Jullian et Transport Georges Léger (Fermé) |
2013 QCCLP 5213 |
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Dossier 468402
[1] Le 2 avril 2012, monsieur Serge Jullian (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 mars 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 8 décembre 2011 et déclare qu’elle est justifiée de suspendre le paiement d’indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 8 décembre 2011.
Dossier 474965
[3] Le 20 juin 2012, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 11 juin 2012 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 27 avril 2012 et déclare qu’elle est justifiée de cesser le versement d’indemnités de remplacement du revenu au travailleur le 26 avril 2012, puisque sa lésion est consolidée et qu’il ne conserve aucune limitation fonctionnelle.
[5] De plus, la CSST déclare qu’elle doit cesser de payer les soins et les traitements après le 26 avril 2012, puisqu’ils ne sont plus justifiés. Finalement, la CSST déclare que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel étant donné l’absence d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique.
Dossier 479428
[6] Le 13 août 2012, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 31 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative.
[7] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 3 juillet 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 avril 2012 et qu’il n’a pas droit à des prestations en vertu de la loi.
[8] La Commission des lésions professionnelles tient des audiences à Drummondville le 31 octobre 2012, les 29 et le 30 janvier 2013 ainsi que le 18 juin 2013. Le travailleur est présent et il est représenté par un avocat. Transport Georges Léger (l’employeur) n’est pas présent de même que le séquestre Ernst & Young. La CSST est présente et elle est représentée par une avocate. Avec approbation du tribunal, les procureurs des parties ont déposé des argumentations écrites. Les dossiers sont mis en délibéré le 20 août 2013, date à laquelle le tribunal a pris connaissance de l’ensemble des documents transmis par les procureurs.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 468402
[9] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision mettant fin au versement des indemnités de remplacement du revenu et de déclarer qu’il a droit à la reprise du versement de ses prestations.
Dossier 474965
[10] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa lésion professionnelle n’est pas consolidée. De plus, il requiert le maintien du versement de ses indemnités de remplacement du revenu.
Dossier 479428
[11] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une récidive, rechute ou aggravation le 23 avril 2012 puisque la fracture au niveau D12-L1 est en lien avec sa lésion professionnelle.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[12] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrecevable la preuve vidéo, les rapports de surveillance et le rapport d’enquête déposés par la CSST.
LES FAITS
[13] Le travailleur est camionneur lorsqu’il se blesse le 25 avril 2004 lors d’un accident de la route aux États-Unis. Un médecin constate des blessures multiples. Il recommande un arrêt de travail et il suggère un suivi médical.
[14] Le 3 mai 2004, le docteur Jean-Luc Betit, omnipraticien, diagnostique des abrasions cutanées dorsales et des contusions musculaires multiples. Il prolonge l’arrêt de travail de son patient.
[15] Le 16 juillet 2004, le docteur Pierre Bergeron, omnipraticien, diagnostique une entorse cervicale, un étirement possible du plexus brachial droit, une entorse antéro-postérieure au glénoïde de l’épaule et une contusion aux membres inférieurs et à l’occipital. Il prescrit des traitements de physiothérapie.
[16] Dans une décision concernant le travailleur et refusant ses réclamations pour une récidive, rechute ou aggravation le 2 octobre 2006 et le 24 octobre 2007, la Commission des lésions professionnelles[1] trace un résumé de plusieurs décisions :
[13] Le 17 mai 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur pour la lésion professionnelle survenue le 25 avril 2004 lui ayant causé des abrasions cutanées et des contusions musculaires multiples. Cette décision n’est pas contestée.
[14] Le 27 août 2004, la CSST rend une autre décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur en regard d’un nouveau diagnostic d’entorse cervicale. Cette décision est contestée par l’employeur et maintenue par la CSST dans le cadre d’une révision administrative dans une décision rendue le 16 décembre 2004. L’employeur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles, mais se désiste de sa contestation de sorte que cette décision est devenue finale.
[15] Le 8 avril 2005, la CSST refuse une réclamation pour un nouveau diagnostic de syndrome fémoropatellaire au genou gauche en l’absence d’une démonstration à l’effet que cette lésion pouvait être reliée à la lésion professionnelle initiale du 25 avril 2004. Cette décision est contestée par le travailleur et maintenue par la CSST dans le cadre d’une révision administrative, décision qui n’a pas été contestée et qui est devenue finale.
[16] Le 15 septembre 2005, la CSST refuse une autre réclamation produite par le travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation qui se serait manifesté le 30 juillet 2005 en regard d’un diagnostic de douleur sternale chronique, de thoracalgie et de lombalgie droite au motif que le travailleur n’avait pas démontré une détérioration objective de son état de santé. Le travailleur conteste cette décision, laquelle est maintenue par la CSST dans le cadre d’une révision administrative à la suite d’une décision rendue le 29 novembre 2005, décision qui n’a pas été contestée et est devenue finale.
(…)
[17] Le 19 mars 2008, le travailleur consulte le docteur Richard R. Delisle, neurologue, qui envisage la possibilité d’un diagnostic de fibromyalgie devant la multiplicité des douleurs du travailleur. Il conclut à la vraisemblance de céphalées cervicogéniques et peut-être à une fibromyalgie surajoutée. Il recommande un traitement avec des neuromodulateurs.
[18] Le 19 novembre 2009, le docteur Frédéric Morin, rhumatologue, examine le travailleur. À l’examen physique, 10 des 18 points de fibromyalgie sont positifs. Il y a une douleur exquise à la palpation de l'apophyse xiphoïde et des insertions costochondrales. Le médecin conclut à des éléments compatibles avec une fibromyalgie post-trauma physique.
[19] Le 5 mars 2010, le docteur René Parent, physiatre, examine le travailleur en sa qualité de médecin désigné de la CSST. Le médecin rapporte en ces termes la condition que lui décrit le travailleur :
Rappelons que le patient présente maintenant, depuis 2004, des douleurs diffuses qu’il situe surtout au membre supérieur droit et aux deux membres inférieurs, mais touchant les quatre membres. Les douleurs touchent parfois les articulations avec parfois une sensation de picotement, de fourmillement auquel s’ajoute une douleur cervicale, dorsale et lombaire, de même que des céphalées. Les douleurs sont continues depuis 6 ans, exacerbées depuis 2006.
Actuellement, il nous décrit encore une symptomatologie de douleurs diffuses dont l’intensité est évaluée à 7/10, présente tous les jours. La douleur est toujours maximale aux membres inférieurs, aux deux fesses et membre supérieur droit. Le tout est associé à une céphalée, un mauvais sommeil, un sommeil non réparateur et de la fatigue. Il porte des verres correcteurs depuis son accident de la route. La douleur fluctue en intensité. Il se dit mieux lorsqu’il se mobilise avec raideur matinale. Les douleurs augmentent lorsqu’il est immobile. Il se dit plus confortable en eau chaude mais après, il y aura augmentation de l’intensité de la douleur. Aucune notion de gonflement articulaire, aucune rougeur, chaleur. Il décrit parfois une sensation de paresthésie aux mollets, aux cuisses, droite plus que gauche. Le patient nous décrit un impact fonctionnel important de ses douleurs, à tel point qu’il doit parfois monter les escaliers en fin de journée à quatre pattes, il dit ne pouvoir faire aucune activité physique significative étant très limité dans ses activités courantes.
Il allègue de grandes difficultés à prendre soin de son enfant de sept ans.
[20] Le docteur Parent opine que la condition du travailleur, l’évolution de ses symptômes et l'examen clinique du patient correspondent aux critères reconnus pour établir le diagnostic de fibromyalgie. Il relie cette condition à la lésion professionnelle sur le plan temporel, les symptômes ayant débuté après l'accident de la route. Lors de son examen clinique, le docteur Parent retrouve 12 points de fibromyalgie. Il ajoute qu’aucun phénomène inflammatoire ni aucune lésion neurologique ne peuvent expliquer la symptomatologie du travailleur.
[21] Le 9 avril 2010, la docteure Line Lemay, médecin-conseil à la CSST, analyse le dossier du travailleur en regard du diagnostic de fibromyalgie. Elle en arrive à la conclusion que le lien est possible entre ce diagnostic et l’événement d’origine.
[22] Le 15 avril 2010, la CSST accepte la relation entre le diagnostic de fibromyalgie et la lésion d’origine du travailleur. Le 14 juillet 2011, la Commission des lésions professionnelles[2] déclare que la date à retenir concernant cette récidive, rechute ou aggravation est celle du 19 mars 2008.
[23] Le 30 juillet 2010, le docteur Parent examine à nouveau le travailleur à la demande de la CSST. Le médecin rapporte la condition que lui décrit le travailleur :
Monsieur Jullian demeure symptomatique de ses douleurs diffuses. Il nous décrit des douleurs cervicales, dorsales, lombaires, deux membres supérieurs, droit plus que gauche, deux membres inférieurs, avec une sensation de brûlure. Il estime ses douleurs en moyenne à 6/10. Il dit dormir par épuisement, le sommeil est non réparateur, de mauvaise qualité. Il se dit fatigué. Il décrit une impression de gonflement des deux membres inférieurs, des deux membres supérieurs, plus particulièrement aux mollets, des pieds, qui serait survenu à quelques reprises. Le tout pourrait correspondre à l’introduction du Lyrica. Il pourrait s’agir d’un effet adverse de cette médication.
La symptomatologie douloureuse augmente à l’effort. Il présente une raideur matinale significative. Après dix minutes de mobilisation, la douleur s’atténue. Les douleurs sont diffuses, touchant l’ensemble du corps et plus particulièrement présentes le matin.
Il nous décrit un impact fonctionnel important de cette symptomatologie douloureuse à tel point qu’il doit parfois monter les escaliers en fin de journée à quatre pattes, il dit ne pouvoir faire aucune activité physique significative, étant très limité dans ses activités courantes.
Lorsqu’il se mobilise en eau chaude, il se dit mieux, cependant après l’activité, la douleur s’intensifie, il doit prendre du Démérol. Lorsqu’il veut faire du vélo, après quelques minutes de vélo, la douleur s’intensifie, il doit s’arrêter.
Il allègue d’autre part, avoir de grandes difficultés à prendre soin de son enfant de sept ans.
Concernant ses activités de la vie quotidienne, il vit dans un appartement au premier étage. Il peut vaquer à son habillage et son hygiène corporelles, seul. L’entretien extérieur est fait principalement à contrat, il fait quelques menus travaux nous dit-il. L’entretien intérieur est fait par sa conjointe et les employés de sa conjointe.
[24] À la suite de son examen clinique, le docteur Parent juge que la lésion est consolidée en raison d’une stabilisation de la lésion. Pour ce qui est de la nécessité de poursuivre les soins et les traitements, il croit nécessaire que le travailleur continue à prendre sa médication selon les prescriptions de son médecin. De plus, il ajoute :
(…) Nous insistons auprès du patient pour qu’il maintienne une activité physique à visée cardio-vasculaire, dans le but d’atténuer ses douleurs et d’améliorer sa condition physique générale.
Il est bien connu que l’inactivité dans le cadre d’une fibromyalgie, ne fera qu’exacerber la symptomatologie douloureuse.
[25] Le docteur Parent n’attribue aucun déficit anatomo-physiologique au travailleur pour le diagnostic de fibromyalgie puisqu’il ne correspond à aucune condition objective suivant le barème des dommages corporels de la CSST. En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, le médecin mentionne ce qui suit :
Ce patient présente un syndrome de douleurs chroniques avec une atteinte diffuse. Ainsi, le caractère continu de douleur et son effet sur le comportement et sur la capacité de concentration, sont incompatibles avec tout travail régulier. On peut toutefois envisager une activité dont le travailleur peut contrôler lui-même le rythme et l’horaire.
Il n’y a donc pas de restriction spécifique s’appliquant aux membres supérieurs ou aux membres inférieurs mais il s’agit davantage de restrictions globales.
[26] Le 14 septembre 2010, le docteur Mathieu prend connaissance de l’expertise médicale du docteur Parent et il donne son consentement aux conclusions exprimées par le médecin désigné par la CSST.
[27] Le 22 septembre 2010, la CSST avise le travailleur que son dossier est dirigé à une conseillère en réadaptation étant donné les conclusions du docteur Parent au sujet de sa capacité de travail.
[28] Le 27 septembre 2010, la CSST laisse un message téléphonique à une personne se présentant comme étant la réceptionniste du motel. Cette dernière mentionne que la gérante du motel est la conjointe du travailleur. L’intervenante de la CSST procède à une vérification des numéros de téléphone via l’internet. Elle note que les numéros de téléphone et les adresses correspondent à celui du « Motel le Victo » et du restaurant « L’âge de Pierre » et que ces données sont les mêmes pour les deux commerces.
[29] Le même jour, l’agente de la CSST communique avec le travailleur au sujet de l’évaluation du docteur Parent. Le travailleur exprime son sentiment d’inemployabilité en raison de son diagnostic de fibromyalgie. Questionné au sujet de la similitude de son numéro de téléphone avec celui d’un motel et d’un restaurant, le travailleur explique qu’il habite le motel où sa conjointe est gérante ce qui lui permet d’économiser en dépenses d’habitation. Il ajoute que sa fille habite sa maison, mais c’est lui qui conserve le titre de propriété. Sa fille assume les frais d’entretien de la maison. D’autre part, c’est aussi sa fille qui est propriétaire du restaurant. Pour ce qui est du motel, le propriétaire est un Français habitant en France. Pour sa part, le travailleur informe l’agente de la CSST qu’il ne travaille pas et qu’il n’aide pas sa femme. Le travailleur ajoute qu’étant donné sa formation de cuisinier, il a déjà été propriétaire d’un restaurant à Victoriaville de 2006 à 2008. Toutefois, à la suite de son accident, il a dû déclarer faillite, car il n’était plus en mesure d’opérer cet établissement.
[30] La conseillère en réadaptation et l’agente d’indemnisation rencontrent le travailleur le 18 novembre 2010 en présence de sa conjointe et de leur fille au motel. Le procureur du travailleur est aussi présent à cette rencontre. Le but de la rencontre est de procéder à l’évaluation des besoins du travailleur à la suite de l’évaluation du docteur Parent. Les intervenantes de la CSST notent l’absence de signes de souffrance chez le travailleur. Lorsque le groupe se déplace à l’étage pour voir les maquettes que réalise le travailleur à titre de loisir, il est écrit dans les notes évolutives que le travailleur est en mesure de monter les escaliers sans difficulté.
[31] Lors de cette rencontre, le travailleur fait part des nombreux sites de douleur qui l’affectent depuis son accident. Il rapporte un problème de vision, de mémoire et un sommeil non réparateur. Il dit dormir sur un canapé n’étant plus capable de dormir dans un lit. Le travailleur exprime sa difficulté à accepter ses incapacités face à sa femme et à sa fille. Le travailleur précise qu’en ce qui concerne la fibromyalgie c’est le docteur Morin, et non pas le docteur Mathieu, qui est son médecin qui a charge. Le docteur Mathieu demeure son médecin de famille pour ses autres besoins. Dans ces circonstances, la CSST décide de s’adresser au docteur Morin afin qu’il se prononce sur les conclusions émises par le docteur Parent dans son expertise du 30 juillet 2010.
[32] Les intervenantes de la CSST proposent au travailleur de participer à un programme de gestion de la douleur chronique. Le procureur du travailleur l’encourage à accepter cette offre. Il est convenu que le travailleur évaluera la proposition de la CSST et fera part de sa décision ultérieurement.
[33] Le 19 novembre 2010, le travailleur donne son accord afin de participer à un programme de gestion de la douleur chronique. L’avocat du travailleur est aussi de cet avis. Quelques jours plus tard, une demande d’évaluation est transmise à L’équipe Entrac située à Québec.
[34] Le 10 décembre 2010, des discussions s’engagent entre la conjointe du travailleur et la conseillère en réadaptation au sujet du mode de transport autorisé par la CSST. La conjointe du travailleur exprime des doutes au sujet de la participation du travailleur au programme de réadaptation dispensé à Québec. Elle est encouragée par la conseillère en réadaptation à ce que le travailleur utilise le transport adapté.
[35] Le 21 décembre 2010, la conseillère en réadaptation rappelle la conjointe du travailleur. Différents sujets de discussion sont abordés. La conjointe du travailleur exprime beaucoup de frustration envers la CSST. Puis, le travailleur poursuit la conversation en exprimant lui aussi ses doléances. La conseillère note que le travailleur profère des insultes à son endroit. Le travailleur finit par raccrocher la ligne affirmant ne plus avoir rien à dire.
[36] Le même jour, la conjointe du travailleur rappelle la conseillère en réadaptation pour lui faire part de ses doléances face à l’évaluation effectuée par L’équipe Entrac à Québec. Elle allègue le stress et l’anxiété vécus par le travailleur à la suite de cette évaluation.
[37] Le 10 janvier 2011, la coordonnatrice de L’équipe Entrac fait part à la CSST de ses observations à la suite des deux demi-journées lors desquelles le travailleur a été évalué. La deuxième journée a permis au travailleur de constater certains aspects bénéfiques du programme. Des observations sont exprimées au sujet des déplacements et des impacts sur la condition du travailleur. Finalement, il est suggéré que le travailleur participe à un programme interdisciplinaire comprenant l’éducation à la gestion de la douleur ainsi que l’optimisation de ses capacités physiques et fonctionnelles durant quatre semaines, à raison de trois séances par semaine. Un suivi psychosocial est aussi prévu une fois par semaine. Un rapport écrit est rédigé et transmis à la CSST qui en fera parvenir une copie au travailleur par la suite.
[38] Le 13 janvier 2011, le docteur Morin recommande au travailleur de suivre des traitements de kinésithérapie et d’orthothérapie en raison du diagnostic de fibromyalgie. Dans une information médicale écrite, il précise que les traitements devraient être offerts localement, à Victoriaville, plutôt qu’à Québec. Le même jour, la conjointe du travailleur communique avec la conseillère en réadaptation pour l’informer qu’en raison de l’opinion du docteur Morin, il est inutile de poursuivre le plan suggéré par L’équipe Entrac. Elle mentionne que les seuls besoins de son mari sont des traitements d’orthothérapie de même que la possibilité de se rendre à la piscine chauffée située à Victoriaville. La conseillère en réadaptation mentionne qu’elle procédera à des vérifications.
[39] Le 14 janvier 2011, le travailleur informe la conseillère qu’il ne souhaite pas participer au programme offert par L’équipe Entrac à Québec. Il veut suivre ses traitements à Victoriaville. La conseillère exprime sa déception devant le refus du travailleur puisque l’équipe de Québec se spécialise dans les cas de fibromyalgie. Elle met fin à la conversation en expliquant au travailleur qu’elle discutera de son dossier avec sa gestionnaire.
[40] Le 31 janvier 2011, madame Danielle St-Pierre, gestionnaire à la CSST, demande une enquête à la Direction des enquêtes spéciales de la CSST au sujet du travailleur. Une dénonciation à la CSST précise que le travailleur travaillerait comme cuisinier au motel dirigé par sa conjointe. Madame St-Pierre fournit quelques détails concernant le travailleur, notamment son discours porté sur l’invalidité, sa réticence à participer à un programme de développement des capacités et une expertise dirigeant la CSST vers une décision d’inemployabilité.
[41] Le 3 février 2011, la conjointe du travailleur mentionne clairement à l’intervenante de la CSST que son mari ne veut plus se rendre à Québec pour recevoir des traitements en raison de son incapacité à gérer le stress de ce déplacement.
[42] Le 10 février 2011, le docteur Morin fournit à la CSST ses commentaires à la suite de la proposition de L’équipe Entrac. Il rapporte que la problématique du travailleur quant à l’intervention en réadaptation est reliée au fait que ce dernier est peu enclin à recevoir des traitements à l’extérieur de son milieu de vie.
[43] Selon un relevé du 21 février 2011 du Registraire des entreprises du Québec, la compagnie 9210-8117 Québec inc., faisant affaires sous le nom L’âge de Pierre est située au 1221 rue Notre-Dame Ouest à Victoriaville. Le travailleur est le troisième actionnaire de la compagnie et il est un administrateur de la compagnie.
[44] Selon un relevé du 21 février 2011 et du 13 juin 2013 du Registraire des entreprises du Québec la compagnie Gérer Québec inc., faisant affaires sous le nom de Motel le Victo, est située au 1221 rue Notre-Dame Ouest à Victoriaville. L’actionnaire majoritaire est le Groupement d’études et de recherches pour l’économie régionale SAS situé en France et le seul autre actionnaire est monsieur Gérard Ghibaudo, président et domicilié en France.
[45] Selon un relevé du 7 mars 2011 du Registraire des entreprises du Québec, la compagnie Le pays d’Oc inc., faisant affaires sous le même nom, est située au 304 rue Notre-Dame Est à Victoriaville. Le travailleur est le deuxième actionnaire de la compagnie et il est le secrétaire de la compagnie.
[46] Le 8 mars 2011, un intervenant de la Clinique de physiothérapie de Victoriaville informe la CSST de l’horaire établi pour les traitements du travailleur. L’horaire s’étale du 9 mars 2011 au 31 mars 2011.
[47] Le 21 mars 2011, monsieur Mario Lainesse, enquêteur à la Direction des enquêtes spéciales à la CSST, procède à une demande de filature du travailleur auprès de la firme Chartrand, Fortin, Labelle Solutions inc.
[48] L’enquêteur de la CSST fournit quelques informations à la firme d’enquête, notamment sur le lieu de résidence du travailleur de même qu’au sujet des propriétaires du motel et du restaurant. Les limitations fonctionnelles du travailleur sont énumérées de même que les sites de douleur allégués par ce dernier. L’enquêteur demande que les capacités physiques du travailleur soient documentées de même que ses activités rémunératrices. Le contrat abrégé est annexé à la demande. De plus, le contractant est invité à prendre connaissance du guide d’utilisation de la filature vidéo de la CSST de même que du guide sur l’éthique et la discipline de la CSST.
[49] Une filature du travailleur est réalisée les 24, 25 et 26 mars 2011.
[50] Le 28 mars 2011, la conjointe du travailleur informe la CSST qu’en raison des douleurs à la poitrine de son mari, celui-ci doit cesser ses traitements de physiothérapie. Elle ajoute qu’après chaque traitement, il doit augmenter sa dose de Démérol ce qui lui cause des problèmes d’insomnie et, le lendemain, de la fatigue. La conseillère mentionne qu’elle discutera de ce dossier avec sa gestionnaire.
[51] Le 30 mars 2011, l’agente d’indemnisation communique avec le travailleur et elle s’informe de ses capacités. Ce dernier lui mentionne qu’il peut tondre la pelouse et déneiger l’entrée avec un tracteur. Il a reçu des bâtons de golf en cadeau et il aimerait essayer la pratique de ce sport, mais il ne croit pas qu’il sera capable. Il a des difficultés de sommeil. Il promène ses chiens. Il fait du modélisme. Il fait quelques courses. Il peut nettoyer son entrée avec un balai. Il conduit sa voiture, mais à une vitesse qui lui convient. Sa vue est diminuée depuis son accident. Il va chercher son fils à l’école et il l’aide dans ses devoirs. Le travailleur confirme qu’il vit au motel où sa femme est gérante. Il nie aider sa femme à son travail outre répondre au téléphone quelques fois en matinée.
[52] Le 7 avril 2011, la conseillère en réadaptation prend connaissance du rapport du programme de développement des capacités fonctionnelles du travailleur. Elle note que ce dernier a démontré une participation adéquate au programme en effectuant les exercices demandés. Il est écrit que le travailleur s’est absenté à trois reprises.
[53] Le 30 mai 2011, la CSST communique avec la Clinique de physiothérapie Physio-Santé inc. afin que de nouveaux traitements soient offerts au travailleur en raison de la recommandation de son médecin.
[54] Le 13 juin 2011, les intervenantes de la CSST rencontrent le travailleur et sa conjointe au bureau de la CSST. Elles tracent, avec le travailleur, un bilan de sa condition médicale. Ce dernier fait état de ses douleurs constantes à plusieurs sites anatomiques en raison de sa fibromyalgie. Une prise de médication est requise. Le travailleur manifeste le souhait d’obtenir un lit inclinable se disant contraint de dormir dans un fauteuil en raison de son incapacité à dormir en position allongée. Le travailleur se plaint de troubles de mémoire et de problèmes de vision depuis son accident. Il souhaite suivre des traitements d’orthothérapie, mais ceux-ci sont refusés par la CSST qui préconise la physiothérapie. Le travailleur mentionne être capable de faire des efforts, cependant dès qu’il s’arrête la douleur s’amplifie et il est obligé d’augmenter les doses de Démérol. Il dit qu’il lui arrive de devoir monter les escaliers en tenant la rampe de sa main gauche et en déposant sa main droite sur la marche.
[55] Lors de cette rencontre, la conseillère en réadaptation mentionne qu’à la suite d’un bilan médical effectué avec le docteur Morin, celui-ci a donné son accord pour que le travailleur participe à un programme de développement de capacités. Le travailleur et sa conjointe s’étonnent de ce développement puisque le docteur Morin n’a pas revu le travailleur depuis le mois de janvier. Le travailleur dit ne pas croire au succès de ce programme. Sa conjointe qualifie ce programme de « fumesterie ». Elle se dit persuadée que le docteur Morin modifiera son opinion lorsqu’il reverra le travailleur. La conseillère en réadaptation prévient le travailleur qu’étant donné l’accord du médecin du travailleur, le programme est considéré comme un traitement médical. Donc, si le travailleur refuse d’y participer, alors ses indemnités de remplacement du revenu seront suspendues.
[56] Sur le plan professionnel, le travailleur explique à la conseillère en réadaptation qu’il se présente aux étrangers comme étant un retraité. Il ne souhaite pas étaler sa condition aux autres. Il se dit incapable de conduire un camion en raison de sa forte médication. Il est persuadé que la SAAQ lui retirerait son permis de classe 1. De plus, le travailleur dit être incapable de conduire sa voiture plus d’une quinzaine de minutes consécutives. Lorsqu’il doit se rendre à Trois-Rivières, c’est sa conjointe qui conduit la voiture.
[57] Sur le plan psychosocial, le travailleur dit habiter avec sa conjointe et leur fils de 8 ans dans un logement de service adjacent au motel où madame gère les 21 unités du motel. Leur fille travaille au motel et au restaurant. Le travailleur occupe ses journées à jouer avec son fils, à promener son chien, à faire les commissions pour le motel et à exécuter quelques petites réparations (changement d’ampoules, de serrures, de pommeaux de douches, etc.). Il peut tondre la pelouse à l’aide d’un tracteur. Il lui arrive de répondre au téléphone, mais il n’aime pas cette tâche puisqu’en raison de sa mémoire déficiente il dit commettre des erreurs. Le travailleur manifeste le souhait de se procurer un vélo électrique. La conseillère en réadaptation lui mentionne que cette demande ne peut être traitée dans l’immédiat puisque la lésion du travailleur n’est toujours pas consolidée, le docteur Morin n’ayant pas produit de rapport final.
[58] Le 13 juin 2011 en fin de journée, la docteure Lemay rapporte sa conversation avec le médecin du travailleur qui donne son accord pour que son patient participe au programme de développement des capacités tel qu’amorcé, mais non terminé, à Québec.
[59] Sur un billet médical du 13 juin 2011, le docteur Morin prescrit des traitements de physiothérapie avec une approche ostéopathique concernant un diagnostic de dorsalgie secondaire à des douleurs à l’hémi-thorax gauche.
[60] Une filature du travailleur est réalisée les 12, 13 et 14 juin 2011.
[61] Le 14 juin 2011, la conjointe du travailleur communique avec l’agente de la CSST pour lui faire part de la colère du docteur Morin qui n’aurait pas reçu toutes les informations concernant les difficultés du travailleur à la suite des exercices proposés par les thérapeutes. Elle affirme qu’il n’aurait pas été avisé de la nécessité pour le travailleur de prendre du Démérol après les exercices. Elle réitère le désaccord de son mari à participer au programme offert par la CSST.
[62] Le 15 juin 2011, la CSST informe le coordonnateur de la Clinique Physiothérapie-Santé inc. de l’accord du médecin du travailleur à sa participation au programme. L’évaluation du travailleur est prévue le 27 juin 2011.
[63] Une filature du travailleur est réalisée les 6 et 7 juillet 2011.
[64] Le 7 juillet 2011, la conseillère en réadaptation s’enquiert auprès du travailleur des motifs de son absence à son traitement de physiothérapie. Il lui fait part de l’augmentation de ses douleurs et de la nécessité de la prise de Démérol. L’agente lui rappelle que ses indemnités de remplacement du revenu peuvent être suspendues en l’absence d’un billet médical. Le travailleur se fâche et c’est sa conjointe qui poursuit la conversation. Le ton de la conversation monte. Il est question d’abus de pouvoir et d’une plainte auprès du supérieur de l’intervenante qui met fin à l’appel.
[65] Dans un rapport du 7 juillet 2011 de la Clinique de Physiothérapie Physio-Santé inc., le physiothérapeute Schonbeck et le kinésiologue Mercier font état du suivi du programme de développement des capacités fonctionnelles du travailleur commencé deux semaines plus tôt à Victoriaville. À la fin de la première semaine, le travailleur s’est dit satisfait des traitements visant à diminuer les douleurs thoraciques gauches et à éviter un déconditionnement physique. Toutefois, au milieu de la semaine suivante, le travailleur a mentionné une augmentation de douleurs à la cage thoracique. Il se questionne sur les bénéfices des exercices suggérés. Puis, le physiothérapeute rapporte que le travailleur ne veut plus suivre ses traitements à cette clinique. Il ferme son dossier.
[66] Le programme d’exercices de cette clinique de physiothérapie consiste notamment à faire du vélo, pousser et tirer des poids (5 à 10 livres), faire des transferts latéraux, effectuer des exercices de ballon, transporter des charges de 10 à 15 livres, faire des « push-up » au mur, tirer une poulie et faire des « squats ». Le travailleur marche sur un tapis roulant une quinzaine de minutes et il fait des exercices d’étirement. À l’audience, le travailleur explique que lorsqu’il se rendait à cette clinique, il avait sa liste d’exercices et il les effectuait seul, sans surveillance de la part d’un physiothérapeute.
[67] À compter du 18 juillet 2011, le travailleur reçoit des traitements de physiothérapie de monsieur Brunette de la Clinique de physiothérapie Victoriaville et de l’Érable enr., située au Cegep, à une fréquence de deux fois par semaine. Le travailleur explique à l’audience qu’il s’est senti mieux supervisé à cette clinique qu’à la précédente. Dans les rapports, il est fait mention d’une amélioration lente et variable en raison de la fibromyalgie du travailleur.
[68] Le 31 août 2011, le physiothérapeute Brunette de la clinique de physiothérapie située au Cegep rapporte une légère amélioration de la condition du travailleur. Il recommande la poursuite des traitements au rythme du patient à raison d’une ou deux fois par semaine.
[69] Le 29 septembre 2011, le docteur Morin donne son accord afin que le travailleur poursuive ses traitements de physiothérapie à la clinique située au Cegep. Il précise que ces traitements font suite à la recommandation de L’équipe Entrac de Québec.
[70] Le 23 novembre 2011, le physiothérapeute Brunette rapporte une amélioration du patient au niveau de son confort cervical. Il suggère au médecin du travailleur de faire passer au travailleur une radiographie à la région costale gauche.
[71] Le 25 novembre 2011, le docteur Parent transmet à la CSST un avis modifié à la suite du visionnement d’une vidéo portant sur les capacités fonctionnelles du travailleur et de la lecture d’un rapport d’enquête. Après une brève description des images, le docteur Parent mentionne que celles-ci ne correspondent pas à un patient qui prend une médication telle que celle décrite lors de son expertise. Il note que le travailleur s’exprime tout à fait normalement, qu’il ne présente aucun ralentissement psychomoteur, qu’il agit de telle façon qu’il ne présente, apparemment, aucun effet adverse de sa médication telle que de la somnolence ou un ralentissement psychomoteur. Devant ces nouveaux éléments, le docteur Parent opine notamment que le travailleur ne présente aucune limitation fonctionnelle. Il ajoute des commentaires personnels à son opinion[3].
[72] Le 7 décembre 2011, le physiothérapeute Brunette rapporte la persistance des douleurs à la poitrine malgré les mobilisations vertébrales et costales. Il recommande un suivi psychologique pour gérer le stress ressenti et la gestion des émotions ce qui a un impact sur la fibromyalgie. Les traitements de physiothérapie se terminent à cette date à la suite d’un avis du médecin du travailleur. Les rapports détaillés des traitements de physiothérapie sont déposés.
[73] Dans un rapport complémentaire du 8 décembre 2011, le docteur Morin donne son opinion à la suite de l’opinion modifiée du docteur Parent. Il conserve la date de consolidation déjà établie au 30 juillet 2010. En ce qui concerne les soins ou les traitements de même que les limitations fonctionnelles, le docteur Morin écrit ce qui suit :
Patient me mentionne utiliser sa médication de façon régulière soit : Lyrica 300 bid, Démérol min. 4 fois (en prenait 8 à 10/jr lors de notre 1ère visite) et Tridural 200 die.
L’évaluation fonctionnelle doit être contextualisée à l’ensemble des captures vidéos, ce qu’il m’est impossible de faire puisque non vues. Ce patient étant non grabataire (comme 99 % des fibromyalgiques) il s’agit d’évaluer ce qui a été capturé en fonction de variables tel l’intensité, la difficulté, le temps. L’opinion du médecin expert semble affirmée à cet effet.
[74] Le 8 décembre 2011, la CSST rend une décision informant le travailleur que ses indemnités de remplacement du revenu sont suspendues. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du premier litige dont est saisi le tribunal.
[75] Le 12 décembre 2011, la clinique de physiothérapie située au Cegep ferme le dossier du travailleur à la suite d’un avis du médecin du travailleur.
[76] Le 7 mars 2012, le docteur Morin rapporte que la condition du travailleur est globalement stable. Il ajoute que le travailleur peut réaliser de courtes périodes d’activités. Ses douleurs sont plus intenses en fin de journée et nettement modulées par le stress. Un retour à son travail n’est toujours pas considéré.
[77] Le 17 avril 2012, le docteur Jean-Maurice D’Anjou, spécialiste en médecine physique et en réadaptation, examine le travailleur en sa qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale. L’état actuel du travailleur est rapporté en ces termes :
Monsieur Jullian n’a pas retravaillé depuis juin 2006.
Il se plaint d’une douleur constante qu’il évalue à 3/10. La douleur touche la région cervicale et dorsale haute ainsi qu’à la région lombaire basse. Monsieur Jullian décrit aussi des douleurs au niveau des deux membres supérieurs et des deux membres inférieurs. Les douleurs sont augmentées lorsqu’il veut faire des efforts physiques le moindrement importants, la douleur est augmentée par l’anxiété, le stress. Il doit avoir de la difficulté à faire des mouvements répétitifs de ses membres supérieurs. Difficulté à monter les escaliers.
À la maison, monsieur Jullian fait un peu de cuisine. Il promène son chien.
Monsieur Jullian décrit aussi des douleurs au niveau de la poitrine, c’est-à-dire au niveau de la cage thoracique. L’opération qu’il a subie avec exérèse de l’appendice xyphoïde l’a cependant beaucoup amélioré. Il dit avoir de la difficulté à écrire. À noter qu’il est gaucher. Il décrit sa symptomatologie en relation avec la crampe de l’écrivain.
Spontanément, monsieur Jullian dit qu’il est devenu irritable, anxieux.
Aujourd’hui, lors de la rencontre, monsieur Jullian était accompagné de son épouse. Monsieur Jullian désirait que son épouse assiste à l’entrevue pour être ne mesure de répondre à certaines questions.
La médication comprend :
- Lyrica, 300 mg deux fois par jour
-Tridural, 200 mg une fois par jour
-Celebrex, 200 mg une fois par jour
-Demerol, 50 mg de deux à six comprimés par jour
-Alprazolam, o,5 mg au besoin
Au mois de décembre 2011, monsieur Jullian aurait fait une tentative de suicide. Il a pris plusieurs comprimés de Demerol. Monsieur Jullian aurait été amené à l’hôpital. Il n’a pas été évalué en psychiatrie. Il aurait rencontré un psychologue au CLSC. Cependant, l’entrevue s’est mal passée. Il n’y a pas de suivi sur le plan psychologique.
Monsieur Jullian est donc très peu actif à la maison. Il fait un peu la cuisine. Il s’occupe autour de la maison en réparant ses voitures ou en les maintenant en ordre. Il dit qu’il serait incapable de faire un travail régulier.
Son épouse qui l’accompagne, indique que le stress rend monsieur Jullian très irritable. Monsieur et madame Jullian ont un fils de neuf ans qui demeure avec eux à la maison. Son épouse gère un hôtel et ils ont un appartement qui est adjacent à l’hôtel.
Comme hobby, monsieur Jullian dit qu’il aime faire du modélisme.
Il dit dormir environ trois heures par nuit.
[78] Le docteur D’Anjou procède à l’examen clinique du travailleur. Il suggère que le travailleur diminue la médication sous forme d’opiacés en raison du diagnostic de fibromyalgie. Il rapporte que le travailleur présente beaucoup d’anxiété. Il note qu’en raison de ce diagnostic, il y a des éléments de douleur et que ces phénomènes sont difficiles à évaluer objectivement. À long terme, la douleur peut entraîner ou avoir des influences sur le plan psychologique et vice versa. Il ajoute :
Compte tenu de la chronicité des douleurs chez monsieur Jullian, de sa condition physique actuelle où nous retrouvons dans l’ensemble des mouvements de bonne amplitude sauf pour la région cervicale avec beaucoup d’éléments douloureux subjectifs, je constate qu’il y aurait intérêt à avoir une évaluation sur le plan psychiatrique d’autant plus qu’il y aurait eu une tentative de suicide en décembre 2011.
[79] Pour le diagnostic de fibromyalgie, le docteur D’Anjou n’attribue aucun déficit anatomo-physiologique ni limitation fonctionnelle en raison de son examen clinique objectif. Il réitère la suggestion que le travailleur soit dirigé vers un psychiatre puisqu’à son avis beaucoup d’éléments décrits par le travailleur pourraient être aggravés par une condition psychologique. Il ajoute que le travailleur vit beaucoup de frustration depuis son accident du travail survenu en 2004.
[80] Le 24 avril 2012, la conjointe du travailleur informe la CSST que son mari est tombé dans les escaliers le samedi précédent. Elle affirme qu’il a manqué une dizaine de marches étant donné que son bras a lâché et que ses jambes n’ont pu le retenir. Il a consulté un médecin la veille et un corset lui a été prescrit en raison d’une fracture à deux vertèbres.
[81] La réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 23 avril 2012 est analysée par la docteure Lemay de la CSST. Celle-ci ne retrouve aucune indication médicale dans le dossier du travailleur pouvant expliquer le lien entre cette chute et le diagnostic de fibromyalgie.
[82] La CSST rend une décision le 27 avril 2012 informant le travailleur qu’il est capable d’exercer son emploi puisque sa lésion professionnelle n’entraîne aucune limitation fonctionnelle. Ses indemnités de remplacement du revenu se terminent le 26 avril 2012. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du deuxième litige dont est saisi le tribunal.
[83] Le 3 mai 2012, la docteure Pascale Larochelle, chirurgienne orthopédiste, diagnostique un écrasement des vertèbres D12 et L1. Elle recommande un arrêt de travail.
[84] Le 18 juin 2012, le docteur Morin rapporte un tableau de douleur chronique compatible avec le diagnostic de fibromyalgie. Il ajoute :
Ceci a une répercussion fonctionnelle importante chez monsieur Jullian. De fait, il ne peut réaliser de façon persistante, constante et régulière, un travail normal. La médication utilisée pour contrôler les douleurs chroniques peut aussi avoir un impact sur la capacité fonctionnelle.
Un retour au travail à court ou même moyen terme n’est donc pas envisagé pour le moment chez monsieur Jullian.
[85] Le 3 juillet 2012, la CSST rend une décision informant le travailleur que sa réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 23 avril 2012 est refusée en raison de l’absence de lien entre le diagnostic d’écrasement des vertèbres D12 et L1 et l’événement d’origine de 2004. Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du troisième litige dont est saisi le tribunal.
[86] Le 13 septembre 2012, le docteur Morin remplit un certificat médical à l’intention de l’assureur Desjardins. Le diagnostic est celui de la fibromyalgie. Il note que le travailleur souffre de douleurs diffuses et d’une atteinte fonctionnelle. Il ajoute que son patient n’est pas de retour au travail et qu’il est en invalidité.
[87] Le 19 décembre 2012, le docteur Morin atteste qu’après une réévaluation de son patient, ses observations du 18 juin 2012 demeurent les mêmes.
[88] Une radiographie du 9 janvier 2013 rapporte notamment que le travailleur présente une déformation cunéiforme du corps vertébral de L1, avec présence d’une hernie intra-spongieuse à la surface inférieure de L1. L’affaissement du corps vertébral est d’environ 1 cm (30 %).
[89] Le 24 janvier 2013, le docteur Mathieu rapporte qu’une radiographie fait ressortir une fracture Wedge d’environ 25 % du corps vertébral de la vertèbre L1. Il ajoute que cela est survenu à la suite d’une chute dans un escalier le 21 avril 2012. Il reprend à son compte les propos émis par le docteur Morin le 18 juin 2012.
[90] Dans une lettre du 26 avril 2013, le docteur Morin rapporte un tableau de fibromyalgie post-traumatique inchangé. Il fait état d’une fracture vertébrale au niveau L1 survenue lors d’une chute dans un escalier ainsi qu’une déformation de 30 % de cette vertèbre entraînant une problématique exacerbée de lombalgie mécanique avec restriction à l’effort au niveau axial. Il précise que les répercussions fonctionnelles chez le travailleur demeurent importantes et même légèrement détériorées. Il affirme à nouveau l’incapacité pour le travailleur de réaliser de façon persistante, constante et régulière un travail normal. Il opine que la médication utilisée par ce dernier pour contrôler ses douleurs peuvent aussi avoir un impact sur sa capacité fonctionnelle et même sur sa vigilance.
[91] Dans un rapport du 10 mai 2013 destiné à l’assureur Desjardins, le docteur Morin rapporte les diagnostics de fibromyalgie et de fracture lombaire dont l’évolution est stable. Il note qu’il est probable que l’invalidité du travailleur soit totale et permanente.
Preuve vidéo déposée par la CSST et visionnée lors des audiences
CSST - 1 : DVD du montage vidéo des séquences filmées par les enquêteurs représentant 70 minutes ;
CSST - 2 : DVD d’une durée de 10 minutes 50 secondes portant sur la filature effectuée les 24, 25 et 26 mars 2011 couvrant 34 heures de surveillance;
Sur ce DVD, on y voit notamment le travailleur conduire une voiture et effectuer quelques commissions. Il conduit un véhicule tout terrain (VTT) et il monte sur un tas de neige estimé à 10 pieds pour ramasser une pelle. Il nettoie l’entrée du garage avec un boyau d’arrosage et un balai ;
CSST - 3 : DVD d’une durée de 8 minutes 40 secondes portant sur la filature effectuée les 12, 13 et 14 juin 2011 couvrant 42 heures 30 de surveillance;
Sur ce DVD, on y voit notamment le travailleur effectuer quelques commissions à Trois-Rivières. Il décharge son panier dans le véhicule. Il conduit un véhicule automobile. Il se rend à une clinique de rhumatologie. Il décharge la voiture une fois rendu chez lui. Il est observé alors qu’il transporte un but de soccer ;
CSST - 4 : DVD d’une durée de 8 minutes 43 secondes portant sur la filature effectuée les 6 et 7 juillet 2011 couvrant 29 heures de surveillance;
Sur ce DVD, on y voit notamment le travailleur conduire un véhicule et se rendre à une clinique de physiothérapie. À son retour à la maison, il déplace des sacs de poubelle. Il se penche pour prendre un chien dans ses bras. Il est observé alors qu’il conduit un tracteur pour tondre la pelouse. Il utilise une tondeuse. Plus tard, il fait du vélo sur le terrain du motel.
Preuve documentaire déposée par la CSST lors des audiences[4]
CSST - 5 : Dossier d’enquête caviardé de la CSST incluant 39 annexes dont les rapports de surveillance des enquêteurs ayant procédé à la filature et le rapport d’enquête de l’enquêteur de la CSST;
CSST - 6 : Dossier d’enquête non caviardé de la CSST incluant 39 annexes dont les rapports de surveillance des enquêteurs ayant procédé à la filature et le rapport d’enquête de l’enquêteur de la CSST;
CSST - 7 : Communication du 4 février 2013 de la procureure de la CSST portant sur l’enquête de crédit, la demande adressée à l’Agence de revenu du Canada, la demande expédiée à la firme de filature et les balises de la CSST concernant une filature;
CSST - 8 : Communication du 18 février 2013 de la procureure de la CSST portant sur le contrat abrégé à une firme de filature de même que le cadre d’utilisation d’une filature vidéo, le subpoena adressé à la SAAQ et la lettre au docteur Parent lui demandant son avis à la suite du visionnement du vidéo;
CSST - 9 : Communication du 19 février 2013 de la procureure de la CSST portant sur le subpoena envoyé à la SAAQ;
CSST - 10 : Communication du 23 mai 2013 de la procureure de la CSST portant sur les documents obtenus de la SAAQ à la suite des subpoenas émis à leur attention.
Preuve documentaire déposée par le travailleur lors des audiences[5]
T - 1 : Rapport de L’équipe Entrac de janvier 2011 transmis au travailleur le 18 janvier 2011 par la CSST;
T - 2 : Avis de cotisation pour les années 2008 et 2009 de Revenu Québec et de l’Agence de revenu du Canada transmis par le procureur du travailleur;
T - 3 : Rapports médicaux de la docteure Larochelle du 3 mai 2012 au 9 juin 2012;
T - 4 : Rapport médical du docteur Morin du 13 septembre 2012 adressé à l’assureur Desjardins;
T - 5 : Lettre du 25 septembre 2012 de la caisse Desjardins concernant une assurance prêt;
T - 6 : Guide de l’adhérent de l’assureur Desjardins;
T - 7 : Dossier de conduite automobile du travailleur ;
T - 8 : Rapport de physiothérapie du 7 septembre 2007 de monsieur Schonbeck, physiothérapeute;
T - 9 : Rapport de physiothérapie du 31 août 2011 de monsieur Brunette de la Clinique de physiothérapie Victoriaville et de l’Érable enr. (Cegep);
T -10 : Extrait du bottin téléphonique concernant le Motel le Victo situé au 1221 Notre-Dame Ouest à Victoriaville. Numéro de téléphone : (819) 752-4169;
T - 11 : Plan des lieux;
T - 12 : Calendrier de mars, juin et juillet 2011;
T - 13 : Carte de citoyenneté du Canada du travailleur;
T - 14 : Carte Fast/Express;
T - 15 : Lettre du docteur Morin du 18 juin 2012;
T - 16 : Lettre du docteur Mathieu du 24 janvier 2013;
T - 17 : Radiographie de la colonne lombo-sacrée du 9 janvier 2013;
T - 18 : Formulaire de demande d’enquête de la CSST du 31 janvier 2011 à la suite d’une dénonciation anonyme;
T - 19 : Extraits du registre du Registraire des entreprises;
T - 20 : Lettre du procureur du travailleur du 5 février 2013;
T - 21 : Dépôt en liasse par le procureur du travailleur de notes cliniques, de notes de physiothérapie, de notes sténographiques de l’audience du 31 octobre 2012 et autres documents médicaux.
Preuve testimoniale
Madame Johanne Dionne, conseillère en réadaptation à la CSST
[92] Madame Dionne se voit confier la responsabilité du dossier du travailleur à partir du mois de mai 2011. Un programme d’évaluation de capacités fonctionnelles et de gestion des douleurs du travailleur a été mis en place. À ce moment, elle a pris connaissance de l’expertise du docteur Parent du 30 juillet 2010.
[93] Le 13 juin 2011, madame Dionne tient sa première rencontre[6] avec le travailleur et sa conjointe de même qu’avec l’agente d’indemnisation. Elle sait que, cette journée-là, le travailleur fera l’objet d’une filature. Depuis ses débuts dans l’emploi de conseillère en réadaptation, soit depuis 17 ou 18 ans, ce n’est que la deuxième fois qu’une enquête est nécessaire dans l’un de ses dossiers.
[94] Après avoir visionné le DVD réalisé à la suite de la surveillance, madame Dionne est d’avis que les informations fournies par le travailleur concernant sa capacité physique ne sont pas conformes à ce qu’elle a observé sur la vidéo. Elle a reçu une opinion corrigée du docteur Parent précisant que le travailleur ne conserve aucune limitation fonctionnelle. Elle met en place la procédure médicale habituelle, soit celle de demander un avis à un membre du Bureau d'évaluation médicale. Le docteur D’Anjou fixe la date de consolidation de la lésion, et ce, sans limitation fonctionnelle.
Témoignage de madame Danielle St-Pierre, directrice santé et sécurité à la CSST
[95] Madame St-Pierre exerce la fonction de directrice santé et sécurité à la CSST depuis le mois de décembre 2010. Son équipe est chargée de 300 à 350 dossiers actifs d’indemnisation et d’une quarantaine de dossiers actifs en réadaptation. Elle mentionne que la CSST reçoit une dizaine de dénonciations par année. Ce ne sont pas toutes les dénonciations qui mènent à une enquête. Dans plusieurs cas, une action sera posée afin de valider la dénonciation. Par exemple, le travailleur pourra être confronté à l’information. La façon de faire est discutée avec les agents.
[96] Le 22 décembre 2010, madame St-Pierre est informée d’une dénonciation anonyme rapportant que le travailleur travaille les mercredis, jeudis et vendredis au restaurant L’âge de Pierre. Le dénonciateur ajoute qu’un agent s’est présenté chez le travailleur récemment et que ce dernier a fait la demande d’un lit orthopédique. Elle note que la dénonciation est corroborée par les inscriptions dans le dossier du travailleur, ce qui la rend crédible à ses yeux. Étant donné que le travailleur fait valoir des limitations fonctionnelles très sévères, alors la CSST décide de vérifier la capacité de travail du travailleur et la nature de ses activités.
[97] Le 31 janvier 2011, madame St-Pierre demande une enquête auprès du Service des enquêtes spécialisées de la CSST sans exiger qu’une filature soit organisée. Elle dit que cette responsabilité incombe à l’enquêteur ou à son gestionnaire.
[98] Par la suite, madame St-Pierre explique qu’elle suit l’évolution de l’enquête en discutant par téléphone avec monsieur Mario Lainesse, enquêteur à la CSST, à une fréquence mensuelle. Ce dernier lui donne quelques détails sur les scènes captées par les enquêteurs. Elle n’a pas de notes à ce sujet.
[99] Le ou vers le 2 novembre 2011, madame St-Pierre reçoit le rapport d’enquête de monsieur Lainesse. Elle en prend connaissance et elle tient une rencontre avec les membres de son équipe. Lors de cette rencontre, l’enquêteur de la CSST présente les résultats de l’enquête. Elle visionne un DVD puis elle évalue qu’il y a suffisamment d’informations pour que la CSST se prononce sur la capacité de travail du travailleur.
Témoignage de monsieur Mario Lainesse, enquêteur à la CSST
[100] Monsieur Mario Lainesse est enquêteur en matières frauduleuses à la CSST depuis 1990. C’est à la demande de la direction régionale de la CSST à Trois-Rivières qu’il est mandaté pour documenter les activités de travail et la capacité de travail du travailleur. C’est lui qui évalue si une filature est nécessaire. Ce ne sont pas toutes les enquêtes qui requièrent une surveillance. Dans le cas présent, il ne pouvait pas interroger directement les personnes entourant le travailleur puisqu’elles ont des liens familiaux avec lui. Si une dénonciation réfère à un emploi chez un employeur qui n’est pas lié au travailleur, alors il procédera par preuve documentaire.
[101] Monsieur Lainesse mandate la firme Chartrand Fortin Labelle Solutions inc. pour procéder à une surveillance du travailleur. Les consignes à respecter lors d’une filature sont transmises. Il fournit les coordonnées du travailleur, notamment l’adresse du motel où se trouve aussi le restaurant, de même que des informations de démarrage. Il discute par téléphone avec l’enquêteur chargé de procéder à la filature, monsieur Denis Labrecque. Puisqu’il est prévu que le travailleur participe à des activités dans le cadre de son programme de réadaptation les 24, 25 et 26 mars 2011, alors il est convenu de procéder à une filature ces jours-là. Ce choix tient compte de la dénonciation alléguant que le travailleur travaille du mercredi au samedi.
[102] L’enquêteur affirme que c’est en raison d’une certaine capacité physique du travailleur (monter sur un banc de neige et faire du VTT) lors de la filature de mars 2011 que deux séquences de filature supplémentaires sont organisées soit : les 12, 13 et 14 juin 2011 de même que les 6 et 7 juillet 2011. Chacune des trois séquences de filature fait l’objet d’un DVD et d’un rapport de surveillance. N’eût été cette capacité observée lors de la première filature, il dit que l’enquête se serait probablement terminée à ce moment.
[103] Monsieur Lainesse demande une enquête de crédit puisque la dénonciation fait état d’un travail de cuisinier. Cette enquête peut révéler le nom d’employeurs du travailleur. Il apprend que l’entité légale du motel est Gérer Québec inc. et que Le Pays d’Oc est le restaurant ayant fait l’objet d’une faillite en 2008.
[104] Pour monsieur Lainesse, il est primordial d’obtenir des informations auprès de la SAAQ au sujet des véhicules que détient le travailleur afin que les enquêteurs privés puissent suivre les bons véhicules. Il obtient ces informations par une assignation à comparaître.
[105] En ce qui concerne la demande faite auprès de l’Agence de revenu du Canada, monsieur Lainesse explique qu’elle est nécessaire puisqu’il est question de l’exercice d’un emploi. Il obtient les informations par une demande écrite précisant l’article de loi lui permettant de les obtenir. Il ne savait pas que l’avocat du travailleur avait déjà transmis ces informations à la CSST. Il n’a pas demandé à la CSST si elle détenait ces informations. Il n’a pas fait de demande à Revenu Québec, puisque cette agence ne transmet pas d’informations.
[106] Selon les informations obtenues par monsieur Lainesse, l’entité légale 9210-8117 Québec inc., faisant affaires sous le nom de L’âge de Pierre, n’a pas versé de salaire ni de dividende au travailleur.
[107] Monsieur Lainesse dit que l’enquête s’est terminée en juillet 2011. Toutefois, son rapport ne peut être finalisé avant de présenter au travailleur les informations colligées à son sujet et obtenir sa version des faits. Cette rencontre se tient le 25 octobre 2011 en présence d’un des deux enquêteurs privés. Le travailleur est accompagné de sa conjointe et de son avocat. Après consultation avec ce dernier, le travailleur quitte la salle sans donner sa version. Le 2 novembre 2011, son rapport d’enquête est terminé.
[108] Monsieur Lainesse explique la méprise avec les DVD par le fait que ceux transmis par la firme privée étaient illisibles. Il a demandé une nouvelle copie et il a reçu le DVD de l’autre enquêteur. Il affirme qu’il s’agit des mêmes séquences mais, avec des prises de vue différentes puisqu’il y a deux enquêteurs attitrés à la surveillance. La seule différence entre les deux DVD c’est que l’un des deux n’affiche pas l’heure de la prise de vue. Il ajoute qu’il a reçu les résumés de la surveillance et non l’intégralité. Il n’a pas procédé au montage.
Témoignage de monsieur Denis Labrecque, enquêteur chez Chartrand Fortin Labelle
[109] Monsieur Denis Labrecque est enquêteur et directeur pour la firme Chartrand Fortin Labelle Solutions inc. depuis six ans. Auparavant, il a été policier pendant 37 ans, dont 20 ans dans le domaine de la filature. Son mandat consiste à vérifier si le travailleur exerce des fonctions de cuisinier au restaurant L’âge de Pierre. Au cours de son enquête, il n’a pas vu le travailleur effectuer le travail de cuisinier. Il confirme avoir été présent lors des trois périodes de filature correspondant aux DVD. Il a visionné l’intégralité des images captées. Il a assisté au montage des DVD. Il explique que cette étape est courante et qu’il ne s’agit pas d’un trucage. Les images inutiles sont retirées de même que les erreurs techniques. Comme il y a deux enquêteurs, la meilleure prise est retenue. Il signale une erreur technique concernant l’heure sur l’une des caméras qui est à l’heure normale plutôt qu’à l’heure avancée de l’Est. Il explique que le premier DVD a été remis à monsieur Lainesse dans le but de vérifier si la preuve était suffisante pour la CSST. Il dit que ce DVD n’aurait pas dû être déposé.
[110] Au sujet du respect de la vie privée, monsieur Labrecque sait que la CSST remet un document à ce sujet. Il l’a déjà lu, mais il ne le fait pas avant chacune de ses enquêtes. Dans le cas du travailleur, il affirme avoir respecté les exigences requises par la CSST. Il n’a pas suivi de formation sur le sujet. Il ne détient pas de compétence médicale.
[111] Monsieur Labrecque explique qu’il a réservé une chambre au Motel le Victo avec l’autre enquêteur. La conjointe du travailleur lui a mentionné que sa fille était cuisinière au restaurant. Il a rencontré la serveuse du restaurant et il lui a demandé s’il pouvait commander un steak tartare ou une bavette. Elle lui a suggéré de le demander au travailleur. Il a croisé ce dernier dans le corridor du motel. Ils ont discuté de steak tartare ou de bavette. Le travailleur a mentionné qu’il lui cuisinerait une telle recette le lendemain, mais il ne l’a pas fait. L’enquêteur a mangé au restaurant du motel lors de ses deux premières journées de filature. C’est la fille du travailleur qui a cuisiné ces deux journées-là. Il n’a pas vérifié qui la remplaçait lors de ses journées de congé. S’il y avait un bar au restaurant, il dit qu’il a dû s’y rendre.
[112] Monsieur Labrecque dit qu’il reçoit ses instructions par téléphone de monsieur Lainesse. Il convient que son mandat s’est développé au fil du temps. Il reconnaît que son mandat ne concernait pas les membres de la famille du travailleur. Cependant, il explique que lors d’une surveillance, il ne peut savoir à l’avance ce que le sujet fera de telle sorte qu’il est normal que d’autres personnes se retrouvent sur le film.
[113] Monsieur Labrecque commente les images visionnées lors de l’audience de même que son rapport de surveillance.
Témoignage de monsieur Serge Jullian, travailleur
[114] Le travailleur témoigne à l’audience et il commente les DVD. Il affirme qu’il n’est propriétaire ni du Motel le Victo ni du restaurant L’âge de Pierre. La gestion de ces établissements est effectuée par son épouse. Sa fille est cuisinière au restaurant. Il habite un appartement privé situé au-dessus du motel avec sa femme et son fils. Sa fille réside dans la maison dont il est propriétaire. Elle est locataire et elle voit à l’entretien des lieux. Il dépose le plan du motel et du terrain qu’il a dessiné.
[115] Le travailleur se souvient de sa discussion avec l’enquêteur au sujet d’une recette de bavette. Il était dans le cadre de la porte de son appartement. Il affirme que cette porte est toujours fermée. Alors il croit que l’enquêteur a dû frapper à la porte.
[116] Il admet avoir monté sur un banc de neige alors qu’il jouait avec son garçon, mais il explique qu’il s’aidait avec son bras. Cet effort n’était pas foudroyant. Pour ce qui est de la séquence de nettoyage dans le garage, le travailleur mentionne qu’il utilise une manivelle pour enrouler le boyau d’arrosage. Il dit ne pas être pressé dans le temps pour accomplir cette tâche. Il convient qu’il fait des mouvements rapides, mais il dit que cela lui cause moins de douleurs que des mouvements ralentis. La porte de garage est munie d’un mécanisme électrique.
[117] Le travailleur s’est procuré un petit tracteur électrique pour tondre la pelouse. Le terrain est plat. Il prend son temps et il fait cette activité lorsqu’il fait beau et qu’il se sent bien. Il lui arrive d’utiliser une tondeuse pendant une quinzaine de minutes, mais il ne le fait pas à chaque entretien. Au sujet de la séquence où il est filmé sur un vélo, il précise qu’il s’agit du vélo de son fils âgé de 8 ans.
[118] En ce qui a trait à la séquence présentée dans le troisième DVD, le travailleur admet qu’il tient son bras. Il explique qu’il venait de terminer une séance de physiothérapie de trois heures. Il mentionne qu’à la suite de cette session il a subi une crise. Il a déjà eu de tels signes. Au tout début, croyant faire une crise de cœur, il se rendait à l’hôpital. Maintenant, il sait que ces symptômes disparaissent progressivement.
[119] Lorsqu’il se rend à Trois-Rivières pour ses traitements ou ses rendez-vous, il en profite pour faire des courses. Il ne manipule pas d’objets lourds. Il se rappelle avoir transporté une caisse de salade pour le restaurant de l’hôtel.
[120] Le travailleur affirme qu’il n’a pas de restrictions de poids, mais que s’il dépasse ses limites, il ressent des douleurs par la suite. Lorsqu’on le voit prendre des chiens dans ses bras, il dit que ceux-ci sont très légers puisque ce sont des bichons maltais.
[121] Le travailleur fait état de ses douleurs permanentes qui l’obligent à prendre plusieurs médicaments encore aujourd’hui. Le travailleur dit qu’il a appris à vivre avec ses douleurs. Le travailleur nie avoir refusé de recevoir des traitements. Toutefois, il explique que ceux dispensés à Québec lui causaient trop de problèmes compte tenu de la distance à parcourir en voiture.
[122] Le travailleur explique que le 24 avril 2012, il a fait une chute dans l’escalier puisqu’il a manqué une marche. Il explique cet accident par les douleurs, la fatigue et le stress de la fin de la journée. Il dit qu’il ressent des étourdissements en lien avec les médicaments qu’il prend pour la fibromyalgie.
[123] Depuis cette chute, ses rendez-vous médicaux sont plus fréquents et il doit prendre du Démérol.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[124] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la preuve vidéo, le rapport de surveillance et le rapport d’enquête concernant la filature du 24, 25 et 26 mars 2011 sont recevables. À leur avis, la CSST disposait de motifs raisonnables pour procéder de cette manière. D’autre part, même si certains accrocs techniques ont été constatés lors de l’audience, ils considèrent que les témoignages de messieurs Lainesse et Labrecque ont permis de dissiper les doutes quant à l’authenticité de cette preuve. Ils opinent que cette preuve respecte les droits du travailleur en ce qui a trait à la protection de sa vie privée.
[125] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que la preuve vidéo, les rapports de surveillance et le rapport d’enquête concernant les filatures du 12, 13 et 14 juin 2011 de même que celles du 6 et 7 juillet 2011 sont irrecevables. À leur avis, la CSST ne disposait plus de motifs raisonnables pour poursuivre la filature. Ils notent que le motif initial de l’enquête faisait suite à une dénonciation voulant que le travailleur occupe un poste de cuisinier à l’insu de la CSST. Or, lors de la première séquence de filature n’a pas permis de prouver cette allégation. Pour ce qui concerne la présumée capacité du travailleur, laquelle serait plus grande lors de la filature que ce que le travailleur décrit, ils sont d’avis que cette preuve n’est pas probante.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[126] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le contenu des DVD, les rapports de surveillance et le rapport d’enquête obtenus par la CSST sont admissibles en preuve.
[127] Pour rendre sa décision, le tribunal a pris connaissance de toute la preuve de même que des argumentations soumises par les procureurs incluant la jurisprudence.
[128] Dans un premier temps, le tribunal doit analyser le caractère authentique de la preuve vidéo.
[129] Dans l’affaire Résidence Angelica inc. et Desforges[7], la Commission des lésions professionnelles rappelle à bon droit le principe dégagé à ce sujet par la Cour d’appel du Québec :
[146] Dans Cadieux et Le Service de gaz naturel Laval inc.18, la Cour d’appel précise que, pour sa recevabilité, l’authenticité d’une preuve technique s’établit par la preuve de l’identité des « locuteurs », le fait que la preuve est parfaitement authentique, intégrale, inaltérée et fiable et par le fait que les propos soient suffisamment « audibles » et intelligibles.
[147] L’adaptation de ces principes doit évidemment être faite lorsqu’il s’agit de captation d’images.
18. [1991] R.J.Q. 2490 (C.A.).
[130] Lors de la première journée d’audience, une problématique a été soulevée en ce que la CSST n’aurait pas déposée la bonne vidéo. D’autre part, il fut mis en preuve que les DVD produits sous les cotes CSST-2, 3 et 4 ne contenaient pas toutes les images captées par les enquêteurs de la firme mandatée pour procéder à la filature.
[131] Le tribunal a pu entendre les explications de messieurs Lainesse et Labrecque lors de leurs témoignages. Ceux-ci ont bien expliqué la façon de procéder lors d’une telle enquête. Le tribunal est convaincu qu’il n’y a pas eu de trucage concernant les images.
[132] Contrairement aux faits rapportés dans l’affaire Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Pimparé[8], l’enquêteur Labrecque a été en mesure d’affirmer solennellement que les images se trouvant sur les DVD représentaient bien les scènes filmées lors des huit journées de filature. D’autre part, bien que certaines prises de vue puissent avoir été filmées par son collègue, il a été certifié au tribunal qu’il avait effectué la filature en même temps que celui-ci. Ainsi, peu importe que les images transférées sur les DVD soient les siennes ou celles de son collègue, il s’agit bien de ce que l’enquêteur Labrecque a observé.
[133] De plus, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les DVD possèdent le caractère authentique requis en ce que la personne filmée est bien le travailleur[9] qui est présent à l’audience. Par ailleurs, le témoignage de l’enquêteur permet au tribunal de conclure que les images filmées lors de la filature sont bien celles présentées à l’audience. De plus, elles sont claires et intelligibles[10]. Au surplus, le travailleur n’a nié, à aucun moment lors de son témoignage, ne pas avoir effectué les activités qui sont présentées sur les DVD.
[134] La preuve se révélant authentique, il y a lieu d’analyser les critères élaborés par la législation et la jurisprudence sur la question de la recevabilité de la preuve obtenue à la suite d’une filature.
[135] Les articles pertinents en la matière sont prévus à la Charte des droits et libertés de la personne[11] (la Charte) et stipulent :
5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
1975, c. 6, a. 5.
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
Rôle de la loi.
[136] Il y a aussi lieu de considérer les articles 3, 35 et 36 du Code civil du Québec qui se lisent ainsi :
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
1991, c. 64, a. 3.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.
1991, c. 64, a. 35; 2002, c. 19, a. 2.
36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:
1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;
4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;
6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.
1991, c. 64, a. 36.
[137] À ces dispositions, s’ajoute l’article 11 de la Loi sur la justice administrative[12] qui précise les règles de recevabilité d’éléments de preuve et qui se lit comme suit :
11. L'organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l'audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
Moyens de preuve.
Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'utilisation d'une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l'administration de la justice.
1996, c. 54, a. 11.
[138] Dans l’affaire Perreault et Camaplast inc. et CSST[13], le tribunal expose à bon droit qu’une preuve obtenue à la suite d’une filature sera déclarée inadmissible si elle a été obtenue en violation d’un droit fondamental et si elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[139] Suivant les enseignements de la Cour d’appel du Québec[14] dans l’affaire Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau et Bridgestone Firestone Canada inc., toute surveillance effectuée par un employeur en dehors des lieux du travail n’est pas nécessairement illicite. Bien qu’à première vue, une telle surveillance puisse constituer une atteinte à la vie privée, elle pourra être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et si elle est conduite par des moyens raisonnables, et ce, en conformité avec la Charte.
[140] Pour ce qui est des moyens utilisés par la CSST ou par un employeur, la Cour d’appel enseigne que la mesure de surveillance doit apparaître nécessaire pour vérifier le comportement de l’individu soumis à la filature. De plus, elle doit être menée de la façon la moins intrusive possible.
[141] La Cour d’appel rappelle que le concept de vie privée n’est pas limité géographiquement aux seuls lieux privés, mais aussi aux lieux publics. Ce droit à la vie privée comporte le droit à l’anonymat et à l’intimité. Ce droit n’est donc pas limité aux lieux, mais il suit et se rattache à la personne.
[142] Si une procédure de surveillance et de filature représente, à première vue, une atteinte à la vie privée, cette atteinte peut se justifier selon ce que prévoit l’article 9.1 de la Charte. Et, reprenant un avis émis par la Commission des droits de la personne du Québec en 1999 concernant la surveillance d’un salarié absent pour raison de santé, la Cour d’appel retient que la surveillance peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte. Il ne peut s’agir d’une décision arbitraire.
[143] De plus, la Cour d’appel ajoute que le choix des moyens doit être justifié :
°75. Au niveau du choix des moyens, il faut que la mesure de surveillance, notamment la filature, apparaisse comme nécessaire pour la vérification du comportement du salarié et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible. Lorsque ces conditions sont réunies, l’employeur a le droit de recourir à des procédures de surveillance, qui doivent être aussi limitées que possible.
_____________________
8 [1998] 1 R.C.S 591
[144] L’affaire Bridgestone fait suite à une surveillance de la part d’un employeur à l’égard d’un salarié et elle s’inscrit dans le cadre d’un litige ayant trait aux relations de travail. Toutefois, les principes dégagés par ce jugement quant à l’admissibilité de la preuve d’une filature ont été repris dans de nombreuses décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dont plusieurs sont citées dans la présente décision, et ce, peu importe que cette filature soit initiée par un employeur ou par la CSST.
[145] En résumé, comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Résidence Angelica inc. et Desforges et CSST[15] :
[141] En résumé, lorsque la preuve ne démontre pas une atteinte à un droit garanti par la Charte ou que l’atteinte s’avère admissible en application de l’article 9.1 de la Charte, le premier critère, énoncé à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative, n’est pas rencontré et l’analyse exigée par cette disposition s’arrête là. Le tribunal doit alors disposer de la recevabilité de la preuve en application des autres règles dont celle de la pertinence. Il n’a pas l’obligation de se prononcer sur le second critère énoncé dans cette disposition, soit la déconsidération de l’administration de la justice.
[146] Dans le présent dossier, peut-on dire que la CSST disposait d’un motif rationnel, raisonnable et sérieux pour demander qu’une filature du travailleur soit effectuée?
[147] Rappelons que l’enquête de la CSST est entreprise à la suite d’une dénonciation anonyme reçue le 22 décembre 2010 mentionnant que le travailleur occupe un emploi de cuisinier à raison de quatre jours par semaine depuis quelques mois. Certains détails sont précisés rendant crédible cette dénonciation aux yeux de la directrice santé et sécurité de la CSST. D’autre part, il est écrit au dossier de l’organisme et il est à la connaissance des intervenants que le travailleur habite un appartement privé à l’intérieur d’un motel dirigé par sa conjointe et où se trouve un restaurant.
[148] Tel que mentionné par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Eppelé et CSST et Hôpital Santa Cabrini[16], cette information est suffisamment précise et elle est en contradiction avec les informations détenues par la CSST à cette époque de telle sorte que le tribunal est d’avis que la CSST est justifiée de procéder à une vérification plus approfondie.
[149] D’autre part, puisque les informations au dossier laissent entrevoir un lien familial entre les personnes oeuvrant au restaurant et/ou au motel, alors il apparaît raisonnable que la vérification ne puisse se faire directement auprès des dirigeants du restaurant en question. Au surplus, les informations publiques et disponibles auprès du Registraire des entreprises font état du statut d’actionnaire du travailleur concernant le restaurant L’âge de Pierre situé à la même adresse que le motel où le travailleur réside dans une section privée.
[150] Dans un tel contexte, la Commission des lésions professionnelles voit difficilement comment la CSST aurait pu procéder autrement que par une filature. En effet, la CSST a fait la preuve qu’elle avait des motifs rationnels, raisonnables et sérieux de demander une filature. Les motifs invoqués ne tiennent pas d’un simple doute, mais bien d’éléments précis et objectifs. Par ailleurs, ces motifs existent au moment où la décision de procéder à une filature du travailleur est prise. De plus, la preuve révèle qu’il est exceptionnel que la CSST demande une enquête et que même dans ces cas, ce ne sont pas tous les dossiers qui mènent à une filature.
[151] Cependant, la Commission des lésions professionnelles considère que ces motifs ne sont valables que pour la première séquence de filature, soit les 24, 25 et 26 mars 2011.
[152] En effet, lors de cette première séquence de surveillance effectuée dans des lieux accessibles à tous, c’est-à-dire à l’intérieur des espaces publics du Motel le Victo et sur les terrains de la propriété de même qu’à proximité d’établissements commerciaux, il apparaît clair que le but de l’enquête est de vérifier les occupations du travailleur à savoir s’il est cuisinier dans un restaurant, plus précisément celui du motel Le Victo en lien avec la dénonciation. D’ailleurs, un des enquêteurs obtient des informations auprès d’un pompiste sur la qualité de la nourriture servie au restaurant L’âge de Pierre. Le pompiste répond par l’affirmative et il précise que le cuisinier est un français. Les enquêteurs louent une chambre au motel et ils discutent avec le personnel cherchant à obtenir la confirmation que le travailleur exerce la fonction de cuisinier. Une discussion a même lieu avec le travailleur lui-même dans le corridor face à la porte de son appartement.
[153] Toutefois, tel que mentionné par l’enquêteur Labrecque, la filature du travailleur n’a jamais pu démontrer qu’il travaille comme cuisinier. Lors de son séjour au motel, c’est la fille du travailleur qui est cuisinière et il n’a pas vérifié qui la remplaçait lors de ses journées de congé.
[154] D’autre part, les informations obtenues auprès de l’Agence du revenu du Canada pour la période visée ne démontrent aucun revenu d’emploi pour la période intéressant la CSST. Notons que ces documents sont obtenus en fonction des pouvoirs de commissaire d’enquête détenus par l’enquêteur Lainesse en vertu de l’article 173 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[17] et ils se justifient dans les circonstances d’une dénonciation voulant que le travailleur occupe un emploi.
[155] Dans son témoignage, madame St-Pierre a aussi mentionné que le but de sa demande d’enquête consistait à mesurer les capacités fonctionnelles du travailleur en raison de son discours fortement axé sur l’invalidité.
[156] Or, à ce chapitre, la première séquence de la filature effectuée les 24, 25 et 26 mars 2011, pendant 42 heures et 30 minutes, ne fait ressortir que bien peu d’informations. D’ailleurs, il est significatif de rappeler que le DVD ne présente des images que pour 10 minutes 50 secondes captées pendant les 3 journées. Sur ces images, le travailleur est filmé notamment alors qu’il monte sur un monticule de neige pour aller chercher une pelle. Il déplace deux VTT. Il nettoie la salle de bain de l’unité 9, soit celle des enquêteurs. Il nettoie le garage avec un balai et un boyau d’arrosage. Finalement, il conduit une voiture pour faire quelques courses dans des commerces.
[157] Monsieur Lainesse a témoigné que n’eût été cette capacité physique, l’enquête se serait probablement arrêtée à ce moment. Or, aux yeux du tribunal, la preuve est bien mince au chapitre de la capacité fonctionnelle du travailleur.
[158] Au surplus, même le docteur Parent, médecin désigné de la CSST, dans son expertise du 30 juillet 2010 insiste auprès du travailleur pour qu’il maintienne une activité physique à visée cardio-vasculaire, dans le but d’atténuer ses douleurs et d’améliorer sa condition physique générale. Il ajoute qu’il est bien connu que l’inactivité dans le cadre d’une personne atteinte de fibromyalgie ne fera qu’exacerber la symptomatologie douloureuse.
[159] D’autre part, lorsque le docteur Morin commente l’avis modifié du docteur Parent, il signale que son patient est « non grabataire (comme 99 % des fibromyalgiques) ». Il croit qu’il y a lieu d’évaluer les images captées sur la vidéo en fonction de variables tels l’intensité, la difficulté, le temps.
[160] Force est de constater par ces avis que le travailleur est encouragé à se mobiliser pour améliorer sa condition et diminuer ses douleurs.
[161] Il est vrai que le travailleur fait valoir régulièrement aux intervenants de la CSST ses incapacités, ses difficultés de sommeil et ses douleurs. Cependant, ses déclarations ne sont pas en contradiction avec les images captées par les enquêteurs ni par leurs observations. D’ailleurs, le 30 mars 2011 lors d’une conversation téléphonique avec l’agente d’indemnisation, le travailleur mentionne qu’il peut tondre la pelouse et déneiger l’entrée avec un tracteur. Il souhaite pratiquer le golf bien qu’il doute qu’il en sera capable. Il promène ses chiens. Il fait du modélisme. Il effectue quelques courses. Il peut nettoyer son entrée avec un balai. Il conduit sa voiture, mais à une vitesse qui lui convient.
[162] Il ressort des témoignages entendus à l’audience que les motifs de la CSST pour procéder à une enquête par filature ont évolué au cours des semaines. D’ailleurs, des conversations téléphoniques sont tenues entre messieurs Lainesse et Labrecque de même qu’entre monsieur Lainesse et madame St-Pierre au sujet de l’évolution de l’enquête. Les doutes en ce qui concerne le fait que le travailleur occuperait un emploi de cuisinier paraissent éteints pour faire davantage place à l’observation des activités du travailleur. Or, tel que le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Pimparé[18], les motifs de poursuivre une enquête ne peuvent se fonder sur des soupçons, mais bien sur des motifs raisonnables tel qu’enseigné par la Cour d’appel du Québec.
[163] Il faut dire qu’en lisant les nombreuses notes évolutives des intervenants de la CSST, le travailleur n’apparaît pas être un sujet facile. Il en est de même de sa conjointe. D’ailleurs, le tribunal a été en mesure de le constater puisqu’à quelques reprises la soussignée a dû intervenir auprès du procureur du travailleur pour qu’il demande à la conjointe de ce dernier de ne pas intervenir dans le cours de l’audience.
[164] Notons qu’à cette même époque, la CSST insiste pour que le travailleur participe à un programme de physiothérapie qui se spécialise dans les traitements pour les personnes atteintes de fibromyalgie. Or, ce programme est offert à Québec. Le tribunal note que la principale raison exprimée par le travailleur pour résister à participer à ce programme est liée au fait qu’il doive se déplacer à Québec plutôt qu’à proximité de sa résidence. Son médecin, le docteur Morin, rapporte cette difficulté dans un de ses rapports. Ultérieurement, le travailleur suivra un programme adapté à sa condition à Victoriaville de juillet à décembre 2011.
[165] Mais, si l’on revient aux principes devant guider le tribunal dans son analyse des motifs raisonnables que doit démontrer la CSST pour justifier son enquête, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas comment elle pourrait considérer que de tels motifs existaient après la première séquence de filature. Au surplus, un délai de trois mois s’écoule entre les deux séquences de filature. Ce délai apparaît long aux yeux du tribunal.
[166] Au risque de se répéter, les informations révélées par la dénonciation n’ont pas été prouvées après une période de 42 heures et 30 minutes de filature effectuée sur une période de trois jours. Ainsi, les motifs justifiant la tenue d’une enquête au moyen d’une filature n’existaient plus après cette première séquence de filature.
[167] Bien que la Commission des lésions professionnelles puisse penser que le travailleur est probablement un peu plus actif qu’il ne le prétend, elle ne peut retrouver dans la preuve qui lui est soumise des motifs autorisant une poursuite de l’enquête après le 26 mars 2011. C’est pourquoi toute la preuve d’enquête, incluant les rapports de surveillance et les DVD au-delà de cette date ne sont pas admissibles en preuve.
[168] En réponse à un argument du procureur du travailleur concernant la captation d’images concernant la famille du travailleur, la Commission des lésions professionnelles signale qu’il lui apparaît normal qu’au cours de la filature d’un travailleur il puisse arriver que des tiers y soient aussi filmés. Les enquêteurs ne peuvent savoir à l’avance ce qui se déroulera au cours de la journée. Mais, ce qui importe, c’est que la preuve ne démontre pas que le but de la CSST et des enquêteurs ait été celui d’espionner la famille du travailleur.
[169] En conclusion, la Commission des lésions professionnelles conclut que la surveillance effectuée les 24, 25 et 26 mars 2011 est une atteinte à la vie privée garantie par la Charte, mais qu’elle est admissible en application de l’article 9.1 de la Charte puisqu’elle a été effectuée en raison de motifs raisonnables, dans des lieux publics ou accessibles au public et par des moyens le moins intrusifs possible. Dans ces circonstances, puisque le premier critère énoncé à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative n’est pas rencontré alors le tribunal n’a pas à analyser le deuxième critère, soit celui de la déconsidération de la justice.
[170] Par ailleurs, le tribunal refuse le dépôt des images captées les 12, 13 et 14 juin 2011 et celles captées les 6 et 7 juillet 2011 par les enquêteurs de la firme Chartrand Fortin Labelle Solutions inc. de même que les rapports de surveillance et le rapport d’enquête de monsieur Lainesse se rapportant à ces périodes puisque la CSST n’a pas fait la preuve qu’elle disposait de motifs raisonnables pour poursuivre son enquête. En l’absence de tels motifs, la Commission des lésions professionnelles n’a pas à se prononcer sur l’atteinte à la vie privée ni sur la déconsidération de l’administration de la justice pour cette partie de l’enquête provenant de la CSST.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LES QUESTIONS DE FOND
Dossier 468402
[171] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête du travailleur puisqu’ils sont d’avis que la preuve prépondérante ne démontre pas que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST. En conséquence, ils considèrent que la CSST ne pouvait suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 8 décembre 2011.
Dossier 474965
[172] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales accueilleraient la requête du travailleur en partie puisqu’ils sont d’avis que le travailleur doit continuer à prendre la médication qui lui est prescrite et maintenir une activité physique dans le but de contrôler sa douleur et améliorer sa condition physique en général. Ils n’attribueraient pas de déficit anatomo-physiologique puisque le barème des dommages corporels n’en prévoit aucun pour un diagnostic de fibromyalgie. Au sujet des limitations fonctionnelles, ils croient que le travailleur en conserve, mais que son dossier doit être retourné à la CSST pour la description des limitations fonctionnelles. En conséquence, ils considèrent que le travailleur a droit au versement des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur la capacité de travail du travailleur.
Dossier 479428
[173] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales rejetteraient la requête du travailleur puisqu’ils sont d’avis que la preuve médicale prépondérante ne démontre pas de lien entre le diagnostic de fracture au niveau D12-L1 et l’événement du 25 avril 2004.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LES QUESTIONS DE FOND
Dossier 468402
[174] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST est justifiée de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 8 décembre 2011.
[175] Dans sa décision initiale, la CSST réfère à l’article 142 de la loi pour suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur sans préciser le motif. Dans la décision rendue à la suite d’une révision administrative, la CSST signale que le travailleur a dérogé à ses obligations vis-à-vis de la CSST en fournissant des renseignements inexacts, d’une part, et, d’autre part, en omettant de se prévaloir de la mesure de réadaptation mise en place, soit le programme de développement de capacité. Toutefois, dans son argumentation, la procureure de la CSST n’allègue que le premier motif pour suspendre les indemnités de remplacement du revenu au travailleur, soit celui d’avoir fourni des renseignements inexacts à la CSST.
[176] Étant donné l’argumentation de la procureure de la CSST, la Commission des lésions professionnelles ne se prononcera que sur le bien-fondé de la décision en fonction du motif que le travailleur aurait fourni des renseignements inexacts à la CSST.
[177] De toute façon, la preuve ne révèle pas que le travailleur aurait refusé de participer à un programme de développement de ses capacités.
[178] L’article 278 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[19] (la loi) prévoit qu’un bénéficiaire doit informer sans délai la CSST de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la loi lui confère ou sur le montant d’une indemnité :
278. Un bénéficiaire doit informer sans délai la Commission de tout changement dans sa situation qui peut influer sur un droit que la présente loi lui confère ou sur le montant d'une indemnité.
__________
1985, c. 6, a. 278.
[179] Comme la Commission des lésions professionnelles l’a déjà mentionné à bon droit[20], lorsqu’un travailleur démontre une capacité nettement différente à celle qu’il prétend avoir alors, la CSST est justifiée de suspendre les indemnités de remplacement du revenu au travailleur puisque cela équivaut à fournir des renseignements inexacts.
[180] D’autre part, l’article 142 de la loi énonce plusieurs motifs suivant lesquels la CSST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité au travailleur, dont celui d’avoir fourni à la CSST des renseignements inexacts. Cet article est libellé en ces termes :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
(…)
__________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[181] Les principes étant établis, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve recueillie par l’enquête ne permet pas de contredire les dires du travailleur au point de conclure qu’il a donné des renseignements inexacts.
[182] Dans le présent cas, on ne peut conclure que le travailleur a fait défaut d’informer la CSST de son lieu de résidence puisque dès le 27 septembre 2010, une note évolutive de l’agente de la CSST révèle que le travailleur habite dans un appartement situé à l’intérieur du motel lequel est géré par sa conjointe. Le fait qu’il conserve son titre de propriété pour sa maison et qu’il la loue à sa fille n’est pas problématique.
[183] Quant aux activités visualisées sur la bande vidéo des 24, 25 et 26 mars 2011 de même qu’au descriptif des rapports de surveillance, on ne peut pas dire qu’elles contredisent clairement les informations données par le travailleur à la CSST. En effet, le 24 mars 2011, le travailleur conduit une automobile et il se rend dans un marché d’alimentation. Il fait un achat qu’il transporte dans un sac d’épicerie en plastique. Il se rend à une clinique de physiothérapie. Le 25 mars 2011, le travailleur déplace des VTT et ses voitures à partir du garage du motel. Il ramasse une pelle sur un monticule de neige d’une hauteur approximative de 10 pieds. Il arrose et il passe le balai dans l’entrée du garage. Il démarre manuellement un VTT. Il nettoie la salle de bains de l’unité 9 du motel. Il conduit une voiture et il se rend chez sa fille. Le 26 mars 2011, le travailleur est filmé alors qu’il promène un chien. Il se rend au pas de course à son véhicule.
[184] Aux yeux du tribunal, il s’agit d’activités de la vie quotidienne qui ne sont pas représentatives de la capacité fonctionnelle du travailleur d’autant plus qu’elles se déroulent sur une période très brève. D’autre part, en ce qui a trait au motif principal de l’enquête, soit la dénonciation voulant que le travailleur exerce les tâches de cuisinier, force est d’admettre qu’en aucun temps cette information ne s’est avérée exacte. Rappelons que les enquêteurs sont demeurés au motel dans lequel il y a un restaurant. Le travailleur n’y a jamais été vu à travailler. Il est vrai que lors d’une conversation avec les enquêteurs, il mentionne qu’il leur cuisinera une bavette. Or, dans les faits, cela ne s’est pas réalisé. Mais, de toute façon, le tribunal ne peut induire de cette conversation que le travailleur exerce l’emploi de cuisinier sur une période régulière. Qu’il cuisine à l’occasion n’a rien d’anormal puisqu’il est cuisinier de formation et que tel que les médecins le lui ont dit, il est suggéré qu’il se mobilise pour diminuer ses douleurs.
[185] La capacité fonctionnelle du travailleur, selon les informations révélées par l’enquête, apparaît similaire à celle décrite par le travailleur aux intervenants de la CSST. En effet, à peine quelques jours après la filature de mars, soit le 30 mars 2011, de même que le 13 juin 2011, le travailleur mentionne aux agents de la CSST qu’il a la capacité d’effectuer certaines tâches, soit : la tonte de la pelouse et le déneigement de l’entrée avec un tracteur, la promenade de ses chiens, le modélisme, le nettoyage de son entrée de garage et l’aide aux devoirs de son fils. Pour le fonctionnement du motel, il lui arrive de faire quelques commissions, d’effectuer de petites réparations et de répondre au téléphone. D’ailleurs, quelques-unes des activités décrites par le travailleur sont montrées sur la vidéo.
[186] Cependant, rappelons que même le docteur Parent recommande au travailleur de maintenir une activité à visée cardio-vasculaire dans le but d’atténuer ses douleurs et améliorer sa condition physique générale lorsqu’il l’évalue le 30 juillet 2010. Pourtant, malgré cette suggestion, le docteur Parent évalue que la condition du travailleur est incompatible avec tout travail régulier. C’est donc dire que le docteur Parent encourage le travailleur à se mobiliser, même s’il le juge inemployable à ce moment.
[187] Pour ce qui est de l’opinion modifiée du docteur Parent, le tribunal ne peut en tenir compte puisque le médecin se base sur l’ensemble de la preuve vidéo alors que le tribunal en a rejeté une bonne partie. D’autre part, le docteur D’Anjou suggère au travailleur de pratiquer une activité physique afin d’améliorer sa condition physique et diminuer ses douleurs.
[188] Pour sa part, le docteur Morin opine qu’en raison du diagnostic de fibromyalgie, le travailleur n’est pas grabataire et qu’il faudrait voir à quelle intensité et en combien de temps les activités filmées sont effectuées. Notons que le docteur Morin n’a pas visionné le DVD.
[189] Or, le tribunal a eu cette opportunité et il constate que les activités reprochées au travailleur sont effectuées sur une courte période de temps et sans une grande intensité. Rappelons que la filature de mars 2011 vise une période de 34 heures et que seulement 10 minutes 50 secondes sont présentées sur le DVD. Pour ce qui est du rapport de surveillance rédigé par les enquêteurs, il ne révèle pas d’activités plus intenses ou exigeantes que celles gravées sur le DVD.
[190] De plus, à la lecture des rapports détaillés des physiothérapeutes, la Commission des lésions professionnelles note que le travailleur effectue des exercices physiques bien que sa collaboration ne paraisse pas toujours maximale et qu’il s’absente à quelques reprises.
[191] À l’audience, le travailleur explique que les traitements offerts par la Clinique de physiothérapie Victoriaville et de l’Érable lui sont plus bénéfiques puisque les intervenants lui offrent une meilleure supervision. Or, ceux-ci n’ont commencé que le 7 juillet 2011. Il mentionne qu’à la clinique précédente, il avait une feuille d’exercices à faire et qu’il les faisait sans supervision.
[192] Dans son argumentation, la CSST réfère à certaines déclarations du travailleur permettant de croire qu’il ne fait rien de ses journées. Or, ces déclarations sont soit antérieures à la filature (5 mars 2010 et 30 juillet 2010) ou bien ultérieure (17 avril 2012). Certaines autres déclarations ne sont pas recevables puisqu’elles concernent les filatures non acceptées en preuve par le tribunal.
[193] En conclusion, la Commission des lésions professionnelles détermine que la preuve ne révèle pas d’une manière prépondérante que le travailleur a fourni des renseignements inexacts à la CSST. En conséquence, la CSST ne pouvait suspendre le versement de ses indemnités de remplacement du revenu à compter du 8 décembre 2011.
Dossier 474965
[194] La CSST doit déterminer si la lésion professionnelle du travailleur nécessite encore des soins ou des traitements. De plus, elle doit évaluer s’il conserve une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles.
[195] Dans un premier temps, notons que le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa lésion n’est pas consolidée. Or, le tribunal ne peut se prononcer sur cette question puisque le médecin du travailleur, le docteur Morin, a donné son accord à la date de consolidation proposée par le docteur Parent. D’ailleurs, le membre du Bureau d'évaluation médicale n’est pas saisi de cette question.
[196] Le 14 septembre 2010, le docteur Mathieu entérine l’avis du docteur Parent. Toutefois, étant donné l’information du travailleur mentionnant que c’est le docteur Morin qui est son médecin pour son diagnostic de fibromyalgie, la CSST ne tient pas compte de l’opinion du docteur Mathieu.
[197] Puis, dans un rapport complémentaire du 8 décembre 2011 lequel fait suite à l’opinion modifiée du docteur Parent, le docteur Morin note que la date de consolidation a déjà été fixée au 30 juillet 2010 et qu’il n’a rien à ajouter à ce sujet. Puisque le docteur Morin reprend à son compte la date de consolidation proposée par le docteur Parent, cela revient à dire que la date de consolidation est établie par le médecin qui a charge du travailleur.
[198] Ainsi, c’est à bon droit que la demande d’avis au Bureau d'évaluation médicale ne porte pas sur la date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, puisque celle-ci a été consolidée par le médecin qui a charge du travailleur.
[199] Cette façon de faire respecte l’article 212.1 de la loi stipulant que le médecin du travailleur peut rédiger un avis complémentaire à la suite d’un rapport du médecin désigné par l’employeur :
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
__________
1997, c. 27, a. 5.
[200] Puisque le docteur Morin donne son avis au sujet de la date de consolidation retenant celle proposée par le docteur Parent, alors la CSST est liée par cette opinion en vertu de l’article 224 de la loi qui stipule ce qui suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[201] Finalement, en vertu du deuxième alinéa de l’article 358 de la loi, le travailleur ne peut demander la révision d’une question d’ordre médical sur laquelle la CSST est liée en vertu de l’article 224 de la loi. En d’autres mots, le travailleur ne peut contester l’opinion de son médecin. Cet article se lit comme suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
(…)
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[202] D’autre part, tel que le plaide la procureure de la CSST, jurisprudence à l’appui, la CSST était en droit de demander un nouvel avis à son médecin désigné à la suite de l’enquête et ultimement de soumettre le tout au Bureau d'évaluation médicale. De l’avis du tribunal, cette procédure demeure valide puisqu’une partie de l’enquête et des rapports de surveillance a été déclarée admissible.
[203] En ce qui concerne la question des soins ou des traitements, la preuve révèle que le travailleur doit continuer à prendre une médication laquelle peut être révisée par son médecin selon sa condition. D’autre part, le travailleur est encouragé à maintenir une activité physique afin de l’aider à diminuer ses douleurs et améliorer sa condition physique en général.
[204] Pour l’attribution d’un déficit anatomo-physiologique, c’est le Règlement sur le barème des dommages corporels[21] (le barème) qui prévoit les séquelles de la lésion professionnelle devant être attribuées à un travailleur.
[205] Dans le cas présent, le diagnostic de la lésion professionnelle est celui de fibromyalgie. Or, pour un tel diagnostic, le barème ne prévoit aucun déficit anatomo-physiologique tel que le mentionnent les docteurs Parent et D’Anjou. Pour sa part, le docteur Morin n’a émis aucune opinion sur le sujet.
[206] Le troisième alinéa de l’article 84 de la loi prévoit que si un préjudice corporel n’est pas mentionné dans le barème, un pourcentage peut être accordé par analogie en fonction d’un préjudice corporel du même genre. Cet article se lit ainsi :
84. (…)
Si un préjudice corporel n'est pas mentionné dans le barème, le pourcentage qui y correspond est établi d'après les préjudices corporels qui y sont mentionnés et qui sont du même genre.
__________
1985, c. 6, a. 84; 1999, c. 40, a. 4.
[207] Aucune preuve n’a été soumise à l’attention du tribunal pour qu’un déficit anatomo-physiologique soit accordé au travailleur par analogie.
[208] Pour sa part, la Commission des lésions professionnelles ne retrouve pas d’indication dans les différentes expertises médicales lui permettant d’attribuer un déficit anatomo-physiologique par analogie au travailleur en raison du diagnostic de fibromyalgie. En conséquence, aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ne peut être attribuée au travailleur pour ce diagnostic[22].
[209] Ces questions étant réglées, la Commission des lésions professionnelles doit maintenant se prononcer sur celle des limitations fonctionnelles.
[210] Tout d’abord, la Commission des lésions professionnelles note que le docteur Parent, dans son expertise du 30 juillet 2010, fait état d’un syndrome de douleurs chroniques avec une atteinte diffuse. Il opine que le caractère continu de douleur et son effet sur le comportement et la concentration du travailleur sont incompatibles avec tout travail régulier. Il se dit d’avis qu’une activité dont le travailleur peut contrôler lui-même le rythme et l’horaire est envisageable.
[211] Le tribunal constate que le médecin désigné dispose davantage d’une question d’ordre juridique soit la capacité de travail que d’une question d’ordre médical soit la description des limitations fonctionnelles. Il est étonnant que la CSST n’ait pas demandé un avis complémentaire à son médecin afin qu’il décrive les limitations fonctionnelles qu’il juge existantes, mais telle est la preuve.
[212] Comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans une décision[23], la question de la capacité de travail est une question d’ordre juridique pour laquelle un médecin peut se prononcer, mais qui ne lie pas la CSST ni le tribunal.
[213] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles ne peut utiliser le rapport modifié du 25 novembre 2011 du docteur Parent puisque ce dernier a considéré l’ensemble de la preuve obtenue à la suite de l’enquête effectuée par la CSST. Or, une partie de cette preuve est déclarée inadmissible par le tribunal. En conséquence, le tribunal ne peut départager le rapport du docteur Parent en fonction de la preuve admissible ou non.
[214] Dans son expertise médicale, le docteur D’Anjou rapporte une limitation de mouvements au niveau de la colonne cervicale du travailleur tel que l’avait noté le docteur Parent dans son expertise du 30 juillet 2010. Il se questionne sur l’effet de certains médicaments prescrits au travailleur, notamment les opiacés. Toutefois, il n’attribue aucune limitation fonctionnelle au travailleur en raison de son incapacité à objectiver ses douleurs.
[215] La Commission des lésions professionnelles considère que l’opinion du docteur D’Anjou sur l’absence de limitations fonctionnelles doit être écartée puisque son examen clinique de la colonne cervicale n’est pas dans les limites de la normale. D’autre part, en comparant son examen aux nombreux rapports des physiothérapeutes, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve milite davantage vers la reconnaissance de limitations de mouvements que vers des mouvements complets de la colonne cervicale du travailleur.
[216] Pour sa part, dans un avis du 7 mars 2012, le docteur Morin opine que la condition du travailleur est stable, mais que le retour au travail de son patient n’est pas considéré en raison de ses douleurs. Dans une lettre du 18 juin 2012, confirmée le 19 décembre 2012, le docteur Morin note que son patient présente un tableau de douleur chronique compatible avec un diagnostic de fibromyalgie. Il ajoute que cela a une répercussion fonctionnelle importante sur son patient de même que sur sa capacité fonctionnelle. À son avis, le travailleur ne peut réaliser de façon persistante, constante et régulière un travail normal.
[217] Ainsi, comme le docteur Parent, le docteur Morin constate l’existence de limitations fonctionnelles, mais il ne les décrit pas. Il se contente de se prononcer sur une question d’ordre juridique, soit la capacité de travail.
[218] Pourtant, selon l’article 203 de la loi, le médecin devrait décrire les limitations fonctionnelles lorsqu’il juge que le travailleur en conserve :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[219] Tel que mentionné plus haut, la Commission des lésions professionnelles est saisie de la question des limitations fonctionnelles. Toutefois, le tribunal se retrouve dans la situation où la preuve médicale prépondérante établit que des limitations fonctionnelles existent chez le travailleur, mais sans qu’une description détaillée lui soit présentée.
[220] Dans le cas présent, et comme ce fût le cas dans d’autres situations particulières[24] où la preuve l’exigeait, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle ne dispose d’autre choix que de retourner le dossier du travailleur à la CSST afin que son médecin décrive les limitations fonctionnelles du travailleur, lesquelles sont existantes. En cas de désaccord, la procédure d’évaluation médicale pourra être utilisée par la CSST tel que la loi le prévoit.
[221] Étant donné l’existence de limitations fonctionnelles chez le travailleur, ce dernier a droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité à exercer un emploi convenable.
Dossier 479428
[222] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 avril 2012.
[223] La notion de « lésion professionnelle » est définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[224] La loi ne définit pas en quoi consiste une récidive, rechute ou aggravation. Il faut s’en remettre à la jurisprudence[25] bien établie en la matière qui, au fil des ans, a reconnu à titre de lésion professionnelle la réapparition, la reprise évolutive ou la recrudescence de la lésion ou de ses symptômes.
[225] Ainsi, il y a lieu de regarder le sens commun de ces termes comme l’a mentionné le tribunal dans la décision Harrisson et Groupe Relations Matane inc.[26] :
[23] (…) et de considérer qu’il s’agit d’une réapparition, d’une reprise évolutive ou d’une recrudescence de la lésion ou de ses symptômes. Il n’est pas nécessaire qu’un fait nouveau survienne, qu’il soit accidentel ou non. La preuve doit cependant établir une relation de cause à effet entre la lésion professionnelle initiale et celle alléguée à titre de récidive, rechute ou aggravation.
[24] Il a également été mentionné à plusieurs reprises dans les décisions de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et de la Commission des lésions professionnelles qu’il ne fallait pas uniquement examiner la notion d’aggravation, mais également les notions de récidive et de rechute.
[25] La Commission d’appel s’exprime ainsi dans l’affaire Michaud-Rousseau et Via-Rail Canada4 : « L’aggravation n’est qu’un des termes utilisés, elle ne doit pas devenir le terme de référence, sinon elle écarte la volonté du législateur de ne pas encarcanner cette reprise évolutive d’une lésion et de ses symptômes à la seule existence d’une aggravation ».
4 [1996] C.A.L.P. 1108
[226] Puis, tout comme l’a décidé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Dubé et Les Entreprises du Jalaumé enr.[27], il paraît à la soussignée, que la formulation adéquate du fardeau qui incombe au travailleur doit se résumer ainsi:
§ Il lui faut prouver une modification de son état de santé par rapport à la situation qui prévalait au moment de la consolidation de la lésion professionnelle ainsi que ;
§ L’existence d’un lien de causalité entre cette modification et la lésion professionnelle.
[227] La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’une telle relation médicale ne peut se présumer ou se déduire seulement en tenant compte du témoignage du travailleur ou de théories médicales sans assise dans la preuve et les faits du dossier[28].
[228] La jurisprudence[29] a déterminé certains critères permettant d’établir la reconnaissance d’une lésion professionnelle sous l’angle d’une récidive, rechute ou aggravation :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité de la symptomatologie;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la présence ou l’absence d’une condition personnelle;
- la compatibilité de la symptomatologie alléguée au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.
[229] Aucun de ces critères n’est à lui seul décisif, mais pris ensemble ils permettent de se prononcer sur le bien-fondé de la réclamation.
[230] Le rappel de ces critères étant fait, qu’en est-il en l’espèce?
[231] Dans le présent dossier, le tribunal note que le travailleur allègue avoir fait une chute dans un escalier le 23 avril 2012 à la suite d’une modification de son état de santé en raison de la prise de médicaments laquelle aurait altéré ses capacités en particulier au niveau de sa vigilance et de la fatigue.
[232] En appui à ses prétentions, le travailleur dépose un rapport du docteur Morin du 26 avril 2013 qui mentionne que la fracture vertébrale de L1 à la suite d’une chute dans un escalier amène, en sus du tableau de fibromyalgie, ajoute une problématique exacerbée de lombalgie mécanique avec restriction à l’effort au niveau axial. Il dépose aussi un article traitant des effets secondaires émanant de la prise de médicaments[30].
[233] Rappelons que l’événement d’origine est survenu le 25 avril 2004. Or, depuis ce temps, la preuve médicale ne révèle pas de faiblesse aux membres supérieurs ou inférieurs à la suite de la lésion professionnelle du travailleur. Il est vrai que ce dernier doit prendre plusieurs médicaments en raison de sa condition. Toutefois, aucun médecin n’établit de lien direct entre la chute survenue le 23 avril 2012 et la prise de médicaments. Certes, des effets secondaires sont possibles à la suite de la prise de médicaments. Toutefois, pour que le tribunal puisse établir un lien entre ceux-ci et la chute dans l’escalier, il aurait fallu le démontrer par une preuve médicale prépondérante dont le fardeau incombe au travailleur. De l’avis du tribunal, cette preuve n’a pas été faite.
[234] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 23 avril 2012.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 468402
ACCUEILLE la requête déposée le 2 avril 2012 par monsieur Serge Jullian, le travailleur;
INFIRME la décision rendue le 26 mars 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travailleur n’était pas justifiée de suspendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 8 décembre 2011;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit reprendre le versement des indemnités de remplacement du revenu au travailleur à compter du 8 décembre 2011.
Dossier 474965
ACCUEILLE en partie la requête déposée le 20 juin 2012 par monsieur Serge Jullian, le travailleur;
MODIFIE la décision rendue le 11 juin 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit d’être remboursé pour les médicaments qu’il doit continuer de prendre en raison du diagnostic de fibromyalgie;
DÉCLARE que le travailleur ne conserve pas de déficit anatomo-physiologique en raison du diagnostic de fibromyalgie et qu’en conséquence il ne peut recevoir d’indemnité pour préjudice corporel pour ce diagnostic;
DÉCLARE qu’en raison du diagnostic de fibromyalgie, le travailleur conserve des limitations fonctionnelles;
DÉCLARE que le travailleur a droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se soit prononcée sur la capacité de retour au travail du travailleur dans un emploi convenable;
RETOURNE le dossier du travailleur à la CSST afin que le processus d’évaluation médicale soit amorcé permettant au médecin du travailleur de décrire les limitations fonctionnelles.
Dossier 479428
REJETTE la requête déposée le 13 août 2012 par monsieur Serge Jullian, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 31 juillet 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 23 avril 2012 sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation.
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Michèle Gagnon Grégoire |
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Me Jean Gagné |
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Gagné Bélanger, avocats |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Évelyne Julien |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
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JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE TRAVAILLEUR
Zhang et Lock-Danseurs inc. et CSST, 2013 QCCLP 2157.
Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., 2012 QCCLP 7666.
Div. Golden International et Propane du Suroit (Gaz), 2012 QCCLP 2857.
Gestion Hunt Groupe Synergie inc. et Pimparé et CSST, 2012 QCCLP 719.
Deschênes et Préva-Garde Construction et CSST, 2011 QCCLP 3660.
Forestier SMS et Charette et Abitibi Consol. (Sec. Senneterre) 2009 QCCLP 2998.
Bélanger et Société de Gestion Gordon Decaen ltée et CSST, 2008 QCCLP 6508.
JURISPRUDENCE CITÉE PAR LA CSST
Eppelé c. Commission des lésions professionnelles et al., C.S. Longueuil, 505-05-004691-983, 22 juin 2000, j. L. Crête.
Résidence Angelica inc. et Desforges et CSST, 2012 QCCLP 487.
Ville de Gatineau et Ménard, 2012 QCCLP 4879.
Patry et Réfrigération Groupe-Tech inc. et CSST, C.L.P. 101210-62C-9805, 29 juin 1999, V. Bergeron.
Chopra et Vêtements de Sports Gildan inc. et CSST, C.L.P. 251356-71-0412, 2 novembre 2006, N. Lacroix.
Lapierre et Accoustique & Partitions Unie (2003) et CSST, 2011 QCCLP 781.
Tremblay et Ateliers de couture Homic inc., 2010 QCCLP 7953.
Perreault et Camaplast inc. et CSST, C.L.P. 278289-63-0512, 23 janvier 2008, Anne Vaillancourt.
Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et Service correctionnel du Canada, C.A. 500-09-000865-923, 7 juillet 1995, jj. Gendreau, Mailhot, Steinberg.
[1] C.L.P. 312437-04B-0703, 4 juillet 2008, L. Collin.
[2] 2011 QCCLP 4771.
[3] Le 29 mars 2012, la docteure Isabelle Amyot, syndic adjoint du Collège des médecins du Québec informe le travailleur et sa conjointe qu’aucune plainte ne sera portée devant le conseil de discipline concernant le docteur Parent. Ce dernier a été sensibilisé au fait qu’un médecin agissant à titre d’expert devait éviter les réactions émotives et les commentaires personnels afin de respecter son devoir d’impartialité.
[4] Les informations pertinentes de ces documents sont résumées dans le cadre des témoignages rapportés plus loin dans la décision.
[5] Les informations pertinentes de ces documents sont résumées dans le cadre des témoignages rapportés plus loin dans la décision.
[6] Le résumé de cette rencontre se retrouve dans les paragraphes 54 à 57 traitant de la preuve documentaire.
[7] 2012 QCCLP 487.
[8] 2012 QCCLP 719.
[9] Binette et Constructions Bernard Gagnon & fils, C.L.P. 338941-07-0801, 11 mai 2010, M. Langlois; Fournitures de bureau Denis inc. et Gagnon, C.L.P. 368905-61-0902, 4 février 2010, G. Morin.
[10] Voir notamment : Kaval et Les Tricots Grace 1982 ltée, [1999] C.L.P. 632; Villeneuve et Achille de la Chevrotière ltée, C.L.P. 228039-08-0402, 31 octobre 2005, J.-F. Clément; C.H.S.L.D. Vigi Reine Élisabeth et Therrien, C.L.P. 292022-63-0606, 18 décembre 2008, L. Crochetière.
[11] L.R.Q., c. C-12.
[12] L.R.Q., c. J-3.
[13] C.L.P. 278289-63-0512, 23 janvier 2008, Anne Vaillancourt.
[14] C.A. 500-09-001456-953, 30 août 1999, jj. LeBel, Baudoin et Thibault; Voir aussi : Veilleux et Compagnie d’assurance-cie Penncorp, [2008] R.J.Q. 317.
[15] Précitée note 7.
[16] C.S. no 505-05-004691-983, 22 juin 2000, j. Crête.
[17] L.R.Q., c. S-2.1.
[18] Précitée note 8.
[19] L.R.Q., c. A-3.001.
[20] Jean et Manufacture de bijoux Keyes, C.L.P. 156544-71-0102, 14 janvier 2002, Anne Vaillancourt; Singh et Équipements de cuisine Astor inc., C.L.P. 132085-72-0002, M. Denis, révision rejetée, 12 octobre 2001, M. Zigby, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-068779-014, 15 mars 2002, j. Morneau; Patry et Réfrigération Groupe-Tech inc., C.L.P. 101210-62C-9805, 29 juin 1999, V. Bergeron.
[21] R.R.Q., c. A-3.001, r. 2.
[22] Le tribunal souligne que, dans son expertise, le membre du Bureau d'évaluation médicale attribue un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour l’exérèse de l’appendice exphoïde. Cette question n’est pas contestée de telle sorte que le tribunal ne se prononce pas sur le sujet.
[23] Brossard et Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Pavillon hôpital Saint-Luc, C.L.P. 182503-62-0204, 3 mars 2003, H. Marchand.
[24] Brossard et Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Pavillon hôpital Saint-Luc, précitée note 23; Dion et Bombardier aéronautique, C.L.P. 93099-62C-9711, 8 janvier 2001, R. Hudon; Vasquez et Signalisation J.P., C.L.P. 104349-73-9808, 8 mars 1999, L. Boudreault.
[25] Lapointe et Cie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38; Lafleur et Transport Shulman ltée, C.A.L.P. 29153-60-9105, 26 mai 1993, J. L’Heureux; Salaisons Brochu inc. et Grenier, C.A.L.P. 28997-03-9105, 18 juillet 1995, M. Beaudoin; Dussault-Verret et C.P.E. l’Écho Magique, 268106-32-0807, 9 janvier 2006, G. Tardif.
[26] C.L.P. 334304-01A-0712, 30 janvier 2009, N. Michaud.
[27] Dubé et Les entreprises du Jalaumé inc., C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif; Voir aussi Beauchamp et Inspec-Sol, C.L.P. 352639-63-0807, 21 avril 2009, I. Piché.
[28] Guettat et Cie Minière Québec Cartier, C.A.L.P. 53020-61-9308, 18 août 1995, N. Lacroix; Baron et Langlois & Langlois, 30990-62-9107, 23 octobre 1995, M. Lamarre.
[29] Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 1108.
[30] ME Murielle Drapeau, Dans le régime de réparation des lésions professionnelles, il ne faudrait pas oublier les effets secondaires permanents d’un médicament, CCH Travail, volume 14, N0 6, 20 juin 2012.