Commission municipale du Québec ______________________________ |
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Date : |
28 juin 2013 |
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Dossier : |
CMQ-64349 (27472-13) |
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Juges administratifs : |
Thierry Usclat, vice-président |
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Richard Quirion |
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Personne visée par l’enquête : MARC LAURIN, Conseiller municipal, Ville de Saint-Colomban |
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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE EN MATIÈRE MUNICIPALE
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DÉCISION
[1] Le 10 juillet 2012, le ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire transmettait à la Commission municipale du Québec (la Commission), conformément à l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM), une demande d’enquête en éthique et déontologie qui allègue une conduite dérogatoire de monsieur Marc Laurin, conseiller municipal, à l’égard du Code d’éthique et de déontologie des élus de la ville de Saint-Colomban[2] (le Code d’éthique et de déontologie).
[2] La demande d’enquête reproche à monsieur Laurin d’avoir voté pour l’acceptation d’un Plan projet domiciliaire, dans lequel son père et ses oncles ont un intérêt direct en étant propriétaires du terrain, se plaçant ainsi en conflit d’intérêts selon les dispositions des articles 4.3.1 et 4.3.2 du Code d’éthique et de déontologie.
[3] Dans sa déclaration assermentée du 20 juin 2012, la personne qui a signé la demande d’enquête, précise ses reproches envers monsieur Laurin, comme suit:
« À la séance publique du mardi 12 juin 2012, le conseil municipal de la Ville de Saint-Colomban a voté l’acceptation du Plan projet domiciliaire de la rue Lalande (Pièce 1 - Projet d’ordre du jour, Point 3.15).
Ce projet de développement controversé se fera sur un terrain appartenant à quatre frères soit messieurs Guy, Gilles, Daniel et Mario Laurin (Pièce 2-Saint-Colomban - Dossier central). Une de ses personnes soit, monsieur Guy Laurin, est le père (les 3 autres sont ses oncles) d’un des conseillers de la Municipalité soit monsieur Marc Laurin, conseiller du district 3.
Le fait que le conseiller monsieur Marc Laurin ne se soit pas retiré des discussions entourant cette décision et se soit même prononcé en la votant positivement constitue un manquement au règlement 627 de la Municipalité (Pièce 3 - Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Saint-Colomban---art. 4.3 - Conflits d’intérêts et interdictions).
[…] »
[4] Lors des audiences qui se sont tenues à Montréal les 11 février et 1er mars 2013, monsieur Laurin est présent et il est représenté par Me Guillaume Pelletier de l’étude Dunton Rainville.
[5] La Commission n’a pu tenir ses audiences avant ces dates en raison des problèmes de santé d’un témoin.
ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ, DE NON-DIVULGATION ET DE NON-PUBLICATION
[6] Considérant qu’il est dans l’intérêt public afin de rencontrer les objectifs de la LEDMM, que l’identité des témoins, le contenu ou la teneur de leur témoignage soient protégés durant l’enquête, la Commission a prononcé le 19 juillet 2012, une ordonnance de confidentialité, de non-divulgation et de non-publication pour valoir jusqu’à sa décision.
[7] Chaque témoin entendu a été informé que la Commission a prononcé cette ordonnance et en a reçu une copie.
LA PREUVE
[8] Dans le cadre de cette enquête, la Commission a entendu quatre témoins ainsi que l’élu visé par la demande. Elle a pris connaissance du Code d’éthique et de déontologie ainsi que des documents produits au soutien de la demande. Elle a de plus examiné les pièces produites par les témoins au cours des audiences.
Admissions
[9] Au début de l’audience, par l’intermédiaire de son procureur, monsieur Laurin fait les admissions suivantes :
1. Il est conseiller municipal de Saint-Colomban depuis le 1er novembre 2009;
2. Il en est à son premier mandat à titre de conseiller municipal de Saint-Colomban;
3. Il est le fils de Guy Laurin;
4. Guy Laurin fait partie d’un consortium d’hommes d’affaires qui sont propriétaires du terrain de la rue Lalande où pourrait se faire le projet décrit à la résolution en cause dans la plainte, soit la résolution PE-2012-LAUR-01;
5. Il est présent à la séance ordinaire du conseil municipal du 12 juin 2012;
6. Il a voté pour l’adoption de la résolution 239-06-12, relativement au projet PE-2012-LAUR-01.
Les faits
[10] Le Code d’éthique et de déontologie des élus de la ville de Saint-Colomban a été adopté le 11 octobre 2011, et il est entré en vigueur le 22 octobre 2011.
[11] Lors de son témoignage, la personne ayant déposé la demande d’enquête (le plaignant) explique qu’il assiste régulièrement aux séances du conseil municipal de la Ville de Saint-Colomban (la Ville) depuis plusieurs années.
[12] Il a déposé une plainte parce qu’il ne peut accepter qu’un conseiller vote sur un projet qui concerne des proches parents, en l’occurrence son père et ses oncles.
[13] Il explique le déroulement de la séance du conseil du 12 juin 2012, et précise qu’il y a eu peu de discussions relativement au projet de la rue Lalande. Selon lui, aucun conseiller n’est intervenu.
[14] Il ajoute que l’on a fait mention du rapport du Comité consultatif d’urbanisme (CCU), mais sans produire de document.
[15] Préalablement au vote, monsieur Francis Émond, qui est président du CCU a informé le conseil que le projet est présenté par un consortium d’hommes d’affaires.
[16] Lors de cette assemblée, il a posé plusieurs questions au maire pour connaître les noms des promoteurs de ce projet.
[17] S’appuyant sur son expérience comme ancien conseiller, il croit que monsieur Marc Laurin aurait dû se retirer et ne pas participer aux discussions concernant ce projet de développement immobilier. Il termine en indiquant que c’est Marc Laurin, lui-même, qui a proposé l’adoption de la résolution relativement à ce projet.
[18] La Commission a également entendu le directeur de l’aménagement, de l’environnement et de l’urbanisme qui est venu expliquer le processus préalable à l’adoption d’un Plan projet par le conseil municipal.
[19] Selon lui, la préparation d’un Plan projet par un arpenteur constitue une première étape. Par la suite, le conseil municipal doit accepter ce projet et, le cas échéant, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEP) devra donner son aval.
[20] Le Plan projet doit préalablement être approuvé par le CCU, ce qui dans le cas présent a été fait le 23 mai 2012. Lors des séances du CCU où le Plan projet est déposé, les membres en discutent et font une recommandation au conseil municipal. Dans certaines circonstances, des conditions seront fixées et d’autres étapes devront être franchies, par exemple l’autorisation du MDDEP. Une fois que le Plan projet aura été adopté par le conseil municipal, la Ville devra se pencher sur le protocole d’entente et obtenir toutes les garanties du prometteur, notamment les garanties financières.
[21] Pour le directeur de l’aménagement, on est à l’étape d’un accord de principe. Il dépose ensuite le rapport du CCU et indique que selon les habitudes, ce rapport qui contient les recommandations que le CCU fait au conseil municipal, est très succinct.
Défense
[22] En défense, le conseiller Marc Laurin explique aux membres de la Commission, qu’il est conseiller municipal depuis le 1er novembre 2009 mais qu’il occupe également un emploi comme professeur dans une institution privée.
[23] Il précise à la Commission qu’il n’a aucune difficulté financière, et qu’il est financièrement indépendant.
[24] Lors du caucus qui a précédé l’assemblée à laquelle la résolution sous étude a été adoptée, il ne savait pas que le consortium d’hommes d’affaires qui présentait ce projet, était composé de son père et de ses oncles.
[25] Il mentionne à la Commission que ce n’est pas la première fois que son père ou ses oncles font l’acquisition d’un terrain. Il précise qu’il n’est pas au courant des affaires financières ou commerciales de son père ou de ses oncles.
[26] Il ajoute qu’il n’a aucun intérêt dans les compagnies ou entreprises dont son père, ses oncles ou ses frères sont propriétaires. Il ne détient aucune action d’une compagnie dans laquelle son père ou ses oncles ont des intérêts.
[27] Il ne reçoit pas de salaire ou d’avantage de son père, si ce n’est des cadeaux usuels à la période des Fêtes.
[28] Dans le cadre de son travail de conseiller, il est responsable des loisirs et des sports au conseil municipal. Ainsi, il présente les résolutions et fait les comptes rendus relatifs aux sports, loisirs, incendie, bibliothèque et culture. C’est lui qui explique les points qui touchent à ces sujets lorsqu’ils sont à l’ordre du jour.
[29] Il ajoute qu’il ne siège pas sur le CCU. Seuls messieurs Boyer et Émond, deux autres conseillers, en font partie. Il n’a donc aucune idée des rencontres et des discussions qui s’y tiennent et il en ignore le fonctionnement.
[30] Chaque assemblée du conseil est précédée d’une réunion préparatoire (caucus) qui a lieu le premier mardi de chaque mois. Le 5 juin 2012, un caucus est tenu comme à chaque semaine qui précède l’assemblée du conseil. À cette occasion, monsieur Boyer qui représente le CCU est absent, tous les autres conseillers et le directeur général sont présents.
[31] Lors du caucus, le maire a lu les points à l’ordre du jour et fait un résumé du déroulement de l’assemblée. À cette occasion, monsieur Laurin apprend que les élus municipaux devront voter sur le Plan projet PE-2012-LAUR-01, concernant la rue Lalande.
[32] C’est monsieur Émond qui lui apprend que ce projet est présenté par son père et ses oncles. Ce dernier lui indique qu’il s’agit d’une zone humide et qu’il faudra le faire approuver par le MDDEP. Il l’informe de ce projet en ces termes « Es-tu au courant que c’est la terre à ton père? »
[33] Monsieur Laurin confirme qu’à la fin du caucus nous avons discuté des autres points, « Je savais que la question de cette terre serait votée la semaine suivante ».
[34] Il précise qu’environ une heure avant chaque assemblée du conseil, une réunion préparatoire a lieu. À cette occasion, on révise le déroulement de la soirée et on détermine les personnes qui effectuent les propositions et celles qui les secondent.
[35] Il ajoute qu’une réunion préparatoire s’est tenue le 12 juin 2012 immédiatement avant l’assemblée du conseil. Le maire, tous les conseillers et monsieur Panneton qui est directeur général, sont présents. Lorsqu’on arrive au point 5.15 qui concerne le projet de la rue Lalande, monsieur Émond lui mentionne : « Tu serais pas mieux de te retirer? » N’étant pas certain, il se retourne vers monsieur Panneton qui lui demande s’il a des intérêts pécuniaires dans ce projet? » Monsieur Laurin lui répond par la négative. Alors monsieur Panneton lui répond « Tu n’as pas besoin de te retirer. »
[36] Lors de l’assemblée publique, le maire explique aux citoyens que c’est un Plan projet concernant la rue Lalande. Un conseiller propose l’adoption de la résolution et un autre la seconde. Le maire demande si tout le monde est d’accord. Il n’est pas intervenu pour ne pas alimenter le débat.
[37] Lorsque le maire a voulu continuer, monsieur Boyer a manifesté son intention de voter contre la résolution.
[38] La Commission a également entendu monsieur François Panneton, directeur général de la Ville, relativement aux évènements sous enquête.
[39] Monsieur Panneton explique que le Plan projet de la rue Lalande est un projet de développement résidentiel dans un secteur de la Ville. Ce projet est présenté par un consortium d’hommes d’affaires qui sont copropriétaires de ce terrain, ce consortium est essentiellement composé du père et des oncles de monsieur Marc Laurin.
[40] Il informe les membres de la Commission que pour recevoir l’autorisation du conseil municipal de procéder à un développement résidentiel, le prometteur doit préparer un Plan projet qui est étudié par le CCU. À la suite de son étude, le CCU fait des recommandations au conseil municipal. Il ajoute être au courant de ce projet depuis environ deux ans.
[41] Après avoir pris connaissance du rapport du CCU, les membres du conseil municipal décident s’ils suivront la ou les recommandations du CCU. Relativement à la soirée du 12 juin 2012, il explique qu’une séance de travail a précédé l’assemblée du conseil. Elle a débuté à 18 heures et a durée environ une heure.
[42] À cette occasion, monsieur Émond questionne monsieur Marc Laurin sur une possible situation de conflit d’intérêts, considérant que son père et ses oncles font partie du consortium qui a déposé le Plan projet de la rue Lalande. Monsieur Marc Laurin se retourne vers lui pour connaître son point de vue. Monsieur Panneton lui demande s’il a un intérêt pécuniaire dans ce projet. Comme monsieur Laurin répond par la négative, monsieur Panneton lui précise qu’il ne pense pas qu’il y a conflit d’intérêts, car il ne fait pas partie du consortium.
[43] Lors de l’assemblée du conseil, c’est monsieur Francis Emond qui a proposé l’adoption du Plan projet de la rue Lalande et monsieur Éric Milot l’a appuyé. Selon monsieur Panneton, l’acceptation de ce Plan projet n’a aucun impact financier pour la Ville parce que le protocole avec le promoteur n’est pas encore négocié et signé. Il s’agit simplement d’une autorisation de développement.
[44] Théoriquement, il y a d’autres autorisations à obtenir avant le début des travaux.
REPRÉSENTATIONS
[45] Le procureur de monsieur Laurin, Me Guillaume Pelletier, a fait valoir plusieurs arguments et déposé des autorités à l’appui de ses prétentions.
[46] Sans revenir sur tous les éléments mis en preuve, Me Pelletier rappelle à la Commission que son client ne retire aucun avantage des contrats que son père obtient de la Ville ainsi que des développements domiciliaires qu’il entreprend, que ce soit par une compagnie ou un consortium.
[47] De plus, monsieur Laurin n’est aucunement impliqué dans le CCU et n’a pas de relation particulière avec les membres du CCU à l’exception des deux conseillers y siégeant également.
[48] Monsieur Marc Laurin n’a aucune connaissance du déroulement des réunions du CCU, il ne connaît ni les lieux de rencontres, ni la fréquence des réunions du CCU.
[49] Me Pelletier soumet d’abord que son client ne s’est pas placé en situation de conflit d’intérêts dans ce dossier, d’abord parce qu’il ne retire aucun avantage financier du projet impliquant son père et ses oncles et d’autre part, parce qu’il n’a favorisé d’aucune façon les intérêts de ces derniers.
[50] Enfin, il plaide la bonne foi et les intentions de l’élu qui a agi avec prudence en demandant au directeur général s’il était en conflit d’intérêts.
[51] Celui-ci l’a rassuré en lui disant qu’il n’y avait pas de conflits d’intérêts puisqu’il n’avait pas d’intérêt pécuniaire dans la décision du conseil municipal d’entériner ou non la décision du CCU.
[52] Enfin, Me Pelletier plaide que la plainte a été déposée uniquement à des fins politiques et que le plaignant utilise le recours prévu à la LEDMM uniquement à des fins partisanes.
[53] Il précise que le plaignant a été défait à la dernière élection mais qu’il a déjà été membre du conseil municipal durant au moins deux mandats.
[54] Il ajoute également que la décision d’accepter le Plan projet est une décision préliminaire qui ne permet que d’avoir l’aval du conseil municipal pour faire démarrer le projet. D’autres autorisations pourraient être nécessaires, entre autres, celles du MDDEP.
[55] En conclusion, il soumet qu’en matière d’éthique et de déontologie, la Commission possède un certain rôle pédagogique en indiquant aux élus, la voie à suivre dans l’exercice de leurs « fonctions ».
[56] Il termine en indiquant qu’il s’agit d’un droit nouveau, qu’il n’existe que peu de décisions sur le sujet, et que somme toute, la conduite de monsieur Marc Laurin ne constitue pas un manquement à une règle de conduite prévue au Code d’éthique et de déontologie.
[57] Enfin et avec l’accord de son client, il plaide immédiatement sur la sanction dans l’éventualité où la Commission conclurait que son client a commis un manquement à une règle du Code d’éthique et de déontologie.
[58] À cet égard, il soumet que l’imposition d’une réprimande serait une sanction juste et appropriée dans les circonstances.
ANALYSE
[59] Dans le cadre d’une enquête en vertu de la LEDMM, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique et de déontologie.
[60] Pour ce faire, elle doit conduire son enquête dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.
[61] Le processus d’enquête édicté à la LEDMM n’est pas un processus contradictoire puisqu’il n’y a pas de poursuivant. C’est à la Commission qu’il appartient de conduire son enquête au terme de laquelle, elle rend sa décision.
[62] Ainsi, et même si on ne peut parler de fardeau de preuve comme tel, la Commission doit tout de même être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions, a une force probante, suffisante suivant le principe de la balance des probabilités pour lui permettre de conclure, que l’élu visé par l’enquête a manqué à ses obligations déontologiques et a enfreint le Code d’éthique et de déontologie.
[63] En raison du caractère particulier des fonctions occupées par un élu municipal et des lourdes conséquences que la décision pourrait avoir sur celui-ci au niveau de sa carrière et de sa crédibilité, la Commission est d’opinion que pour conclure à un manquement au Code d’éthique et de déontologie, la preuve obtenue doit être claire, précise, sérieuse et sans ambiguïté.
[64] En ce sens et comme la Commission l’a décidé antérieurement[3], le principe établi par les tribunaux quant au degré de preuve requis en matière disciplinaire peut s’appliquer, avec les adaptations nécessaires, aux enquêtes de la Commission en éthique et déontologie en matière municipale.
[65] De plus, la Commission doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la LEDMM qui précise :
« Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables. »
L’ÉLU A-T-IL COMMIS UN MANQUEMENT AU CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DE LA VILLE ?
[66] Pour conclure que l’élu visé par la demande d’enquête a commis un acte dérogatoire à l’une des règles prévues aux articles 4.3.1, 4.3.2 du Code d’éthique et de déontologie de la Ville, la Commission doit être convaincue par une preuve claire, grave, précise et sans ambiguïté que monsieur Marc Laurin s’est placé en conflit d’intérêts en prenant part aux débats et au processus de décision concernant la demande d’acceptation du Plan projet de la rue Lalande, alors que son père et ses oncles composent le consortium et sont les promoteurs et les propriétaires du terrain en cause.
Le Code d’éthique et de déontologie
[67] Les dispositions pertinentes du Code d’éthique et de déontologie, sont les articles 4.3.1 et 4.3.2, et se lisent ainsi :
« Conflits d’intérêts et interdictions
4.3.1 Il est interdit à tout membre d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
4.3.2 Il est interdit à tout membre de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne. »
[68] Il ressort de la preuve, que le CCU est une instance mandatée par le conseil municipal qui fournit des recommandations sur les demandes qui sont déposées relativement à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire. Le CCU n’est pas une instance décisionnelle mais une instance consultative. Seul le résultat des délibérations est transmis à la Ville sous forme de recommandations.
[69] Lorsqu’il est présent et participe à la prise de décision relativement à la résolution qui fait l’objet de la présente demande d’enquête, monsieur Laurin est un conseiller municipal de la Ville de Saint-Colomban depuis trois ans.
[70] La Commission retient que l’approbation du Plan projet par le conseil municipal, à la suite de la recommandation du CCU, est d’une importance capitale pour le projet de développement immobilier.
[71] En effet, et bien que d’autres étapes doivent être franchies avant la réalisation complète du projet, notamment l’approbation du projet par le MDDEP, le projet ira de l’avant et se concrétisera une fois que des ententes contractuelles concernant les infrastructures seront conclues entre la Ville et le promoteur.
[72] Si le conseil municipal refuse le Plan projet, le prometteur n’aura d’autre choix que de l’abandonner ou le modifier et le soumettre à nouveau. Cela entraînera assurément des déboursés importants pour le promoteur.
[73] Lorsqu’il est question de conflit d’intérêts lors de la prise de position d’un élu à l’égard, notamment, d’un projet dans lequel un de ses proches est impliqué, la question doit être examinée à chacune des étapes du processus de délibération et de prise de décision.
[74] Certaines des décisions prises par le conseil municipal sont plus importantes que d’autres et varient en intensité quant à leurs implications et leurs conséquences sur les promoteurs immobiliers ou les citoyens.
[75] Toutefois, et à chaque fois qu’un membre du conseil municipal exerce ses fonctions et prend part aux délibérations ou se prononce sur une résolution, les règles du Code d’éthique et de déontologie relatives aux conflits d’intérêts et les valeurs qui s’y rattachent, doivent guider l’élu dans sa conduite.
[76] Les règles s’appliquent qu’il s’agisse d’une décision importante ou non, primordiale ou accessoire.
[77] Dans le présent dossier, le Code d’éthique et de déontologie comporte des dispositions impératives qui interdisent d’agir, de tenter d’agir ou d’omettre d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels ou d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
[78] De plus, chaque élu ne peut se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou d’une manière abusive ceux d’une autre personne.
[79] Dans son préambule, le Code d’éthique et de déontologie à l’article 2 définit l’« Intérêt personnel » et l’« Intérêt des proches », comme suit :
« Intérêt personnel » :
Intérêt de la personne concernée, qu’il soit direct ou indirect, pécuniaire ou non, réel, apparent ou potentiel. Il est distinct, sans nécessairement être exclusif, de celui du public en général ou peut être perçu comme tel par une personne raisonnablement informée. Est exclut de cette notion le cas où l’intérêt personnel consiste dans des rémunérations, des allocations, des remboursements de dépenses, des avantages sociaux ou d’autres conditions de travail rattachées aux fonctions de la personne concernée au sein de la Ville ou de l’organisme municipal.
« Intérêt des proches » :
Intérêt du conjoint de la personne concernée, de ses enfants, de ses ascendants ou intérêt d’une société, compagnie, coopérative ou association avec laquelle elle entretient une relation d’affaires. Il peut être direct ou indirect, pécuniaire ou non, réel, apparent ou potentiel. Il est distinct, sans nécessairement être exclusif, de celui du public en général ou peut être perçu comme tel par une personne raisonnablement informée.
[80] Dans la présente affaire, la preuve ne permet pas de conclure que monsieur Laurin avait un intérêt personnel dans la décision prise par le conseil municipal le 12 juin 2012 quant à l’acceptation du Plan projet de la famille Laurin.
[81] Toutefois, les élus municipaux de Saint-Colomban ont jugé bon d’inclure dans la définition prévue à l’article 2, les termes « Intérêt des proches » faisant référence entre autres, au conjoint de la personne concernée, ses enfants et ses ascendants.
[82] La Commission est d’avis qu’en raison de cette définition que l’on retrouve dans le Code d’éthique et de déontologie, le favoritisme à l’égard d‘un proche n’a pas besoin de revêtir un caractère abusif, puisque les mêmes termes que ceux de la définition « Intérêt personnel » y sont employés. Prétendre le contraire enlèverait toute utilité à cette disposition qui définit l’intérêt des proches.
[83] De plus, le terme abusif signifie ce qui n’est pas normal, légal, acceptable. D’ailleurs, le Code d’éthique et de déontologie en définissant les termes « Intérêt des proches » a indiqué ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
[84] D’autre part, l’article 4.2 du Code d’éthique et de déontologie prévoit que les règles ont notamment pour objectif de prévenir, toute situation où l’intérêt personnel du membre du conseil municipal peut influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de ses fonctions, toute situation qui irait à l’encontre des articles 304 et 361 de la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités[4], ainsi que de prévenir le favoritisme, la malversation, les abus de confiance ou les autres inconduites.
[85] C’est donc dans le cadre de cet objectif et en tenant compte des valeurs incluses dans le Code d’éthique et de déontologie, que la Commission doit interpréter les règles prévues au Code.
[86] Conformément à l’article 25 de la LEDMM, la Commission doit tenir compte des valeurs prévues au Code d’éthique et de déontologie, lors de l’appréciation qu’elle doit faire de la preuve quant à la conduite de l’élu. Notamment et dans la présente enquête : l’intégrité et la prudence dans la poursuite de l’intérêt public.
[87] La valeur prévue à l’article 3, 2e sous-paragraphe, soit l’honneur rattaché aux fonctions de membre du conseil municipal, présuppose la pratique constante des cinq valeurs que sont l’intégrité, la prudence, le respect, la loyauté et l’équité rattachés aux fonctions de membre du conseil.
[88] La valeur relative à la prudence dans la poursuite de l’intérêt public est assez précise puisqu’elle indique que tout membre assume ses responsabilités face à la mission d’intérêt public qui lui incombe. Dans l’accomplissement de cette mission, il agit avec professionnalisme ainsi qu’avec vigilance et discernement.
[89] Après avoir analysé le comportement de l’élu visé par la plainte dans le spectre des valeurs mentionnées au Code d’éthique et de déontologie et en tenant compte de la définition du terme « Intérêt des proches », la Commission est d’avis que lorsqu’il est présent et participe au processus de prise de décision relativement à la résolution # 239-06-12 adoptée le 12 juin 2012, monsieur Marc Laurin a contrevenu à la règle prévue au paragraphe 1 de l’article 4.3.1 du Code d’éthique et de déontologie. Plus particulièrement, monsieur Laurin a agi de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, les intérêts de ses proches, entre autres, d’une manière abusive, ceux de son père et de ses oncles.
[90] Ainsi, et dans l’exercice de ses fonctions, un conseiller municipal doit avoir comme objectif de favoriser l’intérêt public et non ceux d’une autre personne.
[91] Au moment où il participe à la prise de décision lors de l’assemblée du conseil municipal du 12 juin 2012, il sait déjà depuis la vieille, puisqu’il en est informé par d’autres membres du conseil municipal, que ce projet implique des membres de sa famille, à tout le moins, son père. De plus, le témoignage de monsieur Marc Laurin quant à sa connaissance des activités de son père, laisse la Commission fort sceptique.
[92] Malheureusement, et lorsqu’il s’interroge sur cette situation, le directeur général l’informe qu’il n’a pas à se retirer puisqu’il n’a aucun intérêt pécuniaire dans ce projet.
[93] Les dispositions du Code d’éthique et de déontologie relatives aux conflits d’intérêts sont beaucoup plus larges que celles de la LERM et elles visent un encadrement différent de la question et des situations de conflits d’intérêts.
[94] Dans les circonstances, la Commission est convaincue que lorsqu’il est présent et participe au processus de prise de décision le 12 juin 2012 relativement à l’approbation du Plan projet domiciliaire de la rue Lalande, monsieur Marc Laurin s’est placé en conflits d’intérêts et a favorisé, d’une manière abusive, les intérêts de son père et de ses oncles.
LA SANCTION
[95] Les représentations sur la sanction ont été faites lors de l’audience, à la demande de l’élu et de son procureur.
[96] En matière d’éthique et de déontologie municipales, la sanction doit tenir compte de la gravité du manquement, ainsi que des dispositions de la LEDMM et des objectifs de celle-ci.
[97] De plus, la sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux.
[98] Dans le choix de la sanction, la Commission a tenu compte qu’aucune preuve n’a été faite de la réception par monsieur Laurin d’une somme d’argent ou d’un avantage pour sa prise de position en faveur du Plan projet et qu’il s’agit d’une première infraction.
[99] La Commission a également tenu compte des circonstances particulières de ce dossier, notamment du fait que le directeur général de la Ville a, par ses commentaires, induit en erreur monsieur Marc Laurin, et ce, sans que cette opinion soit rendue par un conseiller juridique indépendant.
[100] Ainsi, et n’eut été des conseils erronés donnés par le directeur général, la sanction aurait été beaucoup plus sévère.
[101] En conséquence, et tenant compte des circonstances dans lesquelles le manquement s’est produit, la Commission estime que l’imposition d’une réprimande serait une sanction juste et appropriée.
EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :
- CONCLUT QUE la conduite de monsieur Marc Laurin constitue un manquement à une règle prévue au Code d’éthique et de déontologie des élus de la Ville de Saint-Colomban.
- CONCLUT QUE monsieur Marc Laurin a contrevenu à l’article 4.3, alinéa 1, du Code d’éthique et de déontologie de la Ville de Saint-Colomban lorsqu’il est présent et participe au processus de prise de décision le 12 juin 2012 relativement à l’approbation du Plan projet domiciliaire de la rue Lalande.
- IMPOSE à monsieur Marc Laurin une réprimande.
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__________________________________ THIERRY USCLAT, vice-président Juge administratif |
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Me Guillaume Pelletier |
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DUNTON RAINVILLE |
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Pour Marc Laurin |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.