Camions Lussicam Trans-Canada inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2014 QCCLP 3257 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 29 juillet 2013, Camions Lussicam Trans-Canada inc. (l’employeur) dépose une requête en révision ou en révocation à l’encontre de la décision rendue le 10 juin 2013 par la Commission des lésions professionnelles (CLP3).
[2] Par cette décision, CLP3 accueille une première requête en révision ou en révocation formulée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à l’encontre de la décision rendue par ce tribunal le 27 juin 2013 (CLP2). CLP3 révoque en partie la décision rendue par CLP2. Elle fait la déclaration suivante :
DÉCLARE que le coût des prestations se rapportant à la période postérieure au 11 mai 2009 doit être imputé au dossier financier de l’employeur, sous réserve du pourcentage de partage accordé en application de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans la décision du 27 juin 2012.
[3] Précisons maintenant que CLP2 accueillait une contestation formulée à l’encontre d’une décision rendue le 8 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative. Elle modifiait la décision de la CSST et déclarait ceci :
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage de l’imputation de l’ordre de 15 % du coût des prestations à son dossier financier et de 85 % aux employeurs de toutes les unités en application de l’article 329 de la loi;
DÉCLARE recevable la demande de transfert de l’imputation de l’employeur;
DÉCLARE que le coût des prestations résultant de la lésion professionnelle subie par monsieur Michel Blain le 7 février 2008 doit être imputé à l’ensemble des employeurs à compter du 12 mai 2009.
(Nos soulignements)
[4] À l’audience tenue le 28 février 2014, à St-Hyacinthe, relativement à la présente requête en révision ou en révocation, l’employeur est représenté par sa procureure Me Isabelle Montpetit. La CSST est représentée par son procureur Me Pierre-Michel Lajeunesse.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L’employeur demande au présent tribunal de déclarer que la CLP3 comporte des erreurs révisables suivant l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il requiert le rétablissement des conclusions de CLP2.
LES FAITS
[6] Le 7 février 2008, le travailleur, un chauffeur de camion, subit une lésion professionnelle par le fait d’un accident du travail, soit une déchirure du ménisque interne du genou droit consolidée le 11 mai 2009. Le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 1,1% sans limitations fonctionnelles.
[7] Selon la décision finale rendue par la Commission des lésions professionnelles le 9 décembre 2010 (CLP1), le droit du travailleur à une indemnité de remplacement du revenu prend fin le 7 décembre 2009 parce qu’il n’a été capable d’occuper son emploi qu’à compter de cette date.
[8] Pour les fins de la présente décision, il convient de donner quelques précisions sur cette conclusion et les motifs exprimés à cet égard.
[9] Il faut d’abord comprendre que CLP1 dispose de plusieurs contestations formulées par le travailleur et l’employeur. Notamment, sont en litige la date de capacité de travail et la survenance d’une rechute, récidive ou aggravation vers le 15 septembre 2009.
[10] D’entrée de jeu, CLP1 distingue les conséquences médicales de la lésion professionnelle au genou droit de celles qui découlent de la condition préexistante qui affecte le même genou. Elle juge que la déchirure méniscale est le résultat de l’accident du travail et que le travailleur doit être indemnisé par la CSST à cet égard.
[11] CLP1 juge également qu’en raison de la lésion professionnelle reconnue, le travailleur a été capable d’exercer son emploi prélésionnel le 7 décembre 2009 et non le 11 mai 2009, date de la consolidation de la lésion professionnelle reconnue. À ce sujet, on lit :
[95] En ce qui concerne la date de capacité du travailleur à exercer son emploi la Commission des lésions professionnelles conclut que la date de capacité à exercer son emploi pour un travailleur dont la lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles est celle correspondant à la date où la CSST statue sur cette capacité et non la date de consolidation de la lésion.
[96] Le soussigné partage et reprend ainsi l’analyse et les conclusions du juge administratif Bouvier dans l’affaire Clerjuste et Agence de personnel Império inc.2
_________________________
2. C.L.P. 401488-71-1002, 27 juillet 2010, P. Bouvier.
[12] Au dispositif, CLP1 conclut :
DÉCLARE qu’à la suite de la lésion professionnelle survenue le 7 février 2008, le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 1.1 %, mais aucune limitations fonctionnelles et qu’il est capable d’exercer son emploi à compter du 7 décembre 2009.
(Nos soulignements)
[13] En outre, CLP1 refuse de connaître une rechute, récidive ou aggravation qui serait survenue à la mi-septembre 2009 au moment où le travailleur subit une intervention chirurgicale visant l’installation d’une prothèse totale du genou droit. Les motifs au soutien de cette conclusion sont ainsi exprimés :
[109] La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve et considère fondamentale l’opinion du docteur Chafai voulant que l’installation d’une prothèse totale du genou droit du travailleur le 15 septembre 2009 relève directement de l’accident personnel du travailleur en mars 2006.
[110] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pas subi le 15 septembre 2009 une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle survenue le 7 février 2008.
[14] Au cours de l‘hiver 2011, l’employeur formule deux demandes concernant l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du travailleur. En vertu de l’article 329 de la loi, il demande un partage de l’imputation parce que le travailleur présentait un handicap antérieur à la lésion professionnelle qui a eu un impact sur le coût de l’indemnisation. Plus tard, suivant les règles prévues à l’article 326 de la loi, il requiert le transfert du coût des prestations versées après le 11 mai 2009, parce qu’autrement, il serait injustement obéré.
[15] Le 22 juin 2011, la CSST dispose de ces deux demandes. Elle accorde le partage de l’imputation. Voici ce qu’elle décide :
Nous donnons suite à votre demande de partage de l’imputation du 22 février 2011.
Après avoir analysé votre demande, nous concluons qu’un handicap existait préalablement à la lésion professionnelle et qu’il y est relié. En effet, ce handicap a prolongé de façon appréciable la période de consolidation de cette lésion.
En conséquence, la décision d’imputation du 28 mars 2008 est modifiée pour vous imputer le coût des prestations dans une proportion de 15 % et imputer le reste aux employeurs de toutes les unités.
[16] Par ailleurs, la demande de transfert de l’imputation suivant l’article 326 de la loi et déclarée irrecevable parce que formulée hors délai.
[17] Le 14 juillet 2011, l’employeur requiert la révision administrative des décisions rendues par la CSST sans obtenir satisfaction. Il s’adresse alors à la Commission des lésions professionnelles.
[18] L’employeur est convoqué devant ce tribunal le 10 mai 2012. Peu de temps avant l’audience prévue, il avise qu’il n’y sera pas. Il dépose une argumentation écrite et un complément de preuve documentaire et requiert une décision sur dossier.
[19] L’employeur s’attaque uniquement à la décision de la CSST qui concerne sa demande de transfert de l’imputation du coût des prestations laquelle est formulée en vertu de l’article 326 de la loi. L’article se lit ainsi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[20] L’employeur résume ainsi l’objet de son recours :
QUESTION EN LITIGE
[7] La Commission des lésions professionnelles (CLP) doit déterminer si l’article 326 de la LATMP s’applique au présent dossier.
[8] Plus précisément, elle devra décider si les indemnités de remplacement du revenu (IRR) imputées à l’employeur après la date de consolidation sans limitation fonctionnelle et après la réclamation refusée du travailleur pour rechute, récidive ou aggravation (RRA) sont des coûts dus en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi, et ce, conformément au premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[9] De façon subsidiaire, si la CLP arrivait à la conclusion qu’il s’agit de coûts dus en raison de l’accident du travail du travailleur, elle devra décider s’il est injuste de faire supporter à l’employeur ces coûts.
[10] Nous tenons à préciser au tribunal que nous ne remettons pas cause la partie de la décision portant sur l’application de l’article 329 de la loi.
[21] Ses premiers arguments concernent la recevabilité de sa demande de transfert. Par la suite, l’employeur réfère à la preuve additionnelle déposée pour mettre en lumière l’imputation à son dossier de 15 % du coût de l’indemnité de remplacement du revenu et des autres frais pour la période de quelques mois postérieure à la date de consolidation de la lésion professionnelle.
[22] À cet égard, il soutient que le premier paragraphe de l’article 326 de la loi s’applique parce que ces prestations « ne découlent pas de l’accident du travail ». Il s’appuie sur l’opinion des docteurs Chafai et Farmer qui relient le suivi médical postérieur au 11 mai 2009 à la condition personnelle. Il écrit :
[46] Ainsi, dans le présent dossier, il appert que les douleurs ressenties au niveau du genou droit après la consolidation ne sont aucunement en lien avec la lésion professionnelle reconnue. De plus, l’attribution d’un DAP ne peut permettre de déclarer que les IRR ainsi que les coûts supplémentaires après cette date sont en lien avec la lésion professionnelle puisqu’aucune séquelle fonctionnelle n’en découle et qu’ils sont plutôt reliés à la condition personnelle du travailleur.
[47] Imputer des sommes au-delà de la date de consolidation aurait pour effet de nier les conséquences légales d’une consolidation sans limitation fonctionnelle et sans séquelle fonctionnelle. Nous soumettons donc que la CSST contrevient au premier alinéa de l’article 326 de la LATMP en imputant des coûts au dossier de l’employeur après le 11 mai 2009.
[48] Au surplus, la RRA du 16 septembre 2009 ayant spécifiquement été refusée, nous soumettons que la CSST ne peut maintenir l’imputation des IRR après cette date. En effet, malgré la désimputation des frais médicaux afférents à cette RRA, les IRR reliées à cet arrêt de travail sont toujours imputées au dossier de l’employeur, tel qu’en fait foi la pièce E-2.
[49] Ainsi, nous vous soumettons que le lien de causalité est rompu et qu’il n’y a aucun fondement légal à imputer ces coûts à l’employeur selon l’article 326 alinéa 1 de la loi.
[23] En outre, l’employeur invoque un précédent jurisprudentiel[2] où la Commission des lésions professionnelles juge qu’il est injuste d’imputer à un employeur le coût des visites médicales postérieures à la date de consolidation alors que la lésion professionnelle est consolidée sans limitation fonctionnelle et sans atteinte permanente. Il fait valoir que ces principes s’appliquent en l’espèce vu l’absence de séquelles fonctionnelles découlant de la méniscectomie subie pour réparer la déchirure méniscale, soit la lésion professionnelle reconnue. Il s’exprime ainsi :
[51] Bien que cette décision concerne une lésion professionnelle consolidée sans atteinte permanente et sans limitation fonctionnelles, nous considérons qu’elle peut s’appliquer au présent cas.
[52] En effet, les principes édictés par ce banc de trois juges administratifs de la CLP est à l’effet que le fardeau de preuve que doit respecter l’employeur se limite à démontrer que la lésion découle d’une lésion professionnelle qui est consolidée sans atteinte permanente, ni limitation fonctionnelle. Toutefois, les faits particuliers d’un dossier peuvent amener le tribunal à conclure autrement.
[53] Selon nous, le présent dossier implique un fardeau de preuve supplémentaire à l’employeur étant donné que la lésion professionnelle a été consolidée avec la présence d’une atteinte permanente. Ainsi, l’employeur devra alors démontrer que cette atteinte permanente n’implique aucune séquelle fonctionnelle qui permettrait la poursuite des consultations ultérieures après la date de consolidation ou de la prise de médication par exemple.
[54] En l’occurrence, malgré la présence d’une atteinte permanente, soit un DAP de 1 % pour une méniscectomie sans séquelle fonctionnelle, il découle de la preuve que ce DAP est octroyé en raison du barème sur les dommages corporels qui n’implique pas la présence d’une séquelle fonctionnelle. Dans le cas qui nous occupe, toutes les séquelles fonctionnelles résiduelles sont en lien avec la condition personnelle du travailleur, cette condition personnelle même qui a nécessité une prothèse totale du genou en septembre 2009.
[55] Ainsi, les coûts au dossier après la date de consolidation sont plutôt en lien avec sa condition personnelle ou sa RRA refusée qui a nécessité un suivi médical régulier, des soins, des traitements et ultimement une chirurgie.
[56] Au même effet, nous vous référons à la décision Royal Kia3 où le tribunal conclut ce qui suit :
«[70] Le premier alinéa de l’article 326 de la loi campe le principe général en matière d’imputation des coûts dus en raison d’un accident du travail. Ce principe prévoit que les coûts dus en raison de l’accident du travail sont imputés à l’employeur. Or, en l’espèce, les coûts engendrés après le 13 juillet 2006 ne sont pas dus en raison de l’accident du travail, puisque la lésion est consolidée, sans séquelles, le travailleur devenant donc capable d’occuper son emploi à compter de cette date, sans besoin d’un processus de réadaptation.
[71] L’employeur a donc droit à un transfert de coûts à compter du 13 juillet 2006. »
(Nos soulignements)
[57] Pour ces motifs, nous vous soumettons que les coûts imputés au dossier de l’employeur, entre la consolidation du 11 mai 2009 et la RRA refusée du 16 septembre 2009, doivent être désimputés de son dossier, vu l’absence de limitation fonctionnelle et de séquelle fonctionnelle.
[58] Nous soumettons également que les IRR imputées au dossier de l’employeur après la RRA refusée du 16 septembre 2009 doivent être désimputées de son dossier, vu l’absence de lien avec la lésion professionnelle du 7 février 2008.
__________________________
3. Royal Kia, 2010 QCCLP 41, 2010-01-06, juge administratif D. Lajoie.
[24] Subsidiairement, l’employeur plaide que le deuxième alinéa de l’article 326 s’applique parce que l’imputation aurait pour effet de l’obérer injustement. Il réfère aux arguments déjà déposés qui démontrent à son avis que les prestations accordées après la date de consolidation ne sont pas en lien avec la lésion professionnelle mais plutôt avec la condition personnelle.
[25] Le 27 juin 2012, CLP2 dispose du recours de l’employeur. Elle cite l’article 326 de la loi. Elle retient l’argument de l’employeur voulant que le premier alinéa de l’article 326 de la loi s’applique au fait de l’espèce. Elle juge la demande de transfert recevable parce qu’à cet égard, la loi ne prévoit pas de délai.
[26] Par la suite, CLP2 expose les motifs qui justifient sa conclusion voulant que le coût des prestations à compter du 12 mai 2009 soit imputé à l’ensemble des employeurs. Pour des fins de compréhension, ces motifs méritent d’être cités au long :
[28] Dans le présent dossier, le délai entre la consolidation de la lésion professionnelle et la décision de la CSST du 7 décembre 2009 concernant la capacité du travailleur d’exercer son emploi est imputable au fait que la CSST n’a pas été informée des conclusions du rapport d’évaluation médicale du médecin qui a charge du travailleur avant le 18 novembre 2009. Il s’est donc écoulé plus de 6 mois avant que la CSST ne soit informée que le médecin du travailleur concluait à l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique pour méniscectomie sans séquelle fonctionnelle et à l’absence de limitations fonctionnelles.
[29] La loi prévoit que le médecin qui a charge du travailleur doit transmettre à la CSST un rapport d’évaluation médicale dès que la lésion professionnelle est consolidée. La loi ne prévoit pas de délai précis à cette fin, mais son libellé indique que le médecin du travailleur doit agir avec diligence.
[30] Si le rapport d’évaluation médicale avait été confectionné le 11 mai 2009 ou dans les jours suivants et qu’il aurait été porté à la connaissance de la CSST promptement, compte tenu de l’absence de limitations fonctionnelles et d’une atteinte permanente à l’intégrité physique pour méniscectomie sans séquelle fonctionnelle, la CSST aurait rendu sa décision de capacité de travail dès la réception de ce rapport.
[31] La lésion professionnelle a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique. L’article 145 de la loi prévoit que cette conséquence donne droit à la réadaptation. La CSST met alors en œuvre un plan de réadaptation, selon les besoins du travailleur, en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle. De l’avis du soussigné, les besoins de réadaptation du travailleur dans le présent dossier sont inexistants puisqu’il ne résulte aucune séquelle fonctionnelle de la lésion professionnelle.
[32] Ainsi, dès le constat que la lésion professionnelle a entrainé une atteinte permanente à l’intégrité physique sans séquelle fonctionnelle et sans limitation fonctionnelle, la CSST pouvait se prononcer sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi sans entreprendre des mesures de réadaptation. C’est ce que la CSST a fait dans le présent dossier lorsqu’elle a pris connaissance du rapport d’évaluation du docteur Chafai le 18 novembre 2009.
[33] Le tribunal s’en remet par ailleurs au rapport d’évaluation médicale du docteur Chafai qui mentionne que la période d’incapacité résultant de l’accident du travail s’arrête au 11 mai 2009. L’incapacité du travailleur par la suite et les traitements reçus après cette date sont uniquement en relation avec sa condition personnelle.
[34] La preuve démontre que des coûts ont été imputés au dossier financier de l’employeur après le 11 mai 2009, soit des indemnités de remplacement du revenu et des frais divers pour des déplacements, pharmacie et établissements de santé. L’employeur doit donc être imputé que des coûts attribuables à la lésion professionnelle survenue le 7 février 2008 alors que le travailleur était à son emploi. Ces coûts cessent le 11 mai 2009 au moment de la consolidation de la lésion professionnelle.
[35] Ainsi, l’employeur a droit à un transfert de l’imputation à partir du 12 mai 2009.
[36] Dans les circonstances, la requête de l’employeur est accueillie en partie.
[27] Le 27 juin 2012, la décision CLP2 est transmise à l’employeur ainsi qu’à la CSST.
[28] Le 6 août 2012, celle-ci dépose une requête en révision ou en révocation à l’encontre de CLP2. Elle fait valoir que la décision comporte des erreurs manifestes et déterminantes. Notamment, elle soutient que la CLP2 modifie la date de capacité de travail laquelle a été établie au 7 décembre 2009 par décision finale (CLP1).
[29] Le 12 novembre 2012, la Commission des lésions professionnelles entend l’employeur et la CSST relativement à la requête en révision et en révocation.
[30] Le 10 juin 2013, CLP3 accueille la requête en révision ou en révocation de la CSST. CLP2 est révoquée pour ce qui est des conclusions qui concernent la demande de transfert du coût des prestations postérieures au 11 mai 2009.
[31] Les motifs au soutien de cette conclusion sont exposés aux paragraphes [37] à [54]. Retenons que CLP3 juge que CLP2 ne pouvait modifier une conclusion finale relative à la date de capacité de travail. Les paragraphes [45], [47], [52] et [53] fournissent l’essentiel des motifs de révocation :
[45] Le premier juge administratif n’avait pas la compétence pour remettre en cause la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi établie par la décision finale du 9 décembre 2010 [CLP1]. En considérant aux fins de l’imputation des coûts de la même lésion professionnelle que la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi doit être établie au 11 mai 2009, le premier juge administratif [CLP2] agit en quelque sorte en appel ou en reconsidération de cette décision, ce qu’il ne pouvait faire.
(…)
[47] Que ce soit suivant la théorie de la compétence pour agir appelé communément la règle du functus officio ou encore le respect du principe de la stabilité des décisions, le premier juge administratif ne pouvait dans le cadre d’une décision en imputation des coûts d’une lésion professionnelle remettre en cause la date de la capacité du travailleur à exercer son emploi résultant de la même lésion professionnelle décidée par une autre instance avec les mêmes faits en main d’ailleurs.
(…)
[52] Ainsi, en faisant fi de cette conclusion de la Commission des lésions professionnelles, le premier juge administratif commet une erreur de droit manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révision.
[53] De même, en statuant le transfert de l’imputation sur cette base, il commet une erreur assimilable à une erreur de compétence, cela tant pour les indemnités de remplacement du revenu que les autres frais.
(Les mentions entre crochets sont ajoutées)
[32] Par ailleurs, CLP3 rejette l’argument de l’employeur voulant que CLP2 ait choisi un courant jurisprudentiel au sujet de l’interprétation de l’article 326 de la loi. Aux paragraphes [49] à [51], elle s’explique à ce sujet :
[49] En produisant la décision rendue en révision à l’égard de cette décision, la procureure de l’employeur soumet en quelque sorte que le premier juge administratif n‘a pas remis en cause une décision finale de la Commission des lésions professionnelles, mais a simplement choisi un courant jurisprudentiel au sujet de l’interprétation de la notion de « obéré injustement » au sens du second alinéa de l’article 326 de la loi pour lui donner raison.
[50] En effet, le juge en révision dans cette affaire rappelle que le recours en révision ne constitue pas l’occasion de jouer l’arbitre en regard des conflits jurisprudentiels.
[51] Cet argument ne peut être retenu. En retenant que la date de la capacité du travailleur d’exercer son emploi à la suite de la lésion professionnelle doit être établie à la date de consolidation et non à la date déterminée par la Commission des lésions professionnelles le 9 décembre 2010 de façon finale, le premier juge administratif ne fait pas que choisir entre plusieurs interprétations jurisprudentielles, mais remet en cause une conclusion, un dispositif d’une décision finale. D’ailleurs, le premier juge administratif ne fait aucunement état des courants jurisprudentiels ici. Sa conclusion est plutôt que les prestations versées à compter du 11 mai 2009 ne sont pas liées à la lésion professionnelle au sens du premier alinéa de l’article 326 de la loi. C’est cela qui contredit la conclusion de la décision du 9 décembre 2010, cela sans qu’il en soit saisi.
[33] Au paragraphe [54], CLP3 poursuit en soulignant que le manquement manifeste et déterminant quant à l’irrespect du caractère final de la date de capacité de travail vaut également pour la motivation se rapportant aux autres frais :
[54] À l’égard effectivement de ces autres frais, la décision n’est pas motivée davantage. Elle s’appuie uniquement sur la date de capacité du travailleur à exercer son emploi qu’il établit en contradiction de la décision du 9 décembre 2010 [CLP1]. Il s’agit là d’une erreur qui doit également être révisée.
[34] CLP3 procède donc à rendre la décision qui aurait dû être rendue. Elle affirme que les prestations versées postérieurement au 11 mai 2009 « sont reliées à la lésion professionnelle » et que leur coût doit être imputé à l’employeur suivant le premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[35] CLP3 dispose alors de l’argument subsidiaire de l’employeur. Elle juge que la demande de transfert est recevable malgré le délai écoulé entre l’accident du travail et la demande du 22 février 2012. Elle poursuit en indiquant cependant que le transfert demandé ne peut être accordé pour les motifs suivants :
[57] Devant le premier juge administratif, l’employeur a plaidé par écrit subsidiairement que la demande de transfert de l’imputation ne pouvait être produite avant de savoir comment la CSST allait appliquer la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 décembre 2010. La demande est donc recevable dans ces circonstances particulières.
[58] Il argumente qu’il est obéré injustement par l’imputation des coûts postérieurement au 11 mai 2009, précisément parce que les prestations ne sont pas reliées à la lésion professionnelle du 7 février 2008.
[59] Le tribunal en révision a statué plus haut que compte tenu de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 9 décembre 2010 que cela ne peut être remis en question.
[60] Par conséquent, l’employeur n’a pas droit au transfert de l’imputation qu’il demande.
[36] Le 24 juillet 2013, l’employeur formule une requête en révision ou en révocation à l’encontre de CLP3. Il argumente que cette décision est entachée de vice de fonds de nature déterminante et qu’il y a lieu de rétablir les conclusions de CLP2. Il allègue quatre erreurs manifestes et déterminantes.
[37] L’employeur soutient que CLP3 commet une erreur manifeste et déterminante lorsqu’il juge que CLP2 a outrepassé sa compétence en se prononçant sur la capacité de travail alors qu’elle n’était pas saisie de cette question. Il soumet que CLP2 ne s’est pas prononcée sur la date de capacité de travail.
[38] Il ajoute que CLP3 ne pouvait pas substituer son interprétation du premier alinéa de l’article 326 à celle de CLP2. Il s’explique ainsi :
[56] La question en litige que devait trancher le juge administratif Champagne [CLP2] était de déterminer si le coût des prestations versées après le 11 mai 2009 était dû en raison d’un accident du travail. Après analyse de la preuve, le juge administratif Champagne a déterminé que le coût des prestations versées après le 11 mai 2009 découlait d’une condition strictement personnelle qui avait engendré des IRR, des frais, un suivi médical et une chirurgie, soit une arthroplastie totale de son genou droit. La preuve à cet égard était d’ailleurs éloquente.
[57] Ainsi, le juge administratif Champagne a bien cerné la question en litige, soit de déterminer la relation entre les prestations versées postérieurement au 11 mai 2009 et la lésion professionnelle au sens de l’article 326 de la LATMP.
[58] Selon le juge administratif Champagne, puisque ces coûts découlaient de la condition personnelle du travailleur, il a considéré que l’employeur avait droit à un transfert de l’imputation à partir du 12 mai 2009.
[59] En révision, le juge administratif David [CLP3] considère que tous les coûts versés antérieurement à une date de capacité de travail sont nécessairement dus à la lésion professionnelle. Il s’agit alors de son interprétation de l’article 326 alinéa 1 de la LATMP et, siégeant en révision, le juge administratif David ne pouvait substituer sa propre opinion dans le cadre d’une requête en révision.
[60] Qui plus est, nous soumettons que cette interprétation est illogique et contraire à la loi puisque les faits particuliers de chacun des dossiers doivent être analysés avant de conclure quant à l’application de l’article 326 de la LATMP. C’est exactement ce que le juge administratif Champagne a fait en première instance.
[61] En l’espèce, il ne fait aucun doute que tous les coûts versés postérieurement à la consolidation de la lésion le 11 mai 2009 sans limitation fonctionnelle, ne peuvent être reliés à la lésion professionnelle. En effet, la preuve est à l’effet que le travailleur a subi une arthroplastie totale de son genou droit le 16 septembre 2009, que cette chirurgie n’a pas été considérée comme étant une rechute, récidive ou aggravation (RRA) de la lésion professionnelle du 7 février 2008 et que cette lésion a engendré des IRR pour la période du 11 mai 2009 au 7 décembre 2009 ainsi que des frais pour la période du 11 mai 2009 au 16 septembre 2009, le tout comme il en appert des pièces E-1, E-2 et E-3.
[62] Sans remettre en cause la question de la capacité au sens de la LATMP, le juge administratif Champagne considère que tous les coûts postérieurs à la consolidation du 11 mai 2009 ne découlent plus de la lésion professionnelle mais plutôt de la condition personnelle du travailleur, tel que mentionné par son médecin traitant.
[63] Quant à lui, le juge administratif David, considère que tous les coûts antérieurs à la décision de capacité ne peuvent être considérés comme étant des coûts qui ne sont pas dus à l’accident du travail au sens de l’article 326 alinéa 1.
[64] Ainsi, nous réitérons qu’il s’agit de son interprétation personnelle de l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi et qu’elle ne peut être substituée à celle du premier juge dans le cadre d’une révision. Cette substitution constitue un vice de fond ayant un effet déterminant sur le litige et sa décision doit être révisée.
[39] L’employeur soutient que la déclaration voulant que CLP2 n’ait pas motivé sa conclusion sur les « autres frais » est une erreur manifeste. À son avis, aux paragraphes [30] à [35] CLP2 fournit des explications pour soutenir sa conclusion.
[40] Enfin, l’employeur mentionne que lorsque CLP3 procède à rendre la décision qui aurait dû être rendue, elle omet de disposer des arguments soumis à CLP2 de manière subsidiaire lesquels sont fondés sur le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[41] À l’audience relative à la requête en révision ou en révocation formulée par l’employeur à l’encontre de CLP3, celui-ci reprend les éléments exposés dans sa requête. Il mentionne, entre autres, que CLP3 a mal lu CLP2. Il souligne que cette décision ne porte pas sur la capacité de travail.
[42] Pour l’employeur, les coûts postérieurs à la consolidation ne concernent pas la lésion professionnelle laquelle est consolidée depuis le 11 mai 2009 sans aucune séquelle fonctionnelle qui puisse justifier un suivi médical ou l’attribution de prestations quelle qu’elles soient.
[43] Il soutient que CLP2 a apprécié la preuve et adopté l’interprétation législative suggérée par lui dans son argumentation écrite ce qui relevait de sa prérogative. Sa décision est une issue possible compte tenu de la preuve et de l’interprétation retenues. Conséquemment, CLP3 ne pouvait justifier son intervention sur la base d’une interprétation différente du premier alinéa de l’article 326 de la loi. En agissant ainsi, il commet une erreur manifeste et déterminante.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[44] Avant d’analyser les prétentions de l’employeur, il y a lieu de faire un bref rappel des règles de droit applicables en matière de requête en révision ou en révocation.
[45] D’abord, il faut avoir à l’esprit que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel comme le stipule le dernier alinéa de l’article 429.49 de la loi:
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[46] Néanmoins, la loi prévoit un recours qui fait exception à ce principe. Il s’agit de la révision ou révocation dont l’application est encadrée par l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[47] Comme les reproches formulés par l’employeur à l’encontre de la CLP3 sont de l’ordre du vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision, nous poursuivons en exposant ce qu’il faut retenir en l’espèce.
[48] Selon la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le vice de fond de nature à invalider une décision constitue une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige[3]. Ce principe a été réaffirmé par les tribunaux supérieurs et notamment par la Cour d’appel du Québec qui a rappelé que la Commission des lésions professionnelles devait agir avec grande retenue en accordant une primauté à la première décision et se garder de réapprécier la preuve et de réinterpréter les règles de droit[4].
[49] Une requête en révision ou en révocation ne peut pas donner lieu à une réappréciation de la preuve ou du droit. Ainsi, le présent tribunal ne pourra intervenir que si CLP3 a commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a disposé de la requête en révision ou en révocation de la CSST.
[50] L’employeur soutient que CLP3 commet pareille erreur lorsqu’il conclut que CLP2 outrepasse sa compétence. Avec respect, cette allégation n’est pas fondée.
[51] CLP3 motive la révocation des conclusions relatives aux transferts de l’imputation parce que CLP2 n’a pas respecté le caractère final de la décision rendue par CLP1 sur la date de capacité de travail.
[52] Citons de nouveau la conclusion de CLP1:
DÉCLARE qu’à la suite de la lésion professionnelle survenue le 7 février 2008, le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de 1.1 %, mais aucune limitations fonctionnelles et qu’il est capable d’exercer son emploi à compter du 7 décembre 2009.
(Nos soulignements)
[53] CLP3 explique, de manière rationnelle et non capricieuse, qu’un décideur ne peut pas faire fi de la conclusion d’une décision antérieure devenue finale. Elle constate que CLP2 comporte une erreur manifeste à cet égard puisqu’au paragraphe [33], on lit que l’opinion du docteur Chafai sur la date de capacité de travail est retenue. Le paragraphe [33] est ainsi libellé :
[33] Le tribunal s’en remet par ailleurs au rapport d’évaluation médicale du docteur Chafai qui mentionne que la période d’incapacité résultant de l’accident du travail s’arrête au 11 mai 2009. L’incapacité du travailleur par la suite et les traitements reçus après cette date sont uniquement en relation avec sa condition personnelle.
(Nos soulignements)
[54] Le non-respect par CLP2 de la conclusion finale de CLP1 est évident. CLP3 ne commet certes pas d’erreur lorsqu’elle constate le problème et conclut que le manquement est manifeste.
[55] Elle ne commet pas d’erreur non plus lorsqu’elle juge que ce manquement est déterminant. En effet, la capacité de travail au 11 mai 2009 sans séquelles fonctionnelles est le fondement de la conclusion de CLP2 voulant que le coût des prestations postérieures (indemnité de remplacement du revenu et autres frais) ne soit pas imputé au dossier de l’employeur.
[56] L’employeur plaide également que CLP3 substitue sa propre interprétation de l’article 326 de la loi à celle adoptée par CLP2. Avec respect, le présent tribunal constate que tel n’est pas le cas.
[57] Comme mentionné précédemment, CLP3 retient plutôt que CLP2 ignore à tort la conclusion de CLP1 sur la date de capacité de travail. Elle juge que cette erreur est manifeste et déterminante. Le paragraphe [51] de CLP3, lequel a déjà été cité, est éloquent. Cette conclusion n’est pas issue d’une mauvaise lecture de CLP2 et elle n’est certes pas erronée ni irrationnelle.
[58] Bien sûr, CLP3 applique les dispositions de l’article 326 de la loi. Elle agit après avoir prononcé la révocation de la décision de CLP 2 considérant l’erreur manifeste et déterminante retenue.
[59] Au paragraphe [55], on lit que la date de capacité du travailleur à exercer son emploi à la suite de la lésion professionnelle du 7 février 2008 doit être établie au 7 décembre 2009 comme CLP1 l’avait déterminé. À la lecture du paragraphe [56], on comprend que CLP3 relient les prestations accordées par la CSST jusqu’à cette date à la lésion professionnelle du travailleur. Cette conclusion suppose une application littérale du premier alinéa de l’article 326 de la loi. Mais cela ne constitue pas une réappréciation du droit.
[60] Comme CLP3 le fait remarquer, CLP2 n’élabore pas sur l’interprétation des dispositions législatives à appliquer.
[61] D’ailleurs, l’argument présenté par l’employeur à CLP2 était fondé sur la date de consolidation comme date de capacité de travail et date de fin des prestations puisque le travailleur n’avait pas subi de séquelle fonctionnelle. Or, selon CLP3 cet argument ne pouvait être retenu par CLP2 sans contrevenir au caractère final et sans appel des conclusions de CLP1.
[62] CLP3 ne revisite donc pas l’interprétation qu’aurait donné CLP2 aux dispositions du premier alinéa de l’article 326 de la loi. Il n’ignore pas non plus l’argument principal que l’employeur tentait de fait valoir dans son argumentation écrite.
[63] Le présent tribunal est conscient qu’après CLP3, laquelle est datée du 10 juin 2013, la jurisprudence relative à l’article 326 de la loi a connu une évolution. En effet, dans l’affaire Supervac 2000[5] rendue le 28 octobre 2013, la Commission des lésions professionnelles a précisé l’interprétation des premier et deuxième alinéas de l’article 326 de la loi. Suivant cette interprétation, dans le cas d’un transfert partiel comme en l’espèce, il y a lieu d’appliquer le premier alinéa pour s’interroger sur le fait qui est à la source du versement de l’indemnité.
[64] Ainsi, l’employeur pourrait faire valoir de nouveaux arguments pour soutenir le transfert demandé. Toutefois, ces arguments n’avaient pas été soumis à CLP2. CLP3 ne pouvait donc s’en saisir lorsqu’il a procédé à rendre la décision qui aurait dû être rendue.
[65] De surcroît, l’évolution jurisprudentielle ne peut pas fonder la révision ou la révocation d’une décision déjà rendue. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles s’exprime avec clarté dans l’affaire Mutuelle de prévention de la CMEQ :
[82] Réviser la décision du 25 février 2011 parce que l’interprétation jurisprudentielle a changé depuis qu’elle a été rendue aurait pour effet d’anéantir la stabilité décisionnelle à laquelle les parties ont droit, et ce, pour un motif que le législateur n’a pas jugé bon de reconnaître.
[83] Certes, le corpus jurisprudentiel est et doit demeurer un facteur d’évolution du droit ; c’est ce qui permet à la loi de s’adapter - et de continuer de s’appliquer - aux situations changeantes de la vie en société sans nécessiter de constantes modifications législatives.
Mais, cette souplesse n’a de vertu que si on lui réserve une application exclusivement prospective. L’évolution jurisprudentielle prévient les justiciables que, la règle de droit ayant évolué, les litiges futurs ne connaîtront pas nécessairement une issue identique à celle retenue par le passé en des circonstances analogues.
[83] Changer rétroactivement le dispositif d’une décision déclarée « finale et sans appel » par la loi est une toute autre affaire. Cela affecte la situation juridique présente des parties en cause telle qu’elle avait été cristallisée. Si cette mesure exceptionnelle était appliquée indûment, tous les justiciables seraient justifiés d’y percevoir un élément d’insécurité, pour l’avenir : leurs droits passés pourraient-ils être remis en question au gré d’un revirement jurisprudentiel ?
[84] C’est pourquoi, en l’espèce, la jurisprudence élaborée postérieurement à la décision du 25 février 2011 ne peut servir de prétexte à sa révision.
[66] L’employeur allègue en troisième lieu que CLP3 juge à tort que CLP2 n’est pas motivée en ce qui concerne l’imputation du coût des autres frais. Avec respect, le présent tribunal juge que cet argument n’est pas fondé. Au paragraphe [54] CLP3 indique plutôt que la justification du transfert des autres frais repose sur un motif manifestement erroné, à savoir une date de capacité de travail au 11 mai 2009.
[67] On en vient à l’argument qui concerne le défaut de motivation. Selon l’employeur CLP3 ignore son argument subsidiaire lorsqu’il procède à rendre la décision qui aurait dû être rendue. Avec respect, cette allégation ne peut être retenue.
[68] La motivation à cet égard est succincte mais elle existe et elle est suffisante. En effet, on comprend fort bien que CLP3 considère que l’employeur n’est pas obéré injustement parce que les prestations accordées après le 11 mai 2010 sont reliées à la lésion professionnelle laquelle a rendu le travailleur incapable d’occuper son emploi jusqu’au 9 décembre 2010. CLP3 répond ainsi à l’argument de l’employeur qui se disait obéré parce que la capacité devait s’établir à la date de consolidation avec une fin de prestations à tous égards. La motivation bien que courte est complète et rationnelle.
[69] Conséquemment, le présent tribunal juge que la requête en révision ou en révocation de l’employeur est sans fondement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Rejette la requête en révision ou en révocation de Camions Lussicam Trans-Canada inc. (l’employeur).
|
|
|
Michèle Juteau |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Isabelle Montpetit |
|
Béchard, Morin, avocats |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Pierre-Michel Lajeunesse |
|
Vigneault, Thibodeau, Bergeron |
|
Représentant de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et CSST, 2012 QCCLP 2553.
[3] Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P., 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P.; CSST et Viandes & Aliments Or-Fil, C.L.P. 86173-61-9702, 24 novembre 1998, S. Di Pasquale; Louis - Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau.
[4] Bourassa et Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 C.A.; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 C.A.; Commission de la santé et de la sécurité du travail et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 C.A.
[5] Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341, révision judiciaire demandée.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.