Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

28 avril 2005

 

Région :

Québec

 

Dossier :

242936-31-0408

 

Dossier CSST :

123592099-1

 

Commissaire :

Me Guylaine Tardif

 

Membres :

Claude Jacques, associations d’employeurs

 

Aurel Thibault, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Raymond Roy

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Transport Sylvain (1995)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 26 août 2004, monsieur Raymond Roy (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 juillet 2004.

[2]                Par cette décision, la CSST rejette la demande de révision produite par le travailleur, confirme sa décision initiale et déclare qu’il doit lui rembourser la somme de 4 684,79 $ qui lui a été versée en trop.

[3]                L’audience s’est tenue à Québec le 1er novembre 2004 en présence du travailleur. Le représentant du travailleur ne s’est pas présenté. Transport Sylvain (1995) (l’employeur) n’était pas représenté.

[4]                Le tribunal a permis au travailleur de produire après l’audience les états financiers préparés par le Groupe Raymond, Chabot, Grant Thornton relatifs aux activités de l’entreprise Transport Raymond Roy inc. pour l’année financière 2004, ainsi qu’une lettre explicative de monsieur Denys Doyon, comptable du Groupe Morin, Doyon, Manneh inc. 

[5]                La cause a été mise en délibéré sur réception du dernier de ces documents le 1er avril 2005.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de corriger le revenu annuel brut qu’il tire de son nouvel emploi et de calculer de nouveau l’indemnité de remplacement du revenu réduite à laquelle il a droit en vertu de l’article 52 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête pour les mêmes motifs que ceux exprimés par la commissaire soussignée.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[8]                Le travailleur a subi une lésion professionnelle, un syndrome du canal carpien bilatéral et une tendinite des deux épaules, qui n’est pas encore consolidée au jour de l’audience. Il n’y a aucune preuve à l’effet qu’il est redevenu capable d’occuper son emploi de chauffeur-livreur malgré la non-consolidation de la lésion.

[9]                En pareilles circonstances, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la loi qui se lit comme suit :

44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

[10]           Alors qu’il est en arrêt de travail en raison de sa lésion professionnelle, le travailleur incorpore une entreprise, Transport Raymond Roy inc., dont il est le seul actionnaire et administrateur. Les activités de transport de l’entreprise débutent le 1er janvier 2004 et le travailleur assume dès lors toutes les tâches utiles à la bonne marche de son entreprise.

[11]           Au mois de mars 2004, la CSST apprend du travailleur lui-même qu’il exploite une entreprise de transport. 

[12]           Le 24 mars 2004, la CSST met fin au versement de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur et lui réclame toutes les sommes reçues à ce titre depuis le 1er janvier 2004.

[13]           La CSST fonde sa décision sur l’article 52 de la loi qui se lit comme suit :

52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.

__________

1985, c. 6, a. 52.

 

 

[14]           L’indemnité de remplacement du revenu du travailleur est réduite à zéro à compter du 1er janvier 2004 car la CSST estime, en application d’une de ses politiques administratives, que le revenu que le travailleur tire de son nouvel emploi correspond à 30 % du chiffre d’affaires de son entreprise.

[15]           Aux fins du calcul de l’indemnité réduite de remplacement du revenu, la CSST projette sur une base annuelle le chiffre d’affaires enregistré par l’entreprise du travailleur pour la période de janvier à mars 2004. Le revenu brut ainsi estimé étant supérieur à l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit, elle cesse le versement de toute indemnité.

[16]           Les dispositions de la loi qui gouvernent de façon spécifique la détermination du revenu annuel brut et du revenu net retenu sont, dans l’ordre, les articles 67 et 63 qui se lisent comme suit :

67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).

__________

1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.

 

 

63. Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d'emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de:

 

1°   l'impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5e supplément);

 

2°   la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et

 

3°   la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9).

 

La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.

 

Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.

 

Lorsque le revenu brut d'un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.

__________

1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3.

 

 

[17]           D’entrée de jeu, le tribunal doit indiquer que l’article 65 de la loi ne s’applique pas ici, puisqu’il ne s’agit pas de déterminer quel est le revenu annuel brut que le travailleur tire de l’emploi qu’il occupe au moment de la lésion professionnelle, mais bien de déterminer quel est le revenu annuel brut qu’il tire de son nouvel emploi.  C’est pourquoi, le tribunal n’a pas à appliquer le revenu seuil correspondant au salaire minimum.

[18]           À l’audience, le travailleur déclare qu’il n’a tiré aucun revenu d’emploi de son entreprise au cours de l’année 2004 et prétend qu’il a toujours droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu et qu’il ne doit rien à la CSST. Est-ce bien le cas ?

[19]           Le tribunal ne peut, sans procéder à une analyse plus approfondie de la question, considérer que le travailleur n’a tiré aucun revenu de son nouvel emploi. Le contexte où il est à la fois l’actionnaire unique, le seul administrateur et le seul employé de l’entreprise commande de réfléchir à la question de savoir si le travailleur aurait pu tirer un revenu de l’emploi qu’il occupe au sein de l’entreprise.

[20]           C’est pourquoi, afin de répondre à la question qui lui est soumise, le tribunal a requis la production des états financiers de l’entreprise et demandé au comptable de lui indiquer quel salaire l’entreprise aurait pu verser au travailleur, compte tenu de sa rentabilité.

[21]           Les états financiers ont été produits. Selon la note introductive, il ne s’agit pas d’états financiers vérifiés.  Néanmoins, la firme comptable précise qu’elle n’a, au cours de son examen, rien relevé qui la porte à croire que les renseignements fournis par l’administrateur de l’entreprise ne seraient pas exacts.

[22]           Le tribunal a attentivement parcouru ces états financiers. Il n’y trouve aucun indice suggérant que les données puissent ne pas être conformes à la réalité.

[23]           L’état des résultats et bénéfices non répartis de l’entreprise pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2004  se lit comme suit :

Chiffre d’affaires

 

128 362,00 $

Frais d’exploitation

106 027,00 $

 

Frais d’administration

10 180,00 $

  

Frais financiers

8 163,00 $

 

 

Sous-total :

124 370,00 $

Bénéfices avant impôt

 

3 992,00 $

Impôt sur les bénéfices exigibles

879,00 $

 

Bénéfice net et bénéfices non répartis à la fin

 

3 113,00 $

[24]           Selon la décision rendue par la CSST, il y aurait lieu de fixer le revenu annuel brut que tire le travailleur de son nouvel emploi à une somme correspondant à 30 % du chiffre d’affaires réalisé par son entreprise, soit pour l’année 2004, à une somme de 38 506,60 $.

[25]           Cette proposition ne reflète pas la réalité du travailleur. En effet, à la section des renseignements supplémentaires où figurent toutes les dépenses encourues aux chapitres des frais d’exploitation, d’administration et financiers, on ne retrouve aucune dépense enregistrée à titre de salaire ou de dividende versé au travailleur.

[26]           Toutefois, compte tenu du fait que dans l’état du flux de la trésorerie il est indiqué que le travailleur a reçu une avance à l’actionnaire de 5093,00 $ et qu’il n’y a aucune inscription comptable qui tend à démontrer que le travailleur s’est engagé à rembourser cette somme à son entreprise, le tribunal conclut que le travailleur a conservé cette somme en contrepartie du travail qu’il a accompli au sein de son entreprise.

[27]           Le témoignage du travailleur à l’effet qu’il n’a reçu aucun salaire n’est donc pas en tous points conforme à la réalité puisqu’il a, à tout le moins, bénéficié d’une somme de 5093,00 $.

[28]           Dans un cas comme celui en litige, le tribunal doit s’assurer que les sommes versées au travailleur par son entreprise ne sont pas significativement inférieures aux revenus qu’il pourrait en tirer dans le cours normal de ses affaires.

[29]           En fait, le tribunal doit s’assurer que le travailleur ne reporte pas volontairement le versement de certaines sommes qu’il pourrait recevoir, en tenant compte de la santé financière de son entreprise, au-delà de la période pendant laquelle il a droit à des prestations en vertu d’un régime public d’indemnisation, tel que celui administré par la CSST.

[30]           Ayant cette importante question à l’esprit, le tribunal a exigé que le comptable de l’entreprise dresse un état hypothétique correspondant au revenu maximal que le travailleur aurait pu tirer de son entreprise au cours de l’année 2004.

[31]           Le comptable a estimé comme suit la «capacité de revenu brut que le travailleur aurait eu en disponibilité», à partir des états financiers de l’entreprise :

Bénéfice net

3 113,00 $

Impôt de la compagnie

879,00 $

50 % des frais de repas sur la route

2 800,00 $

Sous-total :

6 792,00 $

Exclusion des bénéfices marginaux de 9.73 %

661,00 $

Salaire brut admissible théorique

6 131,00 $

 

[32]           Le comptable de l’entreprise affirme donc que le revenu maximal que le travailleur aurait pu tirer de son entreprise serait de 6 131,00 $.

[33]           D’emblée, le tribunal observe que la somme de 5093,00 $ réellement versée au travailleur correspond à peu de choses près à la somme maximale qu’il aurait pu encaisser, ce qui tend à confirmer, si besoin était, que les états financiers sont fidèles à la réalité.

[34]           Par ailleurs, il n’y a aucun élément en preuve qui tend à démontrer que l’entreprise aurait pu verser au travailleur le petit bénéfice net qu’elle a réalisé au cours de cette première année d’exploitation. La question est sans incidence puisque le tribunal retient, à titre de revenu propre au travailleur, un montant supérieur au bénéfice net de l’entreprise pour les motifs exposés plus loin.

[35]           L’impôt payable par l’entreprise ne peut pas non plus être considéré comme un revenu pour le travailleur, car le travailleur ne peut pas, en toute légalité, en disposer à sa guise, la somme d’argent devant être versée aux autorités concernées.

[36]           Quant aux frais de repas qui ont été comptabilisés intégralement dans les dépenses de l’entreprise mais dont le total devrait, en raison de règles fiscales, être réduit de 50 % et être imputé dans la même proportion au bénéfice du travailleur, le tribunal estime qu’ils ne doivent pas être considérés dans le cadre du calcul prévu à l’article 52 de la loi. Pour le travailleur, il ne s’agit pas d’un revenu tiré de son emploi, mais bien d’un remboursement par l’entreprise d’une dépense qu’il a réellement effectuée dans le cadre de son travail.

[37]           C’est pourquoi, dans les circonstances, le tribunal n’a aucune raison de penser que l’entreprise aurait dû verser au travailleur un revenu plus élevé que les 5 093,00 $ reçus à titre d’avance.

[38]           Bref, entre un revenu hypothétique et un revenu réel prouvé de façon convaincante, le tribunal préfère le revenu tangible.

[39]           Aux fins du calcul de l’indemnité réduite de remplacement du revenu, le tribunal retient donc que le travailleur a tiré de son nouvel emploi au cours de l’année 2004 un revenu annuel brut de 5 093,00 $.

[40]           Selon l’information au dossier, le travailleur n’a ni conjoint ni enfant à charge. Cette donnée doit être appliquée dans la table des indemnités de remplacement du revenu pour l’année 2004 afin d’obtenir l’indemnité de remplacement du revenu (90 % du revenu net retenu). Le revenu net retenu (100 %) que le travailleur tire de son nouvel emploi est obtenu en appliquant la règle de trois bien connue.

[41]           Le revenu net retenu doit être déduit de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit. Le résultat ainsi obtenu représente l’indemnité réduite en vertu de l’article 52 de la loi à laquelle le travailleur a droit depuis le 1er janvier 2004, sous réserve de changements pouvant se produire ultérieurement dans les revenus qu’il tire de son nouvel emploi.

[42]           Le tribunal laisse le soin à la CSST de calculer informatiquement l’indemnité réduite, puisqu’il faut aussi tenir compte de la revalorisation de la pleine indemnité de remplacement du revenu à la date anniversaire de l’incapacité qui résulte de la lésion professionnelle.

[43]           Le travailleur a reçu 4 684,79 $ en indemnité de remplacement du revenu dans l’année 2004. Il y a lieu d’en créditer la CSST.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête produite par monsieur Raymond Roy, le travailleur ;

INFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 juillet 2004;

DÉCLARE que le revenu annuel brut que tire le travailleur de son nouvel emploi depuis le 1er janvier 2004 est de 5 093,00 $;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit calculer l’indemnité réduite de remplacement du revenu à laquelle le travailleur a droit à partir de ce revenu annuel brut et de la situation familiale du travailleur qui n’a ni conjoint ni enfant à charge;

DÉCLARE que pour l’année 2004, la Commission de la santé et de la sécurité du travail doit verser au travailleur la somme qui représente la différence entre l’indemnité réduite de remplacement du revenu et la somme de 4 684,79 $.

 

 

__________________________________

 

Guylaine Tardif

 

Commissaire

 

 

 

 

 



[1]         L.R.Q., c. A-3.001

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