Décision

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Gabarit CFP

Gagnon et Ministère de la Sécurité publique

2017 QCCFP 57

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N° :

1301689

 

DATE :

19 décembre 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Nour Salah

______________________________________________________________________

 

 

JEAN-FRANÇOIS GAGNON

 

Appelant

 

et

 

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

Intimé

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 35, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

L’APPEL

[1]         M. Jean-François Gagnon dépose un appel à la Commission de la fonction publique, en vertu de l’article 35 de la Loi sur la fonction publique (la Loi). Il conteste la décision du ministère de la Sécurité publique qui refuse de l’admettre à un processus de qualification en vue de la promotion de chef d’unité en établissement de détention, cadre, classe 7[1].

[2]         Le ministère estime que M. Gagnon ne répond pas aux conditions d’admission puisqu’il ne possède pas neuf années d’expérience pertinente aux attributions de l’emploi à pourvoir.

[3]         Pour sa part, M. Gagnon soutient que son expérience acquise comme patrouilleur au Quartier Latin durant cinq ans et cinq mois devrait être comptabilisée, car elle correspond, à peu de mots près, à ce qui est demandé dans les conditions d’admission du processus de qualification.

[4]          Il déplore également qu’aucune expérience en gestion des ressources humaines ne soit exigée, alors qu’il est écrit dans les attributions de l’emploi à doter que « le chef d’unité assure une gestion complète et efficiente des ressources humaines ».

[5]          Lors de l’audience du 18 octobre 2017, il est constaté que M. Gagnon ignore que, dans l’éventualité où la Commission lui reconnaîtrait l’expérience demandée, il ne serait tout de même pas admis au processus de qualification. En effet, six mois d’expérience seraient déduits de son poste de patrouilleur au Quartier Latin, car cette expérience est concomitante à une autre, qui elle, lui a été reconnue par le ministère. M. Gagnon est en désaccord avec cette interprétation.

[6]          La Commission autorise donc M. Gagnon à ajouter deux motifs d’appel sur :

·               la règle de la concomitance;

·               une autre expérience de travail qu’il estime pertinente aux attributions de l’emploi à pourvoir.

[7]           M. Gagnon s’exécute et la Commission reçoit, le 3 novembre 2017, les ajouts qui suivent :

L’application de l’article 7 paragraphe 1° du Recueil des politiques de gestion du Conseil du trésor, concernant la concomitance des expériences pertinentes acquises sur le marché du travail est discriminatoire, déraisonnable et entachée d’une irrégularité;

 

Nonobstant le premier motif, advenant que la clause de concomitance soit valide, l’on m’a, depuis les débuts de ma demande de révision, mentionné que je possédais 3 ans et 7 mois d’expériences pertinentes reconnues. Demeurant au fait que l’erreur ne crée pas le droit et que la direction des ressources humaines du Ministère de la Sécurité publique ne me reconnaît désormais que 3 ans et 1 mois depuis l’audience du 18 octobre dernier, affirmant une concomitance au niveau de deux emplois. Il apparaît qu’avec les 5 ans et 5 mois à la Patrouille du Quartier Latin, je n’aurais que 8 ans et 6 mois d’expériences pertinentes aux attributions de l’emploi. Afin de posséder les 9 années d’expérience requises et palier à l’omission, à mon égard, concernant la clause de concomitance, je demande à la Commission de la fonction publique de reconnaître mes années de travail en tant qu’animateur/intervenant pour la Ville de Montréal, où mes principales tâches étaient d’accompagner, encadrer et intervenir auprès d’une clientèle provenant de milieux défavorisés et des Centres jeunesses de Montréal. Étant un travail à temps partiel et selon les calculs établis par le Ministère, il me serait reconnu 14 mois d’expériences de travail pertinentes aux attributions de l’emploi, ce qui dépasse, en somme, les 9 années demandées

LES FAITS

[8]          Les conditions d’admission du processus de qualification inscrites dans l’appel de candidatures, sont les suivantes :

·         Faire partie du personnel régulier du ministère de la Sécurité publique []

  • Détenir un diplôme d’études secondaires équivalant à une 5e année du secondaire ou une attestation d’études pertinentes dont l’équivalence est reconnue par l’autorité compétente.
  • Posséder deux années d’études postsecondaires ayant permis au candidat d’acquérir des connaissances et de développer des habiletés requises pour l’emploi, notamment dans l’utilisation des techniques de relation d’aide, d’intervention sociale, d’animation, de méthodes d’observation et d’entrevue.

Chaque année de scolarité manquante est compensée par deux années d’expérience jugée pertinente aux attributions de l’emploi. […]

·         Posséder neuf années d’expérience à titre d’agente ou d’agent des services correctionnels, d’agente ou d’agent des soins de santé des services correctionnels, d’intervenante ou d’intervenant en délinquance, d’éducatrice ou d’éducateur spécialisé, d’infirmière ou d’infirmier ou toute autre expérience jugée pertinente aux attributions de l’emploi. À l’exception de l’expérience en soins infirmiers, l’expérience acquise doit avoir permis de garder, d’encadrer ou d’accompagner une clientèle adulte ou de jeunes adultes, délinquante, contrevenante, présumée avoir commis un délit ou une infraction, en cas de protection, etc. []

[Soulignements de la Commission]

[9]          En plus de l’appel de candidatures, le ministère diffuse dans l’intranet un aide-mémoire ainsi qu’un document questions-réponses destinés aux candidats. Un guide d’admissibilité, qui n’est pas accessible aux candidats, est également préparé afin d’assurer une application uniforme des critères d’admission.

[10]       D’autres informations sont inscrites dans le guide d’admissibilité concernant les attributions qui caractérisent l’emploi de chef d’unité et l’expérience pertinente recherchée :

[…] l’expérience acquise doit avoir permis de garder, d’encadrer ou d’accompagner une clientèle adulte ou de jeunes adultes, délinquante, contrevenante, présumée avoir commis un délit ou une infraction, en cas de protection, etc.

*** Les expériences acquises auprès de clientèle vulnérable telles que les immigrants, les démunis, les victimes d’actes délictueux (femmes battues, enfants violentés, etc.), les problèmes de santé mentale, etc. ne sont pas acceptées. ***

[11]        M. Gagnon occupe un emploi d’agent de services correctionnels depuis trente-sept mois. Après l’analyse de son formulaire d’inscription, le ministère juge cette expérience pertinente aux attributions de l’emploi de chef d’unité. Une autre expérience pertinente, de six mois cette fois, lui est reconnue en tant qu’agent d’intervention au Groupe sécurité B.E.C.Q. Au total, ce sont trois années et sept mois sur les neuf années d’expérience pertinente exigées dans les conditions d’admission qu’accepte le ministère.

[12]        Pour ce qui est des autres expériences de travail de M. Gagnon dans le domaine de la gestion des ressources humaines, le ministère considère qu’elles ne sont pas appropriées. En effet, l’emploi de chef d’unité est d’un niveau « opérationnel », d’où le choix de privilégier une connaissance du milieu carcéral et d’avoir de l’expérience avec des détenus. Un chef d’unité doit orienter les agents de services correctionnels et prendre des décisions rapides.

[13]        Le ministère estime qu’il ne serait pas logique d’exiger une expérience en gestion afin d’être admis au processus de qualification puisqu’un chef d’unité agit comme gestionnaire de premier niveau et que cette expérience peut aisément être acquise sur le terrain.

[14]        Dans le même ordre d’idées, le ministère ne reconnaît pas la scolarité de M. Gagnon dont les diplômes mènent à des emplois de gestion.

[15]        M. Gagnon donne cette description dans son formulaire d’inscription pour chacun des deux emplois occupés et dont il souhaite que l’expérience soit reconnue : 

Patrouille du quartier latin

Patrouilleur sur un projet visant à arpenter les rues du Quartier Latin afin d’intervenir et sensibiliser une clientèle itinérante, alcoolique et/ou toxicomane;

Faire rapport et détailler les interventions.

Animateur-intervenant

Accompagnement, encadrement et intervention auprès d’une clientèle provenant de milieu défavorisé et des Centres jeunesse de Montréal;

Gestion du personnel actif auprès de cette même clientèle.

[16]        La première analyse de l’expérience accumulée à titre de patrouilleur a été rejetée par le ministère, car M. Gagnon n’agissait pas avec une clientèle privée de sa liberté ni n’avait de lien d’autorité avec celle-ci. En effet, les itinérants ne sont pas soumis à l’autorité de M. Gagnon, car même s’ils les expulsent du Quartier Latin, ils peuvent librement y revenir.

[17]        M. Gagnon demande la révision de cette décision au ministère en envoyant un complément d’information avec une description des tâches effectuées. Il explique, notamment, que :

 […] Le travail était à la fois répressif, mais tout autant sensibilisateur auprès de la clientèle itinérante, alcoolique toxicomane et récalcitrante. La collaboration avec le SPVM ainsi que divers organismes d’aide était ponctuelle […]

[18]        À la lumière de ces précisions, le ministère effectue une révision et maintient sa décision initiale.

[19]        Pour ce qui est de la deuxième expérience de travail de M. Gagnon : animateur-intervenant, le ministère estime que cela correspond à un poste dans un camp de jour ou une maison de jeunes avec une clientèle provenant de milieux défavorisés et des Centres jeunesse de Montréal avec laquelle il n’entretient aucun lien d’autorité. Il s’agit à nouveau d’une expérience auprès d’une clientèle vulnérable, ce qui est exclu par le guide d’admissibilité.

[20]        M. Gagnon témoigne, entre autres, sur certaines caractéristiques qui composent la clientèle itinérante et indique que son rôle était plus important que ce qui est inscrit dans son formulaire d’inscription : il agissait de concert avec le Service de police de la Ville de Montréal (le SPVM) qui leur demandait de patrouiller le Quartier Latin et de s’occuper de la sécurité des lieux.

LES ARGUMENTATIONS

L’argumentation du ministère

[21]        Le ministère précise que la Commission n’est pas un comité de révision. Elle doit uniquement déterminer si la décision du ministère est conforme au cadre normatif applicable. Elle ne peut donc pas substituer sa décision à la sienne, à moins que celle-ci soit arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire.

[22]        Les conditions d’admission du processus de qualification sont les conditions minimales d’admission à un emploi de chef d’unité en établissement de détention, cadre, classe 7, prévues au paragraphe 5o de l’article 18 de la Directive concernant la classification et la gestion des emplois de cadres et de leurs titulaires (630)[2] (la Directive). Conformément à l’article 43 de la Loi, le ministère ne peut établir des conditions d’admission moins exigeantes.

[23]        L’expérience recherchée a été précisée par le ministère, soit « la garde, l’encadrement ou l’accompagnement d’une clientèle adulte ou de jeunes adultes, délinquante, contrevenante, présumée avoir commis un délit ou une infraction, en cas de protection ».

[24]        L’article 47 de la Loi énonce qu’un candidat qui répond aux conditions d’admission est admis à un processus de qualification. À l’opposé, si une personne ne répond pas aux conditions d’admission, elle ne peut pas être admise. L’évaluation de l’admissibilité doit se faire à partir des informations indiquées par le candidat dans son formulaire d’inscription, conformément à l’article 14 du Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées[3] (le Règlement).

[25]        Le ministère estime que l’article 45 de la Loi a été respecté puisqu’il a fourni aux candidats « une occasion raisonnable de soumettre leur candidature ». L’appel de candidatures est suffisamment détaillé, notamment en ce qui a trait aux conditions d’admission. De plus, les candidats avaient accès à un aide-mémoire ainsi qu’à un document questions-réponses.

[26]        Le guide d’admissibilité établit les critères et il exige la présence de deux éléments combinés pour que l’expérience soit jugée pertinente : le lien d’autorité et la privation de liberté. Il y a des différences majeures entre un établissement de détention où existe un rapport d’autorité entre le chef d’unité et les détenus qui sont privés de liberté et les deux postes occupés par M. Gagnon où la clientèle était libre.

[27]        Le ministère cite et commente quelques décisions concernant les obligations du ministère[4] et la concomitance[5]. Il réfère également à certaines décisions récentes de la Commission dont les faits s’apparentent à ceux de la présente affaire[6].

[28]        Il indique aussi que la discrimination qu’invoque M. Gagnon à l’encontre de la règle de la concomitance des expériences prévue par le paragraphe 1° de l’article 7 de la Directive ne peut être soulevée, car c’est une question hypothétique et que le ministère ne l’a pas appliquée dans ce dossier. De plus, cette disposition est équitable et s’applique à tous les fonctionnaires sans exception.

[29]        Finalement, concernant l’expérience d’animateur-intervenant de M. Gagnon, ce dernier a bénéficié d’un délai supplémentaire afin de préciser ses motifs, mais ce faisant, il a repris la même description inscrite dans son formulaire d’inscription. Donc, aucun élément ne permet de modifier la décision déjà prise à l’égard de cette expérience jugée non pertinente.

[30]        Le ministère conclut qu’aucune illégalité ni irrégularité n’entache sa décision. Il n’existe aucune preuve voulant que cette décision soit arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire et il demande à la Commission de rejeter l’appel de M. Gagnon.

L’argumentation de M. Gagnon

[31]        M. Gagnon estime que le ministère commet une erreur en considérant que sa candidature n’est pas admissible au processus de qualification.

[32]        Il élabore, notamment, sur la concomitance de ses expériences de travail, les deux emplois dont il demande la reconnaissance de l’expérience, la définition de la clientèle itinérante et son expérience en gestion des ressources humaines.

[33]        Il cite tout d’abord de la doctrine[7] pour illustrer que la règle concernant la concomitance du paragraphe 1° de l’article 7 de la Directive est contraire au Code civil du Québec et que le double emploi est permis en droit québécois.

[34]        Il indique que ses années de travail en tant qu’animateur-intervenant pour la Ville de Montréal devraient être reconnues et précise que ses tâches étaient d’accompagner, d’encadrer et d’intervenir auprès d’une clientèle provenant de milieux défavorisés et des Centres jeunesse de Montréal.

[35]        Pour ce qui est de la patrouille du Quartier Latin, M. Gagnon est d’avis que la description de ses tâches correspond à ce qui est demandé comme expérience. Les itinérants avec lesquels il a travaillé sont responsables de méfaits publics et souffrent fréquemment de maladies mentales. Il en tire la conclusion que la clientèle itinérante est une population récalcitrante.

[36]        Il revient ensuite sur son expérience en gestion des ressources humaines qui n’a pas été reconnue alors que la gestion fait partie des attributions de l’emploi à pourvoir. Il cite les décisions Lauzon[8] et Dussault[9] et les commente.

[37]        Ainsi, M. Gagnon conclut qu’il respecte les conditions d’admission du processus de qualification et il demande à la Commission d’accueillir son appel.

LES MOTIFS

[38]        La Commission doit décider si la procédure d’admission de M. Gagnon au processus de qualification contesté est entachée d’une illégalité ou d’une irrégularité. Il appartient à M. Gagnon d’en convaincre la Commission.

[39]        L’article 35 de la Loi prévoit :

35. Un candidat peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique s’il estime que la procédure utilisée pour son admission ou pour son évaluation dans le cadre d’un processus de qualification visant exclusivement la promotion a été entachée d’une irrégularité ou d’une illégalité. Il doit le faire par une demande écrite qui doit être reçue à la Commission dans les 15 jours ouvrables de l’expédition de l’avis l’informant qu’il ne satisfait pas aux conditions d’admission pour participer au processus de qualification ou l’informant des résultats de son évaluation au cours de ce processus. […]

[40]        M. Gagnon soutient que son expérience en tant que patrouilleur au Quartier Latin aurait dû être reconnue par le ministère. Or, la Commission est convaincue que la décision du ministère de ne pas reconnaître cette expérience est bien fondée et que l’expérience de M. Gagnon n’est pas pertinente aux attributions d’un emploi de chef d’unité. 

[41]        De ce fait, les conditions minimales d’admission sont déterminées par le Conseil du trésor de manière générale pour tout cadre, classe 7, mais c’est le ministère qui détient l’expertise nécessaire pour établir les attributions essentielles d’une expérience pertinente afin d’occuper un poste de chef d’unité.

[42]        La Commission constate de ce que précise M. Gagnon dans sa demande de révision que sa mission était de rendre le Quartier Latin accueillant et sécuritaire pour les clients qui en fréquentaient les restaurants et les commerces. Il faisait en sorte de réduire les irritants reliés au monde de l’itinérance et de la toxicomanie. Pour ce faire, il devait :

·               Éduquer les itinérants sur les comportements dérangeants et faire pression pour que ceux-ci cessent;

·               Créer un lien de confiance avec les itinérants et les commerçants;

·               Éduquer les commerçants sur l’importance de signaler un crime à la police;

·               Recommander les personnes dans le besoin aux organismes communautaires.

[43]        De ces précisions la Commission comprend que, outre d’assurer un environnement agréable et sécuritaire pour la clientèle qui fréquente le Quartier Latin, M. Gagnon devait aussi éduquer les commerçants pour qu’il signale un crime à la police. Ainsi, même si son travail se faisait en collaboration avec le SPVM, il n’avait aucun pouvoir d’arrestation spécifique, mis à part celui que détient n’importe quel autre citoyen au Québec.

[44]        Certes, si les itinérants devenaient violents, il pouvait leur dire de quitter les lieux et si de plus gros problèmes survenaient, il pouvait les menotter, mais c’est la police qui intervenait par la suite.

[45]        La Commission considère le Quartier Latin comme un milieu ouvert dans lequel les itinérants n’ont pas, à l’instar des détenus, des responsabilités ni des règles de vie qu’ils sont obligés de suivre sous peine de sanctions. Ainsi, le rôle d’intervention et l’expérience acquise par M. Gagnon diffèrent de l’expérience recherchée par le ministère. D’autant plus que le guide d’admissibilité est très clair à ce sujet et écarte expressément le genre de clientèle avec laquelle a travaillé M. Gagnon, soit la clientèle vulnérable et les démunis.

[46]        M. Gagnon insiste beaucoup dans sa plaidoirie sur la criminalité des itinérants, ainsi que sur leurs problèmes de dépendance et de toxicomanie. Selon lui, plusieurs ont déjà commis des méfaits publics, ce qui en fait « des personnes délinquantes, contrevenantes, présumées avoir commis un délit ou une infraction » et que cela devrait être suffisant pour que son expérience soit reconnue. La Commission ne peut adhérer à ce raisonnement.

[47]        Le fait que des itinérants puissent avoir déjà commis des méfaits est étranger à la question qui nous intéresse : pour le ministère ce qui est essentiel c’est que l’expérience ait été acquise auprès d’une clientèle privée de sa liberté et qu’un rapport d’autorité soit exercé. La Commission juge tout à fait raisonnable l’interprétation du ministère de ce que constitue une expérience pertinente aux attributions d’un emploi de chef d’unité en établissement de détention.

[48]        Qui plus est, la Commission s’est déjà prononcée sur une question similaire dans la décision Adounvo[10] :

[47] De plus, étant donné l’emploi à pourvoir et le contexte dans lequel l’expression « en cas de protection » est utilisée dans l’appel de candidatures, la Commission estime que celle-ci peut uniquement référer à des personnes privées de leur liberté à la suite d’une décision rendue en matière de protection de la jeunesse.

[48] Les expériences au sein d’organismes communautaires que M. Adounvo tente de faire reconnaître ont été acquises auprès de personnes vulnérables qui n’étaient pas privées de leur liberté. Les tâches accomplies par M. Adounvo n’étaient donc pas de même nature que celles, par exemple, d’un agent des services correctionnels qui exerce un rapport d’autorité auprès de personnes incarcérées.

[49]        Quant à l’expérience de M. Gagnon en tant qu’animateur-intervenant pour la Ville de Montréal, elle n’est pas non plus pertinente aux attributions d’un emploi de chef d’unité. L’interprétation du ministère est donc raisonnable.

[50]        M. Gagnon occupait un emploi dans un camp de jour et même si les mots « accompagnement, encadrement et intervention » sont présents dans la description qu’il effectue de cet emploi, le type d’intervention et la clientèle côtoyée sont des éléments cruciaux de l’analyse à effectuer.

[51]        Or, il s’agit encore d’une clientèle provenant d’un milieu défavorisé et la Commission juge que les caractéristiques de cet emploi sont similaires à celles de son poste de patrouilleur : il travaille avec des personnes qui ne sont pas privées de liberté et elles ne sont pas obligées de fréquenter ce camp de jour. Si la clientèle devient violente, M. Gagnon peut l’expulser, mais son lien d’autorité n’est pas de même nature qu’un agent de services correctionnels envers des détenus.

[52]        Subsidiairement, en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, la Commission reprend une des conclusions de la décision Vallée[11] :

[37] M. Vallée soutient que son expérience de responsable du service d’habitation de l’Accueil Bonneau comporte de l’encadrement, de l’accompagnement et de la protection de personnes. Or, la Commission juge que la décision du ministère de ne pas reconnaître cette expérience est bien fondée.

[38] En effet, les tâches décrites par M. Vallée dans son formulaire d’inscription sont purement des tâches de gestion et ne répondent pas aux conditions d’admission du processus de qualification.

[53]         En ce qui concerne la règle de la concomitance des emplois prévue au paragraphe 1° de l’article 7 de la Directive, il est inutile d’en traiter, car le ministère ne l’a pas appliquée lors de l’analyse du dossier de M. Gagnon; elle demeure donc hypothétique.

[54]        La Commission distingue la décision Dussault[12] citée par M. Gagnon, car elle n’est pas pertinente. En effet, elle est très éloignée du cas présent et traite plutôt de l’application d'une clause de compensation d'expérience par de la scolarité à la suite d’un refus d'admettre un candidat à un concours de promotion de cadre juridique.

[55]        En conséquence, la Commission ne décèle aucune irrégularité ou illégalité dans la procédure utilisée pour vérifier l’admissibilité de M. Gagnon au processus de qualification contesté.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

REJETTE l’appel de M. Jean-François Gagnon.

 

 

Original signé par :

________________________________

Nour Salah

 

M. Jean-François Gagnon

Appelant

 

Me Fannie Zoccastello

Procureure du ministère de la Sécurité publique

Intimé

 

Dates des audiences : 18 octobre et 28 novembre 2017

 

Lieux des audiences : Montréal et Québec

 



[1]    Processus de qualification no 63007PS00950001.

[2]    C.T. 198195 du 30 avril 2002 et ses modifications.

[3]   RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.1.

[4]   Chouinard et Ministère de la Main d'œuvre et de la Sécurité du revenu, [1986] 3 no 2 R.D.C.F.P. 21.

[5]   Tang Kou et ministère des Transports, 2016 QCCFP15.

[6]  Vallée et Ministère de la Sécurité publique, 2017 QCCFP51 ; Adounvo et Ministère de la Sécurité publique, 2017 QCCFP 32. 

[7] Morin, Fernand, et Jean-Yves Brière. Le droit de l’emploi au Québec. Montréal : Wilson & Lafleur, 1998,   paragraphe 101.

[8] Lauzon et Ministère de la Sécurité publique, 2017 QCCFP 27.

[9] Société de l’assurance automobile du Québec et Dussault, 2016 QCCFP 10.

[10]  Préc., note 6.

[11]  Préc., note 6.

 

[12] Préc., note 8.

 

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