Fadhlaoui et Institut national de la recherche scientifique |
2013 QCCLP 6564 |
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[1] Le 27 mai 2013, madame Mariem Fadhlaoui (la réclamante) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles aux fins de contester la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 30 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 27 mars 2013 et déclare irrecevable la réclamation produite le 16 janvier 2013 au motif que madame Fadhlaoui n’est pas une travailleuse au sens prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et qu’elle ne peut bénéficier des avantages qui y sont prévus.
[3] Une audience est tenue à Québec le 17 octobre 2013 en présence des parties respectivement représentées. Les témoignages de madame Mariem Fadhlaoui et de monsieur Philippe Edwin Bélanger sont entendus.
[4] La cause est mise en délibéré le 17 octobre 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] Madame Mariem Fadhlaoui demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue le 30 avril 2013 et de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle, le 11 mai 2011, prétendant qu’elle a droit aux bénéfices prévus par la loi puisqu’elle est une travailleuse.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la Commission des lésions professionnelles devrait rejeter la requête produite par madame Mariem Fadhlaoui et confirmer la décision rendue par la CSST le 30 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[7] Les membres sont d’avis que la preuve soumise ne permet pas de soutenir les conclusions recherchées voulant que la réclamante soit reconnue une travailleuse au sens des articles 2 ou 10 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si madame Mariem Fadhlaoui a droit aux avantages prévus par la loi conséquemment à l’accident qui est survenu le 11 mai 2011.
[9] Après avoir pris connaissance des documents déposés ainsi qu’après avoir pris en considération les témoignages entendus, le tribunal conclut que madame Mariem Fadhlaoui ne peut bénéficier des avantages prévus à la loi conséquemment à l’accident qui est survenu le 11 mai 2011 puisqu’elle n’était pas, à ce moment-là, une travailleuse au sens des articles 2 et 10 de la loi qui se lisent ainsi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« travailleur » : une personne physique qui exécute un travail pour un employeur, moyennant rémunération, en vertu d'un contrat de travail ou d'apprentissage, à l'exclusion:
1° du domestique;
2° de la personne physique engagée par un particulier pour garder un enfant, un malade, une personne handicapée ou une personne âgée, et qui ne réside pas dans le logement de ce particulier;
3° de la personne qui pratique le sport qui constitue sa principale source de revenus;
4° du dirigeant d’une personne morale quel que soit le travail qu’il exécute pour cette personne morale;
5° de la personne physique lorsqu’elle agit à titre de ressource de type familial ou de ressource intermédiaire;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
10. Sous réserve du paragraphe 4° de l'article 11, est considéré un travailleur à l'emploi de l'établissement d'enseignement dans lequel il poursuit ses études ou, si cet établissement relève d'une commission scolaire, de cette dernière, l'étudiant qui, sous la responsabilité de cet établissement, effectue un stage non rémunéré dans un établissement ou un autre étudiant, dans les cas déterminés par règlement.
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1985, c. 6, a. 10; 1992, c. 68, a. 157; 2001, c. 44, a. 24.
[10] Il importe de référer, de plus, à la définition d’employeur que l’article 2 énonce comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« employeur » : une personne qui, en vertu d'un contrat de travail ou d'un contrat d'apprentissage, utilise les services d'un travailleur aux fins de son établissement;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[11] Aux fins de parvenir à cette conclusion, le tribunal a considéré les faits suivants qui sont les plus pertinents.
[12] Madame Mariem Fadhlaoui produit une réclamation à la CSST le 16 janvier 2013 au sein de laquelle elle réfère à un événement qui est survenu le 11 mai 2011. Les précisions qu’elle offre sont qu’elle a reçu de l’acide sur les jambes alors qu’elle manipule un contenant qui en est rempli.
[13] Quant aux lieux où elle se trouve, il s’agit de l’un des laboratoires de l’Institut national de la recherche scientifique qui est communément désigné « L’INRS ».
[14] La survenance de cet événement n’est pas en litige puisque la CSST a refusé de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle au motif qu’elle n’a pas le statut de travailleur au sens prévu par la loi. D’ailleurs, tant le représentant de l’employeur que la représentante de la CSST conviennent qu’un accident est survenu le 11 mai 2011 mais ils prétendent que la réclamante n’est pas une travailleuse au sens des articles 2 et 10 de la loi.
[15] L’INRS est une université québécoise qui est membre du réseau de l’Université du Québec et qui est essentiellement vouée aux études universitaires de 2e et 3e cycle.
[16] La raison pour laquelle la réclamante se trouve au sein de l’un des laboratoires de cet établissement, le 11 mai 2011, est issue de la convention de stage (pièce E-1 en liasse) qui est intervenue entre le Laboratoire de physiologie et d’écophysiologie des organismes aquatiques de l’Université de Carthage qui est désigné au sein du document comme étant « l’Université » et le Centre Eau Terre Environnement de l’INRS qui est désigné, pour sa part, par cette abréviation. La personne qui représente le laboratoire de l’Université de Carthage est le professeur M’HAMED EL CAFSI alors que la personne qui y représente l’INRS est son directeur, monsieur Yves Bégin.
[17] La réclamante explique qu’elle s’est inscrite au programme de maîtrise offert par l’Université de Carthage et que le sujet de recherche qu’elle a choisi concerne la qualité de l’eau du Lac Nord de Tunis. La première partie de ses travaux s’est donc déroulée en Tunisie, s’agissant de la partie expérimentale qui consistait à recueillir des échantillons d’invertébrés marins.
[18] Pour réaliser la deuxième partie vouée essentiellement à l’analyse de ces échantillons, elle devait se trouver un laboratoire adéquatement outillé. Elle explique que les laboratoires tunisiens ne disposent pas de l’équipement approprié permettant de réaliser les tests nécessaires et qu’il fallait donc qu’elle envisage la poursuite de ses travaux à l’extérieur de son pays. C’est donc dans ce contexte que la bourse qui lui était versée par l’université tunisienne lui permit de venir au Québec et d’y séjourner pour faire ses recherches au sein de l’INRS.
[19] Le document déposé qui s’intitule « Mission Universitaire de Tunisie à Montréal - fiche boursier en alternance » (pièce E-2) comporte les indications suivantes : Madame Fadhlaoui est inscrite à l’Université de Carthage aux fins d’y obtenir la diplomation communément désignée « Master ». Le sujet de recherche, pour les fins de son mémoire, est le contrôle de la qualité du Lac Nord de Tunis. Quant aux travaux de recherche à effectuer au Canada, ils doivent se dérouler au département Centre Eau Terre Environnement de l’INRS sous la supervision du professeur Patrice Couture et ils consistent à mesurer la concentration en métaux sur les échantillons d’invertébrés marins préalablement prélevés dans le Lac Nord de Tunis. Le stage permettant la réalisation de ces travaux est prévu du 1er avril 2011 au 31 mai 2011.
[20] La réclamante convient qu’elle est boursière de l’Université de Carthage et qu’elle n’a obtenu aucune bourse de l’INRS, en 2011. Elle convient également que l’INRS ne lui verse aucune rémunération.
[21] Pour les fins d’apprécier la question soumise en litige, le tribunal doit référer aux dispositions suivantes qui sont prévues au sein de la convention de stage (pièce E-1 en liasse) :
Article 2 :
Ce stage de formation et de perfectionnement s’inscrit dans le programme des études dispensées à l’Université. Il a pour but d’assurer à l’étudiante stagiaire la possibilité de réaliser un travail ou de poursuivre une activité ayant pour objectif l’application des enseignements reçu à l’Université dans la solution d’un problème pratique.
Article 3 :
Le programme du stage sera établi par le représentant de l’Université en accord avec le représentant de l’INRS, en fonction du programme général de l’Université et de la spécialisation suivie par l’étudiante stagiaire dans l’Option :
La direction du stage sera assurée sur place par le professeur Patrice Couture en liaison avec
Peter G.C. Campbell
(À compléter)
[…]
Article 5 :
L’étudiante stagiaire conservera pendant la durée de son stage le statut d’étudiant de l’Université. L’étudiante stagiaire peut exceptionnellement recevoir l’INRS une bourse (ou des frais de séjour) pendant la durée de son stage. Le montant de la bourse (ou des frais de séjour) découle de la politique de l’INRS en matière de stage pour étudiants appartenant à une université autre que l’INRS.
[…]
Article 7 :
Dans le cas où l’étudiante stagiaire serait victime d’un accident pendant son stage, quel que soit cet accident, le responsable de l’INRS s’engage à faire parvenir au responsable de l’Université dans les plus brefs délais, toutes déclarations concernant ledit accident.
[nos soulignements]
[22] La réclamante reconnaît qu’elle a été en mesure d’effectuer ses analyses à l’INRS sous la supervision du professeur Couture bien qu’il se trouvait alors à l’étranger.
[23] Elle explique qu’ils étaient constamment en communication en faisant usage d’un site Internet le tout de manière à ce qu’elle réalise quotidiennement ses travaux au laboratoire entre 8 heures et 18 h 30, du lundi au vendredi.
[24] C’est ainsi que le but du stage de formation et de perfectionnement, tel qu’énoncé à l’article 2 de la convention de stage (pièce E-1 en liasse), a pu se réaliser aux fins qu’elle puisse obtenir ultimement le diplôme de maîtrise que l’université de son pays devait lui remettre et qui est désigné comme étant le « Master ».
[25] La réclamante n’est donc pas venue au Québec pour participer à une recherche initiée par l’un des professeurs de l’INRS auquel cas une rémunération lui aurait été versée à titre d’assistante de recherche embauchée par les Ressources humaines tout comme les étudiants inscrits à l’INRS et qui assistent les professeurs dans leurs travaux de recherche.
[26] Le tribunal considère que la preuve démontre que la réclamante est venue effectuer un stage à l’INRS dans un contexte purement académique qui permettrait d’attester qu’elle a complété adéquatement les travaux aux fins d’obtenir sa diplomation. D’ailleurs, la convention de stage (pièce E-1 en liasse) prévoit, à l’article 9, l’encadrement requis pour des fins d’annotation à transmettre à l’université tunisienne :
Article 9 :
En fin de stage s’il y a lieu l’étudiante stagiaire remet au responsable de l’Université ou au directeur du Centre Eau Terre Environnement un rapport qui sera communiqué au Directeur de Stage pour annotations.
L’Université et l’étudiante stagiaire s’engagent à ne pas diffuser le contenu de ce rapport sans l’autorisation expresse de l’INRS.
Une attestation indiquant la nature et la durée du stage sera remise à l’étudiante stagiaire par l’INRS. Une appréciation sur le travail fournir par la stagiaire durant sa présence à l’INRS sera communiquée au responsable de l’Université par le Directeur du Centre Eau Terre Environnement.
[27] Quant aux démarches requises pour pouvoir séjourner au Québec, la réclamante explique qu’elle a dû s’adresser aux services d’Immigration Canada aux fins d’obtenir un permis de travail. Ce document (pièce T-1) a été délivré le 9 avril 2011 et expirait le 30 juillet 2011. Il comporte son nom suivi de sa date de naissance et de sa citoyenneté. Quant à l’employeur qui y est désigné, on y retrouve le Centre Eau Terre Environnement de l’INRS. Et, concernant les conditions à respecter, on peut lire :
1. Interdiction de fréquenter un établissement d’enseignement ou de suivre un cours théorique ou professionnel, à moins d’avoir une autorisation.
2. Interdiction d’exercer une profession autre que celle indiquée.
3. Interdiction de travailler pour un employeur autre que celui indiqué.
4. Interdiction de travailler à un endroit autre que celui indiqué.
5. Doit quitter le Canada au plus tard le 30 jui [sic] 2011.
[28] Il s’agit donc d’un permis de travail avec restrictions et si elle désirait rester au Québec plus longtemps pour accomplir les travaux prévus au sein de la convention de stage (pièce E-1 en liasse), elle devait demander l’émission d’un nouveau permis.
[29] La réclamante confirme qu’elle a obtenu son diplôme de maîtrise lors de son retour en Tunisie et qu’elle a ensuite décidé de revenir au Québec pour s’inscrire au programme de doctorat offert par l’INRS.
[30] Elle explique avoir obtenu une bourse en provenance de cette université québécoise et que c’est dans ce contexte que Citoyenneté et Immigration Canada lui a remis un permis d’étudiante dont l’expiration n’est prévue qu’en 2014.
[31] Les faits mis en preuve ont démontré que la réclamante est une étudiante tunisienne qui, dans le cadre d’un programme de maîtrise auquel elle est déjà inscrite à l’Université de Carthage, doit venir compléter ses travaux de recherche au Québec.
[32] En fait, l’INRS est l’université qui dispose de laboratoires munis d’installations et d’équipements appropriés lui permettant d’effectuer les analyses nécessaires sur les échantillons qu’elle a prélevés dans le Lac Nord de Tunis.
[33] En vertu de la convention de stage (pièce E-1 en liasse), aucune bourse additionnelle ne doit lui être versée par l’INRS et le stage qu’elle y effectue n’est pas rémunéré.
[34] Aussi, pour être admise à l’INRS, elle devait répondre aux conditions suivantes :
- être étudiante au sein d’une université étrangère;
- être détentrice d’une bourse permettant la poursuite d’études au 2e cycle; et
- avoir obtenu l’autorisation nécessaire d’Immigration Canada aux fins de pouvoir séjourner au pays.
[35] Monsieur Philippe Edwin Bélanger est le directeur du Service des études supérieures et postdoctorales de telle sorte qu’il connaît bien les conditions d’admission à rencontrer dépendamment du statut de l’étudiant ainsi que les termes prévus à la convention de stage (pièce E-1 en liasse) tout comme les règles prévues par Immigration Canada.
[36] Selon la convention de stage (pièce E-1 en liasse), la réclamante ne venait à l’INRS que pour bénéficier des installations et équipements qui se trouvaient au sein des laboratoires de l’établissement de manière à pouvoir compléter adéquatement la seconde étape de ses travaux de recherche lui permettant d’obtenir sa diplomation de maîtrise de l’université tunisienne où elle était inscrite.
[37] Dans de telles circonstances, le seul permis qu’Immigration Canada pouvait lui délivrer était un permis de travail.
[38] Il confirme les affirmations livrées par la réclamante voulant qu’elle se soit finalement inscrite à l’INRS pour y obtenir son doctorat, ayant d’ailleurs obtenu une bourse en provenance de l’établissement. Comme elle est devenue une étudiante inscrite dans une université canadienne, un permis d’étudiant a dû lui être remis par Immigration Canada distinctement du permis de travail qui lui avait été remis en 2011. Cette façon de faire d’Immigration Canada, à l’époque, ne signifie pas pour autant qu’elle travaillait pour l’INRS.
[39] Il explique que le but premier pour lequel la convention de stage (pièce E-1 en liasse) est intervenue entre l’université tunisienne et l’INRS était qu’elle puisse bénéficier des infrastructures se trouvant au sein des laboratoires québécois qui sont à la fine pointe de la technologie. C’est d’ailleurs à ce seul titre que le professeur Couture a accepté de la superviser, s’agissant, en fait, d’un simple mentorat qui permettait de l’encadrer lors de ses travaux d’analyse exécutés en laboratoire.
[40] De l’avis de monsieur Edwin Bélanger, la relation entre monsieur Couture et la réclamante ne l’était qu’aux fins de supervision d’un projet personnel de recherche que cette dernière avait déjà entrepris en Tunisie aux fins de compléter son « Master ».
[41] Il convient que si ses travaux devenaient sujet à publication, le nom du professeur Couture y serait associé, convenant, par la même occasion, que l’INRS se trouverait à bénéficier des recherches qu’elle a faites. Il prétend, par contre, que cela n’en fait pas pour autant une étudiante stagiaire qui relève de l’INRS.
[42] La représentante de la CSST a procédé au dépôt du règlement[2] adopté en respect de l’article 170 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[3] qui prévoit les modalités de l’entente qui est intervenue entre le Québec et la France, tout en portant à l’attention du tribunal l’article 1 qui énonce :
1. Les bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) et des règlements adoptés en vertu de cette loi sont étendus à toute personne visée dans le Protocole d'entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française relatif à la protection sociale des élèves et étudiants et des participants à la coopération, intervenu le 19 décembre 1998 et apparaissant à l'annexe 1.
D. 1430-2000, a. 1.
[43] C’est ainsi que le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française ont voulu faciliter la participation de leurs ressortissants respectifs aux programmes d’échanges prévus, étant désireux de leur assurer certains bénéfices de la sécurité sociale prévus par leurs législations respectives. La représentante de la CSST informe le tribunal qu’une telle entente de réciprocité entre le Québec et la France n’existe pas pour la Tunisie.
[44] Elle se rallie, pour sa part, aux prétentions soumises par le représentant de l’employeur voulant que la réclamante ne puisse bénéficier des avantages prévus à la loi conséquemment à l’accident du 11 mai 2011 puisqu’elle ne détient pas le statut de travailleuse, que ce soit au sens prévu par l’article 2 ou par l’article 10.
[45] Elle prétend également que le fait qu’une instance fédérale croit opportun de délivrer un permis de travail à une étudiante étrangère n’en fait pas nécessairement une travailleuse.
[46] La représentante de la CSST convient que maintenant que la réclamante est inscrite au programme de doctorat de l’INRS qu’on pourrait conclure qu’elle est une travailleuse au sens de l’article 10 de la loi dans la mesure que les conditions y énoncées sont rencontrées.
[47] Pour le tribunal, les circonstances qui font l’objet du présent litige diffèrent de celles actuellement vécues par la réclamante. Au moment de l’accident, elle poursuit ses études de maîtrise initiées au sein d’un établissement d’enseignement tunisien, ce qui lui permet, à un certain moment, d’accomplir un stage non rémunéré au sein d’un établissement d’enseignement québécois. De plus, c’est l’établissement d’enseignement tunisien qui doit décerner le diplôme et ce, bien qu’une certaine supervision doit être exercée, entre-temps, par l’un des professeurs de l’INRS.
[48] Tel que prévu par l’article 9 de la convention de stage (pièce E-1 en liasse), cette supervision permet l’appréciation des activités exercées par la réclamante pour poursuivre ses recherches et d’émettre une annotation qui doit être communiquée au responsable de l’université tunisienne par le directeur du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS.
[49] Pour le tribunal, il est clair que la réclamante qui effectue un stage non rémunéré au sein de l’INRS ne peut être considérée une travailleuse à l’emploi de cet établissement au sens de l’article 2 de la loi.
[50] Le tribunal doit également conclure que la réclamante n’est pas une étudiante qui peut être considérée comme une travailleuse au sens de l’article 10 de la loi.
[51] En effet, elle n’exécute pas un travail en vertu d’un contrat de travail avec l’INRS et avec rémunération. Et, tel que confirmé par monsieur Edwin Bélanger, elle ne figure pas sur la liste de paye de l’INRS.
[52] De plus, l’autorisation obtenue pour bénéficier des laboratoires de l’INRS pour terminer ses travaux de recherche est issue des termes apparaissant à la convention de stage (pièce E-1 en liasse) qui ne s’apparente nullement à un contrat de travail.
[53] Le tribunal considère également que le permis de travail qui lui a été remis par Immigration Canada ne signifie pas pour autant qu’elle venait travailler à l’INRS.
[54] Les règles du gouvernement canadien, au niveau de l’immigration, diffèrent nettement de celles énoncées par le législateur au sein de la loi, le tout tel qu’explicité par monsieur Edwin Bélanger.
[55] L’INRS n’est donc pas l’employeur de la réclamante d’autant plus qu’il ne lui verse aucune rémunération en contrepartie d’une prestation de travail prévue à un contrat de travail.
[56] Quant à l’établissement d’enseignement tunisien, il ne possède pas d’établissement au Québec et aucun règlement ou entente internationale ne lie la Tunisie et le Québec. Or, la loi s’applique aux travailleurs victimes d’un accident du travail qui survient au Québec et dont l’employeur a un établissement au Québec.
[57] Pour la notion de contrat de travail, le Code civil du Québec[4] l’énonce ainsi :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
1991, c. 64, a. 2085.
[58] Dans l’affaire Transport accessible du Québec et CSST[5], le juge administratif analyse cette notion comme suit :
[20] Selon Robert P. Gagnon4, l’article 2085 C.c.Q. identifie les éléments constitutifs essentiels du contrat de travail : le travail, la rémunération, la subordination.
[21] Pour les auteurs Morin, Brière et Roux5 le contrat de travail résulte de la conjugaison des trois éléments précités qu’il faut retrouver puisque « sans la présence réelle de ces trois données, le rapport entre les parties ne saurait juridiquement être qualifié de contrat de travail, sauf si une règle de droit y pourvoit autrement. En pratique, cela signifierait que toute contestation au sujet de l’existence d’un tel contrat en vue de connaître la nature des obligations respectives des interlocuteurs porterait principalement sur ces trois mêmes éléments. »
[…]
[24] Tel que mentionné précédemment, le tribunal doit s’interroger sur la présence d’une prestation de travail, du versement d’une rémunération en contrepartie de cette prestation et de l’existence d’un lien de subordination.
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4 Le droit du travail du Québec, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 66.
5 Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE, Dominique ROUX, Le droit de l’emploi au Québec, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2006, p. 232.
7 Précité p. 263.
[59] C’est donc en respect de cet enseignement que le tribunal doit conclure, dans le présent cas, qu’il n’y a aucun contrat de travail.
[60] Dans l’affaire Antonio Mega et Commission de la construction du Québec[6], le juge administratif a conclu que le réclamant n’exécutait pas un travail en échange d’une rémunération. En fait, monsieur Mega était un travailleur de la construction, sans emploi, qui devait suivre une formation obligatoire offerte par la Commission de la construction du Québec aux fins d’obtenir un perfectionnement et un avancement de classe pour conserver ses cartes. C’est dans ce même contexte d’apprentissage que monsieur Mega a préféré suivre une formation d’un an qui permettait l’obtention d’un diplôme pour occuper l’emploi de compagnon charpentier-menuisier. Il devenait ainsi dispensé de suivre la formation requise par la Commission de la construction du Québec. Cette formation s’est déroulée à l’École des métiers de la construction de Montréal et a été prodiguée par un enseignant à son emploi.
[61] L’analyse de ces faits a permis au juge administratif de conclure que ce réclamant n’exécutait pas un travail en échange d’une rémunération, notion inhérente à la relation travailleur/employeur. Il a donc conclu qu’il ne pouvait lui reconnaître le statut de travailleur au sens de l’article 2 de la loi.
[62] Concernant l’exception prévue à l’article 10 qui vise à élargir la notion de travailleur, le juge administratif rappelle que le législateur y a prévu une situation particulière visant à reconnaître un statut de travailleur à une personne qui poursuit ses études et effectue un stage non rémunéré dans un établissement.
[63] Afin d’apprécier le cas qui lui était soumis, le juge administratif s’est interrogé sur le sens à donner à la notion de stage prévue à l’article 10. Sur cet aspect, il réfère à l’affaire Lavoie et Cegep de Rimouski[7] qui a retenu l’interprétation suivante :
Un stage implique donc l’exécution d’un travail pour le compte d’un employeur, dans un véritable contexte de travail, par opposition aux exercices pratiques ou simulations effectuées dans le contexte de la relation enseignant-étudiant.
Il en découle que l’étudiant qui effectue des exercices pratiques qui simulent le contexte de travail et les tâches qu’il sera appelé à exécuter lorsqu’il sera sur le marché du travail, n’effectue pas un stage au sens de l’article 10 et ne sera pas alors un travailleur, au sens de cet article parce qu’il n’exécute pas un travail pour le compte d’un employeur dans un véritable contexte de travail.
[64] Le juge administratif, dans l’affaire Mega[8], reprend cette interprétation :
[31] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette interprétation doit être retenue puisqu’elle s’accorde parfaitement avec l’objectif premier de la loi qui est l’indemnisation des travailleurs victimes de lésions professionnelles et non pas l’indemnisation d’étudiants en cours de formation ou de perfectionnement. D’autant plus que l’article 10 de la loi constitue une exception à la définition de la notion de travailleur.
[32] Tel que l’exprime à juste titre la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Barr8 :
[…]
[89] Le but visé par le législateur à l’article 10 est d’étendre les bénéfices de la présente loi à des étudiants qui, pour les fins d’obtention de leur diplôme, effectuent un stage non rémunéré dans un établissement, de manière à leur permettre de bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux autres travailleurs du même établissement, au cas de lésion professionnelle acquise en cours de stage.
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8 Précitée, note 6.
[65] Le juge administratif conclut ensuite :
[38] La Commission des lésions professionnelles estime que monsieur Mega était étudiant au même titre que les autres étudiants qui réalisent leur formation intensive et obtiennent un diplôme de charpentier après une année d’étude.
[39] Le fait que monsieur Mega n’a pas à défrayer le coût des cours et qu’il reçoit une allocation en provenance du Fonds des travailleuses et des travailleurs de l’industrie de la construction ne sont pas des éléments qui permettent de faire valoir qu’il exécute un travail pour un employeur dans un véritable contexte de travail. Ces avantages découlent de particularités propres à l’industrie de la construction qui font suite à différentes ententes entre les associations syndicales et d’employeurs et qui visent à se conformer aux différentes dispositions législatives qui régissent cette industrie.
[66] Considérant que la preuve ne permettait pas d’établir que monsieur Mega effectuait un stage non rémunéré au sens de l’article 10 de la loi puisqu’il n’effectuait pas un travail pour un employeur dans un véritable contexte de travail, le juge administratif a dû conclure que monsieur Mega ne pouvait être considéré comme un travailleur au sens de la loi et que la réclamation qu’il a présentée pour une lésion professionnelle devait être rejetée.
[67] Pour tous ces motifs, le tribunal doit conclure que la réclamante n’est pas une travailleuse à l’emploi de l’INRS au sens prévu par les articles 2 et 10 de la loi.
[68] La réclamation que cette étudiante tunisienne a produite pour l’accident qui est survenu le 11 mai 2011 au sein d’un établissement d’enseignement québécois doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête produite par madame Mariem Fadhlaoui, le 27 mai 2013;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 30 avril 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que madame Mariem Fadhlaoui n’est pas une travailleuse au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu’elle ne peut donc bénéficier des avantages qui y sont prévus.
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Carole Lessard |
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Monsieur Richard Binet |
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BINET, LECLERC & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me François Pinel |
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BEAUVAIS, TRUCHON & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Dominique Trudel |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Règlement sur la mise en application des dispositions relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles contenues dans le Protocole d’entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française relatif à la protection sociale des élèves et étudiants et des participants à la coopération, R.R.Q., c. S-2.1, r. 23.
[3] L.R.Q., c. S-2.1.
[4] C.c.Q.
[5] C.L.P. 375172, 8 décembre 2009, M. Racine.
[6] C.L.P. 330110-71-0710, 27 mai 2008, F. Juteau.
[7] [1988] C.A.L.P. 367.
[8] Précitée, note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.