Décision

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Bergeron c

Bergeron c. Greenberg

2006 QCCQ 13937

 

JL.2522

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

« Chambre civile »

N° :

505-22-013394-061

 

 

 

DATE :

Le 6 novembre 2006

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL LASSONDE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

ÉRIC BERGERON

partie demanderesse

c.

RICHARD BRIAN GREENBERG

partie défenderesse

et

YVES CRÉPEAU

           partie mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

[1]                Le Tribunal est saisi d'une requête en annulation d'une saisie-revendication avant jugement.

[2]                Elle a été pratiquée par le demandeur qui allègue essentiellement être le propriétaire d'un chien de race braque allemand nommé Baxter dont le défendeur ne veut plus lui remettre la possession.

LES FAITS

[3]                Le demandeur a acquis le chien Baxter en 1998 avec son copain de l'époque, un certain Jean Bellemarre.

[4]                En novembre 1999, il obtient une cession complète des droits de propriété sur le chien.  Monsieur Bellemarre endosse en effet le certificat de propriété en faveur de ce dernier contre le versement de plusieurs centaines de dollars.

[5]                Le demandeur a connu le défendeur Greenberg en 1999.  Ce dernier a donc eu l'occasion de connaître son chien et il a accepté de le garder à l'occasion.

[6]                Les liens d'amitié entre le demandeur et le défendeur sont très forts à l'époque car le demandeur sert de témoin au défendeur lors du mariage de ce dernier en août 2003.

[7]                En octobre 2000, le demandeur déménage et son bail prévoit qu'il ne peut garder de chien dans son appartement.

[8]                Durant l'été 2000, le chien est gardé à la campagne par le mis en cause Yves Crépeau, un retraité avec lequel le demandeur est aussi ami.

[9]                Ce dernier a aussi gardé le chien de façon partagée avec le défendeur durant près de trois ou quatre ans.  À l'époque, monsieur Crépeau travaille à la boutique Nadia Toto et il emmène le chien à la boutique avec lui.  Le défendeur allait d'ailleurs chercher le chien à cet endroit.

[10]            Un beau jour de novembre 2005, le défendeur informe le demandeur qu'il ne reverra pas son chien.  C'est cette déclaration qui sera à l'origine de la saisie du chien et des présentes procédures.

AFFIDAVIT DU DEMANDEUR

[11]            Dans l'affidavit déposé au dossier afin d'obtenir un bref de saisie avant jugement, le demandeur y déclare ce qui suit:

« 2.Je suis le propriétaire du chien de race "Braque allemand", mâle, nommé "Baxter" dont une photo dudit chien est produite au soutien de la requête introductive d'instance sous la cote R-1;

 

3.Initialement en 1998, j'étais propriétaire dudit chien "Baxter" avec Monsieur Jean Bellemarre alors que nous co-habitions au 2288 rue Lincourt, à Longueuil, Québec;

 

4.De fait, lors de l'acquisition, le certificat d'enregistrement dudit chien auprès du Centre d'enregistrement Canin (Canadian Kennel Club) avait été émis au nom de Jean Bellemarre tel qu'en fait foi ledit certificat d'enregistrement canin;

 

5.Lors de notre séparation en novembre 1999, Jean Bellemarre m'a cédé la propriété absolue dudit chien "Baxter" ainsi que l'original du certificat d'enregistrement dûment endossé en ma faveur, (Voir R-2);

 

[12]            Dans sa requête pour annuler la saisi revendication, le défendeur Greenberg conteste la déclaration du demandeur à l'effet qu'il est propriétaire du chien Baxter:

« 3. Le paragraphe 2 de l'affidavit du demandeur est faux en ce que le demandeur n'est pas le propriétaire du chien de race Braque allemand dénommé Baxter, pour l'avoir donner (sic) au défendeur vers le mois d'août 2000; »

LA RÈGLE DE DROIT

[13]            Il est bien connu qu'au stade de la requête en annulation de la saisie, le saisissant doit seulement établir «prima facie» la véracité des allégations de l'affidavit.

[14]            L'expression «prima facie» utilisée par le juge Lajoie dans l'affaire Good Loan Finance Limited [1] a fait l'objet d'un commentaire fort judicieux par le juge Rothmans, aussi de la Cour d'appel, dans l'affaire Lavalin [2] :

« Mr. Justice Lajoie, in concluding, leaves no doubt that he considered prima facie proof sufficient to establish the truth of the affidavit on a motion to quash:

 

"Prima facie  au moins, l'appelante au stage de la requête en cassation doit être considérée propriétaire de l'automobile qu'elle avait acquise à son nom et payée par des chèques tirés sur son compte de banque.

 

Je crois que la demanderesse appelante a prouvé, comme elle en était requise, la vérité des allégations de l'affidavit, et que l'intimé n'en a pas prouvé la fausseté [3]."

 

This does not mean that the truth of the allegations of an affidavit, at the stage of a motion to quash a seizure, should be decided on a standard of proof that is lower than the normal civil standard - the balance of probabilities.  It simply recognizes that the hearing on a motion to quash may be more summary than a hearing on the merits and the evidence adduced at one may be quite different from the other.

 

In short, the expression "prevue prima facie" must be taken to mean evidence that, unless contradicted or refuted, would be sufficient to prove the allegations that had to be proved.  Appellants were perfectly free to bring evidence to the contrary.  The judge  still had to decide the truth of the allegations on the balance of probabilities, so that there was no change in the standard of proof  required. »

 

(à la page 16)

QUESTION EN LITIGE

[15]            Il n'y a donc qu'une seule véritable question en litige:  la preuve permet-elle de conclure que le demandeur a dit vrai lorsqu'il affirme être toujours propriétaire de Baxter ?


ANALYSE ET DISCUSSION

[16]            Est-il besoin de préciser qu'un chien doit être considéré comme un vulgaire meuble ainsi que le prévoit l'article 907 C.c.Q.:

« 907.  Tous les autres biens que la loi ne qualifie pas sont meubles. »

[17]            Il s'agit donc de savoir ici si le demandeur est toujours propriétaire de son bien qu'est le chien Baxter ou s'il l'a donné au défendeur comme ce dernier le prétend dans ses procédures.

LA PREUVE DU DEMANDEUR

[18]            La preuve offerte par le demandeur est à la fois documentaire et testimoniale.

[19]            Il n'y a aucun doute dans l'esprit du Tribunal que c'est lui qui a fait l'acquisition de Baxter.  La pièce R-8 révèle clairement qu'il a acheté le chien de monsieur Bellemarre le 25 décembre 1999.

[20]            De l'avis du Tribunal, il s'agit de la pièce la plus importante au dossier.

[21]            En effet, il s'agit d'une preuve documentaire et elle est extrinsèque aux parties.  Le libellé du certificat ne laisse aucun doute quant à sa signification:

 

«APPLICATION FOR TRANSFER OF OWNERSHIP

DEMANDE DE TRANSFERT DE PROPRIÉTÉ

 

I/we hereby certifiy that I/we sold the animal named on this Registration Certificate.

Je certifie/nous certifions par la rpésente que j'ai/nous avons vendu l'animal nommé sur ce certificat d'enregistrement.

 

To/À Éric Bergeron 0879528

Addres/adresse 945 ave, Duluth Est

Montréal

Postal code/code postal H2L 1B7   Date of sale/date de vente  25 décembre 1999

Dog'sname/nom du chien Baxter

Reg'd no. D'enregistrement MJ524480  eU358013HJ

 

Sign here/signez ici________________________(s) Jean Bellemarre

Adress/adresse       _________________ Prov.______________ Postal code postal _________

 

We hereby request that the certificate showing transfert to the new owner be forwarded byu the Club to the new owner.

Par la présente, je demande/nous demandonsque le certificat, indiquant le transfert au nouveau propriétaire, soit envoyé par le Club au nouveau propriétaire.

 

Seller membership No./No. d'adhésion du vendeur:  __________

Seller(s) sign here/signature du(des) vendeur(s): ______________________________. »

 

(pièce R-8)

[22]            La preuve a révélé que ce certificat a été remis au défendeur Greenberg.

[23]            Il s'agirait selon ce dernier d'un élément probant quant au transfert de propriété de l'animal en sa faveur.

[24]            Le Tribunal est d'avis que cet argument ne peut malheureusement être retenu.

[25]            En effet, ce serait de faire dire au document autre chose que ce qu'il dit à savoir que c'est le demandeur Bergeron qui est propriétaire de l'animal.

[26]            Il faut noter en effet que le certificat n'a pas été endossé par monsieur Bergeron tout comme monsieur Bellemarre l'a fait en faveur du demandeur.

[27]            Comme l'a souligné l'avocate du demandeur, il y a un certain parallèle à faire entre le certificat d'immatriculation d'un véhicule et le certificat de propriété dont il est question ici.

[28]            En effet, on peut très bien remettre le certificat d'immatriculation à un ami lorsqu'on lui prête son véhicule et cela ne signifie nullement qu'on lui donne le véhicule.

[29]            D'autre part, les circonstances de la remise de ce certificat n'ont de l'avis du Tribunal aucune conséquence fâcheuse pour le demandeur:  en effet, c'est le mis en cause qui a remis le certificat au défendeur.

[30]            Ce dernier l'aurait demandé afin, disait-il, d'obtenir de l'information sur l'éleveur qui avait vendu le chien à monsieur Bellemarre puisqu'il projetait d'en acquérir un.

[31]            Cette preuve est crédible.

[32]            Outre cette preuve documentaire, le Tribunal doit aussi prendre en considération l'affirmation non équivoque du demandeur à l'effet qu'il n'a jamais donné son chien au défendeur.

[33]            Cette affirmation du demandeur est corroborée par le témoignage de son ami, le mis en cause Crépeau qui affirme lui aussi qu'il n'a jamais été question que le demandeur cède la propriété de Baxter au défendeur Greenberg.

[34]            Le Tribunal a aussi entendu d'autres témoins qui ont corroboré certains éléments de la preuve testimoniale du demandeur.  Ces personnes, et le Tribunal parle ici de mesdames Katravas, Picard, Marcel et Langlois, ont semblé de bonne foi et il n'y a aucun motif de mettre en doute les divers éléments dont elles ont fait part au Tribunal.

[35]            Ce qui ressort de cette preuve c'est que le défendeur Greenberg a certes eu la possession de l'animal mais il n'a jamais eu la possession exclusive sur une large période de temps et le demandeur avait tout le loisir d'avoir son chien à sa boutique puisqu'il ne pouvait le garder chez lui.

LA PREUVE DU DÉFENDEUR

[36]            Il est certain que la preuve permet de conclure que le défendeur Greenberg a pris un soin jaloux de Baxter.  Il s'est assuré qu'il visite régulièrement le vétérinaire et il lui a prodigué plein de bons soins.  En somme, il a fait ce qu'un bon propriétaire de chien doit faire.

[37]            Cela prouve certes qu'il aime l'animal comme s'il lui appartenait mais de là à conclure que cela prouve qu'il est le propriétaire de l'animal, il y a un pas que le Tribunal estime ne pas devoir franchir.

[38]            Il faut aussi souligner que la preuve que le défendeur a gardé le chien à de nombreuses reprises durant les années pertinentes au litige n'est pas contestée.  Les relations entre le demandeur et le défendeur étaient excellentes à l'époque et il était tout à fait naturel que le demandeur pense à lui pour garder périodiquement son chien.

[39]            En somme, la preuve largement prépondérante favorise la version du demandeur.

[40]            Tous les faits mis en preuve par le défendeur sont compatibles autant avec une garde autorisée de l'animal qu'avec sa propriété pure et simple.  Or, cette dernière possibilité est à écarter pour les motifs exprimés précédemment.

[41]            On doit aussi tenir compte que le défendeur n'a jamais rien payé pour le chien lui-même alors que le demandeur a lui payé plusieurs centaines de dollars pour obtenir la propriété de l'animal.

[42]            La preuve du défendeur a toutefois soulevé un élément qui doit être pris en considération par le Tribunal:  il s'agit d'une part de la déclaration solennelle signée le 1er décembre 2005 par le demandeur Bergeron que le Tribunal estime devoir citer pour les fins du dossier:

« 1. Je suis l'ancien propriétaire d'un chien de race "Braque allemand", répondant au nom de "Baxter", né à Québec, de couleur brun et beige, âgé de sept (7) ans;

 

2. J'ai donné mon chien à mon ami de longue date, M. Yves Crépeau, résidant et domicilié présentement au 255 avenue Notre-Dame, à St-Lambert, au cours du mois de juillet 2000, connaissant celui-ci depuis de plus de douze ans;

 

3. Je n'ai jamais même parlé ou discuté d'aucune façon, de la possibilité quelle qu'elle soit, de donner mon chien à une connaissance ou à quelqu'un d'autre que M. Crépeau;

 

4. Le chien répondant au nom de Baxter et son certificat d'enregistrement, devraient donc tous deux également être remis sans tarder à M. Crépeau; »

 

(notre soulignement)

[43]            Le demandeur Bergeron a évidemment été confronté avec cette déclaration eu égard à ses prétentions dans les présentes procédures.

[44]            Il a expliqué qu'elle avait été signée chez son avocat alors qu'il était dans un état de panique suite aux manœuvres du défendeur et à la peur de ne pas revoir son chien.

[45]            Cette déclaration doit aussi être mise en perspective avec l'enquête policière qu'avait demandée monsieur Bergeron.

[46]            Dans une déclaration faite au service de police de Longueuil, monsieur Crépeau déclarait qu'il était le propriétaire de Baxter.  En somme, cette déclaration du demandeur ne venait qu'appuyer cette prétention de son ami Crépeau.

[47]            Le Tribunal estime que cette version des événements du demandeur est crédible même s'il faut reconnaître qu'une fausse déclaration a été faite.

[48]            Ce qu'il faut aussi conclure c'est que de toute façon le défendeur ne peut profiter de ce cafouillage car la preuve ne permet pas de conclure qu'il ait acquis la propriété de Baxter.

[49]            Cela étant, le Tribunal est d'avis que la preuve prépondérante lui permet de conclure que le demandeur ne s'est pas départi de la propriété de son chien Baxter et qu'en conséquence il a fait la preuve des éléments essentiels de son affidavit.

            PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:


 

REJETTE la requête en annulation de saisie avant jugement du défendeur, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

MICHEL LASSONDE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Me Lori Ibrus

Gilles W. Pinard

procureure de la partie demanderesse

 

Me André Aumais

Aumais, Chartrand

procureur de la partie défenderesse

 

 

 

 

 

 

Dates d'audience:  Les 14 et 25 septembre 2006.



[1]     Good Loan Finance Limited v. James (1971) C.A. 276 .

[2]     Lavalin inc. c. Les Investissements Pliska inc. (1990) R.D.J. 12 .

[3]     Id., p. 281.

AVIS :
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