Décision

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Y.L. et Compagnie A

2010 QCCLP 4408

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

16 juin 2010

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

392274-71-0910

 

Dossier CSST :

128268703

 

Commissaire :

Michèle Gagnon Grégoire, juge administratif

 

Membres :

Pierre Gamache, associations d’employeurs

 

Normand Deslauriers, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Y... L...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

[Compagnie A]

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 19 octobre 2009, monsieur Y... L... (le travailleur)  dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et la sécurité du travail (la CSST) le 9 octobre 2009 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme une première décision rendue le 2 juillet 2009 et déclare que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions prévues à l’article 116 de la loi. Elle confirme aussi une deuxième décision rendue le 20 juillet 2009 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais d’entretien courant du domicile pour le lavage de vitres.

[3]                Une audience est tenue le 7 avril 2010 à la Commission des lésions professionnelles à Montréal en présence du travailleur qui est représenté par procureur. Le représentant [de la Compagnie A] (l’employeur) a fait parvenir un avis au tribunal l’informant de son absence à l’audience et demandant le maintien de la décision contestée par le travailleur. Le dossier est mis en délibéré le jour de l’audience.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’en raison de sa lésion professionnelle, il est atteint d’une invalidité physique ou mentale qui est grave et prolongée. En conséquence, il demande au tribunal de reconnaître qu’il a droit à la participation du régime de retraite prévu à l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1]( la loi).

[5]                Le travailleur demande aussi au tribunal de déclarer qu’il a droit au remboursement des frais pour laver les vitres de sa résidence.

LES FAITS

[6]                Le travailleur est manœuvre spécialisé chez l’employeur depuis le mois d’avril 2005.

[7]                Le 28 juin 2005, le travailleur est sur le toit d’un édifice de cinq étages d’environ 30 à 40 pieds de hauteur dans le but d’installer la tuyauterie qui doit transporter de l’asphalte à partir du bas de l’édifice jusque sur le toit, à l’aide d’une grue. Au moment où un de ses collègues de travail doit visser un tuyau dans un réservoir, le tuyau bascule à partir du bas et le travailleur est frappé violemment dans le dos par un crochet. C’est alors qu’il est propulsé en bas de l’édifice. Il atterrit sur le moteur d’un réservoir et son thorax est frappé du côté gauche.

[8]                Il ne perd pas connaissance, mais il est immédiatement transporté par ambulance à l’hôpital Sacré-Cœur. Initialement, l’équipe médicale de traumatologie diagnostique une cervicalgie avec fractures aux côtes gauches et un pneumothorax gauche pour lequel un drain est mis en place. Une lacération au bras gauche est suturée et une référence en orthopédie est demandée.

[9]                Dès le 1er août 2005, le docteur François Loubert, omnipraticien, détecte un trouble de l’adaptation chez son patient et il le réfère à un psychiatre. Quelques jours plus tard, un suivi psychologique est entrepris auprès du travailleur par madame Emy Mary Ellen Benjamin, psychologue.

[10]           Au début, le travailleur est traité de façon conservatrice pour des contusions multiples avec fracture à l’omoplate gauche et fractures de côtes gauches. Il reçoit des traitements de physiothérapie, d’ergothérapie et d’hydrothérapie. À cela s’ajoute la prise de médicaments.

[11]           Puis, devant la présence de symptômes affectant la région du membre inférieur gauche, le travailleur est évalué par le docteur Kaveh Saidi, orthopédiste, qui diagnostique une déchirure méniscale. Le travailleur subit une arthroscopie au genou gauche pour cette condition le 9 juin 2006. L’examen démontre la présence d’une déchirure méniscale. De plus, un fragment méniscal a été pulvérisé selon le protocole opératoire.

[12]           À la suite d’opinions médicales divergentes le docteur Hany Daoud, orthopédiste, émet un avis médical en sa qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale après un examen médical du travailleur le 12 avril 2007. Ses diagnostics sont : pneumothorax et hémothorax gauches, fractures de côtes de l’hémithorax gauche, contusion et entorse dorsolombaire, fracture de la partie inférieure du corps de l’omoplate gauche et déchirure du ménisque interne du genou gauche.

[13]           Le docteur Daoud consolide les lésions en date du 22 janvier 2007 et ne recommande aucun autre traitement sur le plan orthopédique. Aucun déficit anatomophysiologique n’est accordé pour l’épaule gauche ni pour les fractures aux côtes.

[14]           Un déficit anatomophysiologique de l’ordre de 2 % est attribué pour l’entorse dorsolombaire et de 1 % pour la méniscectomie interne gauche sans séquelle fonctionnelle. Le médecin ne se prononce pas sur les séquelles du pneumothorax et hémothorax puisqu’il ne s’agit pas de sa spécialité.

[15]           Au pourcentage de déficit anatomophysiologique s’ajoute 0,3 % pour les douleurs et perte de jouissance de la vie, totalisant 3,3 % d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique. 

[16]           Le docteur Daoud évalue les limitations fonctionnelles ainsi: 

Pour le genou gauche, le travailleur doit éviter le travail en posture accroupie et les mouvements de pivot sur le membre inférieur gauche.

 

Pour le rachis dorso-lombo-sacré, des limitations fonctionnelles de classe I de l’IRSST sont accordées. Le travailleur doit éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de:

 

·         Soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 30 livres;

·         Travailler en position accroupie;

·         Ramper, grimper;

·         Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

·         Subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

 

 

[17]           Le 20 juin 2007, le travailleur est examiné par le docteur Pierre Laberge, psychiatre, à la demande de la CSST. À la suite de son examen, il émet les diagnostics suivants :

Axe I : Hypomanie compensatoire. Cette hypomanie peut être considérée comme un succédané de la dépression, laquelle est combattue par son contraire et découle de l’atteinte du schéma corporel et de l’image de soi.

 

Axe II : Personnalité borderline. Traits narcissiques et histrioniques.

 

Axe III : Séquelles physiques de l’accident.

 

Axe IV : Nombreux problèmes psychosociaux et environnementaux découlant en partie de la symptomatologie actuelle.

 

Axe V : NGF : 55

 

 

[18]           Le docteur Laberge est d’avis qu’il est prématuré de consolider la lésion professionnelle du travailleur. Il suggère une modification de la médication du travailleur et recommande la reprise d’une psychothérapie hebdomadaire.

[19]           Le 2 août 2007, le docteur Stéphane Lavoie, omnipraticien et médecin qui a charge du travailleur, accepte l’opinion du docteur Laberge dans un rapport médical du 2 août 2007 de telle sorte qu’aucune demande au Bureau d'évaluation médicale n’est requise. Le suivi médical auprès du travailleur se poursuit.

[20]           Toujours à la demande de la CSST, le docteur Laberge, psychiatre, revoit le travailleur le 27 mai 2008. Il consolide la lésion professionnelle du travailleur à la date de son examen. Toutefois, il recommande la poursuite d’une psychothérapie d’accompagnement doublé de renforcement positif afin de favoriser le processus de réadaptation sociale.

[21]           Sur le plan de l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, il recommande un déficit anatomophysiologique de 15 % lequel correspond à une atteinte modérée des névroses. À ce pourcentage, s’ajoute celui de 3,3 % pour les douleurs et perte de jouissance de la vie, totalisant un pourcentage de 18,30 % d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique.

 

[22]           En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, il les décrit ainsi :

Comme il a été mentionné dans ce rapport, en tenant compte de la complexion individuelle, les limitations fonctionnelles sont indissociables des limitations physiques qui ont déjà été établies, avec bien entendu un ajout complémentaire : il y a contre-indication pour ce travailleur de se retrouver dans un milieu à risque, même modéré, tel un chantier de construction ou d’être confronté à certaines situations impliquant des activités de contrôle externe envers d’autres individus, qu’il s’agisse d’une agence de sécurité ou de gardiennage.

 

En contrepartie et à titre indicatif, cet individu semble motivé à venir en aide à plus faible que lui et il y a peut-être là une avenue à explorer.

 

Je rappelle la complexité du cas et en même temps le passage obligé vers la valorisation sociale, indissociable, sans moraliser d’aucune façon, d’un retour à un travail adapté permettant à cet individu de se retrouver une identité.   

 

 

[23]           Sur un formulaire de la CSST appelé Rapport complémentaire, le docteur Lavoie approuve l’expertise du 27 mai 2008 du docteur Laberge sur le plan psychologique.

[24]           Sur le plan de la pneumologie, c’est le docteur Marc Desmeules, pneumologue, qui agit en sa qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale. Dans son avis du 10 juin 2008, il retient le diagnostic de restriction thoracique gauche secondaire à d’anciennes fractures de côtes. Il confirme la date de consolidation du 22 janvier 2007 déjà retenue antérieurement. Il considère souhaitable la poursuite des exercices et de la physiothérapie respiratoire.

[25]           Il attribue un déficit anatomophysiologique de 20 % pour un déficit fonctionnel respiratoire restrictif de classe 2, de 5 % pour des anomalies cliniques (douleurs, dyspnée, mobilisation limitée) et de 1,5 % pour des fractures de côtes avec séquelles anatomiques mineures. Toutefois, ce dernier pourcentage est retiré à la demande de la CSST puisqu’il ne fait pas partie de l’évaluation dans le domaine de la pneumologie. Au pourcentage de déficit anatomophysiologique, s’ajoute celui de 11,45 % pour les douleurs et perte de jouissance de la vie, totalisant 36, 45 % pour l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique. 

[26]           En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, il est d’avis que la fonction pulmonaire du travailleur lui permet encore un travail exigeant des efforts modérés.

[27]           Le travailleur a contesté les décisions de la CSST portant sur les pourcentages d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique orthopédique et pneumologique. Toutefois, il s’est désisté par la suite.

[28]           Sur le plan des antécédents, le travailleur a reçu une balle de fusil dans la partie thoracique supérieure gauche ainsi qu’une autre au niveau de la région inguinale droite, à la suite d’une fusillade. Ces balles n’ont pu être retirées à la suite d’une chirurgie exploratoire. Le travailleur doit aussi suivre une trithérapie en raison du fait qu’il est séropositif au VIH. Il a aussi des antécédents en toxicomanie et en alcoolisme. Au fil des ans, il a connu des périodes se sobriété et des rechutes.

[29]            Le 2 mars 2009, le docteur Lavoie complète un formulaire intitulé Demande de prestations d’invalidité déclaration du médecin traitant à l’attention de la Commission de la construction du Québec (la CCQ). Le médecin considère le travailleur en invalidité permanente physique et psychologique à la suite d’un polytraumatisme et d’un trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressive. Il réfère à l’événement du 28 juin 2005 comme étant la source de l’invalidité de son patient.

[30]           Le 9 mars 2009, la CSST procède à l’analyse de la capacité de travail du travailleur. Traçant l’historique médico-légal du dossier et analysant les aspects professionnel, psychosocial et légal du dossier du travailleur, le conseiller en réadaptation conclut que le travailleur est maintenant inemployable.

[31]           Il identifie les motifs suivants au soutien de sa décision:

·         1334 jours sans succès de retour au travail;

·         Les limitations fonctionnelles;

·         Le pourcentage d’atteinte permanente (ortho: 3% + psy: 15% + pneumo: 25%);

·         La faible scolarité du travailleur;

·         Les expériences de travail limitées;

·         Les perceptions du travail face au retour au travail;

·         Les nombreux facteurs psychosociaux;

·         La judiciarisation du dossier.

 

 

[32]           En date du 16 mars 2009, la CSST rend une décision à l’effet de déclarer qu’il est impossible de déterminer un emploi convenable que le travailleur serait en mesure d’occuper à temps plein. Le travailleur se voit donc accorder le droit aux pleines indemnités de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 65 ans, puis réduites jusqu’à l’âge de 68 ans. 

[33]           Le 26 juin 2009,  le procureur du travailleur transmet à la CSST une demande écrite concernant l’application de l’article 116 de la loi pour son client. Cette demande fait suite à une rencontre avec le conseiller en réadaptation du travailleur le 2 juin 2009.

[34]           Le 2 juillet 2009, la CSST refuse la demande du travailleur pour le motif qu’il n’a pas fait la preuve qu’il présente une invalidité grave et prolongée tel que le prévoit la loi à l’article 116. Cette décision est contestée et fait partie du présent litige.

[35]           Le 13 juillet 2009, le conseiller en réadaptation procède à une évaluation des besoins d’aide pour les travaux d’entretien courant du domicile du travailleur à la suite d’une évaluation à son domicile. Il conclut qu’en raison de ses limitations fonctionnelles, le travailleur n’est pas en mesure d’effectuer les tâches reliées au grand ménage de son appartement, ni les tâches de peinture. Toutefois, il évalue que le travailleur est capable de laver les vitres de son appartement puisqu’à son avis il a accès aux portes-fenêtres de l’intérieur et de l’extérieur. Quant aux autres vitres, elles sont d’un poids inférieur à 30 livres, ce qui ne contrevient pas aux limitations fonctionnelles du travailleur. De plus, il considère que cette activité peut s’exécuter en prenant des pauses entre le lavage de chacune des vitres.  

[36]           Le 14 juillet 2009, la CSST rend sa décision à l’effet de refuser la demande du travailleur concernant les travaux d’entretien de son domicile pour le lavage des vitres. Cette décision est contestée et fait parie du présent litige.

[37]           Le 25 mars 2010, le docteur Stéphane Lavoie écrit une lettre dans laquelle il précise :

Monsieur Y... L... est suivi par moi depuis plusieurs années. Ce patient qui présente des problèmes de santé physique est aussi au prise des problèmes psychologiques importants et qui présente une chronicité.

 

Son accident du travail survenu le 28 juin 2005 pour lequel j’ai effectué le suivi à titre d’omnipraticien l’a grandement déstabilisé au point de vue psychologique. Les incapacités (%) évalués par la CSST, à mon avis, ne tiennent pas compte de cet aspect.

 

Je crois que monsieur Y... L... présente une fragilité émotionnelle et psychologique qui a été aggravé par cet accident de travail. Son estime de soi est maintenant très faible et contribue à une fragilité émotionnelle très importante qui l’empêche définitivement et à toutes fins pratiques de faire face à tout milieu de travail sur une base régulière. Il présente donc à mon avis une invalidité complète à long terme. [sic]

 

 

[38]           Lors de l’audience, le travailleur témoigne longuement et avec sincérité sans sous-estimer les passages de sa vie pour le moins tumultueuse par moments.

[39]           Lors de son accident du travail, il était à l’emploi de l’employeur depuis environ deux mois et demi. Il versait des cotisations à la CCQ depuis trois mois. Il était sobre depuis un an et était membre du groupe des alcooliques anonymes. À ce moment, il vivait avec sa mère et sa grand-mère. Il était très près d’elles sur le plan émotif, il les a même accompagnées jusqu’à leur dernier souffle. Il a deux filles qui sont maintenant âgées de 19 et 20 ans qui fréquentent l’université. Bien qu’il n’en avait pas la garde, il a contribué financièrement à leurs études. Il en est très fier, d’autant que sa vie n’a pas été facile depuis son enfance. Son père était alcoolique.

[40]           Son accident lui a laissé des séquelles et il lui arrive encore de faire des cauchemars. Il considère avoir perdu sa fierté, car pour lui, la musculature et la force étaient des valeurs très importantes. Maintenant, il se sent limité et en conséquence diminué. Même des tâches légères comme celle de laver une cuisinière lui occasionnent des difficultés. Il dit que son dos barre et qu’il a besoin d’aide.

[41]           Après son accident il a eu deux rechutes d’alcool. Il dit que c’est relié à son sentiment d’infériorité depuis l’accident puisqu’il ne peut plus rien faire. Avant il faisait beaucoup d’entraînement physique alors que maintenant il pratique la méditation avec des femmes et des personnes âgées. Pour lui, c’est un changement majeur dans sa vie.

[42]           Il aurait aimé se procurer un chalet, mais il a tout dépensé le montant forfaitaire reçu à la suite de son accident. Comme il est séropositif, aucune banque ne veut lui consentir un prêt.

[43]           Il occupe ses journées en prenant de grandes marches, il utilise une canne qui a été remboursée par la CSST. Il fait aussi du bénévolat auprès de personnes âgées afin de s’occuper et aussi éviter d’avoir des idées noires. Son amie a deux enfants, une fille de 18 ans et un garçon de 7 ans, qu’il considère comme ses enfants. Il s’amuse avec le garçon, va au parc avec lui. Il cuisine un peu. Il ne peut pas faire le ménage. Son amie a déjà été sa conjointe, ils ont déjà fait vie commune, mais pour le moment, ils n’habitent pas ensemble, mais ils se fréquentent.

[44]           Il n’est pas capable de laver les carreaux de la fenêtre de son appartement. Il a de la difficulté à ouvrir la porte-fenêtre. Il n’est pas capable de décrocher la fenêtre, s’il se penche ou qu’il s’étire, son dos bloque. Il doit payer quelqu’un pour faire cette tâche. Son médecin lui dit de se considérer chanceux d’être encore capable de marcher. Avant son accident, il effectuait lui-même ces tâches.

[45]           Il ne croit pas qu’il pourrait retourner sur le marché du travail. Il affirme ne plus avoir de patience et avoir mal partout. Il ressent des engourdissements lorsqu’il se tourne ou qu’il se plie. Il ne pourrait avoir un travail régulier, car son état varie de jour en jour. Sa vie personnelle et affective est complètement chamboulée. D’après son médecin, les pertes de mémoires et de patience sont attribuables aux médicaments qu’il doit consommer pour ses douleurs. 

[46]           Il termine son témoignage en affirmant qu’heureusement il peut s’occuper du petit garçon de son amie, car sa vie ne va pas bien du tout.

[47]           Le tribunal entend le témoignage de madame J... C.... Elle a rencontré le travailleur en 2001, lors de rencontres d’alcooliques anonymes. À compter de 2003, leur relation est devenue plus sérieuse. Elle décrit le travailleur comme étant très actif avant son accident. Il travaillait très fort et se valorisait beaucoup pour avoir une forte musculature.

[48]           L’accident a tout changé. Il ne comprenait pas qu’il ne pourrait pas retourner travailler physiquement, il a eu besoin d’aide psychologique. Il est redevenu hyperactif sans pouvoir agir physiquement. Il a perdu l’estime de lui, car il valorisait beaucoup son physique musclé. Cette situation a engendré des rechutes d’alcool et une séparation puisqu’elle ne voulait pas que ses enfants subissent les comportements qu’engendre l’alcoolisme.

[49]           Elle décrit le travailleur comme étant un homme très sensible face aux personnes qu’il aime. Il aime prendre soin de ses proches. Il lui a apporté beaucoup de soutien au cours de la période où elle-même elle est devenue malade. Il fait un peu de cuisine et le petit ménage. Il s’occupe en jouant avec son fils. Il ne peut plus faire des activités physiques, mais il peut faire des jeux de table.

[50]           Pour le lavage de vitres, elle dit qu’il serait capable de retirer les fenêtres, mais avec beaucoup de difficultés. Elle dit qu’il ressent des crampes et que son genou se dérobe provoquant une chute. Ils s’aident mutuellement dans les tâches domestiques, mais elle ne croit pas qu’il pourrait accomplir toutes les tâches s’il était seul. Elle confirme que le travailleur prend des marches seul ou avec elle pour faire de petites commissions. Les marches durent de 20 à 30 minutes.

[51]           Elle ne croit pas que le travailleur est en mesure de retourner sur le marché du travail puisqu’il ne peut plus accomplir de tâches exigeantes physiquement et qu’il n’aurait pas la patience pour travailler dans un bureau. De plus, ses capacités physiques sont variables d’une journée à l’autre. Ses émotions sont plus difficiles à gérer. Il accumule les frustrations et explose lorsqu’il n’en peut plus. Elle ne voit pas comment il pourrait accepter la critique qu’un patron pourrait formuler à son endroit. Elle dit que le travailleur entretient des idées négatives qui le rendent lunatique et dans son monde à lui. Ces périodes noires entraînent des rechutes de consommation qui l’obligent à consulter des ressources spécialisées.  

[52]           Monsieur L... D... témoigne à l’audience. Il a connu le travailleur il y a une dizaine d’années au sein de l’organisme des alcooliques anonymes. Il est son parrain au sein de ce groupe d’aide. Il affirme qu’au moment où l’accident est survenu, le travailleur était très avancé dans son processus de sobriété. Il avait atteint la douzième étape qui correspond à celle d’accueillir un nouveau membre. L’accident a provoqué beaucoup de chambardements. Le travailleur a fait une rechute qui a duré assez longtemps.

[53]           Il constate le sentiment de dévalorisation que ressent le travailleur du fait qu’il a perdu ses aptitudes physiques. Depuis deux ou trois mois, le travailleur est redevenu sobre. Il constate que le fait d’avoir renoué avec son amie l’aide beaucoup. Le travailleur a recommencé à l’accompagner aux réunions de groupe des AA réservées aux hommes. Il ne voit pas quel emploi le travailleur pourrait accomplir compte tenu de ses restrictions physiques, de son manque de patience et de ses manques d’attention.

L’AVIS DES MEMBRES

[54]           Le membre issu des associations d’employeurs rejetterait la requête du travailleur puisqu’il est d’avis que le travailleur n’a pas fait la preuve de son invalidité requise pour l’application de l’article 116 de la loi. Il considère que l’incapacité décrite par le travailleur est plutôt d’ordre personnel et non pas en raison de ses limitations fonctionnelles.

[55]           Par ailleurs, il est d’avis que cet article de la loi ne peut s’appliquer au travailleur de la construction. Il dit qu’il est clair et qu’il n’y a pas lieu de l’interpréter. Le tribunal a déjà rendu des décisions à cet effet et, à son avis, le principe de la stabilité des décisions milite en maintenant le refus. Il croit qu’il est du ressort du législateur de procéder à une modification législative si tel est son souhait.

[56]            En ce qui a trait à la demande de remboursement des frais pour le lavage de vitres, il est d’avis que la preuve est contradictoire quant à la capacité du travailleur à accomplir cette tâche et qu’il n’est pas clair de quelles fenêtres il est question. En conséquence, il rejetterait aussi cette requête du travailleur.

[57]           Le membre issu des associations syndicales accueillerait la requête du travailleur quant à l’application de l’article 116 de la loi. Il est d’avis que le travailleur a fait la preuve de son invalidité et que l’objet de la loi n’est pas de restreindre sa portée à l’égard du travailleur de la construction puisqu’il s’agit d’une loi réparatrice, large et libérale. Il croit que les travailleurs du secteur de la construction doivent avoir les mêmes droits que les autres travailleurs.

[58]           Pour ce qui est de la requête concernant le remboursement des frais pour le lavage de fenêtres, il est d’avis que le travailleur rencontre les conditions permettant le remboursement.

L’ARGUMENTATION DU TRAVAILLEUR

Remboursement des frais pour le lavage des vitres

 

[59]           Le procureur du travailleur mentionne que la preuve démontre l’incapacité du travailleur à laver les vitres de son appartement s’il est seul. Il est en mesure d’effectuer cette tâche seulement avec de l’aide.

[60]            De plus, il ajoute que le travailleur a une restriction de pivot avec le membre inférieur gauche ce qui l’empêche de lever la fenêtre. Dans ces circonstances, il est d’avis que le travailleur a droit au remboursement des frais pour accomplir cette tâche.

Application de l’article 116 de la loi

 

[61]           La première condition que doit démontrer le travailleur est celle de son invalidité.  Au soutien de son argumentation, le procureur du travailleur s’appuie sur des décisions du tribunal[2] traitant de cette question.

[62]           À ce sujet, il est d’avis que la preuve testimoniale démontre cette invalidité particulièrement sur le plan psychologique. Même cinq années après son accident, le travailleur demeure avec des séquelles. Il a une personnalité prémorbide, son identification est encore très reliée à ses capacités physiques, il fait des cauchemars, il a des troubles de mémoire et de concentration qui le rendent véritablement invalide.

[63]           Il est d’avis que l’ensemble de la condition du travailleur doit être prise en considération.  Bien que la détermination par la CSST de l’inemployabilité du travailleur ne conduise pas nécessairement à la déclaration que le travailleur soit invalide, le procureur souligne que cela crée une forte présomption favorable pour le travailleur. Il ajoute que dans le cas présent, la CSST a rapidement pris la décision quant à l’impossibilité de déterminer un emploi convenable que le travailleur pourrait effectuer à plein temps. Il en déduit que la présomption de faits est d’autant plus forte à l’effet que le travailleur est invalide.

[64]           Compte tenu de la preuve factuelle au dossier qu’il passe en revue, il ne voit pas chez quel employeur le travailleur pourrait exercer un emploi. Il souligne que l’avis du docteur Lavoie doit être considéré puisqu’il est le médecin du travailleur depuis plusieurs années et qu’il le connaît bien. Le procureur réfère à la lettre du médecin du 25 mars 2010, laquelle est éloquente à son avis, quant à l’état physique, mais surtout psychologique du travailleur. Sa conclusion est  à l’effet que le travailleur présente une invalidité complète à long terme. Le procureur ajoute qu’aucune preuve contraire n’est présentée au tribunal.

[65]           La deuxième condition que doit démonter le travailleur est celle à l’effet que la disposition prévue à l’article 116 s’applique aussi au travailleur oeuvrant dans le secteur de la construction compte tenu du terme établissement utilisé par le législateur dans cet article. Il dépose deux décisions[3] du tribunal, qu’il critique, puisqu’elles sont basées sur une interprétation littérale de la loi. Or, à son avis, bien que l’interprétation retenue par le tribunal dans ces décisions soit logique, elle mène à un résultat insoutenable.

[66]           Il affirme que lors de l’adoption de la loi, le groupe des travailleurs de la construction était fortement représenté devant la commission parlementaire. Il ne peut croire que ces derniers ne se seraient pas aperçus que l’article 116, tel qu’adopté, mènerait à leur exclusion. Il dit que de ne pas inclure les travailleurs de la construction mène à deux classes de travailleurs, ce qui est contraire à l’objet de la loi.

[67]           Le procureur convient que les termes chantier de construction et établissement dans la loi réfèrent aux définitions prévues à l’article 1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[4] (la LSST) mais la définition de chantier de construction dans la LSST réfère à un  lieu de travail. À son avis ce lieu de travail englobe les établissements et les chantiers de construction. En conséquence, il n’y a pas lieu de distinguer les travailleurs de la construction des autres travailleurs.  

[68]           Il est d’avis que l’objet de la LSST, prévu à l’article 2, a pour but de protéger les travailleurs, de les retirer du travail advenant un danger et de mettre en place un mécanisme de prévention par l’intermédiaire d’un Comité de santé et de sécurité. De plus, l’article 4 de cette loi spécifie qu’elle est d’ordre public, mais qu’une convention ou un décret peut prévoir des conditions plus avantageuses.

[69]           Il souligne que l’article 116 se trouve dans le chapitre V de la loi et que c’est par un mécanisme de renvoi à l’article 235 que l’on se retrouve dans la section qui exclut le travailleur de la construction. Il affirme que cette exclusion est liée au fait que ces travailleurs ont un régime qui leur est propre et qui régit leurs conditions. Il s’agit d’un décret. Or, à son avis, ce décret ne peut avoir pour effet de restreindre leurs droits. C’est plutôt le contraire qui doit prévaloir.

[70]           Le procureur du travailleur réfère à la Loi d’interprétation[5] de même qu’aux extraits qu’il juge pertinents du livre du professeur Pierre-André Côté[6] afin de soumettre au tribunal qu’il faut privilégier la méthode d’interprétation téléologique, laquelle est maintenant codifiée par la Loi d’interprétation, plutôt qu’aux méthodes d’interprétation littérale ou systématique et logique.

[71]           Le procureur soumet que si le législateur a choisi de référer à la définition du terme établissement  tel qu’on la retrouve dans la LSST c’est parce qu’il s’agissait d’une belle définition. Le législateur ne pouvait avoir en tête d’offrir moins de droits à une catégorie de travailleurs qu’à une autre.

[72]           Il convient que chaque mot peut avoir sa zone d’ombre et qu’il peut être rassurant de s’en tenir aux mots suivant leur sens littéral, mais il soumet qu’il faut plutôt chercher à éviter les situations inéquitables et qu’il faut interpréter les mots suivant les articles 41 et suivants de la Loi d’interprétation.

[73]           Il considère que l’article 4 de la loi prévoit une possibilité d’offrir plus de droits à un travailleur et l’article 5 de la LSST prévoit une zone minimale en dessous de laquelle on ne doit pas aller. C’est pourquoi, à son avis, la notion d’établissement  doit nécessairement inclure les travailleurs œuvrant sur des chantiers de construction.

[74]           Le procureur conclut en soumettant que c’est une erreur de la part du législateur de ne pas avoir prévu l’application de l’article 116 de la loi aux travailleurs de la construction.  Pour pouvoir écrire cette constatation, il faut souligner le conflit de la loi et s’appuyer sur l’article 41.1 de la Loi d’interprétation qui est venue codifier la méthode d’interprétation téléologique. Cette méthode a pour effet de faire primer les droits des travailleurs plutôt que de les stériliser.  

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[75]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement des frais pour le lavage de vitres.  Puis, elle doit décider si le travailleur peut bénéficier de la disposition prévue à l’article 116 de la loi au sujet de la participation du travailleur de la construction à un régime de retraite, malgré le fait qu’il soit un travailleur de la construction. 

Remboursement des frais pour le lavage des vitres

 

[76]           C’est l’article 165 de la loi qui prévoit la possibilité pour le travailleur de se voir rembourser les frais pour des travaux d’entretien. Cet article s’énonce ainsi :

165.  Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

 

 

[77]           Ainsi, pour se voir accorder le droit au remboursement des frais engagés pour faire exécuter les travaux, le travailleur doit démontrer qu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique, en raison d’une lésion professionnelle, qu’il est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion et le total des frais réclamés ne doit pas dépasser le montant prévu à l’article 165 de la loi pour l’année en cause.

[78]           La CSST a déjà déterminé que le travailleur est atteint d’une atteinte permanente grave en raison de sa lésion professionnelle. Elle autorise le remboursement des frais reliés au grand ménage de même que les travaux de peinture de l’appartement.

[79]           Le travailleur réclame le remboursement de frais pour laver les vitres de son appartement. Suivant son témoignage, c’est lui qui effectuait cette tâche avant de subir son accident du travail le 28 juin 2005. Depuis, il se dit incapable d’accomplir seul cette tâche.

[80]           La seule question que doit se poser le tribunal est celle de déterminer si la lésion professionnelle reconnue empêche le travailleur d’effectuer cette tâche. À cette question, le tribunal répond par la négative. Voici pourquoi.

[81]           Bien que le travailleur ait été victime d’un fait accidentel fort impressionnant, le tribunal constate que les limitations fonctionnelles qui résultent de cet accident sont de classe I suivant la grille de l’IRSST pour le rachis dorso-lombo-sacré. Elles sont à l’effet d’éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente certains mouvements énumérés par le médecin. Des limitations pour le genou gauche s’ajoutent, soit celle d’éviter le travail en posture accroupie et celle d’éviter les mouvements de pivot sur le membre inférieur gauche. (le tribunal souligne)

[82]           Le tribunal est d’avis que le lavage de vitres des fenêtres et de la porte-fenêtre de son appartement ne nécessite pas un pivot du membre inférieur gauche. Cette tâche ne s’effectue pas non plus en position accroupie. De plus, il ne s’agit pas d’une activité qui doive s’effectuer de manière répétitive ou fréquente.

[83]           En conséquence, le tribunal est d’avis que la preuve révèle que le travailleur est en mesure d’effectuer cette tâche, bien que cela lui prenne beaucoup de temps. L’opinion de sa compagne, madame C..., à l’effet qu’il ne pourrait accomplir seul cette tâche ne peut faire en sorte que le tribunal acquiesce à la demande du travailleur.

 

 

 

 

Application de l’article 116 de la loi

 

[84]           L’article 116 de la loi prévoit la possibilité pour un travailleur de continuer à participer à son régime de retraite à certaines conditions. De plus, il prévoit l’obligation pour la CSST de maintenir les cotisations à certaines conditions.

[85]           Cet article s’énonce ainsi :

116.  Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.

 

Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235 .

__________

1985, c. 6, a. 116.

 

 

[86]           Ainsi, pour avoir le droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion, le travailleur doit d’abord prouver qu’il est victime d’une lésion professionnelle et que celle-ci entraîne une invalidité visée dans l’article 93 de la loi.

[87]           L’article 93 de la loi se lit ainsi :

93.  Une personne atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.

 

Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

 

Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

__________

1985, c. 6, a. 93.

 

 

[88]           La preuve révèle que le travailleur a subi une lésion professionnelle à la suite d’un accident du travail. Le fait accidentel est loin d’être banal. La lésion a entraîné pour le travailleur, un pourcentage élevé d’atteinte permanente physique ou psychique, totalisant 55,05 % ( 3,3 + 18,30 + 36,45) de même que des limitations fonctionnelles sur le plan du genou gauche, de l’entorse lombaire, de la condition pulmonaire et de la condition psychologique du travailleur.

[89]           Toutes ces séquelles font suite à l’événement du 28 juin 2005. Bien que le travailleur ait connu une vie passablement mouvementée avant son accident, ce passé ne fait pas partie des motifs évoqués par la CSST lorsque celle-ci décide de déclarer qu’il lui est impossible de déterminer un emploi convenable que le travailleur serait en mesure d’exercer à plein temps. Notons aussi que la preuve testimoniale est à l’effet que le travailleur était sobre avant son événement depuis une assez longue période. Il avait repris sa vie en mains. Ce ne sont donc pas des conditions personnelles qui empêchent le travailleur de retourner sur le marché du travail.

[90]           En plus des nombreuses expertises médicales déposées au dossier, s’ajoute l’opinion du docteur Lavoie. Ce médecin suit le travailleur depuis plusieurs années et il  affirme que le travailleur est incapable de faire face aux exigences de tout milieu du travail. Outre les incapacités physiques du travailleur, ce médecin fait ressortir la fragilité émotionnelle et psychologique du travailleur. À ce sujet, notons qu’un pourcentage d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique de 18,30 % lui est attribué.

[91]           Les témoignages entendus à l’audience corroborent les dires du travailleur à l’effet qu’il n’a plus la même mémoire qu’auparavant et qu’il manque souvent de patience. De plus, il marche désormais avec une canne, laquelle est payée par la CSST.

[92]           Devant les séquelles importantes découlant de la lésion professionnelle, il n’est pas surprenant que la CSST ait rapidement décidé que le travailleur ne pouvait réintégrer le marché du travail. S’il est vrai que dans certains cas cette décision ne puisse équivaloir à la notion d’invalidité au sens de l’article 93 de la loi, dans ce cas-ci, le tribunal n’a aucune hésitation à décider que cette décision facilite la détermination de la condition d’invalidité du travailleur au sens de cet article.

[93]           La Commission des lésions professionnelles convient que le travailleur est atteint d’une invalidité en raison de sa lésion professionnelle au sens de l’article 93 de la loi.

[94]           Toutefois, dans le présent cas le travailleur ne peut en retirer aucun bénéfice puisque l’article 116 de la loi prévoit la continuation par le travailleur à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion. (le tribunal souligne) 

[95]           Il est admis par le travailleur que ce dernier est un travailleur de la construction. Aucune preuve n’est soumise au tribunal démontrant que le travailleur participait à un régime de retraite. Ainsi, s’il ne participait pas déjà à un régime de retraite, comment pourrait-il continuer à participer au régime de retraite dont il est question à l’article 116 de la  loi?

 

[96]           Mais, même si le travailleur avait fait cette preuve, il fait face à une difficulté encore plus sérieuse. En effet, l’article 116 de la loi réfère à la notion d’établissement. Or, la définition retenue par le législateur de ce terme réfère à celle inscrite dans la LSST.

[97]           Comme nous l’avons vu dans la section de l’argumentation, le procureur du travailleur invite le tribunal à se questionner sur la méthode à retenir afin d’interpréter la loi à ce sujet. Sur cette question d’interprétation, le tribunal réfère à une décision[7] rendue par une formation de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles qui rappellent les règles établies par les tribunaux supérieurs :

[43] Tel qu’enseigné par la Cour suprême, la Commission des lésions professionnelles est d'avis qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[44] À cet effet, dans l’affaire Verdun c. Banque Toronto-Dominion3, sous la plume de la juge l’Heureux-Dubé, la Cour suprême indique ce qui suit :

 

2. Les tribunaux doivent généralement utiliser la « méthode contextuelle moderne » comme méthode normative standard d’interprétation des lois et ils peuvent exceptionnellement recourir à l’ancienne règle du « sens ordinaire » quand les circonstances s’y prêtent. […]

 

6. En conséquence, la méthodologie exposée dans Driedger on the Construction of Status (3e éd. 1994) à la p. 131, est appropriée :

 

[TRADUCTION] Il n’existe qu’une seule règle d’interprétation moderne : les tribunaux sont tenus d’interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l’objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d’interprétation, ainsi que des sources acceptables d’aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d’un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée. L’interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité, c’est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l’objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste. [Les soulignés sont dans le texte.]

 

 

[45] Dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd4, le juge Iacobucci note que :

 

21. Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

27. (…) Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 4232). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile. 

 

 

[46] Dans l’affaire Hypothèques Trustco Canada c. Canada5, en regard de la Loi de l’impôt, la Cour suprême précise :

 

5.1 Principes généraux d’interprétation

 

10            Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’«il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur» : voir 65302 British Columbia Ltd c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 , par 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

 

 

[47] Enfin, dans l’affaire Ville de Montréal et 2952-1366 Québec inc.6, la juge Deschamps de la Cour suprême réitère le principe en indiquant :

 

9              Comme notre Cour l’a maintes fois répété : [TRADUCTION] « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (…) Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi ».

 

[48] La Commission des lésions professionnelles note aussi, dans le même ordre d’idée, que l’article 41 de la Loi d’interprétation7 québécoise stipule qu’une loi doit recevoir une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.  

 

[49] Par ailleurs, le professeur Pierre-André Côté, dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois8, indique que la méthode téléologique est celle qui met l’accent sur les objectifs du texte législatif. Il note qu’il est difficile d’imaginer une disposition législative qui n’aurait d’autre raison d’être que sa propre énonciation. Pour lui, chacune des dispositions d’un texte législatif possède une raison d’être, poursuit un objectif et la réalisation de cet objectif concourt à l’atteinte des objectifs de l’ensemble des dispositions du texte.

 

[50] La Commission des lésions professionnelles privilégie donc la méthode contextuelle ou téléologique pour interpréter l’article 41 de la LSST. Dans le présent dossier, il faut donc référer à l’esprit de la loi, à son objet et à l’intention du législateur pour analyser si les travailleuses enseignantes ont droit à une indemnité de remplacement du revenu après le 30 juin 2006.

 

 

            3             [1996] 3 R.C.S. 550 .

                4             [1998] 1 R.C.S. 27 .

                5             [2005] 2 R.C.S. 601 .

                6             [2005] 3 R.C.S. 141 .

                7             L.R.Q., c. I-16.

                8             CÔTÉ, Pierre-André, Interprétation des lois, Les Éditions Yvon Blais inc., 2e édition, 1990, 353 p.

 

 

[98]           Ainsi, suivant ces enseignements, pour déterminer si le travailleur de la construction peut se prévaloir de la disposition de l’article 116 de la loi, la Commission des lésions professionnelles croit qu’il y a lieu de privilégier la méthode contextuelle ou téléologique. Cela signifie qu’elle se préoccupera des termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. 

[99]           L’objet de la loi est prévu à l’article 1 de la loi qui s’énonce ainsi :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[100]       Il s’agit donc d’une loi réparatrice qui accorde des droits aux travailleur victimes d’accident du travail afin de réparer les conséquences découlant d’une lésion professionnelle. 

[101]       Puisque l’article 116 de cette loi réfère à la notion d’établissement, référons à la section des définitions. Comme l’a souligné le procureur du travailleur ce terme est prévu à l’article 2 de la loi lequel réfère à la LSST :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

 

« établissement » : un établissement au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[102]       Or, l’article 1 de la LSST définit le terme établissement en excluant spécifiquement le chantier de construction.

 

[103]       Voici la définition de ce terme :

Interprétation:

 

1. Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

«établissement»;

 

«établissement»: l'ensemble des installations et de l'équipement groupés sur un même site et organisés sous l'autorité d'une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l'exception d'un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l'employeur à la disposition du travailleur à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs, à l'exception cependant des locaux privés à usage d'habitation;

(le tribunal souligne)

 

 

[104]       Puis l’expression chantier de construction se définit comme suit dans la loi:

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« chantier de construction » : un chantier de construction au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1);

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[105]       Et dans la LSST, ce terme se définit ainsi :

1. Dans la présente loi et les règlements, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

 

«chantier de construction»;

 

«chantier de construction»: un lieu où s'effectuent des travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification ou de démolition de bâtiments ou d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'oeuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol, les autres travaux déterminés par règlement et les locaux mis par l'employeur à la disposition des travailleurs de la construction à des fins d'hébergement, d'alimentation ou de loisirs;

 

 

 

 

 

[106]       Le tribunal est d’avis qu’il doit nécessairement s’en tenir au choix du législateur de retenir les mêmes définitions des termes établissement et chantier de construction pour la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) ou pour la loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST) .

[107]       Or, la notion d’établissement dans la LSST écarte spécifiquement celle de chantier de construction. En retenant les mêmes définitions, le tribunal voit dans le choix du législateur une volonté de distinguer le travailleur de la construction du travailleur en général.

[108]       De  plus, le second alinéa de l’article 116 ajoute que, pendant la période où l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinéa de l’article 235 de la loi, la CSST sera dispensée de ce paiement alors qu’elle paiera sa part après la période. Cette référence à l’article 235 de la loi a son importance étant donné la section de la loi dans laquelle elle est placée.

[109]       Voici comment se lit cet article de la loi :

235.  Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :

 

1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);

 

2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.

 

Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240 .

__________

1985, c. 6, a. 235.

 

 

[110]       Il en ressort que l’article 116 se trouve à être le prolongement des droits prévus à  l’article 235, deuxième paragraphe. Or, l’article 235 prévoit qu’un travailleur qui doit s’absenter de son travail à la suite d’une lésion professionnelle peut continuer de participer aux régimes de retraite et d’assurance offert dans l’établissement, pourvu qu’il paie sa part de cotisation exigible, s’il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.

[111]       Ce droit particulier fait partie des droits reconnus au travailleur dans le cadre du droit de retour au travail et s’applique pendant la période prévue à l’article 240, qui est d’un an ou de deux ans, selon le cas.

[112]       Par ailleurs, l’article 234 définit le domaine d’application du droit du retour au travail. Il est précisé que ladite section ne s’applique pas au travailleur de la construction qui se voit couvert par une section qui lui est propre, sauf en ce qui a trait à l’article 243 qui traite d’interdiction de refus d’embauche d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle.

[113]       Voici le libellé de l’article 234 de la loi :

234.  La présente section s'applique au travailleur qui, à la date où il est victime d'une lésion professionnelle, est lié par un contrat de travail à durée indéterminée ou, dans le cas prévu par l'article 237, à durée déterminée.

 

Cependant, elle ne s'applique pas au travailleur visé dans la section II du présent chapitre, sauf en ce qui concerne l'article 243 .

__________

1985, c. 6, a. 234.

 

 

[114]       C’est la section II du chapitre VII de la loi qui traite de manière spécifique des droits conférés au travailleur de la construction. Il y est question des règles relatives à la réintégration au travail à l’article 248 :

248.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer son emploi chez l'employeur pour qui il travaillait lorsque s'est manifestée sa lésion, sous réserve des règles relatives à l'embauche et au placement prévues par un règlement concernant le placement des salariés adopté en vertu de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction (chapitre R-20).

 

Ce droit peut être exercé dans le délai prévu par l'article 240 et l'article 241 s'applique.

__________

1985, c. 6, a. 248; 1986, c. 89, a. 50.

 

 

[115]       Il est aussi prévu des règles particulières pour la détention d’un certificat de classification d’un travailleur de la construction :

249.  Le travailleur qui, lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle, détient un certificat de classification « A » ou « Apprenti » en vertu d'un règlement concernant le placement des salariés adopté en vertu de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction (chapitre R-20) et qui redevient capable d'exercer son emploi a droit au renouvellement de son certificat même s'il n'a pas accumulé, en raison de sa lésion, le nombre d'heures de travail requis en vertu de ce règlement.

 

La Commission de la construction du Québec doit délivrer ce certificat au travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 249; 1986, c. 89, a. 50.

 

 

[116]       Dans cette section, on ne retrouve aucune disposition similaire à celle du deuxième paragraphe de l’article 235 de la loi, alors que les articles 248 et 249 sont l’équivalent du premier paragraphe de l’article 235 quant aux règles d’ancienneté d’un travailleur d’établissement.

[117]       De l’avis du tribunal, il en résulte que les travailleurs de la construction ne bénéficient pas du droit prévu à l’article 235 et qu’en conséquence, pendant la période d’application de l’article 240, ils ne peuvent continuer à participer au régime de retraite et d’assurance offert dans l’établissement où ils travaillent. Par surcroît, comme nous l’avons mentionné plus haut, ils ne travaillent pas dans un établissement mais plutôt sur un chantier de construction.

[118]       C’est ainsi que selon qu’un travailleur est un travailleur de la construction ou non, le législateur a stipulé des droits et obligations différents quant au contenu du droit de retour au travail ainsi que pour ses modalités d’application.

[119]       Le travailleur de la construction n’est toutefois pas privé de tous droits puisque le législateur a aussi adopté une loi et des règlements qui sont propres à cette catégorie de travailleurs. En effet, la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[8] s’applique à cette catégorie de travailleurs et dans celle loi, il est question du régime complémentaire de retraite.

[120]       Cette loi prévoit la définition suivante à l’article 1 :

«régime complémentaire d'avantages sociaux»;

 

 t) «régime complémentaire d'avantages sociaux»: un régime de sécurité sociale établi par une convention collective ou par un règlement visant à donner effet à une clause d'une convention collective, notamment un régime complémentaire de retraite, d'assurance-vie, maladie ou salaire et tout autre régime d'assurance ou de prévoyance collective;

(le tribunal souligne)

 

[121]       De plus, l’article 8 du Règlement sur les régimes complémentaires d’avantages sociaux dans l’industrie de la construction[9] prévoit qu’un salarié invalide au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles peut continuer de participer au régime.

8.Peut participer au régime de retraite le salarié invalide au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) à qui cette loi permet de continuer à participer à ce régime.

 

Déc. CCQ-951991, a. 8.

 

 

[122]       Dès lors, bien que les travailleurs de la construction ne bénéficient pas de la même couverture à l’intérieur du droit de retour au travail prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, ils bénéficient tout de même d’une loi et d’un règlement qui tiennent compte des particularités qui sont propres à leur cadre de travail.

[123]       Ainsi, bien que ce ne soit pas spécifiquement à l’intérieur des dispositions de la loi qu’il soit question des droits du travailleur de la construction quant à sa participation à un régime de retraite alors qu’il a été victime d’un accident du travail, l’objet de la loi prévu à l’article 1 est tout de même respecté et, par surcroit, il tient compte des particularités des conditions de travail de cette catégorie de travailleurs.  

[124]       Le tribunal ajoute qu’il a déjà eu l’occasion de rendre quelques décisions[10] sur le sujet. Celle rendue dans l’affaire Ouellet est particulièrement pertinente au présent dossier et le présent tribunal y adhère.

[125]        Dans cette décision, voici comment s’exprime la Commission des lésions professionnelles :

[39] Or, le second alinéa de l’article 116 ajoute que, pendant la période où l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinéa de l’article 235, la CSST sera dispensée de ce paiement.

 

[40] Il en ressort donc que l’article 116 se trouve à être le prolongement des droits prévus à l’article 235 paragraphe 2° de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.  Cet article énonce :

[…]

 

[41] À l’article 235, dans le cadre du chapitre VII de la section I portant sur le «droit au retour au travail», le législateur québécois a prévu qu’un travailleur qui devait s’absenter de son travail suite à une lésion professionnelle pouvait continuer de participer au régime de retraite et d’assurance offert dans l’établissement, pourvu qu’il paie sa part de cotisation exigible, s’il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.

 

[42] Ce droit particulier fait partie des droits reconnus au travailleur dans le cadre du droit au retour au travail et s’applique pendant la période prévue à l’article 240, selon le cas.  L’article 240 énonce :

[…]

 

[43] À ce stade, il faut convenir que l’article 235 s’inscrit dans les nouvelles dispositions adoptées depuis le 19 août 1985 lors de l’adoption de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.  Il créé un nouveau droit accordé aux travailleurs du Québec, droit visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle.

 

[44] De façon spécifique, l’article 235 protège donc l’admissibilité des travailleurs, pendant leur période d’absence du travail dû à une lésion professionnelle au régime de retraite leur étant applicable.  Cet article, bien que ne comportant aucun délai d’application, suppose que le travailleur, suite à une lésion professionnelle, continue à participer à son régime de retraite tel que prévu à son contrat de travail ou à sa convention collective.

[…]

 

[45] Or, l’article 234 stipule :

[…]

 

[46] L’article 234 définit le domaine de l’application de la section I du chapitre VII.  Or, au second alinéa de l’article 234, le législateur québécois stipule que la section I du chapitre VII ne s’applique pas au travailleur visé dans la section II du chapitre VII, sauf en ce qui concerne l’article 243, article portant sur l’obligation faite à l’employeur de procéder à embaucher de nouveau un travailleur victime d’une lésion professionnelle lorsqu’il est en mesure d’exercer son emploi.

 

[47] Cette exclusion de l’article 234 vise donc l’ensemble de la section I et réfère les travailleurs visés par l’article 247 au droit spécifiquement prévu à la section II du chapitre VII.  L’article 247 énonce :

[…]

 

 

[48] À la section II, l’on ne retrouve aucune disposition similaire aux dispositions de l’article 235 au paragraphe 2°.

 

[49] Il en résulte que les travailleurs visés par l’article 247 ne bénéficient pas du droit prévu à l’article 235 paragraphe 2° et, qu’en conséquence, pendant la période d’application de l’article 240, ils ne peuvent continuer à participer à leur régime de retraite et d’assurance offert dans l’établissement où ils travaillent (chantier de construction).

 

[50] La lecture de l’ensemble de ces dispositions législatives pose donc un problème d’interprétation.  En effet, selon qu’un travailleur est un travailleur de la construction ou non, le législateur québécois a stipulé des droits et obligations différentes quant au contenu du droit au retour au travail ainsi que ces modalités d’application.

 

[51] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il existe un tel régime de retraite géré par la Commission de la Construction du Québec qui prévoit spécifiquement qu’un salarié invalide peut participer au régime de retraite.  En effet, l’article 8 du Règlement sur les régimes complémentaires des avantages sociaux dans l’industrie de la construction, R.-20, R. 14.01, précise :

 

20.           Peut participer au régime de retraite le salarié invalide au sens de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) à qui cette loi permet de continuer à participer à ce régime.

 

 

[52] Dès lors, les travailleurs de la construction ne bénéficient pas de la même couverture à l’intérieur du droit de retour au travail prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

[126]       Dans son argumentation, le procureur du travailleur invitait le tribunal à nuancer cette décision puisqu’il jugeait qu’elle ne tenait pas compte de la méthode d’interprétation téléologique, laquelle méthode lui apparaissait plus appropriée parce que tenant compte de l’objet de la loi. Il reprochait l’utilisation de la méthode d’interprétation littérale.

[127]       La soussignée a pris connaissance de la doctrine[11] soumise par le procureur et elle ne partage pas son avis.

[128]       S’il est exact d’affirmer que le but poursuivi par le législateur est un élément qui doit être pris en considération lors de l’analyse et de l’interprétation d’une disposition législative, cela ne va quand même pas jusqu’à modifier la loi.

[129]       Dans son livre, le professeur Côté[12] écrit :

D’un autre côté, on devrait également rejeter une interprétation exclusivement centrée sur l’objet poursuivi par l’auteur du texte. La Constitution exige que la volonté du Parlement soit exprimée selon certaines formes et le justiciable est en droit d’exiger des tribunaux qu’ils accordent une grande importance au texte, qui est censé être le véhicule privilégié de la pensée du législateur. Il ne faut pas oublier que c’est d’abord dans le texte que l’interprète doit rechercher l’objet de la loi. En outre, la formule agit comme un frein à la discrétion judiciaire : elle restreint la gamme des sens qu’il est possible de donner à une disposition. Enfin, on a beau connaître le but poursuivi par l’auteur du texte, encore faut-il voir par quels moyens il entendait atteindre ce but. C’est principalement dans la formule employée pas l’auteur que l’on peut découvrir des indices quant aux moyens que l’auteur du texte législatif a voulu mettre en œuvre pour atteindre son but. 

 

 

[130]       Puis plus loin dans son texte, il écrit :

Le style de rédaction peut également avoir une influence sur l’accent mis sur le texte ou la finalité. Une rédaction détaillée est de nature à favoriser l’approche littérale; elle rend souvent l’objet ou les principes de la législation difficiles à découvrir et, le législateur ayant supposément pensé à tout, l’interprète peut se sentir justifié de ne penser à rien et d’appliquer le texte à la lettre sans y ajouter ou en retrancher, et sans s’interroger sur son objet. A contrario, une rédaction en termes généraux peut rendre plus facile la connaissance de la finalité de la loi, de sa structure, de ses principes et elle fait appel pour son application, à une collaboration plus large du juge, cette collaboration accentuant l’importance de l’objet.   
     

[131]       Dans le présent dossier, le tribunal est d’avis que le législateur a suffisamment détaillé les droits et obligations appartenant aux travailleurs de la construction par rapport aux autres travailleurs en leur consacrant une section complète de la loi. Cela permet au tribunal de dire qu’il a expressément décidé de ne pas appliquer l’article 116 de la loi aux travailleurs de la construction en intégrant la notion d’établissement dans le libellé de l’article. Il a plutôt choisi de prévoir ces droits et obligations dans la loi spécifique à cette catégorie de travailleurs. Analyser l’article 116 autrement obligerait le tribunal à ajouter au texte de loi, ce qu’il ne peut faire.

[132]       D’autre part, il n’appartient pas à la Commission des lésions professionnelles d’analyser la réclamation qu’un travailleur pourrait faire en vertu de la Loi sur les relations de travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction. Le travailleur devra donc entreprendre ses démarches auprès de l’organisme mandaté pour analyser la recevabilité de sa demande.

[133]       Pour les motifs énumérés ci-haut, le tribunal considère que le travailleur ne peut bénéficier de la disposition prévue à l’article 116 de la loi puisque cet article ne s’applique pas au travailleur de la construction.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête du 19 octobre 2009 de monsieur Y... L..., le travailleur;

CONFIRME la décision rendue le 9 octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais pour le lavage de vitres;

DÉCLARE que le travailleur ne peut bénéficier des dispositions prévues à l’article 116 de la loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

 

Michèle Gagnon Grégoire

 

 

 

 

Me Charles Magan

Représentant de la partie requérante

 

 

M. Jean-Guy Pilote

GESTESS

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Dumont et Cégep Lévis-Lauzon, C.L.P. 329479-03B-0710, 31 mars 2009, R. Savard; Roberge et Marché Lafrance inc., C.L.P. 309227-05-0504, 28 juin 2007, L. Boudreault

[3]           Barber et peintre & Décorateur Hw inc. (fermé), C.L.P. 254505-72-0502, 21 avril 2006, S. Arcand; Ouellet et Constructeurs GPC inc., C.L.P. 117232-02-9905, 20 septembre 2000, P. Simard

[4]           L.R.Q., c. S-2.1

[5]           L.R.Q., c. I-16

[6]           PIERRE-ANDRÉ CÔTÉ, Interprétation des lois, Les éditions Yvon Blais inc., 1982, p. 211 à 255, p. 256 à 313, p. 321 à 351

[7]           Desjardins et Commission Scolaire des Draveurs, C.L.P. 283906-07-0603, 14 décembre 2006, D. Beauregard, J. Landry, M. Langlois

[8]           L.R.Q, c. R-20 

[9]          c. R-20, r. 14.01

 

[10]         Précitée note 3

[11]         Précitée note 6

[12]         Précitée note 6, p. 334

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