Décision

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Leclerc c. Capital Transit inc.

2017 QCCS 6200

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

 

N° :

200-17-022680-151

 

 

 

DATE :

13 novembre 2017

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GEORGES TASCHEREAU

______________________________________________________________________

 

YVES LECLERC

Demandeur

c.

CAPITAL TRANSIT INC., 2035, rue du Haut-Bord, suite 300, Québec, district de Québec - G1N 4R7

Défenderesse

Et

PIERRE PAPILLON, domicilié et résidant au […], Saint-Augustin-de-Desmaures, district de Québec - […]

FRENETTE & FRÈRES LTÉE, 376, 2e Avenue (Route 138), Portneuf, district de Québec - G0A 2Y0

GESTION CARL TANGUAY INC., 492, rue Laurier, Saint-Apollinaire, district de Québec - G0S 2E0

MARC-ANTOINE LAVOIE, domicilié et résidant au […], Québec, district de Québec - […]

LAURENT PARÉ - Gagnon Sénéchal Coulombe inc., 800, boul. des Capucins, Québec, district de Québec - G1J 3R8

RICHARD VEILLEUX - Richard Veilleux Huissier de justice, 737, rue des Charmilles, Lévis, district de Québec - G7A 2C8

            Mis-en-cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur demande la rétractation d’un jugement rendu par la Cour supérieure le 30 août 2017 qui a conclu au rejet de sa demande introductive d’instance.

LE CONTEXTE

[2]           Le demandeur a introduit contre la défenderesse une demande en revendication de biens et en dommages-intérêts qui a été signifiée à cette dernière le 10 août 2015.

[3]           Parallèlement à cette demande, il a également introduit contre les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux une demande en contestation de procès-verbal d’huissier qui a été signifiée à ces derniers le 20 mai 2016.

[4]           Le protocole d’instance le plus récent au dossier a été signé par le demandeur, la défenderesse et les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux les 15 et 16 décembre 2016. Il prévoyait que la défenderesse produirait un exposé sommaire de sa défense au plus tard le 20 janvier 2017, que son représentant, Pierre Papillon, serait interrogé au préalable au plus tard le 17 février suivant, qu’elle communiquerait ses pièces au plus tard le 3 mars et que la demande d’inscription pour instruction et jugement serait produite au plus tard le 3 mars. Un juge de notre cour a donné son aval à ce protocole le 16 décembre 2016.

[5]           Le demandeur et la défenderesse ont fait, le 3 mars, une demande d’inscription par une déclaration commune qui n’était cependant pas signée par les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux.

[6]           Peu après, le 17 mars, les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux ont demandé au tribunal que le délai pour l’interrogatoire de monsieur Pierre Papillon soit prolongé jusqu’au 21 avril et que le délai de signification et de production de la demande d’inscription pour instruction et jugement soit prolongé jusqu’au 26 mai. Par jugement rendu le 24 mars, le juge qui a entendu les parties a plutôt prolongé jusqu’au 15 septembre le délai pour la production de la demande d’inscription pour instruction et jugement et ordonné aux parties de produire au dossier une déclaration commune modifiée lorsqu’elles auraient déterminé si la demande d’inscription de faux dirigée contre les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux, incidente au débat principal, devrait être traitée au préalable ou en même temps que le fond.

[7]           Il n’y a jamais eu de suite à cette ordonnance.

[8]           Le 21 juin, le procureur du demandeur a donné avis qu’il entendait cesser d’occuper pour ce dernier.

[9]           Le 27 juillet, la défenderesse et les mis en cause Pierre Papillon et Marc-Antoine Lavoie ont signifié au demandeur une mise en demeure de désigner un nouvel avocat pour le représenter ou d’indiquer à toutes les parties son intention d’agir seul, dans les dix (10) jours de la notification.

[10]        La mise en demeure précisait ce qui suit :

(…)

      Si vous ne désignez pas un nouvel avocat dans ce délai de dix jours, l’instance se poursuivra comme si vous n’étiez pas représenté par avocat.

(…)

[11]        Le défendeur n’a pas répondu à cette mise en demeure dans le délai imparti.

[12]        Le 23 août, la défenderesse a notifié par courriel au demandeur sa demande en rejet de la demande introductive d’instance de ce dernier, appuyée sur l’alinéa 2 de l’article 192 C.p.c. et alléguant essentiellement ce qui suit :

(…)

3.   Le demandeur n’a pas répondu à cette mise en demeure, n’a pas désigné un nouvel avocat pour le représenter dans cette cause et n’a pas fait part de son intention d’agir seul, tel qu’il appert au dossier de la cour.

(…)

[13]        La demande en rejet était accompagnée d’un avis qu’elle serait présentée pour décision le 30 août, à 8 h 45.

[14]        Le demandeur n’était pas présent à l’audience le 30 août, à 9 h 19, au moment où la cause a été appelée.

[15]        Le jugement concluant au rejet de la demande introductive d’instance a été rendu oralement à l’audience.

ANALYSE

[16]        L’article 192 C.p.c. prévoit :

192. Avant le délibéré, si l’avocat d’une partie se retire, meurt ou devient inhabile à exercer sa profession, la partie doit être mise en demeure de désigner un nouvel avocat pour la représenter ou d’indiquer aux autres parties son intention d’agir seule. Elle doit répondre à cette mise en demeure dans les 10 jours de sa notification. Aucun acte de procédure ne peut être fait ni aucun jugement rendu pendant ce temps.

 

Si la partie ne désigne pas un nouvel avocat, l’instance se poursuit comme si elle n’était pas représentée. Si cette partie ne respecte pas le protocole de l’instance ou les règles de la représentation, toute autre partie peut demander l’inscription pour jugement si elle est demanderesse ou le rejet de la demande si elle est défenderesse.

 

(…)

(nos soulignements)

[17]        Le demandeur n’ayant pas répondu dans les 10 jours à la mise en demeure signifiée par huissier, l’instance, comme l’article 192 C.p.c. l’indique, se poursuivait comme si le demandeur n’était pas représenté.

[18]        Il faut se souvenir que, le 3 mars, le demandeur et la défenderesse avaient produit une demande d’inscription par une déclaration commune dont ils étaient les seuls signataires et que, deux semaines plus tard, les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux, qui n’avaient pas signé la déclaration commune du 3 mars, avaient demandé une prolongation de délai. Ils avaient besoin de temps pour interroger le représentant de la défenderesse, Pierre Papillon, dont l’interrogatoire avait été prévu dans le protocole de décembre, mais qu’ils n’avaient pas été en mesure d’interroger en raison, essentiellement, de la réception tardive de certaines informations requises des procureurs de la défenderesse au début de février.

[19]        Il faut se souvenir également que, par le jugement du 24 mars, la Cour supérieure avait prolongé jusqu’au 15 septembre le délai pour la production de la demande d’inscription pour instruction et jugement.

[20]        Dans la foulée de ce jugement, il revenait d’abord aux mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux de faire le nécessaire pour interroger monsieur Papillon. Selon ce que le tribunal a compris à l’audience, cet interrogatoire a eu lieu. Les parties devaient par ailleurs déterminer si la demande d’inscription de faux dirigée contre les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux serait traitée au préalable ou en même temps que le fond, puis, lorsque ce serait fait, produite une déclaration commune modifiée.

[21]        Tout ce qui précède devait être accompli à l’intérieur d’un délai venant à terme le 15 septembre. Cela étant, il paraît raisonnable d’inférer que le 23 août, date que porte la demande de la défenderesse en rejet, et le 30 août, date à laquelle elle a été présentée au tribunal, le demandeur n’était pas en défaut de respecter le protocole d’entente.

[22]        Il n’a pas été fait mention de ce délai jusqu’au 15 septembre accordé aux parties et aux mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux par le jugement du 24 mars, devant le juge qui a entendu la demande en rejet, le 30 août.

[23]        Il est également prévu au deuxième alinéa de l’article 192 C.p.c. que la défenderesse peut demander le rejet de la demande de la partie qui n’a pas désigné un nouvel avocat, si cette dernière « ne respecte pas les règles de la représentation ». Cette proposition conditionnelle réfère aux règles énoncées aux articles 86 C.p.c. et suivants concernant la représentation devant les tribunaux et certaines conditions pour agir. Ces dernières ne sont d’aucune façon pertinentes à la présente affaire et il n’y a pas lieu d’en poursuivre davantage l’analyse.

[24]        Au 5e paragraphe de sa demande en rétractation de jugement, le demandeur allègue que la notification par courriel qui lui a été faite de la requête en rejet n’est pas conforme. Cette allégation prend appui sur l’article 133 C.p.c. :

133. La notification par un moyen technologique se fait par la transmission du document à l’adresse que le destinataire indique être l’emplacement où il accepte de le recevoir ou à celle qui est connue publiquement comme étant l’adresse où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi.

 

Cependant, la notification par un tel moyen n’est admise à l’égard de la partie non représentée que si celle-ci y consent ou que le tribunal l’ordonne.

(notre soulignement)

[25]        Cet article se trouve au chapitre VI, intitulé « La notification des actes de procédure et documents » du titre III du Code de procédure civile, intitulé « La compétence des tribunaux ». Les règles de ce chapitre énoncent des modalités d’application, au niveau procédural, de la règle audi alteram partem. Toute partie touchée par une procédure doit en être avisée conformément à ces règles, à défaut de quoi celle-ci ne peut lui être opposée.

[26]        Considérant, d’une part, que, selon l’article 133 C.p.c., la notification par un moyen technologique n’est admise à l’égard d’une partie non représentée que si celle-ci y consent ou que le tribunal l’ordonne et, d’autre part, qu’il n’y a pas de preuve que le demandeur a consenti à la notification de la demande en rejet par ce moyen, et qu’aucune autorisation judiciaire n’a été obtenue, il faut conclure que la demande en rejet ne lui a pas été valablement notifiée.

[27]        La défenderesse a prétendu à l’audience que le demandeur, en communiquant son adresse courriel au procureur qui le représentait jusqu’en juin dernier, avait accepté que des documents lui soient notifiés par courriel. Cette prétention ne peut être retenue. Le mode de communication dont une partie et son procureur conviennent pour l’échange d’écrits entre eux est sans effet sur l’application des règles relatives à la notification des actes de procédure et documents entre les parties à un litige.

[28]        Les mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux ont par ailleurs prétendu que l’allégation du demandeur, au paragraphe 4 de sa demande en rétractation de jugement, que la défenderesse lui avait notifié la demande en rejet par courriel le 30 août, était une admission que telle notification avait été faite. Cette prétention ne peut davantage être retenue. Le texte du deuxième alinéa de l’article 133 est formel : à moins que le tribunal l’ordonne, la notification par un moyen technologique n’est admise, donc permise, à l’égard de la partie non représentée que si celle-ci y consent. Or, avoir connaissance d’un fait ne signifie pas que l’on y consent.

[29]        Au-delà de tout exercice de sémantique, il convient de noter que, le 22 août 2017, soit la veille du jour où la défenderesse a notifié sa demande en rejet au demandeur par courriel et 8 jours avant la présentation de cette dernière, on a diagnostiqué chez ce dernier une dépression majeure et qu’il a été placé sous médication. Le 8 septembre suivant, on a plus précisément émis un diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive avec récidive de dépression majeure. Il a dû être hospitalisé en psychiatrie du 5 octobre au 20 octobre et continuait d’être suivi à l’hôpital de jour le 25 octobre, le jour où la requête en rétractation de jugement a été présentée.

[30]        Il convient également de noter que, au cours de la période du 20 septembre au 3 octobre 2010, soit juste avant son hospitalisation, le demandeur a manqué deux rendez-vous avec son médecin traitant.

[31]        Ces faits convainquent le tribunal qu’à l’époque de la notification de la requête en rejet de la défenderesse au demandeur, comme à l’époque de sa présentation, le demandeur était dans un état de profonde détresse.

[32]        Le demandeur ne semble pas parvenu au bout du tunnel sur le plan de sa santé. Lors de son témoignage à l’audience sur la présente demande en rétractation, sa tristesse et sa grande émotivité étaient facilement perceptibles.

[33]        Le tribunal retient enfin que, le jour de la présentation de la requête en rejet, le demandeur s’est rendu au Palais de justice plus tard en avant-midi, après s’être entretenu avec un ami qui lui procure appui et soutien depuis qu’il connaît ces problèmes de santé. Lorsqu’il est arrivé, il était trop tard. L’affaire avait été entendue et jugement avait été rendu.

[34]        L’article 345 C.p.c. prévoit, à son premier alinéa :

345. Le jugement peut, à la demande d’une partie, être rétracté par le tribunal qui l’a rendu si son maintien est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice; il en est ainsi si le jugement a été rendu par suite du dol d’une autre partie ou sur des pièces fausses ou si la production de pièces décisives avait été empêchée par force majeure ou par le fait d’une autre partie.

(…)

[35]        Madame la juge Marie-Josée Hogue, de la Cour d’appel, dans ses commentaires concernant l’article 345 du nouveau Code de procédure civile, écrit :

« En premier lieu, alors que les causes donnant ouverture à la rétractation étaient énumérées limitativement, la disposition modifie cette approche. (…)

Cette disposition reprend en partie l’ancien droit mais le modifie à plusieurs égards. L’élément qui apparaît le plus important est que le jugement peut être rétracté si son maintien est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Il s’agit-là d’un motif général qui peut s’appliquer à un grand nombre de situations. (…)

Auparavant, les circonstances donnant ouverture à une rétractation de jugement étaient énumérées à l’article 483 C.p.c. et il existait une controverse quant à savoir si cette liste était limitative. Il est clair maintenant que les circonstances identifiées à l’article 345 ne sont pas exhaustives, ce qui était d’ailleurs la position de la jurisprudence dominante dans le passé. Il faut aussi rappeler que les tribunaux, malgré le libellé de l’article 483 a. C.p.c. ont généralement accepté de rétracter un jugement lorsqu’ils jugeaient cela nécessaire pour remédier à une injustice.

L’approche maintenant utilisée par le législateur est différente. En optant pour la notion de déconsidération de la justice, il indique clairement son intention de confier au juge saisi d’une telle demande une grande discrétion. (…) La rétractation de jugement demeure néanmoins une exception à la règle de l’irrévocabilité des jugements et il faut encore des motifs sérieux pour justifier une rétractation de jugement.[1]

[36]        Le tribunal fait siens les propos de madame la juge Hogue.

[37]        Dans le présent dossier, les circonstances, telles que révélées par le dossier et la preuve, justifient à l’évidence la rétractation du jugement rendu par notre Cour le 30 août dernier. Il sera donc fait droit à la demande du demandeur.

[38]        Le délai pour répondre à l’ordonnance rendue par notre Cour le 24 mars dernier sera par ailleurs prolongé jusqu’au 15 décembre prochain, une date choisie par le tribunal dans l’espoir que la cause pourra ainsi être mise au rôle lors de l’appel du rôle du 19 janvier 2018.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]        RÉTRACTE le jugement rendu par la Cour supérieure le 30 août 2017 sur la demande de la défenderesse en rejet d’action;

[40]        RELÈVE le demandeur de son défaut;

[41]        PREND ACTE de la déclaration du demandeur qu’il a désigné Me Gilles Gagnon, de Bernier Fournier inc., à titre d’avocat pour le représenter;

[42]        PROLONGE jusqu’au 15 décembre 2017 le délai pour la production de la demande d’inscription pour l’inscription et jugement;

[43]        ORDONNE aux parties de produire au dossier de la Cour, au plus tard le 15 décembre 2017, une déclaration commune modifiée;

[44]        Sans frais de justice.

 

 

 

__________________________________

GEORGES TASCHEREAU, j.c.s.

 

Me Alexandra Raymond-Plante pour

Me Gilles Gagnon

Bernier Fournier Inc.

651, rue Lindsay

Drummondville (Qc) J2B 1J1

Procureurs du demandeur

 

Me Mathieu Therrien

Lévesque Lavoie (casier 106)

Procureurs de la défenderesse et des mis en cause

Pierre Papillon et Marc-Antoine Lavoie

 

 

Me Vincent Lemay pour

Me Maud Rivard

Stein Monast (casier 14)

Procureurs des mis en cause Laurent Paré et Richard Veilleux

 

Date d’audience :

25 octobre 2017

 



[1]     Marie-Josée HOGUE, dans le Grand collectif, Code de procédure civile, commentaires et annotations (sous la direction de Luc Chamberland), vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 1572 et 1573.

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