LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 13 mai 1997 DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Me Jean-Yves DESJARDINS, DE MONTRÉAL avocat RÉGION: RICHELIEU-SALABERRY ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Dr Jean-Paul Brault, médecin DOSSIER: 68007-62-9503 DOSSIER CSST: 001895846 AUDIENCE TENUE LE: 9 octobre 1996 DOSSIER BR: 61719045 À: Montréal LA SUCCESSION DE FEU RAYMOND LARAMÉE a/s de madame Diane Laramée, veuve 11, rue Boudreau Lacolle (Québec) J0J 1J0 PARTIE APPELANTE et VILLE DE MONTRÉAL a/s de monsieur Luc Doré, conseiller en personnel 413, rue Saint-Jacques 5ème étage Montréal (Québec) H2Y 1N9 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 29 mars 1995, le travailleur, monsieur Raymond Laramée, en appelle d'une décision rendue, le 22 février 1995, par le Bureau de révision de la région de Richelieu-Salaberry (le Bureau de révision).Par cette décision unanime, le Bureau de révision maintient la décision rendue, le 31 mai 1994, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission), par laquelle elle conclut que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle, le 12 mai 1994, soit une rechute, une récidive ou une aggravation de la lésion professionnelle qu'il a subie lors de l'événement initial du 9 janvier 1989 et conclut qu'il n'a pas droit, en conséquence, aux indemnités prévues par la loi.
Par la suite, le travailleur est décédé, le 13 septembre 1995.
C'est sa succession qui poursuit le présent appel.
OBJET DE L'APPEL L'appelant demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision rendue par le Bureau de révision, de conclure qu'il a subi une lésion professionnelle, le 12 mai 1994, soit une rechute, une récidive ou une aggravation de la lésion professionnelle qu'il a subie lors de l'événement initial du 9 janvier 1989, et de déclarer qu'il a droit aux indemnités prévues par la loi pour la période du 12 mai 1994 au 20 mai 1995.
MOTIFS DE LA DÉCISION Après avoir pris connaissance de tous les documents au dossier, entendu les différents témoignages et considéré les argumentations présentées, la Commission d'appel rend la décision suivante.
La Commission d'appel doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 12 mai 1994.
L'article
2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) définit ainsi l'expression «lésion professionnelle» : 2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par: [...] «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; [...] En l'instance, aucune preuve ne démontre qu'un accident du travail soit survenu, le 12 mai 1994, ni que le travailleur était atteint d'une maladie professionnelle à cette date. Il faut donc déterminer si ce dernier a subi, le 12 mai 1994, une rechute, une récidive ou une aggravation d'une lésion professionnelle survenue antérieurement.Les notions de récidive, de rechute ou d'aggravation d'une blessure ou d'une maladie survenue par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail sont donc comprises dans la notion de «lésion professionnelle». Comme elles ne sont pas définies dans la loi, il faut se référer à leur sens courant pour en comprendre la signification.
Un examen rapide des définitions qui en sont données dans les dictionnaires de la langue française permet de dégager une tendance dans le sens d'une reprise évolutive, d'une réapparition ou d'une recrudescence d'une lésion ou de ses symptômes.
De l'avis de la Commission d'appel, il n'est, par ailleurs, pas nécessaire que la récidive, la rechute ou l'aggravation résulte d'un nouveau fait, à caractère accidentel ou non. Il faut toutefois que la preuve prépondérante établisse qu'il y a une relation entre la pathologie présentée par un travailleur à l'occasion de la récidive, de la rechute ou de l'aggravation alléguée et celle survenue par le fait ou à l'occasion de l'accident du travail initial.
La preuve démontre que le travailleur fut affecté à de nouvelles tâches à compter du 18 avril 1994. Le médecin traitant du travailleur, le docteur Robert Filiatrault, neurologue, affirme, lors de son témoignage, que le changement dans les tâches du travailleur fut responsable d'une augmentation de sa symptomatologie cervicale et de la rechute, récidive ou aggravation qu'il allègue avoir subi, le 12 mai 1994.
Le docteur Filiatrault conclut à une aggravation de la condition du travailleur, le ou vers le 12 mai 1994, en raison d'une augmentation de sa symptomatologie cervicale. Or, une augmentation des douleurs constitue un signe subjectif qui ne peut justifier à lui seul l'aggravation de la condition d'un travailleur. De l'aveu même du docteur Filiatrault, c'est le seul signe qui lui permette de conclure à une aggravation de la condition du travailleur. Il ajoute, lors de son témoignage, qu'il n'a pas effectué une expertise médicale en 1994 ou en 1995 qui lui aurait permis d'établir si le travailleur présentait une augmentation de l'ankylose articulaire de la colonne cervicale, démontrée par une augmentation de la perte de l'amplitude articulaire des mouvements du rachis cervical.
Donc, la Commission d'appel conclut que le docteur Filiatrault n'a constaté aucun signe objectif, lors de ses examens contemporains, qui lui permette de conclure, à cette époque, à une aggravation de la condition du travailleur.
Le travailleur a passé deux électromyogrammes, les 9 avril 1990 et 23 juin 1994. Selon le docteur Filiatrault, les conclusions des deux électromyogrammes ne permettent pas de conclure à une aggravation de la condition du travailleur. Dans les deux cas, on retrouve des signes compatibles avec de la réinnervation au niveau du myotome C6-C7 gauche, sans dénervation active cependant.
Par contre, le deuxième électromyogramme montre que les nerfs radial, médian et cubital sensitifs ont tous une amplitude réduite d'environ 20 à 35 % comparativement aux résultats du premier électromyogramme effectué quatre ans plus tôt. Le neurologue qui interprète les résultats, conclut qu'une polyneuropathie axiale est apparue depuis, au niveau des deux membres supérieurs. Il est d'avis que cette polyneuropathie est d'origine diabétique, le travailleur étant diabétique depuis 1992.
Dans une lettre datée du 23 juin 1994, le docteur Filiatrault interprète ainsi les résultats du deuxième électromyogramme: «Ce patient avait déjà été examiné en EMG le 9 avril 1990, et nous avions mis en évidence des signes de réinnervation en C6-C7 gauche, compatibles avec une radiculopathie chronique discale. Depuis ce temps, il a développé un diabète, et accuse une accentuation de sa faiblesse en paresthésie au niveau du bras gauche.
Il a également des paresthésies occasionnelles sous forme de froideur au niveau de la jambe gauche, et ressent une moindre force au niveau de ses bras.
L'examen EMG d'aujourd'hui confirme l'existence d'une détérioration de sa capacité sensitive au niveau de l'ensemble des nerfs sensitifs, l'amplitude étant diminuée d'environ 20 à 35% pour l'ensemble des nerfs vérifiés. Il y a également les séquelles de radiculopathie au niveau C6-C7 toujours présentes et stables.
IMPRESSION: Polyneuropathie diabétique apparue depuis 1990.
Séquelles de hernie discale C6-C7 gauche associée.
PLAN: Dans un but de sécurité, il m'apparaîtrait préférable que ce patient puisse réintégrer son travail antérieur de chauffeur/magasinier, compte tenu de la diminution de la capacité sensitivo-motrice au niveau de ses membres supérieurs, le tout relié à sa polyneuropathie diabétique qui s'est développée depuis 3 ans.» (Les soulignements sont du soussigné.) Or, le docteur Filiatrault mentionne, lors de son témoignage, que la polyneuropathie diabétique dont souffre le travailleur est une condition personnelle qui n'a rien à voir avec la lésion professionnelle qu'il a subie, le 9 janvier 1989.
Donc, les signes objectifs d'aggravation démontrés par le deuxième électromyogramme, sont en relation avec le diabète du travailleur et non pas avec la lésion professionnelle qu'il a subie, le 9 janvier 1989.
Le 4 août 1994, le travailleur est examiné, à la demande de l'employeur, Ville de Montréal, par le docteur Jacques Lachapelle, neurologue. Dans son rapport d'expertise, il mentionne ceci: «EXAMEN PHYSIQUE (...) À l'examen du rachis cervical, les courbures physiologiques sont bien conservées et il n'y a pas de spasme musculaire paravertébral. La motilité active du rachis cervical est diminuée de plus de 50% et affecte tant les mouvements volontaires de flexion latérale que de rotation, d'extension ou de flexion. Les mouvements passifs sont de bonne amplitude mais font apparaître une grimace douloureuse.
À l'examen neurologique, monsieur Laramée rapporte un changement qualitatif d'appréciation du tact et de piqûre à l'ensemble de la main gauche et à la face radiale de l'avant-bras. La force musculaire segmentaire est normale et n'objective aucune faiblesse dans tous les myotomes examinés. La coordination est bonne et les mouvements alternés sont exécutés rapidement avec bonne dextérité. Les réflexes ostéo- tendineux sont bien présents et symétriques.
L'examen neurologique des membres inférieurs est normal et ne montre ni signe de polyneuropathie ni signe de radiculopathie. Les réflexes sont présents avec renforcement, il n'y a pas de déficit sensitif et la force musculaire segmentaire est normale.
CONCLUSION (...) Cliniquement, la cervicalgie est purement subjective et ne s'accompagne pas de radiculalgie ou de radiculopathie. Le déficit sensitif rapporté subjectivement à la main gauche ne correspond aucunement à un territoire périphérique, radiculaire ou central. L'examen neurologique n'objective pas non plus de signe clinique de polyneuropathie aux membres inférieurs. Les diagnostics d'atteinte radiculaire cervicale et de polyneuropathie sont donc appuyés uniquement sur des données électrophysiologiques et n'ont aucune corrélation clinique.
L'augmentation de la douleur alléguée depuis le changement d'affectation n'est pas appuyée par une aggravation du tableau neurologique et le diagnostic d'entorse cervicale posé en 1989 est maintenu.
L'aggravation subjective de la douleur n'impose pas de limitations fonctionnelles plus sévères que celles déjà émises et acceptées à la suite de l'incident de 1989.» (sic) (Les soulignements sont du soussigné.) Donc, selon le docteur Lachapelle, la diminution des mouvements lors de la mobilité active du rachis cervical, semble être purement subjective.
La Commission d'appel conclut donc qu'il n'y a pas de preuve objective d'une aggravation de la condition du travailleur, le 12 mai 1994, qui soit en relation avec la lésion professionnelle qu'il a subie, le 9 janvier 1989.
Par ailleurs, la rechute, récidive ou aggravation du 24 août 1989, fut consolidée, le 26 septembre 1989, par l'arbitre médical, le docteur S. Napoléon Martinez, neuro-chirurgien (avis du 14 février 1990). Cette date de consolidation fut maintenue par la Commission d'appel dans une décision qu'elle rendait, le 25 février 1992. Entre temps, une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur de 1.1 % fut accordée pour une commotion cérébrale mineure, par un autre arbitre médical, le docteur Fernand Duplantis, neurologue, après avoir examiné le travailleur, le 1er octobre 1990. À cette occasion, le docteur Duplantis n'accordait aucun déficit anatomo- physiologique pour l'entorse de la colonne cervicale, vu qu'il n'y avait aucune séquelle fonctionnelle objectivée.
Lors de son examen, le docteur Duplantis note que le travailleur ne présente aucun spasme musculaire paravertébral et qu'il n'y a aucune limitation des mouvements du rachis cervical. Il considère que l'examen neurologique n'a pu mettre en évidence une atteinte du dermatome de C6-C7 à gauche, tel qu'aurait révélé le premier électromyogramme, et il conclut qu'il n'existe aucun déficit d'ordre fonctionnel dans ce territoire.
Quelques mois plus tard, soit le 6 décembre 1990, le Bureau de révision de Longueuil conclut dans une décision unanime que la preuve médicale au dossier ne montre aucun signe objectif qui permette d'expliquer les allégations de céphalées et de problèmes cervicaux du travailleur. En effet, la preuve démontre que le travailleur a été examiné par de nombreux médecins en 1989 et en 1990. Tous ont alors conclu à un examen neurologique normal.
Certains affirment même que le travailleur présente une céphalée d'origine cervicale qui est associée à une composante psychologique anxieuse importante. C'est le cas notamment du docteur Jacques Gariépy, neuro-chirurgien, qui examine le travailleur, le 12 décembre 1989. Donc, déjà en 1990, le travailleur présentait une symptomatologie cervicale qui semblait être difficile à objectiver.
Par ailleurs, le docteur François Cartier, membre du Bureau médical de la Commission, indique dans les notes évolutives du mois de septembre 1994, que la hernie discale cervicale au niveau C6-C7 gauche, diagnostiquée par le docteur Filiatrault, à compter du 9 avril 1990, n'a jamais été objectivée par les différents médecins qui ont examiné le travailleur. Finalement, la Commission d'appel retient l'opinion du docteur Cartier, lorsqu'il mentionne, qu'en l'absence d'un nouvel événement traumatique, il n'y a pas d'entorse cervicale récidivante ou chronique.
Par ailleurs, la Commission d'appel ne croit pas non plus que le travailleur a subi une rechute ou une récidive, le ou vers le 12 mai 1994, puisqu'il ne s'agit pas de la réapparition d'une maladie après sa guérison ni d'une reprise d'une maladie qui était en voie de guérison. En effet, le docteur Filiatrault mentionne dans une lettre datée du 11 juillet 1995, puis, lors de son témoignage, que le travailleur a toujours présenté le même type de symptomatologie cervicale, qui était constante et continuellement présente entre 1989 et 1994.
Pour tous ces motifs, la Commission d'appel conclut que le travailleur n'a pas démontré, par une preuve prépondérante, qu'il a subie, le 12 mai 1994, une rechute, une récidive ou une aggravation de la lésion professionnelle du 9 janvier 1989.
En conséquence, il n'a pas subi une lésion professionnelle, le 12 mai 1994.
Par ailleurs, la Commission d'appel ne croit pas, en l'instance, que les dispositions de l'article 51 de la loi puissent s'appliquer. Cet article de la loi se lit ainsi: 51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
(Les soulignements sont du soussigné.) En effet, la preuve démontre qu'un emploi convenable de "chauffeur de véhicule motorisé de type 162 C (excluant Marathon)" fut déterminé par la Commission, le 5 septembre 1992, avec l'assentiment du médecin traitant du travailleur, le docteur Filiatrault (lettre du 28 juillet 1992). Par la suite, le travailleur fut assigné à de nouvelles tâches à compter du 18 avril 1994, soit l'entretien des sites de bulles de recyclage. Selon le médecin traitant du travailleur, le docteur Filiatrault, l'exécution de ces nouvelles tâches, dans le cadre de cette nouvelle assignation, a entraîné une augmentation de la symptomatologie cervicale du travailleur. Selon lui, ce n'est pas l'emploi convenable déterminé par la Commission qui comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur. Bien au contraire, il mentionne dans sa lettre du 11 juillet 1995, que le travailleur pouvait effectuer cet emploi de façon tout à fait fonctionnelle.
Pour ces motifs, la Commission d'appel conclut que le travailleur n'a pas droit aux indemnités prévues par la loi pour la période du 12 mai 1994 au 20 mai 1995.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES: REJETTE l'appel de la succession du travailleur, feu Raymond Laramée; MAINTIENT la décision rendue, le 22 février 1995, par le Bureau de révision de la région de Richelieu-Salaberry; DÉCLARE que le travailleur n'a pas subi une lésion professionnelle, le 12 mai 1994; et DÉCLARE qu'il n'a pas droit aux indemnités prévues par la loi pour la période du 12 mai 1994 au 20 mai 1995.
Me Jean-Yves Desjardins, Commissaire Me Pierre Langlois, avocat 655, rue Victoria Saint-Lambert (Québec) J4P 2J7 Représentant de la partie appelante
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