Solaris Québec et Gagnon |
2008 QCCLP 1393 |
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[1] Le 21 mars 2007, Solaris Québec inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par le biais de laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 8 mars 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 21 septembre 2006 et déclare que monsieur Gilles Gagnon (le travailleur) a subi une lésion professionnelle, le 31 août 2006.
[3] L’audience est tenue à Québec, le 25 février 2008; les parties étaient présentes et respectivement représentées. Les témoignages du travailleur et du docteur Alain Boies sont entendus.
[4] La cause est mise en délibéré le 25 février 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Le représentant de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 8 mars 2007 et de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.
[6] Il entend soumettre que l’épitrochléite droite diagnostiquée à compter du 31 août 2006 ne peut être reliée au travail effectué par le travailleur puisque les tâches accomplies par ce dernier ne comportent pas de facteurs de risques susceptibles d’occasionner une telle lésion. À l’appui, référence est faite à l’avis émis par le docteur Alain Boies.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Le membre issu des associations de travailleurs est d’avis que la Commission des lésions professionnelles devrait rejeter la requête de l’employeur, confirmer la décision rendue par la CSST, le 8 mars 2007, et déclarer que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 31 août 2006.
[8] À son avis, l’épitrochléite droite, diagnostiquée en l’espèce, a été causée par les tâches accomplies au travail puisque plusieurs facteurs de risques y sont présents. À l’appui, il réfère à la bande vidéo qui illustre la tâche consistant à nettoyer et qui est communément désignée « ébavurage », laquelle requiert l’usage d’un petit couteau et ce, afin de nettoyer ou enfin, d’enlever l’excédent de polychlorure de vinyle (PVC) qui se retrouve dans les coins du cadre qui vient d’être monté dans la machine.
[9] Aussi, fut-il mis en preuve et ce, de manière non contredite, que le travailleur est appelé à faire seul toutes et chacun des tâches dont celle consistant à effectuer « l’ébaburage » et ce, lorsqu’il n’y a aucune aide qui lui est fournie.
[10] En effet, la preuve a établi, de manière non contredite, qu’une telle aide peut lui être prêtée, certaines semaines, à raison de 25 à 30 heures par semaine, et ce, aux fins d’accomplir la tâche « d’ébavurage ». Toutefois, certaines autres semaines et plus particulièrement à l’été 2006, le travailleur fut appelé à exécuter toutes et chacune de ces tâches et ce, à raison non seulement de 40 heures par semaine mais plus souvent qu’autrement, à raison de 55 heures par semaine.
[11] En effet, le travailleur a affirmé qu’il était régulièrement appelé à effectuer 10 à 15 heures de temps supplémentaire par semaine et ce, compte tenu qu’il s’agissait d’une période de haute production.
[12] Ce membre considère donc que le travailleur fut appelé à accomplir la tâche « d’ébavurage » de façon plus intense qu’à l’habitude et ce, d’autant plus avec un couteau dont la lame était plus souvent qu’autrement mal aiguisée. Sur cet aspect, le témoignage du travailleur est demeuré également non contredit.
[13] Eu égard à cette même tâche, ce membre considère que le maniement du petit couteau impliquait un mouvement de préhension pleine main ainsi que des mouvements de flexion et de déviation cubitale du poignet et ce, alors que le coude était fléchi.
[14] À ces facteurs de risques reconnus pour développer une épitrochléite, s’ajoute la composante force puisque tel qu’affirmé par le travailleur, la lame du couteau était régulièrement mal aiguisée. Par conséquent, une plus grande pression ou enfin, de plus grands efforts devaient être déployés afin de parvenir à enlever l’excédent de PVC qui se trouvait au coin des cadres.
[15] De plus, il importe, à son avis, de ne pas ignorer le fait que la tâche « d’ébaburage » se fait beaucoup plus aisément lorsque le cadre est encore chaud alors qu’elle est beaucoup plus difficile ou enfin, moins aisée, lorsque le cadre est refroidi. Cet aspect du témoignage du travailleur fut également non contredit.
[16] Enfin, ce membre se dit convaincu que la preuve a permis de démontrer que cette tâche impliquait une préhension en force, de façon soutenue. En effet, la preuve a démontré que le travailleur pouvait procéder au nettoyage d’environ 180 à 200 cadres par jour. Manifestement une telle quantité de cadres à nettoyer, quotidiennement, est loin d’être négligeable et ce, d’autant plus si la lame du couteau utilisé s’avère mal aiguisée.
[17] La membre issue des associations d’employeurs est d’avis contraire. Cette dernière prétend que la Commission des lésions professionnelles devrait accueillir la requête de l’employeur et infirmer la décision rendue par la CSST, le 8 mars 2007, le tout aux fins de déclarer que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, le 31 août 2006.
[18] Aussi, bien qu’une certaine tâche, soit celle de « l’ébavurage » puisse comporter certains facteurs de risques, il n’en demeure pas moins que la composante nécessaire pour reconnaître une épitrochléite causée par le travail est absente.
[19] À son avis, la preuve n’a pas permis de démontrer, de façon probante, que la tâche « d’ébavurage » implique l’usage de la force et ce, de manière soutenue. Aussi, même en retenant une partie du témoignage du travailleur voulant que son couteau ait pu être mal aiguisé, à certains moments, la seule conclusion possible est à l’effet que l’usage de la force ou enfin, d’une certaine pression, n’a été qu’occasionnelle et non pas de manière soutenue.
[20] Ce seul élément, à son avis, ne permet pas de conclure que l’épitrochléite droite diagnostiquée à compter du 31 août 2006 soit reliée à des risques particuliers du travail.
[21] Donc, la présence de certains facteurs de risques, sans que ceux-ci puissent être combinés à la composante force fait en sorte que la Commission des lésions professionnelles devrait conclure que la tâche « d’ébavurage », telle qu’accomplie par le travailleur, ne peut être à l’origine, de manière probante, de l’épitrochléite droite diagnostiquée en date du 31 août 2006.
[22] De plus, la Commission des lésions professionnelles ne devrait pas ignorer le fait que le travailleur est droitier et que cette tâche s’accomplit essentiellement avec la main droite. Or, le travailleur a reconnu, lors de son témoignage, qu’il ressentait également des douleurs au niveau de l’épitrochléite gauche.
[23] D’ailleurs, le travailleur est en arrêt de travail pour une épitrochléite gauche et ce, bien que cette lésion ne fasse pas, actuellement, l’objet du présent litige et de la présente réclamation. Or, ce facteur de bilatéralité milite très peu en faveur de la relation avec les tâches accomplies au travail.
[24] En effet, ce facteur suggère davantage la présence d’une condition personnelle. D’ailleurs, le travailleur a reconnu, lors de son témoignage, qu’il s’entraînait régulièrement et qu’il avait à soulever, par la même occasion, des poids de 140 ou 150 livres. Or, de telles manipulations de poids sont également susceptibles de causer des épitrochléites.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[25] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle et ce, en référence au suivi médical qui fut initié pour une épitrochléite droite, le 31 août 2006.
[26] Aux fins d’apprécier cette question, la Commission des lésions professionnelles retient de l’ensemble de la preuve documentaire et testimoniale les éléments pertinents suivants.
[27] Le 5 septembre 2006, le travailleur complète un formulaire de réclamation en faisant référence à des douleurs ressenties au niveau du son coude droit, en date du 31 août 2006. À l’appui, est produite l’attestation médicale complétée par le docteur Turcot, à cette même date.
[28] Le travailleur indique alors qu’il ressent des douleurs au niveau de ses deux coudes et ce, en raison des tâches accomplies à son travail.
[29] Tel qu’il appert de la preuve documentaire, toutefois, le travailleur avait préalablement consulté pour un problème d’épitrochléite droite. Référence est alors faite à l’attestation médicale complétée par le docteur Tremblay, le 3 avril 2006. Celui-ci avait alors prescrit un travail allégé, pour une période de deux semaines, et la médication Naprosyn.
[30] Lors de son témoignage, le travailleur reconnaît que ses douleurs sont apparues, initialement, au cours du mois d’avril 2006 et qu’elles ont diminué d’intensité avec l’accomplissement de tâches légères et la prise de la médication.
[31] Aussi, a-t-il repris le travail régulier au début du mois d’août 2006. D’ailleurs, la preuve documentaire comporte un rapport final complété par le docteur Létourneau, en date du 4 août 2006, lequel consolide, à cette même date, l’épitrochléite droite pour laquelle le travailleur est suivi depuis le 3 avril 2006.
[32] Or, le travailleur affirme que ses douleurs sont réapparues graduellement et ont augmenté d’intensité à un point tel qu’elles sont devenues insupportables en date du 31 août 2006 et qu’il dut consulter, à nouveau.
[33] Ses explications permettent de comprendre l’émission de l’attestation médicale par le docteur Turcot, en date du 31 août 2006. Le suivi médical initié à cette date maintient, ensuite, ce même diagnostic.
[34] Le travailleur occupe alors le poste d’assembleur et de soudeur et ce, depuis 1997. L’employeur où il œuvre est une usine qui fabrique des portes et fenêtres, en PVC. Le travailleur explique que son travail consiste donc à assembler des cadres de portes ou de fenêtres. Ce travail est accompli à raison de 40 heures par semaine, huit heures par jour. L’horaire régulièrement travaillé s’échelonne entre 7 h et 15 h 30. Le travailleur précise qu’il bénéficie, toutefois, de 30 minutes pour le dîner et de deux pauses dont l’une est d’une durée de 10 minutes alors que l’autre a une durée de 15 minutes.
[35] Au printemps 2006, toutefois, la production est plus importante, de telle sorte que le travailleur est appelé à effectuer régulièrement du temps supplémentaire. Il affirme, alors, qu’il fut régulièrement appelé à accomplir 10 à 15 heures de plus, par semaine. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’une période de haute productivité, il ne put bénéficier de l’aide d’un second travailleur, de façon régulière.
[36] Il explique qu’une telle aide lui fut apportée, de manière ponctuelle, soit certaines semaines, seulement. Il reconnaît, par la même occasion, que le travailleur qui lui était adjoint s’adonnait à la tâche de « l’ébavurage » et ce, à raison de 25 à 30 heures par semaine. De cette manière, il pouvait exécuter les autres tâches qui lui étaient régulièrement dévolues et ce, à temps plein. Quant aux tâches qu’il doit accomplir, comme telles, il s’agit d’opérations d’assemblage, de nettoyage et « d’ébavurage » de cadres de portes ou de fenêtres.
[37] Afin de mieux illustrer toutes et chacune de ces tâches, le témoignage du travailleur s’est effectué avec le visionnement d’une bande vidéo. Pour l’assemblage, le travailleur doit se rendre aux « racks » où sont rangés les morceaux de PVC, de toutes dimensions afin d’y cueillir les morceaux de la dimension appropriée pour effectuer le cadre spécifié par la commande. Les morceaux sont ensuite transportés jusqu’à la machine à souder; en somme, il s’agit de la machine qui assemble, entre eux, ces morceaux, de manière à créer le cadre; le temps d’opération de la machine est d’environ 50 secondes par cadre, puisque 25 secondes sont consacrées au temps de soudure, et 25 autres secondes sont consacrées au temps de refroidissement.
[38] Lorsque le cadre est fabriqué, le travailleur le sort de la machine et le transporte jusqu’à une table de travail où il est déposé. L’opération de nettoyage ou « d’ébavurage » se fait alors; on voit le travailleur qui nettoie chaque coin du cadre; ce dernier explique que les coins doivent être nettoyés afin d’y enlever les excédents de PVC qui s’y sont accumulés et que la machine n’a pas réussi à enlever.
[39] Le travailleur rappelle qu’il est droitier et qu’il doit manipuler le couteau avec sa main droite. Il précise, également, que cette tâche représente environ 50 % de son temps de travail.
[40] En ce qui a trait aux mouvements alors accomplis par le travailleur pour effectuer le nettoyage, les membres de la Commission des lésions professionnelles ont pu observer que le couteau est maintenu avec sa main droite et que la sollicitation en cause est d’abord et avant tout une préhension pleine main; de plus, le poignet fait alors un mélange rapide de flexion - extension et de déviation cubitale et radiale.
[41] Enfin, le travailleur a affirmé que la lame de son couteau était plus souvent qu’autrement mal aiguisée et qu’il dut, au cours de cette période, procéder à l’aiguisage de son couteau lui-même. Or, la pression devant être exercée pour parvenir à nettoyer le coin du cadre était nécessairement plus grande; aussi, la tâche consistant à nettoyer s’avérait moins aisée et requérait, en somme, le déploiement de plus d’efforts qu’à l’habitude. Par conséquent, le maniement du couteau impliquait une préhension avec force.
[42] Lorsque appelé à préciser le nombre de cadres que le travailleur est capable d’assembler et de nettoyer à l’intérieur d’un même cadre de travail, ce dernier évalue la quantité fabriquée quotidiennement en moyenne à 180 ou 200 cadres. Quant au poids de chacun de ces cadres, une fois monté et soudé, il l’évalue entre une et 10 livres, pour les cadres de plus petites dimensions. Quant aux cadres de plus grande dimension ou qui sont composés d’acier, le poids peut alors facilement atteindre 25 ou 30 livres.
[43] Le travailleur affirme que son épitrochléite droite est maintenant résolue mais qu’il est actuellement en arrêt de travail pour un problème d’épitrochléite gauche. Cette lésion, toutefois, ne fait pas l’objet de la présente réclamation.
[44] Le docteur Alain Boies fut, ensuite, appelé à témoigner, à la demande du représentant de l’employeur. Celui-ci rappelle, en premier lieu, que les sollicitations reconnues à risques, pour occasionner une épitrochléite, doivent impliquer les fléchisseurs des poignets et des doigts et ce, par surutilisation.
[45] De plus, cette sollicitation doit être combinée à d’autres facteurs, telles que la répétitivité, la force ou la posture contraignante. Le docteur Boies explique que les activités en cause doivent être excessives et ce, de manière à mettre en tension anormale les tendons fléchisseurs.
[46] Or, il rappelle également que les tendons fléchisseurs sont reconnus pour être plus résistants et plus forts que les tendons extenseurs. Cela explique d’ailleurs qu’il y a davantage de cas d’épicondylite que de cas d’épitrochléite et ce, au sein de la population, en général.
[47] Eu égard à l’ensemble des tâches accomplies par le travailleur, le docteur Boies considère que les différents mouvements exécutés impliquent tout autant les tendons fléchisseurs que les tendons extenseurs du poignet. Certes, le travailleur est appelé à effecteur constamment des mouvements de préhension pleine main mais ce, sans que le facteur de force puisse être en cause de manière soutenue.
[48] De plus, à son avis, les charges manipulées, dans l’ensemble, sont négligeables. Quant à la tâche plus spécifique consistant à nettoyer les cadres et qui est communément désignée « l’ébavurage », il reconnaît que le travailleur effectue une préhension pleine main pour manier son couteau. De plus, cette tâche implique certains mouvements de pronation ou de supination mais très peu de mouvements, à son avis, de flexion du poignet.
[49] De cette manière, le docteur Boies conclut qu’il n’y a aucune tâche qui sollicite plus particulièrement les fléchisseurs du poignet. Eu égard à la tâche consistant d’aller chercher les morceaux de PVC, de les transporter jusqu’à la machine, pour ensuite transporter les cadres qui ont été soudés et montés dans la machine jusqu’à son poste de travail, le docteur Boies indique qu’elles sollicitent très peu les épitrochléens puisque ce sont davantage les épicondyliens qui sont alors mis à contribution.
[50] De plus, il constate que la tâche « d’ébavurage » s’effectue avec la main droite puisque le travailleur est droitier. Or, même en voulant retenir l’hypothèse que cette taĉhe implique un certain effort, avec un mouvement de préhension pleine main, il n’en demeure pas moins que le travailleur n’accomplit jamais cette tâche avec sa main gauche et qu’il ressent pourtant des douleurs au niveau de l’épitrochléite gauche.
[51] Un tel élément de bilatéralité lui suggère donc davantage la manifestation d’une condition personnelle. Toutefois, lorsque le docteur Boies fut contre-interrogé par le représentant du travailleur, il reconnut que la tâche de « l’ébavurage » impliquait des mouvements de déviation radiale et cubitale du poignet.
[52] Aussi, a-t-il reconnu que lorsque la lame du couteau était moins bien aiguisée, un facteur de risque additionnel s’ajoutait puisque le maniement du couteau requerrait alors le déploiement d’une certaine force ou d’une certaine pression.
[53] Enfin, le docteur Boies a alors reconnu qu’il n’y a aucun élément suggérant que le travailleur soit porteur d’une condition personnelle favorisant la manifestation d’épitrochléite; le docteur Boies a alors indiqué que la preuve ne comporte aucune indication à l’effet que le travailleur souffrirait de diabète ou d’arthrite rhumatoïde.
[54] À l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) sont énoncées les définitions suivantes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[55] Quant à la notion de maladie professionnelle, les articles 29 et 30 de la loi énoncent ce qui suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[56] De façon majoritaire, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[2] conclut qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 29 de la loi en matière d’épicondylite ou d’épitrochléite puisque ces lésions ne sont nullement assimilables à une tendinite.
[57] À la section IV de l’annexe I, le législateur a prévu que seule la lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs telle la bursite, la tendinite ou la ténosynovite est réputée constituer une maladie professionnelle s’il est démontré que le travail implique des répétitions de mouvement ou de pression sur des périodes de temps prolongées.
[58] Comme l’épitrochléite n’y est pas prévue, le travailleur ne peut donc bénéficier de la présomption énoncée à l’article 29 ci-haut.
[59] Le travailleur a donc le fardeau de démontrer que sa maladie est caractéristique du travail qu’il occupe ou qu’elle est reliée aux risques particuliers que comporte ce travail.
[60] Faute de soumettre une preuve de nature épidémiologique établissant la probabilité d’une relation entre le type de travail exercé et la maladie en cause, la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le travailleur ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer que cette maladie est caractéristique de son travail.[3]
[61] Reste à déterminer si le travailleur s’est acquitté du fardeau de démontrer que la maladie qu’il présente est reliée aux risques particuliers de son travail. Ainsi, la preuve offerte doit permettre d’identifier les risques que comporte le travail; aussi, le travailleur doit démontrer un lien de cause à effet entre ces risques et la lésion identifiée.
[62] En matière d’épitrochléite, les mouvements généralement reconnus contributoires et ce, tel rappelé par le docteur Alain Boies, sont ceux qui impliquent les muscles fléchisseurs du poignet et des doigts ou une pronation ou une déviation cubitale du poignet. La préhension pleine main est également reconnue mais, dans la mesure qu’il s’agit d’une préhension en force.
[63] La notion de risques particuliers du travail réfère, quant à elle, à l’association qui existe entre des risques définis propres au travail exercé et le développement d’une pathologie particulière.
[64] De façon très claire, la Commission des lésions professionnelles[4] a retenu que l’épicondylite, tout comme l’épitrochléite, est associée à un travail qui implique l’usage de la force et davantage, si le travail comporte en plus l’accomplissement de mouvements répétitifs ou des postures contraignantes, de manière soutenue et sur des périodes de temps prolongées.
[65] Selon l’étude de National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH),[5] la force doit coexister soit avec un problème postural ou avec la répétitivité.
[66] Or, selon les explications offertes par le travailleur, lors de son témoignage, et telles que davantage illustrées par le visionnement de la bande vidéo, les tâches « d’ébavurage » impliquent le maniement d’un couteau, par le biais d’une préhension avec la main droite, laquelle préhension doit s’associer à la force, lorsque la lame du couteau est mal aiguisée ou, lorsque le cadre est refroidi.
[67] D’ailleurs, cet aspect du témoignage du travailleur ne fut nullement contredit et est demeuré entièrement crédible.
[68] À ce mouvement de préhension, s’ajoutent certains mouvements de flexion et de déviation cubitale du poignet. Aussi, tel qu’observé lors du visionnement, la Commission des lésions professionnelles a constaté que les mouvements requis pour procéder au nettoyage des coins du cadre sont des petits mouvements saccadés et successifs accomplis avec une certaine pression ou enfin, avec l’usage d’un certain effort.
[69] La Commission des lésions professionnelles constate donc que la preuve démontre, de manière probante, que la tâche « d’ébavurage » comporte des sollicitations à risques pour développer une épitrochléite.
[70] Aussi, s’agit-il d’une tâche qui est exécutée de manière soutenue, quotidiennement et ce, d’autant plus lorsque le travailleur est appelé à travailler seul, certaines semaines et donc, sans qu’on lui ait fourni une aide quelconque, pour justement s’adonner à cette même tâche.
[71] La Commission des lésions professionnelles retient également du témoignage du travailleur qui est demeuré non contredit que le printemps et l’été 2006 correspond à une période de forte production et au cours de laquelle le travailleur fut appelé à exécuter régulièrement du temps supplémentaire. Ainsi, y a-t-il lieu de retenir que le travailleur a exécuté non seulement 40 heures de travail par semaine, mais plus souvent qu’autrement, 50 ou 55 heures par semaine.
[72] Or, en fonction de son même témoignage qui a établi que 50 % de son temps était consacré à la tâche « d’ébaburage », il y a lieu de retenir que le travailleur dut consacrer, en moyenne, 25 heures par semaine et ce, à nettoyer les coins des cadres.
[73] Certes, certaines semaines, le travailleur n’eut pas à effectuer cette tâche puisqu’une aide lui était fournie et que cet autre travailleur s’adonnait exclusivement à cette tâche. Or, il n’en demeure pas moins que les semaines travaillées, sans aide, ont comporté l’exécution de cette activité de façon assez intense et soutenue et ce, de manière à impliquer l’exécution répétée de mouvements successifs comportant des sollicitations manifestement à risque pour développer une épitrochléite.
[74] D’ailleurs, la Commission des lésions professionnelles rappelle qu’elle ne peut ignorer les affirmations du travailleur voulant que cette tâche a été moins facilitante du seul fait que le couteau utilisé avait une lame qui était, plus souvent qu’autrement, mal aiguisée.
[75] Compte tenu de la preuve offerte, la Commission des lésions professionnelles écarte donc l’avis du docteur Boies et ce, plus particulièrement, eu égard à sa conclusion voulant qu’aucune tâche exécutée par le travailleuse ait comporté des facteurs de risques reconnus pour développer une épitrochléite.
[76] La Commission des lésions professionnelles retient, par contre, l’avis du docteur Boies voulant que certaines des tâches décrites par le travailleur et consistant tantôt à manipuler des morceaux de PVC et, tantôt à transporter ceux-ci ou transporter les cadres montés et soudés par la machine, n’exposent pas le travailleur, de façon soutenue, à des facteurs de risques; certes, le fait de manipuler les cadres plus lourds, en raison de leur composition qui est parfois en acier, implique un mouvement de préhension avec force. Toutefois, cette manipulation s’avère de courte durée et n’est pas exécutée de manière régulière ou soutenue.
[77] En effet, le travailleur, lui-même, a reconnu que selon la commande à effectuer, les dimensions et le poids des cadres sont variables. Ainsi, le travailleur est appelé à manipuler des charges variables.
[78] La preuve soumise ne permet donc pas de conclure, de manière probante, que le travailleur effectue ainsi des mouvements de préhension avec force et ce, de manière soutenue.
[79] De plus, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur s’entraîne régulièrement, en salle, et qu’il soulève, par la même occasion, des charges importantes.
[80] Aussi, malgré qu’une telle activité puisse comporter une exposition à des facteurs de risques, il n’en demeure pas moins que la preuve, en l’espèce, a démontré et ce, de manière probante, que certaines tâches accomplies par le travailleur, à son travail, comportent également des facteurs de risques importants et ce, d’autant plus que le travailleur exécute ces mêmes tâches à raison de 50 % du temps travaillé.
[81] La Commission des lésions professionnelles retient donc ainsi du témoignage du travailleur qui est demeuré crédible, en plus d’être non contredit, que le positionnement requis, pour nettoyer les coins des cadres, requièrent d’exercer une certaine pression ou d’utiliser une certaine force et ce, de manière prolongée.
[82] De plus, la Commission des lésions professionnelles retient que le nombre de cadres à nettoyer, quotidiennement, n’est pas négligeable. En effet, la preuve a établi que la quantité de cadres fabriqués chaque jour est d’environ 180 ou 200 cadres.
[83] Or, le travailleur est appelé à nettoyer les quatre coins de chacun de ces cadres, de telle sorte que cette tâche implique de faire les mêmes gestes ou enfin, les mêmes mouvements pour au moins 800 coins à nettoyer.
[84] Selon la preuve présentée, dans son ensemble, la relation entre l’épitrochléite droite diagnostiquée à compter du 31 août 2006 et les tâches accomplies par le travailleur est démontrée, de manière probante.
[85] En somme, la Commission des lésions professionnelles considère que la preuve a démontré le maintien d’une posture contraignante, sur des périodes suffisamment importantes à la fois, au cours d’une même journée, et ce, sans qu’il y ait des périodes de repos suffisantes pour les structures sollicitées.
[86] Le travailleur s’est donc acquitté du fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, que la lésion diagnostiquée est reliée à des risques particuliers de son travail.
[87] Quant à l’aspect de la bilatéralité, certes la preuve a établi que le travailleur ressent également des douleurs au niveau de son coude gauche. D’ailleurs, le travailleur a indiqué qu’il était en arrêt de travail pour cette autre lésion.
[88] Or, compte tenu que celle-ci n’est actuellement pas en litige devant la Commission des lésions professionnelles puisqu’elle ne fait nullement l’objet de la réclamation produite par le travailleur, le 5 septembre 2006, il appartient à la CSST, en premier lieu, de statuer sur l’admissibilité de cette autre lésion.
[89] La Commission des lésions professionnelles, eu égard à l’ensemble de la preuve qui lui fut soumise, est, pour sa part, en mesure de reconnaître la relation, en raison de l’épitrochléite droite et ce, notamment, parce que le travailleur dut utiliser sa main droite pour accomplir une tâche impliquant des sollicitations à risques pour une épitrochléite droite.
[90] Aussi, même si la bilatéralité est, en l’espèce, démontrée, il n’en demeure pas moins que l’épitrochléite droite est, pour sa part, attribuable à des tâches accomplies au travail, à savoir celles dévolues à l’opération « d’ébavurage ».
[91] Pour l’épitrochléite gauche, cette question demeure entière et doit être tranchée, préalablement, par la CSST, si le travailleur entend produire une réclamation pour cette autre lésion.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Solaris Québec inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 8 mars 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Gilles Gagnon, le travailleur, a subi une lésion professionnelle et ce, en référence au suivi médical effectué pour une épitrochléite droite, en date du 31 août 2006.
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CAROLE LESSARD |
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Commissaire |
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Me Éric Latulippe |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Georges-Étienne Tremblay |
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C.S.N. |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] Société canadienne des postes et Grégoire Larivière, [1994] C.A.L.P. 285 ; Meunier et Manufacture WCI Ltée, C.A.L.P. 45092-63-9209, 24 juillet 1995, E. Harvey; Cuisines de l’air et Nafissa Djerrah, 157483-31-0103, 24 octobre 2001, P. Simard.
[3] Farel et Synel, [1990] 2 R.C.S. 311 ; Ville de Magog et CSST, [1996] C.A.L.P. 826 .
[4] Lise Baril et Serres du St-Laurent inc., 191449-32-0209, 4 juillet 2003, C. Lessard; Centre hospitalier affilié universitaire de Québec et France Bergeron, 175632-32-0112, 11 septembre 2002, C. Lessard; Institut de réadaptation en déficience physique du Québec et Lucette Chadefaud, 182366-32-0204, 10 septembre 2002, L. Langlois.
[5] Musculoskeletal Disorders and Workplace Factors: A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back: Chapter 4 : Elbow Musculoskeletal Disorders (Epicondylitis) : Evidence for Work-Relatedness, édition juillet 1997.
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