[1] L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 9 janvier 2020 par la Cour Supérieure (l’honorable Lise Bergeron), district de Beauce, qui rejette sa demande visant à modifier les modalités de garde du fils des parties et refuse de lui accorder une garde partagée[1].
[2] Le pourvoi soulève deux questions. Premièrement, il s’agit de déterminer si les circonstances justifiaient de réviser la garde de l’enfant et deuxièmement, si la juge a commis une erreur déterminante dans l’évaluation de son intérêt.
[3] Après un an et demi d’une vie commune difficile, l’intimée apprend qu’elle est enceinte. Malgré les démarches pour améliorer leur relation, les parties se séparent, à l’initiative de l’appelant, alors que l’enfant a trois mois. L’intimée exerce à ce moment la garde de l’enfant.
[4] Le 19 décembre 2016, lorsque leur fils a sept mois, les parties signent une convention qui met en place des accès progressifs. Au départ, l’appelant exerce des accès quelques heures à la fois, les samedis. Il demeure alors en Beauce, chez son père.
[5] Quelques mois plus tard, l’appelant déménage à Ville A avec sa nouvelle conjointe, à deux heures de voiture du domicile de l’intimée. Il exerce des accès de façon progressive et, à compter du printemps 2018, une fin de semaine sur deux, soit du vendredi 18 h au dimanche à 16 h.
[6] En mai 2019, l’appelant et sa conjointe déménagent à Ville B, à deux kilomètres de chez l’intimée, se rapprochant ainsi significativement du domicile de l’intimée et de l’enfant. Il demande alors une garde partagée.
[7] L’intimée fait vie commune avec un nouveau conjoint. Ils ont un fils qui a presque un an au moment du jugement et les deux garçons fréquentent la même garderie.
Le jugement
[8] La juge détermine qu’il n’y a pas de changement significatif ou de circonstances justifiant une modification des modalités de garde. Le déménagement de l’appelant, l’âge de l’enfant et le fait que l’appelant vive une union stable ne constituant pas des changements importants dans la vie de l’enfant. Poursuivant son analyse, la juge conclut qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’enfant de mettre en place une garde partagée.
Les circonstances justifient-elles de réévaluer la situation?
[9] L’appelant a raison de prétendre que la juge aurait dû réévaluer la situation.
[10]
Les parties ne s’étant pas mariées, c’est l’article
612. Les décisions qui concernent les enfants peuvent être révisées à tout moment par le tribunal, si les circonstances le justifient. |
612. Decisions concerning the children may be reviewed at any time by the court, if warranted by circumstances. |
[11]
En semblable matière, les tribunaux québécois s’inspirent aussi de
l’article
[12] Dans l’arrêt Gordon c. Goertz, la juge McLachlin résume ainsi la première étape de la mise en application du droit à la modification d’une ordonnance de garde :
[49] Le droit peut se résumer ainsi:
1. Le parent qui demande une modification de l'ordonnance de garde ou d'accès doit d'abord démontrer qu'il est survenu un changement important dans la situation de l'enfant. […][3]
[13] Cette étape vise bien sûr à s’assurer qu’une demande en modification de garde ne soit pas un moyen détourné d’appeler d’une décision antérieure fixant déjà les modalités de garde[4].
[14] Selon la Cour suprême, un changement important survient lorsqu’il modifie fondamentalement les besoins de l’enfant ou la capacité des parents d’y pourvoir, la question étant de savoir si l’ordonnance antérieure aurait pu être différente si la situation actuelle avait existé. Il est aussi nécessaire d’examiner ce qui était raisonnablement prévisible lors de la première décision[5].
[15] Ainsi, pour conclure à l’existence d’un changement significatif, le tribunal devra être convaincu de trois choses :
[…] (1) un changement est survenu dans les ressources, les besoins ou, d'une façon générale, dans la situation de l'enfant ou la capacité des parents de pourvoir à ses besoins; (2) ce changement doit toucher l'enfant de façon importante; et (3) il doit ne pas avoir été prévu ou ne pouvoir raisonnablement l'avoir été par le juge qui a prononcé l'ordonnance initiale.[6]
[16] Comme l’écrivait la Cour sous la plume du juge Jean-Louis Baudouin, la question du changement important en matière de garde d’enfant doit être interprétée avec souplesse :
La Cour
suprême, dans plusieurs arrêts importants, a précisé ce qu'il fallait entendre
par cette exigence, notamment que le juge doit statuer en regard des
circonstances actuelles (Messier c. Delage,
Ces causes
touchent cependant des espèces mettant en cause les conditions économiques
des parties et non des changements de garde. Or, il me paraît qu'en
matière de garde d'enfant, l'exigence de changements significatifs doit être
interprétée d'une façon plus souple, puisque c'est l'intérêt de l'enfant, et
cet intérêt seul, qui doit être le standard de cette mesure (Voir entre
autres: C.(G.) c. V.(T.),
[17] L’évaluation des circonstances doit donc être faite de façon souple et en examinant la situation globalement afin de vérifier si les circonstances en place au moment de la demande justifient, dans l’intérêt de l’enfant, qu’elle soit réexaminée.
[18] En l’espèce, les circonstances justifiaient que la situation soit revue. Bien qu’au moment du jugement précédent l’appelant habitait la région et occupait le même emploi, il demeure qu’il a habité à deux heures de route du domicile de l’enfant durant deux ans. Le rapprochement géographique peut contribuer à maximiser le contact avec le parent non gardien et à faire en sorte qu’il puisse contribuer de façon plus intensive aux besoins de l’enfant. En fait, cela a un impact sur la capacité de l’appelant à exercer des accès différents, ce qu’il ne pouvait faire antérieurement considérant la distance entre son domicile et celui de l’enfant.
[19] Par ailleurs, l’âge de l’enfant milite en faveur du réexamen de la situation quoique, comme l’affirme avec justesse la juge, il était prévisible que l’enfant vieillisse. Les besoins d’un bébé de sept mois sont différents de ceux d’un enfant âgé de 3 ans.
L’intérêt de l’enfant
[20] L’intérêt de l’enfant est le seul critère que doit examiner le tribunal lorsqu’il tranche un litige en matière de garde et d’accès[8].
[21] Dans son traité Droit de la famille, l’auteur Michel Tétrault[9] énumère plusieurs éléments permettant d’évaluer le meilleur intérêt de l’enfant en matière de garde :
1. Le parent qui a le lien le plus fort et le plus sain avec l’enfant et qui a été la figure parentale principale tant pendant l’union qu’après la rupture;
2. La capacité parentale;
3. Les valeurs et la moralité;
4. La disponibilité;
5. L’engagement du parent dans l’éducation au niveau scolaire;
6. La santé mentale et physique de l’enfant;
7. L’importance que le parent accorde à l’implication de l’autre parent dans l’éducation de l’enfant;
8. La collaboration;
9. La communication;
10. L’engagement du parent de fournir nourriture, vêtements et hébergement;
11. La santé physique de chaque parent;
12. La santé psychologie de chaque parent;
13. La présence et la proximité de la famille élargie;
14. L’importance de ne pas mêler l’enfant au conflit qui implique les parents;
15. L’engagement dans l’enrichissement des habiletés de l’enfant;
16. L’implication de la famille élargie;
17. L’implication avec les amis de l’enfant;
18. La fierté liée à l’enfant;
19. La préférence exprimée par l’enfant;
20. L’engagement de répondre aux besoins d’un enfant handicapé;
21. La stabilité de l’un et l’autre des parents;
22. Le maintien de l’intégrité de la fratrie.
[22] L’on comprendra que pour évaluer la situation de façon globale, un juge doit bénéficier d’une marge de manœuvre lui permettant d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour rendre la meilleure décision, en fonction de toutes les circonstances.
[23] Voilà pourquoi la norme d’intervention du tribunal d’appel en matière de garde d’enfant est très stricte : il doit faire preuve de la plus grande déférence[10]. Ainsi, la Cour n’interviendra qu’en présence d’une décision manifestement erronée, d’une erreur de droit ou de principe, ou d’une erreur manifeste et dominante dans l’interprétation des faits.
[24] La Cour expliquait encore récemment les raisons de cette nécessaire déférence :
[18] Il est acquis que les décisions en matière de garde commandent la plus grande déférence. Il en est ainsi pour plusieurs raisons. Une première raison tient au fait que le juge qui a vu et entendu les parties est le mieux placé pour exercer le pouvoir discrétionnaire dont l’a nanti le législateur. Une deuxième participe de l’idée selon laquelle les parties devraient être dissuadées d’appeler du jugement et d’engager en conséquence des honoraires professionnels en formulant le vœu idéaliste que la cour de révision appréciera différemment la preuve factuelle et les facteurs retenus par le juge du procès. Une troisième se rattache à l’importance pour les parties d’être favorisées d’un jugement définitif pour que les enfants connaissent avec certitude l’endroit où ils ancreront leur projet de vie. Une quatrième raison est associée à l’importance de respecter le pouvoir discrétionnaire du juge et l’appréciation pondérée des faits liés à l’intérêt de l’enfant.
[19] Cette idée d’une grande déférence ne place pas pour autant le décideur à l’abri de toute révision. Une intervention, dans des circonstances au demeurant exceptionnelles, sera justifiée lorsque le juge commet une erreur significative dans l’appréciation des faits ou dans l’interprétation de la preuve ou encore lorsque la décision est entachée d’une erreur de droit déterminante.
[20] En revanche, la cour de révision ne sera pas justifiée d’intervenir au seul motif qu’elle aurait rendu une décision différente ou soupesé différemment les facteurs. En outre, le juge du procès n’est pas tenu d’expliquer par le menu chaque élément de preuve et il peut privilégier un facteur plutôt qu’un autre, cela ne pouvant justifier une nouvelle appréciation de la preuve par la cour de révision.[11]
[25] Or, l’appelant ne démontre ici aucune erreur dans l’analyse de la juge quant aux raisons invoquées pour refuser la mise en place de la garde partagée.
[26] En plus d’avoir bien résumé la preuve, la juge motive son analyse de la façon suivante :
[68] Dans ce contexte où aucun changement significatif n’a été démontré, le Tribunal pourrait arrêter son analyse à cette étape, mais la preuve détaillée des parties à l’audience par leurs témoignages ainsi que ceux de leurs conjoints permet de poursuivre l’analyse en examinant l’intérêt de l’enfant.
[69] Le Tribunal doit favoriser la stabilité de Nathanaël, qui, depuis l’âge de 3 mois, est en garde principale avec madame.
[70] Depuis l’institution des procédures, l’enfant montre des signes d’anxiété, de nervosité, une énurésie diurne, des verbalisations inquiétantes et un comportement inquiet, alors qu’au retour d’un accès, il pleure et ne quitte pas sa mère pour un bon moment.
[71] Ces éléments de preuve non contredits invitent le Tribunal à ne pas ajouter de facteurs d’instabilité à la situation de l’enfant.
[72] Le Tribunal retient également le comportement de monsieur face au long épisode sur les mesures d’hygiène ou d’intervention au prépuce de l’enfant, nécessitant une ordonnance de sauvegarde ainsi que plus d’une visite médicale pour convaincre monsieur de s’en tenir aux recommandations faites par madame.
[73] Monsieur n’est pas un mauvais père, mais il doit apprendre à faire confiance à madame au lieu de mettre en doute ses recommandations.
[74] Ainsi, le Tribunal constate qu’en plus de l’absence de changement significatif, la preuve favorise le maintien de la stabilité de l’enfant et donc la conservation du régime de garde actuel.
[27] Les déterminations factuelles de la juge sont toutes fondées sur la preuve. Les critères qu’elle examine sont les bons. L’appelant ne peut requérir un réexamen de la preuve et encore moins alors qu’il n’a pas reproduit toute cette preuve devant la Cour.
[28] Bien qu’il soit généralement dans l’intérêt d’un enfant de favoriser les contacts avec ses deux parents, la garde partagée n’est pas un droit que possède un parent sur son enfant. Elle constitue plutôt une modalité de garde qu’il convient de mettre en place lorsqu’il est dans le meilleur intérêt de l’enfant de le faire. Plusieurs facteurs doivent être examinés. Il est vrai que la proximité entre la résidence des deux parents est un élément nécessaire à la mise en place d’une garde partagée. Par contre, plusieurs autres facteurs seront considérés, dont le besoin de stabilité de l’enfant et l’entente entre les parents.
[29] En l’espèce, et pour le moment, la preuve indique que la stabilité de l’enfant nécessite que l’intimée en assume la garde.
[30] Par ailleurs, la preuve révèle aussi, et l’audience devant la Cour le confirme, que la mésentente entre les parents est profonde, bien que la Direction de la protection de la jeunesse semble les soutenir en vue d’améliorer la situation. Il serait approprié que les parents mettent en place un moyen de communication qui leur convient, et ce, dans le meilleur intérêt de l’enfant.
[31] Il n’y a donc pas matière à intervention quant au refus de mettre en place une garde partagée en l’espèce.
[32] Toutefois, rappelons qu’une convention n’est pas immuable et que l’âge de l’enfant fait en sorte que ses besoins peuvent changer au fil des années.
[33] Pour l’instant, il est approprié de préciser et d’étendre certains accès, considérant que depuis la signature de la convention et bien que les accès aient été élargis, plusieurs irritants sont apparus qu’il convient de tenter d’aplanir. Par ailleurs, la convention est muette quant à certains accès.
[34] Ainsi, l’appelant pourra aller chercher l’enfant à la garderie le vendredi lorsqu’il débute un accès et le reconduire à la garderie le lundi matin. En outre, sa fin de semaine sera prolongée lors des jours fériés, les accès durant la période des Fêtes seront précisés, et une semaine de vacances supplémentaire sera accordée à l’été, quoique de façon non consécutive à la première.
[35] Finalement, comme les modifications pourraient avoir une incidence sur la pension alimentaire, les parties devront ajuster la pension ordonnée en première instance, le cas échéant. Tout litige sur ce point devant être soumis à la Cour supérieure.
POUR CES MOTIFS, la Cour :
[36] ACCUEILLE partiellement l’appel;
[37] REMPLACE le paragraphe [100] du jugement par le suivant :
[100] REJETTE la demande de garde partagée et MODIFIE les modalités d’accès prévues à la convention du 19 décembre 2016 de la manière suivante :
ACCORDE à l’appelant les droits d’accès suivants :
- En tout temps, après entente entre les parties;
- Une fin de semaine sur deux, du vendredi 17 h au lundi matin. L’appelant ira chercher et reconduire l’enfant à la garderie. La fin de semaine d’accès sera prolongée au lundi 16 h lorsqu’une journée fériée suit celle-ci. L’appelant ira alors reconduire l’enfant chez l’intimée;
- Une semaine complète pendant la période des Fêtes, incluant Noël ou le jour de l’An, les années paires chez l’appelant à Noël et chez l’intimée au jour de l’An; les années impaires, le contraire.
- Deux semaines non consécutives durant l’été, à être convenues entre les parties, sur préavis d’un mois quant au choix des dates de l’appelant.
[38] RÉSERVE le droit de l’appelant à demander la modification de la pension alimentaire en fonction de ses nouveaux accès, le cas échéant;
[39] SANS FRAIS, vu la nature du litige.
[1]
Droit de la famille - 2054,
[2] L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.).
[3]
Gordon c. Goertz,
[4]
Gordon c. Goertz,
[5] Gordon c. Goertz,
[6]
Gordon c. Goertz,
[7]
Droit de la famille — 2085,
[8] Young c. Young,
[9] Michel Tétrault, Droit de la famille, Vol. 3, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, p. 881-882.
[10]
Van de Perre c. Edwards,
[11]
Droit de la famille — 20473,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.