Wightman c. Widdrington (Succession de) |
2013 QCCA 1187 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(500-05-001686-946) |
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DATE : |
LE 26 AOÛT 2013 |
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ELLIOT C. WIGHTMAN ET AL. |
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APPELANTS - Défendeurs |
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c. |
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SUCCESSION DE FEU PETER N. WIDDRINGTON |
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INTIMÉE - Demanderesse |
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Et |
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CHRYSLER CANADA INC. |
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CIBC MELLON TRUST COMPANY |
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MISES EN CAUSE - Mises en cause |
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Et |
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ARTHUR KOSER GMBH & CO. & AL. (mis en cause Groupe 3 - demandeurs dans les autres dossiers en attente) |
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MIS EN CAUSE - Mis en cause |
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Et |
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LÜDER VON VERSEBE (mis en cause Groupe 5 - demandeurs dans les autres dossiers en attente) |
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MIS EN CAUSE - Mis en cause |
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ARRÊT RECTIFICATIF |
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[1] Par inadvertance, une erreur d'écriture au sens de l'article 520 C.p.c. s'est glissée au paragraphe [3] de l'arrêt du 8 juillet 2013;
[2] En conséquence, LA COUR RECTIFIE l'arrêt du 8 juillet 2013 en remplaçant, au paragraphe [3], la mention « one million two hundred thirty thousand and four hundred dollars (1 230 400 $) » par la mention « one million one hundred thirty thousand and four hundred dollars (1 130 400 $) » de façon à ce que ledit paragraphe soit ainsi libellé :
[3] ACCUEILLE l'appel aux seules fins a) de biffer les mots « and severally » (page 719 du jugement, paragraphe 3639) de la conclusion condamnant les appelants à verser des dommages à l'intimée, b) de réduire ces dommages de 292 560 $, les ramenant à « two million three hundred eighty thousand and four hundred dollars (2 380 400 $) et enfin c) de préciser la façon dont les intérêts et l'indemnité additionnelle seront calculés, soit « together with interest and the additional indemnity from the date of service of the statement of claim on the sum of one million one hundred thirty thousand and four hundred dollars (1 130 400 $), with interest and the additional indemnity from 11 March 1998 on the sum of one hundred thousand dollars (100 000 $), from 11 June 1998 on the sum of two hundred and fifty thousand dollars (250 000 $), from 11 September 1998 on the sum of two hundred and fifty thousand dollars (250 000 $), and from the date of this judgment on the sum of six hundred and fifty thousand dollars (650 000 $).
[3] SANS FRAIS.
Wightman c. Widdrington (Succession de) |
2013 QCCA 1187 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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MONTRÉAL |
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N° : |
500-09-021691-118 |
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(500-05-001686-946) |
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DATE : |
LE 8 JUILLET 2013 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. ANDRÉ ROCHON, J.C.A. PAUL VÉZINA, J.C.A. |
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ELLIOT C. WIGHTMAN ET AL. |
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APPELANTS - Défendeurs |
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c. |
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SUCCESSION DE FEU PETER N. WIDDRINGTON |
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INTIMÉE - Demanderesse |
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Et |
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CHRYSLER CANADA INC. |
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CIBC MELLON TRUST COMPANY |
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MISES EN CAUSE - Mises en cause |
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Et |
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ARTHUR KOSER GMBH & CO. & AL. (mis en cause Groupe 3 - demandeurs dans les autres dossiers en attente) |
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MIS EN CAUSE - Mis en cause |
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Et |
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LÜDER VON VERSEBE (mis en cause Groupe 5 - demandeurs dans les autres dossiers en attente) |
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MIS EN CAUSE - Mis en cause |
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ARRÊT |
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[1] Les appelants se pourvoient en appel contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Marie St-Pierre), rendu le 14 avril 2011, qui accueille l'action de l'intimée et les condamne solidairement à lui payer 2 672 960 $, avec les intérêts et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation.
[2] Pour les motifs des juges Chamberland, Rochon et Vézina, ce dernier étant dissident sur les questions relatives à la solidarité et au lien de causalité entre la faute des appelants et le préjudice subi par l'intimée en regard de l'investissement du 25 octobre 1991, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l'appel aux seules fins a) de biffer les mots « and severally » (page 719 du jugement, paragraphe 3639) de la conclusion condamnant les appelants à verser des dommages à l'intimée, b) de réduire ces dommages de 292 560 $, les ramenant à « two million three hundred eighty thousand and four hundred dollars (2 380 400 $) et enfin c) de préciser la façon dont les intérêts et l'indemnité additionnelle seront calculés, soit « together with interest and the additional indemnity from the date of service of the statement of claim on the sum of one million two hundred thirty thousand and four hundred dollars (1 230 400 $), with interest and the additional indemnity from 11 March 1998 on the sum of one hundred thousand dollars (100 000 $), from 11 June 1998 on the sum of two hundred and fifty thousand dollars (250 000 $), from 11 September 1998 on the sum of two hundred and fifty thousand dollars (250 000 $), and from the date of this judgment on the sum of six hundred and fifty thousand dollars (650 000 $).
[4] Le tout avec les dépens contre les appelants, mais limités à quatre-vingt-cinq pour cent (85%) du total vu l'intervention de la Cour relativement à trois des questions soulevées par l'appel.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
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ANDRÉ ROCHON, J.C.A. |
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
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Me Yvan Bolduc |
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Me Serge Gaudet |
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Me Gary Steven Rosen |
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Me Marie-Josée Hogue |
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Heenan Blaikie |
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Pour les appelants |
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Me Avram Fishman |
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Me Leonard W. Flanz |
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Me Mark E. Meland |
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Me Margo Siminovitch |
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Me Betlehem Lala Endale |
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Fishman Flanz Meland Paquin |
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Pour l'intimée |
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Me Stephen Walter Hamilton |
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Stikeman Elliott |
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Me Jack Greenstein (conseil) |
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Gowling Lafleur Henderson |
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Pour les mises en cause Chrysler Canada inc. et CIBC Mellon Trust Company |
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Me Martin Côté |
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Robinson Sheppard Shapiro |
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Pour les mis en cause Arthur Koser GMBH Co et al. |
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Me Stéfanie Poitras (absente) |
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MORENCY SOCIÉTÉ D'AVOCATS |
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Pour le mis en cause Lüder Von Wersebe |
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Dates d’audience : |
11, 12 et 13 février 2013 |
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MOTIFS DES JUGES CHAMBERLAND, ROCHON ET VÉZINA |
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[5] L'affaire Castor Holdings Ltd. (Castor) est connue. La faillite de cette dernière en 1992 a engendré une série de poursuites judiciaires en responsabilité professionnelle à l'encontre de la firme de comptables agréés Coopers & Lybrand (Coopers) et les associés canadiens de celle-ci.
[6] Près de 100 créanciers réclament à Coopers plus de 1 milliard de dollars. Pour l'essentiel, les créanciers allèguent que Coopers a fait preuve de négligence dans ses travaux comptables. Plus particulièrement à l'occasion de ceux relatifs à la vérification des états financiers de Castor. N'eût été cette négligence, affirment-ils, ils n'auraient pas investi ou prêté les sommes réclamées.
[7] La Cour supérieure a consacré près de 12 années à l'audition de cette affaire. Le procès a débuté en septembre 1998. Il portait sur un dossier type, le dossier de feu Peter N. Widdrington (Widdrington). Le jugement entrepris fut prononcé le 14 avril 2011. Les autres dossiers sont toujours en attente[1].
[8] Pour la bonne intelligence de l'affaire, il y a lieu de faire un bref survol des procédures judiciaires et des ordonnances prononcées par la Cour supérieure à l'égard de l'ensemble des dossiers toujours actifs.
L'HISTORIQUE JUDICIAIRE
[9] En début d'année 1994, moins de deux ans après la faillite de Castor, près de 100 créanciers intentent des actions en responsabilité professionnelle contre Coopers. Les demandeurs allèguent que les défendeurs n'auraient pas respecté ni les principes comptables généralement reconnus (PCGR)[2] ni les normes de vérification généralement reconnues (NVGR)[3]. Ces fautes auraient été commises notamment lors de la préparation des états financiers vérifiés de Castor.
[10] Les demandeurs reprochent également aux défendeurs de ne pas avoir dressé un portrait financier fidèle à la réalité lors de la préparation annuelle des différents documents comptables. Il est allégué que les états financiers étaient trompeurs. Ils ne dévoileraient pas l'état de dépendance économique entre différentes corporations reliées à Castor et le caractère hasardeux des prêts faits à ces corporations.
[11] De plus, les demandeurs allèguent qu'un travail diligent aurait permis de détecter un mécanisme douteux de capitalisation des intérêts sur les prêts, des opérations financières de « window dressing », la mauvaise qualité des prêts, des difficultés de liquidité. Bref, les demandeurs allèguent avoir prêté ou investi dans Castor sur la foi de documents comptables erronés et trompeurs. Ils recherchent en responsabilité extracontractuelle les comptables qui ont préparé ces documents en sachant pertinemment l'usage qu'en feraient les prêteurs et les investisseurs.
[12] De 1994 à 1998, les dossiers judiciaires progressent, non sans difficulté. Le cheminement procédural est ponctué de multiples interrogatoires avant et après défense et d'un nombre important de requêtes débattues tant devant la Cour supérieure que devant la Cour d'appel ou la Cour suprême du Canada.
[13] En 1998, le juge Paul Carrière de la Cour supérieure est désigné pour coordonner et entendre le dossier Castor. Le 20 février il prononce une ordonnance qui établit les paramètres qui baliseront le débat judiciaire. Ce jugement interlocutoire est important. Il convient de s'y arrêter.
[14] À cette époque, le juge Carrière coordonnait la progression de 40 dossiers. Certains dossiers étaient prêts à procéder, d'autres ne le seraient que plusieurs mois voire quelques années plus tard. Se posaient pour lui les questions suivantes : devait-il attendre que tous les dossiers soient prêts avant de débuter le procès? Celui-ci devait-il être collectif? Quelle serait la méthode la plus efficace et la plus économique pour gérer et entendre ces dossiers dans le respect des droits de chacun?
[15] Le juge Carrière justifie l'ordonnance qu'il s'apprête à rendre de la façon suivante. Dans tous les cas, les demandeurs devront établir une faute, un dommage et un lien de causalité. Si les deux derniers éléments sont particuliers à chaque dossier, la question de la faute est commune à tous les dossiers. Si le juge du procès conclut dans le premier dossier à l'absence de faute des défendeurs, cela mettra un terme à tous les dossiers. Au cas contraire, il ne restera à débattre dans les autres que la question de la causalité et des dommages.
[16] Partant, le juge Carrière choisit le dossier de Widdrington pour procéder en premier lieu. Il fixe la date du début du procès au 8 septembre 1998. Il accorde un « statut » aux avocats des autres demandeurs. Il les autorise à participer au procès sur les questions communes, y incluant le droit de présenter toute preuve pertinente sur ces sujets.
[17] Entre-temps, les autres dossiers sont suspendus.
[18] La portée de l'ordonnance du 20 février 1998 ne fut pas comprise de la même façon par les avocats de toutes les parties. Les défendeurs soutenaient que le jugement à venir sur les questions communes n'avait qu'une portée indicative et que le seul effet de l'ordonnance était de permettre que soit versée dans les autres dossiers la preuve sur les questions communes. Cette prétention fut rejetée par le juge en chef adjoint Wery le 16 octobre 2006[4]. Ce dernier conclut que les déterminations du juge du procès sur les questions communes lieront les parties impliquées dans les autres dossiers.
[19] Le 8 septembre 1998, l'instruction du dossier Widdrington commence devant le juge Carrière. Le dossier prend une ampleur sans précédent. Un seul exemple suffit pour le démontrer. Le témoignage en demande de l'expert-comptable Keith Vance durera plus de trois ans à raison de quatre jours par semaine, trois semaines sur quatre et dix mois par année.
[20] Les défendeurs débutent leur preuve en février 2005. Selon l'échéancier prévu par le juge Carrière, la preuve devait se terminer en 2008 et le jugement prononcé en 2010.
[21] Le 11 février 2005, Widdrington décède. L'instance est reprise par ses héritiers.
[22] En octobre 2006, le juge Carrière, alors à sa neuvième année de procès, se voit contraint de renoncer à la continuation de l'audition pour cause de maladie.
[23] Le 7 septembre 2007, le juge en chef Rolland prononce une ordonnance aux termes de l'article 464 C.p.c.[5]. Il ordonne la reprise du procès. Il accorde une année à chaque partie pour présenter sa preuve et son argumentation. Il désigne la juge Marie St-Pierre, alors à la Cour supérieure, pour coordonner et entendre le dossier.
[24] Le 7 janvier 2008, la juge St-Pierre préside une conférence de gestion. Les parties conviennent, d'une part, de verser au dossier une partie de la preuve du premier procès et, d'autre part, de nombreuses mesures pour faciliter le déroulement du second procès qui débute le 14 janvier 2008. Le 4 octobre 2010, la cause est mise en délibéré. Le jugement sur le fond est prononcé le 14 avril 2011[6]. Les procédures judiciaires en première instance auront duré 17 années depuis le dépôt des requêtes introductives d'instance.
LES JUGEMENTS DONT APPEL
[25] Il y a trois dossiers d'appel à la suite d'autant d'inscriptions. La première inscription en appel porte sur le jugement de la Cour supérieure sur le fond du litige (500-09-021691-118). La seconde a trait à un jugement interlocutoire sur les objections à la preuve (500-09-021692-116). La troisième s'attaque à un jugement interlocutoire qui a rejeté la requête des appelants pour preuve additionnelle (500-09-021693-114).
[26] Dans une lettre du 29 octobre 2012, les avocats des appelants informaient la Cour que leurs clients n'entendaient plus poursuivre l'appel sur les questions de savoir a) si la représentation des états financiers 1988, 1989 et 1990 de Castor respectait les PCGR et b) si, dans leur rôle de vérification de ces états financiers, ils avaient respecté ou non les NVGR, ce qui entraîne l'abandon des appels formés à l'égard des deux jugements interlocutoires.
[27] Ne reste en appel que le jugement de la Cour supérieure sur le fond de l'affaire.
[28] Ce jugement a 752 pages (en excluant les annexes) divisées en 3 639 paragraphes. Il contient 3 800 notes de bas de page et une table des matières qui court sur 18 pages. Le jugement est bien structuré. Les faits sont exposés avec force et détail. Nous ne pouvons le résumer en quelques paragraphes sinon au risque de trahir la pensée et le cheminement intellectuel de la juge du procès. L'exposé que nous en faisons ici n'a que pour but d'illustrer les grands enjeux du dossier. Nous reviendrons sur certains faits à l'occasion de l'analyse même si les appelants déclarent ne pas remettre en cause les constats de fait de la juge de première instance. Nous y renvoyons le lecteur.
[29] Avant d'exposer les grandes lignes du jugement de première instance, il y a lieu d'introduire les principaux acteurs de cette saga judiciaire :
Castor
° Castor Holdings Ltd. était un intermédiaire financier privé dont les activités n'étaient pas réglementées. Celles-ci consistaient à solliciter de l'argent d'investisseurs privés et institutionnels, pour ensuite l'investir dans des prêts hypothécaires à haut rendement et dans des prêts participatifs qu'elle octroyait à des sociétés immobilières situées principalement au Canada et aux États-Unis. Elle devait ainsi réaliser des profits sur la différence entre ce qu’il lui en coûtait pour se procurer ses fonds et le rendement qu'elle pouvait réaliser sur les prêts qu'elle effectuait;[7]
° Castor Holdings Limited a été incorporée au Nouveau-Brunswick en 1977, où elle avait son siège social. Toutefois, le siège véritable de ses activités se trouvait à Montréal, où s'effectuaient sa comptabilité et la consolidation comptable de ses activités avec celles de ses filiales;
° Castor disposait de plusieurs filiales européennes (en Suisse, aux Pays-Bas, à Chypre et en Irlande), de même qu'une filiale antillaise à Curacao;
° Entre 1986 et 1990, Castor a connu une croissance phénoménale. Ses avoirs, chiffrés à 643 M $ en 1986, ont bondi à 1,871 milliard de dollars en 1990. Toutefois, en 1992, c'est l'effondrement. Après avoir demandé la protection des tribunaux en février, Castor est déclarée faillie le 9 juillet 1992, rétroactivement au 26 mars de la même année;
Wolfgang Stolzenberg (« Stolzenberg »)
° Cofondateur, actionnaire, administrateur, président et chef de la direction de Castor depuis son incorporation. En 1986, il succéda à Karsten Von Wersebe comme président du conseil d'administration et se porta acquéreur de la participation de ce dernier en 1987. Bref, c'était le grand manitou de l'entreprise;
° Stolzenberg était également impliqué dans une multitude d'autres sociétés, dont certaines étaient liées aux projets immobiliers financés avec l’argent prêté par Castor;
Karsten von Wersebe (« Wersebe »)
° Cofondateur, administrateur et président du conseil d'administration de Castor jusqu'en 1986. Il détenait 40% des actions de l'entreprise jusqu'en 1987, moment où il a vendu sa participation à Stolzenberg;
° Wersebe était également l'âme dirigeante du York Hannover Group, le principal client de Castor;
York Hannover Group (« YH Group »)
° Groupe de sociétés, divisé en plusieurs filiales et dirigé par Wersebe, oeuvrant dans le développement et l'administration de complexes immobiliers (centres commerciaux, hôtels, etc.) et à qui Castor a fait de nombreux prêts;
DT Smith Group (« DTS Group »)
° Groupe d'entreprises fondé par David Smith regroupant huit compagnies et sept sociétés, oeuvrant dans le développement et la construction de projets immobiliers résidentiels en Californie (maisons unifamiliales, condominiums);
° DT Smith était le deuxième client en importance de Castor, après YH Group;
Coopers
° Firme de comptables agréés réputée, Coopers agissait comme vérificateur des comptes de Castor depuis son incorporation.
° Deux équipes de professionnels procédaient aux audits, sous la responsabilité de l'appelant Wightman. La première était basée à Montréal, pour les activités de Castor en sol nord-américain, et la deuxième à Zug (en Suisse) et à Schaan (au Liechtenstein), pour les activités de ses filiales outre-mer. La consolidation des comptes et les rencontres de direction avec Stolzenberg et d’autres dirigeants de Castor avaient lieu à Montréal;
° Outre la vérification des comptes de Castor, Coopers était également responsable de préparer les lettres d'évaluation des actions ordinaires de cette dernière, ainsi que les attestations relatives aux placements admissibles (« Legal for Life Certificates »);
Elliot C. Wightman (« Wightman »)
° Associé de Coopers responsable du dossier de Castor. Il dirigeait les équipes de vérificateurs de Montréal et d'outre-mer;
Widdrington
° Peter N. Widdrington est un homme d'affaires aguerri au parcours professionnel impressionnant. Au cours de sa carrière, il a été administrateur de plus d'une vingtaine de sociétés d'importance (telles la CIBC et SNC-Lavalin). Au moment de son premier investissement dans Castor, il était président et chef de la direction de John Labatt Limited;
° Après plusieurs rencontres avec Stolzenberg et après avoir consulté ses conseillers financiers, il a décidé d'investir dans Castor. Il a fait un premier placement au mois d'octobre 1988 et deux autres investissements en décembre 1989 et en octobre 1991, pour un montant total de 1 422 960 $. Il est devenu membre du conseil d'administration de Castor le 21 mars 1990.
[30] D'entrée de jeu, la juge du procès décrit les quatre questions fondamentales soulevées par le litige. Les trois premières sont communes à l'ensemble des dossiers, la dernière n'a trait qu'au dossier Widdrington[8] :
1. Were the audited consolidated financial statements of Castor for 1988, 1989 and 1990 materially misstated and misleading?
2. Did C&L commit a fault in the professional work that they performed in connection with the subject audits of Castor, the valuation opinions that they issued and the legal for life certificates?
3. Taking into account that Castor is incorporated under the New Brunswick Corporation Act, that Coopers performed its work in various worldwide locations under the responsibility of a Montreal engagement partner and always issued the consolidated financial statements and other opinions out of its Montreal offices, that Widdrington resided in Ontario while various other claimants live in different European countries, what is the governing law applicable: New Brunswick or Ontario common law, Quebec civil law or another law?
4. Did Widdrington suffer damages and, if he did, is there a causal connection between a fault of C&L and those damages that render Coopers liable for same?
[31] À la fin de son jugement, elle conclut de la façon suivante à l'égard des trois premières questions communes[9] :
On common issues
DECLARES that :
- the audited consolidated financial statements of Castor for 1988 are materially misstated and misleading;
- the audited consolidated financial statements of Castor for 1989 are materially misstated and misleading;
- the audited consolidated financial statements of Castor for 1990 are materially misstated and misleading;
- C&L failed to perform their professional services as auditors for 1988 in accordance with the generally accepted auditing standards ("GAAS");
- C&L failed to perform their professional services as auditors for 1989 in accordance with the generally accepted auditing standards ("GAAS");
- C&L failed to perform their professional services as auditors for 1990 in accordance with the generally accepted auditing standards ("GAAS");
- C&L issued various other faulty opinions relating to Castor's financial position during 1988 (valuation letters and certificate for Legal for Life Opinion);
- C&L issued various other faulty opinions relating to Castor's financial position during 1989 (valuation letters and certificate for Legal for Life Opinion);
- C&L issued various other faulty opinions relating to Castor's financial position during 1990 (valuation letters and certificate for Legal for Life Opinion);
- C&L issued various faulty opinions relating to Castor's financial position during 1991 (valuation letters and certificate for Legal for Life Opinion);
- the governing law is Quebec civil law.
[32] Quant à la quatrième question, elle conclut que Widdrington a établi un lien de causalité entre la faute de Coopers et ses dommages qu'elle établit à 2 672 900 $. S'ensuit une condamnation pour pareil montant en plus des intérêts et de l'indemnité additionnelle et des dépens.
[33] La juge de première instance consacre les 636 premières pages de son jugement à la question de la « négligence » de Coopers dans la préparation des états financiers consolidés vérifiés pour les années 1988, 1989 et 1990 et dans l'émission d'opinions quant à la valeur des actions de Castor et aux fins des « Legal-for-Life Certificates » pour les années 1988, 1989, 1990 et 1991.
[34] Pour l'essentiel sur ces questions, la juge conclut que :
- Les états financiers consolidés vérifiés par Coopers pour les années 1988, 1989 et 1990 étaient erronés et trompeurs;
- Les états financiers en cause ne respectaient pas les PCGR;
- Coopers, en sa qualité de vérificateur, n'a pas respecté les NVGR;
- Durant les années 1988, 1989, 1990 et 1991, Coopers a émis plusieurs opinions trompeuses quant à la situation financière véritable de Castor et, plus particulièrement, dans les lettres d'évaluation des actions et celles relatives aux « Legal for Life Certificates »;
- N'eût été la négligence de Coopers, cette supercherie aurait pu être facilement détectée.
[35] La juge parvient à ces conclusions après avoir décrit ce qu'elle considère être la véritable nature de Castor : « Castor was like a coin - it had two sides: the appearances and the reality »[10].
[36] Castor se présentait, aux yeux du public, comme un prêteur hypothécaire à court et moyen terme. Ses profits étaient générés par la différence entre son coût d'emprunt et le coût auquel elle effectuait ses prêts et, du moins selon ses états financiers et selon les états financiers vérifiés de Coopers, ils étaient spectaculaires.
[37] La réalité était toutefois toute autre.
[38] Dans les faits, un très petit nombre de prêts était à court terme. La vaste majorité des prêts, lorsque à maturité, était renouvelée année après année en raison de l'incapacité des emprunteurs de faire face à leurs obligations. Ces emprunteurs étaient pour la plupart des sociétés immobilières apparentées de près ou de loin à Castor et ces liens expliquent pourquoi Castor tolérait les manquements systématiques aux modalités des contrats de prêt. De plus, les prêts n'étaient garantis par des hypothèques que dans de très rares cas. Bref, selon la juge de première instance, Castor n'œuvrait pas véritablement dans le domaine des prêts hypothécaires, mais plutôt dans le domaine des prêts participatifs à haut risque. Au fil des ans, elle n'avait cessé de renflouer ses clients pour maintenir à flot des projets boiteux et, devant l'incapacité chronique de ses emprunteurs de faire face à leurs obligations, Castor n'avait d'autres choix que de systématiquement capitaliser les intérêts année après année. Ces intérêts capitalisés représentaient 90% des revenus de l'entreprise en 1988, 1989 et 1990.
[39] Suit une longue analyse des manquements de Coopers aux PCGR et aux NVGR. La juge conclut que si ces règles avaient été respectées, le lecteur des documents comptables se serait sérieusement interrogé sur la profitabilité et la solvabilité de Castor. Il aurait constaté que non seulement les prêts n'étaient pas performants, mais que les emprunteurs étaient, règle générale, incapables de rencontrer leurs obligations.
[40] De l'avis de la juge, en aucun cas Coopers n'aurait pu exprimer une opinion favorable ou remettre des rapports sans réserve si le travail avait été accompli suivant les principes et les normes applicables. Elle identifie 29 manquements ou fautes de la part de Coopers, bien que certains d'entre eux se recoupent[11].
[41] Il n'y a pas lieu d'élaborer davantage à ce sujet puisque la question de négligence n'est plus remise en cause en appel. Nous y reviendrons.
[42] Une fois les fautes établies, la juge procède à l'étude du lien de causalité. Elle conclut que Widdrington s'était fié aux représentations de Coopers au moment de ses investissements et que ce faisant, il a agi d'une manière raisonnable.
[43] Afin de trancher la question de la responsabilité, la juge doit déterminer la loi applicable pour ce faire : droit civil ou common law.
[44] Selon elle, le débat porte sur la responsabilité extracontractuelle et non sur « le statut et la capacité » de Castor. Partant, il y a lieu d'appliquer la lex loci delicti, soit la règle voulant que l'on applique le droit du lieu où les actes reprochés se sont déroulés. Nous élaborerons ultérieurement davantage sur cette question, puisqu'elle constitue l'un des principaux moyens d'appel.
[45] Après avoir rappelé les principes généraux de la responsabilité civile, la juge de première instance procède à leur application. Elle conclut que les appelants sont solidairement (et non conjointement) responsables des dommages causés à Widdrington.
[46] D'une manière subsidiaire, elle affirme qu'elle en serait venue à une même conclusion concernant la responsabilité par l'application des règles de common law.
[47] L'analyse portant sur les dommages et le lien de causalité est divisée en trois parties : (1) l'investissement du 28 décembre 1989 : 1 130 400 $; (2) l'investissement du 25 octobre 1991 : 292 560 $; (3) la transaction du 11 mars 1998 : 1 250 000 $. Les deux premières sont des investissements de Widdrington dans Castor. La troisième résulte d'une transaction faite avec le syndic à la faillite de Castor qui poursuivait notamment Widdrington, en sa qualité d'administrateur, pour le dividende de 15 000 000 $ voté par le conseil d'administration de Castor le 21 mars 1991, alors que l'entreprise était insolvable.
[48] La juge termine son analyse par la question des dépens. Elle écarte la solution avancée par les appelants, selon laquelle les dépens devaient être répartis au prorata de l'ensemble des réclamations des différents créanciers. Cette proposition visait surtout à répartir les importants frais d'experts sur les questions communes entre les différents dossiers. La juge de première instance se dit d'avis, après analyse, qu'il n'y a pas lieu de déroger à la règle habituelle. Partant, elle condamne les appelants à la totalité des dépens.
LES MOYENS D'APPEL
[49] À l'origine, dans leur inscription en appel, les appelants invoquent cinq moyens fondamentaux qu'il convient de répertorier sous les thèmes suivants :
(1) la négligence;
(2) la loi applicable à la responsabilité civile;
(3) les questions de causalité et de dommages;
(4) la condamnation solidaire ou conjointe des associés;
(5) les dépens.
[50] Les moyens d'appel (1), (2) et (4) sont communs à tous les dossiers alors que les moyens (3) et (5) sont particuliers à chacun d'eux.
[51] Dans une lettre du 29 octobre 2012, l'avocat des appelants informait la Cour que ses clients n'entendaient plus poursuivre l'appel sur les éléments reliés à la négligence (moyen (1)). Plus précisément, l'avocat écrit :
Au cours de leur préparation pour cette audition, et à la lumière de ce qu'ils considèrent être les questions les plus importantes et fondamentales soulevées par le présent appel - soit celles du droit applicable (conflit de lois), de la responsabilité du vérificateur pour l'usage qui peut avoir été fait de ses divers rapports (rapports de vérification, lettres d'évaluation et certificats legal for life), et ce, tant selon les principes de la common law canadienne que du droit civil québécois, du lien de causalité (reliance), des dommages, des intérêts et des frais, et de la nature de la responsabilité des associés (solidarité) -, les appelants ont pris la décision de ne plus poursuivre leur appel sur les questions suivantes :
a) Est-ce que la présentation faite de ses états financiers par Castor Holdings Ltd. pour les années financières se terminant les 31 décembre 1988, 1989 et 1990 respectait les principes comptables généralement reconnus (« GAAP »)?;
b) Est-ce que Coopers & Lybrand, dans son rôle de vérificateur de ces états financiers de Castor Holding Ltd., a respecté ou non les standards de vérification généralement reconnus (« GAAS »)?
[52] Avant d'aborder l'analyse proprement dite, il est à propos d'examiner plus en détail le rôle joué par Coopers, et au premier chef par l'associé responsable du dossier, Wightman, dans toute cette affaire.
[53] La juge constate que « The audited consolidated financial statements of Castor for 1988, 1989 and 1990 are materially misstated and misleading. »[12].
[54] Des états financiers vérifiés impliquent deux étapes, celle de la préparation des états, l’œuvre de l’entreprise, et celle de la vérification, le travail du vérificateur. Durant les trois années en question, le maître d’œuvre, omniprésent et omnipuissant chez Castor, est Stolzenberg, « the mastermind behind Castor » selon le mot de la juge. C’est lui qui dresse les états financiers de manière à faire paraître son entreprise prospère alors qu’elle était - on le sait maintenant - insolvable et en état de faillite dès 1987. Chez Coopers, l’associé Wigthman est le responsable du dossier Castor depuis nombre d’années, son travail de vérification, de mauvaise qualité, aura pour effet de cautionner les états frauduleux de Stolzenberg.
[55] Les appelants concèdent maintenant que la présentation des états financiers de Castor pour les années 1988, 1989 et 1990 ne respectait pas les PCGR et que leur vérification ne respectait pas les NVGR.
[56] L’abandon de ces moyens, à bon escient, vient confirmer le constat de faute de la juge à l’encontre des appelants. Il est toutefois opportun de s’y attarder un peu afin de comprendre le débat qui suivra sur le lien de causalité entre la faute de Coopers et la perte de Widdrington. Pour saisir la nature et la portée de la faute de Coopers, il faut d’abord dire quelques mots sur la fraude de Stolzenberg.
[57] Stolzenberg a monté un système à la Ponzi, où les déficits d’exploitation et les dividendes annuels sont payés à même les sommes perçues de nouveaux investisseurs ou de nouveaux prêteurs.
[58] La prospérité de l’entreprise n’est qu’illusion, la réalité est désastreuse.
[59] La réalité. La quasi-totalité des promoteurs immobiliers à qui Castor a prêté sont incapables de terminer leurs projets et de les rentabiliser. Une fois leurs premiers créanciers hypothécaires payés, s’ils y arrivent, ils sont bien incapables de rembourser leurs emprunts auprès de Castor ni même de simplement acquitter les intérêts courus.
[60] L’apparence. Par le jeu d’inscriptions aux livres comptables, Stolzenberg fait de nouvelles avances à ces promoteurs, qui servent à « payer » sur papier les intérêts. Il fait ainsi d’une pierre deux coups pour embellir les états financiers de Castor, un nouveau prêt à un taux d’intérêt intéressant vient accroître ses placements et les intérêts, considérés payés, accroissent ses revenus. De 1987 à 1990, les chiffres des états sont gonflés par ces manœuvres, de 80 millions de dollars en 1988, de 120 M$ en 1989 et de 160 M$ en 1990.
[61] Le hic, c’est que Castor doit elle-même payer des intérêts. Sans compter les généreux dividendes auxquels s’attendent les actionnaires, convaincus du succès exceptionnel de l’entreprise à la lecture des états vérifiés sans réserve par Coopers. D’où la manœuvre de Ponzi de payer intérêts et dividendes, en argent véritable, à même les nouvelles entrées de fonds provenant d’emprunts additionnels ou du recrutement d’investisseurs comme Widdrington.
[62] Pour dissimuler le vide réel sous les chiffres gonflés, Stolzenberg a mis au point une structure complexe d’entités juridiques interreliées - on en compte une quarantaine dans l’organigramme - réparties dans plusieurs pays et sous son contrôle plus ou moins direct. Notons au passage qu’il se garde bien de révéler ses conflits d’intérêts. Un montage sophistiqué qui amène Coopers à plaider être elle-même une victime de cette fraude. La juge rejette cette prétendue justification, abandonnée depuis lors : « […] the alleged fraud and misrepresentations by Castor's management cannot serve to relieve [Coopers] of the responsibility arising from their improper and deficient performance as accountants and auditors. »[13].
[63] Non seulement les intérêts non perçus ne devaient pas être portés au compte des revenus, mais ceux-ci auraient dû au contraire être réduits par des provisions pour mauvaises créances puisque les débiteurs de Castor éprouvaient de sérieuses difficultés financières.
[64] Outre ce grave problème, la juge relate encore deux fausses inscriptions dans les états de Castor qui en démontrent la duplicité, réalité versus apparence.
[65] Les états de Castor font voir 100 millions de dollars de « débentures ». Cette inscription améliore les liquidités de l’entreprise et démontre la confiance des prêteurs dans sa réputation. Mais l’enquête révèle que ce n’est là qu’un autre tour de passe-passe de Stolzenberg. La juge décrit le cheminement des sommes qui proviennent de Castor et y retournent pour bonifier sa situation apparente. Elle relate en détail les transactions entre les diverses entités qui aboutissement à ce que « at the end of the day and on a consolidated basis, 100 million on current liabilities of Castor were moved to long-term debt ». Voilà « a circular transaction », un cercle vicieux, et des états « materially misleading »[14].
[66] Stolzenberg a aussi inscrit aux états un dépôt disponible à court terme de 20 M$ alors que ce dépôt est donné en garantie et donc indisponible. Une telle liquidité rassure les lecteurs qui y voient une protection en cas d’imprévus. Malheureusement, on les trompe lourdement.
[67] Dans les circonstances, déclarer que les états financiers de Castor ne respectaient pas les principes comptables est un euphémisme. Les PCGR ont pour objectif premier que les états donnent le portrait exact de la situation financière d’une entreprise, soit exactement l’opposé du but recherché, avec autant d’habileté que de mauvaise foi, par Stolzenberg qui les faussait allégrement pour donner belle allure à Castor.
[68] Bien sûr, l’apparente prospérité de Castor est ostensible. On y brasse des affaires à coup de millions dans des projets colossaux : le Centre Eaton de Montréal, le Maple Leaf Village à Niagara Falls, le Toronto Skyline, le World Trade Center de Toronto, etc. Castor traite partout sur la planète, avec plusieurs banques et de nombreux investisseurs. Les réunions des administrateurs se tiennent dans des capitales financières mondiales, à New York, à Zurich, etc. Widdrington est même invité à s’y rendre en jet privé à l’occasion. Et les dividendes sont à la hauteur, depuis plusieurs années.
[69] Voilà un décor qui éblouit et qu’un arnaqueur sait exploiter. Mais il faut plus pour qu’un investisseur signe son chèque, les millionnaires sont frileux. D’où l’arme de persuasion ultime de Stolzenberg, des états financiers vérifiés par une firme des plus respectables, qui confirme, année après année, sans réserve aucune, la solidité et la prospérité de son entreprise.
[70] Ce qui nous amène à examiner le rôle de Coopers et de l’associé Wightman dans cette fraude. A-t-il simplement fait une erreur, par manque de jugement, par incompétence, par négligence, ou a-t-il joué un rôle plus important pour amener les investisseurs à faire confiance à Stolzenberg?
[71] Un comparse : « … Personne jouant un rôle de second plan dans un délit. » [15]
[72] Le rôle de Wightman auprès de Castor excède celui de simple vérificateur, il s’implique dans les démarches de Stolzenberg, il en est devenu objectivement son comparse.
[73] L’aveu des appelants que la vérification des états financiers de Castor pour les années 1988, 1989 et 1990 ne respectait pas les principes généralement reconnus dans la profession est réducteur. Le travail de vérification est bâclé. Wightman a perdu l’indépendance requise d’un vérificateur, il n’a pas su maintenir une saine distance entre lui et sa cliente. Il s’est trop impliqué dans ses affaires, « far beyond his role as Castor’s auditor » selon le mot de la juge[16]. De même, il a perdu son sens critique vis-à-vis Stolzenberg. Informé par son équipe de la découverte d’irrégularités inquiétantes (des red flags), Wightman le rencontre, mais rien n’est fait par la suite, aucune enquête n’est menée et aucune réserve n’est inscrite au rapport de vérification, qui au contraire confirme que tout est beau, tout va bien, l’entreprise est prospère.
[74] La juge explique en détail dans un long chapitre ce que Coopers n’a pas fait ou a mal fait dans tout le cheminement du travail de vérification. On comprend alors pourquoi le résultat se révèle un fiasco. Par exemple, Coopers confirmera, selon la foi des états vérifiés, que la valeur marchande des actions est de 580 $, alors que la faillite de Castor, qui survient à peine quelques mois plus tard, apprend à tous que leur valeur réelle est nulle. Widdrington y perd la totalité de son investissement, et plus.
[75] Après avoir pris connaissance de l’exposé de la juge sur les graves et nombreuses lacunes dans la vérification, déclarer que Coopers n’a pas respecté les normes de vérification constitue un second euphémisme.
[76] Concernant plus particulièrement le lien entre la faute de Coopers et la perte des investisseurs, trois aspects sont pertinents :
[77] On a vu que Stolzenberg diffuse les états vérifiés de Castor à tout investisseur potentiel dans sa quête constante de nouveaux capitaux. Les rapports de vérification de Coopers, sans réserve, deviennent alors une considération importante pour qui envisage d’investir. D’autant plus que Castor, une société privée, n’est pas inscrite en bourse. Les fluctuations boursières constituent une autre considération importante pour l’investisseur. L’absence de la seconde rend la première cruciale dans le cas de Castor.
[78] Mais, soutiennent les appelants, le rapport du vérificateur est destiné à l’assemblée des actionnaires et à personne d’autre. S’il est vrai que les états d’une grande entreprise constituent des documents quasi publics, dont la diffusion devient incontrôlable, il n’en est pas de même chez Castor où Stolzenberg et son équipe communiquent eux-mêmes les états financiers vérifiés aux investisseurs potentiels, et ce, à la connaissance et avec l’assentiment de Wightman.
[79] De façon générale, les vérificateurs savent que leurs clients utilisent leur rapport auprès des banquiers, prêteurs, fournisseurs et autres, même si leur rapport est destiné en principe à l’assemblée des actionnaires. Ils n’exigent toutefois pas de l’entreprise qui retient leurs services de s’abstenir d’utiliser ainsi leur rapport à son bénéfice. Et la loi ne l’interdit pas non plus.
[80] Coopers sait que les investisseurs, comme Widdrington, se fient sur ses rapports de vérification pour investir. Elle accepte cette diffusion et la facilite comme le note la juge[17] :
The audits were performed in the following circumstances:
[…]
C&L knew that the audited financial statements, or their by-products, would be distributed to third parties and relied upon for the purposes of allowing and making investment decisions.
After revision by C&L, at the request of Wightman, 1 500 copies of a brochure which included information on the financial statements were printed annually.
Brochures were written or translated in various languages.
[…]
In July 1991, Wightman met with M. Gilligan and M. Martin from Bayerische Bank who wanted to speak to someone knowledgeable who had the ability to confirm the financial well-being of Castor. With them, Wightman went through the various steps of C&L’s auditing process.
[Références omises]
[81] Deux fois par année, Coopers détermine la juste valeur marchande des actions de Castor, à partir des états financiers. La fausseté des états entraîne celle des évaluations. De plus, la juge critique la méthodologie employée et retient l’avis de l’expert même de Coopers de la nécessité d’une mise en garde (warning) que son opinion reposait sur des prémisses restreintes (very limited assumptions). Encore ici, un manque de professionnalisme.
[82] Ce travail de Coopers, pour lequel ses services sont retenus et payés par Castor, ne fait pas partie de la mission ordinaire d’un vérificateur. Le rapport de vérification, exigé par la loi, sert d’abord à l’assemblée des actionnaires, les évaluations, exigées par contrat, sont destinées aux investisseurs de Castor, présents et à venir, pour les conforter dans la valeur des actions.
[83] Wightman sait que les évaluations servent à recruter de nouveaux investisseurs. Il le nie d’abord, mais il doit l’admettre une fois confronté aux documents où il en fait état expressément. De même, il prétend que seuls les administrateurs les reçoivent, mais il admet en faire parvenir 100 copies à Stolzenberg alors qu’il n’y a que quatorze administrateurs. Dans les ceux cas, la juge qualifie son témoignage de non crédible et de non fiable.
[84] Les attestations Legal-for-Life sont adressées aux investisseurs institutionnels qui administrent l’argent d’autrui, tels les assureurs-vie (d’où leur désignation) et les fiduciaires qui gèrent des fonds de retraite. La loi les oblige à investir dans des titres satisfaisant à de nombreuses exigences, des placements sûrs en quelque sorte. À partir des états vérifiés, Coopers calcule certains ratios qui fondent par la suite la délivrance d’attestations que les exigences légales sont satisfaites. La vérification inadéquate des états a entraîné la fausseté des attestations, qui ne comportaient, encore là, ni réserve ni mise en garde.
[85] Si les attestations sont d’abord destinées aux investisseurs institutionnels, elles sont aussi transmises par Stolzenberg aux autres investisseurs, présents ou à venir, c’est pour lui une autre arme de persuasion. D’autant plus utile que Castor n’est pas cotée par une firme de notation de crédit. On devine l’attrait pour quiconque d’investir dans un placement attesté sûr par une firme comptable réputée.
[86] Le dernier point qui lie le travail de Coopers aux investisseurs floués est l’implication de Wightman dans les activités de Castor, y compris dans la recherche de nouveaux capitaux.
[87] Le premier reproche que la juge adresse à Wightman porte sur son manque d’indépendance vis-à-vis Castor et Stolzenberg, de sorte que le jugement critique, essentiel au travail de vérification, lui a fait défaut. Elle précise qu’il s’est compromis en s’impliquant à fond (deeply) dans les affaires de Castor, autant dans sa gouvernance interne que dans sa promotion à l’extérieur.
[88] Wightman participe à la gouvernance de l’entreprise. En 1977, il organise la structure administrative de Castor et en devient le vérificateur. Plus tard, il en organisera la structure internationale et il sera partie prenante de son établissement dans diverses entités, aux États-Unis, aux Antilles, en Suisse, à Chypre, en Irlande.
[89] Il conseille Castor sur divers achats : droits d’exploitation gazière, crédits de recherche, hôtels; sur divers prêts et autres investissements; et sur l’acquisition d’un avion. Il donne aussi son avis en matière fiscale et se fait porte-parole de l’entreprise auprès des autorités à Québec et à Ottawa où il défend, entre autres, les attributions de revenus entre Castor et ses filiales. Aussi, n’est-il pas surprenant que toutes ces tâches l’amènent à se joindre fréquemment au conseil d’administration et à l’occasion à participer à ses séances du début à la fin.
[90] Comme exemple de l’intensité de son implication, la juge relate l’instauration de la filiale irlandaise où il est actif à chaque étape[18] :
The role played by Wightman with respect to CH (Ireland) is a prime example of his integral role in setting up Castor’s subsidiaries.
Wightman began proposing Ireland as a potential low-tax jurisdiction in which to establish a subsidiary as early as 1984.
Wightman conceived the concept for this entity and spearheaded the process to obtain the required approvals to bring the project to fruition.
Throughout the process, Wightman:
· negotiated with Irish authorities to obtain the required operating license, and
· was involved in :
o incorporating the entity,
o hiring personnel,
o introducing Castor to prospective financers,
o reviewing proposed transactions for the company, and finding clients to make use of the operations that he designed.
[91] Wightman fait aussi la promotion de Castor vis-à-vis ses propres clients, ses associés et ses connaissances. La juge note que, grâce à son initiative, plusieurs investissent dans Castor, elle en dresse la liste et précise comment Wightman est intervenu dans chacun des nombreux cas. Sans compter les occasions d’affaires dont Castor a pu bénéficier grâce son entremise, autant ici qu’à l’étranger : le résumé des interventions de Wightman couvre vingt pages du jugement.
[92] En constatant comment Wightman devient le chantre de Castor, on ne se surprend plus des rapports de vérification sans réserve et des évaluations d’actions toujours à la hausse et agrémentées de commentaires élogieux. Encore à la veille de la faillite de Castor, Wightman confirme une hausse de valeur et décrit un avenir prometteur[19] :
Under the subheading “Main considerations in establishing value”, C&L wrote:
[…]
· The book value per common share, as at September 30, 1991, is $455.77 (Appendix).
· Despite the slowdown in the real estate market in North America, management does not expect major adjustments to the company's mortgage portfolio or to the net earnings. In fact, because of the slowdown additional opportunities may be provided for Castor.
[…]
· In our opinion, the fair market value of the common shares of Castor, on or about September 30. 1991, is approximately $550 to $580 per share.
[93] La faute de Wightman va bien au-delà des lacunes constatées dans le travail de vérification proprement dit.
[94] Stolzenberg était le moteur de la fraude, mais celui-ci n’aurait pas si bien tourné sans le lubrifiant fourni par Wightman.
[95] D’ailleurs, la juge doute de sa bonne foi. Outre les cas où elle qualifie sa version de non crédible, elle note aussi qu’il cache ses actes à ses propres associés[20] :
The fact that he hid these numerous relationships from his partners in his annual declarations, and to his partner Johnson in the context of their relationship for Sloppin, suggests that he knew or felt that he had something to hide. Moreover, his changing or “improved” testimonies on these issues point in the same direction.
[96] Bref, la faute de Coopers, et au premier chef de Wightman, a certes trait aux obligations légales entre le vérificateur et l’assemblée générale des actionnaires de sa cliente, mais elle a aussi trait aux obligations qu'ils ont assumées au fil des ans en s’impliquant dans la gouvernance de Castor et en multipliant les contacts auprès de tiers investisseurs.
ANALYSE
A) LA LOI APPLICABLE
[97] Comme le dossier présente certains éléments d'extranéité, s'est posée la question de la loi applicable au litige.
[98] À bon droit, les avocats des parties conviennent que les règles de conflit applicables sont celles du tribunal saisi du litige (lex fori).
[99] Comme les faits du litige sont tous antérieurs à l'entrée en vigueur du nouveau code civil, il nous faut référer aux articles 6 et 8 du Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.) :
Art. 6 Les lois du Bas-Canada régissent les biens immeubles qui y sont situés.
Les biens meubles sont régis par la loi du domicile du propriétaire. C'est cependant la loi du Bas-Canada qu'on leur applique dans les cas où il s'agit de la distinction et de la nature des biens, des privilèges et des droits de gage, des contestations sur la possession, de la juridiction des tribunaux, de la procédure, des voies d'exécution et de saisie, de ce qui intéresse l'ordre public et les droits du souverain, ainsi que dans tous les autres cas spécialement prévus par ce code.
Les lois du Bas-Canada relatives aux personnes sont applicables à tous ceux qui s'y trouvent, même à ceux qui n'y sont pas domiciliés; sauf, quant à ces derniers, l'exception mentionné à la fin du présent article.
L'habitant du Bas-Canada, tant qu'il y conserve son domicile, est régi, même lorsqu'il en est absent, par les lois qui règlent l'état et la capacité des personnes; mais elles ne s'appliquent pas à celui qui n'y est pas domicilié, lequel y reste soumis à la loi de son pays, quant à son état et à sa capacité.
Art. 8 Les actes s'interprètent et s'apprécient suivant la loi du lieu où ils sont passés, à moins qu'il n'y ait quelque loi à ce contraire, que les parties ne s'en soient exprimées autrement, ou que, de la nature de l'acte, ou des autres circonstances, il n'apparaisse que l'intention a été de s'en rapporter à la loi d'un autre lieu; auxquels cas il est donné effet à cette loi, ou à cette intention exprimée ou présumée.
[100] Suivant le triptyque classique, l'analyse porte d'abord sur la qualification de la nature du problème. En l'espèce, les appelants plaident principalement que le litige en est un d'état et de capacité aux termes du quatrième alinéa de l'article 6 C.c.B.-C. Les intimés soutiennent plutôt qu'il s'agit d'une question relative à la responsabilité extracontractuelle de Coopers régie par le troisième alinéa du même article.
[101] Le résultat de cet exercice de qualification nous permettra d'identifier en deuxième lieu les règles de conflit applicables et, partant, en troisième lieu, le système juridique appelé à régir le litige.
La position des parties
[102] La proposition principale des appelants veut que le débat soit régi par la loi du Nouveau-Brunswick, puisque Castor y a été incorporée. Cette proposition repose sur le syllogisme suivant. Le débat soulève avant tout une question d'état et de capacité des officiers de Castor. Le vérificateur de Castor est un officier de Castor aux termes de la Loi sur les corporations commerciales du Nouveau-Brunswick (LCCN.-B.)[21]. Dès lors, la responsabilité de cet officier doit être tranchée en fonction de la lex societatis, en l'espèce, la loi du lieu d'incorporation de Castor : la loi du Nouveau-Brunswick, puisque c'est cette loi qui crée les devoirs du vérificateur.
[103] De façon subsidiaire, les appelants plaident que c'est la loi ontarienne qui s'applique au litige. Ce serait l'endroit où Widdrington a reçu l'information trompeuse. Davantage, ce serait l'endroit où Widdrington a subi la perte économique réclamée, l'endroit où le préjudice est survenu. Ce qui a eu pour effet de cristalliser la responsabilité de Coopers, puisqu'il ne saurait y avoir responsabilité sans préjudice.
[104] Pour l'intimée, le débat porte exclusivement sur la responsabilité professionnelle de Coopers à l'égard de tiers. L'analyse de cette responsabilité doit se faire au lieu où les fautes qui engendrent la responsabilité furent commises, la lex loci delicti - la loi du lieu où le délit a été commis.
Les éléments de preuve
[105] Avant de procéder à l'exercice de qualification, il y a lieu de faire un bref rappel des faits à la base de cette analyse.
[106] Pour des raisons fiscales, semble-t-il, les dirigeants de Castor ont choisi d'incorporer la société au Nouveau-Brunswick. Outre le fait de l'incorporation, Castor n'y a jamais mené d'activités.
[107] Le véritable siège de Castor est à Montréal d'où elle a conduit ses affaires nationales et internationales jusqu'à sa faillite, en 1992.
[108] Les contrats entre Castor et Coopers interviennent à Montréal. Ils portent sur les travaux de vérification ainsi que sur différents travaux comptables. Les travaux de vérification sont effectués par une équipe montréalaise de Coopers et en partie par une équipe européenne. Cette dernière se rapporte à l'associé montréalais de Coopers. Les états financiers consolidés sont préparés à Montréal là où se tiennent, règle générale, les rencontres entre Coopers et la direction de Castor en vue de mettre une touche finale à ces travaux.
[109] Les états financiers vérifiés consolidés de Castor sont délivrés à Montréal. Ils apparaissent sur l'en-tête de Coopers, 1170, rue Peel à Montréal. Il en va de même des opinions émises par Coopers quant à la valeur des actions (valuation letters) et des calculs faits aux fins des attestations Legal-for-Life (Legal-for-Life Certificates).
[110] Pour effectuer leurs travaux, les associés de Coopers devaient obligatoirement être membres de l'Ordre des comptables professionnels agréés du Québec[22]. Dès lors, il n'est pas surprenant de constater que les deux experts des appelants ont fait référence au code de déontologie québécois dans l'analyse de la conduite de Coopers.
[111] Widdrington était domicilié en Ontario. C'est dans cette province qu'il a pris connaissance des documents comptables de Coopers à l'origine de sa réclamation. Il est acquis au débat que c'est également à cet endroit qu'il a subi la perte économique réclamée.
La qualification
[112] Comment doit-on, aux termes de la lex fori, qualifier la situation juridique? À quels rapports juridiques s'intéresse-t-on[23]? Quelle est l'essence du litige, du débat entre les parties?
[113] Dans leur procédure écrite respective, les parties identifient le litige comme en étant un de responsabilité professionnelle pour négligence commise à l'égard de tiers qui n'étaient pas partie aux contrats de service entre Castor et Coopers.
[114] Le paragraphe 118 de la déclaration ré-réamendée de Widdrington et la réponse à ce paragraphe contenue au paragraphe 118 de la défense ré-réamendée sont éloquents :
As professional accountants, Defendants owed a duty to Plaintiff to conduct their audits, and all other professional services rendered to Castor in relation to the reliability of the financial statements and the valuation of Castor, in accordance with the Canadian Generally Accepted Accounting Principles ("GAAP"), the Canadian Generally Accepted Auditing Standards ("GAAS"), the Canadian Institute of Chartered Accountants Handbook ("CICA") and the Code of Ethics of the Canadian Institute of Chartered Business Valuators ("CICBV") namely but without limitation:…
[…]
et,
They deny paragraph 118 of the Plaintiffs Declaration in so far as they owed no duty whatsoever to Plaintiff and further add that, in any event, based upon the information available to them at the time they performed their work, which they had no valid reason to disbelieve or doubt in any way, all of their services in connection with Castor's financial affairs were performed in accordance with the standards of their profession and the conclusions they arrived at were reasonable under the circumstances.
[115] Il paraît clairement de ces allégations qu'il s'agit d'une question de responsabilité extracontractuelle régie, entre autres, par l'article 1053 C.c.B.-C. ou, depuis le 1er janvier 1994, l'article 1457 C.c.Q. Les auteurs Baudouin et Deslauriers l'exposent clairement :
À l'égard de son client, la responsabilité du comptable est soumise aux règles générales du droit des obligations (art. 371 et s. C.c.) et donc, en fonction de la qualification exacte de l'engagement (mandat, contrat de service, contrat mixte sui generis), aux règles propres à ces différents contrats. (…) À l'égard des tiers, le recours tire son fondement des règles de la responsabilité extracontractuelle, notamment de l'article 1457 C.c. […][24]
(nous soulignons)
[116] Le débat n'a pas trait à l'état et la capacité de Coopers, en sa qualité de vérificateur de Castor, ce qui aurait amené à l'application de la lex societatis. Voici pourquoi.
[117] Dans son acception classique, « l'état et la capacité » dont traite le quatrième alinéa de l'article 6 C.c.B.-C., applicable aux personnes morales (article 17 C.c.B.-C.), n'englobe pas la responsabilité extracontractuelle des dirigeants ni celle des officiers de la corporation à l'égard des tiers, et ce, dans la mesure où l'on devrait conclure que Coopers est un officier de Castor.
[118] La doctrine définit cet élément de rattachement de la façon suivante.
[119] Le professeur Emanuelli écrit[25] :
510. Les questions concernant l'état et la capacité des personnes morales sont relatives à son existence juridique, à son organisation, à son fonctionnement, aux compétences de ses organes et de ses représentants, à sa capacité d'accomplir certains actes juridiques, aux conditions de sa fusion avec une autre personne morale, aux conditions de sa dissolution, etc. […]
[120] De leur côté, les professeurs Goldstein et Groffier[26] écrivent :
C'est aussi la loi de constitution qui règle les pouvoirs, notamment de représentation, des directeurs et des administrateurs, leur mode de désignation, leur nombre, etc. […]
[121] Dans son Précis de droit international privé québécois, la professeure Groffier avait déjà écrit[27] :
En principe, le pouvoir de la société étrangère et sa capacité d'accomplir un acte sont régis par sa loi personnelle. Sa capacité civile peut donc être plus ou moins étendue que celle des personnes morales locales correspondantes. C'est cette loi qui règle notamment les pouvoirs des directeurs et des administrateurs, leur mode de désignation, leur nombre, etc.
[122] Quant au professeur Goldstein, il mentionne dans ses commentaires sur l'article 3083 C.c.Q.[28] :
Quelques précisions permettront de saisir le sens et la portée de la catégorie de rattachement «état et capacité des personnes morales» […]
[…]
La loi du lieu de constitution régira en tant que question préalable l'«existence» de la personne morale, c'est-à-dire l'existence de sa personnalité juridique, donc en pratique sa susceptibilité d'être titulaire de droits et d'obligations, ainsi que, selon le second alinéa de l'article 3083 C.c.Q., son statut comprenant son état, c'est-à-dire son type (société en nom collectif, en participation, etc.) et sa capacité (son pouvoir d'exercer ses droits, etc.).
Ainsi, quant à son domaine, la loi qui régit l'état et la capacité des personnes morales «détermine les conditions de sa constitution, fonctionnement et dissolution». C'est donc la loi du lieu d'incorporation qui dira si le transfert de siège social d'un État à un autre entraîne ou non la dissolution de la personne morale. De même, la loi d'un nouveau lieu d'incorporation indiquera si la personne morale créée constitue ou non la continuité d'une personne morale anciennement incorporée sous une autre loi.
[123] Dans un article portant sur la réforme du Code civil, le professeur Glenn abonde dans le même sens[29] :
16. La personne morale. L'état et la capacité de la personne morale font partie aussi du statut personnel […] Dans le cas d'une personne morale qui n'est pas constituée selon le droit québécois, ce sera donc pour la loi constitutive étrangère, ou la loi fédérale dans le cas d'une société par actions incorporée au niveau fédéral, d'établir l'existence ou la dissolution de la personne morale, de sa capacité d'agir en justice, les limites de son pouvoir d'Agir (les principes de spécialité en droit français et d'ultra vires dans les pays de common law), et les pouvoirs de ses officiers.
[124] Finalement, dans un ouvrage plus ancien, le professeur Castel écrivait[30] :
Essentiellement, le problème qui se pose ici est de savoir quelle loi fixe les conditions de constitution, de fonctionnement et de dissolution des compagnies, corporations ou sociétés étrangères, c'est-à-dire leur aptitude à être titulaires de droits et à accomplir les actes nécessaires à l'acquisition et à l'exercice de ces droits.
[125] En l'espèce, aucune question de cette nature n'est soulevée. Il n'est pas question de savoir si un « organe » a outrepassé les pouvoirs que lui attribuent son incorporation, ses statuts ou règlements ou encore, quelques questions de nature corporative.
[126] Si les rapports internes d'une personne morale, sa capacité d'agir et son mode de fonctionnement relèvent du droit corporatif, il en va autrement des droits et obligations qui régissent l'activité au Québec des comptables agréés et des règles de responsabilité extracontractuelle - conséquences de ces activités - à l'égard des tiers.
[127] Au soutien de leurs prétentions, les appelants citent un passage du texte des professeurs Talpis et Castel rédigé dans le cadre de la réforme du Code civil :
137. La loi applicable à la société détermine ses conditions de constitution, sa capacité de jouissance, ses conditions de fonctionnement et de dissolution, la responsabilité de ses dirigeants et sa représentation. […][31]
(nous soulignons)
[128] L'expression « la responsabilité des dirigeants » paraît mal choisie. Qu'est-ce qu'un dirigeant? Peut-on qualifier un vérificateur de dirigeant? Il est permis d'en douter. Quoi qu'il en soit, il y a lieu de conclure que les auteurs réfèrent sans doute à la responsabilité statutaire et pénale des administrateurs contenue dans des lois corporatives et non à leur responsabilité civile extracontractuelle à l'égard des tiers.
[129] Les appelants ont longuement plaidé sur les règles de conflit qui émanent du droit anglais et du droit continental. Ils invitent la Cour à y recourir. Elles conduiraient à l'application de la lex societatis. Il convient de répondre à ces arguments. Cette thèse est intéressante, mais, soit dit avec égards, elle ne résiste pas à l'analyse.
[130] À la base de leur argument, les appelants affirment que le vérificateur est un officier de la corporation.
[131] Leur thèse prend appui sur le texte anglais de l'article 105 de la LCCN.-B.
[132] Comme on peut le constater, la version anglaise (« to hold office ») diffère de la version française (« mandat ») :
105(1) Shareholders of a corporation may by ordinary resolution at the first meeting of shareholders and at each succeeding annual meeting appoint an auditor to hold office until the close of the next annual meeting. 105(2) An auditor appointed under section 62 is eligible for appointment under subsection (1). 105(3) A resolution under subsection (1) is valid only until the next succeeding annual meeting of shareholders. 105(4) The remuneration of an auditor may be fixed by ordinary resolution of the shareholders or, if not so fixed, may be fixed by the directors. 105(5) If an auditor is not appointed at a meeting, then the incumbent auditor continues in office until his successor is appointed unless a resolution is passed not to appoint an auditor for the ensuing year.
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105(1) Les actionnaires d'une corporation peuvent, par voie de résolution ordinaire, à la première assemblée annuelle des actionnaires et à chaque assemblée annuelle subséquente, nommer un vérificateur dont le mandat expire à la clôture de l'assemblée annuelle suivante. 105(2) Le vérificateur nommé en vertu de l'article 62 peut également l'être conformément au paragraphe (1). 105(3) La résolution mentionnée au paragraphe (1) n'est valide que jusqu'à l'assemblée annuelle suivante d'actionnaires. 105(4) La rémunération du vérificateur peut être fixée par voie de résolution ordinaire des actionnaires ou, à défaut, par les administrateurs. 105(5) À défaut de nomination d'un vérificateur lors d'une assemblée, le vérificateur en fonctions poursuit son mandat jusqu'à la nomination de son successeur, sauf si une résolution est adoptée à l'effet de ne pas nommer un vérificateur pour l'année suivante. |
[133] De ce texte, s'est élevé un débat entre les parties. Prenant appui sur les auteurs anglais et français, les avocats des appelants avancent que les devoirs et la responsabilité des vérificateurs apparaissent dans les lois corporatives. Partant, leur responsabilité doit être évaluée en fonction de la loi du lieu d'incorporation. L'intimée soutient, au contraire, qu'il est de l'essence de toutes les lois corporatives canadiennes que le vérificateur soit indépendant de la corporation, de ses dirigeants et de ses officiers. En conséquence, conclut-elle, il est antinomique de qualifier le vérificateur d'officier de la corporation.
[134] À l'examen, la controverse relève plus de la sémantique que de la substance. Ce débat n'est pas non plus porteur de solutions. L'approche anglaise et continentale, aussi intéressante soit-elle du point de vue du droit comparé, ne milite pas en faveur de la thèse des appelants. Au surplus, l'application de la lex societatis conduirait, en l'espèce, à une situation juridique inacceptable. Nous aborderons dans l'ordre chacune de ces idées.
[135] Règle générale, les lois corporatives canadiennes consacrent le principe de l'indépendance du vérificateur. La première en tête est la LCCN.-B. qui dispose à son article 104 :
104(1) Sous réserve du paragraphe (5), une personne n’a plus les qualités requises pour être vérificateur, si elle n’est pas indépendante de la corporation, de l’un quelconque de ses affiliés ou de leurs administrateurs ou dirigeants.
104(2) Aux fins du présent article,
a) l’indépendance est une question de fait; et
b) une personne est réputée ne pas être indépendante si elle ou son associé,
(i) est associé, administrateur, dirigeant ou employé de la corporation, de l’un quelconque de ses affiliés ou de leurs administrateurs, dirigeants ou employés,
(ii) est le bénéficiaire à titre de propriétaire ou détient, directement ou indirectement, le contrôle d’une partie importante des valeurs mobilières ou des sûretés de la corporation ou de l’un quelconque de ses affiliés, ou
(iii) a été liquidateur ou syndic de faillite de la corporation ou de l’un quelconque de ses affiliés dans les deux ans précédant la proposition de sa nomination au poste de vérificateur.
104(3) Un vérificateur doit, sous réserve du paragraphe (5), se démettre dès qu’à sa connaissance il ne possède plus les qualités requises par le présent article.
104(4) Toute personne ayant un intérêt peut demander à la Cour de rendre une ordonnance déclarant qu’un vérificateur n’a pas les qualités requises aux termes du présent article et que son poste est vacant.
104(5) La Cour, si elle est convaincue de ne causer aucun préjudice aux actionnaires, peut, à la demande de toute personne ayant un intérêt, rendre une ordonnance dispensant, même rétroactivement, le vérificateur de l’application du présent article, aux conditions qu’elle estime pertinentes.
[136] Quant à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA)[32], sur laquelle semblent calquées la plupart des lois provinciales[33], elle dispose :
161. (1) Sous réserve du paragraphe (5), pour être vérificateur, il faut être indépendant de la société, des personnes morales de son groupe ou de leurs administrateurs ou dirigeants.
(2) Pour l’application du présent article :
a) l’indépendance est une question de fait;
b) est réputée ne pas être indépendante la personne qui, ou dont l’associé :
(i) ou bien est associé, administrateur, dirigeant ou employé de la société, d’une personne morale de son groupe ou de leurs administrateurs, dirigeants ou employés,
(ii) ou bien est le véritable propriétaire ou détient, directement ou indirectement, le contrôle d’une partie importante des valeurs mobilières de la société ou de l’une des personnes morales de son groupe,
(iii) ou bien a été séquestre, séquestre-gérant, liquidateur ou syndic de faillite de la société ou d’une personne morale de son groupe dans les deux ans précédant la proposition de sa nomination au poste de vérificateur.
(2.1) Pour l’application du paragraphe (2), est assimilé à un associé d’une personne l’actionnaire de celle-ci.
(3) Le vérificateur doit, sous réserve du paragraphe (5), se démettre dès qu’à sa connaissance, il ne possède plus les qualités requises par le présent article.
(4) Tout intéressé peut demander au tribunal de rendre une ordonnance déclarant la destitution du vérificateur aux termes du présent article et la vacance de son poste.
(5) Le tribunal, s’il est convaincu de ne pas causer un préjudice injustifié aux actionnaires, peut, à la demande de tout intéressé, dispenser, même rétroactivement, le vérificateur de l’application du présent article, aux conditions qu’il estime indiquées.
[137] L'indépendance du comptable agissant à titre de vérificateur est également consacrée en droit professionnel.
[138] Au Québec, le Code de déontologie des comptables professionnels agréés, à son article 36.4, dispose[34] :
36.4. Le membre qui exécute ou qui participe à une mission de certification ou une mission d'application de procédés de vérification spécifiés doit demeurer libre de toute influence, de tout intérêt ou de toute relation qui, eu égard à cette mission, peut porter atteinte à son jugement professionnel ou à son objectivité ou en donner l'apparence.
Il doit se conformer aux normes d'indépendance prévues au chapitre 204 du Code de déontologie harmonisé pour les comptables agréés du Canada adopté le 13 avril 2010 par le Comité sur la confiance du public de l'Institut Canadien des Comptables Agréés et leurs modifications ultérieures. Ces normes sont diffusées dans une publication que l'Ordre adresse à tous ses membres et en version électronique accessible à tous sur le site Internet de l'Ordre.
[139] Le Code de déontologie harmonisé pour les comptables agréés du Canada, auquel réfère cet article, prévoit, à sa règle 204, une série de mesures très pointues visant à assurer l'indépendance du vérificateur[35].
[140] Dans l'arrêt Lapierre c. Pelletier[36], le juge Beauregard qualifiait, d'ailleurs, l'indépendance « d'attribut essentiel d'un vérificateur » :
L'attribut essentiel d'un vérificateur est qu'il soit indépendant de la société, de ses administrateurs ou de ses dirigeants. […]
[141] Le professeur Rousseau tient des propos similaires[37] :
[…] Quant à son indépendance, elle vient appuyer sa compétence en lui offrant une liberté de réflexion et de décision. Elle lui permet d'être autonome dans ses idées et ses opinions et contribue à son objectivité et à son intégrité tout en accordant une crédibilité à son opinion. L'indépendance est au cœur de la profession du vérificateur, elle en est l'essence et confère une valeur à son travail.
(nous soulignons)
[142] L'auteur McGuinness écrit[38] :
9.162 In carrying out their duties, the auditors of a corporation are neither agents of the corporation nor of the shareholders. Although retained by the corporation under contract, they are not officers of the corporation within the meaning of either the OBCA or the CBCA. Instead, auditors are statutory functionaries.
[143] Aujourd'hui, le terme « officier » semble avoir cédé le pas à celui de dirigeant[39]. D'un point de vue étymologique, l'officier est généralement élu par les administrateurs pour administrer les affaires courantes de la personne morale.
[144] Dans son Dictionnaire de droit québécois et canadien, Hubert Reid définit ainsi le terme « officier » en droit corporatif[40] :
3. Personne élue par les administrateurs d'une personne morale parmi ses membres pour la représenter dans les actes, contrats et poursuites et pour en administrer les affaires courantes conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, par les statuts de la personne morale et par la nature des devoirs qui lui sont imposés. Le président, le vice-président, le secrétaire et le trésorier sont, en général, les officiers de la personne morale.
[145] Le Black's Law Dictionnary, qui définit ainsi le « corporate officer »[41] :
Officer. (14c) 1. A person who holds an office of trust, authority, or command. […] In corporate law, the term refers esp. to a person elected or appointed by the board of directors to manage the daily operation of the corporation, such as a CEO, president, secretary, or treasurer.
[…]
corporate officer. An officer of a corporation, such as a CEO, president, secretary or treasurer.
[146] Le droit anglais prend une position nuancée sur la question. Le vérificateur sera un officier de la corporation dans la mesure où les textes législatifs ou encore les règlements de la personne morale le désignent comme tel[42]. La doctrine et la jurisprudence affirment sans détour qu'il doit exercer sa fonction de façon indépendante. Le vérificateur n'est ni l'agent de la direction ni celui des actionnaires[43].
[147] En droit français, le commissaire aux comptes est perçu comme un « fonctionnaire de la société investi d'une mission légale de surveillance des comptes ». Il doit exercer sa fonction en toute indépendance, et ce, en fonction de règles déontologiques strictes[44].
[148] L'examen des dispositions législatives canadiennes, anglaises et françaises, à l'égard des vérificateurs, fait ressortir une communauté de pensée au-delà des divergences superficielles. Dans tous les cas, le vérificateur, même s'il devait être désigné comme officier ou fonctionnaire de la société, n'en est pas un au sens strict de ces termes. Il effectue son travail de façon indépendante. Il n'est jamais sous les ordres de la direction, des administrateurs ou des dirigeants. La Cour d'appel de Colombie-Britannique souligne avec justesse dans l'affaire Bell c. Klein :
«…a company auditor, elected to that office by the shareholders, although not an officer or servant in the same sense as an official subject to orders of the directors, or an executive of the management set up of the company, nevertheless is a statutory officer who may be questioned by shareholders of a public company at the annual meeting. In short, he is a company officer in a wider sense within [the applicable rule] than one who holds only an executive, administrative or advisory office in the company. »[45]
[149] Cela dit, même si l'on devait convenir que le vérificateur est un « officier » au sens large aux termes de la loi néo-brunswickoise, cela ne fait pas avancer le débat, et ce, pour plusieurs raisons.
[150] D'abord, contrairement à la Companies Act 2006[46] du droit britannique ou le Code de Commerce français[47], la LCCN.-B. ne contient aucune disposition relative à la responsabilité des vérificateurs. Cette dernière loi ne contient que des mesures qui visent la nomination du vérificateur (art. 105), la fin de son mandat (art. 106), les qualités requises pour occuper la fonction (art. 104), son remplacement (art. 108), son droit d'assister aux assemblées annuelles (art. 109), son pouvoir d'enquêter au sein de la personne morale (art. 111) et ses devoirs de présenter des états financiers conformes aux exigences de la loi (art. 110).
[151] Ces articles peuvent, certes, être liés à l'état et à la capacité du vérificateur. Ils sont toutefois reliés aux règles internes de la personne morale, jamais aux règles régissant les activités externes de la corporation, plus particulièrement celles qui régissent la responsabilité extracontractuelle de ses dirigeants dans la mesure où le vérificateur en serait un, ce qui est douteux.
[152] Qui plus est, pousser à sa limite l'utilisation de la lex societatis, conduit à une situation inacceptable, et ce, particulièrement pour les vérificateurs des sociétés. Nous rappelons de nouveau la thèse des appelants.
[153] Elle consiste à dire que dans la mesure où la loi à la source de la constitution de la personne morale traite du devoir des administrateurs, il faut s'en remettre au droit supplétif du lieu d'incorporation pour trancher la question de la responsabilité, en l'espèce, la common law.
[154] Suivant cette proposition, le comptable agréé québécois, qui effectue à Montréal la vérification des comptes d'une société montréalaise incorporée à l'étranger, verrait sa conduite jugée en fonction du lieu d'incorporation de sa cliente : France, Allemagne, Suède, Japon, États-Unis, etc. Et ce, alors que ce même comptable risque fort de ne pas connaître les règles de responsabilité particulières de ces différents pays. Le tiers lésé ne serait guère plus avantagé. Le tiers montréalais, qui prétend avoir subi un préjudice à la suite de la faute du comptable agréé montréalais à l'occasion de ses travaux de vérification d'une société montréalaise, verrait son litige tranché en fonction des règles du pays où la personne morale a été constituée.
[155] Si besoin était, s'ajoutent à tout ceci deux éléments, un de droit et un autre de fait. Comme Castor n'était pas une compagnie publique, il n'y avait pas d'obligation pour elle de nommer un vérificateur. Elle pouvait le faire, mais n'y était pas obligée. Plus important encore, la juge de première instance retient que la responsabilité de Coopers va bien au-delà de son travail à titre de vérificateur.
[156] En conclusion, nous devons écarter la lex societatis et appliquer plutôt la lex loci delicti.
Lex loci delicti
[157] L'arrêt Tolofson c. Jensen[48] est invoqué par les deux parties. Cet arrêt phare de la Cour suprême du Canada porte sur le choix de la loi applicable lorsque sont en jeu, dans une affaire donnée, les intérêts de plus d'un ressort.
[158] Au Canada, cet arrêt a marqué le droit international privé. Rompant avec la règle plus que séculaire du double droit d'action établie dans l'arrêt Phillips c. Eyre[49], la Cour suprême allait recentrer le débat sur les principes généraux du droit international public.
[159] Pour une cour unanime, le juge La Forest rappelle que le droit international public « repose sur le principe voulant qu'en général chaque État a compétence pour adopter des lois et les appliquer à l'intérieur de son propre territoire »[50].
[160] Le juge La Forest distingue les questions relatives à la compétence des tribunaux de celles ayant trait à la loi applicable. Il formule de la façon suivante la question au cœur du pourvoi :
La principale question qui se pose en l'espèce est la suivante : une fois que le tribunal s'est régulièrement attribué compétence (…), quelle loi devrait-il appliquer?[51]
[161] Les litiges dans l'affaire Tolofson portent sur la responsabilité extracontractuelle. En ces matières, la réponse du juge La Forest à la question posée est la suivante :
Si on part du principe général selon lequel un État a compétence exclusive à l'intérieur de son propre territoire et les autres États doivent, suivant les principes de la courtoisie, respecter l'exercice de sa compétence à l'intérieur de son territoire, il me semble évident qu'en général, à tout le moins, la loi qu'il faut appliquer en matière de responsabilité délictuelle est la loi du lieu où l'activité s'est déroulée, c'est-à-dire la lex loci delicti.[52]
[162] Il paraît assez évident que la loi du lieu où l'activité s'est déroulée (where the activity occurred) est celle du comportement fautif.
[163] Le préjudice ne saurait constituer une activité.
[164] Dans le même ordre d'idée, le juge La Forest écrit plus tôt à l'occasion de sa revue de la jurisprudence[53] :
[…] La seconde règle, que nous considérerions normalement comme se rapportant au choix de la loi applicable et qui ressort de ses remarques précédentes, était celle du lieu de la faute, la lex loci delicti. […]
(nous soulignons)
[165] Il élabore ensuite sur les raisons de retenir une telle règle. Elle serait justifiée par différentes considérations pratiques qui la rendent « certaine, facile à appliquer et prévisible ». Le juge La Forest ajoute :
[…] De plus, elle semblerait répondre à des attentes normales. Les gens s'attendent habituellement à ce que leurs activités soient régies par la loi du lieu où ils se trouvent et à ce que les avantages et les responsabilités juridiques s'y rattachant soient définis en conséquence. Le gouvernement de ce lieu est le seul habilité à régir ces activités. Les autres États et les étrangers partagent normalement les mêmes attentes. Si d'autres États appliquaient systématiquement leurs lois à des activités qui se déroulent ailleurs, il y aurait confusion. Étant donné la facilité de voyager dans le monde moderne et l'émergence d'un ordre économique mondial, la situation deviendrait souvent chaotique si le principe de la compétence territoriale n'était pas respecté, du moins de façon générale. Il faut assurer la stabilité des opérations et respecter les attentes juridiques bien fondées.[54]
[166] De façon encore plus importante pour le présent pourvoi, le juge La Forest note, qu'outre la pratique britannique, la plupart des États favorisent la règle de la lex loci delicti pour les recours extracontractuels. Il ajoute :
La loi québécoise, suivant la tradition européenne, a adopté la même règle; voir Code civil du Bas-Canada, art. 6.[55]
[167] Le juge La Forest reconnaît qu'il pourrait y avoir des exceptions à la règle en matière de responsabilité extracontractuelle, « mais que celles-ci devraient être définies très soigneusement »[56].
[168] C'est un obiter du juge La Forest qui est invoqué par les appelants au soutien de leurs prétentions. Pour eux, l'application correcte, en l'espèce, de la règle de la lex loci delicti conduit inéluctablement à la common law puisque c'est en Ontario que le préjudice de Widdrington (sa perte économique) fut subi et qu'il ne saurait y avoir « délit » sans la réalisation d'un préjudice. Les appelants s'en rapportent à l'extrait suivant des propos du juge La Forest :
[…] Certes il existe des situations, notamment lorsqu'un acte est accompli à un endroit, mais que ses conséquences se font sentir directement ailleurs, où la question de savoir où le délit lui-même a été commis pose des problèmes épineux. En pareil cas, il se peut bien que l'on juge que les conséquences constituent la faute. Des difficultés peuvent également se présenter lorsque la faute découle directement d'une activité transnationale ou interprovinciale. Les considérations territoriales peuvent alors devenir atténuées; il se peut qu'elles entrent en conflit et que d'autres considérations jouent un rôle déterminant. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce.[57]
[169] Le locus du délit n'est pas définitivement tranché dans l'arrêt Tolofson. Nous retenons que la règle générale du lex loci delicti demeure le lieu « où l'activité s'est déroulée », mais que pour certains types de délit, le lieu du préjudice peut, par exception, être considéré. C'est ce qu'affirme la Cour suprême à l'occasion d'une affaire récente, Éditions Écosociété inc. c. Banro Corp.[58].
[170] Cette affaire portait sur l'application de la règle du forum conveniens dans un contexte de diffamation. L'un des critères à prendre en compte était celui de la loi applicable. En common law, souligne le juge LeBel - pour une cour unanime -, le « délit de diffamation se concrétisera donc partout où l'on peut se procurer le livre[59] ». Partant de ce principe, le juge LeBel écrit :
50 Dans Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022, le juge La Forest a adopté la lex loci delicti, le lieu où le délit est survenu, comme principe général déterminant la loi applicable aux délits. Néanmoins, le juge La Forest a aussi laissé place à des exceptions à la règle générale de la lex loci delicti quant aux délits tels la diffamation. La justification de la règle tient à ce que, dans la plupart des cas de délit, la faute qui constitue le délit est l'élément le plus substantiel ou le plus caractéristique, et que le préjudice ou les conséquences se font généralement sentir à l'endroit même où le délit a été commis. En établissant la lex loci delicti comme règle générale, le juge La Forest a toutefois reconnu aussi qu'il existe des situations, notamment lorsqu'un acte est accompli à un endroit, mais que ses conséquences se font sentir directement ailleurs, où la question de savoir où le délit lui-même a été commis pose des problèmes épineux. [...] Des difficultés peuvent également se présenter lorsque la faute découle directement d'une activité transnationale ou interprovinciale" (p. 1050).
51 Le juge La Forest a indiqué qu'en pareil cas, "il se peut bien que l'on juge que les conséquences constituent la faute" (p. 1050). Fait important, le juge La Forest a même écrit, sans pour autant le décider, que le délit de diffamation pourrait bien constituer un pareil cas, et a ajouté "qu'on pourrait bien faire valoir [...] qu'à la différence d'un accident de véhicule automobile [le délit en cause dans Tolofson ], le délit de diffamation devrait être réputé avoir été commis à l'endroit où ses effets se font sentir" (p. 1042). Le juge La Forest a ainsi laissé place aux exceptions à la règle générale de la lex loci delicti quant aux délits tels la diffamation.[60]
(nous soulignons)
[171] Dans une affaire antérieure, Moran c. Pyle National (Canada) Ltd.[61], le juge Dickson avait considéré le lieu où s'est manifesté le préjudice afin de déterminer de la compétence du tribunal. Le litige opposait un fabricant d'ampoules ontarien à la succession d'un électricien mortellement blessé en Saskatchewan par le produit manufacturé.
[172] Cet arrêt a une portée limitée puisqu'elle traite d'un conflit de juridiction et non de loi applicable comme le souligne le juge Dickson lui-même[62] :
La détermination du situs d'un délit civil comporte quelques difficultés. Les précédents et les revues savantes renferment quelques critères susceptibles d'être appliqués mais tous ont fait l'objet de critiques et je crois qu'il est juste de dire qu'aucun principe clair ne s'est imposé. La difficulté n'a pas été atténuée par le défaut, dans de nombreux arrêts, de faire la distinction entre la compétence et le choix de la loi applicable. Il n'est pas nécessaire que les règles applicables à la détermination du situs aux fins de la compétence soient celles qui sont employées pour identifier le système juridique en vertu duquel les droits et les obligations des parties doivent être déterminés.
(nous soulignons)
[173] Comme le souligne le professeur Popovici, la ratio de cet arrêt est plus étroite qu'elle n'y paraît à première vue[63] :
Le jugement envisage la fabrication non diligente d'un produit et ne s'applique pas nécessairement à tous les torts, à tous les cas de responsabilité civile. […]
[174] Il y a lieu de noter que la question du droit applicable à la responsabilité du fabricant ne se pose plus dans notre droit actuel. Il fait l'objet d'une disposition spécifique (art. 3128 C.c.Q.) qui se distingue de la règle générale énoncée à l'article 3126 C.c.Q.
[175] Les débats qui ont conduit à l'adoption de l'actuel article 3126 C.c.Q. jettent un éclairage intéressant sur la portée du troisième alinéa de l'article 6 C.c.B.-C.
[176] Selon les auteurs, l'article 3126 C.c.Q. se veut un compromis entre la règle traditionnelle prévalant au Québec (selon l'arrêt Tolofson), qui favorisait le lieu où le fait générateur du préjudice est survenu, et la conception moderne du droit de la responsabilité civile, laquelle est axée sur la réparation du préjudice plutôt que sur la prévention ou la punition des comportements fautifs.
[177] En 1980, le professeur Castel posait le problème en ces termes[64] :
L'adoption d'une règle de conflit particulière dans ce domaine doit dépendre du fondement de la responsabilité délictuelle. Si, par exemple, la loi interne en matière de délits se préoccupe surtout de poser des critères pour apprécier le comportement des individus, la règle de conflit doit insister sur la loi du lieu où agit la personne dont on veut savoir si elle encourt ou non une responsabilité du fait de sa conduite.
Si, d'autre part, la loi interne en matière délictuelle s'attache à la protection de la victime, plutôt qu'à la nature répréhensible de la conduite de l'auteur du délit, il paraît souhaitable d'appliquer, en cas de conflit, la loi de l'État où le dommage a été subi.
[178] Les professeurs Goldstein et Groffier abondaient dans le même sens[65]. Le professeur Popovici conclut de même. Il se dit d'avis que la faute demeure en droit québécois l'impératif de la responsabilité civile puisqu'il n'y a point d'obligation d'indemniser sans faute[66].
[179] Dans le Projet de Code civil de 1977, l'Office de révision avait suggéré de retenir la règle du lieu du domicile de la victime du préjudice[67].
[180] À la fin des années 1980, dans l'Avant-projet de réforme du droit international, une nouvelle mouture fut proposée :
3493. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui est régie par la loi de l'État du domicile ou la résidence habituelle de l'auteur du fait dommageable et de la personne lésée, lorsqu'ils sont domiciliés ou résident habituellement dans cet État ou, à défaut, par la loi de l'État du lieu où le fait générateur du préjudice est survenu. Toutefois, si le préjudice s'est produit dans un autre État, la loi de cet État est applicable si l'auteur du préjudice devait prévoir que le préjudice s'y produirait. […]
[181] L'article fut reformulé pour finalement aboutir à l'actuel article 3126 C.c.Q., qui prévoit :
3126. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui est régie par la loi de l'État où le fait générateur du préjudice est survenu. Toutefois, si le préjudice est apparu dans un autre État, la loi de cet État s'applique si l'auteur devait prévoir que le préjudice s'y manifesterait.
Dans tous les cas, si l'auteur et la victime ont leur domicile ou leur résidence dans le même État, c'est la loi de cet État qui s'applique.
[182] Les Commentaires du ministre de la Justice sur cet article sont les suivants[68] :
Cet article, de droit nouveau, s'inspire de la Loi fédérale sur le droit international privé suisse de 1987.
Aux termes d'un arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire O'Connor c, Wray, [1930] R.C.S. 231, une demande de responsabilité civile extracontractuelle n'est recevable au Québec que si la situation constitue une cause d'action suivant le droit québécois et ne peut être justifiée selon la loi du lieu où elle est survenue: il s'agit d'une règle qui a son origine dans le droit anglais. Auparavant, la jurisprudence appliquait la loi du lieu où le fait générateur du préjudice était survenu, suivant l'interprétation donnée au troisième alinéa de l'article 6 C.C.B.C. et suivant le droit français.
L'article 3126 renoue avec la tradition et fait régir la responsabilité civile extracontractuelle par la loi de l'État où le fait générateur du préjudice est survenu. Toutefois, étant donné la difficulté que pose le rattachement dans l'hypothèse où le préjudice apparaît dans un autre État, l'article énonce qu'en ce cas s'applique la loi de l'État où le préjudice est apparu, à condition de prouver que l'auteur devait prévoir que le préjudice s'y manifesterait. Le principe de l'application de la loi de l'État où le fait générateur du préjudice est survenu se trouve ainsi renforcé.
(nous soulignons)
[183] Selon le ministre, c'est donc uniquement par exception que la loi du lieu du préjudice sera considérée. En principe, et selon la règle traditionnelle, c'est la loi du lieu où le fait générateur du préjudice est survenu qui prime.
[184] La doctrine est du même avis[69]. Ainsi, la règle nouvelle reprend la règle traditionnelle du lex loci delicti du troisième alinéa de l'article 6 C.c.B.-C. en l'assortissant d'une exception lorsque le préjudice survient dans un ressort étranger et que l'auteur du préjudice devait prévoir qu'il s'y manifesterait.
[185] L'on revient ici aux propos du juge La Forest dans l'affaire Tolofson. Le lieu du fait générateur du préjudice respecte l'esprit du droit international public voulant que chaque État régisse, règle générale, les activités à l'intérieur de son territoire.
[186] Comme le souligne le professeur Groffier[70] :
Il semble logique que, en matière de délits, les gens soient soumis à la loi de l'État (ou province) dans lequel ils se trouvent. Cet État est particulièrement intéressé au respect de ses normes de conduite (Code pénal, Code de la route, 1053 etc.)
[187] C'est d'ailleurs dans cette optique que la juge Newbury, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, interprète les propos du juge La Forest dans Tolofson :
[…] La Forest J. focussed on the place where the wrong occurred and on the legitimate interests of states in attaching rights and liabilities to acts or conduct occurring within their territorial confines. Indeed, he said it seemed "self-evident" that "State A has no business in defining the legal rights and liabilities of citizens of State B in respect of acts in their own country, or for that matter the actions in State B of citizens of State C." […][71]
(nous soulignons)
[188] Le droit continental a opté pour l'adoption d'une règle différente et a retenu la loi du lieu où le préjudice se manifeste[72]. À titre de règle générale, cette approche a été écartée au Québec tant dans le droit ancien que dans le droit nouveau.
[189] En l'espèce, il y a des motifs impérieux pour conclure que la responsabilité de Coopers doit être tranchée en fonction du droit civil du Québec.
[190] D'un point de vue étatique, le Québec est la seule province intéressée par le respect des normes de conduite et de comportement attendues des professionnels qui oeuvrent sur son territoire. Il serait incongru d'appliquer la common law de l'Ontario à des fautes commises par des professionnels qui n'y ont exercé aucune activité.
[191] Les liens les plus substantiels du dossier nous renvoient invariablement aux activités professionnelles de Coopers à Montréal pour une cliente montréalaise. Le lien avec l'Ontario est ténu. Il repose sur un seul élément : une perte économique y fut subie. Contrairement à ce que plaident les appelants, il n'y a aucune allégation dans les procédures relative à une omission de Coopers « d'avertir d'un danger ». Contrairement à l'arrêt Air Canada c. McDonnel Douglas Corp.[73], l'on ne peut soutenir ici que, en l'absence d'obligation à cet effet, le lieu où Widdrington a pris connaissance des documents est le lieu où la faute de Coopers s'est cristallisée.
[192] En l'espèce, si nous devions retenir le lieu du préjudice pour déterminer la loi applicable, il s'ensuivrait, de nouveau, une situation à tout le moins chaotique où les comptables montréalais, pour un travail fait en majeure partie à Montréal, pour le compte d'une société montréalaise, verraient leur responsabilité déterminée en fonction d'autant de lois étrangères qu'il y a de demandeurs dont le domicile est étranger. S'ensuivrait un désordre contraire aux principes fondamentaux du droit international privé[74].
[193] La Cour ne peut passer sous silence le caractère stratégique de la position adoptée par les appelants quant à la loi applicable au litige. La règle du lieu du préjudice pour déterminer la loi applicable fut conçue et retenue par certains législateurs (notamment en Europe) dans le but de protéger la victime et lui faciliter l'accès à un tribunal susceptible de lui procurer une indemnisation adéquate. L'exception de l'actuel article 3126 C.c.Q. traduit cette même préoccupation.
[194] Ici, ce sont les auteurs de la faute (ce qui n'est plus contesté en appel) qui invoquent la règle du lieu du préjudice afin de bénéficier d'une règle de la common law qui limiterait ou annihilerait la responsabilité du vérificateur.
[195] Pour toutes ces raisons, nous concluons que la juge de première instance s'est bien dirigée en droit et en fait en appliquant les règles du droit civil pour trancher la question de la responsabilité de Coopers.
B) LA RESPONSABILITÉ
[196] Au moment d'amorcer l'étude de cette question, il convient de rappeler la décision des appelants de ne plus poursuivre leur appel sur les questions de savoir a) si la représentation des états financiers 1988, 1989 et 1990 de Castor respectait les PCGR et b) si, dans leur rôle de vérificateurs de ces états financiers, ils avaient respecté les NVGR.
[197] Les appelants reconnaissent ainsi leur faute en tant que vérificateurs des états financiers de Castor, mais pas leur responsabilité.
[198] Il convient également de souligner, tel que nous l'expliquions précédemment, que la faute des appelants dépasse amplement celle qu'ils reconnaissent maintenant avoir commise à titre de vérificateurs.
[199] La juge de première instance traite longuement de la question de la responsabilité, d'abord en vertu du droit civil québécois puis, à titre subsidiaire, de la common law.
[200] La juge rappelle qu'en droit québécois le demandeur a le fardeau de prouver une faute, un préjudice et un lien de causalité suffisant entre la faute et le préjudice. La responsabilité du défendeur peut être réduite en cas de faute causale de la part du demandeur, auquel cas le tribunal partagera la responsabilité entre les parties, en proportion de la gravité de leur faute respective. Le professionnel ne commettra pas de faute à moins d'avoir agi d'une manière incompatible avec la conduite d'un professionnel raisonnablement prudent et diligent. Pour entraîner sa responsabilité, la faute du professionnel doit être la cause logique, directe et immédiate du préjudice allégué. La faute du vérificateur comptable ne sera donc la cause du préjudice que si le demandeur prouve s'être véritablement fié aux opinions de ce vérificateur pour prendre sa décision d'acheter l'entreprise ou d'y investir. Toutefois, ajoute la juge, le vérificateur ne sera responsable qu'envers les personnes qui, à sa connaissance ou avec son consentement, ont fait usage de ses travaux, et ce, peu importe le but dans lequel les documents ont été préparés.
[201] La juge rejette la proposition des appelants selon laquelle les principes de common law énoncés dans l'arrêt Hercules ont été incorporés en droit civil québécois. À cet égard, elle distingue l'arrêt Savard[75] de cette Cour, essentiellement parce que, dans cette affaire, il s'agissait d'une opinion juridique préparée par des avocats pour un client précis et pour une fin précise, ce qui n'est pas le cas des opinions préparées par les vérificateurs.
Principes généraux relatifs à la responsabilité des vérificateurs comptables
[202] Il faut le reconnaître, les décisions des tribunaux québécois relatives à la responsabilité extracontractuelle des professionnels envers les tiers sont souvent ambiguës, parfois même contradictoires[76].
[203] Ce pourvoi nous permet de faire le point sur la question.
[204] Dans Placements Miracle inc. c. Larose[77], une affaire relative à la responsabilité extracontractuelle d'un arpenteur-géomètre, le juge Nolan, dont les juges Bélanger et Dubuc partagent l'opinion, refuse de suivre les enseignements de l'arrêt Haig c. Bamford et al.[78], au motif que la trame factuelle de cette affaire était différente, « The accountants knew that the financial statement was going to be shown to potential investors » (…) « of whom Appellant was one ».
[205] Dans Caisse populaire Charlesbourg c. Michaud[79], une affaire impliquant la préparation d'un rapport de vérification par une firme de comptables agréés, le juge Baudouin écrit « Lorsqu'une firme comptable accepte de rendre un service professionnel, elle doit, en principe, assumer les conséquences des représentations qu'elle fait, indépendamment de la destination initiale du document. Le professionnalisme est fondé sur la confiance du public dans la qualité des actes posés. ».
[206] Dans l'arrêt Savard, la Cour emprunte aux décisions visant la responsabilité des comptables[80] [81] pour établir les critères généraux de la responsabilité extracontractuelle des avocats envers les tiers, tout en soulignant le caractère particulier de leur situation en raison de l'exclusivité de leurs services et de la confidentialité du contenu de leurs communications avec le client.
[207] Ainsi, l'avocat pourra être responsable de la perte économique subie par un tiers si l'acte professionnel est fautif et si « l'avocat sait ou devrait savoir que cet acte est aussi destiné à cette autre personne dont la conduite sera nécessairement dictée par cette opinion ou cet avis »[82].
[208] Il y aurait ainsi création d'une obligation de diligence de l'avocat envers le tiers.
[209] La Cour précise que « l'avocat, comme d'ailleurs tout professionnel, n'est pas responsable de la perte économique subie par tous ceux qui gravitent autour de lui à quelque titre ou quelque occasion que ce soit » de crainte de lui imposer une responsabilité sans limite[83].
[210] Dans Allaire c. Girard et Associés (Girard et Cie comptables agréés)[84], un arrêt prononcé une semaine après l'arrêt Savard, la Cour confirme le jugement entrepris. La faute des comptables agréés n'était pas à l'origine de la décision des appelants d'investir dans la société en commandite et le lien de causalité entre la faute et le préjudice n'a pas été établi.
[211] Dans Agri-capital Drummond inc. c. Mallette[85], une affaire traitant de la responsabilité des comptables externes d'une société à l'égard d'un actionnaire qui s'était fié au contenu des états financiers pour acheter les actions détenues par l'actionnaire majoritaire dans l'entreprise, le juge Dalphond, qui s'exprime pour une formation unanime, écrit « En somme, la responsabilité des comptables et vérificateurs externes peut être engagée contractuellement envers les clients pour lesquels ils ont préparé des états financiers et extracontractuellement envers ceux dont ils savent qu'ils pourront faire usage desdits états, comme les actionnaires. ».
[212] Deux tendances semblent donc se dessiner. La première voulant que la responsabilité extracontractuelle des comptables envers les tiers puisse être engagée peu importe la destination initiale du document préparé ou de l'opinion donnée. La seconde voulant que cette responsabilité ne puisse être engagée que si le comptable connaît le rôle ou l'usage que l'on fera de ses documents ou de ses opinions et les personnes qui pourront en faire usage.
[213] Les appelants nous invitent à suivre la seconde tendance et à conclure que les vérificateurs qui ont préparé un document ou exprimé une opinion pour une fin bien précise ne devraient pas être tenus responsables à l'égard d'un tiers qui n'en était pas le destinataire ou qui s'y est fié dans un contexte différent.
[214] Selon les appelants, cette tendance est conforme aux enseignements de la Cour suprême dans les arrêts Houle[86] et Bail[87], ce qui ne serait pas le cas de la première.
[215] Dans ces deux arrêts, décidés à la lumière de contextes factuels très différents l'un de l'autre, la Cour suprême rappelle que, en droit civil québécois[88], la faute contractuelle n'engendre pas en soi la responsabilité extracontractuelle de son auteur envers les tiers. L'existence de l'obligation contractuelle et le manquement à l'obligation ne constituent alors que des faits juridiques, rien de plus; ils ne génèrent en tant que tels aucun droit de créance en faveur des tiers. Pour avoir gain de cause, les tiers doivent nécessairement établir que leur demande remplit toutes les conditions de la responsabilité extracontractuelle, dont la faute du défendeur à leur endroit ou, dit autrement, le manquement du défendeur à une obligation légale distincte (indépendante de son obligation contractuelle envers sa cliente) d'agir raisonnablement envers eux. Il leur faut alors prouver l'existence d'« une obligation légale transcendant les obligations d'ordre contractuel »[89], selon les faits propres à chaque dossier. « [Il] va sans dire qu'une partie à un contrat doit se conduire tout aussi raisonnablement et avec la même bonne foi à l'égard de tiers qu'à l'égard des autres parties contractantes »[90].
[216] Les appelants voient dans ces enseignements, et dans les commentaires de la Cour dans l'arrêt Savard, une invitation à rejeter ce que la Cour avait écrit dans l'arrêt Michaud et à étudier la faute à la lumière des principes énoncés dans l'arrêt Hercules[91] en matière de « duty of care » du comptable envers les tiers puisque, selon eux, les deux régimes de droit se rejoignent.
[217] Nous ne pouvons pas suivre les appelants dans cette voie.
[218] La Cour suprême, dans ces deux arrêts phares en matière de responsabilité civile extracontractuelle, ne fait état d'aucune considération de principe nécessitant, à l'instar de ce qui se fait en common law, de moduler l'obligation de diligence qu'une partie contractante peut avoir à l'égard des tiers.
[219] Il n'y a pas de doute que l'approche du droit civil - selon les concepts traditionnels de faute, de préjudice et de lien causal - est différente, et moins restrictive, que celle de la common law.
[220] Les critères de la connaissance par le vérificateur de l'identité du tiers demandeur (ou de la catégorie de tiers demandeurs) et de l'utilisation des travaux par rapport à leur destination initiale ne sont pas, en principe, pertinents à la détermination de la responsabilité.
[221] Bien sûr, comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers[92], certains tempéraments doivent être apportés à cette règle. Ainsi, lorsque le document énonce clairement, sans ambiguïté, le but pour lequel il a été préparé, le tiers pourra plus difficilement soutenir qu'il pouvait être utilisé à une autre fin. Bien sûr, il ne faudrait pas qu'il s'agisse là d'une simple clause de style et que la preuve révèle que le vérificateur savait pertinemment l'usage qui serait fait des documents préparés pour son client, comme c'était d'ailleurs le cas ici.
[222] Historiquement, les juges ont toujours été réticents à incorporer en droit civil québécois les principes issus de la Common Law.
[223] En 1920, le juge Migneault écrivait[93] :
[…] Il me semble respectueusement qu'il est temps de réagir contre l'habitude de recourir, dans les causes de la province de Québec, aux précédents du droit commun anglais, pour le motif que le code civil contiendrait une règle qui serait d'accord avec un principe du droit anglais. Sur bien des points, et surtout en matière de mandat, le code civil et le common law contiennent des règles semblables. Cependant le droit civil constitue un système complet par lui-même et doit s'interpréter d'après ses propres règles. Si pour cause d'identité de principes juridiques on peut recourir au droit anglais pour interpréter le droit civil français, on pourrait avec autant de raison citer les monuments de la jurisprudence française pour mettre en lumière les règles du droit anglais. Chaque système, je le répète, est complet par lui-même, et sauf le cas où un système prend dans l'autre un principe qui lui était auparavant étranger, on n'a pas besoin d'en sortir pour chercher la règle qu'il convient d'appliquer aux espèces bien diverses qui se présentent dans la pratique journalière.
[224] En 1990, le juge Baudouin reprenait la même idée[94] :
Une première remarque s'impose. On nous a cité abondamment, sur le droit applicable, des arrêts des Cours suprême et d'appel de l'Ontario (Toromont Industrial Holdings Ltd. et al. c. Thorne, Gunn, Helliwell & Christenson (1975) 62 D.L.R. (3d) 225; (1976) 73 D.L.R. (3d) 122), des arrêts de la Cour suprême du Canada rendus sur des affaires provenant de la Cour d'appel de l'Ontario (Schriber Brothers Limited c. Currie Products Limited & Gulf Oil Canada Ltd. (1980) 2 R.C.S. 78); de la Saskatchewan (Haig c. Bamford (1977) 1 R.C.S. 466), ainsi que des arrêts britanniques dont la célèbre décision de la Chambre des Lords (Hedley Byrne & Co. Ltd. c. Heller & Partners Ltd. (1963) (2) All. E.R. 575). Tous ces arrêts, même s'ils sont fort intéressants sur le plan du droit comparé, ne nous sont d'aucune utilité quant au droit applicable, puisqu'il s'agit d'appliquer à la présente instance non pas les règles de la "negligent misrepresentation", de la "detrimental reliance", ou de l'"implied condition of merchandibility", mais simplement celles de la responsabilité civile.
[225] Il n'est pas inutile de rappeler ici la sagesse de ces enseignements.
[226] Quant à l'arrêt Savard, il nous apparaît inapproprié de conclure que la Cour, dans une décision portant sur la responsabilité civile extracontractuelle des avocats, s'est prononcée fermement sur les critères applicables à celle des vérificateurs.
[227] L'analyse est trop courte pour conclure que la Cour s'est avancée aussi loin; d'ailleurs, la Cour ne semble pas s'arrêter à la distinction entre le premier et le second volet du test des arrêts Anns et Hercules lorsqu'elle écrit, au paragraphe 95, « la responsabilité d'un comptable est retenue lorsque le lien de causalité entre l'acte fautif commis à l'occasion de la préparation des états financiers de son client et le dommage subi par un tiers découle de la connexité créée par la connaissance par ce professionnel du rôle ou de l'usage de ses états financiers par cette autre personne qui n'est pas son client (…) créant ainsi une obligation de diligence pour le professionnel en faveur du tiers non-client ». Il est permis de se demander si la Cour réfère alors à la simple existence d'une obligation prima facie de diligence ou aux éléments permettant de limiter la responsabilité pour des considérations de principe.
[228] La juge de première instance, quant à elle, a compris que la Cour référait alors uniquement au fait que les vérificateurs peuvent être tenus responsables envers les tiers susceptibles d'utiliser leurs opinions[95] :
[…] the Court drew an analogy with the case of auditor's liability and referred to Hercules and Haig for the proposition that auditors can be held liable to third party users whom they know, or ought to know, might use audited financial statements.
[229] Les auteurs affirment généralement que le second volet du test retenu par la common law est difficilement transposable en droit civil québécois, notamment en raison de la généralité du principe de la responsabilité civile énoncé à l'article 1457 C.c.Q. (et, avant le 1er janvier 1994, à l'article 1053 C.c.B.-C.).
[230] Dans un intéressant exercice de droit comparé, la professeure Khoury écrit[96] :
3. Policy Considerations
Finally, the French and Quebec systems have not demonstrated any overt concern for policy decision making. The differences in the respective frameworks of the civil and common law systems can partly explain this situation.
In the common law, the justification for limiting the liability in the area of pure economic loss caused by misstatements is policy-based and lies in the desire to prevent indeterminate liability. In contrast, the French and Quebec systems of responsabilité civile are governed by a general principal of liability through the requirements of fault, harm, and causation. Their justification for limiting liability is, therefore, conceptual, and has not rendered necessary any policy-oriented discussion.
This does not mean, however, that the judiciaries of Quebec and France have not been preoccupied with policy concerns when assessing the liability of auditors toward third parties. Policy considerations may explain, first, the courts' rigid application of the causation requirement, and second, their reluctance to allow recovery, even in the presence of fault on the part of the auditor. These concerns do not need to be expressed openly, since the notion of causation can serve limitative purposes without the use of this rationale. The flexibility of this requirement, and the fact that it is applied by the courts to arrive at the result they think just, allow the judges to take policy decisions under the cover of their formal analysis.
(nous soulignons)
[231] Dans l'arrêt Cie des chemins de fer nationaux[97], la Cour suprême reconnaît l'approche plus généreuse du droit civil québécois en certaines matières, par exemple en ce qui concerne le recouvrement des pertes purement économiques, plus limité en common law. La juge McLachlin (elle n'était pas encore juge en chef) écrit[98] :
Les juridictions de droit civil de la France et du Québec ne font pas de distinction entre le préjudice physique et le préjudice économique. Elles ne fondent pas non plus la responsabilité sur des notions de confiance. Toute perte, de quelque genre qu'elle soit, peut donner lieu à indemnisation chaque fois qu'on prouve l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien causal direct et immédiat entre les deux. Ainsi la perte purement économique peut donner lieu à indemnisation. […]
Au Québec, l'art. 1053 C.c.B.-C. stipule: "Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabileté." Notre Cour n'a établi aucune limite quant aux parties qui sont indemnisables en cas de délit; elle a considéré que le mot "autrui" comprend toutes les personnes qui subissent une perte, y compris une perte économique, découlant directement de la faute du défendeur: Regent Taxi c. Congrégation des petits frères de Marie, dits frères maristes, [1929] R.C.S. 650, et Hôpital Notre-Dame c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605.
Cela ne veut pas dire que le droit civil n'impose aucune limite à l'indemnisation de la perte économique. Le mécanisme de contrôle qui permet d'éviter le préjudice illimité en droit civil réside non pas dans le genre de préjudice subi mais dans la question de savoir si, dans les faits, le préjudice est une conséquence directe, certaine et immédiate de la négligence. Il semble que cela a permis d'éviter les réclamations futiles et la menace de responsabilité illimitée. […]
[232] Au sujet de la faute, les appelants plaident que le vérificateur n'a aucune obligation envers le tiers lorsque les obligations contractuelles auxquelles il est astreint sont strictement stipulées au bénéfice de son cocontractant et qu'il est impossible d'identifier un bénéfice défini pour les tiers. Ce serait le cas en l'espèce puisque les états financiers vérifiés, les lettres d'évaluation et les attestations Legal-for-Life n'ont pas été préparés au bénéfice de Widdrington ou d'investisseurs potentiels pour les aider dans leur prise de décision.
[233] L'argument doit être rejeté.
[234] Dans l'arrêt Bail, le juge Gonthier écrit[99] :
Les parties à un contrat sont donc délictuellement responsables des dommages qu'elles pourraient causer aux tiers dans le cadre de leur relation contractuelle, de par leur manquement à la norme de conduite raisonnable dans les circonstances de cette relation.
Quoiqu'une partie contractante puisse faillir à son devoir général d'agir de bonne foi et raisonnablement nonobstant le contenu du contrat et sa conduite relativement à ses obligations contractuelles, il demeure incontestable que ces deux derniers éléments ont une influence sur l'évaluation de la faute délictuelle. La tâche du tiers qui veut se prévaloir contre une partie contractante peut être grandement facilitée s'il y a également eu un manquement contractuel. Deux cas de figure se présentent.
Tout d'abord, lorsque le contenu obligationnel du contrat comporte des avantages certains pour des tierces parties, explicitement ou par implication, le contractant doit bien sûr éviter de leur causer préjudice. […]
À l'opposé, certaines obligations contractuelles sont stipulées au bénéfice exclusif de l'autre partie contractante, et il devient alors plus difficile de concevoir comment la conduite des parties contractantes pourrait entraîner leur responsabilité face aux tiers, quoique cela ne soit pas exclu. […]
(nous soulignons)
[235] De façon générale, les vérificateurs savent, ou doivent savoir, que les documents produits pour le compte d'une société par actions sont, de par leur nature, l'objet d'une large diffusion, notamment auprès des actionnaires, des investisseurs, des employés, des banquiers, etc.[100] Ils n'exigent toutefois pas de leur cliente de s'abstenir d'utiliser ainsi leur rapport à son bénéfice. Et la loi ne l'interdit pas non plus.
[236] Ils ont donc le devoir général d'agir de manière diligente et raisonnable envers ces tiers.
[237] L'indépendance du vérificateur, son rôle et l'objet de son travail le commandent. Il est le garant à l'égard des tiers de l'exactitude et de la véracité des chiffres fournis par son client[101].
[238] Dans ce contexte, le contenu obligationnel du contrat de vérification - et, dans le cas précis des appelants, de tous les contrats les liant à Castor - « comporte des avantages certains pour des tierces parties », à tout le moins « par implication », pour reprendre les mots du juge Gonthier dans l'arrêt Bail[102].
[239] Il existe donc pour les vérificateurs une obligation légale envers les tiers lecteurs de leurs travaux, une obligation distincte et indépendante de leurs obligations contractuelles envers leurs clientes, et c'est celle d'agir d'une manière diligente et raisonnable envers eux.
[240] Les vérificateurs ne peuvent faire autrement que de se soucier des intérêts légitimes des tiers qui auront accès aux résultats de leurs travaux et qui s'y fieront. Ils ont envers eux le devoir de se conduire tout aussi raisonnablement et avec la même bonne foi qu'envers leurs clients. « Cette responsabilité est le tribut à payer pour le professionnalisme de ce métier, le caractère technique et complexe de ses analyses et la confiance du public dans la qualité des actes posés »[103].
[241] Cela ne veut pas dire que le droit civil québécois est incapable d'imposer une limite à la responsabilité extracontractuelle des vérificateurs, comme à celle de tout autre professionnel.
[242] D'abord, dans l'évaluation de la faute extracontractuelle. Pour qu'il y ait une telle faute, il doit exister, indépendamment du contrat et à partir des faits propres à chaque espèce, une obligation légale du vérificateur envers le tiers. Le fardeau d'en faire la preuve est celui du tiers.
[243] Puis, dans la question de savoir si le préjudice allégué est une conséquence directe, certaine et immédiate de la faute.
[244] Déjà, dans l'arrêt Norsk Pacific Steamship Co., précité, la juge McLachlin écrivait[104] :
Cela ne veut pas dire que le droit civil n'impose aucune limite à l'indemnisation de la perte économique. Le mécanisme de contrôle qui permet d'éviter le préjudice illimité en droit civil réside non pas dans le genre de préjudice subi mais dans la question de savoir si, dans les faits, le préjudice est une conséquence directe, certaine et immédiate de la négligence. Il semble que cela a permis d'éviter les réclamations futiles et la menace de responsabilité illimitée. […]
[245] Les auteurs sont également d'avis qu'un moyen de pallier d'éventuels abus réside justement dans l'application rigoureuse des principes relatifs au lien de causalité :
2-190 - Conclusion - Certains, regrettant l'absence d'identité des deux systèmes, craignent une avalanche de recours. Il convient de noter cependant, d'une part, qu'il ne s'agit pas de la première divergence de solutions entre les deux systèmes, divergences qui s'avèrent d'ailleurs inévitables en raison de leurs spécificités et, d'autre part, qu'une application rigoureuse des principes relatifs au lien de causalité permet, sans nul doute, de pallier d'éventuels abus. [105]
[246] L'auteure Khoury écrit sur le même sujet[106] :
C. Causation as a Sufficient Limiting Device
More generally, one can argue that the civil law does not, ultimately, need to rely on the common law framework to restrict recovery in this area. As the French experience demonstrates, causation is a flexible enough concept to serve as a restrictive device, and in practice it has led to a marked limitation of the acceptance of such claims. This situation has arisen from the fact that causation is difficult to prove, especially in the presence of a multiplicity of faults. Moreover, the particular difficulties that the field of auditor's liability entails have rendered its demonstration more complex. Finally, the ease with which the civil law courts find an absence of causation in this area has allowed them, where a fault on the part of the auditor was found, to refuse compensation in cases where it was thought just to do so.
To reduce the subjective element involved in the courts' evaluation of the causal link, while insuring the adoption of a restrictive approach, the concept of reasonable reliance should play a role in the assessment of causality. In accordance with the «adequate causation» theory, taking this element into account can permit the courts sufficiently to isolate the cases where the fault of the auditor has played a real role in the detrimental decision of the plaintiff, and thus the realization of the loss.
(nous soulignons)
[247] Bref, il serait inapproprié d'intégrer au droit civil québécois de la responsabilité extracontractuelle des considérations générales visant à limiter ou restreindre la responsabilité des vérificateurs qui s'accordent mal avec la règle générale énoncée à l'article 1457 (et, avant le 1er janvier 1994, à l'article 1053 C.c.B.-C.).
[248] Dès qu'un vérificateur a, indépendamment du contrat le liant à son client, l'obligation d'agir de manière diligente et raisonnable envers un tiers, il convient d'analyser l'ensemble des circonstances précises de l'affaire pour déterminer si, à la lumière des principes généraux de la responsabilité civile extracontractuelle, sa conduite est fautive et si cette faute est la cause directe, certaine et immédiate du préjudice subi par ce tiers, sans qu'il soit nécessaire pour le réclamant de prouver que le vérificateur savait que son opinion lui était destinée (à lui ou à la catégorie de personnes à laquelle il appartient) et qu'elle a été utilisée aux fins pour lesquelles elle avait été conçue (à moins que le document énonce clairement, sans ambiguïté, le but pour lequel il a été préparé, ce qui n'est pas le cas ici).
La faute
[249] Outre le fait que les firmes comptables savent, ou doivent savoir, que les résultats de leurs travaux font l'objet d'une large diffusion, la juge de première instance conclut que, en l'espèce, les appelants savaient pertinemment que leurs rapports de vérification et autres opinions comptables seraient lus par des tiers investisseurs potentiels et pris en compte dans leur processus décisionnel.
[250] Il s'agit d'une conclusion factuelle bien appuyée dans la preuve et les appelants ne font pas voir d'erreur manifeste et dominante à cet égard.
[251] Les appelants étaient donc tenus à l'égard de ces tiers, dont Widdrington, à une obligation légale distincte et indépendante de leur obligation contractuelle envers Castor.
[252] La faute des appelants est établie. Les documents préparés dans le cadre des travaux de vérification et de comptabilité qu'ils ont faits étaient erronés. Les appelants ne contestent plus leur non-respect des PCGR et des NVGR dans la préparation des états financiers 1988, 1989 et 1990 de Castor et, par ricochet, dans la préparation des lettres d'évaluation des actions et des attestations Legal-for-Life. De plus, leur faute et, au premier chef, celle de Wightman, va bien au-delà du travail de vérification, elle a aussi trait aux obligations qu'ils ont assumées au fil des ans en s'impliquant dans la gouvernance de Castor et en multipliant les contacts auprès de tiers investisseurs.
[253] Ils étaient devenus - sans peut-être tout à fait s'en rendre compte - les comparses de Stolzenberg.
Le lien de causalité
[254] Il convient d'étudier cette question en fonction de chacun des trois volets de la réclamation de Widdrington :
· l'investissement du 28 décembre 1989, soit l'achat de quatre unités au coût unitaire de 282 600 $, pour un investissement total de 1 130 400 $;
· l'investissement supplémentaire du 25 octobre 1991, 292 560 $, à la suite d'une demande d'injection de capitaux formulée par Stolzenberg;
· le montant du règlement intervenu avec le syndic à la faillite de Castor le 11 mars 1998 relativement à deux poursuites intentées contre Widdrington en tant qu'administrateur, soit 1 250 000 $.
[255] Il convient également de rappeler certaines conclusions factuelles du jugement dont appel. Les états financiers vérifiés de 1988, 1989 et 1990, de même que les lettres d'évaluation des actions et les attestations Legal-for-Life ont été déterminants dans la décision de Widdrington d'investir dans Castor et d'accepter de siéger au conseil d'administration. Il était justifié de se fier aux opinions sans réserve exprimées par les appelants, une firme réputée et respectée. Il a fait ses devoirs avant d'investir dans Castor. Il était un homme d'affaires expérimenté, mais il ne connaissait pas à fond le marché de l'immobilier dans lequel oeuvrait Castor. Il a agi en investisseur raisonnable, prudent et diligent en consultant des gens d'expérience. Or, sur la foi des documents préparés par les appelants, tous étaient éblouis par les performances spectaculaires de Castor. Finalement, la juge de première instance conclut que Widdrington n'a commis aucune faute contributive et qu'il n'a pas manqué à ses devoirs d'administrateur.
[256] Les appelants reprochent à la juge de n'avoir fait aucune distinction entre les différents investissements de Widdrington dans Castor, en 1989 et 1991, lorsqu'elle a déterminé s'il pouvait raisonnablement se fier aux représentations de Coopers et si, dans les faits, il s'était fié à ces représentations.
[257] Voyons ce qu'il en est.
i) L'investissement du 28 décembre 1989
[258] Les appelants rappellent que Widdrington était un investisseur sophistiqué et qu'il avait accès aux services de conseillers chevronnés pour prendre ses décisions d'affaires. La juge aurait erré en concluant que Widdrington était un homme d'affaires expérimenté, mais qu'il ne pouvait être qualifié d'investisseur sophistiqué dans le domaine d'activités dans lequel oeuvrait Castor. Ce raisonnement serait erroné : soit une personne est un investisseur sophistiqué, soit elle ne l'est pas. Or, en tant qu'homme d'affaires expérimenté, Widdrington avait le devoir de recueillir toutes les informations nécessaires à une prise de décision éclairée, et ce, peu importe le domaine d'activités de l'entreprise dans laquelle il entendait investir. De toute manière, la preuve aurait révélé que Widdrington avait de l'expérience en matière immobilière, puisqu'il aurait siégé comme administrateur de nombreuses sociétés œuvrant dans ce domaine.
[259] Les appelants ajoutent que le seul fait que Widdrington ait eu recours aux services de conseillers ne suffit pas pour conclure qu'il a agi avec prudence et diligence. Encore aurait-il fallu qu'il suive leurs conseils, ce qui ne serait pas le cas :
o Prikopa lui proposait d'acheter au maximum trois unités, … il en a acheté quatre;
o Prikopa l'avisait que les informations financières disponibles étaient insuffisantes pour évaluer une série de risques, … or il n'a pas cherché à obtenir de la documentation supplémentaire pour répondre aux questionnements de son conseiller (identité des clients de Castor, qualité et diversification des prêts, etc.);
[260] En fait, soutiennent les appelants, lorsqu'il a décidé d'investir en 1989, Widdrington ne disposait que des états financiers vérifiés de 1988. Il n'était pas raisonnable qu'il s'y fie outre mesure, puisqu'ils dataient de près d'un an, un délai considérable dans le cas d'une entreprise œuvrant dans le domaine très volatile des prêts immobiliers. Et, quant à la lettre d'évaluation des actions du 17 octobre 1989, elle ne présentait pas un degré de fiabilité suffisant puisqu'elle était basée sur des états financiers partiels non vérifiés par les professionnels de Coopers.
[261] En somme, plaident les appelants, malgré qu'il soit un investisseur sophistiqué, Widdrington a fait preuve de laxisme et il est impossible de conclure que, dans les circonstances, il a agi de manière raisonnable et prudente en se fiant aux opinions comptables de Coopers sans chercher à obtenir des informations supplémentaires sur les activités de Castor. Contrairement à la conclusion de la première juge, tout porte à croire que les opinions de Coopers n'ont pas été déterminantes dans sa décision d'investir dans Castor.
[262] L'intimée souligne que la causalité est une question de fait qui appelle à la déférence de la Cour.
[263] Elle souligne également que la causalité n'a pas à être établie en fonction de représentations trompeuses précises. Le demandeur n'a qu'à prouver qu'il s'est fié sur une opinion contenant des représentations erronées pour prendre une décision et qu'il a subi un préjudice, sans qu'il soit nécessaire d'identifier précisément les représentations qui ont influé sur sa décision. Il n'était pas non plus nécessaire que Widdrington démontre que les représentations de Coopers dans les états financiers vérifiés, les lettres d'évaluation des actions et les attestations Legal-for-Life constituaient l'unique raison l'ayant motivé à investir dans Castor. Bref, il n'avait qu'à prouver que la négligence de Coopers était la cause directe et immédiate de son préjudice.
[264] Lorsqu'il a investi dans Castor en décembre 1989, Widdrington avait en main les états financiers vérifiés de l'année 1988, le bilan vérifié des années 1984 à 1988, la lettre d'évaluation des actions du 17 octobre 1989 et les états financiers intérimaires non vérifiés en date du 30 septembre 1989. Cette documentation démontrait que Castor était hautement profitable et que son rendement ne cessait de croître année après année. Les conseillers qu'il a consultés, Wood, Prikopa et Taylor, étaient unanimement d'avis que l'entreprise présentait des résultats spectaculaires.
[265] Il a pris sa décision d'investir dans Castor au terme d'une enquête suffisamment poussée sur les affaires de la société. Il a passé en revue toute la documentation, ligne par ligne, avec Prikopa, lequel lui a indiqué les risques associés à un investissement dans Castor. Il s'est renseigné auprès de Wood sur la qualité des professionnels affectés aux vérifications des états financiers de Castor. Prikopa et Wood ont eu une conversation téléphonique avec Stolzenberg, notamment au sujet de la qualité et de la diversification des investisseurs de Castor. Ce dernier leur a fourni plus tard de la documentation à ce sujet, laquelle concordait avec ses propos. D'autres discussions ont également eu lieu entre Prikopa et des représentants de Castor. Il a reçu la convention unanime des actionnaires et il l'a consultée.
[266] L'intimée passe finalement en revue toute la preuve qui, à son avis, démontre que Widdrington a agi avec prudence et diligence avant son investissement de 1989 et que l'on ne saurait lui reprocher de ne pas en avoir fait plus. Tous ses conseillers, bien qu'ils aient identifié certains risques, étaient unanimement d'avis que l'investissement valait le coup, ce qui n'aurait pas été le cas si les états financiers vérifiés et les lettres d'évaluation des actions avaient été préparés correctement et s'ils avaient reflété la réalité financière de Castor.
L'analyse
[267] Contrairement à ce que prétendent les appelants, les questions de la causalité et de la raisonnabilité des démarches effectuées par Widdrington sont des questions de fait, ou au mieux des questions mixtes au fort contenu factuel.
[268] Dans ces circonstances, la déférence est de mise.
[269] Il convient à cet égard de rappeler les propos de la Cour dans l'arrêt Regroupement des CHSLD Christ-Roy[107] :
[55] Lorsqu’une preuve de quelque complexité prête à interprétation et requiert de la part du juge de première instance l’appréciation individuelle puis globale de multiples éléments, dont certains sont divergents ou contradictoires, il ne suffit pas de sélectionner aux fins du pourvoi tout ce qui aurait pu être interprété différemment, à l’exclusion de tout le reste, afin de réitérer une thèse déjà tenue pour non fondée par le juge qui a entendu le procès. Une erreur dans la détermination d’un fait litigieux n’est manifeste que si son caractère évident ou flagrant se dégage avec netteté du ré-examen de la partie pertinente de la preuve et qu’une conclusion différente sur ce fait litigieux s’impose dès lors à l’esprit. Une erreur n’est déterminante que si elle prive le jugement entrepris d’une assise nécessaire en fait, faussant ainsi le dispositif de la décision rendue en première instance et commandant réformation de ce dispositif pour cette raison. […]
[270] En outre, comme le rappelle l'intimée, la déférence n'est pas moindre du fait que la juge de première instance a rendu jugement sur la foi des transcriptions des témoignages rendus devant le juge Carrière. Cette proposition des appelants n'a jamais reçu l'aval de la Cour, comme celle-ci le rappelait dans l'arrêt Lafond[108]:
Essentiellement, les appelants s'en prennent à l'évaluation de la preuve faite par le juge de première instance. Même si celui-ci a rendu le jugement attaqué sur la foi des transcriptions et des plaidoiries devant lui, à la suite de la récusation de la juge ayant présidé l'enquête, la Cour ne peut intervenir que sur démonstration d'une erreur manifeste et dominante. En effet, le juge qui a prononcé le jugement jouit de la même déférence que le juge qui entend la preuve et les plaidoiries, puis rend jugement (St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 507-508; Cooke c. Suite [1995] R.J.Q. 2765, 2771 (C.A.)). Comme le souligne la Cour suprême du Canada dans l'arrêt H.L. c. Canada (P.G.), 2005 CSC 251, une cour d'appel ne peut substituer à l'inférence raisonnable retenue par le juge de première instance sa propre inférence.
[271] Cela dit, il n'y a pas lieu de remettre en question les conclusions de la première juge en ce qui a trait à la raisonnabilité des efforts déployés par Widdrington pour jauger les risques liés à son investissement de 1989 et à la causalité entre les fautes commises par Coopers et les pertes liées à cet investissement.
[272] Premièrement, s'il est vrai que Widdrington doit être qualifié d'investisseur sophistiqué, cela ne fait aucun doute considérant son parcours professionnel, il est faux de prétendre qu'il n'a pas agi avec prudence et diligence.
[273] Les appelants prétendent que le seul fait qu'il ait eu recours aux conseils de Prikopa, Taylor et Wood ne suffit pas pour conclure qu'il a fait preuve de prudence et de diligence. Encore fallait-il qu'il suive leurs conseils, notamment en ce qui trait aux risques liés à l'investissement et aux informations supplémentaires qu'il devait obtenir, ce qu'il n'a pas fait parce qu'il éprouvait une confiance aveugle en Stolzenberg.
[274] Il est vrai que Widdrington était impressionné par Stolzenberg. Il l'a répété à quelques reprises durant son interrogatoire avant défense et au procès. Il le décrit comme un homme d'affaires énergique et un bon vendeur. Toutefois, il a bien pris soin de préciser qu'il n'aurait pas investi dans Castor sur la seule foi des représentations de Stolzenberg et de son impression favorable de ce dernier :
So I had seen something of Wolfgang, I had some idea of his, of his personal life, not very much, really, and so I had a generally favourable impression of him, otherwise I would not have moved ahead, among other reasons, but I would have not have moved ahead with the investment if that's all I was going on was Wolfgang Stolzenberg.
If that's all I had to deal with, I don't think I would have, I would have done that. But fortunately, at that point in time, I had a lot of other information that would help me make that decision.
[275] Il expliquera ensuite que sa confiance en Stolzenberg constituait un facteur dans sa prise de décision, mais que ce sont surtout les documents d'ordre financier (soit les états consolidés vérifiés de 1988, le bilan pour les années 1984 à 1988 et la lettre d'évaluation des actions du 17 octobre 1989) qu'il a révisés avec Prikopa qui ont dicté sa décision :
But the core of the whole thing, the core of the whole thing were the financial numbers, the audited numbers, the audited statements from Coopers & Lybrand, the share valuation letter from Coopers & Lybrand on their stationary, that was the supporting, supporting documentation of the whole exercise. I'm sorry if I took too much time but I wanted to emphasize to you that I didn't go into this thing under-gunned.
[276] Il le répétera en contre-interrogatoire :
In this package that I received, there were two documents in there that I considered more important than other documents. One was the valuation letter, because if I'm going to invest a million one in a company, I don't want to be in the dark as to how much the shares of those companies are worth for any length of time. So I'm going to want some kind of valuation process that I can refer to. The other thing is the financial statements, and if I could for a moment, I'm going to try and draw something here which I'll try and bring you along in my explanation of what I've got here.
[277] Dans le même ordre d'idée, notons que Taylor, qui a rencontré Stolzenberg en 1986, avait également été impressionné par ce dernier. Il affirme toutefois que, malgré cette impression favorable, jamais il ne conseillerait un investissement en l'absence d'états financiers vérifiés :
A. Well, had he [Stolzenberg] come in with the kind of material that he left with me at that meeting that had not been audited in a private company, it simply would not have been considered, full stop. I mean, there'd be no consideration, the information wouldn't have had, frankly, any credibility.
Q. And why is that?
A. Well, without the third-party independent audit review, without the clean audit certificate, how could you place any confidence in the kind of financial information that he provided? I mean, it just wasn't, it wasn't something that we would consider an investment in under any circumstances without audit.
[278] Dans ce contexte, on ne saurait reprocher à la juge de première instance d'avoir conclu que les états financiers vérifiés et la lettre d'évaluation des actions constituent les éléments clés de la décision de Widdrington[109].
[279] Les appelants plaident ensuite que les états financiers vérifiés de 1988 étaient, au moment de la prise de décision en décembre 1989, trop lointains pour être fiables. Certes, il ne s'agissait pas de l'information la plus fraîche qui soit. Il s'agissait néanmoins des états vérifiés les plus récents disponibles à l'époque. Prikopa et Taylor, dont tous reconnaissent la compétence dans le domaine financier, jugeaient les informations contenues dans ces états vérifiés, de même que dans les bilans des années 1984 à 1988, de la plus haute importance, surtout parce qu'elles démontraient le succès phénoménal et la croissance soutenue de Castor au fil des ans, ce qui était rassurant pour l'avenir.
[280] Prikopa a témoigné :
o De l'importance des états vérifiés signés par une firme de renom telle Coopers :
A. The significance was that I see here that it's from Coopers & Lybrand, as I had recalled earlier that Coopers & Lybrand were the auditors of Castor for all the years back when I had seen it in 1986, and that we have here a clean unqualified audit opinion from Coopers & Lybrand, who are one of the, you know, I had a lot of respect for the big five accounting firms in Canada, and Coopers & Lybrand was one of the big five, a sterling reputation.
[…]
So it gave me a bit of comfort that here we have a clean audit opinion from Coopers & Lybrand on the Castor financial statements of 1988.
o Des résultats phénoménaux révélés par les états vérifiés de 1988 :
Now, by any measure a company that shows that kind of a growth situation is a remarkable — a company with obviously a very good financial track record here.
[…]
So all in all, without taking too much time about the details, it demonstrated this was clearly a very successful year for Castor, 1988, to have achieved that kind of growth and profitability.
o De l'impressionnante feuille de route de Castor, selon les états vérifiés de 1984 à 1988 :
So, it was a very nice long extended time frame to be able to look at Castor's performance history and what the company was projecting on a go-forward basis. And it looks very, very positive.
[281] Prikopa avait tenu des propos semblables lors de son interrogatoire au préalable :
Q. And was there any information that came to your attention in December eighty-nine ('89) which would provided you with some comfort as to either the stability of Castor's business or its prospects for the future?
A. Yes. The financial history of the company, the steady progression, a consistent performance track record, it wasn't sporadic, up one year and down the next, it showed a very steady progression, solid financial ratios, an unqualified audit opinion from one of the major accounting firms in the country who had then clearly not ... had been auditors for some time to this company […]
[282] Taylor était du même avis :
Well, it disclosed in a very clear way that Castor's performance, their stellar performance had continued, and certainly was continuing in the stub period, the nine-month period, and that the financial condition of the company and its financial performance over a lengthy period of time, as evidenced by the audited statements which were unqualified, that the performance was simply outstanding.
And if you take note of the year-over-year improvement in both earnings and the increase in the asset base, it's quite astounding, and in fact, at the time, I can recall chiding Mr. Prikopa over the performance of our own pension fund which was nowhere close to this. And so, you know, the solid and continuum that these statements evidenced was simply outstanding. I don't know how else to describe it.
And, you know, the Notes to the audited financial statements were clean, there were certainly no indication of any kind of issue with the underlying securities, there was good matching of the assets and liabilities. And, you know, one would certainly expect and assume from a review of these financials that this was a very solid company. And that certainly was my overall impression. You know, in addition, in addition of course, there was a valuation, which I don't think I have here...
[283] Il serait erroné de tenir rigueur à Widdrington de l'usage que lui et ses conseillers ont fait des états financiers de 1988, surtout, faut-il le rappeler, qu'il s'agissait des états financiers vérifiés les plus récents disponibles au moment de l'investissement de décembre 1989.
[284] Il était tout à fait raisonnable de conclure que les résultats des cinq dernières années laissaient entrevoir un avenir prometteur, comme l'a par ailleurs relevé l'expert Lowenstein (pour l'intimée) dans son rapport: « Investors were entitled to examine and be positively influenced by this significant track record ».
[285] Le rapport de l'expert Jarislowsky (toujours pour l'intimée) est au même effet : « I believe that any individual investor, basing himself on the audited results and on the share valuation letter, would have concluded that this was a sound operation ».
[286] Les appelants reprochent également à Widdrington d'avoir accordé trop d'importance à la lettre d'évaluation des actions du 17 octobre 1989, laquelle n'était pas fondée sur des états vérifiés par Coopers, mais uniquement sur les états financiers intérimaires en date du 30 septembre 1989 et les représentations de la direction de Castor. Ce document n'avait pas, selon les appelants, le degré de fiabilité requis dans le contexte de l'investissement substantiel envisagé et un investisseur sophistiqué n'y aurait pas accordé trop d'attention.
[287] Nous sommes d'avis qu'il s'agit là d'un portrait très réducteur de l'utilité des lettres d'évaluation des actions et de l'usage qui pouvait en être fait.
[288] Les circonstances dans lesquelles ces lettres étaient préparées et les informations qu'elles contenaient ont été jugées très importantes par Prikopa et Taylor, des gens versés en matière de finances.
[289] En ce qui a trait aux circonstances, notons que, dans le paragraphe introductif de la lettre d'évaluation du 17 octobre 1989, les appelants se présentent comme les vérificateurs de Castor et l'on comprend que ce n'est pas la première fois qu'ils procèdent à une telle évaluation :
Dear Sir:
You have asked us as auditors and professional accountants to assist you in establishing the fair market value of the common shares of Castor Holdings Ltd. (Castor) on or about October 1, 1989. The purpose of this valuation is to update previous letters relating to valuations of shares of Castor prepared at various dates and for the information of the directors.
[290] Widdrington et Prikopa ont affirmé que la lettre avait une importance particulière dans le cadre d'un investissement dans Castor, puisque, la compagnie n'étant pas publique, il s'avérait impossible de connaître autrement la véritable valeur de ses actions. Le fait que l'évaluation ait été préparée par les vérificateurs de l'entreprise a grandement impressionné Prikopa, comme en témoigne cet extrait de sa déposition:
Q. Did you view this as a positive or a negative to see the valuation letter being done by the auditor of the company?
A. I saw it as very much a positive because street analysts analyzing public companies with a view to expressing an opinion on the share value and the fair target for those shares have to very much rely on information available only from an external basis and you try to get information from management but it would be management representations without having any access to more inside sources of information of the company.
So they have to take management's word basically for how the company is doing and what the company is planning to do and then set valuations with somewhat limited knowledge of the company's books and its book of business.
A lot of guesswork, a lot of judgment involved without having really the kind of access that most analysts would dearly love to have. However, they do their job based on information that they can get.
Now here's a situation where Coopers & Lybrand, who clearly have been the long-term auditors of Castor and have intimate knowledge of the book of business, had to have intimate knowledge of the book of business, in my view, because they were the auditors and would regularly do their annual audits, which required testing of the book of accounts, testing the mortgage portfolio, where their major material dollars were tied up, testing the credit quality of where the money was being lent to, the underlying collateral situation, testing the interest that was being earned on any of these investments.
I mean, that's all, from my understanding, it's all part of the normal audit work that the auditors would do, as well as reviewing interim results of the company to have an understanding of where the company is at any given time in order to be able to express updated valuations on the company.
(nous soulignons)
[291] Bref, l'évaluation est faite par une firme comptable qui connaît intimement les affaires de Castor.
[292] Dans ces circonstances, il apparaît raisonnable qu'un investisseur y accorde une attention toute particulière.
[293] L'expert Lowenstein a d'ailleurs témoigné en ce sens :
So when I looked at this, this letter, and when I saw that they were acting in their capacity as auditors and professional accountants, and then when I went to the bottom of page 1 where it said:
"We reviewed the audited consolidated financial statements of Castor for the five years ended December 31, 1988 and the internal unaudited consolidated financial statements of Castor for the nine months ended September 30, 1989."
I said to myself, well, why would they, as auditors, say that they went back and reviewed the statements for five years. If this was just, if this letter was just signed by the audit partner and he's been issuing a series of valuation letters, some 22 or 23 by this time, I guess, and he's been doing it almost semi-annually, it implied to me the possibility, and this is surmised, but the possibility, and I think this is important for a third-party reader, such as Mr. Widdrington, who would have read this letter and relied upon it, that indeed it is possible that the valuation department of Coopers & Lybrand had been part or this valuation process. So that was important, it was an important item.
[294] L'expert Jarislowsky également :
Q. Over your fifty-year career, would you indicate whether you recall ever seeing a valuation report such as the report forming part of Exhibit PW-10 issued by the auditor of the company?
A. Very, very rarely, but in some of the private companies I have seen it, because in a private company sometimes new money is required and an authoritative statement has to be issued and the auditor is the person who is the most familiar with every aspect of the statement because it's the auditor's job clearly for the shareholders to make sure that these statements are accurate and that people can rely on them.
Q. As an analyst, what value would you ascribe to a valuation letter issued by the auditor of the company that you're assessing?
A. I would assume that he has done the job extremely carefully to come to that kind of a conclusion and that he has examined every aspect of the corporation that is required in order to make a valuation statement.
(nous soulignons)
[295] Il convient également de souligner que, contrairement à ce que laissent entendre les appelants, l'évaluation n'était pas fondée uniquement sur les états intérimaires non vérifiés en date du 30 septembre 1989, mais également sur les états vérifiés des cinq années précédentes et sur des discussions avec la direction :
SCOPE OF INVESTIGATION
We have referred to our letter of March 9, 1989 and our previous letters relating to valuations of the shares of Castor at various dates. We reviewed the audited consolidated financial statements of Castor for the five years ended December 31, 1988 and the internal unaudited consolidated financial statements of Castor for the nine months ended September 30, 1989.
Also, we have discussed with officials the current make-up of the assets and liabilities and the estimated earnings for 1989.
[296] En ce qui a trait au contenu, ce n'est pas tant la valeur marchande des actions qui a intéressé Widdrington, Prikopa et Taylor, mais plutôt la différence entre leur valeur comptable (« aux livres ») et leur valeur marchande estimée.
[297] Prikopa a bien expliqué pourquoi cet écart était significatif :
I then looked at the final page of the opinion on the next page, page 6, and I see that Coopers & Lybrand are saying:
"In our opinion, the fair market value of the common shares of Castor, on or about October 1989, is in a range of $525 to $550 per share."
What that tells me is that Coopers & Lybrand are saying that this company deserves a very substantial premium over its book value per share because of its solid asset base and its solid earnings performance, not only to earnings performance historically up to this point but in fact the earnings performance on a go-forward basis, because that's the only way you can support assigning a major premium of approximately 55% over the book value of the shares. There had to be full confidence that the premium earnings performance of Castor which had been demonstrated up until this point would, could reasonably be expected to continue for the foreseeable future.
(nous soulignons)
[298] Et il poursuit :
Q. Mr. Prikopa, putting yourself back to December of 1989, what significance, if any, did that premium demonstrate to you?
A. It demonstrated to me the significance that the auditors had to have substantial confidence in Castor's ability to deliver ongoing premium earnings performance in order to justify assigning that kind of a premium over the book value, which in fact was consistent with where you would value major Canadian public trust companies. So it's a strong endorsement of the auditors who are in the best position to know the book of business of this company, and therefore, have to be in the best position to assess what the common equity is worth and to assign that kind of a premium is a very, very strong endorsement.
(nous soulignons)
[299] Taylor voyait l'affaire du même oeil :
There was a valuation of the company which, you know, makes clear reference to the audited financial statements and the stub period, it is an unqualified valuation and it is substantially above the book value of the company whose assets were primarily monetary.
So, you know, one could not help but come to the conclusion that this was a very, very solid company with stellar performance.
(nous soulignons)
[300] Le témoignage de Widdrington est au même effet :
Q. Mr. Widdrington, would you indicate to the Court at the time that you reviewed that valuation letter what your understanding was as to the difference between the book value per share reported in the letter and the fair market value per share reported in the letter.
A. The difference between the two numbers, the fair market share and the book value, was basically the premium that you paid for the stock or that someone would pay for the stock. And it would be, in this case, back in October 17th, 1989 or December of 1989 I would have been paying $355 — or I would have been paying $550 per share and the book value would have been $355, roughly, $355 per share. So that premium would have been in the neighbourhood of $200.
Q. And what was your understanding of what that premium consisted of?
A. Well, this, the premium consisted of the success really — relates to the success that the company's had over the years in the sense that the valuation they're putting on the shares reflects that they've been very, very successful and this is a stock that is a valuable stock, it's worthwhile paying the premium to get it. And you can see that the track record of the stock has been very, very impressive.
[…]
A. Well, my reaction at the time was it's a pretty rich premium, on the other hand, the company has had good success, it's had a very successful track record, and if you're going to buy something of value you're going to pay for it. And quite often you can get, you can get hurt, and this is a side point, you can get hurt by trying to buy things on the cheap or buy things at a discount when you find out they really are at a discount. This one was a premium stock, this was a good stock that has performed very well and you were going to pay a premium for it.
[301] En somme, la lettre d'évaluation du 17 octobre 1989 confirmait le succès soutenu de Castor, tel que déjà établi par les états financiers vérifiés de 1988 et par le bilan des années 1984 à 1988.
[302] Elle témoignait également de la confiance qu'éprouvait Coopers envers la direction de l'entreprise, entreprise dont elle connaissait intimement les rouages.
[303] Dans ce contexte, l'écart entre la valeur aux livres de l'action et sa juste valeur marchande témoignait de la santé financière de Castor et de sa capacité de générer des gains futurs. De plus, comme le soulignaient les experts Lowenstein et Jarislowsky dans leurs rapports et au procès, rien ne justifiait de remettre en doute le travail d'évaluation effectué par Coopers, les vérificateurs de longue date de l'entreprise.
[304] Il reste à déterminer si Widdrington avait l'obligation d'obtenir de l'information supplémentaire et si, comme le prétendent les appelants, il a omis de suivre l'avis de ses conseillers.
[305] À l'instar de la juge de première instance, nous répondons à ces questions par la négative.
[306] Tant Prikopa que Taylor ont été impressionnés par les résultats de Castor, tels que confirmés par les opinions de Coopers, et tous deux ont jugé qu'il s'agissait d'un investissement relativement sûr et prudent. Ils estimaient tous les deux avoir suffisamment d'information pour conseiller adéquatement Widdrington d'aller de l'avant.
[307] Dans son mémo du 15 décembre 1989, Prikopa relève certains risques et fait part à Widdrington de quelques-unes de ses préoccupations :
Risk Factors / Possible Concerns
1. A $1 million investment is of substantial size relative to your portfolio and will be totally locked in - no provision for exit - money will be totally at risk of business- pay back only from long run earnings .
2. Business is doing very well but greatly sensitive to financial market conditions - i.e. interest rates. exchange. etc . - and particularly ability to continue to make strong spreads of between loans placed and cost of borrowed money. Major risk always spreads and quality of loans made. i.e. risk of loan loss.
3. What is the quality of present loan assets? How good are they - are there any shaky loans in portfolio?
4. Much of money invested in mortgages. etc .- matures in 1990 and 1991 (close to 851) - will company be able to redeploy these monies (about $1.1 billion) back into market with the same good spreads?
5. How well do you know the management and how the company conducts its business - the material or financial statements don't tell about that:
- Where is most of money employed - America, I guess?
- Where is most of borrowed money sourced from - from Europe maybe?
- What is the average quality of loans made - I assume they operate in the higher rate higher risk loan market - the 13 % average rate earned and 3% spread suggests higher loan risk.
- How does company deal with exchange factor in business? Is it hedged as a risk or used as a bet to take money on it?
- What are company's long run plans on leverage? Will it be maintained at present level?
- How well does management and board work together- Is it a close knit group network? Is much of the business generated through this network?
- What is the level of integrity brought to business deals?
6. Do you trust management and have total confidence that this group will run a successful business for years to come? At present cash return, you will need to count on at least 5 to 10 years of business success to get your money back.
[308] Lors de son témoignage, il relativisait toutefois la portée de ce mémo :
o En tant qu'investisseur, Widdrington n'avait pas à connaître l'identité des clients de Castor, bien que cette information était « nice to know »;
o Rien dans les états financiers vérifiés et dans la lettre d'évaluation ne permettait de croire à l'existence de mauvais prêts ou de créances douteuses. Il s'agissait plutôt d'éléments que Widdrington serait appelé à surveiller s'il décidait de s'impliquer activement dans Castor :
A. I just wanted to flag for Peter that that is something to always, if he was going to be involved with Castor, it was something to have some awareness that that's one of the key things about managing the kind of business that Castor was, that one had to have an awareness of the — and have a heads-up about the quality of the present loan assets.
It's not saying that there's any problem there now, but it's just a matter of being alert to the fact that those are the kinds of things you would want to have in the back of your mind at all times when you look at a company like Castor.
How good are the assets, are there any shaky loans in the portfolio? That was a question mark, because as I had looked through the financials, the audited financial statements as well as the valuation letters from the auditors, there had been absolutely no reference to any loan loss provisions or any bad loan experience by Castor, which was, on the one hand, an absolute wonderful plus that it was clearly a company who had managed to manoeuvre through the challenging 1980's and had not run into any loan difficulties.
o Les « soft factors » dont il fait état dans son mémo sont plus difficiles à jauger que les « hard factors » révélés par la documentation de nature comptable et les réponses viendront au fil du temps :
A. Well, the soft factors are outside of the sort of strictly hard information about the fact that the company has a sterling financial record, you know, a good, very strong balance sheet.
The hard factors have to do with the financial performance, the audited financial statements, the valuation report from Coopers, the nine-month results for the, you know, current 1989 year to the end of September, you know, those were things you can measure, you can see how well Castor had done basedon audited financial statements and up-to-date valuation reports from Coopers & Lybrand.
The softer factors deal with an assessment on a sort of go-forward basis. Here we are at this point going, you know, if Peter decides to go ahead with this investment, there are certain dynamics about this business that are hard to gauge, they don't show up in the current financial position of the company on a go-forward basis, how the business will be managed, how the portfolio will be managed.
[…]
Just a whole host of things that you kind of want to have as part of your overall consideration as you're approaching an investment.
o Les « hard factors » sont primordiaux en matière d'investissement :
I mean, what we were looking at was an absolutely outstanding financial performance track record of a company, and while I had developed a list of questions, you know, listing some softer factors like risk considerations, there was no question that looking strictly at the harder things, the harder factors that you really make a decision on, the financials, this was an outstanding company, based on how the numbers were presented is all I can say.
We know after the fact that things looked different from today's perspective, but as things were shown in the financial statements, there was no question in our mind, as we looked at this, that this was a very promising opportunity to be involved with a very highly profitable dynamic company.
o Contrairement à son habitude, Widdrington a pris le temps de réviser la documentation financière ligne par ligne;
o L'investissement lui est toujours apparu relativement sûr et prudent;
o Widdrington disposait de toute la documentation nécessaire pour prendre une décision éclairée :
A. It relates to the same items, but in December '89 I wasn't looking specifically for that information, I wanted to simply flag those are the kinds of dynamics involved in the business, you know, for Mr. Widdrington to have an awareness of it.
I wasn't looking for the information, we had very good — we had all the information we needed in December '89 of evaluating the investment that Peter was considering. We had audited financial statements for five years running, we had interim statements up to September 1989, we had, you know, the gold standard, if I may call it, of a valuation report by the very same people who were the auditors for the company.
So, in December '89, all those reports, the financial history of the company, the valuation report, were all unilaterally supportive of the sterling financial record of this company and we had all the information we needed at that time about making the investment. What my memo was trying to do is simply flag...
[…]
As I said, I wasn't looking for this information, I was simply trying to flag for Mr. Widdrington the dynamics of the business and what would be the possible risk factors.
[…]
Q. Well, you said that he needed to be alert to this information in his capacity as a director for ongoing Board meetings. Do you make a distinction between what a director needs to know, on the one hand, and what a shareholder needs to know?
A. I do make a distinction to that, yes.
Q. What is that distinction?
A. I'm not an expert on defining what a director needs to know, but in my role of trying to be useful to Peter, I did want to flag for him what I thought were salient points about the business that he would be — that would be useful for him to know as a director.
They are not things that you need to know as an investor. I mean, as an investor, we had all the information that we did, you know, that was needed to make the decision. We had the, as I said before, we had the audited financial statements, we had valuation reports from Coopers & Lybrand, all the information was there that looked very, very good.
And to make any inquiries about the mortgage portfolio, you know, it wouldn't have been essential for the purpose of an investment, because you don't have that kind of information when you're looking at making an investment in any other company. […]
(nous soulignons)
[309] En ce qui a trait à la question de l'achat de trois unités plutôt que quatre, Prikopa a confirmé préférer un investissement dans trois unités, sauf si cela était insuffisant pour que Widdrington devienne administrateur de Castor. De toute manière, même avec quatre unités, l'investissement demeurait dans des limites prudentes et raisonnables :
Q. Would you agree with me if I were to suggest to you that at the time a 20% investment in one single entity was a very large proportion of his portfolio?
A. I would agree, and that is why in my added financial schedule that I provided for Peter when I was doing the analysis of three units versus four units, which you may recall as part of the exhibits, my preference was to lean and suggest to go for the three units, unless four units were required to obtain the Board position.
So, as a financial — from a financial point of view, diversification is certainly important and Peter was aware of that as well. But a $1,000,000 investment in the context of what Peter wanted to achieve with his portfolio was still within reasonable limits.
(nous soulignons)
[310] Il faut souligner que Widdrington désirait devenir administrateur pour être proche de son investissement.
[311] Finalement, au sujet de la préoccupation relative à la liquidité de l'investissement et à la difficulté de « sortir » de Castor puisqu'il s'agissait d'une société fermée, rappelons que Widdrington en était parfaitement conscient, sauf qu'il voyait son investissement dans cette entreprise comme un investissement à long terme.
[312] Taylor était encore plus confiant que Prikopa :
o Tout investissement comporte des risques. À la lumière de la documentation qu'il a révisée et du succès exceptionnel de Castor, l'investissement lui est apparu peu risqué :
A. You know, clearly there's a risk in any investment, but I felt that the risk profile in this circumstance was very low. The financial statements for ten years running had shown outstanding performance, there had been no indication at any time in the period of audited financial statements that we reviewed where there had been any indication of problems with any of the underlying credit.
(nous soulignons)
o Castor paraissait être une compagnie très solide, et c'est ce qu'il a dit à Widdrington :
And we discussed the possibility of his making a substantial investment in Castor. He asked me, you know, for my opinion, I certainly gave him the opinion I've just described to the Court, that it looked as though this company was an extremely solid company.
o Au sujet du mémo de Prikopa, et en particulier des risques et des préoccupations soulevés par ce dernier, il estime qu'il s'agissait de risques normaux, communs à la majorité des sociétés. Par contre, les résultats de Castor ne présentaient aucun signe d'inquiétude;
[313] Après avoir passé en revue les éléments relevés par Prikopa dans son mémo, il conclut qu'aucun de ceux-ci n'était suffisant pour qu'il conseille à Widdrington de ne pas investir dans Castor :
So, you know, I don't think that any of these six issues were large enough issues for me to say to Peter, "I think you should have serious second thoughts about this investment".
[314] Taylor a également conseillé à Widdrington d'investir dans 4 unités, puisque cela lui permettrait de siéger comme administrateur de Castor et d'exercer un certain contrôle sur son investissement à long terme.
[315] Considérant cette preuve il est difficile de conclure, comme le plaident les appelants, que Widdrington a fait fi des risques, qu'il a fait à sa tête et qu'il n'a pas tenté d'obtenir l'information nécessaire pour agir en investisseur raisonnable et diligent.
[316] Pour toutes ces raisons, les appelants ne réussissent pas à nous convaincre que la juge a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que Widdrington avait agi en investisseur prudent et diligent et que les opinions fournies par Coopers concernant la situation financière de Castor avaient eu un impact déterminant sur sa décision d'investir dans l'entreprise. Le lien de causalité entre la faute des appelants et le préjudice subi par Widdrington à la suite de cet investissement est clairement établi.
ii) L'investissement du 25 octobre 1991
[317] Ce second investissement de Widdrington résulte de l'exhortation de Stolzenberg auprès des actionnaires et administrateurs de Castor pour qu'ils injectent des capitaux dans la société afin, expliquait-il, que l'entreprise puisse traverser la crise qui sévissait alors dans le marché immobilier en raison du ralentissement économique.
[318] Voici le texte de sa lettre du 25 septembre 1991 à Widdrington :
Dear Mr. Widdrington,
Attached please find the interim financial statements as at June 30, 1991 . As you can see, the result was satisfactory, particularly when one considers the difficult environment in which we are currently operating. In addition, lower interest rate levels reduce the earnings on our capital, thus impacting our performance. Nevertheless we are confident that, with the economy appearing to show some signs of recovery, the worst of the current recession is behind us and results for the second half of this year should reflect this.
During the past 12 months the banks in North America as well as in Europe have undergone a tremendous change in attitude towards the refinancing of real estate and real estate related activities. Despite our sterling performance we have not been able to protect ourselves from this credit tightening, exhibited not so much by cutbacks in facilities, but more by the imposition of more stringent credit analyses, higher equity requirements and a lack of enthusiasm for increasing credit facilities from current levels. on top of this the substantial revaluation of the dollar against the European currencies since the beginning of this year has required a higher volume of deposits just to maintain an unchanged value of dollar denominated loans.
In response to these developments, and to show strength to the banks and our outside investors, it is imperative that we bolster the equity and/or long term funding base. To provide potential investors with the most flexibility, it is our intention to make an offer for issuance of new capital, either by way of a direct capital subscription (in units as in the past), or by way of subordinated debentures, with warrants to purchase units of Castor equity at a future date.
The attached Tera Sheets outline the terms and conditions applicable to each alternative.
Also attached is the Coopers Lybrand valuation letter dated March 6, 1991 establishing a current fair market value of $580 to each common share of castor. Based on this valuation, the proposed subscription price for common shares is $580.
The interest rate on the convertible debentures has been set at 10 ½ % p.a. and the dividend rate on the preferred shares remains unchanged at 8%. With a current dividend rate of $40 per share, the total cash yield is almost 8. We are confident that the value of castor shares will continue to grow and this, together with the yield, makes the proposed investment most attractive.
Allocations for the new subscriptions have been made with a view to allowing each shareholder to maintain their existing percentage interest. A minimum of one unit has been calculated and the amount of the suggested investment is shown in the attached schedule. We ask you to kindly inform us as soon as possible of the amount of your investment. The subscription forms are attached and payment should be made prior to October 31, 1991.
The Board of Directors and I welcome your participation in the 1991 capital increase and we look forward to your positive response. With your help, and with this additional capital, we will show strength to our outside supporters and ensure the continued growth and success of your company. I will contact you in the near future to discuss this important matter with you personally.
[319] L'investissement additionnel requis de Widdrington s'élevait à 292 560 $.
[320] Stolzenberg avait joint à son envoi du 25 septembre 1991 la lettre préparée par les appelants en date du 6 mars 1991 établissant la valeur comptable des actions ordinaires à 410,85 $ et leur juste valeur marchande à 580 $ en date du 31 décembre 1990.
[321] Le 24 octobre 1991, lors de la réunion du conseil, Widdrington recevait une nouvelle lettre de Coopers, datée du 22 octobre 1991, établissant à 455,17 $ la valeur comptable des actions et à environ 550 $ à 580 $, leur juste valeur marchande en date du 30 septembre 1991.
[322] La juge retient que cette lettre a eu un impact décisif sur la décision de Widdrington d'aller de l'avant avec ce second investissement.
[323] Selon les appelants, Widdrington devait connaître la situation financière de Castor puisqu'il en était un administrateur depuis plus d'un an et demi. Il aurait été imprudent de se fier à des états financiers qui n'étaient plus à jour, d'autant que la demande de Stolzenberg aurait dû l'alerter concernant la situation financière précaire de l'entreprise depuis les derniers états financiers vérifiés (problèmes de liquidités). La juge de première instance aurait donc eu tort de conclure que Widdrington avait agi raisonnablement lors de cet investissement.
[324] Selon l'intimée, il est vrai que cet investissement a eu lieu à la suite d'une exhortation de Stolzenberg quant à la nécessité d'accroître le capital de Castor, mais il serait faux de prétendre que Widdrington aurait dû comprendre que la situation financière de l'entreprise était précaire. L'injection de capitaux n'aurait pas été présentée comme un remède nécessaire face à une crise de liquidités; Castor étant confrontée à un resserrement des règles de crédit bancaire en raison de l'instabilité du marché immobilier, il s'agissait de démontrer qu'elle demeurait en position de force. Widdrington a jugé qu'il s'agissait là d'une bonne stratégie, surtout que la lettre d'évaluation des actions de Coopers du 6 mars 1991, qui accompagnait la demande de Stolzenberg, fixait la valeur des actions ordinaires à 580 $, leur plus haute valeur à vie. La santé économique de Castor ne semblait donc pas être une source de préoccupation. Widdrington avait également en main les attestations Legal-for-Life de 1990 et 1991, qui témoignaient aussi de la santé financière de l'entreprise.
[325] Widdrington a néanmoins attendu les conseils de Prikopa avant de procéder à ce nouvel investissement.
[326] À la lumière de ces faits, conclut l'intimée, il est impossible de dire que Widdrington n'a pas fait preuve de prudence et de diligence ou qu'il a commis quelque faute que ce soit avant d'investir de nouveau dans Castor. Toute l'information dont il disposait, et en particulier celle provenant de Coopers, laissait miroiter un investissement sûr et profitable. Il a passé la documentation en revue avec des conseillers financiers chevronnés, lesquels étaient également de cet avis. La confiance qu'il éprouvait envers les opinions de Coopers était légitime et raisonnable.
L'analyse
[327] Sur ce point nos avis divergent. Pour les juges Chamberland et Rochon, la juge de première instance a eu tort de conclure à l'existence d'un lien de causalité directe, certaine et immédiate entre le préjudice subi par Widdrington en raison de cet investissement additionnel et la faute des appelants. Pour le juge Vézina, l'opinion de la juge de première instance relativement à cette question s'appuie sur la preuve et les appelants ne font pas voir une erreur justifiant une intervention en appel.
Pour les juges Chamberland et Rochon
[328] Les circonstances de ce second investissement diffèrent considérablement de celles entourant le premier investissement. Widdrington a maintenant accès à de l'information qu'il n'était pas nécessairement capable d'obtenir à titre de simple investisseur. Il siège au conseil d'administration de Castor depuis mars 1990.
[329] La demande de Stolzenberg le surprend, au premier abord du moins. Il sollicite l'avis de Prikopa. Celui-ci estime qu'il s'agit toujours d'un bon investissement, mais il met Widdrington en garde; celui-ci doit se rassurer quant à la qualité des prêts consentis par Castor et quant à l'engagement de tous les autres investisseurs d'injecter des nouveaux capitaux dans l'entreprise :
provided you can assure yourself at the Board meeting that Castor's loan portfolio does not have undue risk, and that all other investors are also committed to the added capital.
[330] Fort de cet avis, Widdrington décide d'attendre la réunion du conseil d'administration, le 24 octobre 1991, pour prendre une décision finale.
[331] Il veut en discuter avec Stolzenberg et les autres membres du conseil.
[332] Lors de la réunion, Widdrington et ses collègues du conseil d'administration reçoivent une nouvelle lettre des appelants, datée du 22 octobre 1991. La juge retient que cette lettre a eu un impact décisif sur la décision de Widdrington d'investir à nouveau dans l'entreprise, mais, selon nous, cela ne suffit pas, en octobre 1991, pour conclure à la responsabilité des appelants. Widdrington devait en faire plus.
[333] Widdrington n'est plus un simple investisseur. Il est impliqué dans la direction de Castor depuis dix-huit mois. Il a déjà assisté à quatre réunions du conseil d'administration. Il s'agit d'un changement de circonstances significatif, dont la juge de première instance ne souffle pas un mot. La question ici n'est pas de déterminer si Widdrington a manqué à ses devoirs d'administrateur, mais plutôt s'il était raisonnable qu'il se fie uniquement à cette nouvelle lettre d'évaluation pour procéder à l'investissement additionnel sollicité par Stolzenberg.
[334] Au fil des mois, depuis son investissement initial, Prikopa n'avait eu de cesse de rappeler à Widdrington que la documentation fournie à l'occasion des réunions du conseil d'administration n'était pas adéquate et qu'elle était insuffisante pour qu'il puisse acquérir une bonne connaissance des affaires de Castor.
[335] La lettre de Stolzenberg du 25 septembre 1991 confirme que la conjoncture économique de l'époque a un impact réel sur les affaires de Castor. Stolzenberg envisage alors un investissement additionnel de la part des administrateurs et des actionnaires de Castor, de l'ordre de 25 000 000 $.
[336] La situation n'est peut-être pas catastrophique, mais elle a certainement de quoi inquiéter.
[337] Widdrington a été surpris par cette lettre. Pourtant, il ne contacte pas Stolzenberg pour discuter des aspects troublants de sa demande. Il ne cherche pas à connaître l'ampleur du resserrement des règles de crédit, l'identité des banques qui refusent désormais de prêter, l'ampleur de la baisse des taux d'intérêt et à quels signes de reprise économique Stolzenberg réfère.
[338] Il se tourne plutôt, comme à l'habitude, vers Prikopa. Ce dernier, on le sait, lui conseille de profiter de la réunion du 24 octobre 1991 pour se renseigner sur la qualité du portefeuille de prêts de Castor et sur le niveau d'engagement de ses collègues administrateurs relativement à l'injection d'argent frais dans l'entreprise. La preuve révèle cependant que, dans les faits, Widdrington ne posera pas une seule question lors de cette réunion.
[339] Pourtant, le déroulement de la réunion avait de quoi inquiéter quiconque y assistait. Il n'était plus question d'une injection de fonds de l'ordre de 25 000 000 $, mais plutôt d'un minimum de 50 000 000 $ et, idéalement, selon le président de Castor, de 100 000 000 $. Visiblement, le besoin de liquidités était pressant!
[340] Appelé à commenter l'impact qu'aurait eu sur lui une lettre semblable à celle de Stolzenberg du 25 septembre 1991, l'expert Jarislowsky tient les propos suivants :
Q. […] given to our prudent shareholder and director, there was a valuation letter, that's true. Assuming there was that, but that there were also letters and information emanating from the company saying that banks had changed their attitude towards financing the company; what kind of information do you think he should have requested?
A. I don't think that I would want to answer that in one sentence, My Lord, because if somebody brought that to me as a director I would think that I would like to spend quite a bit — a couple of days figuring out what this all meant and to really go into it from the outside, not just from the Board point of view, to think about this.
I would also become somewhat suspicious at that point of the valuation because if that was the case, how can the valuation still be in line, or it would have to be materially reduced, and I haven't seen the valuation at that date, but I would have expected a very materially reduced valuation because what learned counsel here is asking me is if the company is really coming to a last resort to its directors to put up the money, I would become very worried.
Q. And being worried, what kind of due diligence would you carry out?
A. Well, I don't think that I would want to give you the answer right now because I don't think I have the answer right now in my head. But I definitely would start really worrying, I would start talking to other directors, I would probably do all kinds of work to — we're talking about what I personally would do in order to put this all together and see how bad the situation is because if the banks refuse despite the situation of this company, which I always have heard from the auditors and also from their valuations was in superb shape, I would become really upset about it and I don't think that I would want to give an immediate reaction to that kind of — as to what would I do.
(nous soulignons)
[341] Ces propos témoignent du sérieux de la situation décrite dans la lettre du 25 septembre 1991.
[342] Au procès, l'avocat des appelants reprochera à celui de l'intimée de ne pas inclure dans l'hypothèse présentée à M. Jarislowsky le fait que Widdrington avait en main une toute nouvelle évaluation des actions, datée du 22 octobre 1991. L'avocat de l'intimée modifiera aussitôt sa question pour inclure cet élément. Voici l'échange que l'avocat et M. Jarislowsky auront à ce sujet :
Q. For purposes of my question, I will ask you to assume that the advisor said to Mr. Widdrington that this would be okay to maybe invest provided two things, that he could assure himself at the Board meeting that Castor's loan portfolio does not have undue risk and, secondly, that all other investors are also committed to the added capital. In your opinion, were these sound conditions?
A. At that time did he have the valuation of the auditor?
Q. No.
A. And the answer is once he had the opinion of the auditor he could rely on it because that was the job of the auditor.
Q. So once he had that opinion from the auditor he could ignore what management had told him about banks not renewing credit facilities and so on?
A. That's not what I understand. I understand that the auditor had come to the conclusion after talking to management that there was no problem, and that on the contrary that there were more opportunities available now.
Q. But assuming that management had told the directors at the meeting that there was a liquidity problem?
A. I would assume that if the opinion came out three days before that this liquidity problem - - it might have happened after the three days, but it probably was already in the hands of the auditor and that he knew about it and that he knew about the slowdown.
And I believe my - - the attorney said that the auditor referred to the slowdown and also said that it would give additional opportunities and that there was no change in the affairs of the corporation.
Q. Assuming that at the meeting that followed of October 24th, 1991, assuming that Mr. Stolzenberg would have told his fellow directors that certain banks had reduced or cancelled their credit facilities, that some borrowers have problems refinancing their loans elsewhere, that there was a liquidity problem and that he needed to raise anywhere between $50,000,000 to $100,000,000 in order to get the company back on track, what would have been your reaction as a director?
A. I certainly would go back and ask about the contradiction between that and the auditor's report. And I would have queried that and I would have wanted to get to the bottom of that.
(nous soulignons)
[343] Selon son propre expert, Widdrington se devait donc d'aller au fond des choses. Il ne pouvait pas se contenter de la lettre d'évaluation et faire abstraction de tout le reste. Il devait se renseigner. Or, il n'a rien fait. Finalement, il a décidé d'investir de nouveau dans Castor non pas parce que les documents préparés par les appelants l'avaient convaincu qu'il s'agissait d'un bon investissement, mais plutôt par solidarité avec la direction de Castor et avec ses collègues du conseil d'administration. « I was taking one for the team », dira-t-il. De fait, il sera cependant le seul à investir. En somme, et contrairement à ce qu'a conclu la juge de première instance, la preuve ne permet pas de conclure à un lien de causalité directe, certaine et immédiate entre le préjudice subi par Widdrington en raison de cet investissement additionnel et la faute des appelants.
Pour le juge Vézina
[344] En 1991, Stolzenberg fraude de nouveau Widdrington et, de nouveau, la fraude est rendue possible par la faute de Wightman.
[345] Le fraudeur Stolzenberg sait que les derniers états de Castor continuent sa vaste supercherie pour tromper tout un chacun. Est-il rendu au bout du rouleau ou envisage-t-il un dernier grand coup, toujours est-il qu’il demande aux actionnaires d’investir cinquante millions de dollars en invoquant le resserrement du crédit bancaire dans le secteur immobilier.
[346] Le comparse Wightman livre une nouvelle lettre d’évaluation, demandée « d’urgence » par Stolzenberg, où il maintient à peu de choses près la valeur des actions et il y ajoute avec empressement son opinion que les problèmes de l’immobilier créent des opportunités d’affaires pour Castor.
[347] La question pour la juge était, encore une fois, de déterminer si Widdrington avait été imprudent ou s’il avait eu raison de se fier à la lettre d’évaluation de Wightman.
[348] Il est vrai que la demande d’un apport important de capitaux et le ralentissement de l’immobilier sont préoccupants et inquiètent Widdrington. Mais il est rassuré par l’évaluation de Coopers qui, malgré ces faits, réitère son opinion sans réserve sur la bonne santé financière de l’entreprise et ses perspectives d’avenir.
[349] La juge retient que Widdrington s’est fié à la lettre d’évaluation du 22 octobre, livrée au conseil d’administration le 24, et que c’est là le facteur déterminant (critical factor) de sa décision.
[350] Elle retient aussi que, prudent, il a eu raison de se fier encore une fois à Coopers après avoir consulté son conseiller Prikopa, présent depuis le début, lequel y voyait une décision « within prudent limits ».
[351] Voici comment la juge s’exprime sur ce sujet.
[352] Au début du jugement, elle résume la position de Widdrington, qu’elle accueillera en définitive[110] :
[15] Widdrington claims that he relied upon the Consolidated Financial Statements of Castor audited by Coopers, the Auditors' Reports and the Valuation Letters also prepared by Coopers, as well as the Legal for Life Opinions, to invest in and to loan substantial sums of money to Castor and moreover, to approve as a Board director, the declaration and payment of a dividend for which he was sued further to Castor’s bankruptcy.
[16] Widdrington claims that he would simply not have made investments in Castor absent the unqualified opinions of Coopers, one of the world’s largest and most prestigious accounting firms.
[17] Widdrington alleges that such reliance was reasonable and that Coopers should be held liable for all damages he sustained further to his investments...
[353] Plus loin, elle discute de la confiance (reliance) de Widdrington à l’égard de Coopers, à savoir si ses investissements étaient liés à cette confiance et si Widdrington était justifié de leur faire confiance.
[354] Dans un premier temps, la juge décrit le contexte de l’investissement de 1991. Comme aucune erreur de fait ne lui est reprochée, je reprends au long son exposé de la preuve, lequel fonde sa conclusion sur cette question de fait[111] :
[3237] On October 25, 1991, Widdrington made a second equity investment in Castor, at which time he subscribed for one unit, composed of common shares, preferred shares and a convertible debenture, for a total subscription price of $292,560.
[3238] This second investment was preceded by a letter from Stolzenberg, dated September 25, 1991, requesting an increase of the capital base of Castor. The letter, accompanied by the interim financial statements as at June 30, 1991, outlined the circumstances that necessitated such call for capital, and referred to the banks’ tightening of credit lines for real estate activities, and a desire on the part of Castor to show strength to the banks and outside investors. The letter was also accompanied by C&L’s valuation letter dated March 6, 1991, establishing a current fair market value of $580 per common share. The C&L valuation letter specifically states: «Based on this valuation, the proposed subscription price for common shares is $580.00.»
[3239] Widdrington believed that the strategy put forward by Stolzenberg of raising new capital, seemed to make sense, and was consistent with what Castor had done in the past to raise equity.
[3240] When he received the letter, Widdrington gave it to Prikopa who prepared a memorandum, wherein he concluded that this was a good investment for Widdrington. In accordance with Prikopa’s advice, Widdrington decided to wait until he had attended the Castor Board meeting on October 24, 1991, and until he had had the opportunity to discuss this matter with Stolzenberg and other members of the Board, before making his decision.
[3241] C&L’s valuation letter dated October 22, 1991 which Widdrington received at the Board meeting of October 24, 1991, and which indicated the fair market value of Castor’s common shares as at September 30, 1991, was the critical factor which impelled him to make his second equity investment.
[3242] Widdrington believed that the other shareholders and directors of Castor were going to participate in that capital subscription. He acknowledged that, as compared to the valuation letter dated March 6, 1991, the fair market value ascribed by C&L to the common shares of Castor, had decreased slightly, as a reflection of the more difficult business conditions. However, the book value of these shares had substantially increased since the March 6, 1991 valuation letter, and C&L’s letter of October 22, 1991 stated that because of the slowdown in the real estate market in North America, additional opportunities would be available to Castor, an assertion that made a strong impression on Widdrington.
[3243] Widdrington’s decision to buy an additional unit in October 1991 was taken in a context where the overall impression about Castor’s performance was very positive. The value of the units for this new capital call was listed at $292,560 per unit, as compared with the price of $282,600 per unit which he had paid for his first equity investment approximately a year earlier. For him, this confirmed that the value of the units had gone up approximately $10,000 in that period of time, and this in turn reflected the increase in the value of the shares that had been determined by the several valuation letters issued by C&L over that same period.
[3244] Audited financial statements and valuation letters were similarly key to Widdrington’s decision to make his second equity investment in October 1991.
[3245] Prikopa supported Widdrington’s decision to proceed with said investment, something he would not have done if the valuation letter or the financial statements had raised any concern.
[3246] Prikopa testified that the size of Widdrington’s investment in Castor, in the context of what he wanted to achieve with his portfolio, was within prudent limits.
[Références omises]
[355] Dans un deuxième temps, la juge livre ses conclusions sur la preuve, avec les nuances suscitées par les opinions divergentes des experts. Elle conclut à l’absence de toute faute de la part de Widdrington autant pour le second investissement de 1991 que pour le premier de 1989[112] :
[3324] Insofar as the circumstances of Plaintiff’s decision to invest in Castor are concerned, Widdrington’s testimony coupled with the testimony of Prikopa and Taylor is consistent with, and corroborated by, other evidence in the record. Notwithstanding some internal contradictions within Widdrington’s testimony at discovery and trial, which are relatively minor, the Court finds the testimonies of Widdrington, Prikopa and Taylor credible and reliable.
[…]
[3328] Prior to making his decision to invest in 1989, Widdrington was advised by three knowledgeable people and sophisticated readers of financial information (Prikopa, Taylor and Wood) who all considered the results to be excellent and enviable.
[3329] Prikopa and Taylor’s testimony are clear, fully supported by the contemporaneous documents prepared at the time of the subject investments. Widdrington’s testimony is coherent, corroborated by the testimony of Prikopa and Taylor, as well as by the documentation filed in the record.
[3330] Widdrington was fundamentally misled by the opinions contained in the consolidated audited financial statements, the valuation letters, and induced to make investments that he clearly would not have made without such statements or had he known the real gist of Castor.
[3331] Widdrington made equity and debt investments based on valuation letters that were provided to him prior to his investment in December 1989 and in October 1991. Each investment included units composed of common shares, preferred shares and debentures of Castor. The valuation letters specifically referenced these components of the fund raising activities of Castor.
[3332] Widdrington was entitled to accept and rely on such opinions for the purposes of his investments in 1989 and 1991 and the determination of the price that he was prepared to pay in connection therewith.
[3333] Widdrington would simply not have made investments in Castor absent the unqualified opinions by one of the world’s largest and most prestigious accounting firms. If Castor’s true financial position had been disclosed in the audited financial statements for the years ended 1988, 1989 and 1990, as well as in the share valuation letters, Widdrington would never have made any of his investments.
[…]
[3340] Given the information that was provided year after year in the audited consolidated financial statements, it was reasonable for Widdrington to rely on same for his investments in Castor.
[…]
[3343] Widdrington committed no fault, either in the exercise of his duties as a director of Castor, or in the due diligence exercised by him prior to making his respective investments in Castor.
[356] Mes collègues sont d’accord que Widdrington s’est fié à la lettre d’évaluation de Coopers, mais ils ajoutent, comme en a témoigné l’expert Jarislowsky, qu’il aurait dû se méfier, se renseigner, aller au fond des choses et, ne l’ayant pas fait, il est seul responsable de son malheur.
[357] Avec égards, je n’arrive pas à partager cet avis.
[358] Ils reprennent l’argument des appelants que le profane Widdrington devait soupçonner et investiguer là où les professionnels de Coopers n’avaient rien vu, et même plus, là où ils confirmaient que tout était positif malgré les problèmes de resserrement du crédit et du ralentissement de l’immobilier.
[359] La juge a rejeté cet argument, plutôt deux fois qu’une[113] :
[3342] Defendants are imposing a heavier burden on Widdrington than upon themselves as auditors and, further, are suggesting that Widdrington should have had the work of verification of Castor’s financial position re-done; i.e. verify the audit work performed by C&L, supported by their unqualified audit opinion. This type of pretension was rejected by the Court in the case of Morency v. Lafleur. [Morency v. Lafleur, [2002] CanLII 7992 (QC C.S), at paras. 25-26)]
[…]
[3428] Through their argument, Defendants are imposing a heavier burden on Widdrington than upon themselves as auditors. If fact, what they are suggesting is that Widdrington should have questioned and verified the audit work performed by C&L, supported by C&L’s unqualified audit opinion. The Court cannot accept such a proposition.
[360] Tous les professionnels cherchent, avec raison, à se bâtir un nom et à inspirer confiance dans leur firme. Aussi est-il ironique de voir les appelants venir opposer en cour que leur client a eu bien tort de les écouter et de se fier à eux. Molière y aurait peut-être vu une réplique pour Les Fourberies de Scapin : Monsieur, vous vous fiâtes à moi, quel sot vous êtes!
[361] On ne peut à la fois faire confiance et se méfier. Or, la confiance est l’essentiel de la relation client/professionnel. Le client sait que le professionnel en connaît plus que lui et c’est pourquoi il le consulte et l’écoute. L’avocat qui explique consciencieusement les pour et les contre à son client finit par se faire poser la question cruciale : À ma place, que feriez-vous? Et là, tout se joue sur la confiance.
[362] Bien sûr Widdrington était confronté à une situation plus difficile en 1991 qu’en 1989, mais la lettre d’évaluation répondait à la question cruciale de façon tout à fait positive et plus qu’encourageante. Comment exiger de lui qu’il se méfie d’une des plus grandes firmes comptables du pays, dont la réputation prestigieuse est bien méritée malgré l’accident de parcours de Castor.
[363] La juge a écouté Widdrington et elle l’a cru. On peut comprendre que Widdrington n’était pas un Jarislowsky qui se serait montré plus méfiant, dit-il, après avoir toutefois admis que la lettre d’évaluation d’octobre était bien rassurante.
[364] Mes collègues voient Widdrington comme un investisseur téméraire, ou imprudent. Je le vois comme la victime d’une fraude réussie grâce à la confiance inspirée par le nom de Coopers, que Wightman a mis à la disposition de Stolzenberg sans discernement aucun. La victime a droit d’être indemnisée par le fraudeur tout autant que par le comparse, pour sa faute contributive.
[365] La juge a conclu à l’absence de faute de la part de Widdrington. Je ne vois pas d’erreur dans son appréciation de la preuve sur cette question de fait. Je rejetterais l’appel sur ce point.
iii) Le règlement du 11 mars 1998
[366] Lors de la réunion du 21 mars 1991, après révision et approbation des états financiers vérifiés pour l'année 1990, les administrateurs de Castor ont unanimement adopté une résolution visant à déclarer le paiement d'un dividende (15 552 942 $).
[367] Castor étant insolvable, la déclaration et le paiement de ce dividende étaient contraires à l'article 41 de la LCCN-B :
41 Une corporation peut déclarer ou verser un dividende sauf s’il existe des motifs raisonnables de croire,
a) qu’elle ne peut ou ne pourrait pas, après le versement, acquitter son passif à échéance; ou
b) que la valeur de réalisation de son actif serait, de ce fait, inférieure au total de son passif et de son capital déclaré de toutes les catégories.
[368] À la suite de la faillite de Castor, le syndic présentait le 4 décembre 1992 une requête aux termes de l'article 101 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité («LFI»)[114], par laquelle il demandait que les administrateurs soient condamnés solidairement à rembourser le dividende illégalement déclaré et payé.
[369] Au moment de l'institution de cette procédure, l'article 101 LFI était libellé ainsi :
101. (1) Enquête au sujet des dividendes et des rachats d’actions
Lorsqu’une personne morale qui a fait faillite a, dans les douze mois qui précédent la faillite, payé un dividende, autre qu’un dividende en actions, ou racheté ou acheté pour annulation des actions de son capital social, le tribunal peut, à la demande du syndic, enquêter pour déterminer si le dividende a été payé ou si les actions ont été rachetées ou achetées pour annulation à un moment où cette personne morale était insolvable ou si le paiement du dividende ou le rachat ou l’achat pour annulation de ses actions l’a rendue insolvable.
(2) Jugement contre les administrateurs et les actionnaires
Lorsque le tribunal, dans des instances en vertu du présent article, constate que le paiement du dividende ou le rachat ou l’achat des actions, décrit au paragraphe (1), a été fait à un moment où la personne morale était insolvable ou l’a rendue insolvable, il peut accorder un jugement au syndic :
a) contre les administrateurs de la personne morale, solidairement, pour le montant du dividende ou du prix de rachat ou d’achat, avec les intérêts y afférents, qui n’a pas été remboursé à la personne morale;
b) contre un actionnaire qui est lié à un ou plusieurs administrateurs ou à la personne morale, ou qui est un administrateur décrit au paragraphe (3), pour le montant du dividende ou du prix de rachat ou d’achat, avec les intérêts y afférents, qui a été reçu par l’actionnaire et n’a pas été remboursé à la personne morale;
(3) Administrateurs disculpés par la loi
Un jugement rendu aux termes du paragraphe (2)a) ne peut être enregistré contre un administrateur, ni lier un administrateur qui avait, en conformité avec n’importe quelle loi applicable régissant le fonctionnement de la personne morale, protesté contre le paiement du dividende ou contre le rachat ou l’achat pour annulation des actions du capital social de la personne morale et qui, de ce fait, s’était en vertu de cette loi libéré de toute responsabilité à cet égard.
(4) Droit de recouvrement des administrateurs
[…]
(5) Fardeau de la preuve
Aux fins d’une enquête conformément au présent article, il incombe aux administrateurs et aux actionnaires de la personne morale de prouver que celle-ci n’était pas insolvable lors du paiement d’un dividende ou du rachat ou de l’achat pour annulation d’actions ou que le paiement d’un dividende ou un rachat d’actions ne l’a pas rendue insolvable.
(nous soulignons)
[370] À cette époque, l'article 101 LFI ne prévoyait donc qu'une seule défense : la protestation de l'administrateur contre le paiement (paragr. 3).
[371] L'article 101 sera modifié en 1997, afin d'inclure un nouveau moyen de défense : la diligence raisonnable :
(2) Le tribunal peut accorder un jugement au syndic contre les administrateurs de la personne morale, solidairement, pour le montant du dividende ou du prix de rachat ou d’achat, avec les intérêts y afférents, qui n’a pas été remboursé à celle-ci s’il constate :
a) que la transaction a été faite à un moment où elle était insolvable ou l’a rendue insolvable;
b) que les administrateurs n’avaient pas de motifs raisonnables de croire que la transaction était faite à un moment où elle n’était pas insolvable ou ne la rendait pas insolvable.
(2.1) Pour décider si les administrateurs ont ou n’ont pas de motifs raisonnables, le tribunal détermine ce qu’une personne prudente et diligente aurait fait dans les circonstances de l’espèce et s’ils ont, de bonne foi, tenu compte :
a) des états financiers ou autres de la personne morale ou des rapports de vérification donnés par les dirigeants de celle-ci ou le vérificateur comme représentant justement sa situation financière;
b) des rapports sur les affaires de la personne morale établis, à la suite d’un contrat avec celle-ci, par un avocat, un notaire, un comptable, un ingénieur, un évaluateur ou toute autre personne dont la profession assure la crédibilité des mentions qui y sont faites.
[372] Cette modification, explique Martel, visait à corriger une injustice[115]..
[373] Comme l'a bien expliqué la juge Lemelin dans un jugement de 2008 impliquant le syndic et certains administrateurs de Castor, cette modification n'a pas un effet rétroactif. Elle s'applique uniquement aux procédures intentées après son entrée en vigueur[116], de sorte que la défense de diligence raisonnable ne pouvait être invoquée par les administrateurs de Castor, incluant Widdrington.
[374] C'est dans ce contexte que Widdrington, suivant en cela les conseils de ses avocats, transigeait avec le syndic le 11 mars 1998, réglant pour 1 250 000 $, plutôt que de s'exposer à une condamnation de plus de 15 000 000 $.
[375] La juge de première instance conclut que Widdrington n'a pas commis de faute et qu'il a agi avec la prudence et la diligence attendues d'un administrateur placé dans la même position que lui. Puisqu'il ne connaissait pas tous les rouages de l'entreprise, il était normal qu'il se fie aux représentations des vérificateurs et des membres de la direction, notamment lorsqu'est venu le temps de déclarer un dividende. Elle ajoute que, au demeurant, jamais Widdrington n'aurait accepté de siéger au conseil d'administration de Castor s'il avait connu sa triste réalité financière, auquel cas il n'aurait pas été dans la position de déclarer un dividende.
[376] Selon les appelants, la juge a commis une erreur de droit en concluant que Widdrington était un administrateur externe, qu'il n'avait pas à avoir connaissance de tous les rouages de l'entreprise et qu'il pouvait raisonnablement se décharger de ses obligations d'administrateur simplement en se fiant aux représentations de la direction et des vérificateurs.
[377] Dans l'arrêt Wise[117], plaident les appelants, la Cour suprême aurait rejeté la distinction entre administrateur externe et administrateur interne et évacué tout élément subjectif de l'analyse du comportement d'un administrateur. Le test serait dorénavant strictement objectif : en fonction de ce que l'administrateur savait ou aurait dû savoir, est-ce qu'il a agi de manière prudente et diligente, dans le meilleur intérêt de la société? Les appelants plaident que, selon ce standard, plus sévère que celui retenu par la juge, il est évident que Widdrington a manqué à ses devoirs d'administrateur de Castor. Il aurait fait preuve d'une inacceptable passivité. Il n'aurait jamais cherché à connaître les activités commerciales de Castor, par exemple en posant des questions sur l'identité de ses principaux clients, le montant des prêts qui leur étaient accordés et leur niveau de risque, la nature des projets financés, alors que son conseiller Prikopa l'avait invité à le faire à de nombreuses reprises. Ce faisant, il serait impossible de conclure que, dans les circonstances, Widdrington s'est comporté en administrateur prudent et diligent. Ayant abdiqué à ses devoirs d'administrateur, il ne peut chercher à transférer sa responsabilité sur les épaules de Coopers.
[378] Les appelants soutiennent en quelque sorte que leur faute ne serait pas la cause immédiate de la perte relative au règlement intervenu avec le syndic; la négligence de Widdrington le serait. En tant qu'administrateur de Castor, il avait le devoir, de concert avec le conseil d'administration, de préparer des états financiers conformes; les vérificateurs, eux, ne font que les vérifier. Il appartient aux administrateurs d'obtenir toutes les informations nécessaires pour ce faire et Widdrington a failli à la tâche. Or, il est bien établi en droit que le débiteur principal d'une obligation (ici, la préparation d'états financiers conformes) ne peut se retourner contre celui qui vérifie son travail (ici, le vérificateur comptable) pour échapper à sa responsabilité. Selon les appelants, le comportement hautement répréhensible de Widdrington à titre d'administrateur de Castor justifie en outre d'opposer une fin de non-recevoir à sa réclamation.
[379] L'intimée rétorque qu'il est tout à fait normal et raisonnable que les administrateurs qui ne font pas partie de la direction d'une entreprise se fient aux avis des professionnels qui examinent ses affaires et, plus particulièrement, aux opinions des vérificateurs sur les états financiers. La majorité des lois corporatives canadiennes, sinon la totalité, le reconnaissent d'ailleurs.
[380] L'intimée ajoute que dans l'arrêt Wise la Cour suprême n'a pas écarté ce principe, ni aboli la distinction traditionnelle entre administrateur externe et administrateur interne, reconnue autant en jurisprudence qu'en doctrine. L'obligation de diligence de l'administrateur interne est accrue, dans la mesure où, à titre de membre de la direction, il a une connaissance plus approfondie des affaires de la compagnie. Quant à l'administrateur externe il doit bien entendu se tenir informé des affaires de la compagnie, sauf qu'il est en droit de se fier aux avis exprimés par les membres de la direction et les professionnels auxquels elle fait appel, à moins que certains éléments précis suscitent des doutes dans son esprit quant à leur exactitude, ce qui n'était pas le cas ici.
[381] Aucun élément ne permettait à Widdrington de douter de l'exactitude des avis exprimés par Coopers. Il disposait de toute la documentation nécessaire sur les opérations de Castor pour exercer son rôle d'administrateur, laquelle apparaissait crédible et fiable. Dans ces circonstances, il n'avait pas à chercher à obtenir des informations supplémentaires.
[382] Cela dit, ajoute l'intimée, même s'il était raisonnable que Widdrington se fie aux avis exprimés par Coopers concernant les opérations de Castor, et notamment sur l'opportunité de déclarer un dividende, cela ne constituait pas une défense valide aux termes de l'article 101 LFI, tel qu'il se lisait à l'époque. Faisant l'objet d'une poursuite de plus de 15 millions de dollars, Widdrington, pour des raisons personnelles justifiées, a décidé de régler avec le syndic. L'intimée plaide que, sa bonne foi n'étant pas remise en doute, il ne saurait être question de fin de non-recevoir.
L'analyse
[383] Nous avons décrit précédemment le contexte factuel et légal dans lequel Widdrington, suivant en cela les conseils de ses avocats, a transigé avec le syndic.
[384] Personne ne remet en doute la légitimité et la raisonnabilité de sa décision.
[385] L'article 101 LFI était applicable à la réclamation du syndic, mais pas à celle de Widdrington contre les vérificateurs de Castor. Le fait que Widdrington ne puisse invoquer à l'encontre de la réclamation du syndic une défense de diligence raisonnable fondée sur son examen des états financiers vérifiés et des autres rapports des vérificateurs de Castor, ne l'empêche nullement de plaider ce fait dans le contexte de sa propre réclamation à l'encontre de Coopers.
[386] Les paragraphes 79(1) et 80(3) de la LCCN-B, tous deux en vigueur en 1991, étaient ainsi libellés :
79(1) Les administrateurs et les dirigeants doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir
a) avec intégrité et de bonne foi, et
b) avec soin, diligence et compétence, comme le ferait en pareilles circonstances une personne raisonnablement prudente au mieux des intérêts de la corporation.
[…]
80(3) Un administrateur n’est pas responsable en vertu de l’article 76 ou 79, s’il s’appuie de bonne foi sur:
a) des états financiers de la corporation reflétant équitablement sa situation, d’après l’un de ses dirigeants ou d’après le rapport écrit du vérificateur de la corporation, le cas échéant; ou
b) un rapport d’un avocat, comptable, ingénieur estimateur ou d’autre personne dont la profession permet d’accorder foi à leur déclaration.
[387] L'article 76 auquel réfère le paragraphe 80(3) traite précisément de la responsabilité des administrateurs en cas de paiement illégal d'un dividende (au sous paragraphe (2)c)).
[388] Martel fait le lien suivant entre le devoir de prudence et de diligence de l'administrateur et la défense fondée sur la prise en compte d'une opinion professionnelle[118] :
Défense de bonne foi «Good faith reliance». Les administrateurs peuvent échapper à leur responsabilité de droit fondée sur un manquement à leurs devoirs de prudence et diligence en invoquant la défense dite de «bonne foi» ou, en anglais, de «good faith reliance».
Sous la loi fédérale, cette défense est énoncée à l'article 123(5) de la Loi sur les sociétés par actions. Elle consiste à alléguer que l'administrateur s'est appuyé de bonne foi sur des états financiers vérifiés ou présentés par un dirigeant comme «reflétant équitablement» la situation financière de la société, ou encore sur «les rapports des personnes dont la profession permet d'accorder foi à leurs déclarations», donc sur des états financiers ou sur le rapport d'un professionnel (d'une discipline pertinente, bien sûr!), pour établir qu'il «s'est acquitté des devoirs imposés en vertu du paragraphe 122(1)».
Il nous semble que cette défense est pertinente en ce qui concerne le devoir de prudence et de soin du paragraphe 122(1)(b) (on retrouve ici l'élément d'«information raisonnable» du «business judgment rule»), mais beaucoup moins pour justifier une violation du devoir d'intégrité et de loyauté du paragraphe 122(1)(a).
(nous soulignons)
[389] Les articles 122(1)b) et 123(5) de la LCSA sont les pendants des paragraphes 79(1) et 80(3) de la LCCN-B.
[390] Bien entendu, il n'est pas question en l'espèce pour Widdrington d'invoquer un moyen de défense. Toutefois, les paragraphes 79(1) et 80(3) de la LCCN-B sont très certainement pertinents pour déterminer s'il a agi avec prudence et diligence en l'espèce.
[391] Dans l'arrêt BCE Inc.[119], la Cour suprême énonce que les tribunaux peuvent s'inspirer de tels articles pour définir la norme de conduite à laquelle on peut raisonnablement s'attendre d'un administrateur :
[44] Deuxièmement, les administrateurs peuvent faire l’objet d’une action civile pour manquement à leur obligation de diligence. Comme il en a été fait mention, l’al. 122(1)b) de la LCSA oblige les administrateurs et les dirigeants d’une société à agir « avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve, en pareilles circonstances, une personne prudente ». Cette obligation, à la différence de l’obligation fiduciaire énoncée à l’al. 122(1)a), n’est pas uniquement envers la société. Elle peut donc engager la responsabilité des administrateurs envers les autres parties intéressées, conformément aux principes régissant la responsabilité délictuelle et extracontractuelle : Magasins à rayons Peoples. L’alinéa 122(1)b) ne peut servir de fondement indépendant à un recours, mais les tribunaux peuvent s’en inspirer, conformément aux principes énoncés dans La Reine du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, pour définir la norme de conduite à laquelle on peut raisonnablement s’attendre.[120]
(nous soulignons)
[392] Règle générale, il sera donc raisonnable pour un administrateur de se fier aux états financiers vérifiés et aux opinions des vérificateurs lorsque vient le temps d'autoriser le paiement d'un dividende. On ne pourra le taxer de négligence, à moins bien entendu que des circonstances particulières ne suggèrent l'inverse. C'est ici qu'intervient la distinction entre l'administrateur interne et l'administrateur externe.
[393] Les appelants prétendent que cette distinction a été abolie par la Cour suprême dans l'arrêt Wise.
[394] Pour bien saisir le sens de cet arrêt, il convient tout d'abord de s'attarder à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Soper[121]. Dans cette affaire, le juge Robertson qualifie la norme de prudence attendue des administrateurs de norme « objective subjective »[122] :
40 Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).
41 La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la "compétence" et l'idée de "circonstances comparables". Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme "objective subjective".
(nous soulignons)
[395] Le juge Robertson réfère ensuite aux notions d'administrateur interne et d'administrateur externe en ces termes[123] :
44 Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.
[396] Dans l'arrêt Wise, la Cour suprême souligne que cette qualification de la norme de diligence risque de porter à confusion. Elle préfère qualifier la norme de conduite énoncée à l'alinéa 122(1)b) LCSA d'« objective »[124] :
63 Dans l'arrêt Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124, par. 41, le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale a décrit la norme de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA comme étant une norme "objective subjective". Même s'il portait sur l'interprétation d'une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu, cet arrêt est pertinent en l'espèce parce que le libellé de la disposition établissant la norme de diligence est identique à celui de l'al. 122(1)b) de la LCSA. Nous estimons pour notre part que le fait, pour le juge Robertson, de qualifier la norme par l'expression "objective subjective" peut semer la confusion. Nous préférons la décrire comme une norme objective. Ainsi, il devient évident que dans le cas de l'obligation de diligence prévue à l'al. 122(1)b), ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l'administrateur ou le dirigeant qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers, qui sont l'objet essentiel de l'obligation fiduciaire prévue à l'al. 122(1)a) de la LCSA.
(nous soulignons)
[397] Cet énoncé empêche-t-il de tenir compte de la distinction traditionnelle entre l'administrateur externe et l'administrateur interne dans l'examen du contexte dans lequel agit cet administrateur ? Nous ne le croyons pas. Le devoir de diligence est le même pour les deux, mais le contexte dans lequel l'administrateur interne et l'administrateur externe agissent varie considérablement de l'un à l'autre. Il faut nécessairement en tenir compte dans l'analyse de leur responsabilité respective.
[398] Ce n'est pas sans raison que, dans l'arrêt Wise, la Cour suprême traite de l'importance de tenir compte du contexte dans lequel évolue l'administrateur, notant au passage que le législateur fédéral n'a pas retenu la norme purement objective proposée par le rapport Dickerson[125] :
61 La norme recommandée dans le Rapport Dickerson était objective, obligeant les administrateurs et les dirigeants à se conformer à la norme de la "personne raisonnablement prudente" (vol. II, p. 81) :
9.19
(1) Dans l'exercice de ses pouvoirs et l'accomplissement de ses obligations tout administrateur et tout fonctionnaire d'une corporation doit
...
b) exercer le soin, la diligence et de l'habileté d'une personne raisonnablement prudente.
Le rapport expliquait la distinction entre l'obligation de diligence proposée et l'obligation de diligence reconnue par la common law (vol. I, p. 92) :
242. La formulation de l'obligation de soin, de diligence et d'habileté à laquelle les administrateurs sont tenus, représente une tentative de hausser le standard de conduite présentement exigé d'eux. Le changement principal modifie la loi actuelle qui semble exiger que l'administrateur fasse preuve du degré de soin, de diligence et d'habileté auquel on pourrait raisonnablement s'attendre de lui, eu égard à sa connaissance et à son expérience (Re City Equitable Fire Insurance Co. (1925) Ch. 425). L'article 9.19(1)b) lui impose l'obligation de se comporter en homme raisonnablement prudent. L'expérience récente ayant démontré que le standard de conduite généralement reconnu par la loi pour des administrateurs est fort bas, nous avons songé à le rehausser considérablement. Nous sommes conscients du fait que hausser ces standards peut faire hésiter certaines personnes à accepter un poste d'administrateur. La justesse de cet argument n'a pas été démontrée et nous le croyons spécieux. L'obligation imposée par l'article 9.19(1)b) est exactement la même que celle imposée par la common law à tout professionnel. Il n'y a pourtant pas de signes que cela a tari la source des avocats, comptables, architectes, chirurgiens ou autres. De plus c'est de toute façon un bien piètre réconfort pour un actionnaire de savoir qu'il existe un vaste réservoir de personnes de compétence très moyenne qui, d'après la loi actuelle, ont la charge de gérer son investissement. [Nous soulignons.]
62 Le texte de l'al. 122(1)b) de la LCSA qui énonce l'obligation de diligence reprend presque mot à mot celui que propose le Rapport Dickerson. La principale différence réside dans le fait que la version qui a été adoptée comprend les mots "en pareilles circonstances", ce qui modifie la norme légale en exigeant qu'il soit tenu compte du contexte dans lequel une décision donnée a été prise. Le législateur n'a pas introduit un élément subjectif relatif à la compétence de l'administrateur, mais plutôt un élément contextuel dans la norme de diligence prévue par la loi. Il est clair que l'al. 122(1)b) est plus exigeant à l'égard des administrateurs et des dirigeants que la norme traditionnelle de diligence prévue par la common law et expliquée, par exemple, dans la décision Re City Equitable Fire Insurance, précitée.
(nous soulignons)
[399] Récemment, dans l'arrêt Buckingham[126], la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur l'impact de l'arrêt Wise. Le juge Mainville convient que la norme « objective subjective » énoncée dans l'arrêt Soper a été remplacée par la norme « objective ». Il ajoute toutefois les précisions suivantes[127] :
38 Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d'une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci : Magasins à rayons Peoples, aux paragraphes 59 à 62. Si l'on qualifie cette norme d'objective, il devient évident que ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l'administrateur qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers : Magasins à rayons, au paragraphe 63. L'apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d'administration au moyen de l'établissement de bonnes règles de régie d'entreprise : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 64. Des normes plus strictes empêchent aussi la nomination d'administrateurs inactifs choisis pour l'apparence ou qui ne remplissent pas leurs obligations d'administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s'acquitter des devoirs qui s'attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l'exécution de ses obligations en invoquant son inaction : Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e édition (Markham, Ontario: LexisNexis Canada, 2007), à la page 11.9.
39 Une norme objective ne signifie toutefois pas qu'il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérées au regard de la norme objective d'une "personne raisonnablement prudente". Comme l'a souligné la Cour dans Magasins à rayons Peoples au paragraphe 62 […]
(nous soulignons)
[400] Le fait qu'un administrateur agisse également comme dirigeant et qu'il s'occupe de la gestion quotidienne de la société est très certainement un élément contextuel qui doit être pris en compte aux fins de déterminer s'il a agi de manière prudente et diligente. Ce n'est pas faire violence au caractère objectif de la norme que de considérer la différence entre les deux catégories d'administrateurs. Il n'est pas question des compétences, des aptitudes ou des caractéristiques personnelles de l'administrateur, mais plutôt de son rôle et de son statut au sein de la société, et, ce, d'un strict point de vue objectif. L'administrateur externe n'agit pas dans les mêmes circonstances ou dans le même contexte que l'administrateur interne. Ainsi, l'administrateur interne doit être comparé à un administrateur interne raisonnablement prudent, alors que l'administrateur externe le sera à un administrateur externe raisonnablement prudent.
[401] Dans l'arrêt Wise, la Cour suprême écrit[128] :
67 On ne considérera pas que les administrateurs et les dirigeants ont manqué à l'obligation de diligence énoncée à l'al. 122(1)b) de la LCSA s'ils ont agi avec prudence et en s'appuyant sur les renseignements dont ils disposaient. Les décisions prises doivent constituer des décisions d'affaires raisonnables compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir. Lorsqu'il s'agit de déterminer si les administrateurs ont manqué à leur obligation de diligence, il convient de répéter que l'on n'exige pas d'eux la perfection. […]
(nous soulignons)
[402] Les mots « compte tenu de ce qu'ils savaient ou auraient dû savoir » sont au cœur de ce raisonnement. L'administrateur interne qui participe à la gestion quotidienne des affaires de la société en sait très certainement plus sur ses affaires que l'administrateur externe. Devant une situation problématique donnée au sein de la société, il sera plus facile de conclure qu'il aurait dû connaître le problème et, de ce fait, il lui sera plus difficile de plaider l'ignorance ou l'erreur commise de bonne foi. L'administrateur interne est, de par sa position au sein de l'entreprise, nécessairement mieux informé que l'administrateur externe.
[403] Dans Borduas[129], la Cour d'appel fédérale a par ailleurs réitéré récemment la pertinence de la distinction entre les deux catégories d'administrateurs :
5 Il est généralement reconnu qu'il est beaucoup plus difficile pour un administrateur interne, qui s'occupe de la gestion quotidienne de l'entreprise et en influence la conduite des affaires, d'invoquer la défense de diligence raisonnable qu'il ne l'est pour un administrateur externe, à la participation sporadique […]
[404] On peut également avancer que le législateur fédéral et les législatures provinciales, en insérant dans leurs lois corporatives une défense de diligence raisonnable fondée sur l'utilisation des états financiers vérifiés et des opinions de professionnels, ont reconnu la réalité à laquelle sont confrontés les administrateurs externes. Comme le souligne la Cour suprême dans Wise, ce moyen d'exonération résulte du fait que « les administrateurs ne peuvent connaître à fond toutes les facettes des entreprises qu'ils gèrent ou dont ils assurent la gestion »[130].
[405] Cette défense n'a toutefois rien d'automatique[131].
[406] Si la preuve démontre que l'administrateur externe savait que la société éprouvait des difficultés financières, et ce, malgré une opinion favorable des vérificateurs, il lui sera difficile de se cacher derrière celle-ci. Il en sera de même s'il devient évident que la société entame une période de difficultés financières[132]. Toutefois, comme le rappelle la Cour suprême dans l'arrêt Blair[133] en l'absence de raisons de douter, un administrateur est justifié de faire confiance au travail des professionnels à qui la société fait appel.
[407] Il est par ailleurs bien évident que l'administrateur interne aura beaucoup plus de difficulté à invoquer cette défense, non pas en raison de ses aptitudes personnelles ou de ses compétences, mais tout simplement en raison de son rôle au sein de la société. Il lui sera difficile de faire valoir qu'objectivement parlant, il ne pouvait entretenir de doute ou de suspicion sur la situation réelle de l'entreprise. Ceci de toute évidence n'a rien de subjectif.
[408] Qu'en est-il en l'espèce?
[409] Il est clair que l’argumentation des appelants ratisse trop large. Pour l’essentiel, ils reprochent à Widdrington son manque de connaissance du détail des affaires de Castor, et ce, malgré les mémos de Prikopa l'invitant à obtenir plus d’informations à ce sujet, de même que son laxisme à titre d’administrateur. Même si ces reproches s’avéraient fondés, là n’est pas la question. La question est plutôt de déterminer s’il a fait preuve de négligence dans le contexte précis de la décision du conseil d’administration du 21 mars 1991 de déclarer et de payer un dividende. Il convient de rappeler qu’aux termes de l’arrêt Wise, il faut apprécier l’obligation de diligence de l'administrateur dans le contexte de chaque décision donnée.
[410] En tant qu’administrateur externe qui siégeait depuis un tout petit peu moins d’un an au conseil d’administration de Castor (c’était la troisième réunion à laquelle il assistait), nous croyons que la juge de première instance était justifiée de conclure que Widdrington pouvait légitimement opposer aux allégations de négligence des appelants le fait qu’il s’était fié aux états financiers vérifiés en date du 31 décembre 1990 et à la lettre d’évaluation des actions du 6 mars 1991, qui établissait une valeur record (580 $).
[411] Ces documents faisaient partie de la documentation remise à chacun des administrateurs de Castor en prévision de leur réunion.
[412] Widdrington a témoigné s’y être fié pour juger de l’opportunité de déclarer le dividende, puisqu’ils présentaient de bons résultats et confirmaient que la croissance se poursuivait :
But the end position, as far as I was concerned, was it was the Auditors' Report, it was the report on the statements they had audited, and it was an unqualified report. There were no qualifications on this report, it was a clean statement. And that, to me, is essentially the point that was the most important.
[413] La lettre d’évaluation témoignait également du succès de Castor : « Things are looking very good », dira Widdrington.
[414] D’une manière plus générale, Widdrington a témoigné que, compte tenu des opinions de Coopers, il n’y avait aucune raison de s’alarmer et de commencer à questionner les décisions de Stolzenberg et de la direction de Castor :
But the essential thing, the essential thing, and again we'll cover this point again, we've covered it many, many, many times and my point is not getting through, but the essential thing here is that this is a company that's been operating for twelve years, it's a very successful company, it's had audited statements for all those years, it's had valuation letters for all those years, it's had the valuation letter telling you they've talked to management, they've examined the assets and liabilities, this is a company that's doing very, very well.
Is there an alarm going off here because there's a real problem that the directors better get involved in? No, sir, there's not.
[415] Il ira jusqu’à dire que, lors de la réunion du 21 mars 1991, les chiffres confirmés par Coopers révélaient que Castor était à son zénith :
A. Well, I don't blame you in a way for taking that point of view, that's your job. But let me say that, first of all, Wolfgang Stolzenberg had been in the job for ten or twelve or years or some period of time, I'm not exactly sure which, he had done a good job. The results as audited by Coopers & Lybrand indicated that he had done a good job. The valuation letters as produced by Coopers & Lybrand had indicated he had done a good job, they spoke with the management people, they reviewed the assets and liabilities, they were on top of the situation as far as the director is concerned.
So as far as the evaluation of Wolfgang Stolzenberg, the company had been going straight uphill for a number of years, I mean uphill, the profit had been improving, and in fact this particular meeting that we're talking about, March of '91, was, in my opinion, probably the zenith at that point in time of the Castor performance. The value per share was 580, it was in the range of up to 580, it was $580 a share. The book value was somewhat a better - it was the zenith. He had done a good job as far as could be determined, and there was nothing to suggest that he hadn't, nothing, not a thing to suggest that he hadn't.
[416] Prikopa, bien qu’il souhaitait que Widdrington s’informe davantage sur certains aspects des affaires de Castor, a également témoigné qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter en l’absence d’indications contraires de la part des vérificateurs. Il s’est dit impressionné par les résultats financiers de Castor pour l’année 1990, tels que présentés dans les états vérifiés du 31 décembre 1990. La lettre d’évaluation du 6 mars 1991 démontrait également la santé financière de la société.
[417] Devant ces constats, on ne peut pas reprocher à Widdrington d'avoir fait preuve de laxisme ou d'insouciance en s’en remettant aux opinions de Coopers dans le contexte précis de la déclaration du dividende du 21 mars 1991. Pour prendre cette décision, il était parfaitement en droit de se fier aux opinions de Coopers, comme le reconnaît l’article 80(3) de la LCCN-B. Bien que cette défense n’était pas opposable au syndic, rien n’empêche de s’en inspirer pour conclure que Widdrington a fait preuve de prudence et de diligence.
Les dommages
[418] Le jugement dont appel condamne les appelants à la totalité du montant réclamé, soit 2 672 960 $, avec les intérêts et l'indemnité additionnelle depuis la signification de la requête introductive d'instance.
[419] Les appelants soulèvent deux questions.
[420] Premièrement, ils estiment que la juge a erronément refusé de tenir compte des bénéfices financiers que Widdrington a directement retirés de son investissement : dividendes, paiement d'intérêts et émoluments à titre d'administrateur, pour un montant total de 164 436,10 $. Il faut ajouter à cette somme la somme de 15 000 $ pour trois voyages en Europe pour les affaires de Castor. Ces montants doivent être déduits aux termes de la « benefit rule », laquelle trouve application tant en droit civil qu'en common law.
[421] Deuxièmement, ils plaident que la juge de première instance a erré en les condamnant aux intérêts et à l'indemnité additionnelle à compter de l'introduction de l'action en ce qui a trait au règlement intervenu avec le syndic (1 250 000 $). En effet, seulement 600 000 $ ont été payés en date d'aujourd'hui, soit 100 000 $ le 11 mars 1998, 250 000 $ le 8 juin 1998 et 250 000 $ le 9 septembre 1998 et c'est uniquement à partir de ces dates que des intérêts devraient être payables. Quant au solde de 650 000 $, il sera payé advenant que Widdrington ait gain de cause dans la présente action, de sorte qu'aucun intérêt n'est dû sur cette somme.
[422] Les appelants plaident enfin que la juge de première instance a erré en les condamnant à payer l'indemnité additionnelle à compter de l'introduction de l'action alors qu'ils ne sont pas responsables des délais de l'affaire.
[423] Qu'en est-il?
a) Les bénéfices liés à l'investissement dans Castor
[424] À ce sujet, la juge de première instance écrit[134] :
There is no reason to deduct the amounts received by Widdrington while he was a shareholder and a director of Castor.
o The director fees and travel expenses allocation that Widdrington received were paid as compensation for work and assumed responsibilities.
o If Widdrington had not invested in Castor, he would have invested in another vehicle. Evidence shows that his return would have been equal, and may be even superior to the dividends he received on his Castor’s investments on a short term basis.
[425] Nous estimons qu'il n'y a rien à redire, ni à ajouter, à ce raisonnement.
[426] Les appelants ne font voir aucune raison valable de priver Widdrington de sa rémunération à titre d'administrateur de Castor et des montants reçus pour ses déplacements outre-mer afin d'assister à des réunions relatives aux affaires de la société. Ces « bénéfices », liés à son rôle d'administrateur, n'ont aucun lien avec la perte monétaire liée à son investissement dans Castor.
[427] En ce qui a trait aux dividendes et aux intérêts, bien que liés à l'investissement, ils peuvent difficilement être qualifiés de « bénéfices » dans la mesure où, comme le souligne la première juge, Widdrington aurait investi son argent ailleurs et il en aurait récolté les fruits.
b) Les intérêts et l'indemnité additionnelle
[428] Les appelants ont raison, mais en partie seulement.
[429] Il est erroné de les condamner à payer des intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la signification de la requête introductive d'instance, en 1994, alors que Widdrington n'a commencé à payer le syndic qu'à compter du 11 mars 1998, selon les modalités suivantes :
o 100 000 $ le 11 mars 1998;
o 250 000 $ le 11 juin 1998;
o 250 000 $ le 11 septembre 1998;
o Le solde, soit 650 000 $, advenant un jugement en faveur de Widdrington dans l'action l'opposant à Coopers.
[430] Les trois premiers montants furent versés aux dates convenues alors que, bien évidemment, le 650 000 $ restant n'a toujours pas été payé.
[431] L'article 1618 C.c.Q. prévoit qu'en principe les intérêts courent à compter de la demeure, à moins que le tribunal estime approprié de fixer une date autre eu égard aux circonstances.
[432] En l'espèce, les dommages réclamés par Widdrington eu égard à la réclamation du syndic ont été subis après la signification de l'action en l'espèce. Il s'agit d'une circonstance qui devait amener la juge à considérer une date autre que celle de la signification, soit les dates où les dommages ont été véritablement causés. Le professeur Karim écrit à ce sujet[135] :
L'article 1618 C.c.Q. laisse également au tribunal la possibilité de fixer le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle de l'institution de la demande en justice. […] Il en est de même lorsqu'il est établi que certains dommages ont été subis après la demeure du débiteur; dans ce cas, les intérêts et l'indemnité additionnelle doivent être accordés seulement à partir de la date où les dommages ont été causés.
En cas de plusieurs dommages causés au créancier à différentes dates, le juge, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, peut accorder les intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de la date où chaque dommage a été subi.
[433] Tel est le cas en l'espèce. Il y aura donc lieu de conclure comme le proposent les appelants sur ce point.
[434] Ils ont cependant tort de soutenir que la juge de première instance a erré en les condamnant à payer l'indemnité additionnelle depuis l'introduction de l'action alors qu'ils ne sont pas responsables d'une partie importante des délais encourus pour mener l'affaire à terme. Les appelants réfèrent ici à la maladie du juge Carrière, à l'interruption du premier procès et à la durée de l'enquête menée jusque-là.
[435] Voici comment ils présentent leur argument :
For the same reasons, if the present appeal is dismissed, Defendants should not be condemned to pay the additional indemnity for the full period between the introduction of the Plaintiff's action and the date of judgment, as no responsibility can be assigned to Defendants for substantial parts of that unusually long period of time.
[436] Disons simplement que la juge ne leur attribue pas une telle responsabilité, encore moins à la partie adverse. Elle s’en tient à la règle générale, contre la partie qui succombe, y compris pour les délais occasionnés par un accident de parcours.
[437] Ajoutons que le capital qu’auraient dû verser les appelants, dès la demeure, au jour de l’assignation, est demeuré en leur possession, ainsi que les fruits qu’il leur a été loisible d’en tirer. L’indemnité additionnelle qui s’ajoute à l’intérêt légal constitue une indemnité moratoire pour le délai inhérent au processus judiciaire. Par un juste retour des choses, ils doivent aujourd’hui payer cette indemnité en outre du capital payé après ce délai.
C) LA SOLIDARITÉ
[438] La juge de première instance conclut à la solidarité des appelants. Elle explique que leur responsabilité envers Widdrington est extracontractuelle et que la règle énoncée à l'article 1854 C.c.B.-C. ne s'applique qu'en matière contractuelle. La loi étant silencieuse concernant la responsabilité extracontractuelle des associés, il faut s'en remettre aux règles du mandat conformément à l'article 1856 C.c.B.-C. Les mandants (les associés) sont ainsi responsables des dommages causés par la faute de leurs mandataires (les associés fautifs) et de leurs employés, et, conformément à l'article 1106 C.c. B.-C., solidairement responsables des dommages causés aux tiers.
Les prétentions des parties
[439] Les dommages qu'ils pourraient devoir à Widdrington en raison de leur responsabilité extracontractuelle constituent, selon les appelants, une dette de la société. Ils soutiennent que la juge de première instance a erré en concluant à leur responsabilité solidaire pour une dette de cette nature. Ils plaident que c'est la règle énoncée à l'article 1854 C.c.B.-C. qui s'applique ici et que la juge a erré en limitant son application aux seules dettes contractuelles, l'article ne faisant pas une telle distinction.
[440] Les appelants rappellent que, aux termes de l'article 1105 C.c.B.-C., la solidarité ne se présume pas; elle doit être expressément stipulée. Ils soutiennent que la juge a erré en appliquant la règle énoncée à l'article 1106 C.c.B.-C. alors que celle-ci ne s'applique que lorsqu'un délit ou quasi-délit a été commis par deux personnes ou plus. La règle ne s'appliquerait donc pas aux situations où une personne est responsable pour la faute d'une autre personne ou entité.
[441] Les appelants plaident que leur responsabilité à l'égard de Widdrington ne devrait pas être solidaire, mais bien conjointe et donc, divisée entre eux en parts égales.
[442] Pour sa part, l'intimée soutient que la juge de première instance a correctement conclu à la responsabilité solidaire des appelants. Le mot « dettes » de l'article 1854 C.c.B.-C. ne comprend, selon elle, que les obligations contractuelles de la société. Elle estime que la juge a eu raison de fonder son raisonnement sur la décision Bélisle-Heurtel c. Tardif[136] même si celle-ci porte sur l'article 2219 C.c.Q. Dans cette affaire, la Cour supérieure se fonde sur les mots « acte conclu » que l'on retrouve à l'article 2219 C.c.Q. (dont les articles 1855 et 1856 C.c.B.-C. sont les ancêtres) pour conclure qu'il ne s'applique qu'en matière contractuelle.
[443] L'intimée mentionne enfin que l'interprétation retenue par la juge de première instance concorde avec la Loi sur les sociétés en nom collectif (LSNC)[137] de l'Ontario.
L'analyse
[444] Sur ce point nos avis divergent. Pour les juges Chamberland et Rochon, la juge de première instance a eu tort de conclure à la solidarité. S'agissant d'une dette de la société, la responsabilité extracontractuelle des appelants envers Widdrington est conjointe et donc, séparée entre eux en parts égales. Pour le juge Vézina, la responsabilité des appelants est solidaire puisque Coopers est une société en nom collectif régie par la LSNC de l'Ontario et que, aux termes de l'article 2809 C.c.Q., c'est cette loi qui s'applique ici.
Pour les juges Chamberland et Rochon
[445] Aux termes du droit commun, tous les codébiteurs ne sont tenus que pour leur part de la dette. La solidarité constitue une exception à ce principe. La solidarité n'existe que si elle est stipulée expressément par les parties ou par la loi. À cet égard, l'article 1105 C.c.B.-C. prévoit que :
1105. La solidarité ne se présume pas; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
Cette règle cesse dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit en vertu d'une disposition de la loi.
Elle ne s'applique pas non plus aux affaires de commerce, dans lesquelles l'obligation est présumée solidaire, excepté dans les cas régis différemment par des lois spéciales.
[446] Sur ce point précis, le droit commun nouveau retient le caractère d'exception de la solidarité :
1525. (C.c.Q.) La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n'existe que lorsqu'elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.
[447] Cette règle générale du partage de la dette et de l'exception de solidarité est reprise en matière de société à l'article 1854 C.c.B.-C. :
1854. Les associés ne sont pas tenus solidairement des dettes sociales. Ils sont tenus envers le créancier chacun pour une part égale, encore que leurs parts dans la société soient inégales.
Cet article ne s'applique pas aux sociétés commerciales.
[448] Les associés d'une société civile sont tenus en parts égales. Les associés d'une société commerciale demeurent soumis à l'exception de solidarité de l'article 1105 C.c.B.-C. pour les affaires de commerce.
[449] La société commerciale et la société civile sont définies à l'article 1863 C.c.B.-C.:
1863. Les sociétés commerciales sont celles qui sont contractées pour quelque trafic, fabrication ou autre affaire d'une nature commerciale, soit qu'elle soit générale, ou limitée à une branche ou aventure spéciale. Toute autre société est civile.
(nous soulignons)
[450] Suivant un enseignement plus que séculaire, les sociétés professionnelles ne sont pas considérées comme des sociétés commerciales. Suivant l'acception classique de l'époque, la société professionnelle n'est pas contractée « pour quelque trafic, fabrication, ou autre affaire de nature commerciale ».
[451] Dans l'arrêt Drouin c. Gauthier[138], la Cour considère qu'une société d'avocats est une société civile.
[452] Dans l'arrêt Beaudouin c. Les Immeubles Côté Lemieux inc.[139], les trois juges signent des motifs distincts. Tous trois conviennent qu'une société de comptables agréés est une société civile.
[453] Cette question a été régulièrement abordée sous l'angle de la capacité d'ester que l'on ne reconnaissait pas à la société civile puisque cette dernière n'est pas une personne morale. Dans l'affaire Samson Bélair c. Autobus Fortier et Poulin inc., le juge Dufour écrivait :
La demanderesse est une société civile particulière formée pour l'exercice de la profession de comptables agréés par les sociétaires qui sont eux-mêmes en règle de l'ordre des C.A. du Québec. En effet, la deuxième phrase de l'article 1863 C.c. fait voir que la société civile est la société de droit commun. En somme, si une société n'est pas commerciale, elle est civile. En pratique, la société d'avocats, de notaires et de professionnels en général, lesquels n'exercent pas dans un but commercial, sont civiles; les mêmes critères s'appliquent ici à la demanderesse Samson Bélair qui est une société civile particulière formée pour l'exercice de la profession de comptables agréés. Il faut donc régler le présent litige à la lueur des dispositions des articles 1830 à 1856 C.c., qui traitent du régime de la société civile, et de la jurisprudence. [140]
[454] Dans une autre affaire qui implique une société de comptables, le juge Gratton résume ce qui lui paraît être l'état du droit sous le Code civil du Bas-Canada :
Une société de comptables, d'avocats, de notaires, bien que rendant des services professionnels permettant de gagner sa vie, n'a jamais été considérée comme une société commerciale, mais plutôt comme une société civile. Le législateur n'a jamais décrit la société civile autre que de dire, à l'ancien article 1863 C.c.B.-C. « que toute autre société de nature non commerciale est civile ».[141]
[455] Dans Pérodeau v. Hamil, la Cour suprême du Canada reconnaît d'emblée qu'une société de professionnels qui pratiquent le notariat est une société civile :
Partnerships between notaries for the practice of their profession is not of the character here described as commercial, and is therefore a civil partnership. [142]
[456] Il ne nous paraît pas utile d'élaborer davantage sur cette question qui n'est pas véritablement remise en cause par l'intimée.
[457] La difficulté se situe ailleurs. Pour bien exposer les thèses en présence, dont celle retenue par la juge de première instance, il y a lieu de reproduire les trois dispositions du Code civil du Bas-Canada qui traitent « Des obligations des associés envers les tiers ».
Art. 1854. Les associés ne sont pas tenus solidairement des dettes sociales. Ils sont tenus envers le créancier chacun pour une part égale, encore que leurs parts dans la société soient inégales. Cet article ne s'applique pas aux sociétés commerciales. Art. 1855. La stipulation que l'obligation est contractée pour la société ne lie que l'associé contractant, lorsqu'il agit sans l'autorité expresse ou implicite de ses coassociés, à moins que la société n'ait profité de tel acte, et dans ce cas tous les associés en sont tenus.
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Art. 1854. Partners are not jointly and severally liable for the debts of the partnership. They are liable to the creditor in equal shares, although their shares in the partnership may be unequal. This article does not apply in commercial partnerships. Art. 1855. A stipulation that the obligation is contracted for the
partnership binds only the partner contracting, when he acts without the
authority, express or implied, of his copartners; unless the partnership is
benefited by his act, in which case all the partners are bound. Art.
1856. The liabilities of partners for the acts of
each other are subject to the rules contained in the title Of Mandate,
when not regulated by any article in this title. |
[458] Pour l'intimée, la règle énoncée à l'article 1854 C.c.B.-C. ne s'applique qu'en matière contractuelle. Cela ressortirait des mots « dettes sociales ». L'expression exclurait les dettes extracontractuelles. Partant, il faudrait s'en rapporter aux règles du mandat pour trancher la question de la solidarité en matière extracontractuelle, et ce, en fonction de la règle générale établie à l'article 1856 C.c.B.-C. Appliquant par la suite les articles 1731 et 1054 C.c.B.-C. de même que 1105 C.c.B.-C., l'intimée conclut à la solidarité. Ces articles sont ainsi rédigés :
Art. 1731. Il [le mandant] est responsable des dommages causés par la faute du mandataire, conformément aux règles énoncées en l'article 1054.
Art. 1054. Elle [la personne] est responsable non seulement du dommage qu'elle cause par sa propre faute, mais encore de celui causé par la faute de ceux dont elle a le contrôle, et par les choses qu'elle a sous sa garde.
Le titulaire de l'autorité parentale est responsable du dommage causé par l'enfant sujet à cette autorité.
Les tuteurs sont également responsables pour leurs pupilles.
Les personnes chargées de garder un majeur non doué de discernement sont également responsables pour le dommage causé par ce majeur.
L'instituteur et l'artisan, pour le dommage causé par ses élèves ou apprentis, pendant qu'ils sont sous sa surveillance.
La responsabilité ci-dessus a lieu seulement lorsque la personne qui y est assujettie ne peut prouver qu'elle n'a pu empêcher le fait qui a causé le dommage.
Les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers, dans l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés.
1105. La solidarité ne se présume pas; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
Cette règle cesse dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit en vertu d'une disposition de la loi.
Elle ne s'applique pas non plus aux affaires de commerce, dans lesquelles l'obligation est présumée solidaire, excepté dans les cas régis différemment par des lois spéciales.
[459] La juge de première instance se dit confortée dans cette position de principe par l'analyse des dispositions du Code civil du Québec (art. 2219, 2221 et 2254) qui ne s'appliquent pas en l'espèce. Elle réfère, à ce sujet, à la décision de Bélisle-Heurtel c. Tardif[143]. Cette affaire portait sur les dispositions précitées du Code civil du Québec.
[460] Soit dit avec égards, les assises de cette position nous paraissent fragiles et ne peuvent être retenues. Elles sont en porte-à-faux avec la règle générale du caractère conjoint des obligations. Elles classent les obligations des associés d'une société civile à titre d'obligation solidaire sans qu'aucun texte ne la stipule expressément pour reprendre l'expression de l'article 1105 C.c.B.-C.
[461] Mais, il y a plus.
[462] D'abord, force est de constater qu'une dette peut naître d'une obligation contractuelle ou extracontractuelle. D'ailleurs, le Code civil du Bas-Canada emploie indistinctement la notion de dette à l'égard de toute espèce d'obligation[144]. Il n'existe aucune disposition qui restreint le sens du mot « dette » aux seules obligations contractuelles.
[463] Qui plus est, notre interprétation de l'article 1854 C.c.B.-C. se colle davantage aux principes généraux qui limitent les effets de la solidarité aux affaires de commerce et aux sociétés commerciales.
[464] Tant d'un point de vue étymologique que juridique, il n'existe aucune raison de limiter les dettes sociales aux seules dettes contractuelles.
[465] Le recours au droit nouveau par la juge de première instance (C.c.Q.) pour interpréter le droit ancien (C.c.B.-C.) ne paraît pas, en l'espèce, approprié. Les textes sont différents. Le Code civil du Québec traite « d'acte conclu » (art. 2219 C.c.Q.) et « d'obligations ou de dettes contractées » (art. 2221 et 2254 C.c.Q.).
[466] Le Code Napoléon, à son article 1863, emploie le terme « contracté ». Bien qu'il ait servi de modèle à notre Code civil du Bas-Canada, le législateur québécois n'a pas repris l'expression. Il a plutôt adopté les termes plus généraux de « dettes sociales ».
[467] D'aucuns avancent que notre interprétation de l'article 1854 C.c.B.-C. aurait pour effet de vider de son sens et de toute utilité l'article 1856 C.c.B.-C. Il n'en est rien.
[468] L'article 1856 C.c.B.-C. réfère aux règles du mandat pour trancher les questions relatives à la responsabilité des associés. Il s'agit notamment des règles énoncées aux articles 1727 à 1731 C.c.B.-C. Ces articles prévoient différentes normes pour établir les obligations du mandant envers les tiers et, par voie de référence, celles des associés envers les tiers.
[469] L'ensemble de ces normes s'applique aux associés, sauf, précise la fin de l'article 1856 C.c.B.-C., si l'affaire n'est pas déjà réglée par quelque article du présent titre. C'est précisément le cas en l'espèce. L'article 1854 C.c.B.-C. traite de la responsabilité des dettes sociales et partant de l'absence de solidarité à cet égard pour les associés d'une société civile.
[470] Cette lecture combinée des articles 1854 et 1856 C.c.B.-C. est celle retenue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Pérodeau c. Hamil précitée[145].
[471] Dans cette affaire, se posait la question de la responsabilité d'un associé dans un cabinet de notaires pour une faute commise par un autre associé qui s'était emparé d'une somme d'argent remise par un client et qui devait servir à acquitter une dette de ce dernier :
[…] The relation of agency or mandate in which the persons carrying on a joint business stand to each other is a material subject of inquiry upon the question of partnership; and so, for the regulation of the liabilities of partners for the acts of each other, resort must be had to the rules of mandate, and these are conveniently and naturally introduced into the partnership articles of the code by reference to the rules contained in the title of mandate. But in this case the appellant's liability is not for the act of his partner or nominal partner; it arises by reason of the fact that the partnership has failed to account for, or to apply to the purpose directed, the money, which was received by the partnership for that purpose. The money was paid to Mr. McKenna who had authority to receive it and did receive it on behalf of the firm […]. Hence arose at least a debt of the partnership to repay the money, if the mandate was not executed, and for this art. 1854 declares that the partners are liable to the creditor not jointly and severally but in equal shares; this article regulates the measure of the appellant's liability because it is a partnership liability and because, with respect to partnership liabilities, the article is not controlled or qualified by the provisions respecting mandate. Moreover, upon the only assumption upon which art. 1856 can be considered to apply, namely, if the liability be that of a partner for the act of his copartner, it will be perceived that such liabilities, in so far as they comprehend debts of the partnership, are regulated by art. 1854, and therefore expressly within the exception to art. 1856. […][146]
(nous soulignons)
[472] Les avocats de l'intimée écartent cet enseignement au motif que, dans ce cas, il s'agissait d'une dette contractuelle. Nous croyons avoir amplement démontré que cette prémisse est erronée.
[473] En résumé, et cela dit avec égards pour l'opinion contraire, il n'y a aucune raison de distinguer les dettes sociales de l'article 1854 C.c.B.-C. en fonction de la nature des obligations qui les a créées.
[474] De façon subsidiaire, nous ajoutons que le recours aux règles du mandat nous conduit à un résultat similaire.
[475] L'article 1731 C.c.B.-C., auquel réfère l'article 1856 C.c.B.-C., prévoit que le mandant est responsable des dommages causés par le mandataire conformément aux règles énoncées à l'article 1054 C.c.B.-C. Le premier alinéa de cet article prévoit que :
Elle est responsable non seulement du dommage qu'elle cause par sa propre faute, mais encore de celui causé par la faute de ceux dont elle a le contrôle, et par les choses qu'elle a sous sa garde.
[476] L'article 1054 C.c.B.-C. traite de responsabilité et non de la solidarité. Ce n'est donc pas sur cette base que l'on peut conclure à la solidarité des associés.
[477] Il faut plutôt se rapporter à l'article 1106 C.c.B.-C. qui énonce que :
Art. 1106. L'obligation résultant d'un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire.
[478] L'article traite d'une obligation résultant d'un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus. En l'espèce, le délit a été commis par Wightman et non par les associés de la firme comptable. La responsabilité de ceux-ci découle de la loi et plus particulièrement des règles du mandat et non de leur participation à la faute.
[479] Cette situation a été examinée à au moins deux reprises par la Cour suprême du Canada sans que celle-ci ne tranche définitivement le point.
[480] Dans une première affaire, Modern Motor Sales Ltd. c. Masoud, le juge Taschereau écrit :
[…] J'entretiens des doutes sérieux sur l'existence de cette solidarité entre les trois défendeurs. En effet, elle ne pourrait exister que par l'application de l'article 1106 C.C. qui veut que l'obligation résultant d'un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus, soit solidaire. Encore faut-il que les débiteurs aient commis un quasi-délit et que ce soit le même quasi-délit. C'est à cette seule condition qu'il y aura solidarité. Dans le cas qui nous occupe, l'obligation de Picard, conducteur du véhicule, de réparer le dommage causé procède bien d'un quasi-délit, mais les sources qui font naître les obligations de Masoud et de Montreal Candy sont entièrement différentes. La responsabilité de Montreal Candy, suivant le jugement du Juge de première instance, naîtrait de la relation d'employeur et d'employé (art. 1054 C.C.). Elle aurait son fondement sur un texte de loi et ne présenterait aucun caractère quasi-délictuel. Masoud, qui payait Picard, serait responsable également comme conséquence de l'application de l'article 1054 et il aurait aussi commis le quasi-délit de donner la possession d'un camion défectueux à la Montreal Candy, ce qui l'obligerait à réparer le dommage en vertu de 1053. Quasi-délit bien différent de celui de Picard.
Mais il semble inutile d'approfondir davantage cette question, car le premier jugement prononce la solidarité et vu le défaut d'appel, il ne peut être attaqué. […][147]
[481] Dans l'arrêt Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier, le juge Pigeon écrit :
Je ne puis cependant méconnaître la difficulté qui est signalée par les juges Taschereau et Fauteux dans Modern Motor Sales Ltd. c. Masoud, et qui découle de l'article 1106 C.C. Ce texte ajouté après la première rédaction du titre des obligations se lit comme suit :
1106. L'obligation résultant d'un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire.
1106. The obligation arising from the common offence or quasi-offence of two or more persons is joint and several.
On ne saurait nier qu'à proprement dire le commettant est responsable du délit ou quasi-délit commis par son préposé dans l'exécution de ses fonctions sans l'avoir commis lui-même. D'après les dictionnaires, le délit ou quasi-délit c'est le fait fautif, non la responsabilité qui en découle.[148]
[482] En l'absence d'une disposition expresse et puisque la solidarité ne se présume pas, nous ne pouvons pas condamner les associés solidairement pour une faute extracontractuelle commise uniquement par l'un d'eux. Ces associés sont tenus envers le créancier chacun pour une part égale.
[483] Il y a lieu de modifier le dispositif du jugement entrepris en conséquence.
Pour le juge Vézina
[484] Il est admis que si Wightman est responsable, ses associés codéfendeurs le sont aussi. Mais leur responsabilité est-elle solidaire plutôt que simplement conjointe?
[485] Coopers est une société en nom collectif (Partnership) régie par la Loi sur les sociétés en nom collectif[149] de l’Ontario.
[486] Malgré ce fait, les parties ont soumis à la juge que la question devait être tranchée selon la loi du Québec, « par défaut », en quelque sorte.
[487] Les parties reprennent la même position en appel.
[488] Les appelants écrivent dans leur exposé :
514. The Plaintiff is claiming damages from C&L, the partnership, and from its partners. This raises the issue of whether these partners are solidarily liable or only liable for their share of any partnership’s debt. As noted by the trial judge, although C&L is an Ontario partnership, that issue must be decided according to Quebec law because none of the parties invoked or proved Ontario law on this issue ([3597]).
et les intimés :
497. C&L is an Ontario partnership and it is notable that, in contrast to the governing law for the issue of negligence, Appellants never alleged that the applicable law governing the liability of individual partners is that of Ontario. In the absence of any such proof, there is no dispute that the Trial Judge correctly stated in §3597 that Quebec law applies to the determination of whether C&L’s partners are solidarily liable.
[489] La juge a conclu dans le même sens[150] :
There were no allegations with respect to the rules governing the liability of individual partners as per Ontario law. As per article 2809 of the Civil Code of Quebec, the Court must apply Quebec law.
[490] Soit dit avec égards, il y a là une erreur dans l’interprétation de cet article qui, tous en conviennent, établit la règle en pareil cas :
2809. Le tribunal peut prendre connaissance d'office du droit des autres provinces ou territoires du Canada et du droit d'un État étranger, pourvu qu'il ait été allégué. Il peut aussi demander que la preuve en soit faite, laquelle peut l'être, entre autres, par le témoignage d'un expert ou par la production d'un certificat établi par un jurisconsulte.
Lorsque ce droit n'a pas été allégué ou que sa teneur n'a pas été établie, il applique le droit en vigueur au Québec.
[491] Cet article de droit nouveau[151] reprend une règle établie par la Cour suprême[152], en y apportant toutefois une modification, ici pertinente.
[492] Selon la règle jurisprudentielle antérieure, la loi étrangère devait être mise en preuve par qui l’invoquait, sans quoi elle était présumée semblable à celle du droit interne que le tribunal devait alors appliquer.
[493] Aujourd’hui, la nouvelle disposition octroie plus de latitude au tribunal. En l’absence de preuve du droit étranger, il peut en exiger la preuve ou, plus simplement, en prendre connaissance d’office.
[494] Le nouvel article maintient toutefois comme condition que le droit étranger « ait été allégué », en anglais « provided it has been pleaded ».
[495] Il est vrai qu’on ne retrouve pas dans les actes de procédure des parties une allégation spécifique du droit ontarien, au sens de ce terme suivant le Code de procédure civile (Règles de la procédure écrite, art. 76 à 93.1), où le texte anglais rend la notion « d’alléguer » par le terme « alleged » et non pas par celui de « pleaded » employé à l’article 2809 du Code civil.
[496] Il ne faut pas s’attacher à ce sens quasi technique du mot pour interpréter de façon réductrice la disposition du Code civil. Le texte anglais, « pleaded » a une compréhension plus étendue.
[497] Qu’en est-il de l’objectif de cette disposition? Il est tout aussi simple que souhaitable, soit que le droit applicable soit appliqué.
[498] On peut comprendre facilement que la règle supplétive de l’article 2809 C.c.Q. soit nécessaire si le droit étranger est difficilement accessible, que ce soit celui d’un pays lointain ou celui d’un système de droit peu connu ici. Mais ça devient presque bébête d’ignorer le droit d’une province voisine alors qu’il est disponible à quelques clics de souris et, par surcroît, dans les deux langues officielles.
[499] La condition de l’article 2809 C.c.Q. pour donner ouverture à l’initiative du tribunal est bien interprétée en exigeant que le droit étranger soit « invoqué »[153], soit que les parties l’allèguent spécifiquement, le plaident, le prouvent ou l’admettent.
[500] En pareils cas, le tribunal dispose des outils prévus à l’article pour connaître et appliquer le droit étranger. Et, le cas échéant, le tribunal doit exercer ce pouvoir dans l’intérêt de la justice, pour que le litige soit tranché selon la véritable règle applicable et non selon celle qu’on présume semblable mais qu’on sait différente.
[501] Autrement, et c’était le cas auparavant, le tribunal est en quelque sorte encarcané par des stratégies plus ou moins obscures des plaideurs qui l’obligent à ignorer la véritable loi pourtant facilement accessible et connue de tous. C’est le genre de situation où le système judiciaire paraît être un jeu où le plus retors gagne; la procédure devient alors la maîtresse du droit et conduit sans surprise à un résultat qui rebute l'esprit.
[502] Ici, le droit ontarien a largement été invoqué.
[503] Les appelants ont plaidé de façon générale que toute la question de la responsabilité ne devait pas être tranchée selon le droit québécois, mais selon un droit étranger, celui du Nouveau-Brunswick ou celui de l’Ontario.
[504] De manière plus particulière, la preuve révèle que Coopers est une société ontarienne, « an Ontario Partnership », ce qui signifie que cette entité a été constituée selon les lois de l’Ontario et est régie par elles.
[505] Enfin, les parties ont fait plus qu’invoquer le droit ontarien, elles admettent que les codéfendeurs, membres de Coopers, sont régis dans leurs relations entre eux et vis-à-vis des tiers, par le droit de l’Ontario, ajoutant toutefois que la juge devrait l’ignorer.
[506] Au contraire, l’article 2809 donne le pouvoir aux tribunaux d’appliquer le droit découlant du choix des codéfendeurs, et d’abord s’informer des dispositions du droit ontarien malgré le défaut des parties de le mettre en preuve.
[507] La Loi sur les sociétés en nom collectif[154] ontarienne prévoit la solidarité des associés avec l’associé fautif :
11. S’il est causé une perte ou un préjudice à une personne autre qu’un associé de la firme, ou si une peine quelconque est encourue, par suite d’un acte ou d’une omission illégitime d’un associé agissant dans la conduite ordinaire de l’entreprise de la firme ou avec l’autorisation de ses coassociés, la firme en est responsable dans la même mesure que l’associé qui a commis cet acte ou cette omission.
[…]
13. Sous réserve du paragraphe 10 (2), chacun des associés est responsable, solidairement avec ses coassociés, de tout ce dont la firme devient responsable aux termes de l’article 11 ou 12, pendant qu’il en est un des associés.
[508] Il y a d’ailleurs consensus sur cet aspect de la loi ontarienne.
[509] Pour ce motif, la condamnation solidaire des appelants, prononcée par la juge, devrait être confirmée.
D) LES DÉPENS
[510] Le Code de procédure civile édicte la règle, et ses exceptions, pour l’adjudication des frais :
477. La partie qui succombe supporte les dépens, frais du sténographe compris, à moins que, par décision motivée, le tribunal ne les mitige, ne les compense ou n'en ordonne autrement.
Le tribunal peut également, par décision motivée, mitiger les dépens relatifs aux expertises faites à l'initiative des parties, notamment lorsqu'il estime que l'expertise était inutile, que les frais sont déraisonnables ou qu'un seul expert aurait suffi.
[…]
[511] La juge a adjugé la totalité des frais contre les appelants, ne retenant pas leurs arguments pour faire exception à la règle générale.
[512] Ils les reprennent en appel :
- L’article 477 n’obligeait pas les appelants à convaincre la juge de faire exception à la règle, comme elle le leur a imposé.
- Les frais auraient dû être adjugés en faveur de l’intimée au prorata de sa réclamation (2,7 M$) par rapport au total de toutes les réclamations (600 M$), soit 0,4 pour cent.
- Aucune des parties ne doit supporter les frais de la première enquête sauf pour la partie de la preuve versée dans la seconde.
- Il y a eu dédoublement des frais d’expertises.
[513] La juge a-t-elle indûment imposé un fardeau aux appelants? Ils écrivent :
The trial judge concluded that under article 477 C.C.P., the Defendants had the burden to convince the Court not to order the payment of all costs. This is an erroneous analysis of the burden of proof in respect of costs. Further, the trial judge completely omitted any analysis of the second paragraph of article 477 C.C.P., which sets out the requirement for the Court to reduce costs […]
(nous soulignons)
[514] Sur la règle versus l’exception, voici comment la juge s’exprime[155] :
As written in article 477, the losing party must pay all costs unless the court orders otherwise by decision giving reasons. Since ordering otherwise is an exception to a general rule, the burden rested on the Defendants to convince the Court that she should do so taking account all the circumstances of the case. Defendants have failed to discharge this burden.
[515] Rappelons d’abord que l’adjudication des dépens par les juges d’instance est un exercice discrétionnaire. Ils peuvent faire exception à la règle à la demande d’une partie dont, bien sûr, ils doivent écouter et soupeser les arguments; ce que la juge a fait. Ils peuvent aussi y faire exception d’office, mais ils ne sont nullement contraints de prendre pareille initiative. Ni l’article du Code ni son interprétation traditionnelle ne créent une telle exigence (« requirement ») comme l’écrivent les appelants, sans toutefois citer ni autorité ni précédent en ce sens.
[516] La juge n’a pas imposé un fardeau (« burden »), aux appelants. C’est simplement dans la nature des choses que celui qui invoque une exception doit exposer ses motifs pour justifier de s’écarter de la règle. S’ils sont mal fondés, la règle sera appliquée sans qu’il soit nécessaire de motiver cette application.
[517] La juge s’est bien dirigée en droit en distinguant la règle et l’exception sans imposer aux appelants un fardeau autre que celui qui incombe à qui invoque l’exception.
[518] Les appelants soutiennent que l’adjudication de la totalité des frais en faveur de l’intimée constitue une injustice grave. Selon eux, l’équité commandait, dans les circonstances, de les répartir au prorata. Comme la réclamation de l’intimée représente 0,4 % de l’ensemble des réclamations, il n’aurait droit qu’à ce pourcentage des frais.
[519] La proposition d’exception des appelants, une répartition au prorata, n’est pas sans mérite compte tenu de l’entente de financement du procès intervenue entre les quelque quarante demandeurs, par l’entremise du syndic à la faillite de Castor, grâce à laquelle, semble-t-il, les coûts du procès ont été défrayés.
[520] Les appelants rappellent que seules les questions communes aux quarante actions sont tranchées par le jugement attaqué, soit la loi applicable, la faute, et peut-être un certain aspect de la causalité. Restent à débattre, dans chacune des actions, quel dommage a été subi et s’il y a eu un lien de causalité comme celui constaté ici.
[521] La juge rejette la suggestion du prorata. Elle rappelle que les appelants ont choisi de tout contester, comme c’était leur droit, précise-t-elle, mais ils doivent en supporter les conséquences[156] :
To succeed, Plaintiff had to prove fault, damage and causality. The burden of proof rested on him as Defendants repeatedly reminded the Court and his counsel. The case was complex and establishing the relevant facts without resorting to numerous admissions was quite a challenge. Defendants elected to defy Plaintiff to do it, as it was their right; it is just fair that they live with the consequences of the choice they made now that Plaintiff has succeeded.
[522] Quant aux autres actions, toujours pendantes, la juge n’y voit pas un motif valable pour réduire les frais encourus pour trancher les questions communes. Si l’une ou l’autre des actions est rejetée, les appelants pourront demander des frais en leur faveur et le Tribunal tranchera alors[157] :
Defendants say litigation is far from being finished since debates will continue on individual issues (reliance and damages), on a case by case basis, in the other files. They might be right. They might be wrong. They have to remember that litigating all the other files is only one of multiple options. Now that the litigants have on hand answers to all common issues, resolving the remaining conflicts otherwise is clearly an option (for example, resorting to alternative modes of conflict resolution).
Now that the answers to common issues are known, Defendants argue it could still happen that a court will dismiss a plaintiff’s claim in the pending cases, if the plaintiff does not discharge his or her burden to prove damages or reliance, and they are right. However, it does not justify this Court to reduce the costs in the present file even though it might allow the Defendants to claim costs in any of the pending files, a question left for further adjudication by the judge who will be hearing the case.
[523] Tel que déjà souligné, la latitude accordée au juge par l’article 477 C.p.c. est grande. La juge aurait pu envisager un prorata, avec ou sans modalités. Mais, aujourd’hui, la Cour n’a pas à soupeser cette option, mais simplement à décider si la juge, en l’écartant pour lui préférer la règle générale, a exercé valablement sa discrétion.
[524] La juge a refusé de se laisser entraîner dans les relations de l’intimée avec des tierces parties, débordant le cadre du débat sur les questions communes où les appelants et l’intimée ont été de fait les seuls participants. Comment ont été établies les parts respectives du financement? Celle du syndic à la faillite? Toutes les parties à l’entente ont-elles respecté leur engagement? Quid de celles qui ont transigé en cours de route? Il appartiendra à l’intimée de régler toutes ces questions qui sont pour les appelants res inter alios acta. Les frais sont distraits de plein droit en faveur de l’avocat (C.p.c., art. 479) peu importe qu’il les ait défrayés lui-même, que son client les lui ait avancés ou qu’ils aient été financés par un tiers. La juge a tranché[158] :
Plaintiff argues the fact that arrangements were made to finance the pursuit of the litigation after the Widdrington case was chosen as “The case”, changes nothing. The Court has not to and should not take that into account.
[525] Par ailleurs, la latitude accordée aux juges d’instance par l’article 477 est considérable : la règle s’applique « à moins que le tribunal n’ordonne autrement ». Dans l’hypothèse, bien hypothétique il est vrai, où toutes les actions auraient été entendues ensemble, la juge aurait pu trancher que tous les frais du débat relatifs aux questions communes soient adjugés selon l’issue de ce débat et que les autres frais, relatifs aux particularités des autres actions, soient adjugés selon l’issue de chacune. En quelque sorte, elle pouvait appliquer la règle générale à ce procès dans le procès, en le considérant comme un tout distinct. C’est l’effet de sa décision.
[526] La décision de la juge, dûment motivée, s’inscrit à l’intérieur de la discrétion judiciaire que le Code lui alloue. La Cour ne saurait intervenir au motif qu’une répartition au prorata présentait certains avantages. Il est difficile de prendre les appelants au sérieux lorsqu’ils s’offusquent d’une « grave injustice » : « …the trial judge’s order on costs is totally unreasonable and leads to a manifest injustice… »
[527] Le Code de procédure civile (art. 466) édicte que « le juge appelé à continuer une affaire… doit disposer des dépens, y compris ceux relatifs à l'enquête et audition originales, en tenant compte des circonstances ».
[528] La juge n’a pas cru bon de mitiger les frais concernant ceux de la première enquête, elle a plutôt appliqué la règle générale, les adjugeant contre la partie qui a « succombé » en définitive.
[529] Les appelants se plaignent que la juge n’a pas tenu compte de toutes les circonstances et que sa motivation est insuffisante.
[530] Les circonstances dont la juge n’aurait pas tenu compte ont trait à la durée de la première enquête et au motif de son interruption.
[531] Quant à la durée, la juge en traite. De fait, elle l’attribue à la complexité de l’affaire, mais aussi, en termes polis, à la contestation systématique menée par les appelants (voir le paragraphe 3629 du jugement, cité ci-dessus).
[532] Quant à l’interruption de l’enquête, elle est due à la maladie du juge qui présidait. Les appelants écrivent avec raison que nul n’en est responsable :
In light of the special and unusual circumstances described above, and except for the costs related to evidence that was used in the second trial, no party should be responsible for the costs of the first trial, including the costs of experts.
[533] Si l’argument est valable pour que les appelants ne supportent pas les frais dus à l’interruption, il est tout aussi valable pour ne pas les faire supporter par l’intimée. La juge devait trancher. Elle a choisi d’appliquer encore une fois la règle générale et d’imposer les frais de ce malheureux accident de parcours à la partie qui a succombé aux termes de cette saga judiciaire. On ne saurait lui reprocher cet exercice discrétionnaire de son pouvoir d’adjudication des frais.
[534] Quant au caractère succinct des motifs de la juge, disons simplement qu’il s’imposait ici. La juge a relevé un défi énorme, qu’elle décrit bien : « Writing clear and complete but concise reasons represents a titanic challenge. » Sans compter que la concision est la règle (C.p.c., art. 471). Il est vrai que ce jugement n’est pas bref, il compte plusieurs mots, mais il est concis, chaque mot compte.
[535] La juge pouvait trancher comme elle l’a fait. Le reproche des appelants est mal fondé.
[536] La juge a inclus dans les frais adjugés toutes les expertises de l’intimée, celles de la première enquête comme celles de la seconde.
[537] En ce faisant, la juge a appliqué la règle générale et donc, strictement parlant, elle n’avait pas à motiver sa décision. Elle s’est tout de même expliquée, ce qui est plus satisfaisant pour tous et permet de constater sa prudence, de mise en cette matière, comme elle prend soin de le noter elle-même[159] :
(…) Again, in assessing the costs of expert evidence, the Court must be careful as the Court of Appeal said recently in Michaud c. Équipements ESF inc.3867.
_____
3867 Michaud c. Équipements ESF inc. [2010] QCCA 2350, see namely paragraphs 98 and following - Justice France Thibault discussing adjudication on costs of experts and hindsight.
[538] En résumé, elle considère « utiles » et même « nécessaires » l’ensemble des expertises dans cette affaire fort complexe[160] :
[3629] To succeed, Plaintiff had to prove fault, damage and causality. The burden of proof rested on him as Defendants repeatedly reminded the Court and his counsel. The case was complex and establishing the relevant facts without resorting to numerous admissions was quite a challenge. Defendants elected to defy Plaintiff to do it, as it was their right3866; it is just fair that they live with the consequences of the choice they made now that Plaintiff has succeeded.
______
3866 In compliance with articles 6 and 7 of the Quebec Civil Code and compliance with articles 4.1, 4.2 and 4.3 of the Code of Civil Procedure.
[3630] Plaintiff had no choice but to resort to expert testimonies in numerous and various fields of expertise. Plaintiff had to ask those experts to deal with the situation, without the benefit of a series of clear uncontested facts or admissions. As the Court writes at paragraph 21 of this judgment, “Writing clear and complete but concise reasons represents a titanic challenge”. Each of the experts that appeared before the Court had to face a similar challenge, Plaintiff’s experts as well as Defendants’ experts.
[3631] With the benefit of hindsight, one could think or suggest that the case should have unwound differently.
[3632] However, relying on hindsight is discarded. […]
[…]
[3635] There is not a doubt that the reports and the testimonies of the Plaintiff’s experts were useful. In fact, in the circumstances of the case, they were necessary. Therefore the Court finds that all experts’ costs should be part of the costs adjudicated to Plaintiff.
[539] Les appelants reprochent à la juge de ne pas avoir exercé sa discrétion de façon raisonnable. Ils réitèrent un manque d’analyse de sa part concernant la durée et l’avortement de la première enquête en reliant ces problèmes aux témoignages d’experts :
…article 466 C.C.P. requires, in that it expressly called upon her to decide the issue of costs of the first trial “according to the circumstances”. This therefore necessitated an analysis by her of the reasons for the undue length of the trial and why the first trial could not be completed (and, for example, in this case, the reasons why the evidence of Plaintiff’s expert Vance took so long to adduce).
[…]
Defendants therefore submit that, in these circumstances, the trial judge did not exercise her discretion in a judicial manner when she condemned them to the full costs of the first trial, including the full costs of experts, without any analysis and without any consideration of the above factors but simply on the basis that they were not successful in their defence and that the expert opinions were “useful”.
[540] Notons d’abord que l’article 466 C.p.c., au second alinéa, confère aux juges d’instance une discrétion qui équivaut à peu de chose près à celle de l’adjudication des frais déjà discutée :
466. […]
[Le juge] doit disposer des dépens, y compris ceux relatifs à l'enquête et audition originales, en tenant compte des circonstances et peut, en outre, prendre toute autre mesure qu'il considère juste et appropriée. Lorsque, pour l'application du premier alinéa, les notes sténographiques doivent être traduites, les frais de traduction sont assumés par le gouvernement à moins que le juge n'en ordonne autrement, notamment lorsque le recours est manifestement mal fondé ou frivole et abusif ou dilatoire.
[541] La juge a consacré plus de cent paragraphes de son jugement à l’analyse des dépositions des témoins experts concernant la vérification des états financiers de Castor. Voici un extrait de la table des matières[161] :
Overview of expert opinions on GAAP and GAAS
General observations on available experts’ opinions
General observations on expert evidence
Credibility and reliability of expert evidence
Legal principles and tools to assess credibility and reliability
Assessment of credibility and reliability
[542] Sur la question particulière de la causalité, la juge procède d’abord à présenter les experts[162] :
Before reviewing the additional evidence relating to the reliance issue, the Court finds it useful, through a further “who’s who section”, to introduce lay witnesses and expert witnesses who testified mainly on this issue: Widdrington, Heinz Prikopa (“Prikopa”), George Taylor (“Taylor”), Fred Fitzsimmons (“Fitzsimmons”), Paul J. Lowenstein (“Lowenstein”), Stephen A. Jarislowsky (“Jarislowsky), Donald C. Morrison (“Morrison”) and Alain Lajoie (“Lajoie”).
[543] Puis, elle scrute leurs opinions[163] :
- Lowenstein, Jarislowsky, Rosen
[544] Force est de constater que l’analyse de la preuve d’experts est complète. Prétendre qu’elle n’a pas tenu compte des circonstances de leurs dépositions lors des première et seconde enquêtes est irrecevable.
[545] C’est aussi une erreur de prétendre qu’elle ne pouvait inclure les frais des expertises simplement parce qu’elle les considérait utiles (…simply on the basis… that the expert opinions were “useful”).
[546] La Cour, en mettant en garde contre les dédoublements des expertises, énonce expressément l’exception : « s’ils ont été utiles au débat »[164] :
[…] Il est certes loisible à une partie de retenir les services de deux experts sur la même question, mais leurs honoraires ne peuvent pas être récupérés de l'autre partie, sauf s'ils ont été utiles au débat. Une saine administration de la justice commande de sabrer dans les dépens superflus et les dédoublements d'expertise en font partie.
[547] Ici, la juge qualifie les expertises d’expertises non seulement d’utiles, mais de nécessaires.
[548] Notre travail dans ce dossier, avant, pendant et après l’audience nous convainc que cette conclusion de la juge ne constitue pas une erreur, loin de là.
[549] L’argument des appelants est mal fondé. Ils sont d’ailleurs mal venus, après avoir fait flèche de tout bois en défense, de reprocher à la partie adverse d’avoir blindé sa preuve.
CONCLUSION
[550] En conclusion, notre intervention sera limitée à la question de la solidarité, à l'investissement additionnel du 24 octobre 1991 et enfin, au calcul des intérêts et de l'indemnité additionnelle.
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JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A. |
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ANDRÉ ROCHON, J.C.A. |
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
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[1] Il reste environ 40 dossiers actifs.
[2] En anglais, Generally Accepted Accounting Principles (GAAP).
[3] Ou « Normes d'audit généralement admises ». En anglais, Generally Accepted Auditing Standards (GAAS).
[4] Dunn et autres c. Wightman, 2006 QCCS 5142; la requête pour permission d'appeler de ce jugement fut rejetée le 8 janvier 2007 (2007 QCCA 5).
[5] 2007 QCCS 6881.
[6] 2011 QCCS 1788.
[7] Tiré du texte d'André Vautour, « Quelques commentaires sur le mandat de l'auditeur des comptes d'une société par actions et la responsabilité qui en découle, à la lumière de l'affaire Widdrington c. Wightman (Castor Holdings) », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit des affaires, Vol. 350, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 53.
[8] Paragr. 5 du jugement.
[9] Paragr. 3639 du jugement.
[10] Paragr. 51 du jugement.
[11] Paragr. 2455 du jugement.
[12] Paragr. 417 du jugement.
[13] Paragr. 2763 du jugement.
[14] Paragr. 684 du jugement.
[15] Josette Rey-Debove et Alain Rey (dir.) Le Nouveau Petit Robert de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 2013.
[16] Paragr. 2208 du jugement.
[17] Paragr. 3363 du jugement.
[18] Paragr. 2222 à 2225 du jugement.
[19] Paragr. 3303-3304 du jugement.
[20] Paragr. 2307 du jugement.
[21] L.N.-B., 1981, c. B-9.1.
[22] Loi sur les comptables professionnels agréés, L.R.Q., c. C-48.1, a.1 et 4.
[23] Ethel Groffier, Précis de droit international privé québécois, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1990, p. 41-42.
[24] Jean-Louis Baudouin and Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, Volume II - Responsabilité professionnelle, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., p. 176.
[25] Claude Emanuelli, Droit international privé québécois, 3e éd., coll. Bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 334.
[26] Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international privé, Tome II : Règles spécifiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 55.
[27] Ethel Groffier, Précis de droit international privé québécois, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1990, p. 148.
[28] Gérald Goldstein, Droit international privé, Vol. 1, Conflits de loi : dispositions générales et spécifiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 2011, p. 100 et 101.
[29] H. Patrick Glenn, « Droit international privé », dans La réforme du Code civil, Vol. III, Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, p. 685.
[30] Jean-Gabriel Castel, Droit international privé québécois, Toronto, Butterworths, 1980, p. 333.
[31] J.A. Talpis et J.-G. Castel, « Interprétation des règles du droit international privé », dans La réforme du Code civil, Vol. III, Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, p. 838.
[32] Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.
[33] Voir par exemple l'article 152 de la loi ontarienne : Business Corporations Act, R.S.O. 1990, c. B.16.
[34] Code de déontologie des comptables professionnels agréés, R.R.Q. c. C-48.1.
[35] La règle 204 peut être consultée ici : http://www.icca.ca/licca-et-la-profession/protection-de-linteret-public/item48358.pdf
[36] Lapierre c. Pelletier, [1994] R.L. 636, p. 642; J.E. 94-357 (C.A.).
[37] Stéphane Rousseau, « Les nouvelles normes relatives à l'indépendance des vérificateurs : l'implantation d'un cadre conceptuel fondé sur l'autoréglementation », (2006) R. du B. can. 29, p. 30.
[38] Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporation Law, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 2007.
[39] Paul Martel, « Le fonctionnement interne d'une société », dans Collection de droit 2012-2013, Vol. 9, Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 194.
[40] Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 429.
[41] Black's Law Dictionary, 4th Pocket Edition, St-Paul, Thomson Reuters, 2011, p. 536 et 537.
[42] Mutual Reinsurance Co. Ltd. C. Peat Marwick Mitchell & Co., [1997] 1 Lloyd's Rep. 253 (English C.A.), p. 2-3.
[43] Caparo Industries PL.C. c. Dickman, [1990] 2 A.C. 605; Lara Khoury, « The Liability of Auditors Beyond Their Clients: A Comparative Study », (2001) 46 R.D. McGill 413, p. 414.
[44] Code de commerce, Live VIII, Titre II, Chapitre II, Section 2 : De la déontologie et de l'indépendance du commissaire aux comptes, article L822-9 et suivants.
[45] [1955] 1 D.L.R. 37, p. 39 et 40.
[46] Companies Act 2006 (R.-U.), 2006, c. 46, article 532 et suivants; il n'est pas surprenant de lire en doctrine et en jurisprudence anglaise que la lex societatis d'une personne morale peut comprendre des règles qui traitent de la constitution, la structure, le fonctionnement, les relations entre les actionnaires voire même la responsabilité des vérificateurs externes (Jérôme Vermeylen et Ivo Vande Velde, European Cross-Border Mergers and Reorganistion, Oxford, Oxford University Press, 2012 paragr. 2.12).
[47] Code de Commerce : article L822-17.
[48] [1994] 3 R.C.S. 1022.
[49] (1870), L.R. 6 Q.B. 1 (C. de l'É.).
[50] Tolofson, précité, note 48, p. 1047.
[51] Ibid., p. 1049.
[52] Ibid, p. 1049 et 1050.
[53] Ibid., p. 1041.
[54] Ibid., p. 1050-1051.
[55] Ibid., p. 1051.
[56] Ibid., p. 1052.
[57] Ibid., p. 1050.
[58] [2012] 1 R.C.S. 636, 2012 CSC 18.
[59] Ibid., paragr. 3.
[60] Ibid., paragr. 50-51.
[61] [1975] 1 R.C.S. 393.
[62] Ibid., p. 397.
[63] Adrian Popovici, « Le locus delicti en droit international privé québécois », (1982-83) 17 R.J.T. 463, p. 467.
[64] J.-G. Castel, Droit international privé québécois, Toronto, Butterworths, 1980, p. 463.
[65] Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international privé, Tome II : Règles spécifiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 820 et 821.
[66] Adrian Popovici, « Le locus delicti en droit international privé québécois », (1982-83) 17 R.J.T. 463, p. 472.
[67] Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, Vol. I : Projet de Code civil, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1977, p. 603 (Livre neuvième, art. 31).
[68] Commentaires du ministre de la Justice, Tome II, Québec, Les Publications du Québec, 1993, p. 1993 et 1994.
[69] Voir : Claude Emanuelli, Droit international privé québécois, 3e éd., coll. Bleue, Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 382; Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international privé, Tome II : Règles spécifiques, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 837 et 838; H. Patrick Glenn, « Droit international privé », dans La réforme du Code civil, Vol. III, Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, p. 736 et 737; J.A. Talpis et J.-G. Castel, « Interprétation des règles du droit international privé », dans La réforme du Code civil, Vol. III, Ste-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, p. 889 et 890; Janet Walker, « Chapitre 6 : Droit international privé », dans Louise Bélanger-Hardy et Aline Grenon (dir.), Éléments de common law canadienne : comparaison avec le droit civil québécois, Toronto, Thomson Carswell, 2008, p. 514.
[70] Ethel Groffier, Précis de droit international privé Québécois, 4e éd., Cowanville, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 217.
[71] Pearson v. Boliden Ltd, 2002 BCCA 624, paragr. 54.
[72] CE, Règlement (CE) du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, [2007] J.O.L 199/40 (Règlement Rome II).
[73] [1989] 1 R.C.S. 1554.
[74] Tolofson, précité, note 48, p. 1058.
[75] Savard c. 2329-1297 Québec inc. (Hôtel Lord Berri inc.), [2005] QCCA 705, demande d'appel à la Cour suprême du Canada rejetée le 2 mars 2006, no 31156.
[76] Les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers le relèvent d'ailleurs dans leur ouvrage La responsabilité civile, Volume II - Responsabilité professionnelle, 7e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2007, p. 183-188, nos 2-182 à 2-190.
[77] [1980] C.A. 287, 290.
[78] [1977] 1 R.C.S. 466.
[79] [1990] R.R.A. 531 (C.A.), p. 536.
[80] Plus particulièrement, Haig c. Bamford et al., précité, note 78; Hercules Management Ltd. c. Ernst & Young, [1997] 2 R.C.S. 165.
[81] Au paragraphe 95 :
[95] Le cas le plus connu de responsabilité extracontractuelle d'un professionnel à l'endroit d'un tiers est celui des comptables. Ainsi, les tribunaux ont ordonné l'indemnisation du préjudice économique subi par la personne dont les agissements furent subordonnés à un état financier erroné ou dictés par celui-ci si, d'une part, le comptable avait commis une faute professionnelle et si, d'autre part, il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que son document serait diffusé à des tiers, ce qui est habituel, et qu'il servirait à déterminer la conduite de ces personnes. En somme, la responsabilité d'un comptable est retenue lorsque le lien de causalité entre l'acte fautif commis à l'occasion de la préparation des états financiers de son client et le dommage subi par un tiers découle de la connexité créée par la connaissance par ce professionnel du rôle ou de l'usage de ses états financiers par cette autre personne qui n'est pas son client. Le strict lien contractuel client-professionnel est ainsi dépassé par la constitution d'un rapport nouveau découlant de la diffusion des états financiers, créant ainsi une obligation de diligence pour le professionnel en faveur du tiers non-client.
(nous soulignons)
[82] Précité, note 75, paragr. 99.
[83] C'est-à-dire « a liability in an indeterminate amount for an indeterminate time to an indeterminate class », selon la phrase du juge Cardozo dans Ultramares Corp. c. Touche, (1931) 255 N.Y. 170, 170, citée par la Cour au paragraphe 97 de l'arrêt.
[84] 2005 QCCA 713.
[85] 2009 QCCA 1589, paragr. 30.
[86] Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122.
[87] Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 R.C.S. 554.
[88] et contrairement au droit français où, selon l'« hypothèse assimilatrice », dès lors qu'un manquement contractuel porte préjudice à un tiers, il y a ouverture à responsabilité délictuelle du contractant envers ce tiers (voir les arrêts Houle, p. 182 et Bail, p. 581).
[89] Houle c. Banque Canadienne Nationale, précité, note 86, p. 182.
[90] Banque de Montréal c. Bail Ltée, supra, note 87, p. 582.
[91] Hercules Managements Ltd. c. Ernst & Young, précité, note 80. Dans cet arrêt la Cour suprême du Canada propose un test en deux volets pour trancher les affaires impliquant la négligence des vérificateurs. Il faut tout d'abord s'interroger sur l'existence d'une obligation prima facie de diligence à l'égard du tiers, puis, si tel est le cas, se demander si cette obligation devrait être annihilée ou limitée par des considérations de principe. À ce chapitre, le problème de la possible responsabilité indéterminée des vérificateurs arrive en tête de liste d'où, selon la Cour suprême, la nécessité de circonscrire l'étendue de cette responsabilité aux situations où le vérificateur connaît le tiers demandeur (ou la catégorie de tiers demandeurs) et où les opinions du vérificateur sont utilisées précisément dans le but ou aux fins de l'opération pour lesquels elles ont été préparées. Voir également, au sujet du test en deux étapes, Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (12 May 1977).
[92] Précité, note 76, p. 187, paragr. 2-189.
[93] Desrosiers v. The King, (1920), 60 S.C.R. 105, p. 126.
[94] Caisse populaire de Charlesbourg c. Michaud, précité, note 79, p. 535; voir également, sur le même sujet, Garnett Retallack & Sons Ltd. c. Houle & Henshaw Ltd., [1990] R.R.A. 303.
[95] Paragr. 3399 du jugement.
[96] Khoury, précité, note 43, p. 470; voir également Hélène Lefebvre, « Responsabilité professionnelle des comptables agréés : un vent de fraîcheur en provenance de la Cour suprême du Canada », (1997) 65 Ass. 447; Stéphane Rousseau, « La responsabilité de l'analyste financier pour la transmission d'information fausse ou trompeuse sur le marché secondaire des valeurs mobilières », (2000) R.J.T. 193.
[97] Cie des chemins de fer nationaux c. Norsk Pacific Steamship, [1992] 1 R.C.S. 1021.
[98] Ibid., p. 1143-1144.
[99] Banque de Montréal c. Bail Ltée, précité, note 87, p. 583-584.
[100] Hercules Management c. Ernst & Young, précité, note 80, paragr. 32 (M. le juge La Forest).
[101] Caisse populaire Charlesbourg c. Michaud, précité, note 79, p. 8; CHSLD juif de Montréal c. Entreprises Francer inc., 2008 QCCA 2402, paragr. 44.
[102] Banque de Montréal c. Bail Ltée, précité, note 87, p. 584.
[103] Baudouin et Deslauriers, précité, note 76, p. 186, paragr. 2-187.
[104] Précité, note 97, p. 1144 (ou paragr. 238).
[105] Baudouin et Deslauriers, précité, note 76, p. 187 et 188; voir également Sylvain Lussier, « La responsabilité des comptables examinée selon les activités professionnelles exercées », dans Droit de la personne : Solidarité et bonne foi, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 2000, p. 390 et Jean-Charles René, « La responsabilité professionnelle des comptables: l'état de la jurisprudence québécoise à la lumière des préoccupations de la Cour suprême du Canada », dans Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers (dir.), La responsabilité civile des courtiers en valeurs mobilières et des gestionnaires de fortune : aspects nouveaux, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1999, p. 186.
[106] Khoury, précité, note 43, p. 470.
[107] Regroupement des CHSLD Christ-Roy c. Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068, paragr. 55.
[108] Lafond c. Pétroles Crevier inc., 2007 QCCA 4, paragr. 3. Voir aussi: Bellido c. Société générale de financement du Québec, 2011 QCCA 297, paragr. 8; Assurances générales des Caisses Desjardins inc. c. ING Groupe, 2007 QCCA 689, paragr. 19 et suiv.
[109] Paragr. 3338 du jugement.
[110] Paragr. 15 à 17 du jugement.
[111] Paragr. 3237 à 3246 du jugement.
[112] Paragr. 3324, 3328 à 3333, 3340 et 3343 du jugement.
[113] Paragr. 3342 et 3428 du jugement.
[114] Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3.
[115] Paul Martel, La société par actions au Québec : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, p. 24-40 (par. 24-111).
[116] Castor Holding Ltd. (Syndic de), 2008 QCCS 3437, paragr. 64 et 65.
[117] Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461.
[118] Paul Martel, La société par actions au Québec : Les aspects juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, p. 24-4 (paragr. 24-8 à 24-10).
[119] BCE Inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, [2008] 3 R.C.S. 560.
[120] Ibid., paragr. 44.
[121] Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124.
[122] Ibid., paragr. 40-41.
[123] Ibid., paragr. 44.
[124] Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, précité, note 117, paragr. 63.
[125] Ibid., paragr. 61-62.
[126] Buckingham c. Canada, 2011 CAF 142, paragr. 34.
[127] Ibid., paragr. 38 et 39. Voir aussi: Balthazard c. Canada, 2011 CAF 331, paragr. 32.
[128] Précité, note 117, paragr. 67.
[129] Borduas c. Canada, 2010 CAF 102, paragr. 5.
[130] Précité, note 117, paragr. 77.
[131] Voir, à titre d'exemple : Groupe Estrie Richelieu c. Choinière, [2000] J.Q. no. 257 (QL), paragr. 41 et suiv. (C.A.).
[132] Balthazard c. Canada, 2011 CAF 331, paragr. 32.
[133] Blair c. Consolidated Enfield, [1995] 4 R.C.S. 5, p. 36 et 37.
[134] Paragr. 3578 du jugement.
[135] Vincent Karim, Les obligations, volume 2, Wilson & Lafleur, Montréal, 2009, p. 755-756.
[136] [2000] R.J.Q. 2391 (C.S.), requête pour permission d'interjeter appel rejetée, no 500-09-010163-004 (23 novembre 2000).
[137] L.R.O. 1990, c. P.5.
[138] (1903), 12 B.R. 442.
[139] [1978] C.A. 201.
[140] J.E. 87-634 (C.A.).
[141] Denom Ltée c. Greeshields inc. et autres, J.E. 94-655 (C.S.).
[142] [1925] S.C.R. 289, p. 296.
[143] Précité, note 136.
[144] Voir notamment les articles sur le paiement : articles 1139 et suivants C.c.B.-C.
[145] Précité, note 142.
[146] Ibid., p. 297 et 298.
[147] [1953] 1 S.C.R. 149, p. 156.
[148] [1969] S.C.R. 745, p. 754.
[149] Précitée, note 137, (Partnership Act).
[150] Paragr. 3597 du jugement.
[151] Cette règle « de preuve » régit les instances en cours au début de 1994. Voir la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57, art. 9.
[152] Canadian National Steamships Co. Ltd. v. Watson, [1939] S.C.R. 11.
[153] Dont l’un des synonymes selon Le grand druide des synonymes et antonymes, Montréal, Éditions Québec Amérique inc., 2006, est précisément : « alléguer ».
[154] Précitée, note 137, en vigueur à l’époque.
[155] Paragr. 3619 du jugement.
[156] Paragr. 3629 du jugement.
[157] Paragr. 3637 et 3638 du jugement.
[158] Paragr. 3608 du jugement.
[159] Paragr. 3633 du jugement.
[160] Paragr. 3629 à 3632 et 3635 du jugement.
[161] Schedule 2 du jugement, page 735.
[162] Paragr. 3116 du jugement.
[163] Schedule 2 du jugement, p. 747-748.
[164] Simard c. Larouche, [2011] QCCA 911.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.