses collègues du département de radiologie. Il ne s'agit pas d'une action de Barrette contre ces mêmes collègues. (Le Tribunal souligne).
[23] La preuve entendue depuis les derniers sept jours par le Tribunal a porté en grande partie sur le comportement et les agissements de Barrette et dans une moindre mesure, sur ceux de Berthiaume.
[24] D'ailleurs, Berthiaume se dissocie des gestes de Barrette qui peuvent lui porter ombrage tout en se réclamant des autres gestes que son conjoint a effectués qui pourraient être à son avantage.
[25] Avec égards, Berthiaume ne peut jouer sur deux (2) tableaux. Certes, il est vrai que Barrette est son conjoint et ce qui affecte Barrette peut l'affecter. Encore faut-il qu'il existe un lien rationnel raisonnable entre les gestes reprochés et les conséquences causales directes, en droit, sur elle.
[26] Barrette reconnaît lui-même, tant dans son témoignage à l'audience que lors de son entrevue avec Noël, qu'il est une « cible », tant à l'interne, c'est-à-dire à l'intérieur de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont qu'à l'externe, c'est-à-dire tant en sa capacité de président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec que tant à l'égard de son rôle à l'Association des radiologistes du Québec ou dans son rôle dans la société en général.
[27] Si ce n'est des propos de Barrette qui, lui-même, associe Berthiaume aux raisons qui participent à la divulgation des informations par la ou les sources à Noël, le lecteur de La Presse ne pouvait y établir aucun lien. À tout événement, tel qu'explicité auparavant, le Tribunal a eu le loisir d'entendre l'ensemble de la preuve essentielle au débat judiciaire mû entre Berthiaume et ses collègues du département de radiologie de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et peut affirmer, après analyse et réflexion, que les informations recherchées faisant l'objet des demandes adressées à Noël possèdent une pertinence minimale, si ce n'est inexistante, sur la détermination des droits de celle-ci en cause en l'espèce.
[28] Il se révèle toujours hasardeux, en cours d'instance, d'exclure une preuve sur la base de la pertinence. Le Tribunal était dans une certaine mesure contraint, d'une part, par les procédures écrites, et d'autre part, par la preuve offerte par les parties, et devait à se fier à eux pour déterminer la pertinence de celle-ci.
[29] Cela ne veut pas dire que le Tribunal ne peut jouer son rôle de gardien du processus judiciaire, mais il agit souvent sans connaître l'ensemble de la preuve à venir, et c'est pourquoi il entend, tel qu'en l'espèce, des témoignages qui se révèlent, à la fin et dans un contexte global, comme n'ayant aucune ou très peu de pertinence sur les véritables questions en litige.
[30] À tout événement, tenant pour acquis de la pertinence des questions qui ont été posées à M. Noël et encore une fois, à charge de redite, bien que très minimale, le Tribunal doit donc apprécier le quatrième critère de Wigmore. Encore une fois, quitte à se répéter, voici le 4e critère de Wigmore :
L'intérêt public protégé par le refus de la divulgation de l'identité doit l'emporter sur l'intérêt public dans la recherche de la vérité.
[31] À l'évidence, les articles de Noël (pièce P-11) se révèlent d'intérêt public tant quant au sujet traité qu'à l'égard de l'individu, en l'occurrence Barrette.
[32] En effet, les erreurs médicales et la façon dont on les traite, tant au niveau de l'hôpital qu'au niveau du professionnel ou au niveau du Collège des médecins visent un sujet qui relève de l'intérêt public.
[33] De plus, Barrette, de par ses fonctions, est une personnalité publique dont le comportement professionnel peut faire l'objet de reportage.
[34] La participation des sources confidentielles contribue à mettre sur la place publique un sujet d'une importance sociale indéniable et qu'il s'avère presque impossible à traiter publiquement de façon spécifique sans la transmission d'information confidentielle, telle qu'en l'espèce.
[35] Ici, l'intérêt public dans la recherche de la vérité judiciaire quant à l'identité de la ou des sources de Noël ne peut l'emporter sur l'intérêt public protégé par le refus de divulgation d'information qui pourrait mener à l'identification des sources de Noël.
[36] À l'instar de l'affaire Contructions Louibourg Ltée c. Société Radio-Canada[3], l'identité de la source ou des sources n'a ici aucun caractère essentiel dans le cadre du différend entre les parties. Tous les faits essentiels à la décision du Tribunal sont déjà en preuve et il n'existe aucune nécessité pour lui de connaître la ou les sources de Noël. Il n'existe pas d'intérêt public supérieur autre que l'administration de la justice, entendue dans son sens générique, qui milite en faveur de la divulgation de la ou des sources de Noël.
[37] Quant à l'administration de la justice, la pertinence minimale de cette information pour le Tribunal, dans sa détermination quant au droit respectif des parties en l'instance, fait en sorte qu'on n'obvie pas à sa saine et nécessaire reconnaissance en accueillant l'objection de Noël.
[38] Le Tribunal conclut donc que Noël démontre qu'il rencontre les quatre (4) critères établis par Wigmore pour bénéficier du privilège de protection de ses sources journalistiques confidentielles.
[39] ACCUEILLE les objections présentées à l'encontre des questions formulées pour obtenir toute information qui permettrait d'identifier les sources confidentielles d'André Noël.
[40] SANS FRAIS.
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MARC-ANDRÉ BLANCHARD,J.C.S. |
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Me Jacques Jeansonne Me Alain T.K. Nguyen |
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Jeansonne Avocats |
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Avocats de la Demanderesse |
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Me Eric C. Lefebvre Me Horia Bundaru |
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Norton Rose Canada |
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Avocats des défendeurs (sauf Andrée-Anne Pistono) |
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Me Benoît Lapointe |
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Belleau Lapointe |
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Avocat de la défenderesse, Andrée-Anne Pistono |
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Me Christian Leblanc |
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Fasken Martineau |
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Avocat de M. André Noël, témoin |
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Date d’audience : |
27 septembre 2012 |
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Demande de transcription des motifs : |
28 septembre 2012 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.