Costco-Gatineau et Baril-Laflamme |
2016 QCTAT 1645 |
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Dossier 571454-07-1504
[1] Le 20 avril 2015, Costco-Gatineau (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 1er avril 2015 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 8 septembre 2014 et déclare que le diagnostic de hernie discale L4-L5 droite est en relation avec l’événement du 8 février 2014 et que madame Marie-Pier Baril-Laflamme (la travailleuse) a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en regard de ce diagnostic.
Dossier 589756-07-1511
[3] Le 10 novembre 2015, l'employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 15 octobre 2015 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST déclare sans objet la demande de révision de l'employeur concernant l’admissibilité et confirme la décision initiale du 26 août 2015 faisant suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d'évaluation médicale le 21 juillet 2015 en rapport avec l’événement du 8 février 2014 concernant le diagnostic et la question de la suffisance des soins ou traitements. La CSST déclare être justifiée de poursuivre le paiement des soins ou traitements puisqu’ils sont nécessaires.
[5] Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] (la LITAT) est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.
[6] La présente décision est donc rendue par le soussigné en sa qualité de membre du Tribunal administratif du travail.
[7] De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) assume les compétences autrefois dévolues à la CSST.
[8] Une audience est tenue à Gatineau le 7 mars 2016 en présence de la travailleuse et du procureur de l'employeur. Le délibéré débute le même jour.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 571454-07-1504
[9] L'employeur demande au Tribunal administratif du travail de déclarer qu’en l’absence de diagnostic de hernie discale, la lésion professionnelle du 8 février 2014 doit être reconnue en lien avec un diagnostic d’entorse lombaire avec sciatalgie droite.
Dossier 589756-07-1511
[10] L'employeur demande au Tribunal administratif du travail de déclarer que le diagnostic de lésion professionnelle du 8 février 2014 est celui d’entorse lombaire avec sciatalgie droite. Il n’a pas de commentaires quant à la question des soins ou traitements.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[11] Le Tribunal administratif du travail doit décider des questions du diagnostic et de la nature et suffisance des soins ou traitements en lien avec la lésion du 8 février 2014.
[12] La question de la relation entre le diagnostic retenu et la lésion professionnelle du 8 février 2014 doit également être décidée.
[13] La travailleuse occupe le poste d’emballeuse chez l'employeur lorsqu’elle subit une lésion professionnelle le 8 février 2014. Alors qu’elle est assise sur une chaise les jambes allongées et posées sur une autre chaise, un collègue voulant faire une blague tire sur sa chaise, de sorte que la travailleuse tombe par terre sur le dos.
[14] La docteure Isabelle Cloutier, médecin qui a charge de la travailleuse, pose un diagnostic initial de contusion dorsolombaire le 11 février 2014, diagnostic qu’elle reconduit les 25 février, 28 mars et 29 mai 2014.
[15] Le 18 juin 2014, le radiologue Martin Lecompte interprète une résonance magnétique démontrant la présence d’une hernie discale paracentrale droite à L4-L5 et, le 14 août 2014, la docteure Cloutier inscrit le diagnostic de hernie discale L4-L5 droite sur un rapport médical.
[16] Le 14 octobre 2014, la travailleuse rencontre le docteur Robert D. Belzile, médecin-conseil en santé du travail, à la demande de l'employeur. Il conclut à la présence d’une contusion lombaire avec sciatalgie droite, indiquant que la hernie discale est purement radiologique et non clinique.
[17] Le 17 mars 2015, la travailleuse rencontre le chirurgien orthopédiste Pierre Major à la demande de l'employeur. Ce médecin retient un diagnostic d’entorse lombaire avec éléments de sciatalgie droite, mais sans atteinte neurologique associée, de sorte que le diagnostic de hernie discale ne peut être retenu selon lui.
[18] Le 5 mai 2015, la docteure Cloutier produit un rapport complémentaire dans lequel elle indique avoir lu le rapport du docteur Major en présence de la travailleuse. Elle écrit que les renseignements contenus dans ce rapport lui apparaissent exacts en ce qui concerne la symptomatologie et l’examen physique. Elle ajoute que l’examen du docteur Major est identique à son propre examen. Elle se dit d’accord avec le diagnostic émis.
[19] Le 1er juin 2015, la docteure Cloutier produit un rapport final consolidant la lésion professionnelle le jour même avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Elle retient le seul diagnostic d’entorse lombaire avec éléments de sciatalgie droite.
[20] Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la CSST ne pouvait plus référer la question du diagnostic au Bureau d'évaluation médicale. Le docteur Jacques Demers, membre du Bureau d'évaluation médicale qui rencontre la travailleuse le 23 juin 2015, ne devait pas se saisir de cette question du diagnostic. En traitant quand même de cette question, son avis devient irrégulier et doit être annulé à cet égard.
[21] En effet, comme le soulève à juste titre le représentant de l'employeur, il n’y a aucune mésentente entre le médecin de l'employeur et le médecin qui a charge de la travailleuse au niveau du diagnostic comme les faits mentionnés plus haut le révèlent. Le membre du Bureau d'évaluation médicale aurait donc dû constater que lorsqu’il a été saisi du dossier, cette question avait été réglée par entente entre les deux médecins concernés et la CSST ne devait pas demander au Bureau d'évaluation médicale de se prononcer sur cette question.
[22] Aux articles 199 et suivants de la loi, le législateur a prévu une procédure d’évaluation médicale.
[23] Il y a lieu de reproduire certains articles qui y sont contenus :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
209. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.
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1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 5.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[24] À la lecture de ces dispositions, on constate que le législateur a choisi de donner un rôle prédominant au médecin qui a charge de la travailleuse, de sorte que son opinion sur les cinq points prévus à l’article 212 de la loi lie la Commission, l’instance de révision administrative et le Tribunal administratif du travail[3].
[25] La prépondérance de l’avis du médecin qui a charge s’impose aussi à la travailleuse qui ne peut le contester puisqu’aucune disposition de la loi ne permet à la travailleuse de contester le rapport de son propre médecin[4].
[26] La loi prévoit cependant des recours pour l’employeur et la CSST, lesquels pourront faire examiner la travailleuse par un médecin de leur choix et éventuellement demander une référence du dossier au Bureau d’évaluation médicale pour faire trancher le litige. C’est alors que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale deviendra à son tour prépondérant au sens de l’article 224.1 de la loi.
[27] On peut donc constater que l’avis du médecin traitant est liant de plein droit et sans démarche supplémentaire alors que l’avis du Bureau d’évaluation médicale fera suite à une procédure de contestation par la Commission ou l’employeur.
[28] L’étude de toutes ces dispositions indique clairement que le recours au Bureau d’évaluation médicale devient nécessaire pour trancher une contradiction entre l’avis d’un médecin qui a charge et l’avis d’un médecin désigné. Tant que l’employeur et la Commission sont d’accord avec l’avis du médecin qui a charge, ils n’ont qu’à ne pas agir. Du moment où ils sont en désaccord, ils doivent alors agir en obtenant une expertise d’un médecin désigné.
[29] Si le médecin désigné confirme l’avis du médecin qui a charge, il n’y aura alors aucun litige et aucune référence au Bureau d’évaluation médicale. S’il y a divergence d’opinions, le médecin qui a charge pourra se ranger à l’opinion du médecin désigné et encore là, il n’y aura plus de litige et en conséquence absence d’intérêt de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale.
[30] Ce n’est que lorsque, à la suite de son rapport complémentaire, le médecin qui a charge persiste dans son opinion initiale laquelle est contredite par un médecin désigné que le dossier devra être référé au Bureau d’évaluation médicale. Il en ira pareillement si le médecin qui a charge ne produit pas de rapport complémentaire.
[31] Toute autre interprétation amènerait à conclure que le Bureau d’évaluation médicale peut trancher des litiges artificiels qui n’existent pas dans la réalité alors qu’il est plutôt là pour trancher une divergence entre deux médecins.
[32] Le Bureau d’évaluation médicale est là pour trancher des litiges et non pour en créer. Il est là pour trancher un litige entre deux médecins et non pour trancher un litige inexistant lorsqu’il y a unanimité entre les médecins concernés.
[33] Pourquoi « judiciariser médicalement » des questions médicales qui font l’unanimité, comme celle du diagnostic en l’espèce, parce qu’une autre question fait problème dans le cadre d’un processus voulu par le législateur comme simple, souple et rapide[5]? Pourquoi mettre de côté l’unanimité sur un sujet parce qu’il y a divergence sur un autre? En l’espèce, l’avis du Bureau d’évaluation médicale n’aurait donc dû porter que sur la question des soins, seul litige qui persistait.
[34] En effet, la Commission ne peut pas, par le biais de la procédure d’évaluation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale, remettre en cause l’un des éléments prévus à l’article 212 qui n’est pas infirmé par le médecin de la Commission ou qui fait l’objet d’un accord par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire[6].
[35] Le Tribunal estime que le membre du Bureau d’évaluation médicale désigné dans le cadre d’une contestation ne doit pas se prononcer sur l’un ou l’autre des sujets énoncés à l’article 212 alors qu’une telle conclusion médicale n’est pas infirmée à l’égard de l’un ou de l’autre de ces sujets.
[36] Même l’article 221 de la loi ne permet pas d’agir ainsi de l’avis du Tribunal. Le but du processus d’évaluation médicale est de régler des litiges d’ordre médical et en conséquence, lorsque certaines conclusions d’ordre médical ne sont pas infirmées, la Commission demeure liée par les conclusions du médecin qui a charge de la travailleuse[7].
[37] Bien que l’article 221 permette au Bureau d’évaluation médicale de donner son avis sur l’un des éléments médicaux lorsque le médecin de la travailleuse, celui de l’employeur ou celui de la Commission ne se sont pas prononcés sur le sujet, ce n’est pas le cas en l’espèce, car les deux médecins se sont prononcés de façon identique sur le diagnostic, de sorte que seule la question des soins pouvait faire l’objet d’une référence au Bureau d’évaluation médicale[8].
[38] Que le membre du Bureau d’évaluation médicale puisse se prononcer sur des questions sur lesquelles le médecin qui a charge ou le médecin désigné ne se sont pas prononcés, soit. Cela ne fait pas en sorte qu’il peut se prononcer sur des questions sur lesquelles ils se sont non seulement prononcés mais aussi entendus.
[39] Quant à la possibilité pour la Commission d’obtenir l’accord du médecin qui a charge par le biais du rapport complémentaire prévu à l’article 205.1, elle est bien établie par la jurisprudence[9]. La Commission devient alors liée par l’avis du médecin qui a charge lorsqu’il entérine les conclusions du médecin désigné.
[40] Bref, en l’absence de litige entre l’avis du médecin de la travailleuse et celui du médecin de l'employeur, le Bureau d'évaluation médicale ne devait pas être saisi ni se prononcer sur la question du diagnostic[10].
[41] Subsidiairement, le Tribunal note du témoignage de la travailleuse que la sciatalgie franche dans la jambe droite n’est apparue que cinq mois après la lésion professionnelle du 8 février 2014, ce qui rend difficile l’établissement d’un lien entre ce possible diagnostic et la lésion professionnelle.
[42] Le Tribunal note d’ailleurs que seul le docteur Jacques Demers conclut à la présence d’une hernie discale qui n’est plus présente lors des examens des docteurs Hallé et Bourgeau et qui n’est pas retenue par les docteurs Major et Belzile, ni même par le médecin qui a charge dans le cadre de son rapport complémentaire.
[43] Même le docteur Demers ne semble pas retenir le diagnostic de hernie discale en lien avec son propre examen, mais rétrospectivement à la lecture du dossier. Cela ressort notamment de la phrase suivante de son avis :
Lorsque je l’ai examinée aujourd’hui, la mise en tension radiculaire est négative, mais nous sommes 18 mois suite à l’événement du 8 février 2014.
[…]
[44] Il ressort aussi clairement des dernières expertises au dossier, notamment celles des docteurs Hallé et Bourgeau, neurologues, que tous les signes possibles d’une hernie discale sont rentrés dans l’ordre et se sont résorbés.
[45] En conséquence, le diagnostic à retenir dans le présent dossier est celui d’une entorse lombaire avec sciatalgie droite.
[46] Il y a donc lieu d’infirmer la décision de la CSST qui reconnaissait un lien entre la hernie discale L4-L5 et l’événement du 8 février 2014. Comme ce diagnostic n’est pas retenu au sens de l’article 212 de la loi, il ne saurait être question d’établir une relation avec la lésion initiale. En conséquence, seul le diagnostic d’entorse avec sciatalgie droite est retenu en lien avec l’événement du 8 février 2014.
[47] Le fait que la hernie discale ne fasse pas partie du diagnostic de la lésion du 8 février 2014 demeure cependant quelque peu académique puisque, de toute façon, les limitations fonctionnelles qui ont été reconnues à la travailleuse ont été avalisées par le docteur Pierre Major, orthopédiste désigné par l'employeur, et ce, malgré qu’il ne soit pas d’accord avec le diagnostic de hernie discale. C’est donc que ces limitations fonctionnelles conviennent à l’état résiduel de la travailleuse des suites de la lésion professionnelle du 8 février 2014 sans égard au fait que le diagnostic de hernie discale ne puisse être retenu. Les droits de la travailleuse demeurent donc inchangés à ce niveau.
[48] Force est donc de constater que la lésion professionnelle du 8 février 2014 n’a été consolidée que le 1er juin 2015 et qu’il s’agit d’une lésion sérieuse qui entraîne des limitations fonctionnelles, et ce, même si le diagnostic est celui d’entorse lombaire avec sciatalgie droite.
[49] Quant aux soins ou traitements, le Tribunal note que les seuls qui ont été dispensés dans la foulée, de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale, le neurochirurgien Jacques Demers, consistent en un programme interdisciplinaire de développement des capacités fonctionnelles au travail d’une durée approximative de huit semaines. La travailleuse a suivi ce programme et l'employeur n’a aucune représentation à effectuer à ce sujet. Le Tribunal retient donc que ce programme constitue un soin ou traitement nécessaire en lien avec la lésion professionnelle à cette époque.
[50] Le neurologue Denis Hallé, mandaté par la CSST, est aussi d’avis qu’il n’y a pas nécessité de soins ou traitements supplémentaires.
[51] Il est vrai que la travailleuse a bénéficié d’une seule autre forme de soins, soit de l’orthothérapie, mais ceux-ci n’ont pas été autorisés par son médecin qui a charge, comme la travailleuse le mentionne à l’audience. De plus, cette forme de traitement n’est pas répertoriée au Règlement sur l’assistance médicale[11], de sorte qu’il ne peut s’agir d’un soin ou traitement au sens de l’article 212 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
Dossier 589756-07-1511
ACCUEILLE la requête de Costco-Gatineau, l'employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 15 octobre 2015 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de la lésion professionnelle du 8 février 2014 est celui d’entorse lombaire avec sciatalgie droite;
DÉCLARE qu’il y avait nécessité de soins ou traitements, soit un programme interdisciplinaire de développement des capacités fonctionnelles au travail d’une durée approximative de huit semaines.
Dossier 571454-07-1504
ACCUEILLE la requête de Costco-Gatineau, l'employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er avril 2015 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’en l’absence de hernie discale L4-L5 à titre de diagnostic de la lésion professionnelle du 8 février 2014, il ne saurait être question d’établir une relation entre ce diagnostic et la lésion du 8 février 2014;
DÉCLARE que l’entorse lombaire avec sciatalgie droite est reliée à l’événement du 8 février 2014;
DÉCLARE que madame Marie-Pier Baril-Laflamme, la travailleuse, a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles eu égard à ce diagnostic.
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Jean-François Clément |
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M. Mario Turner |
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SANTRAGEST INC. |
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Pour la partie demanderesse |
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Mme Marie-Pier Baril-Laflamme |
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Pour elle-même |
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Date de la dernière audience : 7 mars 2016 |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] RLRQ, c. T-15.1.
[3] Nobili et Fruits Botner ltée, [1997] C.A.L.P. 734; Labrecque et Canadelle ltée, [2003] C.L.P. 1103
[4] Chiazzese et Corival inc., [1995] C.A.L.P. 1168; Lepage c. CSST D.T.E 90T-1037
[5] Loi sur la justice administrative, LRQ c. J-13
[6] Morin et José et Georges inc., [2001] C.L.P. 443; Courcelles et The Gazette, C.L.P. 126795-72-9911, 31 mars 2000, R. Langlois
[7] D’Aoust et Toitures Qualitruss inc., C.L.P. 212070-07-0307, 24 février 2004, M. Langlois
[8] Goderre et R.H. Nugent Équipement Rental ltée, C.L.P. 154843-07-0102, 6 décembre 2001, P. Sincennes; Blanchette et Pétrole J.C. Trudel inc., C.L.P. 132329-08-0002, 13 septembre 2001, Monique Lamarre
[9] Fortin et Société Groupe EMB Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168; Grignano et Récitals Jeans inc., [2000] C.L.P. 329; Lussier et Berlines RCI inc., C.L.P. 122844-05-9908, 21 septembre 2000, L. Boudreault.
[10] Les aliments Vermont inc. et Guillemette, 121225-04B-9908, 27 novembre 2001, F. Mercure; Dhaliwal et Gusdorf Canada ltée, 168883-71-0109, 10 mai 2002, Y. Lemire; Transports Desgagnés et Pelletier, 2004 C.L.P. 5458; Beauséjour et S.R.I. Est du Québec inc., 301596-03B-0610, 21 janvier 2008, M. Cusson; Bourassa et Thomas Bellemare ltée, 327208-04-0709, 4 septembre 2008, J-A. Tremblay; Service travail maison et Bélanger, 2011 QCCLP 1915.
[11] RLRQ, c. A-3.001, r. 1.
AVIS :
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