Desgagné et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay—Lac-Saint-Jean (Direction régionale de santé publique) |
2019 QCTAT 4771 |
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L’APERÇU
[1] Madame Karine Desgagné, la travailleuse, est infirmière auxiliaire au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Direction régionale de santé publique), l’employeur. Le 28 décembre 2018, elle produit une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, afin de faire reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle, dont le diagnostic est l’influenza.
[2] La Commission refuse la réclamation de la travailleuse et, dans une autre décision, elle lui demande de rembourser l’indemnité versée par l’employeur pour les quatorze premiers jours d’arrêt de travail, soit 1 070,44 $. La révision administrative confirme ces décisions et la travailleuse la conteste devant le Tribunal administratif du travail.
[3] La travailleuse demande au Tribunal de reconnaître qu’elle a été victime d’une maladie professionnelle et qu’elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], la Loi.
[4] Quant à l’employeur, il demande de confirmer la décision de la révision administrative et affirme que les symptômes décrits par la travailleuse ne sont pas compatibles avec le diagnostic de l’influenza.
[5] Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :
a) Quel est le diagnostic à retenir dans l’analyse du présent dossier?
b) La travailleuse a-t-elle subi une lésion professionnelle le ou vers le 15 décembre 2018?
[6] Le Tribunal estime que la travailleuse a été victime d’une maladie professionnelle en décembre 2018, dont le diagnostic est l’influenza, et ce, pour les motifs qui suivent.
L’ANALYSE
a) Quel est le diagnostic à retenir dans l’analyse du présent dossier?
[7] L’employeur allègue que les symptômes décrits par la travailleuse ne sont pas compatibles avec ceux de l’influenza. Au soutien de cette prétention, il produit le chapitre 6 d’une publication émanant du ministère de la Santé et des Services sociaux, de juillet 2016, qui traite des syndromes cliniques du rhume et de la grippe[2]. Le Tribunal n’est pas de cet avis.
[8]
La travailleuse rencontre son médecin traitant, le docteur Normand
Bouchard, le 18 décembre 2018. Ce dernier rédige une attestation médicale dans laquelle
il émet le diagnostic de syndrome grippal et d’influenza probable. Il prescrit
un arrêt de travail du 18 au 30 décembre 2018. Ce diagnostic n’a pas été
contesté suivant la procédure d’évaluation médicale prévue à l’article
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
[9]
En conséquence, l’article
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
[10] L’identification du diagnostic liant constitue une question mixte de fait et de droit nécessaire à l’établissement d’un lien avec le travail[3]. Puisque le Tribunal agit de novo[4], il peut se saisir de tout nouvel élément de preuve afin d’actualiser celle-ci dans le but de rendre la décision « la plus juste et la plus actuelle possible »[5].
[11] De plus, le pouvoir du Tribunal d’actualiser un diagnostic en l’absence d’un processus d’évaluation médicale et de décision implicite de la Commission est très bien circonscrit dans l’affaire Larcher et Acoustique S. Mayer[6] :
[57]
Toutefois, le Tribunal administratif du travail estime que ce pouvoir
d’actualiser le dossier dont il est saisi, au chapitre du diagnostic notamment,
ne peut s’exercer au détriment des droits de la Commission ou de l’employeur de
contester toute question d’ordre médical prévu à l’article
• lorsque ce nouveau diagnostic a été posé par le médecin traitant et soumis à la Commission, mais que celle-ci aurait omis ou refusé de s’en saisir d’où l’absence de décision;
• lorsque le diagnostic retenu par un expert n’est en soi qu’une précision du diagnostic faisant l’objet de la décision de la Commission ou encore que le diagnostic retenu par l’expert ne représente qu’une évolution du diagnostic au cœur du litige dont le Tribunal est saisi.
[12] En l’espèce, la travailleuse consulte une seconde fois au Centre hospitalier de La Baie, le 24 décembre 2018. À ce moment, la travailleuse se plaint d’une fatigue importante, de céphalée, de myalgie, de toux et de douleur à la gorge, aux ganglions du cou et aux oreilles. Le docteur consulté, dont le nom n’est pas lisible, émet le diagnostic d’influenza.
[13] Le Tribunal retient que le présent dossier ne répond pas aux deux exceptions lui permettant d’actualiser un diagnostic en l’absence du processus de contestation médicale prévue par la Loi. Aucun nouveau diagnostic n’a été émis par un médecin et aucun expert ou spécialiste n’a contesté les diagnostics émis par le médecin traitant et le médecin consulté à l’urgence le 24 décembre 2018.
[14] À cet égard, le Tribunal estime que la preuve médicale prépondérante démontre que le diagnostic en lien avec le présent dossier est celui d’influenza.
b) La travailleuse a-t-elle subi une lésion professionnelle le ou vers le 15 décembre 2018?
[15] La Loi définit ainsi les notions de lésion professionnelle et de maladie professionnelle à son article 2 :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
[…]
[16]
Le diagnostic d’influenza ne permet pas l’application de la présomption
de la maladie professionnelle prévue à l’article
[17] La Loi n’établit aucun critère permettant de déterminer ce qu'est une maladie reliée directement aux risques particuliers du travail. Par contre, dans l’affaire Rousseau et Demathieu & Bard-Cegerco s.e.n.c.[7], le Tribunal indique qu’il y a lieu de parler de risques particuliers lorsque l’exercice d’un travail fait encourir à celui qui s’en charge, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d’exercice, un risque particulier de développer une maladie précise.
[18] Il est pertinent de faire une distinction entre les notions de « risque » et de « danger » afin d’établir clairement le fardeau de preuve qui incombe à la travailleuse. À cet égard, dans l’affaire Rousseau précitée, le Tribunal s’exprime ainsi:
[31] La jurisprudence a, de
plus, déterminé que l'utilisation du terme « risque », à l’article
[Référence omise]
[19] Il n’est donc pas nécessaire de présenter une preuve de nature scientifique, mais bien une preuve prépondérante sur les risques inhérents au développement de l’influenza.
[20] De plus, il est essentiel d’examiner l’importance de l’exposition aux facteurs de risque en ce qui concerne la durée, l’intensité et la fréquence. Une analyse de l’ensemble de la preuve, tant factuelle que médicale, doit démontrer, de manière prépondérante, que les risques particuliers ont contribué de manière significative à l’apparition de la maladie ou à son évolution[8].
[21] Le Tribunal mentionne d’emblée qu’il croit la travailleuse et considère comme probante la version qu’elle expose à l’audience. Elle témoigne avec aplomb, sincérité et nuance. Elle conserve la même version tout au long de son témoignage et répond sans hésitation aux questions qui lui sont posées. De plus, la version qu’elle donne est conforme à la preuve documentaire.
[22] Elle explique que son travail d’infirmière auxiliaire consiste, notamment, à prendre connaissance des rapports de ses collègues au début de son quart de travail, à distribuer les médicaments aux patients et prendre leurs signes vitaux. En après-midi, elle aide les préposés aux bénéficiaires dans les soins d’hygiène des malades et termine par la rédaction du rapport qui sera transmis à ses collègues qui la remplaceront en soirée.
[23] Les 14, 15 et 16 décembre 2018, elle travaille dans le département de neurologie B-4. Le 15 décembre, elle accueille un patient dans le lit numéro B-452 qui souffre d’une diminution de son état de santé en général. Elle lui prodigue des soins toute la journée, elle le pèse, le mesure, l’accompagne à la salle de bain à quelques reprises, prend ses signes vitaux et lui donne sa médication. Elle remarque que ce bénéficiaire tousse et est très fatigué, ce qui n’est pas anormal pour une personne souffrant d’une diminution de son état de santé.
[24] Le lendemain, elle constate que ce patient a été mis en isolement durant la nuit en raison d’un diagnostic d’influenza. Cette procédure implique qu’elle doit porter des gants, un masque et une jaquette avant d’entrer dans la chambre du patient pour lui prodiguer des soins et doit les enlever lorsqu’elle en sort. Elle ajoute que mis à part ces précautions, elle lui prodigue les mêmes soins que la veille.
[25] Le 17 décembre, elle n’est pas au travail et elle passe la journée à se reposer. Elle ressent une fatigue extrême et anormale, des maux de tête et une douleur musculaire généralisée. Elle ne consulte pas cette journée-là puisqu’elle avait déjà un rendez-vous de fixé avec son médecin traitant le lendemain.
[26] Le 18 décembre, elle est supposée rentrer au travail, mais elle communique avec l’infirmière-chef pour l’aviser de son absence maladie. Les symptômes ressentis la veille ont augmenté considérablement. Son médecin émet un diagnostic d’influenza probable et lui prescrit un arrêt de travail.
[27] Le 24 décembre suivant, vu la persistance de ses symptômes, elle consulte à nouveau à l’urgence de l’hôpital de La Baie. Le médecin de garde émet le diagnostic d’influenza et reconduit son arrêt de travail.
[28] Elle précise qu’aucun membre de sa famille ou de son entourage n’était malade entre les 15 et 18 décembre 2018 et qu’elle n’a fréquenté aucun lieu public durant cette période, sauf lors de ses quarts de travail chez l’employeur.
[29] En contre-interrogatoire, elle admet ne pas avoir travaillé le 13 décembre 2018 et ne sait pas pourquoi cette date est indiquée dans l’avis de l’employeur et la demande de remboursement. Elle confirme ne pas connaître la personne qui a rédigé et signé ce document. Elle explique que pour elle, la date exacte où elle a contracté l’influenza n’est pas claire. Il est possible que ce soit le 15 décembre, au moment où le patient n’est pas en isolement, ou le 16 décembre lorsqu’elle continue à lui prodiguer des soins avec une protection supplémentaire. C’est pour cette raison qu’elle indique sur la Réclamation du travailleur que la date de l’événement est indéterminée.
[30] Le Tribunal comprend les raisons ayant poussé la travailleuse à indiquer « date indéterminée » au lieu d’une date exacte. En effet, selon la littérature médicale produite[9], la période d’incubation du virus de l’influenza est habituellement de deux à trois jours, mais peut varier d’un à quatre jours selon la quantité de virus inoculée et l’état immunitaire de la personne exposée à celui-ci. De plus, la période de contagiosité commence 24 heures avant le début des premiers symptômes et se poursuit jusqu’à 5 jours après. Il s’agit d’un virus très contagieux qui peut survivre jusqu’à deux jours sur des surfaces ou des objets contaminés.
[31] Dans l’affaire sous étude, les premiers symptômes ressentis par la travailleuse ont commencé trois ou quatre jours après avoir été exposée au virus. Il est difficile de déterminer le moment exact de la contagion. Par contre, le Tribunal doit déterminer si l’infection découle plus probablement de son milieu de travail, mais n’a pas à se prononcer sur un moment précis ni la source de l’infection.
[32] Le Tribunal donne une force probante importante à l’étude précitée puisqu’elle émane de l’Institut national de santé publique du Québec. Quant à la notion de risque, cette étude précise :
La grippe2, aussi connue sous le nom d’influenza, est une infection contagieuse des voies respiratoires. Elle est causée par le virus de l’influenza qui est ubiquiste. Les éclosions de grippe sont souvent caractérisées par l’apparition rapprochée de plusieurs cas de grippe (ASPC, 2010). Bien que la plupart surviennent dans les établissements de soins de longue durée, des éclosions sont aussi rapportées dans des centres hospitaliers de soins généraux et spécialisés (CHSGS) (ASPC, 2010). D’ailleurs, ces derniers constituent des endroits propices à l’introduction et la transmission du virus de l’influenza. En effet, ils regroupent des personnes qui consultent entre autres, pour la grippe et d’autres qui, bien souvent sont à risque de développer des complications sérieuses s’ils l’attrapent.
[Note omise]
[33] Bien que la preuve administrée démontre qu’il n’y a pas eu d’éclosion de ce virus en décembre 2018 chez l’employeur, cette preuve ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une maladie professionnelle. D’ailleurs, aucune preuve n’a été soumise afin de contredire la version crédible de la travailleuse, déclarant que le patient qu’elle a soigné les 15 et 16 décembre 2018 n’était pas porteur de l’influenza.
[34] Dans l’affaire Boudreault et Hôpital Jeffery Hale - Saint Brigid’s[10], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[47] Il nous semble évident que les établissements de santé (hôpitaux, cliniques, dispensaires) sont des lieux qui, par définition, reçoivent une clientèle présentant différentes maladies ou lésions pour les fins de traitement. En d’autres mots, indépendamment de tous les moyens pris par ces institutions pour réduire au maximum les risques de transmission de bactéries ou virus, il n’en demeure pas moins que ces risques sont plus importants dans ces établissements de santé que dans la rue.
[35] La preuve factuelle prépondérante démontre que 15 décembre 2018, la travailleuse a été en contact direct avec une personne porteuse du virus de l’influenza et le lendemain, elle a été une fois de plus en contact, cette fois-ci de manière moins directe, avec ce patient mis en isolement en raison de ce diagnostic.
[36] Par conséquent, le Tribunal conclut que la travailleuse a été victime d’une maladie professionnelle, soit l’influenza, en décembre 2018.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la contestation de madame Karine Desgagné, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 avril 2019 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle en décembre 2018, soit l’influenza;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Chantale Girardin |
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Me Mathieu St-Pierre Castonguay |
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F.I.Q. |
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Pour la partie demanderesse |
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PLOURDE AVOCATS |
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Pour la partie mise en cause |
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Date de l’audience : 2 octobre 2019 |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Chap. 6 : « Syndromes cliniques - Rhume et SAG, (mise à jour juillet 2016) », dans COMITÉ DE PRÉVENTION DES INFECTIONS DANS LES SERVICES DE GARDE ET ÉCOLES DU QUÉBEC, Prévention et contrôle des infections dans les services de garde et écoles du Québec : guide d'intervention, Québec, Direction des communications du Ministère de la santé et des services sociaux, 2015- , pp. 221-224, [En ligne], <https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/guide-garderie/guide-complet.pdf> (Date de consultation inconnue).
[3] Bilodeau et Terminal & Câble T.C. inc.,
C.L.P.
[4] Voir article
[5] Brisson et Institut d’échafaudage du Québec,
[6]
[7] C.L.P. 312245-05-0703-2, 9 mars 2009, J.-M. Dubois, révision rejetée, 312245-05-0703-2R, 15 mars 2010, L. Boucher.
[8] Air Canada et
Miclette,
[9] COMITÉ SUR LES INFECTIONS NOSOCOMIALES DU QUÉBEC et al., Mesures de prévention et de contrôle de la grippe saisonnière en centre hospitalier de soins généraux et spécialisés : avis et recommandations,[Québec], Direction des risques biologiques et de la santé au travail, INSPQ, 2012, 83 p.. [En ligne], <https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1391_MesuresPrevControleGrippeSaisonCHSGS.pdf> (Date de consultation inconnue).
[10]