CH Université de Montréal et Royer |
2015 QCCLP 566 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
29 janvier 2015 |
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Région : |
Richelieu-Salaberry |
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435476-62A-1104 436469-62A-1104 445047-62A-1107 445064-62A-1107 484846-62A-1210 |
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Dossier CSST : |
132564063 |
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Commissaire : |
Claude-André Ducharme, juge administratif |
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Membres : |
Robert Dumais, associations d’employeurs |
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Roland Meunier, associations syndicales |
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435476 445047 |
436469 445064 484846 |
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C.H. Université de Montréal |
Brigitte Royer |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
et |
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Brigitte Royer |
C.H. Université de Montréal |
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Partie intéressée |
Partie intéressée |
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et |
et
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 28 juin 2013, madame Brigitte Royer (la travailleuse) dépose une requête par laquelle elle demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu’elle a rendue le 9 mai 2013.
[2]
Cette décision de la Commission des lésions professionnelles porte sur cinq
contestations de C. H. Université de Montréal (l’employeur) et de madame Royer
qui concernent différents objets et principalement la réadaptation
professionnelle de cette dernière (détermination de deux emplois convenables,
application de l’article 51 de la Loi sur les accidents du travail et les
maladies professionnelles[1] (la loi),
réouverture du plan individualisé de réadaptation en vertu de l’article
[3] La Commission des lésions professionnelles déclare notamment ce qui suit dans les dossiers 435476-62A-1104 et 436469-62A-1104 :
DÉCLARE que l’emploi d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs est un emploi convenable pour la travailleuse, madame Brigitte Royer;
DÉCLARE que la travailleuse, madame Brigitte Royer, est capable d’exercer l’emploi convenable d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs à compter du 6 décembre 2010, que cet emploi sera disponible chez l’employeur, le Centre Hospitalier Université de Montréal, le 13 décembre 2010 et que la baisse de revenus sera compensée par l’indemnité de remplacement du revenu réduite;
[4] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Saint-Jean-sur-Richelieu le 10 décembre 2014 en présence de madame Royer, de sa représentante et de la représentante de l’employeur. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) a avisé qu’elle ne serait pas représentée à l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] La requête de madame Royer concerne uniquement la décision de la Commission des lésions professionnelles qui déclare que l’emploi d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs constitue un emploi convenable pour elle.
[6] Elle prétend que cette décision comporte des vices de fond qui sont de nature à l’invalider. Elle demande de la réviser, de déclarer qu’il ne s’agit pas d’un emploi convenable pour elle et de retourner le dossier à la CSST pour que celle-ci reprenne le processus de réadaptation.
LES FAITS
[7] Aux fins de la présente décision, il convient de rappeler les éléments suivants du dossier.
[8] Le 5 février 2008, alors qu’elle est âgée de 30 ans, madame Royer subit une lésion professionnelle dans l’exercice de son emploi de technicienne en électrophysiologie médicale.
[9] La lésion est consolidée par le médecin traitant le 13 juillet 2010. Dans un avis émis le 6 décembre 2010, un membre du Bureau d’évaluation médicale conclut qu’elle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique (18 % reconnu par la CSST) et des limitations fonctionnelles qui empêchent madame Royer de reprendre son emploi.
[10] Les démarches de réadaptation professionnelle débutent en juillet 2010. Madame Royer manifeste son intérêt pour des études universitaires en ressources humaines, plus particulièrement un certificat en santé et sécurité du travail, si aucun emploi convenable n’est disponible chez l’employeur. Toutefois, différents emplois sont retenus, comme le mentionne la représentante de madame Royer dans la requête en révision déposée[2] :
8. Le 9 décembre 2010, la CSST rend une décision concernant la capacité de la travailleuse d’occuper l’emploi convenable d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois (3) à l’unité des soins intensifs chez l’employeur (paragraphe 66);
9. Cette décision est confirmée par la Révision administrative et a fait l’objet d’une contestation par la travailleuse, devant la Commission des lésions professionnelles;
10. Le 10
mars 2011, la CSST rend une décision appliquant l’article
11. En raison
de l’application de l’article
12. La
travailleuse a été replacée dans un autre département que l’endoscopie,
toujours comme d’agente administrative/commis intermédiaire, niveau trois (3),
ce qui explique sa demande d’application de l’article
[11] Par la décision rendue le 9 mai 2013, la Commission des lésions professionnelles décide que l’emploi d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs constitue un emploi convenable pour madame Royer. Après avoir cité les articles pertinents de la loi, la juge administrative motive cette décision notamment par les raisons suivantes :
[311] Le tribunal retient de ces dispositions que le législateur a choisi une approche concentrique visant le maintien du lien d’emploi et la protection des acquis du travailleur par un retour chez l’employeur et seulement si cela est impossible, dans un autre milieu du travail.
[312] De plus, le législateur priorise le retour du travailleur à l’emploi prélésionnel, sinon à un emploi équivalent ou à un emploi convenable. Cette gradation illustre que la travailleuse a droit au retour à son emploi, sinon à un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l’emploi qu’occupait la travailleuse au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d’exercice.
[313] Si l’avenue du poste équivalent est inaccessible,
alors la travailleuse a droit à un emploi convenable qui ne comporte pas
nécessairement les mêmes attributs que l’emploi prélésionnel en termes des
qualifications professionnelles requises, du salaire et des conditions
d’exercice. Retenir que l’emploi convenable doit respecter les critères de
l’emploi équivalent viderait la définition de ces deux notions et les
dispositions de l’article
[314] Ainsi, le travailleur pourra bénéficier d’une formation professionnelle seulement s’il lui est impossible d’accéder autrement à un emploi convenable. Ce programme aura pour but de permettre au travailleur d’acquérir les connaissances et l’habileté requises pour exercer un emploi convenable.
[315] Les propos tenus par l’employeur et la travailleuse confirment à la CSST que madame Royer n’est pas capable de reprendre son emploi prélésionnel de façon régulière. Par ailleurs, l’employeur n’a pas d’emploi équivalent à offrir à la travailleuse, comme madame St-Pierre l’a signalé à la CSST et à la travailleuse, ce que confirme madame Therrien dans son exercice de dotation de poste pour la travailleuse. Ces avenues sont donc écartées.
[316] Reste l’avenue d’un emploi convenable chez l’employeur ou ailleurs sur le marché du travail. S’il est impossible à la travailleuse d’accéder autrement à un emploi convenable, alors faudra-t-il envisager la possibilité d’une formation professionnelle.
[317] La travailleuse peut-elle accéder à un emploi convenable chez l’employeur, plus spécifiquement comme commis, niveau trois, à l’unité des soins intensifs ? Le tribunal répond par l’affirmative.
[318] La Commission des lésions professionnelles a déjà statué2 qu’un emploi sera déterminé convenable seulement s’il rencontre chacune des conditions de la définition :
[...]
[319] De plus, la notion d’emploi approprié s’entend de quelque chose qui convient, qui est propre, qui est conforme et adéquat.3
[320] Dans la décision Duguay et Construction du Cap-Rouge4, la Commission des lésions professionnelles retient que le caractère approprié de l’emploi signifie qu’il doit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur. Le tribunal comprend des termes dans la mesure du possible que l’objectif n’est pas de combler chacune des attentes d’une travailleuse, il serait alors illusoire d’y parvenir.
[321] La travailleuse soutient que ce poste n’est pas approprié parce qu’il ne répond pas à ses intérêts ou à ses aspirations professionnelles.
[322] La travailleuse a participé avec sa conseillère en orientation au processus d’identification de pistes d’emploi. Bien qu’elle ait clairement manifesté une préférence pour des emplois professionnels qui lui permettaient d’améliorer sa situation financière, la travailleuse a accepté la piste, troisième option ou plan B, de préposée à l’admission dans un hôpital.
[323] Il s’agit d’un poste important qui constitue le noyau de l’unité des soins intensifs. Cet emploi répond au goût d’interaction de la travailleuse et permet d’atteindre son objectif de venir en aide. La travailleuse a étudié dans le domaine de la santé. Cet emploi lui permet de demeurer dans l’environnement qu’elle a choisi et de venir en aide à des patients. De plus, la travailleuse aime le travail d’équipe et c’est précisément la façon dont elle est appelée à travailler à l’unité des soins intensifs, comme l’explique le responsable, monsieur Eccles.
[324] Le tribunal ne peut retenir que cet emploi n’est pas approprié parce qu’il ne répond pas aux intérêts de la travailleuse. Certes, cette option n’est pas son premier choix, mais la travailleuse y a donné son aval.
[325] Il est clair que ce poste ne répond pas à l’ensemble des aspirations professionnelles de la travailleuse. Ce n’est pas l’emploi idéal. Cependant, la Loi n’exige pas que la CSST détermine l’emploi idéal ou rêvé. La CSST est engagée dans un processus de réadaptation et non de perfectionnement. L’exercice vise à identifier un emploi convenable et non pas un poste équivalent.
[326] Le poste de commis niveau trois à l’unité des soins intensifs est approprié parce qu’il tient compte dans la mesure du possible des intérêts, aptitudes et aspirations professionnelles de la travailleuse.
[327] La travailleuse soutient aussi que ce poste ne tient pas compte de ses qualifications professionnelles.
[328] La travailleuse ne peut plus occuper son emploi prélésionnel. Elle a étudié dans un domaine technique, pointu, qui limite sa mobilité à des postes équivalents. L’employeur a passé en revue les différents postes de techniciens ou de professionnels et les a écartés faute de formation spécifique. Il ne peut lui offrir un poste équivalent. La preuve de l’employeur à cet égard n’a pas été contredite.
[329] Par ailleurs, elle est employée depuis sept ans chez l’employeur, elle connaît le milieu de travail et l’unité des soins intensifs qu’elle a fréquentée comme technicienne, elle connaît les intervenants, le langage médical, les différents examens disponibles et leur l’importance pour les patients. Elle a passé les examens de rangement et elle est qualifiée pour ce poste.
[330] Le poste tient donc compte de ses qualifications professionnelles.
__________
2 St-Arnaud et
Transport GS inc.,
3 Lacasse et Pêcheries Herman Synott inc., C.L.P. 198927-01B0301, le 22 août 2003, J. - F. Clément.
4
[12] Au soutien de la requête en révision de cette décision, la représentante de madame Royer écrit que la juge administrative commet une grave erreur en priorisant le maintien du lien d’emploi au détriment du respect des critères de l’emploi convenable prévus à la loi.
[13] Elle allègue de plus que la juge administrative commet une erreur sur la notion d’emploi équivalent. Elle commente ainsi ce qu’écrit cette dernière au paragraphe 313 de la décision :
28. De plus, il ressort de ce paragraphe que la Commission commet une autre erreur et confond les notions d’emploi équivalent et d’emploi convenable. Elle fait de la question de l’emploi équivalent une étape entre la détermination de la capacité à occuper l’emploi prélésionnel et le passage à la détermination d’un emploi équivalent, alors qu’il n’en est rien. La détermination d’un emploi équivalent n’est pertinent [sic] que lorsqu’une personne serait en mesure d’occuper son emploi prélésionnel, mais que cet emploi n’est plus disponible. La Commission retient ainsi que ce n’est qu’à l’égard de la détermination d’un emploi équivalent qu’on devrait se préoccuper que l’emploi ait les mêmes attributs que l’emploi prélésionnel quant aux qualifications professionnelles, alors que le critère de la qualification professionnelle doit aussi être rencontré pour qu’un emploi soit jugé convenable;
[14] Elle allègue que la juge administrative commet une erreur en décidant que l’emploi d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs respecte le critère de qualification professionnelle. Elle écrit :
30. De plus, il ressort clairement de la jurisprudence que les éléments mentionnés au paragraphe 329 de la décision de la Commission sur lesquels elle s’appuie pour conclure que les qualifications de la travailleuse sont respectées sont nettement insuffisants;
31. Également, la Commission omet complètement de prendre en compte la preuve claire à l’effet que l’emploi déterminé n’a pas du tout le même niveau de complexité et que la travailleuse, à titre de technicienne en électrophysiologie médicale, occupait un emploi qui nécessitait un DEC (paragraphes 182 et 185). Or, le maintien du statut professionnel est un aspect important dans la détermination d’un emploi convenable;
[15] La représentante de madame Royer prétend également que la juge administrative commet une erreur grave de fait lorsqu’elle conclut que l’emploi déterminé constitue un emploi approprié en retenant que madame Royer avait accepté, comme troisième option ou plan B, la piste de préposée à l’admission dans un hôpital (paragraphe 322).
[16] Elle soumet ce qui suit :
34. Il ressort très clairement de la preuve faite devant la Commission que la travailleuse n’a jamais donné son aval à un tel emploi :
· Cet emploi n’était qu’un plan B que la conseillère en orientation devait déterminer, selon le mandat donné par la CSST, soit un emploi ne nécessitant aucune formation (paragraphes 179, 181, 183);
· La travailleuse ne démontre aucun intérêt pour ce type d’emploi (paragraphes 179 et 216);
· La travailleuse a choisi cet emploi parce qu’il était le « moins pire » de la liste (paragraphe 195);
· Il s’agit d’un emploi « hyperdégradant, pas intéressant et en deçà de ses capacités » (paragraphe 212);
· Il ne s’agit pas d’un poste qu’elle a choisi et pour lequel elle a étudié (paragraphe 214);
35. La Commission commet donc une erreur manifeste lorsqu’elle conclut, au paragraphe 324, que la travailleuse aurait « donné son aval » à l’emploi et qu’il serait en conséquence approprié;
36. La décision de la Commission est d’autant plus étonnante qu’elle reconnaît pourtant, au paragraphe 325, que le poste ne répond pas aux aspirations professionnelles de la travailleuse;
[17] Lors de l’audience, la représentante de madame Royer a repris ces arguments.
[18] Concernant le critère des qualifications professionnelles, elle ajoute que la juge administrative s’est limitée à examiner si madame Royer était capable d’occuper l’emploi d’agente administrative/commis sans prendre en considération sa surqualification à l’occuper. Elle plaide également que la juge administrative commet une erreur manifeste en ajoutant comme critère de l’emploi convenable celui du maintien du lien d’emploi. Enfin, elle dépose et commente de la jurisprudence au soutien de son argumentation.
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la requête doit être rejetée.
[20] Ils estiment que la conclusion à laquelle en vient la juge administrative résulte de son appréciation des éléments de la preuve au dossier et qu’elle ne comporte aucune erreur manifeste qui justifierait sa révision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 9 mai 2013.
[22] Le
pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer
une décision qu’elle a rendue est prévu par l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendu :
1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l’ordre ou l’ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l’a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[23] Cet
article apporte une dérogation au principe général énoncé par l’article
[24] La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider la décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[3]. Elle précise qu’il ne peut pas s’agir d’une question d’appréciation de la preuve ni d’interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n’est pas un second appel[4].
[25] Dans l’arrêt Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], la Cour d’appel rappelle ces règles comme suit :
21. La notion [de vice de fond de nature à invalider une décision] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
22. Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments1.
_______________
1. Voir: Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et Preuve, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-508. J.P. VILLAGI, dans Droit public et administratif, Vol. 7, Collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129.
[26] La Cour d’appel réitère cette position dans l’arrêt Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[6] lorsqu’elle écrit (juge Morissette) :
[51] En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première (51). Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le Tribunal administratif « commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decision merely because it disagrees with is findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions » (52). L’interprétation d’un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique » (53) mais, comme « il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter »(54) un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le Tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision)(55). Enfin, le recours en révision « ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits » : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut « ajouter de nouveaux arguments » au stade de la révision (56).
_______________
(51) Voir l’arrêt Godin, supra, note 12, paragr. 47 (le juge Fish) et 165 (le juge Chamberland) et l’arrêt Bourassa, supra, note 10, paragr. 22.
(52) Ibid., paragr. 51.
(53) Arrêt Amar, supra, note 13, paragr. 27.
(54) Ibid., paragr. 26.
(55) Supra, note 10, paragr. 24.
(56) Ibid., paragr. 22.
[27] Ces arrêts de la Cour d’appel invitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue dans l’exercice de son pouvoir de révision, comme elle l’indique dans l’extrait suivant de la décision Savoie et Camille Dubois (fermé)[7] :
[18] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[28] Plus récemment, la Cour d’appel a rappelé sa position, comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans la décision Lavigne et Menuiserie East Angus inc.[8] :
[14] Encore, récemment, la Cour d’appel dans l’affaire A. M. c. Régie de l’assurance maladie du Québec9 se prononce à nouveau sur le pouvoir d’un tribunal administratif qui relève de l’ordre juridictionnel, de réviser ses propres décisions. Après un rappel des principes qui se dégagent des affaires Godin10, Régie des alcools, des courses et des jeux11 et Fontaine12, la Cour réitère que le pouvoir de révision s’applique de façon exceptionnelle et ajoute ce qui suit :
[48] Dans M.L. c. PGQ[26], les juges Duval Hesler et Beauregard, alors majoritaires, se disent d’avis qu’une divergence d’opinions, même sur une question importante, ne constitue pas un vice de fond[27], que le recours en révision n’est pas un moyen déguisé de reprendre le même débat à partir des mêmes faits[28]. Pour le juge Beauregard, une décision entachée d’un vice de fond doit être assimilée à une décision légalement nulle.
[…]
[65] Nous l’avons vu, un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.
[66] Les qualificatifs utilisés par la Cour ne manquent pas : « serious and fundamental defect, fatal error, unsustainable finding of facts or law », décision ultra vires ou légalement nulle.
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10 Précitée, note 3.
11 Épiciers
unis Métro-Richelieu inc. c. Régie des alcools, des courses et des jeux,
12 Précitée, note 3.
[29] Le tribunal estime que les arguments invoqués au soutien de la requête ne peuvent être retenus.
[30] Comme le plaide la représentante de l’employeur, si la juge administrative accorde une importance à l’approche concentrique et au maintien du lien d’emploi, rien n’indique dans les motifs énoncés qu’elle en fait un critère de l’emploi convenable.
[31] La position que retient la juge administrative concernant l’étape intermédiaire que constituerait l’emploi équivalent dans le processus de réadaptation professionnelle s’écarte de la position suivie par la jurisprudence[9] qui est celle exposée par la représentante de madame Royer.
[32] Cela ne donne pas pour autant ouverture à la révision. Il s’agit d’une question d’interprétation de la notion d’emploi équivalent qui relevait de la juge administrative, tout comme d’ailleurs sa conclusion voulant que l’emploi convenable ne comporte pas nécessairement les mêmes attributs en termes de qualifications professionnelles que ceux de l’emploi prélésionnel ou ceux de l’emploi équivalent qui doivent, selon elle, être semblables à ces derniers.
[33] Comme l’écrit la Cour d’appel dans l’arrêt Fontaine cité précédemment, l’interprétation d’un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique ». Rappelons que cette dernière affaire portait sur l’interprétation d’une question de droit en matière de réadaptation professionnelle qui se démarquait de celle qui était généralement suivie en jurisprudence.
[34] En ce qui a trait aux erreurs invoquées concernant le respect des qualifications professionnelles et le caractère approprié de l’emploi, la juge administrative tient compte des prétentions de madame Royer, mais elle ne les retient pas pour les raisons qu’elle explique aux paragraphes 321 à 330 de la décision qui sont cités précédemment. La conclusion à laquelle elle en vient sur ces critères de l’emploi convenable repose sur des éléments de la preuve au dossier, n’est pas fondée sur une erreur manifeste de fait ou de droit et résulte de l’appréciation qu’elle a faite de cette preuve.
[35] Il est possible qu’un autre juge administratif ait retenu les arguments de madame Royer et ait conclu que l’emploi d’agente administrative/commis intermédiaire niveau trois à l’unité des soins intensifs ne constitue pas un emploi convenable pour elle, mais cette situation ne donne pas ouverture à la révision. Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Régie de l’assurance maladie du Québec mentionné précédemment, le vice de fond n’est pas une divergence d’opinions à partir des mêmes faits.
[36] Après considération de la preuve au dossier, des arguments soumis par les représentantes des parties et de la jurisprudence déposée, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que madame Royer n’a pas démontré que la décision rendue le 9 mai 2013 comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider et en conséquence, que sa requête en révision doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de madame Brigitte Royer.
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Claude-André Ducharme |
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Me Sophie Cloutier |
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POUDRIER BRADET, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Stéphanie Rainville |
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MONETTE BARAKETT & ASS. |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Rébecca Branchaud |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Les paragraphes mentionnés réfèrent aux paragraphes de la décision.
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve,
[4] Sivaco Québec inc. c. C.A.L.P.,
[5]
[6]
[7] C.L.P.
[8]
[9] Ville de Verdun et Vandal, C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.