Dellekian c. Compagnie d'assurance-vie RBC |
2015 QCCS 5841 |
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JT1490 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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N° : |
540-17-007123-127 |
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DATE : |
19 novembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DANIELLE TURCOTTE, J.C.S. |
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VARTAN DELLEKIAN |
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Demandeur |
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c. |
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COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE RBC |
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Défenderesse |
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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 20 FÉVRIER 2015 |
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CONTEXTE
[1] Après son arrivée au Québec en 1970, Vartan Dellekian complète des études collégiales puis se dirige à l’université en sciences politiques. Il entreprend ensuite un baccalauréat en droit qu’il complète en 1981. Il s’intéresse beaucoup à la planification financière et décide de s’investir dans ce domaine, plus particulièrement dans l’assurance-vie. En parallèle, il complète sa formation et devient membre du Barreau du Québec en 1988.
[2] Il continue à exercer dans le domaine de la planification financière jusqu’en 1994. Il intègre alors la pratique du droit, et ce, jusqu’en mai 2003, puis occupe un poste de directeur des ventes pour Industrielle Alliance jusqu’en octobre 2007. En février 2008, il devient travailleur autonome à titre de conseiller en développement des affaires.
[3] Au cours de l’année 2011, il est approché par un directeur régional[1] de la Compagnie d’assurance-vie RBC (« RBC »). L’équipe affectée au département de l’assurance-vie bénéficierait de la présence de M. Dellekian qui serait une valeur ajoutée pour ce secteur.
[4] M. Dellekian accepte de joindre les rangs de RBC et de rebâtir le département des ventes. Il soutient avoir alors conclu une entente à durée indéterminée qui lui garantit néanmoins un salaire de base pour trois ans, soit le temps minimum requis pour mettre l’équipe en place. Il débute ses fonctions le 4 avril 2011.
[5] À la fin du mois d’août 2011, l’ancien directeur régional prend sa retraite et il est remplacé par Tony Loffredo. M. Dellekian sent que la chimie ne passe pas et il en attribue la cause au fait que son nouveau directeur a une vision différente de la sienne, compte tenu de son expertise du secteur auto et habitation.
[6] Le 9 septembre 2011, un incident se produit au cours d’une séance d’information que M. Dellekian donne dans le but de recruter du personnel. Un des candidats porte plainte d’avoir été reçu de façon cavalière, en plus d’avoir été insulté sur sa tenue vestimentaire et son origine ethnique.
[7] En janvier 2012, M. Dellekian est congédié en raison de cet incident. Il allègue qu’il s’agit d’un prétexte utilisé par RBC pour le remercier, sans avoir à lui payer les deux années et deux mois à écouler à son contrat. Il avance être en mesure d’en faire la preuve puisque le réseau carrière dont il est en charge ferme ses portes dans les mois suivant son congédiement.
[8] L’employeur soutient être lié par un contrat à durée indéterminée sans minimum garanti. Il plaide que le motif du congédiement est sérieux, de sorte qu’aucune indemnité tenant lieu de préavis n’est due. Enfin, l’employeur avance que M. Dellekian n’a pas mitigé ses dommages.
[9] M. Dellekian n’a pas fait la démonstration que RBC est liée par l’entente verbale particulière qui aurait été conclue avec son ancien directeur général. Le motif de congédiement est sérieux et RBC pouvait mettre fin au contrat, sans avoir à payer d’indemnité à son employé.
L’ANALYSE
1. Le contrat à durée indéterminée
[10] En mars 2011, M. Dellekian reçoit une offre d’emploi de la part de RBC. L’offre stipule que son salaire de base est de 65 000 $ par année. Aucune référence quant à la durée n’y est mentionnée. Par contre, l’offre renvoie à un document intitulé « Programme de rémunération 2011 du directeur des ventes »[2] qui contient la clause suivante :
Veuillez prendre qu’aucune disposition du programme ne peut être interprétée comme conférant des droits à quelque employé que ce soit en ce qui a trait au maintien de son emploi ni ne peut restreindre les droits de RBC de mettre fin en tout temps à l’emploi de tout employé ou de tout participant au programme.
(Nos soulignements)
[11] Cette offre est acceptée par M. Dellekian, sans qu’un écrit quelconque ne précise l’importante considération d’une durée minimale garantie de trois ans.
[12] Mieux que quiconque, M. Dellekian sait qu’il a le fardeau de démontrer la nature de l’entente, telle qu’il la conçoit. Il détient non seulement une formation en droit, mais en plus, il a pratiqué en droit du travail[3]. Il comprend donc très bien que les termes du programme de rémunération indiquent qu’il s’agit d’un contrat à durée indéterminée. Malgré cela, il ne juge pas approprié de convoquer son ancien directeur régional, afin de corroborer ses dires.
[13] Cela aurait été essentiel, d’autant plus que lorsque M. Loffredo entre en fonction, il lui demande de documenter cette affirmation voulant qu’il bénéficie d’une période minimale garantie de trois ans. Évidemment, M. Dellekian s’en abstient.
[14] D’une autre part, le Tribunal note que le témoignage de M. Dellekian n’est pas des plus spontanés. Lorsqu’un aspect de la preuve ne lui est pas favorable, il feint de ne pas comprendre la question et demeure évasif. En outre, sa mémoire n’est pas aussi fiable qu’il le laisse entendre.
[15] À titre d’exemple, il soutient d’abord ne pas avoir comparé des personnes de nationalité différente lors de l’événement ayant donné lieu à son congédiement. Finalement, il se ravise et avoue l’avoir fait.
[16] Ensuite, M. Dellekian martèle que la rencontre du 9 septembre avec les candidats potentiels avait été fixée à 9 h, comme d’habitude et que le candidat plaignant est arrivé en retard. Cela est contredit par le plaignant qui situe le rendez-vous en fin de matinée. En outre, dans la lettre que M. Dellekian adresse à son employeur pour justifier son attitude auprès du plaignant, il écrit : « Indeed, every two weeks on Wednesdays, I do conduct a career presentation (…) that I initiated most of the time (…) from 11 :00-12 :00 ».
[17] Le Tribunal en conclut que M. Dellekian n’a pas fait la démonstration que les parties sont liées par une entente minimale de trois ans. L’offre d’emploi acceptée est un contrat à durée indéterminée.
2. Le motif sérieux
[18] Le candidat se présente à la réunion le 9 septembre en question. Il porte des lunettes de soleil lorsqu’il s’adresse à la réceptionniste. Il se fait rudement interpeller par M. Dellekian qui l’intime d’enlever ses lunettes.
[19] La session commence et M. Dellekian lui demande devant tout le monde pourquoi il ne porte pas un complet et une cravate. Le candidat rétorque ne pas avoir cru que cela était nécessaire mais s’excuse néanmoins auprès de tous si sa tenue est inappropriée.
[20] Enfin, M. Dellekian donne au groupe un exemple de ce que les efforts continus, dans le domaine de l’assurance-vie, peuvent donner comme résultat. Il s’exprime en ces mots : « Je donne une terre à un Polonais et à un Marocain. Je vais prendre un café chez eux un an plus tard. Je constate que le Polonais a fait fructifier le tout, y a mis des bâtiments et est prospère. De son côté, le Marocain est assis en train de boire du thé, entouré de sa famille et sa terre est demeurée semblable à ce qu’elle était un an plus tôt ».
[21] Le candidat, un Maghrébin, a eu honte et s’est senti humilié. La suite n’est pas plus agréable pour lui. M. Dellekian termine sa présentation en exprimant, comme il le fait toujours pour des Algériens et des Marocains, dit-il, que si le candidat décide de passer le test de qualification « il devra répondre le plus naturellement possible aux questions car ce test est écrit par des Canadiens pour des Canadiens, surtout pas pour des Africains ».
[22] Le candidat porte plainte auprès de RBC. M. Loffredo n’en est mis au courant qu’à la fin novembre 2011. Après avoir rencontré M. Dellekian à ce sujet et reçu son explication, il transmet son rapport au département des ressources humaines afin qu’une décision soit prise; ce qui est fait le 3 janvier 2012. Certes, on peut prétendre que RBC aurait pu réagir plus rapidement pour autant que le motif soit aussi sérieux. Toutefois, M. Dellekian reçoit ordre de cesser immédiatement de faire du recrutement, de sorte que le danger de récidive devenait nul.
[23] RBC a eu raison de mettre fin au contrat d’emploi, devant la preuve que son employé a enfreint l’un des huit principes de base stipulés à son code de déontologie. Celui-ci énonce clairement l’importance que RBC accorde à chacun de ces critères[4], dont l’un d’eux est l’égalité des chances d’emploi[5] :
Égalité des chances
Les sociétés RBC se sont engagées à promouvoir l’égalité des chances dans tous leurs rapports avec les employés, les clients, les fournisseurs et autres personnes.
Les sociétés RBC respectent les lois sur les droits de la personne ou la non-discrimination des divers territoires où elles exercent leurs activités. Ces lois interdisent les distinctions fondées notamment sur la race, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, l’orientation sexuelle ou l’invalidité. Cette liste n’étant pas exhaustive, il incombe aux directeurs et aux employés de connaître les distinctions interdites sur leur territoire.
Là où les lois n’interdisent pas la discrimination ou permettent d’établir un traitement différentiel, les sociétés RBC sont néanmoins tenues de mettre en pratique les principes de non-discrimination. Elles veilleront donc à ne pas exercer leurs activités de manière à perpétuer les préjugés ou à créer des obstacles pour certaines personnes. Un traitement différentiel pourrait être nécessaire, par exemple, en cas de besoin commercial légitime ou lorsque les installations ne peuvent répondre en toute efficacité aux besoins opérationnels et à ceux de l’individu. En cas de doute, il faut demander conseil aux Ressources humaines ou au Service juridique (voir la section Principales personnes-ressources du cours).
Les sociétés RBC doivent respecter la diversité de leur clientèle et de leur personnel - et en tenir compte - lorsqu’elles définissent leur code vestimentaire.
(…)
(Nos soulignements)
[24] Le code de déontologie expose aussi l’importance d’éviter que des déclarations faites au nom de RBC puissent engendrer un malentendu[6] :
Vous devez dire la vérité dans toutes les communications et faire tous les efforts raisonnables pour fournir une information complète, juste, exacte, ponctuelle et compréhensible dans les relevés, rapports, documents et autres communications, et éviter qu’une déclaration faite au nom de RBC renferme des erreurs ou des omissions, ou engendre un malentendu.
(Notre soulignement)
[25] Ces principes directeurs ont été bafoués. Il est incontestable que l’image de marque que RBC souhaite cultiver puisse être ternie par les propos dénigrants tenus par M. Dellekian.
[26] Le plus grave c’est que M. Dellekian, encore à ce jour, continue de banaliser ses gestes. Cette absence totale de prise de conscience démontre que le congédiement était le seul remède.
[27] Puisque l’employeur a mis fin au contrat d’emploi pour motif sérieux, il n’a pas à payer d’indemnité tenant lieu de délai de congé, conformément à l’article 2094 C.c.Q.
3. L’indemnité tenant lieu de préavis
[28] Dans l’hypothèse où une indemnité de délai de congé avait été accordée, celle-ci se serait située entre 5 000 $ et 10 000 $.
[29] M. Dellekian n’a pas quitté d’emploi rémunérateur pour joindre les rangs de RBC. Il est travailleur autonome avant son embauche.
[30] Le fait qu’il soit âgé de 62 ans n’est pas un facteur que l’on peut prendre en considération puisqu’il en a 61 lors de son embauche.
[31] En outre, M. Dellekian ne mitige pas ses dommages. Rien n’explique pourquoi il ne peut reprendre ses activités plus tôt.
[32] En dernier lieu, M. Dellekian ne fait pas la démonstration que le congédiement s’est fait de manière cavalière. Au contraire, la preuve révèle que tout s’est passé en bonne et due forme. On peut concevoir qu’un congédiement puisse être traumatisant en soi, mais cela ne donne pas droit pour autant à des dommages moraux ou punitifs.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[33] REJETTE l’action;
[34] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ DANIELLE TURCOTTE, J.C.S. |
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Me Martina Bakula |
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LÉGAL LOGIK INC. |
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Avocats du demandeur |
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Me William Hlibchuk |
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NORTON ROSE FULBRIGHT |
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Avocats de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
18, 19 et 20 février 2015. |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.