Décision

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Re Personne désignée c. R.

2022 QCCA 984

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007758-228

 

 

DATE :

20 juillet 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

DANS L’AFFAIRE DE PERSONNE DÉSIGNÉE c. SA MAJESTÉ LA REINE :

 

SOCIÉTÉ RADIO-CANADA/CANADIAN BROADCASTING CORPORATION

LA PRESSE INC.

Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2I)

MONTREAL GAZETTE, UNE DIVISION DE POSTMEDIA NETWORK INC.

LA PRESSE CANADIENNE

et

MÉDIAQMI INC.

GROUPE TVA INC.

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

et

LUCIE RONDEAU, en sa qualité de juge en chef de la Cour du Québec

REQUÉRANTS

 

c.

 

PERSONNE DÉSIGNÉE

et

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉES

 


 

 

ARRÊT (VERSION PUBLIQUE CAVIARDÉE)

 

 

Table des matières

 

I. Contexte et rappel de l’arrêt de la Cour du 28 février 2022, avec version publique du 23 mars 2022……………………………………………………………………………………..

A. Rappel du contenu de l’arrêt du 28 février 2022 : enjeux………………………………………..

B. Confidentialité entourant le processus et le dossier d’appel………………………………......

II. Requêtes demandant la levée totale ou partielle des ordonnances

A. Remarques préliminaires sur le traitement procédural des requêtes…………………….......

B. Analyse des requêtes des parties requérantes………………………………………………….

1. Privilège de l’indicateur : rappel

2. Privilège de l’indicateur et publicité des débats judiciaires

3. Application de ces règles aux demandes des parties requérantes

a. Première question préliminaire : qualité et conditions pour agir

b. Seconde question préliminaire : fardeau de preuve et fardeau de convaincre

c. Y a-t-il lieu d’annuler ou de modifier les ordonnances de confidentialité?

i. Demandes des médias et du procureur général du Québec visant les ordonnances de la Cour d’appel

ii. Demandes visant la ou les ordonnances du tribunal de première instance

d. Cas particulier : la requête de la juge en chef de la Cour du Québec

III. Récapitulatif et dispositif


[1]                Le 28 février 2022, la Cour accueille l’appel de Personne désignée, indicatrice de police, et ordonne l’arrêt des procédures criminelles intentées contre elle dans le présent dossier, et ce, pour cause d’abus de l’État à son endroit. Selon la Cour, la manière dont la police a traité Personne désignée en tant qu’indicatrice « mine sérieusement l’objectif important d’encourager les personnes à offrir des informations à la police »[1], ainsi que « l’intégrité du processus judiciaire »[2], et le fait d’avoir institué ces procédures criminelles malgré tout était « manifestement choquant »[3], a compromis l’équité du procès et a risqué, lui aussi, « de miner l’intégrité du processus judiciaire »[4]. Cette conclusion, notons-le immédiatement, ne repose pas sur la question du huis clos qu’aborde également la Cour dans cet arrêt.

[2]                Toutefois, la Cour ne rendra son arrêt public que le 23 mars suivant, en une version caviardée qui n’identifie ni Personne désignée, ni le juge, ni le tribunal de première instance et pas davantage le district judiciaire où s’est déroulée l’instance ou même le nom des avocat.e.s officiant en appel. Le caviardage de l’arrêt touche également des informations comme la nature du crime dont Personne désignée a été accusée, les circonstances (y compris temporelles) de sa commission et l’identité du corps de police et des policiers en cause. Qui plus est, la Cour, tout en ordonnant la création d’un dossier d’appel, met celui-ci sous scellés, le rendant ainsi inaccessible au public.

[3]                L’arrêt comporte les paragraphes suivants :

Remarques liminaires sur le procès secret

... Au Canada, comme dans toute société véritablement démocratique, on s’attend à ce que les débats judiciaires soient publics et à ce que le public ait accès à l’information. Toutefois, de temps à autre, la sécurité de personnes ou de groupes, le respect du droit à la vie privée et la protection de l’intégrité du système judiciaire dans son ensemble exigent que certains renseignements soient gardés secrets.

Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 1 (soulignement ajouté).

[7] Comme dans l’affaire R. c. Bacon, 2019 BCCA 458 et 2020 BCCA 140, tant en première instance qu’en appel, les parties avaient requis de procéder à huis clos, sans même que la cause n'apparaisse au rôle. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique exprime beaucoup d’inquiétudes face à cette situation : Bacon, 2020 BCCA 140, par. 68-70. Ces inquiétudes sont partagées.

[8] Certes, l’article 486 C.cr. autorise l’exclusion du public. D’une part, le point de départ est minimalement qu’un dossier soit ouvert et qu’une cause soit placée au rôle. D’autre part, la disposition exige de soupeser divers facteurs. Pour cet exercice, il faut bien un minimum de publicité, comme le veut d'ailleurs la logique du Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C-25.01 et notamment son article 6. La Cour partage les propos de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique lorsqu’elle écrit :

[70] Such secrecy in the court process is an anathema. A court should not hide the fact a hearing is proceeding. Listing a case as an in camera proceeding provides slim information to the public but it is not nothing. In the minimum, doing so informs the public that the court, which is their court, is grappling with the case listed. It allows the public to keep track of the closed proceedings and it allows for applications to the court in respect of the closure: e.g., Dagenais v. Canadian Broadcasting Corp., [1994] 3 S.C.R. 835. In our respectful view, proceedings that do not allow for that minimal degree of oversight should not occur.

[9] On ne saurait trop insister sur l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires au pays. Comme l’a souligné la Cour suprême, ce principe « englobe davantage que la seule exigence selon laquelle la justice ne doit pas être rendue secrètement » puisque la publicité des débats est notamment importante pour que le public soit « convaincu de la probité des actions des juges » : Endean c. Colombie-Britannique, [2016] 2 RCS 162, par. 83-84. Ces constats valent tout autant, sinon plus, dans le contexte d’un procès criminel.

[10] Dans l’arrêt Mentuck, la Cour a eu l’occasion de se prononcer de manière incidente sur l’importance du droit à un « procès public » protégé par l’al. 11d) de la Charte. Elle faisait remarquer que pour un accusé, ce droit « garantit que le système judiciaire continue de tenir des procès équitables, et non pas de simples apparences de procès ou de procédures où la culpabilité est décidée d’avance. La surveillance du public garantit que l’État respecte le droit d’être présumé innocent et n’intente pas des procédures inéquitables (voir Dagenais, précité, p. 883) » ainsi que rendre justice à une personne acquittée et autrement, « l’accusé n’a guère de possibilité de rendre public son point de vue » : R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, par. 53-54.

[11] Dans la présente affaire, les parties se sont entendues pour procéder à huis clos [renvoi omis]. Pour bien marquer la nature de ce qui s’est produit, le pléonasme « huis clos complet et total » illustre encore mieux le choix des parties, avalisé par le juge de première instance, concernant le procès de l’appelante. En outre, aucun numéro formel ne figure sur le jugement étoffé du juge du procès, les témoins ont été interrogés hors de cour, les parties ont demandé au juge de trancher sur la base des transcriptions, dans le cadre d’une audition secrète et le jugement a été gardé secret. En somme, aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués.

[12] Cette façon extraordinaire de procéder n’échappe pas au juge de première instance qui, d’entrée de jeu, cite l’arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, et explique que la revendication du privilège de l’indicateur, évidente selon lui, le justifiait de ne pas envoyer un préavis aux médias.

[13] La requête pour proroger le délai d’appel a été accueillie, encore une fois sous le sceau du huis clos complet, tout en prenant soin de déférer « à la formation qui entendra l'appel la question d'ordonner à tout moment la levée du huis clos ». Un dossier d’appel a été ouvert de façon parallèle à la procédure habituelle. L’audition s’est déroulée dans le secret absolu.

[14] De l’avis de la Cour, après examen du dossier, cette façon de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice. Un dossier au greffe de la Cour sera donc ouvert, sujet à une ordonnance de le garder sous scellés.

[15] La Cour est d’avis que si des procès doivent protéger certains renseignements qui y sont divulgués, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels non seulement des accusés, mais également des médias, de même qu’incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale. Comme le rappelait le juge Kasirer, pour une Cour unanime, « [l]e pouvoir d’imposer des limites à la publicité des débats judiciaires afin de servir d’autres intérêts publics est reconnu, mais il doit être exercé avec modération et en veillant toujours à maintenir la forte présomption selon laquelle la justice doit être rendue au vu et au su du public » : Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, par. 30.

[16] S’il est vrai que le privilège de l’informateur doit être absolument protégé, sauf si l’innocence d’un accusé est manifestement en jeu, comme le souligne la Cour suprême dans plusieurs arrêts, dont l’arrêt R. c. Basi, [2009] 3 R.C.S. 389, au par. 37, le procès lui-même doit être public, sujet à des ordonnances spécifiques de non-publication ou de huis clos partiel.

[17] Par conséquent, les présents motifs sont rédigés pour être publics, sous réserve d’un caviardage, puisque l’affaire met en cause des principes importants concernant le traitement des informateurs par les policiers.

[18] Le fait d’accuser un informateur du crime qu’il dénonce lui-même comporte son lot de problèmes, notamment en entraînant inévitablement une violation du droit à un procès public de l’accusé et la violation des droits des médias.

[4]                Ces paragraphes trouvent écho dans un autre segment de l’arrêt, cette fois sous l’angle des droits de l’accusé, la Cour soulignant que la situation a privé Personne désignée des garanties d’un procès public, la forçant à procéder à huis clos (sauf à renoncer au privilège de l’indicateur ou à renoncer à faire valoir ce privilège)[5].

[5]                Ces propos – et particulièrement ceux du paragraphe 11 précité – ne sont pas passés inaperçus : l’idée qu’un procès puisse être tenu secrètement a inquiété. L’étonnement fut d’autant plus grand que, paradoxalement, malgré les propos que la Cour tient dans le passage ci-dessus, elle perpétue en partie le secret de l’affaire en procédant au caviardage de son propre arrêt, en ordonnant la mise sous scellés du dossier d’appel, dérobé ainsi à la vue du public, y compris en ce qui concerne les éléments de première instance s’y trouvant reproduits (comme le jugement dont il était fait appel, par exemple).

[6]                Le paradoxe, toutefois, n’est qu’apparent et s’explique par le contexte très particulier de l’affaire et les règles qui s’imposaient – et s’imposent encore à tous ses acteurs, juges inclus, contexte et règles dont on ne peut faire abstraction.

[7]                Insistons d’abord sur un point fondamental : la justice dispensée par les cours de justice québécoises, à l’instar de l’ensemble des cours canadiennes, toutes régies sous ce rapport par des règles que la Cour suprême a souvent réitérées, est une justice publique et transparente, qui ne se satisfait que d’exceptions législatives et jurisprudentielles bien circonscrites. Mais exceptions il y a et la présente affaire en est une, qui se distingue en outre par son caractère inusité et qui n’est pas, tout au contraire, le symptôme d’une justice tentée par l’opacité.

[8]                Cette exception est celle du privilège de l’indicateur de police, qui a amené la Cour à prononcer des ordonnances de scellés et de caviardage. Ce faisant, la Cour s’est cependant efforcée d’en mitiger les effets en rendant public ce qui pouvait l’être sans compromettre le privilège, d’où la version caviardée de son arrêt, en date du 23 mars 2022.

[9]                Les ordonnances en question étant révisables, les parties requérantes ont entrepris d’en demander la levée, totale ou partielle, ou de réclamer un accès balisé aux informations demeurées confidentielles. Leurs observations écrites et orales ont été fort utiles et, quoique la Cour n’y fera pas droit, elles lui donnent l’occasion de réévaluer la nécessité de cette confidentialité, mais aussi de jeter un éclairage plus vif et plus riche sur des circonstances hors de l’ordinaire (même dans le domaine de l’exception), fruit d’une convergence d’événements de nature à mettre en péril le privilège de l’indicateur, sur lequel repose le secret partiel dont le dossier d’appel est entouré[6].

[10]           En dernière analyse, les parties requérantes demandant ici la divulgation ou la communication de renseignements qui tombent sous le coup d’un privilège que la Cour est impérativement tenue de protéger, qu’elle ne pouvait dévoiler lors de son arrêt de février dernier (avec version publique caviardée de mars 2022) et qu’elle ne peut toujours pas révéler, la Cour devra maintenir ses ordonnances. Le présent arrêt explique comment et pourquoi elle en vient à cette conclusion.

[11]           À cette fin, dans un premier temps, la Cour passera en revue les raisons d’être et les règles du privilège de l’indicateur (paragr. [37] à [65] infra) : c’est le socle de son raisonnement. Dans un second temps, elle exposera le problème de la coexistence de ce privilège avec le principe de la publicité des débats judiciaires et la manière de le résoudre (paragr. [66] à [81] infra). Elle statuera enfin sur les demandes des parties requérantes, à la lumière de ces règles ainsi que de celles qui régissent la révision des ordonnances de confidentialité (paragr. [82] à [152] infra).

[12]           Mais avant d’aller plus loin, il convient de rappeler les grandes lignes du dossier ainsi que le contenu de l’arrêt prononcé en février dernier, par référence à sa version publique du 23 mars 2022 (paragr. [13] à [36] infra). Cela aussi est indispensable à la bonne compréhension de la présente décision et permet de mieux cerner la difficulté à laquelle on se heurte ici.

I. Contexte et rappel de l’arrêt de la Cour du 28 février 2022, avec version publique du 23 mars 2022

[13]           La version que la Cour a rendue publique le 23 mars 2022 est un double de l’arrêt prononcé le 28 février 2022, dont quelques passages ont cependant été caviardés. Ces passages font état de renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’intimée Personne désignée, indicatrice de police. Comme on le constatera des extraits de cette version publique que reproduit le présent arrêt[7], la nature générale des renseignements en question est toutefois précisée, entre crochets, de sorte que le lecteur ou la lectrice puisse savoir qu’on lui cache une information, mais puisse en même temps avoir une idée de ce qu’on lui cache ainsi. Il s’agit donc d’un caviardage affiché.

[14]           Et que révèle cet arrêt au sujet des démêlés de Personne désignée avec la justice? Comment la Cour en vient-elle à conclure à l’arrêt des procédures intentées contre elle? C’est, dans un premier temps, ce que rappelleront les paragraphes qui suivent, avant d’aborder, dans un second temps, les ordonnances de confidentialité entourant le dossier d’appel.

A. Rappel du contenu de l’arrêt du 28 février 2022 : enjeux

[15]           Le récit que rapporte l’arrêt du 28 février, et qui est accessible dans la version publique caviardée du 23 mars 2022, est celui de Personne désignée, qu’un corps de police recrute comme indicatrice confidentielle dans le cadre d’une enquête sur diverses infractions commises par plusieurs individus. La version publique du 23 mars fournit les détails de cette phase de recrutement[8] : on y relate la manière dont les policiers ont approché Personne désignée, les lieux de leurs rencontres, les échanges entre eux, la nature des explications qui ont été données par les policiers à leur recrue, etc. On y expose ensuite les rencontres entre Personne désignée, désormais indicatrice, et les policiers. C’est lors de l’une de ces rencontres, comme le précise l’arrêt, que Personne désignée révèle des faits dont on aurait déjà pu déduire sa participation, avec d’autres, à un crime connexe à ceux sur lesquels la police mène justement l’enquête, crime commis avant son recrutement comme indicatrice (c’est ce que la Cour appellera le « dossier X »)[9].

[16]           L’arrêt explique ensuite comment les policiers ont néanmoins continué de faire affaire avec Personne désignée comme si de rien n’était, laissant celleci leur fournir des renseignements sur les autres crimes visés par leur investigation, mais la laissant également s’incriminer, tout en menant parallèlement une enquête sur le délit auquel elle a participé[10]. Finalement, l’arrêt rapporte la manière dont a pris fin la relation entre Personne désignée et les policiers[11], qui ont alors placé leur indicatrice devant le choix suivant : renoncer à son privilège d’indicatrice et témoigner contre les autres participants du dossier X ou ne pas renoncer et être accusée du crime commis dans ce dossier[12].

[17]           Comme le précise ensuite l’arrêt de la Cour, devant les accusations portées contre elle pour le crime du dossier X, Personne désignée « a concentré ses efforts sur une requête en demandant l’arrêt des procédures »[13]. Elle invoquait notamment « l’abus de l’État dans la mise en œuvre des accusations »[14].

[18]           Cette requête que Personne désignée oppose aux accusations et qui constitue son unique défense à celles-ci sera entendue à huis clos par le juge de première instance. Le juge (qui s’en explique dans le jugement dont il sera question au prochain paragraphe) s’appuie sur l’arrêt Vancouver Sun (2007)[15] pour conclure que le huis clos s’imposait vu le statut d’indicatrice de Personne désignée, sans qu’il soit approprié d’envoyer un avis aux médias[16].

[19]           Le jugement qui s’ensuit rejette la requête de Personne désignée[17]. Comme l’indique le paragraphe 11 de l’arrêt[18], ce jugement n’affiche aucun numéro formel dans son en-tête et ni son existence ni sa teneur, même en une version caviardée, n’ont été dévoilées publiquement.

[20]           Personne désignée interjette appel de la déclaration de culpabilité consécutive à ce jugement de première instance[19] et remet en cause la justesse de celui-ci sur le fond, en ce qui concerne la seule question de l’abus[20]. Il est important de noter que cet appel ne vise pas la manière dont l’affaire a été traitée sur le plan de la confidentialité et ne cible pas les ordonnances prononcées à cet égard, qui ne figurent donc pas dans le dossier d’appel. D’ailleurs, ainsi qu’on le verra plus bas, les intimées demandent que l’appel procède avec la même discrétion.

[21]           Après avoir statué sommairement sur trois des moyens d’appel[21], puis rappelé la norme d’intervention applicable[22] et présenté les positions respectives des parties sur le moyen restant[23], la Cour rend compte de l’état du droit sur les sujets suivants : l’importance des indicateurs et les raisons pour lesquelles l’État recourt à leurs services, la nature et les contours du privilège de l’indicateur de police et de l’immunité qui peut être conférée ou promise à celui-ci, y compris de manière implicite[24]. La Cour rappelle le poids des termes de l’entente liant l’indicateur à la police, entente qui doit être claire, et elle reconnaît l’existence de l’obligation de renseignement incombant à cette dernière[25].

[22]           La Cour examine également la question de la protection des droits constitutionnels des indicateurs, notant que Personne désignée a été privée de certains d’entre eux, soit le droit au silence, le droit à l’assistance d’un avocat, le droit à une défense pleine et entière, mais aussi le droit à un procès public :

[123] La présente affaire démontre avec éloquence l’importance de l’obligation de renseignement qui incombe à l’État. Bien que cet aspect n’ait pas été plaidé spécifiquement, et qu’il ne participe donc pas au fondement de l’intervention de la Cour, il est important de rappeler la dimension constitutionnelle du contrat d’indicateur.

[124] En cette matière, il est bien établi que la renonciation à un droit constitutionnel ne sera valide que si le ministère public démontre qu'elle est éclairée et exprimée en toute connaissance de cause, notamment en fonction de ce que peut lui dire le représentant de l’État et aussi, du fait qu’une personne doit savoir qu’elle n'est pas tenue de renoncer à un droit : R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173, p. 203 ; R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, 162 ; R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, par. 31-32, R. c. Cole, [2012] 3 R.C.S. 34, par. 78.

[125] Or, la personne dans la situation de PD qui s’engage dans un rôle d'indicateur renonce potentiellement à plusieurs droits constitutionnels. Ainsi, une telle décision entraîne de lourdes conséquences pour la personne qui, comme PD, accepte de parler aux autorités.

[126] Comme le démontre éloquemment la présente affaire, PD a notamment renoncé à son droit au silence, à son droit à l’assistance d’un avocat, à son droit à un procès public et à son droit à une défense pleine et entière.

[127] Tout d'abord, les policiers ont admis ne jamais avoir informé PD de son droit au silence et la preuve ne démontre pas qu’ils lui ont suggéré de consulter un avocat. Bien sûr que PD n'était pas une suspecte à ce moment précis, mais considérant la relation particulière dans laquelle elle s'engageait, et les policiers le savaient, elle risquait de s'incriminer. Cela a pu également leur sembler expédient compte tenu, d’une part, de la volonté de PD de divulguer des informations et, d’autre part, de l’objectif policier de faire avancer une enquête -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  - -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -   [nature du crime].

[128] -  -  -  -  -  -  -   [durée] collaboration -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   [durée] avec PD a permis de faire avancer des enquêtes. Toutefois, la présente affaire en illustre bien les dangers puisque les révélations de PD, selon la preuve et la compréhension qu’en avaient ses contrôleurs, l'ont incriminée. Ce comportement de la part de PD défiait toute logique, comme on le verra au paragraphe [144] infra. Or, si elle avait su qu’on l’accuserait du crime, elle n’en aurait rien dit du tout. Dans le cadre de la relation l’unissant aux policiers, elle a été amenée à croire qu’elle pouvait divulguer sa participation sans que cela ait de conséquences pour elle.

[129] Quant au procès public, la procédure suivie en l’espèce en privait PD. Comme mentionné en introduction du présent arrêt dans les remarques liminaires, un procès secret est une aberration. Même le secret partiel ne se justifie qu'en raison de circonstances exceptionnelles et constitue autrement une violation d’un droit fondamental, cher à notre système de justice. Par conséquent, le secret absolu ne peut probablement jamais se justifier.

[130] Qui plus est, PD n'avait plus droit à une défense pleine et entière. Elle ne pouvait pas, sans risquer de mettre à jour sa participation comme indicateur, appeler des témoins, y compris ses prétendus complices, pour contredire le plaignant et la preuve en général afin d’établir son véritable rôle ou soulever un doute à cet égard. Le privilège et la procédure forçaient ainsi PD à faire reposer sa défense uniquement sur sa version, sauf à se mettre en danger. Il s'agit d'une atteinte à l'équité du procès.

[23]           La Cour revient alors à l’analyse détaillée des faits, en application des règles établies précédemment. Elle identifie l’erreur que, à son avis, le juge a commise et conclut de la manière suivante :

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[154] ACCUEILLE l’appel;

[155] SURSOIT à la déclaration de culpabilité;

[156] PRONONCE l’arrêt des procédures.

B. Confidentialité entourant le processus et le dossier d’appel

[24]           Ce qui nous amène aux ordonnances de caviardage et de mise sous scellés du dossier d’appel. En raison de préoccupations liées au privilège de l’indicateur, l’appel a d’abord été sous le coup d’un huis clos complet, incluant l’audience, et il a cheminé confidentiellement, un dossier d’appel ayant été ouvert de façon parallèle à la pratique habituelle[26]. Le juge qui a autorisé cette façon de faire a toutefois déféré « à la formation qui entendra l’appel la question d’ordonner à tout moment la levée du huis clos ». À la fin, la Cour a estimé que « cette façon de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice. Un dossier au greffe de la Cour sera donc ouvert, sujet à une ordonnance de le garder sous scellés »[27].

[25]           La Cour a donc ouvert un dossier, sous le numéro 500-10-007758-228. Elle a cependant ordonné que les documents suivants, qui le composent, soient conservés sous scellés : procédures d’appel, notes et procès-verbaux de gestion et d’audience, correspondance entre les parties et la Cour, mémoires et cahiers de sources des parties, notes complémentaires des parties, décisions de la Cour ou d’un juge de celle-ci, registre du déroulement de l’instance. Le motif de cette ordonnance figure dans son paragraphe 1 :

[1] En raison du privilège de l’informateur invoqué et reconnu, qui touche l’ensemble des informations contenues au dossier, la Cour ordonne que les éléments suivants soient conservés sous scellés dans les archives de la Cour jusqu’à ce qu’une formation en décide autrement :

[…]

[26]           Comme on le voit, les ordonnances de confidentialité sont donc révisables.

II. Requêtes demandant la levée totale ou partielle des ordonnances

[27]           Quatre requêtes ont été déposées auprès de la Cour afin d’obtenir, comme on l’a vu plus haut, la levée totale ou partielle des ordonnances de mise sous scellés et de caviardage du dossier d’appel ou afin d’obtenir un accès à celui-ci. Deux de ces requêtes proviennent des médias : MediaQMI inc. et Groupe TVA inc., d’une part; Société Radio Canada, La Presse, CN2I, Montreal Gazette et La Presse canadienne, d’autre part. Le procureur général du Québec a présenté la troisième requête et la juge en chef de la Cour du Québec, l’honorable Lucie Rondeau, la quatrième.

A. Remarques préliminaires sur le traitement procédural des requêtes

[28]           Considérant que les ordonnances en question la lient jusqu’à ce qu’elle statue autrement après avoir entendu les parties, la Cour a mis en place un processus permettant aux requérants et aux intimées de présenter dans cet ordre leurs arguments, d’abord par écrit, ensuite oralement, tout en respectant le caractère confidentiel des informations dont on réclame la divulgation.

[29]           Une demande a par ailleurs été formulée par l’avocat de la requérante Rondeau, afin de produire une requête modifiée et une argumentation écrite caviardées, dont l’original non caviardé ne serait remis qu’aux intimées. Cette demande a été accordée par la Cour.

[30]           Soulignons que le processus mis en place par la Cour n’a pas fait l’unanimité. Tout d’abord, les requérantes « médias » ont fait conjointement savoir que, dans la mesure où, à leur avis, le fardeau d’établir l’existence du privilège et la nécessité de la confidentialité des renseignements repose sur les épaules des intimées, il revenait à celles-ci de présenter leur argumentation en premier lieu (tant à l’écrit qu’à l’oral), plutôt qu’aux requérantes. Le requérant procureur général du Québec a de son côté suggéré que non seulement les intimées, mais également la requérante Rondeau présentent leur argumentation en premier lieu, avant les trois autres parties requérantes.

[31]           La Cour n’a pas retenu ces demandes et elle a maintenu le processus annoncé, dont elle a ultérieurement précisé certains détails, en vue de l’audience du 6 juin 2022. Il n’est pas utile d’en dire davantage, la correspondance pertinente ayant été déposée dans la portion publique du dossier d’appel et pouvant y être consultée.

[32]           L’audience s’est déroulée comme prévu, en deux grandes parties, l’une publique et l’autre à huis clos, ellemême divisée en deux segments, le premier réunissant l’avocat de la requérante Rondeau et les avocat.e.s des intimées et le second réservé à ces derniers seulement. Notons que les intimées, après quelques tergiversations, ont renoncé à leur droit de présenter des observations orales lors de la partie publique de l’audience, s’en remettant à cet égard aux portions non caviardées de l’argumentation écrite de l’intimée poursuivante[28], à laquelle souscrit l’intimée Personne désignée. Elles n’ont donc participé qu’aux segments à huis clos.

[33]           Dans un autre ordre d’idées, dans leur argumentation écrite et de même lors de l’audience, les requérantes Société Radio-Canada, La Presse, CN2I, Montreal Gazette et La Presse canadienne, par le truchement de leur avocat, ont plaidé que la façon de procéder choisie par la Cour ne respectait pas l’enseignement de la Cour suprême dans l’arrêt Vancouver Sun (2007)[29] et les privait de la possibilité de présenter des observations utiles sur les mesures devant être prises pour assurer le respect du privilège de l’indicateur. Elles ont suggéré une méthode impliquant la divulgation intégrale du dossier d’appel (sauf le nom même de Personne désignée[30]) à leurs avocat.e.s ainsi qu’à un procureur travaillant en leur sein, moyennant un engagement de confidentialité. La Cour traitera de ce moyen aux paragraphes [66] et s. infra (et en particulier aux paragr. [76] à [81]).

[34]           Toutefois, il est à noter que, lors de l’audience, l’avocat de ces requérantes a reconnu que, en ce qui concerne la question de savoir si la personne qui le revendique est bel et bien protégée par le privilège de l’indicateur, les médias n’avaient pas à être consultés ni ne pouvaient participer à cette détermination. Elles estiment cependant qu’elles auraient dû – et devraient encore – être convoquées et participer au débat sur les mesures destinées à assurer le secret nécessaire à la protection du privilège. L’avocat des requérantes MédiaQMI et Groupe TVA a souscrit généralement aux propos de son confrère et s’est donc trouvé à exprimer son accord avec ce point de vue.

[35]           Les requérantes MédiaQMI et Groupe TVA de même que le requérant procureur général du Québec ont de plus fait valoir que, à défaut de lever les ordonnances de confidentialité prononcées par la Cour, il convenait au minimum de desceller le dossier d’appel d’une manière correspondant à l’arrêt caviardé du 23 mars 2022. Dans cette hypothèse, seuls demeureraient inaccessibles les renseignements que la Cour a caviardés dans cette version publique de son arrêt.

[36]           Enfin, la requérante juge en chef de la Cour du Québec ne demande pas la levée des ordonnances[31], mais un accès au dossier d’appel (ce qui peut être assimilé à une levée partielle dont elle serait la seule bénéficiaire). Le requérant procureur général du Québec appuie cette demande.

B. Analyse des requêtes des parties requérantes

[37]           Il n’y a pas lieu de faire droit aux requêtes. Voici pourquoi.

* *

[38]           Les parties requérantes ne le contestent pas ou ne le contestent plus : Personne désignée a le statut d’indicateur de police et bénéficie du privilège qui y est associé.

[39]           Cela est du reste incontestable, comme le montre le précédent arrêt de la Cour, y compris dans sa version publique. Personne désignée est une indicatrice de police, ce que concédait à bon droit la poursuivante, et le litige qu’a tranché la Cour (et avant elle le tribunal de première instance) tournait essentiellement autour de la question suivante :

[5] L’appel proposé explore l’entente entre un indicateur et les policiers. Plus précisément, suppose-t-elle une promesse ou, au contraire, l’absence de promesse d’une protection contre une accusation pour les crimes avoués?[32]

[40]           Se trouvaient en effet au cœur du débat la manière dont on a traité cette indicatrice et l’immunité découlant ou non de son statut dans les circonstances que l’on a vues.

[41]           Or, l’existence du privilège de l’indicateur et la participation d’un indicateur à une instance judiciaire ont des conséquences sur le caractère public des débats judiciaires et emportent un degré de secret qui peut varier selon les circonstances, principe que les parties requérantes ne contestent pas non plus, sinon dans la manière de l'appliquer et dans son étendue en l'espèce.

[42]           Voyons ce qu’il en est.

1. Privilège de l’indicateur : rappel

[43]           La Cour suprême du Canada a souvent décrit, en termes forts, le privilège de l’indicateur et la règle interdisant la divulgation des renseignements susceptibles de permettre l’identification de celui-ci. Sa jurisprudence est non seulement abondante, mais uniforme (on pourrait même dire unidirectionnelle).

[44]           Ainsi, parlant de l’importance de ce privilège, la juge McLachlin, alors puînée, souligne ce qui suit dans l’arrêt Leipert[33] :

9 Le tribunal qui analyse cette question doit, au départ, reconnaître que le privilège relatif aux indicateurs de police constitue une protection ancienne et sacrée qui joue un rôle vital en matière d'application de la loi. Cette protection est fondée sur l'obligation qui incombe à tous les citoyens de contribuer à l'application de la loi. S'acquitter de cette obligation comporte un risque de vengeance de la part des criminels. La règle du privilège relatif aux indicateurs de police a donc été adoptée pour protéger les citoyens qui collaborent à l'application des lois et encourager les autres à en faire autant. Comme l'a dit le juge Cory (maintenant juge de notre Cour) dans l'arrêt R. c. Hunter (1987), 57 C.R. (3d) 1 (C.A. Ont.), aux pp. 5 et 6 :

[TRADUCTION] La règle interdisant la divulgation de renseignements susceptibles de permettre d'établir l'identité d'un indicateur existe depuis très longtemps. Elle trouve son origine dans l'acceptation de l’importance du rôle des indicateurs dans le dépistage et la répression du crime. On a reconnu que les citoyens ont le devoir de divulguer à la police tout renseignement qu'ils peuvent détenir relativement à la perpétration d'un crime. Les tribunaux ont réalisé très tôt l'importance de dissimuler l'identité des indicateurs, à la fois pour assurer leur propre sécurité et pour encourager les autres à divulguer aux autorités tout renseignement concernant un crime. La règle a été adoptée en vue de réaliser ces objectifs.

10 La règle revêt une importance fondamentale pour le fonctionnement du système de justice criminelle. Comme on l'explique dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la p. 105 :

Le principe confère en effet à l'agent de la paix le pouvoir de promettre explicitement ou implicitement le secret à ses indicateurs, avec la garantie sanctionnée par la loi que cette promesse sera tenue même en cour, et de recueillir en contrepartie de cette promesse, des renseignements sans lesquels il lui serait extrêmement difficile d'exercer ses fonctions et de faire respecter le droit criminel.

[Soulignements ajoutés]

[45]           Et parce qu’il s’agit d’une protection « sacrée » et vitale à l’application de la loi, la juge McLachlin, dans le même arrêt Leipert, ajoute que :

14 En somme, le privilège relatif aux indicateurs de police revêt une telle importance qu'il ne saurait être soupesé en fonction d'autres intérêts. Une fois que son existence est établie, ni la police ni les tribunaux n'ont le pouvoir discrétionnaire de le restreindre.

[46]           S’expliquant un peu plus loin sur la portée de cet incompressible privilège, la juge McLachlin écrit également que :

18 Le privilège relatif aux indicateurs de police empêche non seulement la divulgation de leur nom, mais aussi de tout renseignement susceptible d'en révéler implicitement l'identité. Les tribunaux ont reconnu que même les détails les plus infimes peuvent permettre d'identifier quelqu'un. Dans l'arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, à la p. 1460, le juge Sopinka suggère que les juges du procès qui révisent un rapport d'écoute électronique se posent la question suivante :

[TRADUCTION] ... l'identité des informateurs confidentiels de la police, et donc leur vie et leur sécurité, peuvent-elles être compromises, sachant que la divulgation peut résulter tout autant de la mention de la nature des renseignements fournis par la source confidentielle que par la révélation de son nom?

Ce principe a également été confirmé par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt R. c. Hardy (1994), 45 B.C.A.C. 146, à la p. 149:

[TRADUCTION] Il est bien établi que les renseignements susceptibles de permettre l'identification d'un indicateur confidentiel n'ont pas à être divulgués au juge de paix ou au procès.

De même, en l'espèce, le juge en chef McEachern laisse entendre (au par. 35) [TRADUCTION] « qu'il se peut que l'accusé sache que seul un cercle très restreint de personnes, voire une seule personne, est susceptible d'être au courant d'un fait en apparence anodin qui est mentionné dans le document ». Il souligne « Le privilège est sacré et doit être respecté scrupuleusement ».

[47]           Renchérissant sur ce propos, toujours dans le même arrêt, la juge McLachlin précise enfin que :

28 […] Le privilège relatif aux indicateurs de police a une importance considérable. Une fois son existence établie, le privilège ne peut être réduit ou pondéré en fonction d'autres préoccupations relatives à l'administration de la justice. La police et les tribunaux n'ont pas le pouvoir discrétionnaire de le réduire et sont tenus de le faire respecter. La seule exception est le cas où il y a un motif de conclure que les renseignements en cause peuvent être nécessaires pour établir l'innocence de l'accusé. La règle s'applique non seulement en ce qui concerne le nom de l'indicateur, mais encore relativement à tout détail susceptible d'en révéler l'identité. […]

[48]           Plus récemment, en 2018, dans Brassington[34], la juge Abella, au nom de la Cour suprême, résumait ainsi l’état du droit :

[34] Le privilège de l’indicateur s’applique dans le cas où les policiers obtiennent des renseignements en échange d’une promesse de confidentialité. Une telle promesse peut soit être explicite, soit découler implicitement d’une conduite policière qui aurait pu « donner à quelqu’un dans la situation de l’indicateur potentiel des motifs raisonnables de croire que son identité serait protégée » (R. c. Personne désignée B, [2013] 1 R.C.S. 405, par. 18). Les indicateurs sont en droit de se fier aux promesses que leur font les policiers, car leur sécurité personnelle pourrait être sérieusement menacée si le fait qu’ils collaborent avec ceuxci venait à être connu (Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253, par. 16). Et [traduction] « [q]uand les gens du milieu savent que l’identité d’un indicateur est protégée lorsque celuici communique aux policiers des renseignements confidentiels, il est possible que d’autres indicateurs se manifestent » (Hubbard, Magotiaux et Duncan, p. 2-2).

[35] La Cour a récemment résumé la règle dans l’arrêt R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, où le juge Moldaver s’est exprimé ainsi :

Le privilège relatif aux indicateurs de police est un principe de common law qui existe depuis longtemps et qui revêt une importance capitale dans notre système de justice pénale. Les indicateurs de police jouent un rôle essentiel en matière de lutte contre les infractions, parce qu’ils fournissent à la police des informations qu’il serait autrement pour elle difficile, voire impossible, à obtenir. En protégeant l’identité des personnes qui communiquent des informations à la police — et en encourageant d’autres à en faire autant —, le privilège relatif aux indicateurs de police s’avère d’une grande utilité pour les policiers dans le cadre de leurs enquêtes criminelles et de leur mission de protection du public. Sous réserve de l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé, le privilège crée une interdiction absolue de révéler l’identité de l’indicateur, et tant la police que le ministère public et les tribunaux sont tenus de le respecter. [par. 1]

[Soulignements ajoutés]

[49]           La Cour suprême n’a jamais dévié de cet enseignement : le privilège de l’indicateur, qui impose le secret de toute information susceptible de permettre l’identification de celui-ci, est qualifié d’« absolu »[35] ou de « quasi absolu »[36], sous réserve d’une seule exception, lorsque l’accusé (s’il n’est pas lui-même l’indicateur, il va sans dire) a besoin des renseignements protégés pour établir son innocence[37] (et, même là, les conditions que doit remplir l’accusé qui prétend à cette exception sont exigeantes[38]). Ce privilège et le secret qu’il implique « revê[tent] une importance capitale dans notre système de justice pénale »[39], sont accordés dans « l’intérêt public »[40] et servent « l’intérêt de la justice et le maintien de l’ordre public »[41].

[50]           Par conséquent, et cela est une caractéristique fondamentale qui doit être mise en relief, il ne s’agit pas d’un privilège discrétionnaire, qu’un juge peut lever ou atténuer en raison d’intérêts concurrents : le secret qui en découle doit obligatoirement être assuré par le tribunal et, là-dessus, la jurisprudence de la Cour suprême est sans équivoque. Le privilège de l’indicateur est un privilège dit « générique », « s’appliquant chaque fois que la présence d’un indicateur confidentiel est établie »[42] et, pour reprendre l’arrêt Leipert, les tribunaux n’ont pas le pouvoir de le restreindre ni celui de le « soupeser en fonction d’autres intérêts »[43]. Une fois son existence constatée, il n’a pas à être pondéré au regard d’autres droits. Ainsi que le précise le juge Bastarache dans Vancouver Sun (2007)[44] :

22 Dès lors que l’existence du privilège est démontrée, le tribunal a l’obligation d’appliquer la règle. C’est parce qu’elle revêt un caractère non discrétionnaire que la règle du privilège relatif aux indicateurs de police est qualifiée d’« absolue » : […].

[Soulignements ajoutés]

[51]           Comme l’explique encore le juge Binnie, au nom de la majorité, dans Barros[45] :

[1] Selon la jurisprudence, l’identité des indicateurs de police est protégée par un privilège quasi absolu qui l’emporte sur l’obligation générale de divulgation à la défense qui incombe au ministère public. Ce privilège n’est pas assujetti au pouvoir discrétionnaire judiciaire et il n’invite pas la pondération d’intérêts opposés (sous réserve d’une exception relative à « la démonstration de l’innocence de l’accusé »). […]

[…]

[28] Le droit d’un accusé de faire tout en son pouvoir pour présenter une défense pleine et entière est fondamental en justice pénale. Cependant, c’est au moins depuis l’affaire The Trial of Thomas Hardy for High Treason (1794), 24 St. Tr. 199, que le privilège relatif aux indicateurs de police est reconnu comme un élément essentiel des enquêtes criminelles et de la protection du public. Dès lors que l’on conclut à l’existence d’un privilège relatif aux indicateurs de police, aucune exception ni aucune pondération des intérêts ne sont permises, sauf [TRADUCTION] « si au procès d’un accusé le juge est d’avis qu’il est nécessaire ou juste de divulguer le nom de l’indicateur pour démontrer l’innocence du prisonnier » […].

[…]

[35] Les tribunaux appliqueront le privilège lorsque c’est possible de le faire, qu’il soit revendiqué ou non (Bisaillon, p. 84 et 88; Basi, par. 38), et, comme il a été mentionné, sans la pondération d’intérêts opposés qui doit être faite dans le cas de certaines autres formes de privilège, tels le privilège journalistique, R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, ou, d’une manière générale, le privilège de l’intérêt public, Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637, à moins que l’indicateur et l’État ne renoncent à la protection : Basi, par. 40; Personne désignée, par. 22-23; Leipert, par. 12-15; et Bisaillon, p. 93.

[Soulignements ajoutés]

[52]           C’est d’ailleurs ce que soulignait déjà le juge Beetz dans Bisaillon, en précisant que l’application du privilège de l’indicateur « ne relève en rien de la discrétion du juge car c'est une règle juridique d'ordre public qui s'impose au juge »[46], qu’elle n’est « assujettie à aucune formalité et que, si personne ne l'invoque, le juge doit l'imposer d'office »[47]. On peut citer enfin le juge Fish, au nom de la Cour suprême, dans Basi : « Et si la revendication du privilège est établie, le juge doit lui donner pleinement effet. Comme nous l’avons vu, suivant l’arrêt Personne désignée, les juges du procès n’ont aucun pouvoir discrétionnaire d’agir autrement »[48].

[53]           C’est en effet la nature d’un privilège générique que de prendre le pas sur toute autre considération, même d’ordre ou d’intérêt public, et ce, sauf exceptions restreintes. C’est un privilège qui produit ses effets « sans égard aux circonstances »[49] (donc sans égard aux faits de chaque espèce) et sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’un préjudice, qui est en effet présumée, ou l’aggravation du risque de préjudice. C’est d’ailleurs en cela qu’il se distingue du privilège reconnu au cas par cas, qui appelle une telle pondération entre les intérêts de ceux qui prétendent à la confidentialité, et doivent en démontrer la nécessité, et ceux qui s’y opposent ou réclament un accès à l’information. Comme l’explique le juge Beetz dans Bisaillon, alors qu’il compare le privilège de la Couronne et celui de l’indicateur de police :

 Cette procédure propre à la mise en œuvre du privilège de la Couronne se trouve sans objet dans le cas du secret relatif à l'indicateur de police. Dans ce cas en effet, la loi ne laisse au ministre et au juge après lui aucun pouvoir d'appréciation ou d'évaluation des divers aspects de l'intérêt public qui entrent en conflit puisqu'elle a déjà elle-même tranché ce conflit. Elle a déjà décidé une fois pour toutes et sous réserve d'un changement apporté à la loi, que les renseignements relatifs à l'identité des indicateurs de police forment, à cause de leur contenu, une classe de renseignements qu'il est dans l'intérêt public de garder secrets et que cet intérêt l'emporte sur la nécessité de rendre une justice plus parfaite.[50]

[Soulignements ajoutés]

[54]           Autrement dit, le débat entre, d’une part, la nécessité de protéger l’indicateur par le secret absolu de ce qui est susceptible de l’identifier et, d’autre part, les droits qui favorisent la divulgation de l’information est déjà clos : cette pondération a eu lieu lorsque la Cour suprême discutait de l’opportunité de reconnaître un tel privilège, sachant qu’il dérogerait à ces autres droits. Or, elle l’a reconnu.

[55]           Les privilèges génériques sont peu nombreux : dans l’arrêt Lizotte, la Cour suprême en répertorie quatre, c’est-à-dire le privilège de l’indicateur, le privilège relatif au règlement, le privilège relatif au litige et le secret professionnel de l’avocat[51]. Ce sont des privilèges qui ne peuvent en principe pas être levés au bénéfice de tiers, même lorsque ceuxci sont tenus par un devoir de confidentialité[52]. Dans Lizotte, le juge Gascon, au nom de la Cour suprême, en veut pour exemple le privilège de l’indicateur et il signale que, dans l’arrêt Basi, « la Cour a conclu que le privilège de l’indicateur de police ne pouvait être écarté au bénéfice des seuls avocats de la défense du simple fait qu’ils étaient liés par des ordonnances et engagements de confidentialité »[53].

[56]           Tout cela signifie aussi que seul un groupe restreint de personnes a accès aux informations relatives à l’indicateur, à savoir l’indicateur lui-même, la police, le ministère public et le tribunal[54]. Ce « cercle du privilège », pour reprendre l’expression consacrée, exclut toute autre personne, sauf dans le cas de l’exception de l’innocence. Il faut bien le comprendre : ce cercle n’inclut pas même l’accusé et les avocat.e.s qui le représentent (à moins, bien sûr, qu’il ne soit l’indicateur dont le privilège est en cause ou que son innocence soit en jeu)[55]. C’est donc dire que le droit à une défense pleine et entière, qui constitue pourtant l’un des piliers de notre système de justice criminelle et que garantit l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, ne l’emporte pas sur le privilège de l’indicateur, qui résiste également à l’obligation de divulgation de la preuve imposée au ministère public[56].

[57]           Bref, le privilège de l’indicateur, privilège générique et d’intérêt public, est absolu et prépondérant, son application devant être obligatoirement assurée par les tribunaux, qui n’ont aucune discrétion en la matière et qui doivent obligatoirement, tout comme la police et le ministère public, protéger l’identité de l’indicateur et ne révéler aucune information, même la plus infime (qualificatif emprunté à l’arrêt Leipert[57]), susceptible de permettre son identification. Comme l’écrit la Cour dans Bilodeau c. Directeur des poursuites criminelles et pénales[58], sous la plume du juge Bouchard :

[15] La Cour suprême va jusqu’à affirmer « que l’intérêt qu’a le public à protéger l’identité des indicateurs l’emporte sur toute autre considération de principe » [renvoi omis] et « même sur la nécessité de rendre une meilleure justice » [renvoi omis] ou une « justice plus parfaite » [renvoi omis]. Toujours selon la Cour suprême, «  il ne saurait être soupesé en fonction d’autres intérêts » [renvoi omis], pas même au « droit à une défense pleine et entière » [renvoi omis], sauf bien entendu, et tel que mentionné, si l’innocence de l’accusé est en cause.

* *

[58]           Tout cela étant dit, de quoi parle-t-on lorsqu’on affirme que, pour assurer la mise en œuvre du privilège de l’indicateur, les tribunaux (comme d’ailleurs la police et le ministère public) doivent garder secrets les renseignements susceptibles de permettre la découverte de l’identité de l’indicateur?

[59]           On aura d’abord remarqué que ce ne sont pas seulement les renseignements permettant l’identification de l’indicateur qui doivent être gardés secrets, mais bien les renseignements susceptibles de permettre cette identification. La différence sémantique est importante.

[60]           Ensuite, les tribunaux, la Cour suprême du Canada au premier chef, n’ont jamais dressé la liste de ces renseignements, entreprise qui serait d’ailleurs vaine puisqu’elle est tributaire des faits de chaque espèce. Sauf l’évidence – on ne révélera jamais le nom de l’indicateur lorsque sa fonction d’indicateur est en cause ou lorsqu’elle est pertinente à l’affaire –, la réponse à la question de savoir ce qui doit être gardé secret dans le cas de l’indicateur X et ce qui doit l’être dans le cas de l’indicatrice Y dépendra des circonstances et ne peut être décidé qu’au cas par cas.

[61]           À cet égard, la Cour suprême invite les tribunaux à une grande prudence : même s’il ne faut pas lui donner une portée qui dépasse son objectif protéger les indicateurs et inciter les personnes au courant d’activités criminelles d’en parler aux autorités »[59]), il reste que le privilège de l’indicateur a une large portée[60] et s’applique « à tout détail susceptible d'en révéler l'identité »[61]. La perspective qui préside à l’examen de cette question est celle des complices de l’indicateur, du milieu criminel dans lequel il évolue, des accusés que ses renseignements auront permis d’inculper, et non pas l’honnête perspective de la personne raisonnable. Car, on le sait, la première des deux raisons d’être du secret lié au privilège est de soustraire l’indicateur à la vindicte de ceux qu’il a dénoncés et de leur entourage (la seconde étant d’encourager la collaboration d’autres indicateurs par l’octroi de cette protection) : en effet, la délation est mal vue en ces milieux et le risque de représailles est bien réel. Par conséquent, ne doivent pas être divulgués les renseignements qui permettraient à cette « clientèle » particulière d’identifier l’indicateur.

[62]           Or, il y a des informations qui, certainement, sont sans intérêt pour le commun des mortels, qui ne pourrait s’en servir utilement pour identifier un indicateur, mais qui, aux yeux des personnes averties, sont autant d’indices de son identité, quand elles ne la dévoilent pas carrément. Dans la mesure où la sécurité et la vie de l’indicateur seront mises en péril par de telles révélations, la plus grande circonspection est donc de mise. Ainsi, comme le rappelle la juge McLachlin dans Leipert, lorsqu’« il est impossible de déterminer quels détails de l'information communiquée par l'indicateur permettront d'en révéler l'identité, aucun de ces détails ne devra alors être divulgué, à moins qu'il n'y ait un motif de conclure que l'exception concernant la démonstration de l'innocence de l'accusé s'applique »[62]. Autrement dit, lorsqu’il est impossible de déterminer avec assurance qu’une information n’est pas susceptible de permettre l’identification d’un indicateur, elle ne peut pas être divulguée. Contrevenir à ce principe de base met nécessairement à mal les objectifs du privilège de l’indicateur, celui-ci étant d’une importance capitale pour le système de justice pénale, comme on l’a vu.

[63]           Cette circonspection s’étend à toutes les informations qui entourent l’indicateur ou son implication dans un dossier judiciaire et qui peuvent en révéler implicitement ou indirectement l’identité ou permettre de l’établir. Pour reprendre les propos du juge Bastarache dans Vancouver Sun (2007)[63] :

26 Outre son caractère absolu et non discrétionnaire, la règle est d’application extrêmement large. Elle s’applique à l’identité de tout indicateur de police, qu’il soit ou non présent et même s’il est lui-même un témoin. Elle s’applique tant à la preuve documentaire qu’aux témoignages de vive voix : Sopinka, Lederman et Bryant, p. 882-883. Elle s’applique en matières pénales et civiles. L’obligation de garder secrète l’identité des indicateurs est imposée aux policiers, au ministère public, aux avocats et aux juges : Hubbard, Magotiaux et Duncan, p. 2-2. La règle offre également une protection très étendue. Tous les renseignements susceptibles de permettre l’identification d’un indicateur sont protégés par le privilège. Ainsi, la protection ne vise pas uniquement le nom de l’indicateur de police, mais aussi tous les renseignements susceptibles de servir à l’identifier.[64]

[Soulignements ajoutés]

[64]           L’injonction est péremptoire : tous les renseignements susceptibles de servir à identifier l’indicateur sont protégés et aucun d’entre eux ne peut être dévoilé.

[65]           Quant aux façons de protéger les informations que détient le tribunal, elles aussi varient selon les circonstances. Le huis clos de l’instance (en totalité ou en partie) et la mise sous scellés du dossier judiciaire (en totalité ou en partie) peuvent être requis dans certains cas, alors qu’une protection limitée à quelques documents ou le seul fait de taire le nom de l’indicateur lors d’une audience pourraient suffire en d’autres cas, avec tout l’éventail des possibilités intermédiaires. La nature de la participation de l’indicateur à l’instance est certainement un élément à considérer : s’il est impliqué à titre d’indicateur dans le procès d’un tiers (ce qui est le cas de figure classique), la protection requise pourra varier selon qu’il témoigne ou ne témoigne pas, par exemple; de même, il en ira différemment selon qu’il joue un rôle secondaire dans l’instance ou que, au contraire, luimême et son statut d’indicateur sont au cœur de l’affaire (comme c’est le cas dans le présent dossier).

2. Privilège de l’indicateur et publicité des débats judiciaires

[66]           Dans le cadre du présent dossier, certaines des requérantes ont fait valoir que le caractère absolu du privilège de l’indicateur avait été tempéré par l’arrêt Vancouver Sun (2007)[65]. Or, s’il est vrai que cet arrêt laisse un interstice d’intervention médiatique dans l’application du privilège de l’indicateur – nous y reviendrons –, il n’a pas modifié l’état du droit en la matière. Sans citer ici au long les motifs majoritaires du juge Bastarache, qui réitèrent en termes extrêmement clairs l’existence, les fins et la portée du privilège de l’indicateur, le paragraphe suivant en est un éloquent récapitulatif :

30 En conclusion, la justification générale de la règle du privilège relatif aux indicateurs de police exige un privilège extrêmement large et impératif. Une fois que le juge du procès est convaincu de l’existence du privilège, toute divulgation de l’identité de l’indicateur est absolument interdite. Mise à part l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé, la règle jouit d’une protection absolue. La justification du privilège ne peut faire l’objet d’une évaluation au cas par cas. Le privilège assure la protection de tous les renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’indicateur de police, et ni le ministère public ni le tribunal n’ont le moindre pouvoir discrétionnaire de communiquer ces renseignements dans une instance, en aucun temps.

[67]           Cela dit, on ne peut nier que le privilège de l’indicateur de police (fondé sur le secret) et le principe de la publicité des débats judiciaires (qui suppose l’accès du public et des médias à l’enceinte et aux dossiers judiciaires) entrent en conflit. C’est d’ailleurs là, précisément, le sujet de l’arrêt Vancouver Sun (2007), qui, à la majorité[66], résout ce conflit de la manière suivante :

1 L’information est au cœur de tout système juridique. La police enquête sur les crimes et intervient en fonction des renseignements qu’elle obtient; les avocats et les témoins présentent des renseignements aux tribunaux; les jurys et les juges fondent leurs décisions sur ces renseignements; et ces décisions, rendues publiques par la presse populaire et la presse spécialisée, constituent le fondement du droit dans les causes ultérieures. Au Canada, comme dans toute société véritablement démocratique, on s’attend à ce que les débats judiciaires soient publics et à ce que le public ait accès à l’information. Toutefois, de temps à autre, la sécurité de personnes ou de groupes, le respect du droit à la vie privée et la protection de l’intégrité du système judiciaire dans son ensemble exigent que certains renseignements soient gardés secrets.

2 Sont en conflit en l’espèce deux principes fondamentaux du droit canadien qui constituent des approches diamétralement opposées au traitement de l’information dans notre système juridique. D’une part, suivant le principe de la publicité des débats judiciaires, notre Cour a reconnu à maintes reprises que les audiences sont censées être publiques. D’autre part, suivant la règle du privilège relatif aux indicateurs de police, un privilège qui existe depuis longtemps, l’identité d’un indicateur confidentiel ne peut être dévoilée que dans les circonstances les plus exceptionnelles.

[…]

4 Notre Cour est appelée à déterminer la façon de respecter les droits protégés par le privilège revendiqué par la personne désignée, compte tenu des droits à la base du principe de la publicité des débats judiciaires, principe que les intimés ont invoqué pour faire valoir leur droit de publier les renseignements concernant l’instance. À mon avis, le privilège relatif aux indicateurs de police doit demeurer absolu. L’information susceptible de permettre l’identification d’un indicateur confidentiel ne peut être dévoilée, sauf si l’innocence de l’accusé est en jeu. Indubitablement d’une importance vitale dans notre système juridique et notre société, le principe de la publicité des débats judiciaires ne peut toutefois s’appliquer s’il porte fondamentalement atteinte au système de justice pénale. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

[Soulignements ajoutés]

[68]           Bref, les tensions entre privilège de l’indicateur et principe de la publicité des débats judiciaires ont été résolues en faveur du premier. Cette primauté est de nature générique et ne résulte pas d’une approche au cas par cas à laquelle on appliquerait le test Dagenais/Mentuck. Ce test, issu, comme son nom l’indique, des arrêts Dagenais[67] et Mentuck[68], a été légèrement reformulé dans le récent arrêt Sherman[69] et il s’applique au prononcé de toute ordonnance de confidentialité discrétionnaire (huis clos partiel ou total, scellés généraux ou limités, nonpublication et non-diffusion, etc.). Dans Sherman, le juge Kasirer, au nom de la Cour, s’exprime ainsi :

[38] Le test des limites discrétionnaires à la publicité présumée des débats judiciaires a été décrit comme une analyse en deux étapes, soit l’étape de la nécessité et celle de la proportionnalité de l’ordonnance proposée (Sierra Club, par. 53). Après un examen, cependant, je constate que ce test repose sur trois conditions préalables fondamentales dont une personne cherchant à faire établir une telle limite doit démontrer le respect. La reformulation du test autour de ces trois conditions préalables, sans en modifier l’essence, aide à clarifier le fardeau auquel doit satisfaire la personne qui sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires. Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

Ce n’est que lorsque ces trois conditions préalables sont remplies qu’une ordonnance discrétionnaire ayant pour effet de limiter la publicité des débats judiciaires — par exemple une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage —pourra dûment être rendue. Ce test s’applique à toutes les limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, sous réserve uniquement d’une loi valide (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188, par. 7 et 22).

[39] Le pouvoir discrétionnaire est ainsi structuré et contrôlé de manière à protéger le principe de la publicité des débats judiciaires, qui est considéré comme étant constitutionnalisé sous le régime du droit à la liberté d’expression garanti par l’al. 2b) de la Charte (NouveauBrunswick, par. 23). […] Le caractère fondamental de ce principe pour le système judiciaire soustend la forte présomption quoique réfutable en faveur de la tenue de procédures judiciaires publiques (par. 40; Mentuck, par. 39).

[Soulignements ajoutés]

[69]           Or, ce test ne s’applique pas à la protection non discrétionnaire du privilège relatif à l’indicateur, c’est-à-dire qu’il ne s’applique ni à la reconnaissance de l’existence de ce privilège ni à la détermination des mesures qui doivent être prises pour en assurer le respect. Là-dessus, l’opinion majoritaire du juge Bastarache dans Vancouver Sun (2007) est sans ambiguïté aucune. Ainsi, après avoir rappelé le caractère absolu et non discrétionnaire de la règle du privilège de l’indicateur, règle « d’application extrêmement large »[70], le juge Bastarache ajoute que :

35 Toutefois, il n’est pas nécessaire d’analyser en profondeur le critère des arrêts Dagenais/Mentuck. Comme la Cour l’a clairement indiqué dans Dagenais, p. 874-875, le critère devait uniquement s’appliquer à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge du procès. Cette interprétation du critère a été réaffirmée dans l’arrêt Vancouver Sun, par. 31, où les juges Iacobucci et Arbour ont étendu l’application du critère, élaboré dans le contexte des interdictions de publication d’ordre discrétionnaire (en cause dans les arrêts Dagenais et Mentuck) pour qu’il « s’applique également chaque fois que le juge de première instance exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression de la presse durant les procédures judiciaires » (je souligne).

36 Le critère des arrêts Dagenais/Mentuck est d’application très large, mais il faut veiller à ne pas en étendre la portée audelà des limites voulues. Il na jamais été question de lappliquer à toutes les mesures visant à restreindre la liberté dexpression devant les tribunaux. Le critère devait manifestement s’appliquer uniquement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et ce, dès son élaboration dans l’arrêt Dagenais, où le juge en chef Lamer a déclaré ce qui suit aux p. 874875 :

La contestation d’une interdiction de publication peut prendre différentes formes, suivant la nature de l’opposition à l’interdiction. Si, aux termes d’une disposition législative, le juge doit rendre une ordonnance de nonpublication, toute opposition à cette ordonnance devrait prendre la forme d’une contestation de la disposition législative, fondée sur la Charte. De même, si une règle de common law contraint un juge ou l’autorise à rendre une ordonnance de nonpublication qui viole des droits garantis par la Charte d’une façon qui n’est pas raisonnable et qui ne peut se justifier dans une société libre et démocratique, toute opposition à cette ordonnance devrait revêtir la forme d’une contestation de la règle de common law, fondée sur la Charte. [Souligné dans l’original.]

37 Il devrait désormais clairement ressortir de l’examen de la règle du privilège relatif aux indicateurs de police que c’est de cette dernière situation dont notre Cour est saisie en l’espèce. Les arrêts Dagenais/Mentuck, dans la mesure où ce courant jurisprudentiel constitue désormais le « critère » devant servir de fondement à l’application du principe de la publicité des débats judiciaires dans le cas de l’exercice par les tribunaux de leur pouvoir discrétionnaire, ne s’appliquent pas au privilège revendiqué en l’espèce. La règle du privilège relatif aux indicateurs de police ne confère pas au juge du procès le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance d’interdiction de publication. Bien au contraire. Lorsque le juge du procès conclut à l’existence d’un privilège relatif aux indicateurs de police, alors, comme la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Bisaillon c. Keable, p. 93, « [s]on application ne relève en rien de la discrétion du juge car c’est une règle juridique d’ordre public qui s’impose au juge ».

[…]

38 En l’espèce, on affirme que la règle du privilège relatif aux indicateurs de police est discrétionnaire et que les juges ont le pouvoir de déterminer, dans chaque cas, si la protection du privilège exige le huis clos.

39 Cette proposition est inacceptable. La règle du privilège relatif aux indicateurs de police est impérative (sous réserve seulement de l’exception de la « démonstration de l’innocence de l’accusé »).  Accorder aux juges du procès un vaste pouvoir discrétionnaire leur permettant de déterminer si le privilège relatif aux indicateurs de police doit être protégé minerait les fins de cette règle.  La règle impérative du privilège relatif aux indicateurs de police se justifie en partie parce qu’elle encourage les indicateurs éventuels à se manifester et à dénoncer les crimes, confiants que leur identité sera protégée.  Une règle qui accorderait aux juges du procès le pouvoir de déterminer dans chaque cas si le privilège de l’indicateur doit être protégé aurait pour effet de décourager les indicateurs éventuels de se manifester, ce qui anéantirait ainsi l’utilité du privilège et porterait un grand coup aux enquêtes policières.

[Sauf indication contraire, soulignements ajoutés]

[70]           L’opinion du juge Bastarache est antérieure à l’arrêt Sherman, mais celui-ci, comme on l’a vu, ne s’applique qu’aux ordonnances discrétionnaires et son enseignement ne cible pas les ordonnances de confidentialité découlant du privilège de l’indicateur.

[71]           Il est cependant exact de dire que le juge Bastarache, dans Vancouver Sun (2007), n’exclut pas toute considération du principe de la publicité des débats judiciaires dans le régime du privilège de l’indicateur. Il faut au contraire en tenir compte, et en cela il retient l’idée fondamentale qui sous-tend les arrêts Dagenais, Mentuck et autres, c’est-à-dire celle de l’importance de la publicité des débats judiciaires. Car, au final, bien que le critère Dagenais/Mentuck ne s’applique pas aux ordonnances de confidentialité découlant de l’application de la règle du privilège de l’indicateur[71], le tribunal doit néanmoins, « dans toute la mesure du possible »[72], réserver ses ordonnances de confidentialité « aux renseignements réellement susceptibles de révéler l’identité de l’indicateur; tous les autres renseignements sur l’instance demeureraient des renseignements pouvant être publiés en application du principe de la publicité des débats judiciaires »[73]. Ce à quoi le juge Bastarache ajoute :

41 C’est donc dire, plus concrètement, que s’il conclut à l’existence du privilège relatif aux indicateurs de police, le juge du procès doit avoir le pouvoir de tenir toute la procédure à huis clos. Toutefois, il ne devrait prendre une telle mesure qu’en dernier ressort. Le juge doit prendre toutes les mesures possibles pour assurer au public l’accès le plus complet aux débats et ne restreindre la communication et la publication de renseignements que si ces renseignements sont susceptibles de révéler l’identité de l’indicateur.

[72]           Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur la question de savoir si, concrètement, il y a une différence entre les « renseignements susceptibles de révéler l’identité de l’indicateur » et les « renseignements réellement susceptibles de révéler l’identité des indicateurs », étant entendu, comme on l’a vu plus haut, que le juge Bastarache écrit également que « [t]ous les renseignements susceptibles de permettre l’identification d’un indicateur sont protégés par le privilège »[74]. Ce que l’on doit retenir est ceci : le tribunal qui prononce une ordonnance de confidentialité découlant de la règle très large du privilège de l’indicateur doit, tout en prenant les rigoureuses précautions requises par la jurisprudence, s’assurer de ne soustraire à la vue du public et des médias que ce qui est susceptible de permettre l’identification de l’indicateur et qui peut parfois relever du détail infime[75], mais rien de plus. Il n’est toutefois pas privé, si les circonstances l’exigent, de déclarer un huis clos total.

[73]           Afin de faciliter le travail du tribunal, le juge Bastarache propose ensuite une démarche applicable au « contexte d’une audience où une partie affirme être un indicateur confidentiel de la police »[76] (ce qui est le cas du présent dossier, où ce statut est d’ailleurs avéré), démarche qui peut servir d’exemple « dans tous les cas où se pose une question de privilège relatif aux indicateurs de police »[77], le tribunal saisi pouvant « bien sûr modifier la démarche pour l’adapter à des faits différents »[78].

[74]           Cette démarche se divise en deux temps : 1° le tribunal statue d’abord sur la revendication du privilège, c’est-à-dire sur son existence; 2° s’il conclut à l’existence du privilège, il détermine ensuite la façon de le protéger de manière efficace (c.-à-d. de protéger l’identité de l’indicateur, ce dont le tribunal a l’obligation absolue et non facultative), tout en s’assurant de ne pas aggraver inutilement l’atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires. La première étape se déroule à huis clos, en la seule présence du poursuivant et de la personne qui revendique le privilège, auquel pourrait, exceptionnellement, s’ajouter un amicus curiae; la seconde peut permettre l’intervention limitée des médias. Voici comment le juge Bastarache décrit cette démarche, d’abord dans sa première étape :

46 Dans une telle instance, les parties seront la personne qui revendique le privilège et le procureur général du Canada (ou le ministère public). Si la personne souhaite revendiquer le rôle d’indicateur confidentiel, elle doit demander au juge de prononcer sans tarder l’ajournement et de poursuivre l’audition de l’affaire à huis clos. L’instance se poursuivra à huis clos en présence uniquement de cette personne et du procureur général afin que le juge détermine si la preuve est suffisante pour conclure que la personne est un indicateur confidentiel et, partant, qu’elle peut revendiquer le privilège.

47 Alors que le juge détermine si le privilège s’applique, la plus grande prudence s’impose en supposant que le privilège s’applique. Ainsi, aucun tiers ne peut être admis dans la salle d’audience sous aucun prétexte, et même la revendication du privilège de l’indicateur ne doit pas être révélée. Les seules parties admises à cette étape de l’instance sont la personne qui demande la protection au titre du privilège et le procureur général. Il incombe au juge à cette étape d’exiger que les parties lui présentent des preuves qui, tout compte fait, le convaincront que la personne est un indicateur confidentiel. Une fois établi par la preuve le rôle d’indicateur confidentiel de la personne, le privilège s’applique. Je ne saurais trop insister sur l’importance de ce dernier point. Le juge n’a pas le pouvoir de refuser d’appliquer le privilège : Bisaillon c. Keable, p. 93. Si la personne est un indicateur, le privilège s’applique pleinement.

48 De toute évidence, il faut tenir compte de la position plutôt délicate dans laquelle se trouve le juge : il tient une audience à huis clos dans laquelle les deux parties — le présumé indicateur et le procureur général — plaident souvent toutes les deux dans le même sens. (Le procureur général pourrait, bien entendu, contester la revendication du privilège.) Le cas échéant, le caractère non contradictoire de l’instance à cette étape peut être source de préoccupation. Par conséquent, dans certains cas, il serait loisible au juge de nommer un amicus curiae qui l’aiderait à déterminer si la preuve permet de conclure que la personne est un indicateur confidentiel. Toutefois, l’amicus curiae doit être investi d’un mandat précis, et son rôle ne peut dépasser les limites de cette analyse des faits. Les questions de droit revêtent une tout autre nature. Le juge seul détermine, en droit, s’il est en présence d’un indicateur confidentiel et si le privilège de l’indicateur s’applique. Dans cette affaire, le juge a demandé à l’amicus curiae de se prononcer sur l’étendue du privilège. En outre, étant donné l’importance que revêt la protection de l’identité de l’indicateur confidentiel, le juge doit veiller, s’il estime que l’aide d’un amicus curiae est requise, à ne lui fournir que les renseignements dont il a absolument besoin pour déterminer si le privilège s’applique. Vu le mandat confié à l’amicus curiae dans cette affaire, sa nomination était manifestement inappropriée.

49 Les procédures menant à la décision que le privilège s’applique ou non se déroulent à huis clos. Les seules parties ayant alors qualité pour agir sont le procureur général et la personne qui revendique le privilège, de même que l’amicus curiae investi du mandat susmentionné dans les situations inusitées où le juge estime sa participation nécessaire. Aucune autre partie n’est autorisée à participer à cette étape de l’instance. Il en est ainsi tout simplement parce que, pour décider si le privilège s’applique, il suffit de déterminer si la personne est effectivement un indicateur confidentiel — je répète qu’il n’y pas d’intérêts juridiques ou de droits opposés à mettre en balance — et aucune autre personne ne peut présenter d’arguments utiles à cet égard. Qui plus est, donner à des tiers qualité pour agir à cette étape ne ferait qu’accroître inutilement le risque que l’identité de l’indicateur confidentiel soit dévoilée.

[Soulignements ajoutés]

[75]           La règle est limpide : les médias n’ont pas le droit de participer à cette étape, qui doit obligatoirement se dérouler à huis clos, sauf la « situation inusitée » où le juge estimera nécessaire la participation – limitée – d’un amicus curiae. On notera qu’à cette première étape « même la revendication du privilège de l’indicateur ne doit pas être révélée »[79].

[76]           Le juge Bastarache décrit ensuite la seconde étape, qui recèle une forte composante discrétionnaire (l’extrait ci-dessous est long, mais aussi instructif que nuancé) :

51 Lorsqu’il détermine la façon appropriée de protéger le privilège relatif aux indicateurs de police et d’appliquer le principe de la publicité des débats judiciaires, le juge doit trouver une façon de limiter l’atteinte à ces principes. Il peut à cette étape permettre à des personnes ou des organismes autres que le procureur général et l’indicateur de présenter des observations. Il en est ainsi, bien sûr, parce que le procureur général et l’indicateur confidentiel plaideront énergiquement en faveur de la noncommunication de tous les renseignements se rapportant à linstance, écartant tout bénéfice du débat contradictoire. Bien sûr, la protection des renseignements auxquels s’attache le privilège imposera des limites à la communication de renseignements, mais la protection du principe de la publicité des débats judiciaires exige la communication de tous les renseignements nécessaires à la présentation d’observations utiles et qui peuvent être communiqués sans qu’il soit porté atteinte au privilège. Par conséquent, la qualité pour agir peut à cette étape être reconnue à des personnes ou à des organismes dont les observations porteront sur l’importance de ne pas étendre outre mesure la portée du privilège relatif aux indicateurs de police et qui proposeront des moyens d’atteindre cet objectif dans le contexte de l’affaire.

[…]

53 La décision d’afficher un avis concernant l’instance relève de la discrétion du juge. En d’autres termes, nul n’a le droit, d’ordre constitutionnel ou autre, d’être informé de toutes les instances dans lesquelles est revendiqué le privilège relatif aux indicateurs de police. Il en est ainsi pour une raison bien pratique : il n’y a pas de différence réelle, s’agissant du principe de la publicité des débats judiciaires, entre une situation où il existe un privilège relatif aux indicateurs de police et toute autre situation où une partie de l’instance est tenue à huis clos, soit parce que la victime d’agression sexuelle est un enfant, soit parce que le privilège du secret professionnel de l’avocat a été invoqué. Il ne serait ni praticable ni raisonnable de s’attendre à ce que, chaque fois qu’il procède à huis clos, le juge ait l’obligation de publier un avis d’instance tenue à huis clos et d’inviter tout un chacun à présenter des observations sur l’opportunité du huis clos. Le juge ne devrait pas non plus choisir les intervenants « dignes ».

54 Le juge conserve plutôt le pouvoir discrétionnaire de décider s’il doit ou non donner avis au public de la tenue à huis clos de l’instance faisant intervenir le privilège relatif aux indicateurs de police. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire sera fonction des circonstances, par exemple si le titulaire du privilège est présent à l’audience et y intervient activement, comme cela s’est produit en l’espèce. Que le juge donne avis de l’audience à huis clos ou que les médias en apprennent l’existence autrement (ce qui peut certainement se produire), l’étape suivante consiste pour le juge à entendre les observations afin de déterminer dans quelle mesure une audience à huis clos est nécessaire. C’est à cette étape que les médias obtiennent l’autorisation de présenter des observations sur la façon d’assurer le respect du privilège relatif aux indicateurs de police tout en portant atteinte le moins possible au principe de la publicité des débats judiciaires.

55 Le juge doit se demander s’il est justifié d’imposer le huis clos à l’ensemble de la procédure parce que seul le huis clos permettra d’assurer le respect adéquat du privilège relatif aux indicateurs de police, ou s’il est possible d’offrir une protection suffisante par d’autres moyens, notamment en tenant une partie de l’instance à huis clos. Le principe directeur à cette étape devrait toujours rester le suivant : le juge doit favoriser dans toute la mesure possible la publicité des débats judiciaires sans risquer une violation du privilège relatif aux indicateurs de police. Ce principe vise à assurer le respect absolu du privilège relatif aux indicateurs de police tout en limitant l’atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires.

56 À cette étape de l’instance, les personnes ayant qualité pour agir — au nombre desquelles figurent désormais le procureur général, l’indicateur confidentiel et les représentants des médias — présentent des observations sur l’application de ce principe directeur compte tenu des faits de l’espèce. Le résultat retenu dépendra évidemment des faits de l’espèce, mais certains paramètres sont clairs. À la limite, il est possible que l’affaire doive être entendue entièrement à huis clos. Ou à l’opposé, il est possible que le lien entre les faits de l’affaire et le statut d’indicateur confidentiel de l’indicateur soit suffisamment ténu pour que l’audience se déroule dans une large mesure en public sans risque de communication de renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’indicateur. Dans le cas le plus extrême, il pourrait ne pas être nécessaire du tout de procéder à huis clos, et l’indicateur de police pourrait même assister à l’audience publique, caché derrière un écran. Entre ces deux situations opposées se trouve, à mon avis, le cas typique, c’estàdire le cas où linstance se déroule en partie à huis clos notamment pour les parties comportant un risque de dévoiler l’identité de l’indicateur —, et en partie en audience publique — notamment lorsqu’il n’existe pas de possibilité que l’identité de l’indicateur soit dévoilée, vraisemblablement pendant la présentation de nombreux arguments juridiques.

57 Il est impossible de savoir, dans l’abstrait, comment ces deux principes seront respectés; les juges doivent appliquer les principes directeurs susmentionnés avec discernement, veiller à ce que l’identité de l’indicateur de police soit toujours protégée et tenter de favoriser la publicité des débats judiciaires dans ce contexte.

58 Une question se pose : à la suite d’un avis ou par leurs propres moyens, les médias peuvent à l’occasion apprendre la tenue d’une audience et s’y présenter pour faire des observations sur la procédure à suivre dans un cas donné. Le cas échéant, quels documents peuvent être remis aux médias pour leur permettre de présenter des observations? Comme dans le cas de l’amicus curiae dont il est question cidessus (au par. 48), le juge doit faire preuve dune extrême prudence pour ce qui est des renseignements fournis aux médias. Linformation doit se limiter aux seuls renseignements qui ne permettent pas d’identifier l’indicateur et qui peuvent servir de fondement général à leurs observations sur la mesure dans laquelle les débats seront publics; aucun renseignement susceptible de permettre l’identification de l’indicateur ne peut être communiqué aux médias en aucun cas. Il s’agirait d’une violation du privilège relatif aux indicateurs de police et une telle décision ne relève pas du juge. À cette étape, il faut transmettre le moins de renseignements possibles, seuls ceux qui sont essentiels à la formulation d’arguments juridiques utiles au juge.

59 Qui plus est, dans certaines circonstances, il conviendrait de transmettre ces renseignements non pas aux membres euxmêmes des médias qui souhaitent présenter des observations, mais plutôt à leurs avocats seulement, en leur qualité d’officiers de justice. Puisque les renseignements transmis se limiteront toujours à ceux qui ne permettent pas l’identification de l’indicateur, il pourrait ne pas être préjudiciable dans certains cas de permettre aux membres des médias euxmêmes de prendre connaissance de ces renseignements. Toutefois, le juge conserve son pouvoir discrétionnaire à cet égard, puisquil est possible que le seul moyen de protéger le privilège, du fait de la nature délicate des renseignements, soit de limiter leur communication aux avocats seulement. Le cas échéant, pour avoir accès aux renseignements, les avocats des médias devront accepter d’être liés par une ordonnance judiciaire de noncommunication des renseignements à leurs clients ou à toute autre personne jusqu’à ce que le tribunal se prononce sur la portée du huis clos. De toute évidence, puisque les avocats des médias ne peuvent être contraints de recevoir des renseignements sans les communiquer aux médias euxmêmes il sagirait dun manquement à lobligation des avocats envers leurs clients les médias, après consultation de leurs avocats, devraient accepter que leurs avocats prennent connaissance des renseignements dans une mesure limitée.

[Soulignements ajoutés]

[77]           En résumé, sans y être tenu, car la décision de donner un avis ou non relève de son pouvoir discrétionnaire, un tribunal peut prévenir les médias et leur permettre de faire des observations sur la manière de protéger le privilège de l’indicateur. Il peut à cette fin leur communiquer des renseignements qui leur permettront de faire des observations utiles, mais sans toutefois porter atteinte au privilège, ce qui implique qu’il ne peut pas leur transmettre une information susceptible de dévoiler l’identité de l’indicateur. « [N]ul n’a le droit, d’ordre constitutionnel ou autre, d’être informé de toutes les instances dans lesquelles est revendiqué le privilège relatif aux indicateurs de police »[80], « aucun renseignement susceptible de permettre l’identification de l’indicateur ne peut être communiqué aux médias en aucun cas »[81] et « [à] cette étape, il faut transmettre le moins de renseignements possibles, seuls ceux qui sont essentiels à la formulation d’arguments juridiques utiles au juge »[82], écrit le juge Bastarache. Voilà qui est clair.

[78]           Voilà qui signifie aussi que les médias peuvent faire des observations utiles même s’ils n’ont pas en main les renseignements gardés confidentiels. Dans la présente affaire, par exemple, les médias ont en main toute une série de renseignements cruciaux à l’affaire, renseignements que la Cour a relatés dans son jugement sur l’arrêt des procédures et que reprend la version publique du 23 mars 2022. Les médias connaissent en outre la nature générale des renseignements caviardés, qu’indique également cette même version publique. Tout cela leur procure matière à « la formulation d’arguments juridiques utiles », pour reprendre le propos ci-dessus du juge Bastarache. Certes, en raison du privilège de l’indicateur, les médias ne peuvent jamais disposer de toute l’information que détient le juge et qui ne peut leur être divulguée en raison de son caractère confidentiel et ils doivent donc présenter leurs arguments sans connaître cette information. On peut trouver la formule imparfaite, mais elle découle de l’absolue nécessité de protéger l’identité de l’indicateur et ne prive pas les médias de toute information, comme la présente affaire l’illustre bien.

[79]           D’ailleurs, comme le signale ensuite le juge Bastarache, plutôt que de transmettre aux médias les informations qui peuvent leur être dévoilées (c.-à-d. les informations mentionnées au paragr. 58 de Vancouver Sun (2007), qui n’incluent aucun renseignement susceptible de permettre l’identification de l’indicateur), le tribunal peut choisir de les acheminer à leurs avocat.e.s seulement, moyennant certaines conditions et l’on comprend qu’il s’agit là d’une mesure guidée par la prudence que requiert le privilège de l’indicateur. Car il ne faut pas se méprendre : le juge Bastarache n’autorise pas ici les tribunaux à transmettre aux avocat.e.s des médias les renseignements susceptibles d’identifier l’indicateur. Ce n’est pas le cas : ce qui sera communiqué se limite « toujours »[83] à ce qui ne permet pas de l’identifier. Simplement, la délicatesse de la situation pourrait inciter le juge à procéder ainsi, par surcroît de précaution, en faisant parvenir aux avocat.e.s des médias l’information qu’il pense pouvoir dévoiler sans mettre le privilège de l’indicateur en péril. On comprend très bien qu’il en soit ainsi : si même le droit à une défense pleine et entière (autre droit constitutionnellement protégé) ne permet pas aux accusés d’exiger que les renseignements confidentiels couverts par le privilège de l’indicateur soient transmis à leurs seuls avocat.e.s, officiers de justice obligés par le secret professionnel[84], il ne saurait en aller autrement des avocat.e.s des médias (défendeurs du principe constitutionnel de la publicité des débats judiciaires).

[80]           Notons d’ailleurs que le procureur général du Québec est d’accord avec ce point de vue et son avocat, lors de l’audience, a signalé que, à son avis, seuls le tribunal, la poursuivante et l’indicateur peuvent connaître les renseignements susceptibles de permettre l’identification de ce dernier et que ce sont eux seulement, parce qu’ils font partie du cercle du privilège, qui peuvent dire si tel ou tel renseignement est de nature à enfreindre le privilège de l’indicateur.

[81]           Bref, et pour dire les choses en quelques mots seulement : à la première étape du processus, dont les médias sont exclus, le huis clos est de mise; à la seconde étape, s’il est possible de ménager le principe de la publicité des débats, le tribunal saisi d’une question mettant en jeu le privilège de l’indicateur le fera et doit même s’efforcer de le faire. Cependant, « il est possible que l’affaire [seconde étape] doive être entendue entièrement à huis clos »[85] et, dans tous les cas, le privilège de l’indicateur l’emporte.

3. Application de ces règles aux demandes des parties requérantes

[82]           Ce tour d’horizon étant fait, revenons aux requêtes présentées à la Cour et voyons comment leurs demandes s’arriment – ou non – au cadre juridique ainsi tracé.

[83]           De façon préliminaire, il faut s’intéresser au fardeau qui incombe ici aux parties, ce qui requiert de répondre à deux questions. D’une part, les parties requérantes ontelles qualité pour agir et respectent-elles les conditions requises à cette fin? D’autre part, qui doit établir quoi? Est-ce aux requérant.e.s de démontrer que les ordonnances devraient être annulées ou modifiées ou aux intimées de démontrer qu’elles devraient être maintenues?

a. Première question préliminaire : qualité et conditions pour agir

[84]           Dans Société Radio-Canada c. Manitoba[86], la Cour suprême du Canada reconnaît, d’une part, que les cours de justice peuvent, « pour des motifs restreints »[87], réviser leurs propres ordonnances de confidentialité, ordonnances par lesquelles elles contrôlent l’accès à leurs dossiers et aux instances qui se déroulent devant elles. En l’espèce, notre cour ayant elle-même prononcé des ordonnances qu’elle a déclarées révisables, l’on n’a guère à s’interroger sur son pouvoir de révision, que confirme l’arrêt Société Radio-Canada.

[85]           D’autre part, dans ce même arrêt, la Cour suprême établit la marche à suivre pour quiconque demande une telle révision. Même si cette méthode a été élaborée aux fins de la révision d’ordonnances discrétionnaires, elle est transposable aux domaines des ordonnances non discrétionnaires découlant, comme en l’espèce, du privilège de l’indicateur.

[86]           Ainsi, seules peuvent demander une révision les personnes qui ont la qualité requise et respectent certaines conditions. Or, comme l’explique le juge Kasirer, au nom de la Cour suprême, dans Société Radio-Canada :

[45] Pour contester une ordonnance existante en matière de publicité des débats judiciaires, la partie requérante doit être une personne touchée à qui il convient de reconnaître la qualité pour agir. De plus, s’il y a lieu, la partie doit avoir agi avec célérité dans sa demande d’annulation de l’ordonnance contestée. Compte tenu des arguments présentés en l’espèce, de brèves remarques s’imposent en ce qui concerne ces deux points.

[…]

[47] Au chapitre de la qualité pour agir, une ordonnance limitant la publicité des débats judiciaires fait entrer en jeu le droit constitutionnel de la liberté de la presse de relater des procédures judiciaires (Société RadioCanada c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, par. 2; Vancouver Sun, par. 26). Lorsque cette ordonnance a été rendue sans avis aux médias, un représentant des médias devrait généralement avoir qualité pour contester une ordonnance qui menace le principe de la publicité des débats judiciaires s’il est à même de démontrer qu’il présentera des observations qui n’ont pas été prises en compte au moment du prononcé de l’ordonnance et qui peuvent influer sur le résultat (voir, en général, Hollinger, par. 3639). En pratique, et à juste titre selon moi, la qualité pour participer aux instances portant sur la publicité des débats judiciaires est rarement refusée aux médias quand ils la demandent (J. Rossiter, Law of Publication Bans, Private Hearings and Sealing Orders (feuilles mobiles), section 8.1.10). De même, une personne directement touchée par une ordonnance portant sur la publicité des débats judiciaires parce que l’ordonnance est susceptible de porter atteinte à ses droits individuels devrait, dans le cours normal des choses, avoir qualité pour contester cette ordonnance (voir, en général, Ivandaeva Total Image Salon Inc. c. Hlembizky (2003), 63 O.R. (3d) 769 (C.A.), par. 27). Les tribunaux devraient néanmoins conserver un certain pouvoir discrétionnaire de refuser la qualité pour agir lorsque l’audition de la requête ne serait pas dans l’intérêt de la justice, comme dans le cas, par exemple, où la requête serait indûment préjudiciable aux parties, ou ne ferait que répéter des arguments dont le tribunal a déjà connaissance (Dagenais, p. 869; White, par. 12; voir, p. ex., Canadian Transportation Accident Investigation and Safety Board c. Canadian Press (2000), 184 N.S.R. (2d) 159 (C.S.), par. 1821). Par conséquent, l’exigence de faire valoir la qualité pour agir, en limitant ceux et celles qui peuvent contester une interdiction de publication ou une ordonnance de mise sous scellés, favorise la réalisation des objectifs du caractère définitif d’une décision et reflète la démarche discrétionnaire que notre Cour a déjà adoptée à l’égard de la qualité pour agir.

[…]

[50] Sur le fondement de ces principes, donc, et faute de disposition contraire explicite, un tribunal peut modifier ou annuler une ordonnance concernant la publicité des débats judiciaires qu’il a rendue sur motion déposée en temps opportun par une personne touchée qui n’a pas été avisée du prononcé de cette ordonnance et à qui il y a lieu d’accorder la qualité pour agir à cette fin.

[51] Soyons clairs, il est possible d’imposer des limites à la publicité des débats judiciaires, par exemple une interdiction de publication, sans avis préalable aux médias. Vu l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et le rôle qu’ont les médias d’informer le public au sujet des activités des tribunaux, il sera généralement opportun de donner avis aux médias, en plus des personnes qui seraient directement touchées par l’interdiction de publication ou l’ordonnance de mise sous scellés, lorsqu’on cherche à limiter la publicité des débats judiciaires (voir Jane Doe c. Manitoba, 2005 MBCA 57, 192 Man. R. (2d) 309, par. 24; M. (A.) c. Toronto Police Service, 2015 ONSC 5684, 127 O.R. (3d) 382 (C. div.), par. 6). Toutefois, la question de savoir si et quand cet avis doit être donné relève en dernier ressort du pouvoir discrétionnaire du tribunal compétent (Dagenais, p. 869; M. (A.), par. 5). Je suis d’accord avec les observations des procureurs généraux de la ColombieBritannique et de l’Ontario selon lesquelles les circonstances dans lesquelles les ordonnances limitant la publicité des débats judiciaires sont prononcées varient et que les tribunaux doivent avoir le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour veiller à ce que justice soit rendue dans chaque cas.

[Soulignements ajoutés]

[87]           En somme, pour demander légitimement la révision d’une ordonnance de confidentialité, il faut donc être une personne touchée par celle-ci, n’avoir pas été avisé du prononcé à venir de l’ordonnance et n’avoir donc pas eu l’occasion de se faire entendre, avoir qualité pour agir, c’est-à-dire être en mesure de présenter des arguments utiles, et  avoir procédé avec célérité une fois l’ordonnance connue.

[88]           Par ailleurs, lorsque l’ordonnance contestée « a été rendue sans avis aux médias, un représentant des médias devrait généralement avoir qualité pour contester une ordonnance qui menace le principe de la publicité des débats judiciaires s’il est à même de démontrer qu’il présentera des observations qui n’ont pas été prises en compte au moment du prononcé de l’ordonnance et qui peuvent influer sur le résultat »[88] ou s’il peut démontrer un « changement important des circonstances relatives au prononcé de l’ordonnance »[89]. Cette façon de définir la qualité pour agir convient particulièrement aux ordonnances de confidentialité discrétionnaires (c’est d’une ordonnance de ce genre dont il est question dans l’arrêt Société Radio-Canada), qui imposent une mise en balance d’intérêts; elle l’est moins dans le cas d’ordonnances non discrétionnaires prononcées en raison du privilège de l’indicateur. Comme on l’a indiqué plus haut, elle peut toutefois être adaptée à cette dernière situation.

[89]           En l’espèce, toutes les parties requérantes ont agi avec célérité, dès qu’elles ont appris l’existence des ordonnances contestées, et aucune d’entre elles n’a été préalablement informée de leur prononcé (que ce soit par notre cour ou par le tribunal de première instance).

[90]           Du moins en ce qui concerne les ordonnances prononcées par la Cour, on peut également reconnaître la qualité d’agir aux requérantes « médias », en tant que personnes touchées, et ce, même si leur droit de recevoir un avis était ici limité par les règles entourant le privilège de l’indicateur. Comme on l’a vu en examinant l’arrêt Vancouver Sun (2007), les médias ne peuvent en aucun cas participer à la première étape du processus relatif au privilège et n’ont pas à en être avisés; à la seconde étape, un tel avis n’est pas obligatoire, la décision de le donner ou non relevant du pouvoir discrétionnaire du tribunal, dont l’exercice sera dicté par les circonstances[90]. Les médias ne peuvent avoir plus de droits au stade de la révision qu’ils en auraient eu au stade initial. Ils n’en ont pas en ce qui concerne la question de l’existence du privilège, mais le tribunal peut leur permettre d’intervenir sur la question de la mise en œuvre de celui-ci. Cela est vrai au stade de l’ordonnance initiale, comme le veut l’arrêt Vancouver Sun (2007), et cela doit l’être tout autant au stade de la révision d’une ordonnance visant la préservation du privilège.

[91]           Ces limites établies, il y a lieu de reconnaître la qualité pour agir des requérantes « médias », qui répondent aux conditions, dont celle de démontrer l’utilité de leurs observations. Ces requérantes ont présenté leurs remarques sur le sujet, faisant valoir divers arguments de nature juridique, ce qui respecte la démarche recommandée dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba[91], adaptée au contexte de la révision d’une ordonnance reliée au privilège de l’indicateur. Rappelons en effet que l’arrêt de la Cour, dans sa version publique caviardée, comporte une grande quantité d’informations et révèle l’existence des principaux éléments constitutifs du dossier d’appel : sur cette base, les médias ont donc eu le loisir de faire leurs observations, tout comme le requérant procureur général du Québec et, de même, la requérante Rondeau.

[92]           La qualité pour agir du requérant procureur général du Québec doit également être reconnue, ne serait-ce qu’en raison de l’art. 79 al. 2 C.p.c. (la qualité se subsumant ici dans l’intérêt).

[93]           Par contre, en raison de l’issue que connaîtra sa requête, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la qualité pour agir de la requérante Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec.

b. Seconde question préliminaire : fardeau de preuve et fardeau de convaincre

[94]           Cela étant, abordons la seconde question : est-ce aux parties requérantes de démontrer que les ordonnances devraient être annulées ou modifiées ou aux intimées de démontrer qu’elles devraient être maintenues?

[95]           S’agissant d’une demande de révision ou, si l’on préfère, de réexamen d’ordonnances déjà prononcées, et considérant la méthode établie par l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba, c’est aux parties requérantes qu’il incombe de démontrer qu’il y a ici matière à annuler ou modifier les ordonnances contestées, lesquelles sont présumées être valides. La question n’est pas de savoir si elles sont erronées, mais s’il convient de les réexaminer parce qu’elles ont été rendues sans le concours des personnes touchées ou parce que s’est produit un changement de circonstances[92].

[96]           Pour la même raison, la Cour ne pouvait, avant d’avoir statué sur les requêtes, divulguer les renseignements qu’elle n’a pas dévoilés à ce jour ni laisser libre accès à son dossier (même sous réserve d’un engagement de confidentialité).

[97]           Tout cela explique le processus qu’elle a mis en place aux fins de l’audition et de la présentation préalable des argumentations écrites.

c. Y a-t-il lieu d’annuler ou de modifier les ordonnances de confidentialité?

[98]           À la lumière des observations présentées par les parties, il n’y aura pas lieu d’annuler ou de modifier les ordonnances prononcées par la Cour. Les demandes des requérantes « médias » et du requérant procureur général du Québec seront donc rejetées à cet égard. En ce qui concerne les ordonnances du tribunal de première instance, la Cour n’a pas la compétence requise pour les annuler ou les modifier. Les demandes des requérantes « médias » seront donc également rejetées sur ce point, ce qui, il faut le reconnaître, les placera dans une situation d’impossibilité d’agir.

[99]           Notons que la requête de la requérante Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec, qui demande seulement un accès au dossier d’appel, sera également rejetée, ce qui fera l’objet d’un traitement distinct (voir paragr. [147] à [152] infra).

[100]      Voici pourquoi la Cour conclut ainsi.

i. Demandes des médias et du procureur général du Québec visant les ordonnances de la Cour d’appel

[101]      Il n’y a pas à revenir sur l’exposé de l’état du droit sur la question de l’opposition entre le privilège de l’indicateur et le principe de la publicité des débats judiciaires. Ce débat a été tranché par la Cour suprême du Canada : le premier l’emporte sur le second, le tribunal étant, dans tous les cas, tenu de ne rien révéler des renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’indicateur. Certes, en prenant les mesures destinées à assurer cette confidentialité, le tribunal doit aussi tenter d’en minimiser les effets sur le caractère public des débats judiciaires, mais s’il n’est pas possible de respecter ce principe sans que cela compromette l’anonymat de l’indicateur ou le mette à risque, c’est ce dernier qui prime.

[102]      Comme on l’a vu, le droit, à cet égard, ne porte ni à controverse ni à confusion et il est d’application constante. Dans les instances judiciaires, et notamment dans les affaires criminelles, certaines choses doivent occasionnellement être cachées et plusieurs choses doivent parfois l’être[93]. C’est le cas lorsque le privilège de l’indicateur s’applique, enclenchant une obligation de confidentialité. Il n’y a en cela rien de conceptuellement inhabituel. C’est la règle.

[103]      Or, en l’espèce, l’existence du privilège est indiscutable (et n’est d’ailleurs plus discutée). Personne désignée est une indicatrice de police. Qui plus est, le rôle qu’elle jouait dans la présente affaire ainsi que la nature et le déroulement de sa relation avec les policiers qui l’ont recrutée comme indicatrice n’avaient rien d’accessoire ou de marginal : ces éléments étaient au contraire capitaux et constituaient le nœud de l’appel dont la Cour était saisie et de l’instance qui l’a précédé. Personne désignée a demandé l’arrêt des procédures instituées contre elle en raison de la conduite abusive des policiers à son endroit en tant qu’indicatrice et de l’État dans la poursuite intentée contre elle. C’est de cela que parle l’arrêt de la Cour dont la version caviardée a été rendue publique le 23 mars 2022, et c’est cela qui fait également l’objet du jugement de première instance contesté en appel[94].

[104]      Il ne saurait donc être question de divulguer quelque renseignement susceptible de permettre l’identification de Personne désignée, au risque de la mettre en danger : son nom doit être tenu secret, tout comme son genre, son adresse ou même le fait général qu’elle habite telle ou telle ville et autres renseignements personnels.

[105]      Il ne saurait davantage être question de dévoiler des renseignements qui permettraient aux personnes qu’elle a dénoncées, à leurs complices et acolytes ou autres acteurs du milieu dans lequel elle évoluait ou évolue encore de l’identifier. Or, cela est une opération délicate, car certaines informations sans doute anodines aux yeux du public permettraient à ces autres personnes (notamment ses propres complices dans le crime qu’elle a commis et avoué à la police) de faire des rapprochements susceptibles de les mener droit à Personne désignée. Il faut garder à l’esprit la mise en garde de la juge McLachlin dans Leipert : « même les détails les plus infimes peuvent permettre d’identifier quelqu’un »[95], particulièrement s’ils tombent entre les mains des personnes qui ont frayé avec Personne désignée. Si ce risque ne peut évidemment pas être mesuré avec précision, il s’infère naturellement et n’a rien de théorique.

[106]      C’est précisément ce qui se produit en l’espèce : la nature, les dates et les circonstances des infractions dont Personne désignée a été accusée sont de nature à permettre ces rapprochements et ne sauraient être dévoilées, y compris aux médias et même dans le cadre de la démarche recommandée par l’arrêt Vancouver Sun (2007), laquelle exclut formellement et à toutes fins la communication aux médias ou à leurs avocat.e.s (ou à quiconque) de renseignements pouvant compromettre le privilège de l’indicateur.

[107]      Qu’en est-il maintenant de l’identité du juge et du tribunal de première instance (incluant la désignation du district judiciaire), de la poursuivante et de ses avocat.e.s ou des avocat.e.s de Personne désignée, ainsi que de l’identité du corps de police en cause?

[108]      Ces renseignements sont en principe publics et la Cour, il va sans dire, ne l’ignore pas. Ils ont pourtant été caviardés de la version publique de son arrêt et tenus secrets. Ce secret a choqué, ce qui ressort abondamment de la preuve soumise au soutien de deux des requêtes. On peut même dire que le flot de critiques et de réactions qu’il a généré atteint le degré de notoriété qui le place dans le champ de la connaissance d’office, notamment en ce qui concerne les diverses déclarations faites par des instances ou des personnes occupant des fonctions et charges publiques (déclarations dont plusieurs ont été relatées dans les requêtes ou leurs annexes ou sont reprises dans l’argumentation écrite de certaines parties requérantes).

[109]      « Il est évident, écrivent les requérantes MédiaQMI et Groupe TVA, que certaines restrictions mises en place sont exagérées et injustifiées »[96], et que « rien ne justifie que le nom du juge de première instance, le nom des procureurs de Personne désignée et de Sa Majesté la Reine ou le numéro du dossier en première instance demeurent confidentiels »[97]. De leur côté, les requérantes Société Radio-Canada, La Presse, CN2I, Montreal Gazette et La Presse canadienne écrivent ceci dans leur argumentation :

52. Ainsi, et malgré le fait que les intervenantes Médias n’ont pas le portrait global des informations qui sont soustraites au public actuellement, il nous appert évident que d’emblée :

a) la cour ayant rendu le jugement de première instance;

b) le district judiciaire dans lequel s’est déroulé le procès;

c) la poursuivante;

d) l’identité du juge et des procureurs au dossier, tant en première instance qu’en appel;

e) le ou les actes d’accusation;

f) le service de police impliqué;

g) certaines démarches d’enquête ou administratives des policiers;

h) les dates, période ou autres éléments temporels des événements de l’affaire;

sont toutes des informations qui, à leur face même, ne sont pas susceptibles de révéler l’identité du présumé informateur de police impliqué. […]

[110]      Ouvrons ici une courte parenthèse. Ni les actes d’accusation, ni les dates, périodes et autres éléments temporels des événements de l’affaire ne peuvent être divulgués, et ce, pour les raisons que mentionnent les paragr. [105] et [106] supra. Quant aux démarches d’enquête ou administratives des policiers, elles sont déjà connues puisqu’elles sont longuement décrites et analysées par l’arrêt antérieur de la Cour, comme permet de le constater la version publique de celui-ci (23 mars 2022).

[111]      Qu’en est-il cependant des autres éléments que les requérantes « médias » estiment couverts par un secret injustifié, à savoir l’identité du juge, du tribunal (incluant la désignation du district), de la poursuivante, des avocat.e.s de celle-ci et de Personne désignée et du corps de police en cause?

[112]      Aussi inhabituel que soit le secret entourant ces renseignements, la Cour ne peut les divulguer sans enfreindre ici le privilège dont bénéficie Personne désignée en tant qu’indicatrice, car, ensemble ou séparément, ils sont « susceptibles de servir à l’identifier », comme l’écrit le juge Bastarache dans Vancouver Sun (2007)[98]. Ce qui suit l’explique.

* *

[113]      On trouve dans l’arrêt précédent de la Cour le paragraphe suivant, qui, d’une certaine manière, est sans doute le plus important de ceux qui forment ses « [r]emarques liminaires sur le procès secret » :

[18] Le fait d’accuser un informateur du crime qu’il dénonce lui-même comporte son lot de problèmes, notamment en entraînant inévitablement une violation du droit à un procès public de l’accusé et la violation des droits des médias.[99]

[114]      C’est en effet dans la décision de porter des accusations contre Personne désignée que réside la source du problème, ce qui a fini par engendrer une situation dont il est maintenant impossible de s’extirper autrement qu’en préservant le secret sur ces renseignements ordinairement publics que sont l’identité du corps de police, de la poursuivante, des avocat.e.s de celle-ci et de Personne désignée, de même que l’identité du tribunal (incluant le district judiciaire) et du juge de première instance.

[115]      Et si ces renseignements ne peuvent être dévoilés en l’espèce, c’est qu’ils tombent inexorablement sous le coup du privilège de l’indicateur de police. En effet, pour les raisons qu’exposent les paragraphes [117] à [136] ci-dessous (raisons qui comportent elles-mêmes la divulgation de faits permettant de découvrir l’identité de Personne désignée), les noms du tribunal, du juge, de la poursuivante, des avocat.e.s au dossier et du corps de police sont ici des éléments dont la révélation mènerait directement à Personne désignée. C’est pourquoi les paragraphes explicatifs qui suivent sont partiellement caviardés, afin de protéger des informations couvertes par le privilège.

[116]      Cela dit, la Cour présente dans ces paragraphes l’état du problème (ce qui comporte le dévoilement de faits jusqu’ici tenus confidentiels et qui doivent le rester, d’où le caviardage) et, à la lumière du contexte actuel et des observations des parties, elle se penche sur la possibilité ou l’impossibilité de révéler les renseignements demandés. Elle envisage aussi quelques hypothèses sur ce qu’aurait pu ou dû faire le juge de première instance. Elle conclut que la protection du privilège est ici incontournable et fait obstacle au dévoilement de ces renseignements.

[117]      Car voici : -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[118]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  [100]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  - -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[119]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    .

[120]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    [101]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[121]      Est-il possible de révéler les faits ci-dessus? Une réponse négative s’impose. -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    - -.

[122]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  [102]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[123]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  - -  -  -  [103]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -      -  [104]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[124]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[125]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  . Lorsque, comme en l’espèce, la personne accusée est l’indicatrice, poursuivie pour un crime ne lui faisant pas perdre ce statut, crime lié à ceux sur lesquels elle a fourni de l’information à la police, la situation devient beaucoup plus compliquée, car elle implique nécessairement la protection de l’identité de la personne accusée, ce qui affecte nécessairement le caractère public de l’instance. Par ailleurs, dans la mesure où la relation indicateur-police, comme en l’espèce, devient le sujet principal de la conversation, la situation devient intenable.

[126]      Le juge ne pouvait bien sûr rien révéler de l’existence ou du contenu de cette requête, qu’il a donc entendue à huis clos, sans préavis aux médias, et qui a fait l’objet d’une preuve comportant des témoignages entendus hors Cour[105]. Il n’avait guère d’autre choix que d’ordonner ce huis clos afin de préserver le privilège, ce dont il s’explique dans son jugement sur l’arrêt des procédures.

[127]      Il demeure que, au final, avec une telle audition à huis clos et un jugement conservé sous scellés, rien de tout cela ne figurant au plumitif, on se retrouve bel et bien devant un procès dont seuls les protagonistes (juge, poursuivante, Personne désignée et avocat.e.s) connaissaient l’existence. Pareillement, personne, sauf les mêmes protagonistes, -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[128]      C’est cela qu’a réprouvé la Cour dans son arrêt antérieur, en déplorant une situation qui, en raison de la décision initiale d’intenter une poursuite contre Personne désignée, s’est soldée par une atteinte aux droits de celle-ci et au principe de la publicité des débats judiciaires.

[129]      Le juge de première instance aurait-il pu faire autrement dans ce contexte? Aurait-il pu -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  ? Aurait-il pu -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    -  -  -  -  -  -  -  -   -  -  ? Aurait-il dû -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -   -   -   -   -   -   -   -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  ? En vérité, tout ce qu’on peut dire est que les circonstances ont forcé la main du juge.

[130]      De son côté, au moment où elle statue sur un appel qui ne portait que sur l’arrêt des procédures pour cause d’abus, la Cour s’est retrouvée devant une situation difficile, qu’elle n’a pu que constater et qu’elle a gérée comme on l’a vu plus haut (voir supra, paragr. [24], renvoyant aux paragr. 13 et 14 de son arrêt antérieur). Estimant la situation inacceptable (même si elle n’était pas contestée par les intimées dans le cadre de l’appel)[106], elle a décidé de rendre son arrêt partiellement public, en ne caviardant dans celui-ci que les renseignements qu’elle jugeait alors susceptibles de permettre l’identification de Personne désignée (dont l’identité du tribunal, du juge, de la poursuivante et des avocat.e.s de celle-ci et de Personne désignée). Parallèlement, elle a décidé de mettre le dossier d’appel sous scellés, puisqu’il contient tous les renseignements nécessaires à l’identification de Personne désignée, y compris son nom.

[131]      Lorsqu’elle a rendu ces ordonnances, la Cour s’est interrogée sur la question de savoir si, au vu du secret entourant l’audition de la requête en arrêt des procédures et le jugement qui l’a rejetée, il convenait de révéler tout ce qui figure dans la version publique de son arrêt de février 2022. Il lui a paru qu’elle devait le faire, précisément pour sauvegarder ce qui pouvait l’être du principe de la publicité des débats judiciaires, d’où ses remarques liminaires (paragr. 7 à 18), puis le récit et l’analyse détaillés qui suivent et constituent le fond du dossier (paragr. 19 à 153). Elle ne pouvait cependant aller plus loin sans enfreindre le privilège de l’indicateur, d’où le caviardage de son arrêt et d’où sa décision de mettre le reste du dossier d’appel sous scellés.

[132]      Il est certain quun silence complet sur le sujet aurait, peutêtre, protégé mieux l’identité de Personne désignée, qui se trouve aujourd’hui bien malgré elle au cœur d’une polémique qu’elle n’a certainement pas voulue et dont on peut craindre qu’elle ne mette sa sécurité en péril.

* *

[133]      Quand on jette un regard rétrospectif sur l’ensemble de la situation, il appert que tout découle de la décision de poursuivre Personne désignée, indicatrice de police (sujet que nous avons déjà abordé en rappelant le paragr. 18 de l’arrêt précédent de la Cour (voir supra, paragr. [3] et [113]) et que nous avons également commenté aux paragr. [114] et [125]-[126]). L’inculper n’était vraisemblablement pas la voie à suivre dans la mesure où, en raison des circonstances, il était hautement probable que cela mène à la violation de ses droits constitutionnels, incluant le droit à un procès public.

[134]      Y aurait-il eu un autre moyen de poursuivre en justice une indicatrice qui bénéficiait toujours du privilège? L’arrêt antérieur de la Cour laisse à penser qu’il n’en existe pas. La collaboration avec les indicateurs de police, qui ne sont pas toujours blancs comme neige, a ses revers, dont celui qu’on ne peut pas toujours les poursuivre pour leurs crimes, surtout si cela les prive de certaines garanties constitutionnelles (comme le droit à une défense pleine et entière ou le droit à un procès public). Mais c’est là le prix d’une relation que, depuis très longtemps, la jurisprudence estime essentielle à la justice criminelle, malgré les compromis qu’elle engendre nécessairement. La poursuivante ne pouvait l’ignorer.

[135]      En écrivant tout cela, la Cour ne suggère aucunement que quiconque, dans cette affaire, a agi par mauvaise foi, par négligence et encore moins par dédain du principe de la publicité des débats judiciaires. Au contraire, devant une situation où l’on risquait de tomber de Charybde en Scylla, chaque choix consolidant les conséquences du précédent, la Cour doit insister sur le fait que, manifestement, les personnes impliquées dans la présente affaire, qu’il s’agisse de la poursuivante et de ses avocat.e.s, des avocat.e.s de Personne désignée et, bien sûr, du juge de première instance, ont eu à cœur de préserver le privilège de l’indicateur, comme elles en avaient et en ont toujours le devoir, qui s’impose également à la Cour. À la vue du dossier, elles ont agi avec la plus grande honnêteté. Même si des erreurs ont pu être commises, la mise en œuvre de l’impératif de confidentialité rattaché au privilège ne constitue évidemment pas la démonstration d’une volonté indue de cacher des choses au public : si ces choses ont été cachées, c’est parce qu’il fallait protéger le privilège de l’indicateur, ce qui a eu pour conséquence inévitable de les soustraire de la vue du public.

[136]      Il faut d’ailleurs réfuter ici une hypothèse évoquée lors de l’audition des présentes requêtes, hypothèse fondée sur la réaction de « M. et Mme Tout-le-Monde » (c’est l’expression qui fut utilisée), qui pourraient croire que le juge de première instance a demandé de taire son identité, ce qui ne favoriserait pas la confiance du public dans l’administration de la justice. Or, soyons clairs : il ne s’agit pas là d’un fait, mais d’une supposition gratuite, qui tend elle-même à discréditer le système de justice. Le juge de première instance n’a jamais demandé à la Cour que son identité soit gardée secrète. Et s’il n’a pas tenu d’audience publique sur la requête en arrêt des procédures présentée par Personne désignée ni rendu public le jugement par lequel il l’a rejetée, ce n’était pas pour se cacher et tenter d’échapper ainsi à la réprobation, mais bien pour protéger l’identité de l’indicatrice Personne désignée, comme il en avait l’obligation absolue. Son intégrité et sa probité ne sauraient être remises en cause.

* *

[137]      Subsidiairement, dans l’exercice du pouvoir de révision qu’on lui demande maintenant d’exercer, la Cour pourrait-elle desceller partiellement son dossier, comme l’ont suggéré les requérantes MédiaQMI et Groupe TVA, ainsi que le procureur général du Québec, et ce, d’une manière qui fasse en sorte que le dossier puisse être consulté par le public moyennant un caviardage qui correspondrait à celui de la version publique de l’arrêt précédent (23 mars 2022)? Autrement dit, on descellerait le dossier d’appel d’une manière qui serait en quelque sorte le miroir de l'arrêt caviardé du 23 mars 2022 et l’on conserverait le secret des mêmes renseignements, le reste devenant accessible.

[138]      Cette suggestion ne peut être retenue.

[139]      Bien que le dossier ne soit pas très volumineux, ce descellement partiel requerrait un œil particulièrement prudent et aiguisé, pour ne pas laisser échapper des détails potentiellement révélateurs. Après avoir réexaminé le dossier à la lumière des arguments des parties requérantes, il appert que le descellement ne pourrait en aucun cas viser (ni révéler) l’identité du tribunal de première instance (incluant le district judiciaire), du juge, de la poursuivante, des avocat.e.s de celle-ci et de ceux de Personne désignée ainsi que celle du corps policier et des policiers en cause, sauf à mettre en péril le privilège de l’indicateur. En outre, la protection conférée par ce privilège empêche le dévoilement de tout ce qui concerne la nature du crime, les circonstances de sa commission, incluant sa chronologie (éléments qui sont déjà caviardés dans la version publique de l’arrêt de la Cour, en date du 23 mars). De plus, tout autre renseignement qui se trouve dans l’un ou l’autre des documents du dossier d’appel et qui est susceptible de permettre l’identification de Personne désignée devrait aussi être caviardé. Pour finir, l’exercice paraît impraticable devant l’obligation de préserver le privilège de l’indicateur. La Cour conclut qu’il n’y a pas lieu de l’entreprendre.

[140]      Réflexion faite, et tout bien pesé, y compris au chapitre du principe de la publicité des débats judiciaires, la Cour n’a d’autre choix que de maintenir ses ordonnances de confidentialité. En effet, sauf à contrevenir elle-même au privilège de l’indicateur, elle ne peut toujours pas divulguer les renseignements correspondant au caviardage de la version publique de son arrêt ni, pour la même raison, desceller, ne serait-ce que partiellement, le dossier d’appel.

[141]      Par ailleurs, en ce qui concerne les présentes requêtes, les procédures et les documents sont inscrits au plumitif et la plupart sont publics et accessibles. Il existe une version caviardée de certains échanges entre la Cour et les parties de même qu’un caviardage de la requête de la juge en chef Rondeau; certaines argumentations écrites sont également caviardées (celles de la juge en chef Rondeau et de la poursuivante). Les informations ainsi caviardées sont confidentielles et ne peuvent être divulguées. Les versions non caviardées de ces documents demeureront donc sous scellés. Les versions caviardées, elles, peuvent être consultées au greffe, comme d’habitude, et ont d’ailleurs toujours été accessibles (sous réserve de certains délais de traitement, au moment de leur dépôt).

ii. Demandes visant la ou les ordonnances du tribunal de première instance

[142]      Les requérantes « médias » demandent l’annulation des ordonnances de confidentialité prononcées par le juge de première instance.

[143]      La Cour n’a pas compétence pour ce faire. L’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba[107], s’il permet aux tribunaux de réviser leurs propres ordonnances de confidentialité, dans certaines circonstances, ne leur permet pas de réviser celles des autres tribunaux. La situation aurait peut-être pu être différente si la Cour avait été saisie de l’appel de ces ordonnances et qu’elle les eût confirmées. Mais ce n’est pas le cas : seule la question de l’arrêt des procédures a été portée en appel et non le processus mis en place en première instance pour assurer le respect du privilège de l’indicateur (la ou les ordonnances du juge de première instance, s’il en était, ne lui ont donc pas été remises).

[144]      Une cour d’appel, au contraire de la Cour supérieure, n’a de compétence que statutaire et si, comme l’a décidé la Cour suprême dans Société Radio-Canada, elle peut gérer l’accès à ses dossiers et réviser ses propres ordonnances de confidentialité, elle ne peut procéder à la révision des ordonnances d’une autre cour (sauf lorsqu’elle siège en appel de celles-ci). Elle n’a aucun pouvoir souverain ou inhérent à cet égard. Et ce n’est pas parce que, dans son arrêt sur l’appel, elle a (sans être saisie de cette question, qui s’est imposée d’elle-même) critiqué la manière dont on a procédé en première instance, qu’elle a acquis la compétence de rectifier ou modifier les ordonnances du premier juge. Il faut voir dans ces commentaires un enseignement pour le futur.

[145]      La Cour est évidemment consciente du fait que, ne pouvant révéler l’identité du tribunal de première instance, elle met les parties requérantes, et particulièrement les requérantes « médias », dans une situation qui les empêchera de facto de demander la révision des ordonnances prononcées par ce tribunal. On le lui a d’ailleurs signalé sans détour lors de l’audience du 6 juin dernier.

[146]      On ne peut nier que cela affecte certainement les droits des requérantes « médias », qui se retrouvent effectivement dans une situation d’impossibilité d’agir. Cela ne saurait pour autant donner à la Cour une compétence qu’elle n’a pas. La Cour ne peut par ailleurs pas remédier au problème en divulguant le nom du tribunal de première instance : elle est en effet convaincue que cette divulgation, à elle seule, risquerait de participer de manière non négligeable à l’identification de Personne désignée. Une telle divulgation, dans les circonstances, enfreindrait le privilège de l’indicateur.

d. Cas particulier : la requête de la juge en chef de la Cour du Québec

[147]      Il y a lieu de rejeter cette requête (qu’appuie le procureur général du Québec) pour les motifs qui suivent et qui devront être caviardés en partie parce qu’ils abordent les questions découlant de la portion caviardée de l’argumentation de la requérante Rondeau et la partie de ses observations qui a été entendue à huis clos par la Cour. Pour cette même raison, lorsque le présent arrêt sera déposé, les passages caviardés ci-dessous seront cependant divulgués à la requérante.

[148]      D’une part, -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -   -  -  -  -  [108]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -    [109] (privilège dont elle ne conteste pas l’existence[110])-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[149]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[150]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[151]      D’autre part, la requérante sollicite de façon plus générale un accès à l’ensemble du dossier d’appel, et plus précisément à ses portions sous scellés, incluant tout ce qui ne concerne que l’appel (comme les notes et procès-verbaux de gestion et d’audience, la correspondance entre la Cour et les parties, etc.). Or, son avocat, que ce soit dans l’argumentation écrite ou lors de l’audience, n’a pas réussi à justifier l’intérêt juridique de sa cliente à cette fin ni à expliquer pourquoi la Cour devrait lui conférer ou lui reconnaître un tel droit d’accès. On ne voit pas pourquoi, dans un contexte comme celui de l’espèce, le ou la juge en chef d’un tribunal devrait avoir accès aux dossiers scellés d’un autre tribunal.

[152]      -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  [111]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  [112]-  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

III. Récapitulatif et dispositif

[153]      Un récapitulatif est de mise :

Contexte et arrêt de la Cour (février et mars 2022)

- Accusée de certains crimes, Personne désignée, une indicatrice de police, présente au tribunal de première instance saisi de l’affaire une requête en arrêt des procédures fondée, d’une part, sur l’allégation d’un abus de l’État à son endroit comme indicatrice et, d’autre part, sur l’allégation d’un délai portant atteinte à son droit d’être jugée dans un délai raisonnable.

- Vu l’existence du privilège de l’indicateur, qui est acquise en l’espèce, l’audition de cette requête procède à huis clos, les témoins policiers ayant été entendus hors cour. L’existence de la requête, son contenu, les pièces et transcriptions présentées au juge afin qu’il statue ne sont pas publics et ne figurent sur aucun plumitif.

- Le tribunal de première instance rejette la requête sur les deux points (abus et délai déraisonnable). Ce jugement, qui ne porte pas de numéro de dossier, n’est pas public et son existence ou son contenu ne le sont pas davantage.

- S’ensuit de ce jugement une déclaration de culpabilité dont Personne désignée interjettera appel au motif que le tribunal de première instance a statué de manière erronée en ne concluant pas à l’abus et en rejetant la requête en arrêt des procédures (le volet du délai déraisonnable n’est pas en cause en appel).

- Cet appel ne conteste ni l’existence du privilège de l’indicateur ni la manière de procéder en première instance, les parties souhaitant même que le huis clos se poursuive en appel.

- Le 28 février 2022, la Cour accueille l’appel et la requête en arrêt des procédures précédemment rejetée. Elle ordonne en conséquence l’arrêt des procédures instituées contre Personne désignée pour cause de conduite abusive de l’État envers cette dernière, alors qu’elle a institué des poursuites criminelles contre elle malgré le comportement des policiers à son endroit, à titre d’indicatrice.

- Cet arrêt reconnaît que Personne désignée bénéficie du privilège de l’indicateur, ce qui n’était du reste pas contesté en appel. Le débat, tout comme en première instance, était ciblé entièrement sur la relation entre Personne désignée, à titre d’indicatrice, et les policiers qui l’ont recrutée. C’est là le cœur du litige. L’arrêt comporte par ailleurs un récit détaillé des faits et analyse longuement le droit pertinent, appliqué ensuite à la trame factuelle.

- Dans cet arrêt du 28 février 2022, la Cour, par le moyen d’une remarque liminaire, exprime toutefois son désaccord avec la manière dont s’est déroulé le débat relatif à la requête en arrêt des procédures, notamment au regard du principe de la publicité des débats judiciaires. Les paragraphes 13 et 14 de l’arrêt annoncent que la Cour rectifiera le tir en ce qui concerne le dossier d’appel, « sujet à une ordonnance de le garder sous scellés » (paragr. 14). Le paragraphe 18 de cet arrêt identifie par ailleurs la source première du problème, c’est-à-dire la décision initiale d’accuser Personne désignée, une indicatrice, du crime qu’elle a elle-même dénoncé et de porter cette accusation alors que l’enquête policière recelait les fondements d’un abus.

- Le 23 mars 2022, après avoir consulté les intimées poursuivante et Personne désignée, la Cour rend publique une version caviardée de son arrêt du 28 février (lequel a par ailleurs été corrigé de certaines coquilles), tout en ordonnant que soit mise sous scellés l’entièreté du dossier d’appel, incluant l’original intégral de l’arrêt, ce qui le rend inaccessible au public.

- La version publique du 23 mars 2022 est un double de l’arrêt du 28 février, sous réserve du caviardage des renseignements qui, selon la Cour, sont susceptibles de permettre l’identification de Personne désignée. En raison du privilège relatif à l’indicateur, les renseignements suivants sont caviardés : le nom de Personne désignée, l’identité tribunal et du juge de première instance, le district judiciaire où s’est déroulée l’instance, l’identité de la poursuivante et des avocat.e.s qui la représentent en appel et celle des avocat.e.s qui représentent Personne désignée, de même que celle du corps policier et des policiers en cause. Le caviardage touche également des informations comme la nature du crime dont Personne désignée a été accusée et les circonstances (y compris temporelles) de sa commission. La nature des renseignements ainsi caviardés est toutefois indiquée par une mention générale, entre crochets, à la suite de chaque portion caviardée.

- Ni en première instance ni en appel les médias n’ont-ils été prévenus que les affaires procéderaient à huis clos. Les autres parties requérantes n’en ont pas non plus été avisées.

Requêtes

- Les parties requérantes demandent la levée totale ou partielle des ordonnances de caviardage et de mise sous scellés de la Cour ou un accès au dossier d’appel; deux des requêtes demandent en outre à la Cour de lever les ordonnances de confidentialité prononcées par le juge de première instance.

- La Cour rejettera les requêtes en raison des exigences que lui impose la protection du privilège de l’indicateur.

Privilège de l’indicateur

- En effet, bien que l’on ne puisse ni ne doive minimiser le principe constitutionnel de la publicité des débats judiciaires, pilier d’une société véritablement démocratique, le droit reconnaît que ce principe comporte certaines exceptions.

- L’une de ces exceptions, ce qui n’est pas contesté, tient au principe du privilège de l’indicateur. La raison d’être et les conséquences extraordinaires de ce privilège, que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada a qualifié d’absolu, de vital pour le système de justice criminelle et même de sacré, ont été décrites comme suit dans l’arrêt R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157 :

[1] Le privilège relatif aux indicateurs de police est un principe de common law qui existe depuis longtemps et qui revêt une importance capitale dans notre système de justice pénale. Les indicateurs de police jouent un rôle essentiel en matière de lutte contre les infractions, parce qu’ils fournissent à la police des informations qu’il serait autrement pour elle difficile, voire impossible, à obtenir. En protégeant l’identité des personnes qui communiquent des informations à la police — et en encourageant d’autres à en faire autant —, le privilège relatif aux indicateurs de police s’avère d’une grande utilité pour les policiers dans le cadre de leurs enquêtes criminelles et de leur mission de protection du public. Sous réserve de l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé, le privilège crée une interdiction absolue de révéler l’identité de l’indicateur, et tant la police que le ministère public et les tribunaux sont tenus de le respecter.

- Ce privilège générique et incompressible impose au tribunal, à la poursuite, à la police et à l’indicateur lui-même des obligations de confidentialité draconiennes en ce qui concerne tout renseignement, même infirme, susceptible de permettre l’identification de cet indicateur. Le passage suivant de l’opinion majoritaire de la Cour suprême dans Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 25, est formel :

30 En conclusion, la justification générale de la règle du privilège relatif aux indicateurs de police exige un privilège extrêmement large et impératif. Une fois que le juge du procès est convaincu de l’existence du privilège, toute divulgation de l’identité de l’indicateur est absolument interdite. Mise à part l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé, la règle jouit d’une protection absolue. La justification du privilège ne peut faire l’objet d’une évaluation au cas par cas. Le privilège assure la protection de tous les renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’indicateur de police, et ni le ministère public ni le tribunal n’ont le moindre pouvoir discrétionnaire de communiquer ces renseignements dans une instance, en aucun temps.

- Dans les cas où la preuve dont dispose la poursuite contre un accusé contient des éléments rattachés à un indicateur, le privilège reconnu à celuici l’emporte même sur l’obligation de divulgation préalable de la preuve qui s’impose à la poursuite et sur le droit à une défense pleine et entière, obligation et droit de nature constitutionnelle.

- Le privilège de l’indicateur ne connaît qu’une seule exception : les renseignements pertinents peuvent être communiqués à l’accusé qui, au terme d’un test exigeant, démontre qu’ils lui permettront d’établir son innocence.

- Il n’existe aucune autre exception, le privilège s’imposant de manière absolue dans les autres domaines du droit, comme le droit civil ou disciplinaire, par exemple.

Privilège de l’indicateur et publicité des débats judiciaires

- Le privilège de l’indicateur, lorsqu’il s’applique, supplante le principe de la publicité des débats judiciaires.

- Cependant, chaque fois qu’ils le peuvent sans enfreindre le privilège de l’indicateur et compromettre l’identité de celui-ci, les tribunaux doivent, dans la mesure du possible, s’assurer de ne pas rendre confidentiel ce qui n’a pas besoin de l’être et favoriser ainsi le principe de la publicité des débats judiciaires (Vancouver Sun c. Personne désignée, [2007] 3 R.C.S. 253). La plus grande prudence est toutefois requise, puisque, comme le reconnaît la jurisprudence (notamment R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281), un détail infime peut parfois suffire à révéler l’identité d’un indicateur ou constituer un indice permettant de l’identifier.

- La jurisprudence reconnaît ainsi qu’un huis clos total peut néanmoins être requis en certaines circonstances.

- En l’espèce, par les remarques faites dans le jugement par lequel elle a ordonné l’arrêt de procédure, par les ordonnances de confidentialité qu’elle a rendues et par la publication d’une version caviardée de son jugement, la Cour a entrepris de préserver l’identité de l’indicateur sans sacrifier entièrement le principe de la publicité des débats.

Nécessité du secret de certaines informations

- Aussi étonnant que cela puisse paraître, aucun des renseignements qu’elle a caviardés dans la version publique de son arrêt (23 mars 2022) ne peut être divulgué, puisque, en raison des circonstances très particulières de l’espèce (dont certaines sont dévoilées dans le présent arrêt, sous caviardage), cela enfreindrait le privilège de l’indicateur.

- En effet, en raison des particularités du présent dossier, tous ces renseignements sont susceptibles de permettre d’identifier l’indicatrice de police, c’est-à-dire Personne désignée.

- Aucun changement ne peut donc être apporté au caviardage de l’arrêt et donc à la version publique du 23 mars 2022.

- Par ailleurs, malgré les demandes de descellement, même partiel, du dossier d’appel ou d’accès à celui-ci, la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu de procéder à l’une ou l’autre opération, ce qui risquerait de mettre en péril le privilège de l’indicateur et de révéler des informations susceptibles de permettre l’identification de Personne désignée.

Ordonnances de première instance

- Certaines des requérantes demandent l’annulation ou la levée des ordonnances de confidentialité prononcées en première instance. Il n’est pas possible d’accéder à cette demande, la Cour n’en ayant pas la compétence. En outre, la Cour, il faut le rappeler, n’a jamais été saisie de la contestation de ces ordonnances, qui n’ont pas été portées à sa connaissance, hormis le fait évident du huis clos. Que cela ait pour conséquence de placer les requérantes « médias » dans une situation d’impossibilité d’agir n’y change rien.

Requête de la juge en chef de la Cour du Québec

- La requête de la juge en chef de la Cour du Québec sera rejetée pour des motifs supplémentaires dont certains sont caviardés.

Conclusions

- La Cour rejettera donc les requêtes.

- En raison de ce qu’il comporte le dévoilement de certains renseignements susceptibles de permettre l’identification de Personne désignée, la Cour ordonnera la mise sous scellés de l’original (non caviardé) du présent arrêt, tout en rendant disponible une version publique comportant le caviardage de certains passages. Une ordonnance particulière sera rendue en ce qui concerne la requérante Rondeau.

- Finalement, la Cour tient à réitérer que rien dans le dossier d’appel ne permet de douter le moindrement de la bonne foi et de l’intégrité des personnes impliquées dans le dossier de première instance, qu’il s’agisse du juge, de la poursuivante et de ses avocat.e.s, de Personne désignée ou de ses avocat.e.s, dont les décisions et prises de position ont été dictées par le seul souci de préserver le privilège de l’indicateur, comme elles y étaient et y sont toujours obligées, obligation qui lie également la Cour.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[154]      REJETTE les requêtes;

[155]      ORDONNE la mise sous scellés de l’original (non caviardé) du présent arrêt, dont seules les intimées auront une version intégrale, et CONFIRME la mise sous scellés de tous les renseignements susceptibles d’identifier Personne désignée, peu importe le support sur lequel ils se trouvent ou par lequel ils ont été transmis à la Cour;

[156]      REND DISPONIBLE et DÉPOSE au dossier de la Cour une version publique du présent arrêt, comportant un caviardage destiné à assurer la confidentialité de tout renseignement susceptible de permettre l’identification de Personne désignée;

[157]      REND DISPONIBLE à la seule requérante Rondeau, par l’intermédiaire de son avocat, une version non caviardée des paragraphes [147] à [152] du présent arrêt et ORDONNE la mise sous scellés de l’extrait qui lui sera transmis en conséquence.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

Me Christian Leblanc

Me Patricia Hénault

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Pour la Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation, La Presse inc., Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2I), Montreal Gazette, une division de Postmedia Network inc. et La Presse canadienne

 

Me Julien Meunier

QUÉBÉCOR

Pour MédiaQMI inc. et Groupe TVA inc.

 

Me Pierre-Luc Beauchesne

BERNARD ROY (JUSTICE QUÉBEC)

Me Simon-Pierre Lavoie

SOUS-MINISTÉRIAT DES AFFAIRES JURIDIQUES

Pour le procureur général du Québec

Me Maxime Roy

Me Ariane Gagnon-Rocque

ROY & CHARBONNEAU AVOCATS

Pour Lucie Rondeau, juge en chef de la Cour du Québec

 

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Pour Personne désignée

 

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Pour Sa Majesté la Reine

 

Date d’audience :

6 juin 2022

 


[1]  Arrêt du 28 février 2022, paragr. 148 (paragraphes que l’on retrouve dans la version publique caviardée de cet arrêt, version datée du 23 mars 2022).

[2]  Ibid.

[3]  Id., paragr. 153.

[4]  Ibid.

[5]  Arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022, paragr. 129.

[6]  Un récapitulatif des motifs du présent arrêt figure au paragr. [153] infra.

[7]  Pour un exemple, voir l’extrait reproduit au paragr. [22] infra.

[8]  Arrêt du 28 février 2022, version publique du 23 mars 2022, paragr. 19 et s., notamment 19 à 30.

[9]  Id., paragr. 31-35.

[10]  Id., paragr. 36-45.

[11]  Id., paragr. 46-50.

[12]  Id., paragr. 51.

[13]  Id., paragr. 52.

[14]  Ibid.

 Pour un résumé des arguments de Personne désignée, en première instance, sur le moyen de l’abus, voir les paragr. 52-57 de l’arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022.

 Personne désignée invoquait également un autre moyen, à savoir la violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable. Ce second moyen ne faisait toutefois pas l'objet de l’appel et l’arrêt de la Cour n’en traite pas, comme permet de le constater la lecture de la version publique du 23 mars 2022.

[15]  Personne désignée c. Vancouver Sun, [2007] 3 R.C.S. 253.

[16]  Arrêt du 28 février 2022, version publique  du 23 mars 2022, paragr. 12.

[17]  La Cour rapporte le contenu de ce jugement aux paragraphes 58 à 71 de son arrêt du 28 février 2022 (paragraphes que l’on retrouve dans la version publique du 23 mars 2022), mais uniquement en ce qui concerne la question de l’abus, celle du délai déraisonnable n’étant plus en cause en appel, comme on vient de le voir.

[18]  Voir la version publique du 23 mars 2022.

[19]  Id., paragr. 1.

[20]  Les moyens d’appel de Personne désignée sont résumés au paragr. 72 de l’arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022.

[21]  Id., paragr. 73-76.

[22]  Id., paragr. 77-78.

[23]  Id., paragr. 79-81.

[24]  Id., paragr. 82-95.

[25]  Id., paragr. 96-122.

[26]  Arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022, paragr. 13.

[27]  Id., paragr. 14.

[28]  L’argumentation de l’intimée poursuivante (19 mai 2022), dont une version caviardée est déposée dans la portion publique du dossier de la Cour, compte 82 paragraphes (incluant la conclusion) dont 13 sont complètement caviardés et 4 comportent un caviardage partiel.

[29]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15.

[30]  Argumentation écrite des requérantes Société Radio-Canada et autres, notamment au paragr. 63.

[31]  Les paragr. 36 et 37 de l’argumentation écrite de la requérante juge en chef du Québec indiquent que :

36. La requérante ne remet pas en cause le bien-fondé de l’ordonnance de mise sous scellés prononcée par cette Cour le 23 mars 2022. En effet, une fois le privilège relatif aux indicateurs de police établi, il est absolu, sous réserve de l’exception de la démonstration de l’innocence de l’accusé. Les critères élaborés à l’occasion des arrêts Dagenais et Mentuck ne s’y appliquent pas [renvoi omis].

37. Personne en dehors du cercle du privilège ne peut accéder aux renseignements à l’égard desquels le privilège est établi. [renvoi omis] […]

 Ni les conclusions de cette argumentation écrite ni celles de la requête ne demandent la levée des ordonnances.

[32]  Arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022.

[33]  R. c. Leipert, [1997] 1 R.C.S. 281. La juge L’Heureux-Dubé, dans de brefs motifs concordants, est d’accord sur ce point avec l’opinion majoritaire que rédige la juge McLachlin.

[34]  R. c. Brassington, [2018] 2 R.C.S. 616.

[35]  Voir par ex. : R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., [2017] 2 R.C.S. 157, paragr. 1 et 11; Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 4, 26, 55.

[36]  Voir par ex. : R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368, paragr. 1 et 30; R. c. Basi, [2009] 3 R.C.S. 389, paragr. 37.

[37]  Voir par ex. : R. c. Basi, préc., note 36, paragr. 22.

[38]  Voir : R. c. Brassington, préc., note 34, paragr. 36-38; R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 33.

[39]  R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., préc., note 35, paragr. 1.

[40]  Id., paragr. 12.

[41]  Ibid.

[42]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 22.

[43]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 14 (reproduit supra, paragr. [45]).

[44]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15.

[45]  R. c. Barros, préc., note 36. Dissident en partie, le juge Cromwell souscrit néanmoins à l’analyse que le juge Binnie fait du privilège de l’indicateur (voir paragr. 105).

[46]  Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, p. 93.

[47]  Ibid.

[48]  R. c. Basi, préc., note 36, paragr. 39.

[49]  Voir : R. c. National Post, [2010] 1 R.C.S. 477, paragr. 42

[50]  Bisaillon c. Keable, préc., note 46, p. 97-98.

[51]  Voir : Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, [2016] 2 R.C.S. 521. Il y aurait également, en matière criminelle, le privilège découlant de la relation entre conjoints.

[52]  Id., paragr. 46 et s. Voir également : Bilodeau c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2020 QCCA 1267 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 11 mars 2021, n° 39433), où l’on refuse au syndic du Barreau du Québec enquêtant sur un avocat l’accès à des renseignements susceptibles de dévoiler l’identité d’un indicateur.

[53]  Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, préc., note 51, paragr. 51.

[54]  Voir par ex. : R. c. Brassington, préc., note 34, paragr. 41, renvoyant à R. c. Barros, préc., note 36, paragr. 37; R. c. Durham Regional Crime Stoppers Inc., préc., note 35, paragr. 35.

[55]  R. c. Basi, préc., note 36.

[56]  C’était là le sujet de l’arrêt R. c. Leipert, préc., note 33. Dans le même sens, voir aussi : R. c. Basi, préc., note 36. Dans R. c. Barros, préc., note 36, le paragr. 34 rappelle que :

[34] La Cour a conclu dans l’arrêt Leipert que la règle de non-divulgation lie l’État, sauf si l’accusé parvient à établir que « la preuve [révèle] l’existence d’un motif de conclure que la divulgation de l’identité de l’indicateur est nécessaire pour démontrer l’innocence de l’accusé [...] [L]a simple supposition [que les renseignements] pourraient être utiles à la défense [est] insuffisante » (la juge McLachlin, par. 21 (je souligne)). […]

[57]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 18.

[58]  Préc., note 52.

[59]  R. c. Barros, préc., note 36, paragr. 28, repris dans R. Durham Regional Crime Stoppers Inc., préc., note 35, paragr. 17.

[60]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 17.

[61]  Id., paragr. 28 (dans la version anglaise « any details which might reveal the informer's identity »).

[62]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 32.

[63]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15.

[64]  Les motifs du juge Bastarache ayant été rédigés en anglais, il n’est pas inutile de citer ici la version anglaise du passage souligné ci-dessus, dont la seconde phrase montre peut-être mieux que dans la version française ce que l’auteur des motifs avait en tête :

26 […] The rule’s protection is also broad in its coverage. Any information which might tend to identify an informer is protected by the privilege. Thus the protection is not limited simply to the informer’s name, but extends to any information that might lead to identification.

[Soulignement ajouté]

[65]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15.

[66]  Seul le juge LeBel est dissident, en partie.

[67]  Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.

[68]  R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442.

[69]  Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25.

[70]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 26. Voir aussi paragr. 30.

[71]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 42.

[72]  Id., paragr. 40.

[73]  Ibid.

[74]  Id., paragr. 26, reproduit au paragr. [63] supra.

[75]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 18.

[76]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 45.

[77]  Id., paragr. 44.

[78]  Ibid.

[79]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 47.

[80]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 53 (reproduit supra).

[81]  Id., paragr. 58 (qui reprend l’idée déjà exprimée au paragr. 30 in fine du même arrêt, reproduit supra, paragr. [66]).

[82]  Ibid.

[83]  C’est l’adverbe qu’emploie le juge Bastarache au paragr. 57 de Vancouver Sun (2007), préc., note 15, lorsqu’il invite les juges, dans le cadre de la seconde étape de la démarche, à « appliquer les principes directeurs susmentionnés avec discernement, veiller à ce que l’identité de l’indicateur de police soit toujours protégée et tenter de favoriser la publicité des débats judiciaires dans ce contexte ».

[84]  Voir notamment : R. c. Brassington, préc., note 34, paragr. 46 et 48; R. c. Basi, préc., note 36.

[85]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 56.

[86]  2021 CSC 33.

[87]  Id., paragr. 42.

[88]  Id., paragr. 47.

[89]  Id., paragr. 53.

[90]  Voir supra, paragr. [74] à [79].

[91]  Préc., note 86.

[92]  Voir : Société Radio-Canada c. Manitoba, préc., note 86, paragr. 56 et 73.

[93]  La confidentialité et même le secret ne sont en effet pas étrangers à la justice criminelle. On peut en donner pour exemple les régimes des art. 83.05 et s. (inscription d’entités sur liste d’organisations terroristes), 83.13 et s. (confiscation de certains biens), 462.47 et s. (régime des informateurs en matière de produits de la criminalité) ou 486 (huis clos ou autre mesure de confidentialité) C.cr. On pourrait parler aussi du régime résultant de l’application de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, qui prévoit huis clos et confidentialité des sources. On trouve un autre exemple dans le régime des art. 38.01 et s. de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

 La justice civile elle-même comporte des zones de confidentialité, pouvant parfois aller jusqu’au huis clos total (et discrétionnaire), excluant même les personnes qui sont normalement admises à assister aux audiences à huis clos (voir les art. 12-15 C.p.c.).

[94]  Lequel s’intéresse aussi à la question du délai raisonnable, aspect qui n’était plus en jeu en appel, rappelons-le. Voir supra, notes 14 et 17.

[95]  R. c. Leipert, préc., note 33, paragr. 18.

[96]  Argumentation écrite de MédiaQMI inc. et Groupe TVA inc., 13 mai 2022, paragr. 59.

[97]  Id., paragr. 60.

[98]  Personne désignée c. Vancouver Sun, préc., note 15, paragr. 26.

[99]  Arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022.

[100]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[101]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[102]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[103]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[104]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[105]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[106]  Voir le paragr. 15 de l’arrêt du 28 février 2022, dans sa version publique du 23 mars 2022.

[107]  Préc., note 86.

[108]  Requête modifiée de la requérante Rondeau, paragr. 6 et 6.1 (repris dans l’argumentation écrite, paragr. 14 et 15).

[109]  Id., paragr. 6.2 (repris dans l’argumentation écrite, paragr. 16).

[110]  Voir supra, note 31.

[111]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  .

[112]  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -  -. .

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