Décision

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Laprade c. Beaupré

2015 QCCQ 3178

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-022125-147

 

 

 

DATE :

30 mars 2015

______________________________________________________________________

 

         SOUS LA PRÉSIDENCE  DE L’HONORABLE ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

Jonathan Laprade,

[…], Gatineau, Québec, […]

demandeur

c.

 

Alexandre Beaupré,

[…], Gatineau, Québec, […]

          défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

I. LES FAITS

[1]          Monsieur Jonathan Laprade réclame à monsieur Alexandre Beaupré la somme de 3 508,37 $ à la suite d'une entente par laquelle monsieur Laprade prêtait un téléphone cellulaire à monsieur Beaupré et ce dernier devait en payer les frais mensuels, lesquels n'ont été payés qu'en partie.

[2]          Monsieur Laprade réclame la somme de 1 008,37 $ représentant le total des frais mensuels qui n'ont pas été payés par monsieur Beaupré et une somme de             2 500 $ à titre de dommages moraux et d’inconvénients.

[3]          En décembre 2012, monsieur Laprade, âgé d'environ 27 ans, rencontre, par l'entremise d'un ami, monsieur Beaupré, alors âgé de 16 ans.

[4]          Monsieur Beaupré, qui travaille alors à temps plein dans un garage, désire s'acheter un téléphone cellulaire ce que ses parents refusent puisqu'il est mineur et qu'ils devront intervenir au contrat.

[5]          Monsieur Laprade propose donc à monsieur Beaupré de lui prêter son téléphone Samsung et qu'en contrepartie ce dernier payera les frais mensuels du forfait que monsieur Laprade détient auprès de Bell.

[6]          La preuve est contradictoire.

[7]          Selon monsieur Laprade, l'entente a été ratifiée par écrit et signée par lui et monsieur Beaupré. Le document, toutefois, n'est plus en possession de monsieur Laprade.

[8]          Selon monsieur Beaupré, l'entente est écrite mais il ne l'a pas signée vu qu'il était alors mineur. Monsieur Beaupré a une copie du document en sa possession mais il ne l'a pas apportée à l'audience.

[9]          Monsieur Laprade affirme qu'il a prêté le téléphone à monsieur Beaupré et que ce dernier n'a payé qu'un seul mois du forfait. Après avoir retourné le téléphone à Bell parce que celui-ci faisait défaut, monsieur Beaupré aurait obtenu un second téléphone et il n'a pas payé les frais des mois de janvier à décembre 2013, soit un total de 1 008,37 $.

[10]       Cependant, selon monsieur Beaupré, ce dernier a eu l'utilisation du téléphone deux ou trois mois dont les frais mensuels ont été payés à monsieur Laprade. En accord avec monsieur Laprade, monsieur Beaupré a remis le téléphone à Bell pour qu'il soit réparé et n'en a pas obtenu d'autre.

[11]       Monsieur Beaupré estime donc qu'il ne doit rien à monsieur Laprade.

[12]       Monsieur Laprade réclame également une somme de 2 500 $ à titre de dommages moraux et d’inconvénients car il a eu à payer des intérêts pour les frais mensuels. De plus, l'arrêt de paiement du défendeur lui a causé beaucoup d'inconvénients.

II. L'ANALYSE

[13]       Les articles pertinents du Code civil du Québec se lisent :

Art.155. Le mineur exerce ses droits civils dans la seule mesure prévue par la loi.

 

Art.156. Le mineur de 14 ans et plus est réputé majeur pour tous les actes relatifs à son emploi, ou à l'exercice de son art ou de sa profession.

 

Art.157. Le mineur peut, compte tenu de son âge et de son discernement, contracter seul pour satisfaire ses besoins ordinaires et usuels.

 

Art.158. Hors les cas où il peut agir seul, le mineur est représenté par son tuteur pour l'exercice de ses droits civils.

 

À moins que la loi ou la nature de l'acte ne le permette pas, l'acte que le mineur peut faire seul peut aussi être fait valablement par son représentant.

 

Art.159. Le mineur doit être représenté en justice par son tuteur; ses actions sont portées au nom de ce dernier.

 

Toutefois, le mineur peut, avec l'autorisation du tribunal, intenter seul une action relative à son état, à l'exercice de l'autorité parentale ou à un acte à l'égard duquel il peut agir seul; en ces cas, il peut agir seul en défense.

 

Art.160. Le mineur peut invoquer seul, en défense, l'irrégularité provenant du défaut de représentation ou l'incapacité lui résultant de sa minorité.

 

Art.161. L'acte fait seul par le mineur, lorsque la loi ne lui permet pas d'agir seul ou représenté, est nul de nullité absolue.

 

Art.162. L'acte accompli par le tuteur sans l'autorisation du tribunal, alors que celle-ci est requise par la nature de l'acte, peut être annulé à la demande du mineur, sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'il a subi un préjudice.

 

Art.163. L'acte fait seul par le mineur ou fait par le tuteur sans l'autorisation du conseil de tutelle, alors que celle-ci est requise par la nature de l'acte, ne peut être annulé ou les obligations qui en découlent réduites, à la demande du mineur, que s'il en subit un préjudice.

 

Art.220. Le mineur gère le produit de son travail et les allocations qui lui sont versées pour combler ses besoins ordinaires et usuels.

 

Lorsque les revenus du mineur sont considérables ou que les circonstances le justifient, le tribunal peut, après avoir obtenu l'avis du tuteur et, le cas échéant, du conseil de tutelle, fixer les sommes dont le mineur conserve la gestion. Il tient compte de l'âge et du discernement du mineur, des conditions générales de son entretien et de son éducation, ainsi que de ses obligations alimentaires et de celles de ses parents.

 

[14]       Est-ce que le prêt d’un téléphone et l’entente pour que le défendeur paye les frais mensuels d’un forfait pour l’utilisation du téléphone constituent des besoins ordinaires et usuels au sens de l’article 157 du Code civil du Québec ?

[15]       Dans une décision au sujet de la capacité d'une fille mineure de consentir à un perçage du nombril, la juge Suzanne Villeneuve de la Cour du Québec s'exprime ainsi :

[24]            Plusieurs lois autorisent le mineur à poser seul de nombreux actes juridiques comme donner son consentement à son adoption à partir de l’âge de dix ans (arts 549 et suivants C.c.Q.), ouvrir un compte de banque (Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 437), avoir accès à son dossier médical (Loi sur les services de santé et des services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2, arts 20 et 21), etc.

[25]            Dès l’âge de quatorze ans, le mineur est réputé majeur pour tous les actes relatifs à son emploi, son art ou sa profession (art. 156 C.c.Q.) et peut consentir seul aux soins requis et non requis par son état de santé (arts 14 et 17 C.c.Q.).

[26]            Ces différentes dispositions font dire à l’Honorable Jean-Louis Baudouin et au professeur Pierre-Gabriel Jobin dans la 5e édition de leur traité sur Les obligations que le législateur a « ajusté le droit à la vie moderne courante ».

[27]            La philosophie générale du système de protection du mineur vise à le protéger contre certains abus, en imposant des formalités de protection prévues par la loi pour certains actes importants et en lui conférant, pour le reste, « la capacité du majeur avec tous les recours généraux que celui-ci possède».

[28]            Pouvant « exercer seul certains droits, comme le ferait le majeur », le mineur « n’est donc qu’un semi-incapable. [1]

 

[16]       Ainsi, la juge Villeneuve a conclut que la fille mineure pouvait contracter seule le perçage de son nombril.

[17]       Cependant, le juge André Renaud de la Cour du Québec a décidé qu'un tatouage ne constituait pas un besoin ordinaire et usuel d'un mineur.[2]

[18]       Puisqu'en décembre 2012 monsieur Beaupré travaillait à temps plein dans un garage depuis quelques mois, il est raisonnable de conclure que l'entente pour le paiement de frais mensuels d'un forfait d'un téléphone cellulaire prêté par un ami vise à satisfaire ses besoins ordinaires et usuels.

[19]       Le Tribunal conclut que monsieur Beaupré, dans les circonstances, pouvait contracter seul l'entente pour le prêt du téléphone et le paiement des frais mensuels.

[20]       La preuve est contradictoire sur les paiements qui ont été faits par monsieur Beaupré.

[21]       Monsieur Laprade soutient que monsieur Beaupré ne lui a payé qu'un mois des frais du forfait.

[22]       Monsieur Beaupré, quant à lui, prétend avoir payé à monsieur Laprade deux ou trois mois du forfait et avoir remis le téléphone à Bell lorsqu'il est devenu défectueux.

[23]       Aucune preuve de l'entente entre les parties n'a été présentée au Tribunal. Il en est de même pour la preuve des paiements du forfait effectués par le défendeur.

[24]       La preuve est également contradictoire quant au fait que monsieur Beaupré ait eu en sa possession un deuxième téléphone remis par Bell après le retour du téléphone défectueux.

[25]       Selon monsieur Laprade, monsieur Beaupré a été mis en possession d’un deuxième téléphone.

[26]       Selon monsieur Beaupré, le téléphone défectueux a été remis à Bell et il n’a pas reçu un deuxième téléphone.

[27]       C'est au demandeur d'établir par preuve prépondérante le bien-fondé de sa réclamation.

[28]       Le Tribunal conclut que le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau de preuve.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]       REJETTE la réclamation ;

 

 

[30]       SANS FRAIS, chaque partie payant ses frais.

 

 

__________________________________

ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

16 mars 2015

 



[1] Bédard c. Roussin Parfumerie, 2006 QCCQ 1074, par. 24-28.

[2] Corbeil c. Ladouceur (Boutique Enigma), 2012 QCCQ 402.

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