Décision

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Morin c. Vallières

2015 QCRDL 3809

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau de Montréal

 

No dossier:

153721 31 20140509 F

No demande:

1490222

RN :

 

 

 

Date :

06 février 2015

Greffier spécial :

Me Grégor Des Rosiers

 

SYLVIE MORIN

Locatrice - Partie demanderesse

c.

GEORGES VALLIÉRES

Locataire - Partie défenderesse

 

DÉCISION

 

 

[1]      La locatrice a produit une demande de fixation de loyer et de modification d’une autre condition du bail conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, à un loyer mensuel de 652 $.

[3]      La locatrice demande à la Régie de statuer sur la modification suivante :

« - Interdiction de fumer dans le logement, à compter du 1er juillet2014. »

MODIFICATION AU BAIL : INTERDICTION DE FUMER DANS LE LOGEMENT

Preuve de la locatrice

[4]      Pour divers motifs reliés à la sécurité des lieux, à la salubrité et le désir de préserver son immeuble, la locatrice, qui a acquis l’immeuble en 2011 est d’avis qu’il est opportun et nécessaire qu’il soit interdit au locataire de fumer dans le logement.

[5]      Alors, elle demande au Tribunal de modifier le bail en conséquence et d’interdire au locataire de fumer dans le logement loué.

[6]      L’immeuble est de type duplex comprenant un logement au sous-sol, lequel est occupé par le locataire depuis 2007.

[7]      Le 13 mars 2014, la locatrice a donné au locataire son avis d’intention de modifier le bail et le 21 mars 2014, le locataire a signifié un avis de refus à la locatrice.

[8]      La locatrice explique que de mai 2011 au 31 mars 2014, sa nièce, Stéphanie Morin, demeurait dans le logement situé au rez-de-chaussée, juste au-dessus du logement du locataire.


[9]      Elle soutient que lors de ses différentes visites chez sa nièce durant les années 2012 et 2013, elle a pu se rendre compte qu’il se dégageait une très forte odeur de fumée de cigarette provenant du logement du locataire.

[10]   Dès le 28 novembre 2012, elle en fait part au locataire de manière très explicite et détaillée (pièce P-4).

[11]   Elle comprend et constate que la fumée s’est incrustée dans les murs et dans les meubles. Alors, cette odeur se répand dans le logement du rez-de-chaussée.

[12]   Le 1er janvier 2013, elle réitère sa plainte auprès du locataire (pièce P-6).

[13]   Elle explique que le locataire et sa conjointe sont deux fumeurs et qu’il est évident que la fumée de cigarettes et le manque d’aération du logement dégradent le logement et l’immeuble.

[14]   Elle précise que cette odeur de fumée de tabac est notable dès qu’on pénètre dans l’immeuble.

[15]   Elle explique que le jaunissement des meubles et des accessoires, tel que la grille d’un purificateur d’air placé dans le logement est évident et produit des photos à l’appui (pièce P-10 A, B, C, D, E, F).

[16]   Le 1er mai 2014, elle a fait installer un échangeur d’air d’une intensité de 300 pcm dans le logement (pièce P-9).

[17]   Enfin, elle fait valoir qu’il s’agit d’une entrave à la location des logements puisque cet état de fait est constaté et souligné par la majorité des locataires et des ouvriers se présentant sur les lieux et qu’il est normal et qu’à ce stade, qu’il est urgent et nécessaire qu’il soit interdit au locataire de fumer dans le logement afin que l’immeuble soit exempt de fumée de cigarettes ou de fumée secondaire, lesquelles sont néfastes pour la santé.

[18]   De plus, la locatrice soumet que cette odeur de fumée de cigarettes constitue une nuisance pour les autres locataires et dégrade le bien immobilier dont elle est propriétaire.

[19]   Elle plaide que cette situation constitue un inconvénient majeur, contrevenant au droit de jouissance normale des lieux loués par les autres locataires, en plus de dégrader de manière insidieuse l’immeuble dont elle est propriétaire.

Preuve du locataire

[20]   En défense, le locataire conteste vigoureusement cette demande de modification au bail quant à l’interdiction de fumer et soutient qu’il est âgé de 59 ans et fume depuis 47 ans.

[21]   Le locataire mentionne qu’il est effectivement fumeur et qu’il lui est très difficile, à son âge, d’arrêter de fumer. Il a tenté d’arrêter en maintes reprises.

[22]   Il souligne qu’il reçoit une subvention de l’Office municipal d’habitation pour son logement et que cette subvention est attribuable au logement et non au locataire, de sorte que s’il est contraint de déménager, il perdra la subvention.

[23]   La procureure du locataire plaide qu’en aucun cas, quelqu’un ne s’est plaint ou ait fait allusion à de fortes odeurs de fumée de cigarettes ou à quelque odeur que ce soit provenant du logement du locataire.

[24]   Elle plaide que la locatrice ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve et qu’il s’agit de prétextes ou d’hypothèse, n’ayant pas démontré aucun préjudice sérieux.

[25]   Enfin, s’appuyant sur la jurisprudence, la procureure du locataire soutient que si cette modification était accordée, cette interdiction de fumer serait un accroc au contrat de bail initial intervenu et de plus, celle-ci créerait au locataire de sérieux inconvénients puisqu’il lui est difficile de cesser de fumer, ce qui l’inciterait forcément à déménager et qu’une telle modification - interdiction de fumer dans le logement - constituerait une atteinte à la vie privée du locataire en contravention avec les articles 35 et 36 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].


DROIT APPLICABLE

[26]   Selon la loi, un locateur a la possibilité de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis à cet effet au locataire dans les délais prescrits :

« 1942.      Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cepen­dant le faire que s'il donne un avis de modifica­tion au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme.  Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

                Lorsque le bail est à durée indéter­minée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.

                Ces délais sont respectivement réduits à dix jours et vingt jours s'il s'agit du bail d'une chambre. »

« 1943.      L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.

L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »

[27]   En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au Tribunal d’autoriser la modification demandée dans le mois de la réception du refus :

« 1947.      Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures. »

[28]   D’autres articles du Code civil du Québec régissent la relation juridique entre le locateur et le locataire. Le Tribunal se réfère aux articles pertinents à la présente cause, notamment :

« 1936.      Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi. »

« 1941.      Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin. Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent. »

« 1952.      Le tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement. »

[29]   Quels sont les critères permettant à un locateur de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction ?

[30]   Tout d’abord, il y a lieu de souligner une règle de droit bien établie à l’effet qu’il appartient au demandeur de toute demande en justice de démontrer le bien-fondé de sa demande en établissant les éléments factuels de faits et de droit au soutien de ses prétentions.

[31]   En l’instance, il incombe à la locatrice de prouver le bien-fondé de sa demande en établissant les motifs au soutien de la modification au bail demandée et qu’une telle modification ne porte pas atteinte au droit personnel du locataire au maintien dans les lieux.

[32]   Bien qu’aucune loi n’interdise à une personne de fumer dans son logement, depuis quelques années, les opinions ont beaucoup évolué concernant le tabagisme. La dépendance au tabac et les ravages de ce phénomène social qu’est le tabagisme sur la santé des fumeurs et sur la santé publique en générale ont amené les gouvernements à légiférer et à interdire de fumer dans les lieux publics, dans un but de protection de la population contre les effets néfastes de la fumée secondaire, tel un objectif d’intérêt public légitime.[2]

[33]   Quant à la demande de modification visant l’interdiction de fumer dans le logement, la preuve présentée par la locatrice est-elle prépondérante permettant ainsi l’ajout au bail d’une clause interdisant au locataire de fumer dans le logement loué ?


[34]   Il faut et il suffit pour la locatrice de prouver le bien-fondé de cette demande de modification au bail.

[35]   Essentiellement, au soutien de cette demande, la locatrice soumet comme inconvénient que les odeurs de fumée du tabac provenant du logement du locataire dégradent l’immeuble dont elle est propriétaire, diminuent les perspectives d’augmentation de sa valeur et constituent une contravention et une entrave au droit de jouissance normale des lieux loués par les autres locataires et du droit de propriété dont elle est titulaire, dans un environnement sans fumée ni odeur secondaire provenant du tabac.

[36]   En ce qui a trait à l’interdiction de fumer, Me Jean-Yves Landry, greffier spécial, s’exprimait ainsi dans une récente décision :

« La plupart des décisions rendues en matière de modification du bail visant à interdire de fumer à l'intérieur du logement (voir, entre autres, Vachon c. Gendron [2005] J.L. 283; Larivière c. Fortin, 22-000503-013 F, Régie du logement de Hull; Polacco c. Élément, 31-080311-010 F, Régie du logement de Montréal), indique que semblable modification constituerait une atteinte à la vie privée des locataires en contravention avec les articles 35 et 36 de la Charte des droits et libertés de la personne qui stipulent :

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants :

1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2° Intercepter ou utiliser une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

De plus, la loi sur le Tabac [L.R.Q. chapitreT-0.01] prévoit à son article 2, par. 7°, qu'il est interdit de fumer dans «les aires communes des immeubles d'habitation comportant six logements ou plus, que ces immeubles soient détenus en copropriété ou non». C'est dire que le législateur n'a jamais interdit aux locataires de fumer à l'intérieur d'un logement résidentiel, même dans les grands immeubles alors que seuls les espaces publics sont visés.

Conséquemment, même si la démarche des locateurs est compréhensible, le tribunal considère que la modification demandée constitue une atteinte sérieuse au droit au maintien dans les lieux des locataires qui ont droit au respect de leur vie privée à l'intérieur de leur logement. »[3]

[37]   De ce qui précède et cette constatation étant juste, le soussigné fait sien l’opinion de Me Jean-Yves Landry sur ce point et estime que les faits et les arguments de la locatrice sont insuffisants en ce qui concerne la modification demandée quant à interdire au locataire de fumer dans le logement loué et ne convainquent pas le Tribunal et ne permettent pas de lui accorder la modification demandée.

[38]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[39]   CONSIDÉRANT que le Tribunal refuse la modification demandée;

[40]   CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation du locataire au paiement des frais introductifs de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]   REJETTE la demande de la locatrice;

[42]   Les conditions du bail demeurent inchangées;


[43]   La locatrice assume les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Grégor Des Rosiers, greffier spécial

 

Présence(s) :

la locatrice

le locataire

Me Nataly Gauvin, avocat du locataire

Date de l’audience :  

20 octobre 2014

 


 



[1] RLRQ, c. C-12.

[2] Canada (Procureur Général) c. JTI - MacDonalds, (2007) C.S.C. 30.

[3] 31 090407 080, R.L., Fixation, 6 octobre 2009, Landry, g.s.

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