[1] Les appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 29 mars 2017 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Johanne Mainville), accueillant le recours de l’intimée et condamnant solidairement les appelantes à lui payer 991 561,65 $ représentant le solde contractuel dû pour les services rendus par elle dans le cadre d’un contrat d’entreprise et 30 000 $ de dommages-intérêts pour abus de droit.
[2] Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent la juge en chef Duval Hesler et le juge Vauclair, LA COUR :
[3] ACCUEILLE en partie l’appel;
[4] MODIFIE le paragraphe 208 pour qu’il se lise dorénavant ainsi :
[208] CONDAMNE les défenderesses solidairement à payer à la demanderesse la somme de 991 561,65 $ plus les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec, mais réserve aux défenderesses Enerkem inc. et Enerkem Alberta Biofuels GP Inc. le droit d’invoquer le bénéfice de discussion au moment de l’exécution;
[5] INFIRME la conclusion contenue au paragraphe 209 condamnant les appelantes à payer 30 000 $ pour abus de droit;
[6] MAINTIENT toutes les autres conclusions;
[7] SANS les frais de justice en appel, vu le sort mitigé du pourvoi.
|
|
MOTIFS DE LA JUGE HOGUE |
|
|
[8] Les appelantes se pourvoient à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Johanne Mainville), daté du 29 mars 2017, accueillant la réclamation de l’intimée et condamnant solidairement les appelantes à lui payer 991 561,65 $ représentant le solde contractuel dû pour les services rendus par elle dans le cadre d’un contrat d’entreprise et 30 000 $ de dommages-intérêts pour abus de droit[1].
[9] Enerkem inc. (« Enerkem ») possède une technologie permettant de transformer des déchets en biocarburant. La ville d’Edmonton souhaite pouvoir en bénéficier et, à cette fin, entretient des discussions avec Enerkem.
[10] La société en commandite Enerkem Alberta Biofuels LP (« LP ») est alors mise sur pied. Le commandité est Enerkem Alberta Biofuels GP Inc. (« GP ») alors que Enerkem inc., EB Investments ULC et Waste Management of Canada Corporation en sont les commanditaires.
[11] Une entente intervient entre LP et la Ville aux termes de laquelle LP doit construire et exploiter, pendant 25 ans, une bioraffinerie modulaire permettant de valoriser les matières résiduelles de la Ville.
[12] LP retient les services de l’intimée Papillon et Fils Ltée pour la fabrication en atelier de 18 modules. Elles concluent quatre contrats ayant pour objet la fabrication de ces modules. Les parties à ces contrats sont d’une part Enerkem Alberta Biofuels LP « acting through its general partner Enerkem Alberta Biofuels G.P. Inc » et Papillon. Ils sont signés par Vincent Chornet et Patrice Ouimet (respectivement président et vice-président de LP) et par Stéphane Champoux (président de Papillon). Vincent Chornet est aussi administrateur et président de GP.
[13] La tuyauterie, les équipements mécaniques et l’appareillage électrique nécessaires à l’exploitation de l’usine sont installés dans ces modules qui sont livrés par camion au site de l’usine où ils sont assemblés.
[14] Papillon s’engage à les fabriquer et à y installer les pièces et les équipements décrits aux contrats conformément aux dessins d’ingénierie et de structure de type isométrique fournis par LP. Elle doit respecter plusieurs exigences et mettre en place un système de contrôle de la qualité, notamment des nombreuses soudures qui doivent être exécutées.
[15] Les contrats comportent tous un échéancier de fabrication ainsi que les dates auxquelles chacun des modules doit être livré. Ils contiennent également une clause de dommages liquidés en cas de retard : Papillon devra payer 2 % du prix total du contrat en cause pour chaque semaine complète de retard.
[16] Les contrats prévoient que la modification des échéanciers ne pourra se faire qu’en respectant certaines formalités énoncées à l’annexe G intitulée Change Order[2], dont l’article 1 se lit :
1. Supplier shall not, without an effective Change Order, make a Change to, substitute, delete, add to or otherwise modify the Procurement of the Equipment and/or the Schedule specified herein (« Change(s) »). Supllier shall have no right to make any claim for a Change in the Price and/or the Schedule unless in strict compliance with the terms of this Exhibit G. No course of conduct or dealings between the Parties, no express or implied acceptance of any Change and no claim that Enerkem has been unjustly enriched by any such Change, whether in fact there is any such unjust enrichment or not, shall form the basis for a right to claim a change in the Price and/or the Schedule unless such change is in compliance with this Exhibit G.
[17] La validité d’un avenant exige aussi que le formulaire contenu à l’annexe G soit rempli et signé par les deux parties.
[18] Le début des travaux étant retardé, il devient clair que les échéanciers convenus ne seront pas respectés. Les parties se rencontrent donc le 18 avril 2013 et élaborent de nouveaux échéanciers comportant de nouvelles dates de livraison des modules. Aucun avenant reflétant les nouveaux échéanciers n’est toutefois préparé.
[19] La position des parties quant au caractère obligatoire de ceux-ci diverge. Au procès, Papillon soutient que les parties n’ont convenu que de faire « tous les efforts possibles pour finaliser les modules dans les meilleurs délais » alors que LP maintient que les nouvelles dates de livraison se substituent aux anciennes et sont tout aussi impératives.
[20] Des problèmes surviennent et retardent la livraison des modules au-delà des dates prévues aux nouveaux échéanciers. À la fin du mois de juin 2013, Papillon, qui s’apprête à livrer plusieurs modules, transmet un courriel à LP lui demandant de confirmer qu’aucune pénalité due aux délais de livraison ne sera imposée. LP répond alors qu’ « à ce stade-ci [nous] ne prévoyons pas nous prévaloir de la clause de pénalité ». Elle expliquera dans le cadre des procédures qu’elle estimait que Papillon se livrait à du chantage en menaçant implicitement de ne pas livrer les modules et, qu’ainsi, elle a choisi de répondre de façon ambiguë afin de préserver ses droits. J’y reviendrai.
[21] Une fois les derniers modules livrés, en juillet et en août, Papillon demande que l’un des modules lui soit payé plus tôt que dans le délai de 30 jours prévu au contrat. Julie Vallières, gestionnaire de contrat, accepte de verser la moitié du prix, soit 174 600 $, puis le solde le 10 octobre 2013. Ce dernier versement ne sera toutefois pas effectué.
[22] LP explique avoir constaté de nombreuses non-conformités qu’elle dénonce formellement dans une lettre datée du 22 octobre 2013. Elle indique à Papillon que certains défauts de sa part lui ont occasionné des coûts additionnels de 67 891,06 $ pour superviser ses opérations, de 10 562,96 $ pour les services d’un inspecteur externe l’ayant assistée dans ce travail de supervision, d’environ 500 000 $ pour corriger de nombreuses non-conformités, et de 22 967,50 $ pour obtenir de nouveaux permis vu l’inexactitude des informations transmises par Papillon quant aux poids et dimensions des modules à être transportés. À ces sommes, LP ajoute une somme de 788 380,43 $ représentant les dommages liquidés prévus aux contrats pour les retards de livraison encourus.
[23] Elle invite alors Papillon à discuter d’un règlement acceptable.
[24] Les parties ne s’entendant pas et LP retenant le solde contractuel, Papillon introduit des procédures judiciaires le 22 janvier 2014 le réclamant. Soutenant avoir été victime d’abus de droit, elle y greffe une demande de 100 000 $ en dommages et réclame le remboursement de ses honoraires judiciaires.
[25] Les appelantes contestent cette réclamation et se portent demanderesses reconventionnelles. Elles réclament un total de 1 358 489,99 $ et demandent au Tribunal d’opérer compensation entre cette somme et le solde contractuel de 991 562,65 $ qu’elles reconnaissent être impayé. Cette somme se compose de a) 788 382 $ de dommages liquidés pour les frais de retard, b) 61 142,07 $ pour des coûts additionnels engagés pour superviser les opérations de Papillon, c) 27 202,90 $ pour des coûts de permis, d) 394 563,56 $ pour la correction des non-conformités et e) 87 199,46 $ en remboursement des frais juridiques engagés.
[26] En cours d’instance, les parties concluent toutefois une entente quant au coût de correction des non-conformités, qu’elles fixent à 70 000 $. Papillon déduit donc cette somme du solde contractuel qu’il réclame et les appelantes, en contrepartie, retirent leur réclamation relative aux non-conformités, réduisant ainsi leur demande reconventionnelle de 394 563,56 $.
[27] Le procès s’étale sur sept jours, sept témoins sont entendus et 88 pièces sont produites.
[28] La juge accueille presque entièrement la réclamation de Papillon et condamne les appelantes à lui payer le solde contractuel de 991 561,65 $ ainsi qu’une somme de 30 000 $ de dommages pour abus de procédures. Elle rejette par ailleurs la demande reconventionnelle des appelantes.
[29] Après avoir exposé les faits, elle analyse les contrats unissant LP à Papillon, expose les étapes de fabrication des modules en identifiant les obligations de chacune des parties, et traite des difficultés rencontrées et des retards encourus.
[30] Sur la base de la preuve administrée, elle estime d’abord que les retards encourus avant la confection des nouveaux échéanciers sont dus aux deux parties, mais que LP en est la principale responsable. Celle-ci, écrit-elle, a fait défaut de livrer les plans et les équipements aux dates prévues, a modifié la séquence de livraison, a apporté des changements à ses dessins, a mis des arrêts sur des plans déjà émis et a livré à Papillon des équipements « en désordre ».
[31] Retenant les témoignages des représentants de Papillon, elle conclut ensuite que celle-ci n’a pas accepté d’être assujettie aux dates de livraison des échéanciers élaborés en avril et en mai 2013, ajoutant que Papillon n’avait d’ailleurs pas tout en mains à ce moment pour finaliser les modules. LP, écrit-elle, a en effet apporté des changements aux plans isométriques postérieurement à l’établissement de ces échéanciers, a tardé à envoyer certains tuyaux, a remis à Papillon des valves défectueuses et lui a donné le nouveau mandat de procéder à des travaux d’isolation. Les retards ayant été principalement occasionnés par un différend quant aux tests devant être réalisés pour vérifier la qualité des soudures, la juge s’attarde aux documents contractuels, les interprète et conclut que LP aurait dû donner des instructions claires en début de contrat. Or, LP a plutôt ajouté un niveau d’approbation qui n’y était pas prévu et a retourné à Papillon des modules qui avaient été livrés et pour lesquels les parties avaient déjà signé les documents de relâche afin que les tests soient repris.
[32] Elle conclut ainsi que les retards causés par ces tests de soudure sont dus aux nouvelles instructions de LP.
[33] Elle poursuit et s’interroge sur la portée du courriel transmis par LP, en réponse à celui de Papillon, l’informant qu’à ce stade-ci elle ne prévoit pas se prévaloir de la clause de dommages liquidés applicable en cas de retard. Elle rejette la proposition de LP voulant que le courriel de Papillon comporte une menace voilée de ne pas livrer les modules et souligne, au contraire, l’esprit de collaboration qui a animé cette dernière tout au long du projet. Elle conclut alors que, dans ce contexte, LP ne peut invoquer la clause de pénalité pour les événements survenus avant l’envoi de ce courriel, tout en réservant son droit de le faire si de nouveaux événements, retardant de nouveau la livraison, devaient se produire.
[34] Elle rejette ensuite la réclamation pour la supervision effectuée à l’usine de Papillon au motif que le droit d’aller superviser l’exécution des travaux est un privilège dont LP bénéficie aux termes du contrat, mais dont elle doit assumer les frais.
[35] Elle réserve le même sort à la réclamation pour le coût d’obtention des permis supplémentaires, mais cette fois pour absence de preuve.
[36] Enfin, elle rejette la demande de remboursement d’honoraires extrajudiciaires, puisque LP n’a droit à ces frais que si elle a raison quant à l’une ou l’autre de ses réclamations.
[37] Papillon recherchant une condamnation contre chacune des appelantes, la juge s’intéresse ensuite à la solidarité pouvant exister entre elles.
[38] Analysant la preuve, elle en retient les faits suivants :
a) LP a confié à Enerkem inc. tous les travaux requis pour l’installation et la construction de l’usine tout en lui accordant le contrôle sur la manière dont les services devaient être rendus;
b) LP lui a accordé le dernier mot sur la sélection des sous-entrepreneurs et fournisseurs à être embauchés par elle;
c) LP a exigé qu’elle s’engage à défendre, à ses frais, toute réclamation pouvant survenir contre elle et la tenir indemne de tous dommages pouvant résulter de ses services;
d) tous ceux qui ont eu à faire avec Papillon étaient des employés d’Enerkem inc.;
e) ceux qui ont négocié et convenu des modifications aux échéanciers étaient des employés d’Enerkem inc.;
f) le site Internet d’Enerkem réfère à LP, mais le conseil d’administration auquel il réfère est celui d’Enerkem inc.;
g) la personne à la tête de LP et de GP est une employée de Enerkem inc. (art. 2244 C.c.Q.).
[39] Elle conclut alors qu’Enerkem inc. s’est immiscée dans les affaires de LP, ce qui lui fait perdre le bénéfice de la « structure sociétale » et engage sa responsabilité.
[40] Elle conclut donc à la responsabilité solidaire des appelantes, quoique ses motifs soient silencieux quant au fondement de la responsabilité de GP, le commandité.
[41] Quant à l’abus de droit allégué par Papillon, la juge conclut que les appelantes avaient le droit de prétendre à l’application de la clause pénale, même si elles n’ont pas eu gain de cause en définitive. Ceci étant, elle retient qu’elles ont gonflé leur réclamation liée aux non-conformités dans le seul but de retenir la somme due à Papillon, ce qui a encouragé la judiciarisation du dossier. Par conséquent, invoquant sa discrétion, elle les condamne à 30 000 $ de dommages-intérêts.
[42] Seules les appelantes se pourvoient à l’encontre de ce jugement, l’intimée n’ayant pas déposé d’appel incident à l’encontre du rejet partiel de sa réclamation en dommages pour abus de droit.
[43] Elles invoquent plusieurs moyens :
a) La juge ne pouvait condamner Enerkem inc. et GP, puisque seule LP est partie aux contrats conclus avec Papillon, que Enerkem inc. ne s’est pas immiscée dans ses affaires et que par surcroît aucune preuve n’a été faite que les biens de LP seraient insuffisants pour satisfaire la réclamation de Papillon;
b) Elle ne pouvait les condamner à payer 30 000 $ au motif qu’elles avaient abusé de leurs droits en gonflant leur réclamation liée aux non-conformités alléguées, puisque celle-ci ayant fait l’objet d’un règlement en cours de procès, elle ne pouvait trancher que son quantum était abusif;
c) Elle a commis des erreurs de droit et de fait en rejetant la réclamation relative aux retards, fondée sur les clauses pénales contenues aux contrats puisque :
i. les dates de livraison prévues aux échéanciers ne peuvent être modifiées que par un amendement aux contrats ou par un avenant, ce qui n’a pas été fait;
ii. elle ne pouvait inférer du courriel transmis par LP une renonciation à son droit d’invoquer les clauses pénales. Une renonciation doit être claire et non équivoque. Au surplus, LP a transmis ce courriel en réponse à une tentative d’extorsion de la part de Papillon;
iii. les retards postérieurs au 18 avril 2013 sont essentiellement attribuables au défaut de Papillon d’effectuer des tests de contrôle de qualité conformes aux normes en vigueur, une obligation expressément prévue au contrat;
d) Elle ne pouvait conclure que Papillon n’avait pas été mise en demeure, puisque la preuve révèle qu’une mise en demeure lui a été dûment transmise, en l’occurrence la lettre du 22 octobre 2013, et qu’elle fut avisée des non-conformités de façon détaillée;
e) Elle a commis des erreurs déterminantes en rejetant la réclamation pour les coûts additionnels occasionnés par la supervision de ses opérations, puisqu’il ne s’agissait pas là de la supervision routinière prévue aux contrats, mais bien d’une supervision additionnelle rendue nécessaire par les défauts de Papillon;
f) Dans la mesure où elle devait accueillir certaines de leurs réclamations, elle devait également accueillir celle visant le remboursement de leurs frais juridiques, puisque le contrat le prévoit.
[44] Papillon, pour sa part, soutient d’abord que la juge fait une analyse minutieuse de la preuve, s’expliquant lorsqu’elle retient une version plutôt qu’une autre, et ne commet ni erreur manifeste et déterminante ni erreur de droit. Les appelantes, dit-elle, tentent tout simplement de refaire le procès.
[45] Elle justifie ensuite la condamnation de GP par le fait que les parties n’ont pas fait de distinction entre la société en commandite et le commandité et ajoute que la loi albertaine stipule que le commandité devient responsable lorsqu’il prend part au « Control of the business ». Or, dit-elle, c’est cette loi qui est applicable en l’espèce.
[46] Quant à la condamnation de Enerkem inc., elle est justifiée par son immixtion dans les affaires de LP et par le contrôle qu’elle exerçait sur toutes ses activités.
[47] Qu’en est-il?
[48] Rappelons d’abord que la norme d’intervention applicable peut différer selon les questions soulevées. Ainsi, la Cour ne doit intervenir à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit que si la juge commet une erreur manifeste et déterminante[3] alors qu’elle doit intervenir eu égard aux questions de droit dès lors que la juge commet une erreur[4]. Finalement, elle ne doit intervenir quant aux questions relevant de l’exercice d’une discrétion que lorsque celle-ci est exercée de façon déraisonnable[5].
[49] Rappelons d’ailleurs que constituent des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit les questions d’interprétation de contrat[6].
[50] Ceci étant, j’estime plus commode de trancher les questions soulevées dans un ordre différent de celui adopté par les parties. Ainsi, je débuterai par déterminer s’il y avait lieu de rejeter les réclamations des appelantes. Je m’attarderai ensuite, le cas échéant, au fait qu’en sus de condamner la société en commandite, la juge a aussi condamné solidairement le commanditaire et le commandité et terminerai par l’analyse de la condamnation à des dommages-intérêts pour abus de procédure.
[51] Dans la mesure où la juge conclut que LP a renoncé à l’application de la clause de dommages liquidés pour les événements survenus avant le 27 juin 2013, il m’apparaît préférable de trancher d’abord cette question. Si l’appelant a raison de soutenir qu’elle a commis une erreur révisable en ce faisant, il y aura lieu d’évaluer son moyen voulant qu’elle ait également erré en retenant de la preuve que Papillon n’est pas la première responsable des retards encourus avant cette date. Si, au contraire, j’estime qu’elle a tort, cette analyse deviendra inutile et l’analyse pourra se limiter à sa conclusion voulant que Papillon ne soit pas davantage responsable des retards encourus après cette date.
[52] Le courriel contenant ce que la juge considère être une renonciation de la part de LP est transmis en réponse à un courriel reçu de Papillon, qui s’apprête à effectuer une livraison importante. Ce courriel se lit :
Bonjour Nathalie,
Suite à plusieurs discussions déjà tenue (sic) dans le passé entre nous, Julie Vallières et moi, et considérant les circonstances spéciales de réalisation des projets de fabrication, nous vous demande (sic) de nous confirmer qu’aucune pénalité dû (sic) aux délais de livraison ne sera imposée.
Une confirmation par réponse à ce courriel d’ici vendredi le 28 juin 2013 sera appréciée et nécessaire pour nous permettre de compléter la livraison de ces projets en toute confiance.
Vous remerciant de votre continuelle collaboration.
Salutations
[Transcription textuelle]
[53] LP dit y avoir vu une tentative d’extorsion, puisqu’il contient, selon elle, une menace de Papillon de ne pas livrer les modules si LP ne confirme pas son intention de ne pas exiger le paiement des dommages liquidés convenus. Elle réfère d’ailleurs à une note d’honoraires démontrant que Papillon a consulté son avocat relativement à un « courriel pour éviter la pénalité » et reproche à la juge de ne pas en faire mention. Elle justifie donc le caractère alambiqué de sa réponse par le fait qu’elle visait à satisfaire Papillon de façon à ce que celle-ci livre les modules, tout en préservant ses droits. Cette réponse se lit :
Stéphane,
Tel que discuté aujourd’hui, à ce stade-ci, nous ne prévoyons pas nous prévaloir de la clause de pénalité (intitulée « Liquidated Damages ») contenue aux différents contrats.
Cependant, il va sans dire qu’un tel courriel a été plutôt mal reçu par la direction d’Enerkem. Comme tu le sais, tous nos efforts sont présentement dirigés à assurer la livraison des derniers équipements et modules à Edmonton. Nous comptons sur la collaboration de tous nos fournisseurs, incluant celle de Mecanitec et la tienne, pour y parvenir et assurer une mise en service de l’usine à la date prévue, le tout avec comme objectif premier de minimiser l’impact financier des retards que nous connaissons.
Merci
[Transcription textuelle]
[54] L’argument du chantage est avancé par LP en première instance, mais la juge le rejette. Elle écrit :
[133] Le Tribunal ne peut interpréter le mot « nécessaire » utilisé dans le courriel de Champoux comme une preuve claire d’une intention sans équivoque d’une menace de ce dernier d’empêcher ou de retarder la livraison des modules.
[…]
[135] Cela est d’autant plus évident que tout au long du projet, Papillon n’a eu de cesse de collaborer avec Enerkem pour livrer les modules. Il n’y a aucune preuve démontrant que Papillon ait refusé d’exécuter son obligation à quelques moments que ce soit et ce jusqu’à la fin des travaux.
[136] D’ailleurs, plus d’une fois lors de son témoignage Park a fait mention de la grande collaboration des représentants de Papillon. À cet égard, son courriel du 2 octobre 2013 adressé à Nadeau est éloquent :
Wow…une saga qui se termine. Merci du heads up.
[…]
Et si je peux me permettre une note de sentimentalité, merci de ton implication et dévouement Pierre. Ça n’a pas été facile, mais de savoir que vous étiez toujours prêts à mettre la main à la pâte a beaucoup aidé, et c’est vraiment pas tous nos fournisseurs qui sont ainsi.
[137] Ainsi, la preuve démontre clairement qu’avant la discussion intervenue entre Champoux et Morin ou Vallière ayant mené à l’échange des courriels des 26 et 27 juin 2013, Enerkem n’a jamais fait quelque allusion que ce soit à Papillon d’une quelconque intention de se prévaloir de la clause de dommages liquidés prévue au contrat. De même, lors de la réception des modules par Enerkem au site de Papillon, tant lors de la première ronde de signatures des documents de relâche que de la deuxième, il n’a jamais été question d’imposer des pénalités de retard à Papillon. Mieux, le 27 juin 2013, Enerkem confirme son intention à « ce stade-ci » de ne pas s’en prévaloir. On comprend du courriel de Morin qu’Enerkem se réserve le droit de l’invoquer dans le futur advenant que de nouveaux évènements qui retarderaient la livraison se produisent.
[138] Or, Parke témoigne que, bien qu'il y ait eu des retards après le 27 juin 2013 par rapport à ce qu'Enerkem s'attendait, aucun évènement particulier n'est survenu après cette date qui aurait occasionné de nouveaux délais. La question relative aux problèmes de qualité de la soudure d'un des sous-traitants de Papillon a été réglée avant le 27 juin 2013.
[139] Il est clair du courriel du 27 juin 2013, qu'Enerkem renonçait à l'application de la clause pénale pour les évènements survenus avant cette date.
[140] Comme l'enseigne la jurisprudence et à cet égard le Tribunal fait siens les propos du juge Brossard dans Inter-Cité Construction Ltée qui la résume:
[95] [...] le Code civil du Québec érige la bonne foi en un principe général du droit des obligations, à la base de tout contrat, y compris dans la phase de l'exécution [...]
[96] Ce principe impératif de la bonne foi donne lieu à diverses applications, dont l'obligation de coopération entre les parties à un contrat, l'obligation de renseignement et le devoir de cohérence.
[97] Ainsi, commentant l'article 1375 C.c.Q, les auteurs Jobin et Vézina écrivent (référence omise):
[...] Au Québec comme en France, on affirme maintenant l'existence, à la charge de chaque partie, d'un devoir d'agir avec cohérence afin de ne pas tromper les attentes légitimes du cocontractant [...]
[141] Les parties ont une obligation de coopération laquelle « est destinée à faciliter l'exécution de l'obligation et se traduit par une collaboration créancier-débiteur destinée à créer un climat de confiance ». C'est ici que se situe « l'obligation d'information ou de renseignement qui fait partie de l'obligation de la « bonne foi ».
[142] Clairement, aviser par écrit de ne pas avoir l'intention pour l'instant d'appliquer la clause de retard et le faire par la suite, alors qu'aucun nouvel évènement le justifie, vise à tromper les attentes légitimes du cocontractant.
[143] Cela dit, le courriel de Champoux du 26 juin 2013 ne constitue pas une reconnaissance que le non-respect des dates prévues aux échéanciers des 18 avril et 2 mai 2013 pouvait entraîner des pénalités ni que la clause pénale prévus au contrat s'appliquait. Il ne s'agissait que d'un questionnement de celui-ci à la suite du commentaire de Morin ou de Vallières.
[Soulignement dans l’original; références omises]
[55] C’est donc à la lumière de l’ensemble de la preuve administrée que la juge interprète le courriel de LP et conclut qu’elle manque à son obligation d’agir de bonne foi en réclamant les dommages liquidés de Papillon. Quoiqu’il soit vrai qu’elle ne traite pas de la note d’honoraires et de la mention s’y trouvant, cela ne permet pas de conclure qu’elle commet une erreur manifeste et déterminante justifiant la Cour d’intervenir. D’ailleurs, son appréciation m’apparaît au contraire fort raisonnable.
[56] Les témoignages des représentants de LP démontrent que le courriel visait à rassurer Papillon en lui laissant croire que LP n’exigerait pas le paiement des dommages liquidés. C’est dans ce but qu’il est écrit et c’est ce que sa lecture suggère clairement.
[57] En permettant à LP de réclamer et d’obtenir paiement des dommages convenus malgré cette assurance donnée à Papillon, le Tribunal aurait cautionné un comportement visant à créer de fausses attentes. D’autres avenues s’offraient à LP si elle croyait sincèrement que Papillon se livrait à du chantage. Ayant choisi de rassurer son cocontractant, elle doit ensuite faire preuve de cohérence et de bonne foi.
[58] J’estime donc que la juge a eu raison de voir dans le courriel de LP une forme de renonciation et d’opposer à sa réclamation une fin de non-recevoir[7].
[59] Il est vrai que certains modules ne seront finalement livrés qu’en juillet et août 2013, mais la preuve ne permet pas de déterminer si la cause de ces nouveaux retards est distincte de celle ayant occasionné les retards précédents. L’obligation de Papillon d’exécuter les travaux à l’intérieur du délai convenu constitue, certes, une obligation de résultat[8], mais dans la mesure où la juge retient que les retards avant le 27 juin 2013 sont principalement dus au fait de LP et que la preuve ne permet pas d’établir que les retards subséquents découlent d’une autre cause, elle a raison de rejeter entièrement la réclamation de LP pour les retards. La clause de dommages liquidés applicable dans l’éventualité de livraisons tardives ne peut en effet s’appliquer lorsque les retards sont dus au fait du donneur d’ouvrage.
[60] LP reproche également à la juge d’avoir rejeté sa réclamation de 61 142,07 $ pour les coûts additionnels encourus pour effectuer une supervision accrue des opérations de Papillon, particulièrement celles visant le contrôle de qualité.
[61] À cet égard, la juge écrit :
[159] L’article 1 de l’«Exhibit F» prévoit ce qui suit :
Inspection at Place of Manufacture of the Modules
At its election and its sole costs, Enerkem shall have a right of continuous inspection, whether at Supplier’s facility or at any Subcontractors’ facility where Modules, components or any other deliverables are in progress.
[Soulignement dans l’original]
[160] Tel que le prévoit cette clause du contrat, l’inspection continuelle est le privilège d’Enerkem et elle doit se faire à ses frais seulement.
[161] Par ailleurs, l’«Exhibit G» du contrat prévoit que tout changement de prix de celui-ci doit faire l’objet d’une demande de changement (Request for change).
[162] Or, Enerkem n’a jamais formulé de demande de changement à cet égard ni transmis de mise en demeure relativement au paiement de ces coûts ou quant à cette réclamation avant la livraison des modules à Edmonton. De plus, Parke affirme avoir souvent discuté de sa présence accrue sur le site de Papillon avec ses supérieurs, mais il ne peut se souvenir d’en avoir formellement discuté avec les représentants de Papillon. Lorsqu’il l’a mentionné, c’était plutôt à la blague.
[163] De surcroit, ces inspections sont en lien avec les tests de qualité qui ont été refaits par Papillon à la demande d’Enerkem et pour lesquels le Tribunal ne tient pas Papillon responsable.
[164] Enfin, l’argument d’Enerkem voulant que Papillon ait fait preuve de nonchalance est contredit par la lettre de Parke du 2 octobre 2013 dans laquelle il remercie Nadeau pour son implication et son dévouement.
[165] Ce chef de réclamation est donc non fondé.
[62] Quoique je doute de la justesse de sa conclusion quant à la nécessité qu’une demande de changement soit émise pour qu’une telle réclamation soit recevable, il ne m’apparaît pas utile d’en décider.
[63] LP avait le fardeau de prouver que ce degré de supervision était inusité et causé par la négligence de Papillon. Or, vu l’absence de demeure, l’absence de preuve de nonchalance du coté de Papillon et la preuve des bonnes relations entretenues jusque-là par LP et Papillon, la juge a conclu que LP n’avait pas satisfait ce fardeau.
[64] Le rejet de l’ensemble des réclamations de LP étant ainsi justifié, il n’y a pas lieu de traiter de la réclamation de LP pour le remboursement des frais juridiques qu’elle a encourus, celle-ci reconnaissant que ce n’est que dans la mesure où l’une de ses réclamations devait être retenue qu’elle y aurait droit.
[65] Cela étant dit, la juge, en sus de condamner LP à payer le solde contractuel dû à Papillon, condamne également solidairement Enerkem inc., le commanditaire, et GP, le commandité.
[66] Devant la Cour, Papillon invoque le droit albertain pour justifier cette condamnation. Dans la mesure toutefois où elle ne l’a pas allégué en première instance et n’en a pas fait la preuve (art. 2809 C.c.Q.), j’estime qu’elle ne peut le faire maintenant et, à l’instar de la juge, j’analyserai la responsabilité d’Enerkem inc. et de GP à la lumière du droit québécois.
[67] Les articles 2244, 2246 et 2247 C.c.Q. régissent la responsabilité d’un commandité et celle d’un commanditaire :
2244. Les commanditaires ne peuvent donner que des avis de nature consultative concernant la gestion de la société.
Ils ne peuvent négocier aucune affaire pour le compte de la société, ni agir pour celle-ci comme mandataire ou agent, ni permettre que leur nom soit utilisé dans un acte de la société; le cas échéant, ils sont tenus, comme un commandité, des obligations de la société résultant de ces actes et, suivant l’importance ou le nombre de ces actes, ils peuvent être tenus, comme celui-ci, de toutes les obligations de la société.
[…]
2246. En cas d’insuffisance des biens de la société, chaque commandité est tenu solidairement des dettes de la société envers les tiers; le commanditaire y est tenu jusqu’à concurrence de l’apport convenu, malgré toute cession de part dans le fonds commun.
Est sans effet la stipulation qui oblige le commanditaire à cautionner ou à assumer les dettes de la société au-delà de l’apport convenu.
2247. Le commanditaire dont le nom apparaît dans le nom de la société, répond des obligations de la société de la même manière qu’un commandité, à moins que sa qualité de commanditaire ne soit clairement indiquée.
|
2244. A special partner may only give advisory opinions regarding the management of the partnership.
A special partner may not negotiate any business on behalf of the partnership or act as mandatary or agent for the partnership or allow his name to be used in any act of the partnership; should he do so, he is liable in the same manner as a general partner for the obligations of the partnership resulting from such acts and, according to the importance or number of such acts, he may be liable in the same manner as a general partner for all the obligations of the partnership.
[…]
2246. Where the property of the partnership is insufficient, the general partners are solidarily liable to third persons for the debts of the partnership; a special partner is liable for the debts up to the agreed amount of his contribution, notwithstanding any transfer of his share in the common stock.
Any stipulation whereby a special partner is bound to be surety for or assume the debts of the partnership beyond the agreed amount of his contribution is without effect.
2247. A special partner whose name appears in the firm name of the partnership is liable for the obligations of the partnership in the same manner as a general partner, unless his quality of special partner is clearly indicated. |
[68] La juge, en l’espèce, justifie la condamnation d’Enerkem inc., le commanditaire, par le fait que celle-ci se serait immiscée dans les affaires de la société en commandite LP, devenant ainsi tenue de ses obligations, comme un commandité, en vertu de l’article 2244 C.c.Q. Elle ne donne par ailleurs aucun motif pour justifier la condamnation de GP.
[69] Les appelantes contestent ces deux conclusions, soutenant que la responsabilité du commandité et celle du commanditaire ne peuvent être que subsidiaires, une fois démontrée l’insuffisance des biens de la société, et que celle du commanditaire n’est ainsi engagée que dans les cas d’immixtion, ce que la preuve ne démontre pas.
[70] Je traiterai d’abord de la responsabilité de GP pour ensuite aborder celle de Enerkem inc.
[71] Le commandité d’une société en commandite est autorisé à gérer la société et à l’obliger (art. 2236 C.c.Q.). Il a les pouvoirs, les droits et les obligations des associés de la société en nom collectif (art. 2238 C.c.Q.). La société en commandite a un patrimoine distinct de celui de ses constituants et c’est celui-ci qui doit d’abord être utilisé pour satisfaire les créanciers de la société[9]. Ce n’est qu’en cas d’insuffisance des biens de la société que le commandité est tenu solidairement des dettes de la société envers les tiers et que les créanciers non satisfaits pourront exercer leurs droits sur son patrimoine (art. 2246 C.c.Q.).
[72] La Cour a récemment reconnu le droit du créancier qui poursuit une société de poursuivre en même temps la société en commandite et le commandité sans avoir à démontrer l’insuffisance des biens sociaux. La condamnation qui peut être prononcée contre celui-ci est toutefois subsidiaire à celle prononcée contre la société et le commandité conserve le droit de faire valoir le bénéfice de discussion au moment de l’exécution du jugement :
[16] Au nombre des attributs juridiques de la société lui permettant d'affirmer son autonomie patrimoniale, le juge Rochon souligne la formulation de l'article 2221 C.c.Q. qui distingue les patrimoines pour le paiement des obligations de la société. Cet article prévoit que l'associé d'une société en nom collectif est tenu solidairement des obligations de la société contractées pour le service ou l'exploitation d'une entreprise de la société. Les associés jouissent cependant d'un bénéfice de discussion. Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement contre eux qu'après avoir discuté les biens de la société.
[17] La société en commandite est soumise au même régime par le biais de l’article 2249 C.c.Q., sous réserve de l'article 2246 C.c.Q. qui limite la responsabilité du commanditaire à son apport au fonds commun de la société.
[18] Avec respect pour le juge d'instance, celui-ci a commis une erreur de droit en concluant que les appelantes ne pouvaient poursuivre les intimées à moins de démontrer l'insuffisance de fonds des sociétés en commandite.
[…]
[26] Ainsi, le bénéfice de discussion prévu aux articles 2221 et 2246 C.c.Q. intervient au moment de l'exécution du jugement contre les commandités et non au moment d'entreprendre le recours. Pour reprendre les termes du juge Guthrie, « 2221 C.c.Q. ne représente pas autre chose qu'un ordre de collocation ». Le droit d'exercer d'un recours judiciaire contre les commandités ne saurait être subordonné à une simple mesure d'exécution.
[27] Deuxièmement, la discussion des biens sociaux ne retarde que la poursuite du paiement. Le lien de droit entre le commandité et le créancier de la société en commandite existe dès la formation de l'obligation entre le créancier et la société.
[28] Troisièmement, faire dépendre le recours contre le commandité de l'insuffisance des biens sociaux confond les notions de personnalité et de patrimoine. La distinction entre les patrimoines de la société et des commandités n’existe que dans la mesure où les biens sociaux sont suffisants. À compter de l’insuffisance des biens, le créancier peut exercer ses droits directement sur le patrimoine du commandité puisque la fiction juridique opérant séparation des patrimoines disparaît. Au contraire, la société ne dispose jamais d'une personnalité distincte de celle de ses commandités, même lorsque ses biens sont suffisants pour faire face à ses obligations. Une poursuite contre la société est effectivement une poursuite contre les commandités.
[29] L'identité de personnalité juridique entre la société en commandite et ses commandités est d'autant plus évidente lorsque l'on considère qu’une fois les biens sociaux discutés, le jugement contre la société en commandite est exécutoire directement contre le commandité.[10]
[Références omises]
[73] La juge pouvait donc condamner solidairement GP. Il aurait toutefois été souhaitable, pour éviter toute ambiguïté, de réserver le droit de GP de soulever le bénéfice de discussion dans l’éventualité d’une exécution forcée.
[74] La responsabilité du commanditaire pour les dettes de la société obéit quant à elle à des règles différentes, puisque l’insuffisance des biens de la société n’entraîne pas, de ce seul fait, sa responsabilité, le commanditaire n’étant tenu en principe que jusqu’à concurrence de l’apport qu’il a convenu d’apporter à la société (art. 2246 C.c.Q.).
[75] Le législateur a toutefois choisi de limiter les gestes qu’un commanditaire peut poser s’il veut bénéficier de cette limite de responsabilité. Ainsi, il ne peut que donner des avis de nature consultative concernant la gestion de la société et il ne peut négocier aucune affaire pour elle, agir comme son mandataire ou agent, ou permettre que son nom soit utilisé dans un acte de la société. S’il le fait - on dit alors qu’il s’immisce dans les affaires de la société - il devient tenu, comme un commandité, des obligations de la société résultant de ces actes ou, selon l’importance ou le nombre de ceux-ci, de toutes les obligations de la société (art. 2244 C.c.Q.). Il en est de même lorsque son nom apparaît dans le nom de la société sans que sa qualité de commanditaire ne soit clairement indiquée (art. 2247 C.c.Q.).
[76] Ces interdictions visent notamment à protéger les tiers en évitant qu’ils confondent le commanditaire avec la société en commandite ou encore le commanditaire avec le commandité et qu’ils contractent en croyant erronément que le commanditaire est leur cocontractant ou encore qu’il engage son patrimoine. Il n’est pas nécessaire de décider ici si ces articles servent aussi à protéger la société en commandite contre un commanditaire trop entreprenant.
[77] Ces règles établies par le législateur soulèvent en l’espèce deux questions :
a) Les actes posés par Enerkem inc. sont-ils suffisants pour conclure qu’elle s’est immiscée dans les affaires de LP?
b) Si oui, sa responsabilité est-elle subsidiaire à celle de LP?
[78] Rappelons d’abord que LP et Enerkem inc. ont conclu une entente par laquelle Enerkem inc. est devenue l’entrepreneur général chargé de gérer l’ingénierie, l’approvisionnement en équipement et la construction de l’usine d’Edmonton. Celle-ci contient une clause stipulant que Enerkem inc. n’est pas un agent de LP, mais la juge ne s’estimant pas liée par la qualification du contrat faite par les parties, ne lui confère aucun effet juridique.
[79] La juge analyse plutôt la preuve et conclut qu’il y a eu immixtion de la part d’Enerkem inc. :
[195] En l’espèce, en ce qui concerne les contrats avec Papillon, le Tribunal estime qu’il y a eu immixtion d’Enerkem inc. dans la gestion externe d’Enerkem LP rendant inopposable à celle-ci les structures sociétales de la société en commandite et emportant ainsi la responsabilité d’Enerkem inc., et ce, pour les raisons suivantes :
a) la nature des activités d’Enerkem LP inclut non seulement l’opération de l’usine, mais également sa construction, Enerkem LP ayant conclu les contrats pour la construction de l’usine avec Papillon;
b) dans l’entente signée le 17 décembre 2011, Enerkem LP confie tous les travaux requis pour l’installation et la construction de l’usine à son commanditaire Enerkem inc. (art 2.1(a)), et lui octroie tout le contrôle sur le design et la construction de l’usine ainsi que sur la manière dont les services doivent être effectués (art. 2.1(b));
c) selon l’entente, Enerkem inc. peut conclure des contrats avec des sous-entrepreneurs, fournisseurs et autres, mais les parties s’entendent également pour que d’autres contrats soient conclus par Enerkem LP. Toutefois, dans ce cas, les tiers contractants sont sélectionnés par Enerkem inc., bien qu’Enerkem LP ou GP doivent avoir eu l’opportunité de participer à la négociation (art 2.2(c)). En d’autres mots, c’est Enerkem inc. qui a le dernier mot;
d) l’article 6.1 de l’entente prévoit qu’Enerkem inc. devra défendre à ses frais toutes contestations pouvant subvenir contre Enerkem LP et tenir cette dernière indemne de tous dommages pouvant résulter de ses services prévus à l’entente;
e) toutes les personnes ayant eu affaire avec Papillon dans le cadre de l’exécution des contrats P-1 à P-4 étaient des employés d’Enerkem inc., soit Parke, Morin, Vallières, M. Chornet, Me Maude Perras ainsi que Ouimet qui a signé les contrats P-2 à P-4 et l’entente du 17 décembre 2011 à titre de vice-président et trésorier du commandité Enerkem GP;
f) les modifications aux contrats P-1 à P-4 quant aux calendriers des échéances ont été convenues et agrées par des employés d’Enerkem inc.;
g) par ailleurs, le site internet d’Enerkem réfère à Enerkem Alberta Biofuels mais le conseil d’administration auquel le site renvoie correspond au conseil d’administration d’Enerkem inc., ce qui crée de la confusion puisque l’on ne réfère pas à un conseil d’administration distinct;
h) enfin, le fait que V. Chornet soit à la tête du commandité et du commanditaire et que Ouimet est employé d’Enerkem inc., et vice-président et trésorier d’Enerkem GP n’implique pas en soi ou ne crée pas de présomption qu’il y a immixtion du commanditaire dans les affaires de la société. Cependant, en l’espèce, il s’agit d’éléments qui s’ajoutent aux autres.
[196] Bref, il est clair que, dans les faits, Enerkem inc. était le donneur d’ouvrage, à tout le moins en ce qui concerne Papillon, et qu’elle agissait pour le compte de la société en commandite comme mandataire ou agent de celle-ci. Le Tribunal conclut donc qu’il y a eu immixtion du commanditaire dans les affaires de la société en commandite, ce qui engage la responsabilité d’Enerkem inc.
[80] Les appelantes, citant un article de Paul Martel[11], soutiennent qu’il n’y a immixtion, et conséquemment responsabilité du commanditaire, que lorsqu’il est démontré que le tiers créancier a cru que le commanditaire, en raison de sa conduite, était un commandité ou qu’il était celui qui s’engageait.
[81] Ce n’est pas tout à fait ce qu’écrit Paul Martel qui ne fait référence à ce qu’il appelle le creditor (ou specific) reliance test que lorsqu’il résume la jurisprudence américaine et identifie les deux critères qu’elle utilise pour évaluer l’intervention du commanditaire. Il souligne qu’il n’a pas été retenu par la jurisprudence canadienne en raison de son absence de support statutaire, du moins ailleurs qu’au Manitoba, mais qu’il semble pertinent au Québec. Il suggère alors qu’une interprétation de l’article 2244 C.c.Q. en ce sens est possible :
La jurisprudence (incluant les trois arrêts susmentionnés) et la doctrine anglo-canadienne qui insistent sur les notions de contrôle et de participation à la gestion interne et rejettent le creditor reliance test, ne peuvent être importées pour interpréter l’article 2244 C.c.Q. qui, lui, délaisse les premières notions et se concentre sur les actes de gestion externe, pour lesquels le creditor reliance test est pleinement pertinent.
Le second alinéa de l’article 2244 du C.c.Q. assujettit clairement la responsabilité du commanditaire au fait qu’il « négocie une affaire pour le compte de la société », « agisse pour le compte de la société comme mandataire ou agent » ou « permette que son nom soit utilisé dans un acte de la société », lesquels sont tous des gestes qui peuvent inciter à croire ou qui peuvent laisser croire à des tiers que le commanditaire est un commandité. La responsabilité est directement liée aux actes posés auprès des tiers. Le premier alinéa reconnaît le droit du commanditaire de donner des avis de nature consultative concernant la gestion de la société en commandite, mais ne rattache aucune responsabilité au fait qu’il joue éventuellement un rôle plus actif dans la gestion de celle-ci.
Pour donner du sens au premier alinéa, on pourrait l’interpréter comme constituant une condition additionnelle pour la responsabilité du commanditaire : la nécessité qu’un commanditaire joue un rôle actif dans la gestion de la société en commandite. Comme c’était récemment le cas aux États-Unis, pour qu’un commanditaire puisse être tenu responsable, il faudrait à la fois qu’il ait participé activement dans la gestion des affaires de la société en commandite (c’est-à-dire, aller au-delà du simple avis de nature consultative) et qu’un tiers se soit « fié de façon spécifique » sur ce qu’il croyait être la responsabilité générale du commanditaire en raison de l’un des gestes « proscrits » énumérés au second alinéa de l’article 2244 C.c.Q.
Le premier alinéa de l’article 2244 C.c.Q. serait considéré comme établissant une règle de non-ingérence interne des commanditaires qui n’a d’effet qu’entre les parties contractantes au contrat de société et non quant aux tiers (les tiers n’ont de toute manière accès ni au contrat de société, ni au fonctionnement interne de la société), conformément au principe de la relativité des contrats énoncé à l’article 1440 C.c.Q. Le second alinéa énoncerait les circonstances et les conséquences des trois « cas permis par la loi » permettant aux tiers de se prévaloir de la règle.
Qu’une telle interprétation soit correcte ou non, il semble clair que le seul fait qu’un commanditaire ait joué un rôle actif dans la gestion de la société en commandite ne puisse engager sa responsabilité à titre de commandité s’il n’a pas aussi commis l’un des gestes énumérés au second alinéa de l’article 2244 C.c.Q.
[82] Or, quoique je sois d’accord avec sa proposition voulant que les actes de gestion interne posés par un commanditaire soient insuffisants pour permettre aux tiers de le tenir responsable des dettes de la société et que je reconnaisse que l’interdiction posée vise notamment à protéger les tiers, je ne vais pas aussi loin que d’exiger d’eux qu’ils démontrent avoir effectivement cru que le commanditaire était un commandité ou que le commanditaire s’engageait. Rien, selon moi, ne justifie de leur imposer ce fardeau. Il appartient plutôt aux commanditaires, qui tirent avantage de la structure de la société en commandite, de respecter les contraintes que la loi leur impose.
[83] Le législateur, à l’article 2244 C.c.Q., a identifié trois actes qui rendent le commanditaire responsable comme un commandité et n’a pas jugé bon d’ajouter, comme condition, que les tiers démontrent avoir effectivement été induits en erreur quant au statut du commanditaire au sein de la société. Contrairement à l’institution du mandat apparent, qui exige que la faute du mandant ait conduit à la croyance erronée du tiers en l’existence d’un mandat (art. 2163 C.c.Q.), l’immixtion n’exige pas la démonstration d’une croyance erronée chez le tiers.
[84] J’estime ainsi qu’il n’y a pas lieu d’imposer ce fardeau supplémentaire aux tiers et que la responsabilité du commanditaire doit être engagée dès lors qu’il outrepasse les limites établies et pose l’un des actes interdits, ce qui est le cas en l’espèce. Enerkem ne conteste pas les conclusions de la juge à cette égard : elle dit seulement que Papillon ne croyait pas qu’Enerkem inc. était une commanditée et elle dit que le contrat de service est un acte de gestion interne tout au plus.
[85] Les appelantes ont aussi suggéré, lors de l’audience, que les règles sur l’immixion devraient s’apparenter à celles de la levée du voile corporatif. Non seulement cela ne se reflète pas dans le texte du Code, mais cette proposition est conceptuellement intenable. Le risque de la responsabilité illimitée du commanditaire qui s’immisce dans la gestion de la société découle de l’absence de personnalité juridique distincte de la société en commandite. Or, c’est cette absence de personnalité distincte qui confère les avantages (notamment fiscaux) que retirent les commanditaires qui choisissent cette forme de société[12]. Lorsqu’elle demande que soient appliquées des règles analogues à celles du voile corporatif pour limiter sa responsabilité, Enerkem inc. demande à la fois le beurre (les avantages qu’elle retire de l’absence de personnalité distincte de LP) et l’argent du beurre (la responsabilité limitée de l’actionnaire d’une société par actions). Cette demande doit être rejetée.
[86] Ceci étant, le législateur a édicté que le commanditaire devient tenu « comme un commandité » des obligations de la société en commandite, ce qui veut dire que sa responsabilité n’est aussi que subsidiaire à celle de la société et que son patrimoine ne servira à satisfaire les créanciers de la société que si les biens de celle-ci s’avèrent insuffisants. Il peut donc, comme le commandité, invoquer le bénéfice de discussion lors d’une éventuelle exécution de jugement et il y a lieu de le préciser.
[87] Il ne demeure donc qu’à déterminer si la juge erre en condamnant les appelantes à des dommages-intérêts pour abus de droit.
[88] Papillon réclamait 100 000 $ de dommages pour l’abus de droit qu’elle allègue avoir été commis par les appelantes. Les allégués de sa requête introductive d’instance amendée démontrent qu’elle soutenait que cet abus découlait du fait que les appelantes, après s’être expressément engagées à lui payer 174 600 $, ont invoqué des prétextes pour ne payer ni cette somme ni le solde contractuel, lui réclamant plutôt 500 000 $ pour corriger des malfaçons et 788 380,43 $ pour des retards.
[89] Saisie de cette demande, la juge conclut d’abord que la réclamation des appelantes pour les retards encourus, quoique rejetée, n’était pas abusive. Étant d’avis que l’entente intervenue en cours de procès ne l’empêche pas d’examiner la question de la validité de la réclamation pour malfaçons, elle passe ensuite à celle-ci et l’estime grossièrement exagérée. Elle y voit une manœuvre des appelantes pour ne pas payer le solde contractuel.
[90] Elle identifie plusieurs éléments au soutien de sa conclusion, mais ses motifs démontrent que son constat voulant que les appelantes ont gonflé le nombre et la valeur des non-conformités pour ne pas payer Papillon en est la base. Elle écrit :
[201] À cet égard, le Tribunal estime qu’Enerkem a commis un abus de droit en retenant des sommes bien au-delà de ce qui était nécessaire, alors qu’une personne raisonnable placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle envoie sa lettre le 22 octobre 2013 et, par la suite, lorsqu 'elle produit sa défense et demanderesse reconventionnelle, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour un montant aussi élevé, et ce, pour les motifs suivants :
a) avant que les modules soient relâchés, ils ont tous été vérifiés par Parke. Ce dernier affirme à l’audience que ses vérifications étaient aléatoires. Toutefois, lors de sa déposition hors cour, il compare celles-ci à une inspection que ferait une personne qui achète une maison neuve, mais en plus détaillée. Pour sa part, Nadeau témoigne avoir été avec Parke lors des visites et que celles-ci prenaient entre trois et quatre heures par module. Il est donc invraisemblable qu’une fois à Edmonton, Enerkem découvre 204 non-conformités qui seraient attribuables à Papillon;
b) la visite de Nadeau à Edmonton démontre que la plupart des non-conformités identifiées par les représentants d'Enerkem étaient visibles à l'oeil nue. À titre d’exemple, mentionnons l’absence de caillebotis à de nombreux endroits. Or, M. Chornet a témoigné qu’il n'avait pas communiqué avec l’équipe de Trois-Rivières pour savoir ce qu’il en était des caillebotis. Il ne savait pas que des instructions avaient été données par Parke à Papillon de couper à maints endroits le caillebotis afin que les modules puissent entrer dans les camions envoyés par Enerkem. Papillon n’était pas responsable du fait que le véhicule du transporteur envoyé par Enerkem n’était pas adéquat. Affirmer par la suite qu’Enerkem s'attendait à ce que Papillon vienne à Edmonton réparer le caillebotis ou que Papillon retourne à Enerkem les morceaux coupés, qui n’étaient plus que des retailles, est non crédible;
c) après avoir reçu tous les modules, alors que ceux-ci étaient relâchés depuis quelques mois en attente d’être ramassés au site de Papillon, Enerkem avise celle-ci pour la première fois le 23 octobre 2013 qu’elle retient une somme de 500 000 $ pour les non-conformités. Toutefois, elle n’intente pas de procédure contre Papillon. Deux mois plus tard, soit le vendredi 23 décembre 2013 à 16 h, elle indique à Papillon en quelques lignes en quoi le travail en mécanique serait non conforme. Elle estime les coûts à 190 000 $. L'information quant aux non-conformités électriques ne suivra que le 31 janvier 2014 avec une valeur estimée à 25 267 $;
d) par ailleurs, pour justifier sa réclamation, Enerkem transmet à Papillon avec son avis de non-conformité des photos non identifiées et exige une réponse pour le 7 janvier 2014. Or, non seulement est-il impossible pour Papillon d’évaluer sa responsabilité à partir des documents transmis par Enerkem, mais les propres représentants de cette dernière seront incapables sur place d'identifier les non-conformités avec les photos lors de la visite de Papillon sur le chantier d'Enerkem;
e) à la suite de cette visite, Nadeau a consacré de nombreuses heures à faire une analyse minutieuse et méticuleuse des non-conformités. Or, Enerkem ne répond pas aux commentaires que Papillon lui envoie le 23 février 2014, dans lesquels celle-ci reconnaît être responsable de certaines non-conformités qu’elle estime à une valeur inférieure à 50 000 $ et refuse toujours de libérer la somme de 174 600 $,alors que le 13 septembre 2013, elle s’est engagée à la verser le 10 octobre 2013;
f) au surplus, le 5 février 2014, la procureure d’Enerkem avise le procureur de Papillon que la visite des représentants de Papillon sera pour constater les non-conformités identifiées NCA-81 et NCR-82 et qu’Enerkem ne prévoit pas présenter d’autres avis. Or, Enerkem transmettra au moins deux autres NCR par la suite;
g) enfin, lors des audiences, Parke affirme avoir approuvé la NCA-81, mais la preuve démontre que ce n’est qu’au procès qu’il l’a examiné.
[202] La procédure de document de relâche·« Record of release », servait précisément à ce qu’Enerkem s’assure qu’il n’y avait pas de non-conformité évidente. Sauf le module 601, tous les modules ont été inspectés avant d’être approuvés. En principe, une fois les modules relâchés, si vices il y a, il doit s'agir de vices cachés. Il est possible que quelques déficiences aient été oubliées, ce qui a été le cas en l’espèce, et admis par les parties, mais il y a une marge entre quelques déficiences oubliées et l’identification de 204 non-conformités.
[203] Il est clair et évident qu’Enerkem a gonflé la valeur des non-conformités attribuables à Papillon pour une somme de 429 779 $ dans le seul but de ne pas payer la retenue contractuelle.
[204] Outre l’attitude cavalière que ses représentants ont manifestée à l'égard des demandes de Papillon et lors de la visite à Edmonton, dès le mois d'octobre 2013 et au plus tard en février 2014, Enerkem aurait pu clarifier la situation avec Papillon au lieu de s’obstiner à retenir une somme substantiellement supérieure pour des réclamations qu'elle savait être non fondées ou qu'elle se refusait à évaluer à leur juste mérite.
[205] Enfin, l'attitude intransigeante d'Enerkem n’est pas étrangère à l’escalade malheureuse des procédures en l'espèce. En refusant d’acquitter le solde du prix du contrat alors que des déficiences mineures restaient à corriger, en négligeant d’offrir une pleine collaboration à Papillon quant aux déficiences découvertes après la livraison des modules, en refusant d'étudier au mérite chacune des non-conformités alléguées à la suite du travail de Nadeau et en refusant de libérer la somme de 174,600 $, Enerkem a encouragé la judiciarisation du dossier.
[206] Tenant compte de l’ensemble des circonstances, et utilisant sa discrétion en la matière, le Tribunal accorde à Papillon une somme de 30 000 $ à titre de dommages résultant des honoraires et déboursés extrajudiciaires qu’elle a encourus et qui sont une conséquence directe du comportement abusif d'Enerkem.
[Références omises]
[91] Or, je suis d’avis qu’elle ne pouvait se prononcer sur le nombre et la valeur réelle des non-conformités attribuables à Papillon vu l’entente intervenue en cours de procès. Il s’agit là d’une question d’équité procédurale.
[92] Il était en effet inutile pour les appelantes, une fois la transaction conclue, de faire une preuve complète quant au nombre et quant à la valeur des non-conformités attribuables à Papillon et quoique certains témoins en aient traité, il est manifeste que la preuve qui a été administrée est incomplète.
[93] Ce volet de la réclamation de Papillon ayant été réglée, les appelantes pouvaient tenir pour acquis qu’il n’était plus nécessaire de s’attarder sur cet enjeu et on ne peut leur reprocher de ne pas avoir offert une preuve complète.
[94] Il est vrai que l’entente intervenue stipule qu’elle est faite « sans renonciation aucune à l’égard de toutes les autres réclamations de part et d’autre » et qu’ainsi Papillon pouvait maintenir sa réclamation pour abus de droit. Elle ne pouvait toutefois fonder celle-ci sur le fait que les appelantes avaient gonflé le nombre et les coûts engendrés par les non-conformités, puisqu’elle avait accepté que cette question ne soit plus en litige. Si elle entendait toujours faire valoir ce moyen au soutien de sa réclamation pour abus de droit, elle devait le faire savoir aux appelantes de façon à ce que celles-ci puissent agir en conséquence. Elle ne l’a pas fait.
[95] Ainsi, la juge ne pouvait s’appuyer sur le fait que les appelantes avaient gonflé le nombre et la valeur des non-conformités pour conclure à un abus de droit et, puisque ce fait est essentiel à sa conclusion d’abus de droit, il y a lieu d’infirmer celle-ci.
[96] Je suggère donc à la Cour d’accueillir en partie le pourvoi aux seules fins de casser la condamnation des appelantes à payer 30 000 $ pour abus de droit et de réserver à Enerkem inc. et à Enerkem Alberta Biofuels GP Inc. le droit d’invoquer, le cas échéant, le bénéfice de discussion.
|
|
MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
[1] Papillon et Fils ltée c. Enerkem Alberta Biofuels, 2017 QCCS 1242 [Jugement entrepris].
[2] Art. 14.8 des conditions générales des contrats.
[3] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, paragr. 37; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, paragr. 44; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, paragr. 39.
[4] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, paragr. 8; Teal Cedar Products Ltd. c. Colombie-Britannique, 2017 CSC 32, paragr. 44; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, paragr. 53.
[6] Larouche c. Néron, 2016 QCCA 692, paragr. 5; Lamco II s.e.c. c. Québec (Ville), 2016 QCCA 757, paragr. 2; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 R.C.S. 633, paragr. 47-50.
[7] Hydro-Québec c. Construction Kiewit Cie, 2014 QCCA 947.
[8] Guy Sarault, Les réclamations de l’entrepreneur en construction en droit québécois, Cowansville, Yvon Blais, 2011, paragr. 382-383.
[9] Ferme CGR enr., s.e.n.c. (Syndic de), 2010 QCCA 719, paragr. 66 et 68.
[10] Québec inc. c. 9086-4752 Québec inc., 2014 QCCA 2258.
[11] Paul Martel, « Droits et sociétés. Société en commandite : l’immixtion des commanditaires dans la gestion est-elle vraiment une source de responsabilité? » (2006) R. du B. 247, p. 260, 261.
[12] J. Anthony VanDuzer, The Law of Partnerships and Corporations, 3e éd. (Toronto: Irwin Law, 2009), p. 84-86; voir aussi R. Taplin et A. Wanke, “Form over substance : Structuring a mining joint venture” (2019) Mining prospects : trends and developments in mining law in Canada and internationally, (McCarthy Tétrault, 2019), en ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/publications-cabinets/mccarthy/2019/ a100888/en/PC-a114352 (consulté le 21-06-2019).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.