Hydro-Québec c. Syndicat des employé-es de métiers d'Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) | 2022 QCCA 1714 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(655-17-000764-204) | |||||
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DATE : | 19 décembre 2022 | ||||
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HYDRO-QUÉBEC | |||||
APPELANTE – mise en cause | |||||
c. | |||||
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SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE MÉTIERS D’HYDRO-QUÉBEC, SECTION LOCALE 1500 (SCFP-FTQ) | |||||
INTIMÉ – demandeur | |||||
et | |||||
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PIERRE-GEORGES ROY, en sa qualité d’arbitre de griefs | |||||
MIS EN CAUSE – défendeur | |||||
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[1] L’appelante, Hydro-Québec, se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Baie-Comeau (l’honorable Serge Francoeur), qui, le 25 juin 2021, accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de l’intimé, Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro‑Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ).
[2] Pour les motifs de la juge Gagné, auxquels souscrit le juge Lévesque, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
[4] La juge Cotnam, quant à elle, aurait accueilli l’appel, infirmé le jugement de première instance, rejeté le pourvoi en contrôle judiciaire et rétabli la sentence arbitrale rendue par le mis en cause, Me Pierre-Georges Roy, le 18 février 2020, le tout avec les frais de justice.
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| JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. | |
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| SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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Me Simon-Pierre Hébert Me Marc-André Groulx | ||
BCF | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Alexandre Grenier Me Mylène Lafrenière-Abel | ||
ROY BÉLANGER AVOCATS | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 8 juin 2022 | |
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MOTIFS DE LA JUGE GAGNÉ |
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[5] L’intimé (« Syndicat ») fait grief à l’appelante (« Employeur ») d’avoir modifié unilatéralement les conditions de travail des opérateurs mobiles qui travaillent dans les centrales hydroélectriques Outardes-3, Outardes-4, Manic 3 et au Poste Micoua dans la région de la Manicouagan, parfois appelées les centrales du Milieu du complexe.
[6] L’arbitre mis en cause rejette le grief en se fondant sur le droit de gérance de l’Employeur[1]. Saisi d’un pourvoi en contrôle judiciaire, le juge Serge Francoeur de la Cour supérieure estime que la conclusion retenue par l’arbitre n’est pas une issue raisonnable. Il accueille le pourvoi, annule la sentence arbitrale, accueille le grief et ordonne à l’Employeur de respecter intégralement les lettres d’entente régissant les conditions de travail des opérateurs mobiles. Enfin, il retourne le dossier à un autre arbitre pour qu’il décide « de la question des dommages et de la compensation monétaire à laquelle les salariés lésés ont droit »[2].
[7] L’Employeur se pourvoit avec la permission d’un juge de la Cour[3]. Pour l'essentiel, il s’agit de décider si le juge de la Cour supérieure a erré dans l’application de la norme de la décision raisonnable[4] et si la sentence arbitrale est raisonnable au sens de l’arrêt Vavilov[5].
[8] Contrairement aux autres salariés affectés aux centrales du Milieu du complexe (majoritairement des électriciens, des mécaniciens et des techniciens en automation), les opérateurs mobiles sont soumis à un horaire de type 3-2-2-3 sur des quarts de 12 heures, en alternance de jour et de nuit[6].
[9] En vue d’établir un tel horaire, les parties ont négocié des conditions de travail qui dérogent à la convention collective, et ce, au moyen de lettres d’entente, MAN 8 et MAN 9, dont l'application remonte aux années 1980.
[10] Ces lettres d'entente stipulent que l’Employeur verse aux opérateurs mobiles une indemnité fixe de repas pour chaque journée de travail passée à la centrale ainsi qu'une prime hebdomadaire. De plus, il les loge gratuitement dans une résidence aménagée à cet effet, soit la Résidence Vallant située à Micoua, à une centaine de kilomètres de Baie-Comeau.
[11] En 2017, l’Employeur constate qu'en raison de l’évolution de la technologie, une partie importante du travail de surveillance et d'intervention dans les centrales du Milieu du complexe peut se faire à distance, à partir de Baie-Comeau. Il est aussi préoccupé par les coûts d'utilisation et d'entretien de la Résidence Vallant.
[12] En mai 2018, après des négociations infructueuses avec le Syndicat, l’Employeur décide de fermer la Résidence Vallant à partir du 23 juillet 2018 et d’obliger les opérateurs mobiles à se déplacer chaque jour, si possible à l’intérieur de l’horaire de travail. Ces changements impliquent aussi que « certains avantages monétaires seront cessés à partir de cette date, soit la prime de non-résidence et l’indemnité de repas »[7].
[13] Même si la décision de l’Employeur ne touche que 14 opérateurs mobiles, elle provoque une grève illégale de 200 salariés, suivie d’une demande de redressement au Tribunal administratif du travail.
[14] Le 20 juin 2018, à l’issue d’une séance de conciliation, les parties concluent l’entente que voici :
1-Considérant la demande d’intervention d’Hydro-Québec au Tribunal administratif du travail, division des services essentiels, le 19 juin 2018, concernant un arrêt de travail illégal des salariés représentés par le syndicat ci-haut mentionné aux installations de la région Manicouagan, incluant Havre St-Pierre, Forestville, Sept-lles et Baie-Comeau;
2-Considérant la séance de conciliation tenue le 20 juin 2018 en présence d’une conciliatrice du Tribunal administratif du travail;
3-Il y aura reprise des négociations à l'automne 2018 en lien avec les lettres d’entente concernées si les parties ont un mandat en ce sens;
4-La Direction s’engage à respecter les lettres d'entente en vigueur sous réserve de l’application de ses droits de gestion, notamment les déplacements à l'intérieur de l'horaire selon les besoins opérationnels;
5-La Direction procèdera à la fermeture de la résidence Vallant le 31 décembre 2018;
6-Le Syndicat, ses dirigeants et ses officiers s'engagent à ce que leurs membres de la région Manicouagan reprennent le travail dès le 20 juin 2018;
7-Le Syndicat, ses dirigeants et ses officiers de la région Manicouagan s’engagent à ce que leurs membres n’exercent aucune grève illégale ou action concertée jusqu’à ce que le syndicat de la région Manicouagan ait acquis le droit de grève selon les dispositions du Code du travail;
8-Le syndicat, ses dirigeants et ses officiers de la région de Manicouagan s’engagent à informer immédiatement leurs membres du contenu de présent engagement;
9-Les parties demandent au Tribunal administratif du travail, division des services essentiels de prendre acte de cet engagement conformément à l’article 111.19 et d’en faire le dépôt à la Cour Supérieure conformément à l’article 111.20 du Code du travail;
10-Le présent engagement vaut jusqu'à ce que le syndicat de la région de Manicouagan ait acquis le droit de grève selon les dispositions du Code du travail;
11-En contrepartie, l’employeur retire sa demande d’intervention au Tribunal administratif du travail, division des services essentiels;[8]
[Transcription textuelle]
[15] Le 12 décembre 2018, les parties signent une nouvelle convention collective pour remplacer celle venant à échéance le 31 décembre 2018. Par la même occasion, elles reconduisent les lettres d’entente MAN 8 et Man 9 pour la durée de la convention collective, soit du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2023[9].
[16] Le 18 décembre 2018, l’Employeur offre au Syndicat la possibilité de reporter la fermeture de la Résidence Vallant à la fin avril 2019. Cette offre est toutefois conditionnelle à l’obtention d’un mandat de ses membres « afin de redéfinir les conditions de travail en exploitation pour la région Manicouagan »[10].
[17] Le 8 février 2019, ayant reçu une réponse négative du Syndicat, l’Employeur informe les opérateurs mobiles de la fermeture de la Résidence Vallant le 11 mars 2019. Il convient de reproduire le texte de la lettre envoyée par le chef des centrales du Milieu du complexe :
Monsieur,
En Juin dernier, une entente a été convenue devant le tribunal administratif du travail visant la fermeture de la résidence Vallant. Dans le but de donner une chance aux discussions entre la direction et le syndicat, la date de la fermeture a été retardée.
Dans ces circonstances et conformément à notre engagement de vous tenir informé du cheminement du dossier, nous vous informons de la fermeture de la résidence Vallant le 11 mars 2019. Ceci entraîne également la fin des avantages qui sont reliés au découcher.
De plus, vous serez rencontré par votre gestionnaire, afin d'établir les nouvelles modalités de transport.
Nous demeurons disponibles pour répondre à vos questions.
Le chef centrales, Centrales Milieu du complexe.
Pierre Devost[11]
[Transcription textuelle; caractères gras ajoutés]
[18] Le 19 mars 2019, le Syndicat dépose le grief no 1500-MAN-2019-0053 :
Description du grief ou de la mésentente :
Contrairement à la convention collective en vigueur, et à L.E. G9, qui reconduit pour la durée de la convention collective 2019-2023, les lettres d’entente provinciales, régionales et locales, l’employeur ne respecte pas tout particulièrement pas la L.E. MAN 8 et L.E. MAN 9, et ce sans s’y limiter.
Règlement demandé :
Qu’Hydro Québec cesse cette pratique, et qu’il compense tous les travailleurs concernés et qui seront concernés dans le futur, pour tous les préjudices subis, et qu’elle accorde une compensation monétaire à titre de dommages exemplaires. De plus, qu’Hydro Québec respecte tous les droits et privilèges prévus à la convention collective et aux lettres d’entente.[12]
[Transcription textuelle]
II. Analyse
[19] Les lettres d’entente étant identiques, sauf pour le nom des centrales, je me contenterai de reproduire le texte de MAN 9 :
LETTRE D’ENTENTE
No MAN 9 RÉGION MANICOUAGAN
EXPLOITATION DU POSTE MICOUA
ET DE LA CENTRALE DE MANIC 3
Nonobstant toute disposition contraire de la convention collective qui les régit, les opérateurs des emplacements ci-haut mentionnés sont soumis aux conditions de travail suivantes :
1. a) la cédule des journées régulières de travail et des journées de repos est telle que stipulée à l’annexe « A »
b) la journée régulière de travail ne dépasse pas douze (12) heures
c) les quarts s’établissent comme suit :
de 20:00 à 08:00
de 08:00 à 20:00
d) les opérateurs occupent toutes les positions à tour de rôle.
2. Une telle cédule signifie une semaine moyenne de trente-sept (37) heures et cinq (5) heures additionnelles dont deux (2) heures sont rémunérées au taux de surtemps :
a) les trois (3) heures additionnelles accumulées par l’employé par semaine régulière rémunérée par la Direction produit annuellement un maximum de treize (13) jours de congé de douze (12) heures chacun;
b) ces congés sont intégrés à la cédule au premier (1er) mai de chaque année selon les mêmes modalités de choix que les vacances. L’employé qui a pris par anticipation un ou des jours de congés et qui cesse d’être assigné à un poste de travail sur lequel du temps est accumulé doit rembourser à celle-ci la rémunération reçue;
3. Le temps supplémentaire exécuté en dehors de la journée régulière de travail de douze (12) heures est rémunéré au double du taux régulier.
4. Les opérateurs travaillant de 08:00 à 20:00 reçoivent la prime de quart prévue à la convention collective pour les heures travaillées entre 16:00 et 20:00.
5. Aux fins d’application du Régime de sécurité de salaire, l’employé absent de son travail, une journée donnée, pour une des causes lui donnant droit à compensation en vertu du régime a droit à une compensation égale à douze (12) heures de travail et on ne lui débite qu’une journée à même les jours alloués qu’il a à son crédit.
6. Lors de l’un des jours fériés prévus à la convention collective, un opérateur qui n’est pas requis de travailler, parce qu’il est en congé cédulé ou en vacances, a droit à la rémunération d’une journée régulière de travail de douze (12) heures pour le jour férié.
7. Les vacances sont assujetties au crédit prévu à la convention collective. Cependant, le crédit sera ajusté du nombre d’heures ou partie d’heure requis lorsque celui-ci sera insuffisant pour compléter le nombre d’heures prévu par son horaire pour la journée de vacances.
8. Les dimanches et les jours fériés se calculent non pas de minuit (00:00) à minuit (24:00) mais de vingt heures (20:00) la veille à vingt heures (20:00) le jour même.
9. Une indemnité fixe de repas de trente dollars et cinquante-quatre cents (30,54 $) à compter du 20 décembre 1999 est versée à l’employé pour chaque journée de travail passé à Manic 3 et Micoua. Les majorations pour les années 1999 à 2003 sont indiquées à l’appendice B.
10. Hydro-Québec fournit gratuitement le logement et l’ameublement normal qui comprend lit, bureau, table de chevet, lampes, table de travail, chaise, fauteuil et télévision dans chaque chambre aux opérateurs à Micoua.
11. Hydro-Québec met gratuitement à la disposition des employés des emplacements adéquats et l’équipement nécessaire aux loisirs. Exemple : atelier de bricolage, salle de jeux avec table de billard, table de ping-pong, revues, etc.
12. a) les opérateurs reçoivent un montant équivalent à une (1) heure et trente (30) minutes au taux de salaire régulier plus une demie pour chaque voyage effectué en dehors de la journée régulière de travail à destination et lors du retour de Micoua.
b) Hydro-Québec fournit un moyen de transport par taxi pour ces voyages;
c) Hydro-Québec met à la disposition des opérateurs qui partent travailler aux installations ci-haut mentionnées des terrains de stationnement pour leur voiture personnelle au siège régional.
13. Une prime de soixante-dix-sept dollars et seize cents (77,16 $) à compter du 20 décembre 1999 par semaine est versée aux employés travaillant à Micoua et Manic 3. Les majorations pour les années 1999 à 2003 sont indiquées à l’appendice B.[13]
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[20] L’arbitre formule ainsi la question en litige :
[69] La question en litige concerne la possibilité pour l’employeur de modifier la façon dont les tâches des opérateurs mobiles affectés au Milieu du complexe sont effectuées. De façon plus concrète, est-il possible pour lui de décider que ces salariés ne sont plus tenus de coucher sur les lieux du travail et doivent en conséquence cesser de profiter des avantages et des primes prévues aux lettres d’entente MAN 8 et MAN 9?[14]
[21] Puis, se livrant à un exercice d’interprétation, l’arbitre divise le texte des lettres d’entente en deux sections distinctes, « bien que cela ne paraisse pas de façon explicite »[15]. Le cœur de son raisonnement se trouve aux paragraphes 75 à 79 de la sentence arbitrale :
[75] Cela dit, je crois que la distinction entre les deux types de conditions de travail dans cette lettre d’entente est un élément de réflexion important. Je suis en effet d’avis que celles qui sont définies dans la première partie de la lettre d’entente [articles 1 à 8] sont en quelque sorte immuables. Elles mettent en effet en place des règles strictes, qui encadrent les conditions d’exécution du travail des opérateurs mobiles concernés. Ces dispositions, qui remplacent celles prévues dans la convention collective, sont le reflet des compromis convenus par les parties afin de s’adapter à une réalité particulière et ne peuvent vraisemblablement être modifiées de façon unilatérale par l’employeur.
[76] Les règles énumérées dans la deuxième partie de la lettre d’entente [articles 9 à 13] n’ont pas la même portée. De fait, il s’agit, dans ce cas, d’une série de normes qui sont manifestement liées au fait pour les opérateurs mobiles d’être appelés à travailler dans un endroit éloigné de leur port d’attache en raison de la nécessité de leur présence assidue dans divers lieux, dont le Milieu du complexe. Comme je l’ai déjà évoqué, la lettre d’entente MAN 9 prévoit l’obligation de loger confortablement et gratuitement les salariés qui doivent ainsi demeurer sur place. Des mesures obligent également l’employeur à payer les coûts liés aux repas pris dans ce lieu et, vraisemblablement, afin de compenser l’éloignement de la résidence des opérateurs mobiles. Elle s’intéresse également aux modalités devant régir le transport des salariés en dehors des heures régulières de travail.
[77] Il faut déterminer si les règles énoncées aux articles 9 à 13 de la lettre d’entente impliquent que l’employeur ne puisse choisir un autre mode d’opération qui ne requiert pas de tels séjours dans un endroit aménagé par Hydro-Québec, par exemple au Milieu du complexe. Dans une telle hypothèse, les opérateurs mobiles n’auraient notamment pas droit au paiement des indemnités qui compensent les inconvénients subis.
[78] L’analyse des textes conventionnels en cause permet de conclure que rien n’y indique que le travail des opérateurs mobiles affectés au Milieu du complexe doive nécessairement être fait en demeurant sur place pour la durée des séquences de deux ou trois journées de travail continu prévues à l’horaire. Il y est en effet seulement indiqué quelles sont les conditions de travail qui doivent s’appliquer dans une telle hypothèse.
[79] Je crois que l’employeur conserve, dans ce contexte, une marge de manœuvre significative dans la façon de faire exécuter le travail par les opérateurs mobiles. Il s’agit là en effet d’un droit de gérance qui ne peut être écarté que par un texte clair, tel que le prévoit d’ailleurs l’article 6.01 de la convention collective. Il ne suffit donc pas de fixer des conditions de travail lorsque les salariés sont appelés à demeurer sur place pendant plusieurs jours, comme le prévoit les lettres d’entente MAN 8 et MAN 9, pour qu’il y ait une telle renonciation de la part de l’employeur.[16]
[Caractères gras ajoutés]
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[22] Appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, le juge de la Cour supérieure est d’avis que « les lettres d’entente MAN 8 et MAN 9 ne donnent pas place à l’interprétation »[17] et que la sentence arbitrale n’est pas une issue raisonnable, notamment en raison du « résultat net » qu’elle produit :
[34] Le résultat net de la sentence arbitrale rendue est que les opérateurs mobiles de Milieu de complexe dans la Manicouagan doivent maintenant, après avoir consenti de se soumettre à un horaire atypique de 2 ou 3 jours consécutifs de travail d’une durée de 12 heures, tant de nuit que de jour, ne plus voir leur employeur leur offrir le gîte et mettre fin à leur indemnité de repas et prime de travail.
[35] Ceci implique, et ce n’est pas rien, que chaque début ou fin de quart de travail, requiert approximativement une heure et demie d’automobile pour un total de 3 heures, compte tenu de la particularité de la route 389.
[36] La lecture des lettres d’entente MAN 8 et MAN 9 ne fait aucunement ressortir la divisibilité des conditions de travail y énumérées; les parties convenant dans leur préambule que les opérateurs des emplacements de milieux de centrales sont soumis à des conditions de travail qui s’énumèrent les unes après les autres.
[37] Ni plus ni moins, la décision de l’arbitre amène à conserver intégralement les articles 1 à 8 favorables à l’employeur et mettre de côté les articles 9 à 13 que les opérateurs mobiles considèrent comme un avantage.
[…]
[39] Pourtant, pendant des années, des décennies, on applique les lettres d’entente comme un tout (horaire et heures de travail atypiques = logement sans frais, indemnités de repas et primes de travail) et unilatéralement, l’employeur change la donne, conservant l’horaire atypique qui lui convient et forcément permet d’œuvrer avec deux équipes au lieu de trois (8 heures chacune) et de cesser d’offrir le logement, les indemnités et primes adjacentes.
[40] Scinder les lettres d’entente comme l’arbitre l’a fait, alors qu’elles ne donnent place à aucune interprétation et appliquées comme un tout depuis si longtemps, que personne en place, ni de la direction ni du Syndicat ni des opérateurs mobiles, ne s’en souvient ou n’étaient en fonction, n’est pas une décision raisonnable.
[…]
[43] La conclusion retenue de scinder les lettres d’entente, de faire bénéficier l’employeur d’une partie et ne pas l’obliger à respecter l’autre ou encore à finaliser une négociation le permettant n’était pas une issue raisonnable.[18]
***
[23] Je suis d’accord avec le juge. Le texte des lettres d’entente est clair et ne comporte aucune ambiguïté nécessitant de les interpréter. Ces lettres d’entente stipulent 13 conditions de travail qui s’imposent aux parties « nonobstant toute disposition contraire de la convention collective ».
[24] Ces conditions de travail concernent l’horaire, le logement à Micoua, une indemnité fixe de repas, le voyagement à destination et au retour des centrales ainsi qu’une prime hebdomadaire. Elles sont indissociables les unes des autres et l’arbitre ne pouvait les distinguer sans dénaturer le texte des lettres d’entente.
[25] Incidemment, l’indemnité fixe de repas et la prime hebdomadaire sont des composantes de la rémunération des opérateurs mobiles. Il ne s’agit pas d’un remboursement de dépenses réellement encourues.
[26] L’arbitre reconnaît du reste que ces conditions de travail, notamment le logement à Micoua, ont pesé lourd dans le choix des opérateurs mobiles de travailler dans une centrale du Milieu du complexe :
[27] Au cours des années, les opérateurs mobiles ont été appelés à se déplacer le plus souvent en dehors des heures habituelles de travail et à loger à la Résidence Vallant. Conformément aux lettres d’ententes, les opérateurs mobiles ont alors profité du transport par taxi, de la rémunération au taux du temps supplémentaire pour les heures de déplacement en dehors de l’horaire régulier, des bénéfices liés à la prime de repas et à celle prévue à l’article 13, dont la nature n’est pas spécifiée.
[28] Les témoins entendus à la demande de la partie syndicale ont indiqué que la façon dont le travail était structuré au poste Micoua, notamment le coucher à la Résidence Vallant, avait été un élément important dans leur choix de poser leur candidature.[19]
[27] Dès lors qu’il s’agit de conditions de travail essentielles – et c’est généralement le cas des conditions qui ont trait à la rémunération et au lieu d’exécution des tâches – l’Employeur ne pouvait les modifier unilatéralement. Comme le rappelle la juge Bich dans l’arrêt 2108805 Ontario inc. c. Boulad, le droit de gérance de l’employeur n’est pas illimité et la marge de manœuvre dont il dispose dépend des circonstances et des termes du contrat de travail :
[49] En vertu du droit de gérance et de direction qui lui échoit de par l’article 2085 C.c.Q., l'employeur peut modifier les conditions de travail de ses salariés, même de façon unilatérale, afin d'adapter l'environnement de travail à l'évolution de l'entreprise, afin de rendre celle-ci plus productive ou de répondre à des contraintes externes, etc. L'entreprise est une sorte d'écosystème, si l'on veut, marqué de changements grands et petits. En conséquence, les conditions de travail sont dynamiques et non pas statiques, la marge de manœuvre de l'employeur dépendant évidemment des circonstances et des termes du contrat de travail.
[50] Cela dit, l'employeur ne peut pas, du moins pas unilatéralement, modifier de manière substantielle, c.-à-d. importante, les conditions essentielles du contrat de travail du salarié, conditions essentielles qui tiennent principalement à la rémunération et à la nature des tâches, ainsi qu'au lieu d'exécution de celles-ci. S'il agit ainsi, il manque à ses obligations issues, par accord de volonté, d'un acte juridique bilatéral dont il ne peut modifier seul les termes fondamentaux. […][20]
[Renvois omis]
[28] L’article 6.01 de la convention collective auquel l’arbitre se réfère comporte la même restriction :
6.01 La Direction a et conserve tous les droits et privilèges lui permettant d’administrer et de diriger efficacement le cours de ses opérations présentes et à venir. Les seules considérations qui limitent ces droits sont les restrictions apportées par les termes de la présente convention.[21]
[29] L’erreur fondamentale de l’arbitre est d’avoir considéré les articles 9 à 13 des lettres d’entente non pas comme des conditions de travail essentielles, mais plutôt comme « l’accessoire du principal ». Il écrit à ce sujet :
[81] De plus, puisque les opérateurs mobiles ne demeurent plus systématiquement à la Résidence Vallant, les primes qui visaient à les dédommager pour les inconvénients liés à la prise de leurs repas et au découcher n’ont plus de raison d’être. Elles n’ont en effet toujours été que l’accessoire du principal que représentait le fait pour les opérateurs mobiles de devoir coucher à l’extérieur de leur résidence personnelle.
[82] Évidemment, ces conditions de travail devront être réactivées dans la mesure où l'employeur décide de demander aux salariés de coucher sur place, à la Résidence Vallant ou dans un autre lieu approprié. Les parties conviennent en effet que les lettres d’entente MAN 8 et MAN 9 sont toujours en vigueur, même pour leur deuxième section.[22]
[30] Cette interprétation se heurte au libellé des lettres d’entente. D’abord, il n’est pas dit que l’indemnité fixe de repas et la prime hebdomadaire visaient seulement à « dédommager [les opérateurs mobiles] pour les inconvénients liés à la prise de leurs repas et au découcher ». Ces avantages monétaires, considérés dans l'ensemble des lettres d'entente et non isolément, ont pu tout aussi bien inciter les opérateurs mobiles à accepter un horaire de type 3-2-2-3 sur des quarts de 12 heures, en alternance de jour et de nuit.
[31] Ensuite, selon MAN 8 et MAN 9, l’Employeur ne demande pas aux opérateurs mobiles de coucher sur place; il leur fournit gratuitement le logement, ce qui est fort différent. Cette condition de travail n’est ni facultative ni conditionnelle à une demande de l’Employeur ou à la façon dont le travail des opérateurs mobiles est effectué. Elle permet aux opérateurs mobiles, lorsqu’ils sont appelés à intervenir sur place, d’éviter de faire l’aller-retour dans la même journée.
[32] Enfin, s’il fallait recourir aux règles d’interprétation des contrats[23], l’interprétation que l’arbitre donne aux lettres d’entente est contraire à celle que les parties leur ont donnée jusqu’à tout récemment. Comme le souligne le juge, les parties ont appliqué les lettres d’entente « comme un tout » pendant des décennies.
[33] En 2017, lorsque l’Employeur a voulu réorganiser le travail des opérateurs mobiles dans les centrales du Milieu du complexe, il considérait les lettres d’entente comme un « enjeu »[24]. Il savait que la réorganisation envisagée passait par la négociation de nouvelles conditions de travail. Dans une communication datée du 28 mai 2018, on lit que « les lettres d’entente en exploitation seront dénoncées à la fin de la convention collective ».
[34] Le 12 décembre 2018, alors que le différend entre les parties existait, l’Employeur a accepté de reconduire les lettres d’entente pour la durée de la convention collective, sans se réserver le droit de les négocier en cours de convention[25]. Il ne pouvait pas, deux mois plus tard et après avoir acquis la paix industrielle[26], « redéfinir les conditions de travail » des opérateurs mobiles de façon unilatérale. Le Syndicat n’a pas tort d’y voir une tentative de « coup de force ».
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[35] En somme, à l’instar du juge et avec égards pour l’opinion de ma collègue la juge Cotnam, je suis d’avis que la sentence arbitrale est déraisonnable au regard du libellé des lettres d’entente et de l’interprétation que les parties leur ont donnée dans le passé. Comme déjà mentionné, ces lettres d’entente stipulent 13 conditions de travail qui s’imposent aux parties « nonobstant toute disposition contraire de la convention collective ». L’Employeur ne pouvait les modifier de façon unilatérale en cours de convention collective. De son côté, l’arbitre ne pouvait, sans usurper le rôle des parties dans le processus de négociation, réécrire les lettres d’entente afin qu’elles s’accordent mieux avec ce qu’il considère être la nouvelle réalité du travail.
[36] L’Employeur estime que le juge a erré en tranchant lui-même le litige, mais il ne propose aucune autre interprétation raisonnable des lettres d’entente. Il ne demande pas non plus, de façon subsidiaire, le renvoi du dossier devant l’arbitre pour qu’il décide du grief.
[37] Dans les circonstances, je rejetterais simplement l’appel, avec les frais de justice.
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SUZANNE GAGNÉ, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE COTNAM |
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[38] J’ai pris connaissance des motifs, fort bien rédigés, de ma collègue la juge Gagné. J’estime cependant que l’appel doit être accueilli, car la décision rendue par l’arbitre représente une issue raisonnable et le juge de la Cour supérieure n’aurait pas dû intervenir.
[39] L’interprétation proposée par l’arbitre, qui détient une compétence spécialisée en matière de droit du travail, respecte la teneur des lettres d’entente négociées entre les parties et la réalité du travail effectué par les opérateurs des centrales du Milieu du complexe.
[40] Ces derniers veillent au bon fonctionnement des centrales. À l’origine, ce travail nécessitait une présence physique continue des opérateurs sur le site. En raison de la nature du travail et de l’horaire particulier imposé aux salariés, les lettres d’entente sont venues préciser certaines conditions qui dérogent à la Convention collective.
[41] Depuis 2017, l’évolution technologique fait en sorte que le travail de surveillance et d’intervention peut désormais être exécuté en partie à distance depuis Baie-Comeau et la présence en permanence des opérateurs sur le site n’est plus requise. L’arbitre mentionne ce qui suit dans sa décision :
[16] Une partie importante du travail de surveillance des équipements de production d’électricité est fait à partir du Centre d’exploitation du réseau d’Hydro-Québec à Baie-Comeau, en utilisant des techniques modernes de suivi à distance. Des changements technologiques majeurs ont d’ailleurs amené des façons différentes d’intervenir, qui passent moins par des interventions directes sur le terrain. Il demeure toutefois nécessaire que des salariés soient présents dans les centrales, afin de faire certaines vérifications particulières et, au besoin, procéder à la sécurisation des lieux et à la réparation des équipements.[27]
[42] Ainsi, lorsque leur présence sur les lieux est exigée, les opérateurs se déplacent, pendant leur quart de travail, avec les véhicules d’Hydro-Québec afin d’y exécuter leur travail.
[43] L’intimé reconnaît que l’employeur, à l’intérieur de son droit de gérance, peut imposer que les déplacements vers les centrales se fassent pendant les heures régulières de travail. Il ne semble pas remettre en cause le fait qu’une partie de la surveillance et certaines interventions puissent désormais être effectuées à distance à partir de Baie-Comeau. Il maintient cependant que l’employeur doit continuer de fournir un lieu d’hébergement adéquat au poste de Micoua et de verser les primes d’éloignement prévues dans les lettres d’entente même si les employés ne demeurent plus sur place.
[44] Le grief, dont la teneur ne pêche pas par excès de clarté, vise à forcer Hydro‑Québec à respecter « les droits et privilèges rattachés à la Convention collective et aux lettres d’entente », tout en recherchant une compensation financière pour la perte des avantages prévus aux clauses 9 à 13 des lettres d’entente et des dommages-intérêts exemplaires.
[45] Afin de faciliter la lecture des motifs, je crois utile de reproduire de nouveau au long une des lettres d’entente, les autres étant identiques sous réserve de la désignation de la centrale concernée :
LETTRE D’ENTENTE
No MAN 9 RÉGION MANICOUAGAN
EXPLOITATION DU POSTE MICOUA
ET DE LA CENTRALE DE MANIC 3
Nonobstant toute disposition contraire de la convention collective qui les régit, les opérateurs des emplacements ci-haut mentionnés sont soumis aux conditions de travail suivantes :
1. a) la cédule des journées régulières de travail et des journées de repos est telle que stipulée à l’annexe « A »
b) la journée régulière de travail ne dépasse pas douze (12) heures
c) les quarts s’établissent comme suit :
de 20:00 à 08:00
de 08:00 à 20:00
d) les opérateurs occupent toutes les positions à tour de rôle.
2. Une telle cédule signifie une semaine moyenne de trente-sept (37) heures et cinq (5) heures additionnelles dont deux (2) heures sont rémunérées au taux de surtemps :
a) les trois (3) heures additionnelles accumulées par l’employé par semaine régulière rémunérée par la Direction produit annuellement un maximum de treize (13) jours de congé de douze (12) heures chacun;
b) ces congés sont intégrés à la cédule au premier (1er) mai de chaque année selon les mêmes modalités de choix que les vacances. L’employé qui a pris par anticipation un ou des jours de congés et qui cesse d’être assigné à un poste de travail sur lequel du temps est accumulé doit rembourser à celle-ci la rémunération reçue;
3. Le temps supplémentaire exécuté en dehors de la journée régulière de travail de douze (12) heures est rémunéré au double du taux régulier.
4. Les opérateurs travaillant de 08:00 à 20:00 reçoivent la prime de quart prévue à la convention collective pour les heures travaillées entre 16:00 et 20:00.
5. Aux fins d’application du Régime de sécurité de salaire, l’employé absent de son travail, une journée donnée, pour une des causes lui donnant droit à compensation en vertu du régime a droit à une compensation égale à douze (12) heures de travail et on ne lui débite qu’une journée à même les jours alloués qu’il a à son crédit.
6. Lors de l’un des jours fériés prévus à la convention collective, un opérateur qui n’est pas requis de travailler, parce qu’il est en congé cédulé ou en vacances, a droit à la rémunération d’une journée régulière de travail de douze (12) heures pour le jour férié.
7. Les vacances sont assujetties au crédit prévu à la convention collective. Cependant, le crédit sera ajusté du nombre d’heures ou partie d’heure requis lorsque celui-ci sera insuffisant pour compléter le nombre d’heures prévu par son horaire pour la journée de vacances.
8. Les dimanches et les jours fériés se calculent non pas de minuit (00:00) à minuit (24:00) mais de vingt heures (20:00) la veille à vingt heures (20:00) le jour même.
9. Une indemnité fixe de repas de trente dollars et cinquante-quatre cents (30,54 $) à compter du 20 décembre 1999 est versée à l’employé pour chaque journée de travail passé à Manic 3 et Micoua. Les majorations pour les années 1999 à 2003 sont indiquées à l’appendice B.
10. Hydro-Québec fournit gratuitement le logement et l’ameublement normal qui comprend lit, bureau, table de chevet, lampes, table de travail, chaise, fauteuil et télévision dans chaque chambre aux opérateurs à Micoua.
11. Hydro-Québec met gratuitement à la disposition des employés des emplacements adéquats et l’équipement nécessaire aux loisirs. Exemple : atelier de bricolage, salle de jeux avec table de billard, table de ping-pong, revues, etc.
12. a) les opérateurs reçoivent un montant équivalent à une (1) heure et trente (30) minutes au taux de salaire régulier plus une demie pour chaque voyage effectué en dehors de la journée régulière de travail à destination et lors du retour de Micoua.
b) Hydro-Québec fournit un moyen de transport par taxi pour ces voyages;
c) Hydro-Québec met à la disposition des opérateurs qui partent travailler aux installations ci-haut mentionnées des terrains de stationnement pour leur voiture personnelle au siège régional.
13. Une prime de soixante-dix-sept dollars et seize cents (77,16 $) à compter du 20 décembre 1999 par semaine est versée aux employés travaillant à Micoua et Manic 3. Les majorations pour les années 1999 à 2003 sont indiquées à l’appendice B.[28]
[Caractères gras ajoutés]
[46] L’arbitre conclut, selon moi à juste titre, que les lettres d’entente n’exigent pas que le travail des opérateurs soit exécuté sur le site des centrales du Milieu du complexe ou que l’employé y réside. Elles ne précisent pas comment et à partir de quel endroit s’effectuent les tâches de surveillance et d’entretien.
[47] Selon lui, les clauses 1 à 8 s’appliquent universellement sans égard au lieu de travail. Les clauses 9 à 13 s’ajoutent à ces conditions afin d’indiquer les modalités additionnelles visant à pallier les conséquences liées à l’éloignement de l’opérateur de sa résidence en dehors des heures de travail.
[48] L’arbitre reconnaît que ces conditions s’appliquent toujours si l’employeur exige que l’opérateur couche sur place aux fins de son travail. Il estime cependant que, dans la mesure où le travail n’exige plus que les employés résident sur les lieux pendant plusieurs jours, l’employeur peut, à l’intérieur de son droit de gérance, fermer la Résidence Vallant et n’est plus tenu de verser les indemnités prévues aux clauses 9 à 13.
[49] Il conclut :
[77] Cela impose de déterminer si les règles énoncées aux articles 9 à 13 de la lettre d’entente impliquent que l’employeur ne puisse choisir un autre mode d’opération, qui ne requiert pas de tels séjours dans un endroit aménagé par Hydro-Québec, par exemple au Milieu du complexe, et en conséquence le paiement de diverses indemnités afin de compenser les inconvénients subis.
[78] L’analyse des textes conventionnels en cause m’amène à croire que rien n’y indique que le travail des opérateurs mobiles affectés au Milieu du complexe doive nécessairement être fait en demeurant sur place pour la durée des séquences de deux ou trois journées de travail continu prévues à l’horaire. Il y est en effet seulement indiqué quelles sont les conditions de travail qui doivent s’appliquer dans une telle hypothèse.
[79] Je crois que l’employeur conserve, dans ce contexte, une marge de manœuvre significative dans la façon de faire exécuter le travail par les opérateurs mobiles. Il s’agit là en effet d’un droit de gérance qui ne peut être écarté que par un texte clair, tel que le prévoit d’ailleurs l’article 6.01 de la convention collective. Il ne suffit donc pas de fixer des conditions de travail lorsque les salariés sont appelés à demeurer sur place pendant plusieurs jours, comme le prévoit la lettre d’entente MAN 9, pour qu’il y ait une telle renonciation de la part de l’employeur.[29]
[Caractères gras ajoutés]
[50] La décision de l’arbitre m’apparaît raisonnable et respecter le cadre général des lettres d’entente.
[51] Au surplus, le juge de la Cour supérieure commet à mon avis une erreur lorsqu’il considère que l’arbitre scinde les lettres d’entente et qu’il affirme :
[34] Le résultat net de la sentence arbitrale rendue est que les opérateurs mobiles de Milieu de complexe dans la Manicouagan doivent maintenant, après avoir consenti de se soumettre à un horaire atypique de 2 ou 3 jours consécutifs de travail d’une durée de 12 heures, tant de nuit que de jour, ne plus voir leur employeur leur offrir le gîte et mettre fin à leur indemnité de repas et prime de travail.[30]
[52] En effet, les travailleurs sont toujours indemnisés pour leur horaire atypique, les clauses 2 à 4 des lettres d’entente continuent à s’appliquer même si l’employé travaille à partir de Baie-Comeau ou s’il est appelé à se déplacer pendant ses heures normales de travail.
[53] Les clauses 9 à 13, comme l’a décidé l’arbitre, pallient le fait qu’en raison des exigences de l’employeur, l’opérateur n’est pas en mesure de retourner à sa résidence à la fin de son quart de travail. C’est dans ce contexte que l’employeur se doit de lui offrir le gite, une indemnité de repas ou une prime d’éloignement visant à compenser le fait que l’employé ne peut rentrer chez lui alors qu’il a complété sa journée de travail.
[54] Or, l’éloignement n’est plus systématiquement requis et, lorsqu’il l’est, l’employé revient à sa résidence à l’intérieur de ses heures de travail.
[55] L’interprétation préconisée par l’arbitre ne dénature pas les lettres d’entente et il ne m’apparaît pas déraisonnable de conclure que les employés ne peuvent exiger que l’employeur les compense pour l’éloignement lorsqu’ils exécutent leur travail à partir de Baie-Comeau ou qu’ils font un aller-retour à la centrale pendant leurs heures régulières de travail.
[56] Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement rendu par l’honorable Serge Francoeur le 25 juin 2021 et de rétablir la sentence arbitrale rendue par Me Pierre-Georges Roy le 18 février 2020.
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GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
[1] Hydro-Québec et SCFP, section locale 1500, 2020 QCTA 81 [Sentence arbitrale].
[2] Syndicat des employé-es de métiers Hydro-Québec (section locale 1500) c. Roy, 2021 QCCS 3043 [Jugement entrepris].
[3] Hydro-Québec c. Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP‑FTQ), 2021 QCCA 1384 (j. Ruel).
[4] Le choix de cette norme ne fait plus l'objet de débat.
[5] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 [Vavilov].
[6] Cela signifie qu’ils travaillent trois jours, sont en congé deux jours, travaillent deux jours, sont en congé trois jours, et ainsi de suite, en alternance de jour et de nuit, les quarts de travail étant de 8 h à 20 h ou de 20 h à 8 h.
[7] Pièce P-11, Lettre de l’Employeur adressée au Syndicat le 29 mai 2018. Dans cette lettre, l’Employeur précise que les opérateurs mobiles « seront de retour à Baie-Comeau à chaque jour », ce qui implique trois heures de voyagement.
[8] Pièce P-7, Cadre d’entente et décision de la juge administrative du TAT, Marie-Claude Grignon, 21 juin 2018.
[9] Pièce P-3, Convention collective 2019-2023, lettre d’entente G-9.
[10] Pièce P-8, Lettre de l’Employeur adressée au Syndicat le 18 décembre 2018.
[11] Pièce P-9, Lettre de l’Employeur adressée au Syndicat le 8 février 2019.
[12] Pièce P-6, Grief syndical (1500-MAN-2019-0053), 19 mars 2019.
[13] Pièce P-5, Lettres d’entente MAN 8 et MAN 9, 8 novembre 2000.
[14] Sentence arbitrale, paragr. 69.
[15] Id., paragr. 72.
[16] Id., paragr. 75-79.
[17] Jugement entrepris, paragr. 28.
[18] Jugement entrepris, paragr. 34-37, 39-40 et 43.
[19] Pièce P-1, Sentence arbitrale du Défendeur rendue le 18 février 2020, paragr. 27-28.
[20] 2108805 Ontario inc. c. Boulad, 2016 QCCA 75, paragr. 50.
[23] Art. 1425 et s. C.c.Q., règles qui s’appliquent aux conventions collectives.
[24] Pièce P-23, Présentation PowerPoint au Syndicat (enjeux en exploitation – postes et centrales), 18 avril 2017, diapositive 10.
[25] Par contraste, la lettre d'entente G-9 prévoit que d’autres lettres d'entente « feront l'objet de discussions via un comité technique ou de négociation au moment opportun en cours de convention ».
[26] Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 107.
[27] Sentence arbitrale, paragr. 16.
[29] Sentence arbitrale, paragr. 75-79.
[30] Jugement entrepris, paragr. 34.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.