Chrétien c. Corbeil Électrique inc. |
2015 QCCQ 10372 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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LOCALITÉ DE |
LAVAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
540-32-027606-142 |
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DATE : |
14 octobre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
RICHARD LANDRY, J.C.Q. |
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LISE CHRÉTIEN |
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Partie demanderesse |
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c. |
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CORBEIL ÉLECTRIQUE INC. et MABE CANADA INC. et SERVICES COMERCO INC. |
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Madame Chrétien réclame des défendeurs la somme de 5 760 $ du fait que son réfrigérateur GE Profile acheté en avril 2008 est tombé en panne à 6 reprises, entrainant des privations d’usage totalisant 145 jours. Elle demande également la résolution de cet achat car elle ne l’utilise plus.
[2] Le fabricant et distributeur Mabe Canada inc. (« Mabe ») n’a pas comparu. Le vendeur Corbeil Électrique inc. (« Corbeil ») plaide que tout cela est malheureux mais qu’elle garantit l’appareil pour une année et que par la suite, les pannes ont été réparées normalement par Services Comerco inc. (« Comerco ») en vertu de contrats de garanties supplémentaires vendus par celle-ci.
[3] Pour sa part, Comerco plaide qu’elle a toujours honoré ses garanties et qu’au surplus, elle n’a pas été mise en demeure avant le dépôt du présent recours.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[4] Les questions en litige sont les suivantes :
1- Le fonctionnement du réfrigérateur respecte-t-il les exigences de l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur [1] (« usage normal pendant une durée raisonnable »)?
2- Dans la négative, contre qui la demanderesse peut-elle exercer ses recours?
3- À quelles compensations a-t-elle droit?
LES FAITS
[5] Le 25 avril 2008, madame Chrétien achète chez Corbeil plusieurs appareils électroménagers, dont un réfrigérateur GE Profile pour la somme de 2 863 $ [2] plus taxes, soit 3 291,72 $
[6] Elle souscrit également auprès de Comerco un premier contrat de garantie supplémentaire pour une durée de 50 mois au prix de 649,99 $ couvrant le réfrigérateur, une cuisinière et un lave-vaisselle.
[7] Elle renouvellera ce plan de garantie le 4 août 2013 pour une durée de 4 ans pour le réfrigérateur et la cuisinière au coût de 900,24 $ pour les deux [3].
[8] Le réfrigérateur livré le 25 avril 2008 ne fonctionnait pas. Il a été remplacé par Corbeil le 27 avril suivant.
[9] Durant les trois premières années, le réfrigérateur fonctionne normalement. C’est après que les choses se gâtent. Le tableau suivant indique les dates des 6 pannes survenues avec les durées de non-usage pendant les périodes de réparations :
DATE DE LA PANNE |
DATE DE LA REMISE EN SERVICE |
JOURS D’USAGE PERDUS |
3 juillet 2011 |
1er août 2011 |
29 |
6 septembre 2012 |
26 septembre 2012 |
20 |
31 octobre 2012 |
8 novembre 2012 |
9 |
22 août 2013 |
12 septembre 2013 |
21 |
29 août 2014 |
30 septembre 2014 |
32 |
26 juin 2015 |
30 juillet 2015 |
34 |
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145 |
[10] À chaque panne, madame Chrétien communique avec Comerco qui demande au réparateur d’intervenir. Étant donné que des pièces requises aux réparations doivent être commandées, il survient des délais pour les remises en marche dont on trouve les durées ci-dessus.
[11] À chaque panne, madame Chrétien doit donc vider son réfrigérateur et placer sa nourriture dans un « cooler » dans laquelle elle met et remplace des sacs de glace pour la conserver au froid.
[12] Elle ajoute qu’à chaque panne et à chaque remise en fonction, elle ou son mari perdent du temps de travail pour recevoir le réparateur. Elle est cuisinière dans un CPE et son mari, technicien chez Bell.
[13] À l’été 2014, madame Chrétien achète un réfrigérateur usagé qu’elle installe au sous-sol pour pallier aux pannes fréquentes de son réfrigérateur.
[14] À trois reprises, des pannes sont survenues alors qu’elle et son mari étaient à leur chalet. Cela entraine des pertes complètes de la nourriture se trouvant dans l’appareil. À tel point que désormais, lorsqu’ils s’absentaient pour plusieurs jours, les Chrétien demandaient à un voisin de venir vérifier sporadiquement le réfrigérateur à la maison pour s’assurer qu’il n’était pas tombé en panne.
[15] Elle a reçu une fois 250 $ de Comerco pour une perte de nourriture.
[16] Suite à la dernière panne survenue le 26 juin 2015 et qui a duré 34 jours, les Chrétien achètent un réfrigérateur neuf. L’autre a été remis en état de marche le 30 juillet mais ils ne l’utilisent plus.
[17] En 2014, elle demande à Comerco d’assumer le remplacement du réfrigérateur mais celle-ci répond que cela ne fait pas partie du contrat de garantie. On lui offre une compensation de 300 $ pour acheter un nouveau réfrigérateur, ce qu’elle trouve insuffisant et elle refuse.
ANALYSE ET DÉCISION
Question 1 : Le fonctionnement du réfrigérateur respecte-t-il les exigences de l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur (« usage normal pendant une durée raisonnable »)?
[18] L’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur [4] se lit ainsi :
38. Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien.
[19] Le soussigné considère que ce réfrigérateur n’a pas servi à « un usage normal pendant une durée raisonnable » compte tenu de toutes les circonstances. C’était un réfrigérateur d’une marque reconnue qu’elle a payé un prix élevé et elle devait s’attendre à ce qu’il fonctionne normalement sans se soucier constamment qu’il tombe en panne.
[20] Or, 145 jours de privation d’usage en un peu plus de 4 ans [5] répartis sur 6 pannes est un usage tellement anormal que l’on peut qualifier ce réfrigérateur de « citron ».
[21] Dans une affaire de Licatése c. Brick Warehouse [6], ma collègue Chantal Sirois considère anormal qu’un réfrigérateur payé plus de 900 $ cesse de fonctionner après un peu moins de 2 ans. Selon elle, le réfrigérateur aurait dû avoir une durée de vie d’au moins 10 ans. Elle ordonne le remboursement de 80 % du prix de vente de 903 $ et 1 000 $ en dommages-intérêts.
[22] De la même façon dans Long c. Mabe [7], Madame la juge Suzanne Vadeboncoeur conclut également qu’il est anormal que le moteur du ventilateur d’un réfrigérateur prenne feu moins de 4 ans après son acquisition.
[23] Il est clair dans le présent cas que l’usage du réfrigérateur acheté par madame Chrétien n’a pas satisfait aux exigences de l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur.
Question 2 : Dans la négative, contre qui la demanderesse peut-elle exercer ses recours?
[24] La Loi sur la protection du consommateur contient aux paragraphes 53 et 54 les dispositions suivantes :
53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d'exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l'objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.
Il en est ainsi pour le défaut d'indications nécessaires à la protection de l'utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.
Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu'ils ignoraient ce vice ou ce défaut.
Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.
54. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d'exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur une obligation résultant de l'article 37, 38 ou 39.
Un recours contre le fabricant fondé sur une obligation résultant de l'article 37 ou 38 peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.
[25] Ici, il ne fait aucun doute que tant le fabricant Mabe, non représenté à l’audition, que le vendeur Corbeil doivent assumer les conséquences d’avoir vendu un réfrigérateur qui n’a pas répondu aux exigences de l’article 38 et qu’elles doivent être tenues responsables des préjudices subis par madame Chrétien.
[26] Quant à Comerco, elle plaide qu’elle a rempli ses obligations en vertu des contrats de garanties supplémentaires en faisant réparer, sans frais, à chaque panne, le réfrigérateur défectueux. Comerco ajoute qu’elle n’a pas reçu de mise en demeure avant le dépôt des procédures judiciaires de madame Chrétien.
[27] Il exact que Comerco a fait réparer le réfrigérateur défectueux à chaque fois qu’il tombait en panne. On peut se désoler cependant que les réparations durent aussi longtemps, en moyenne 24 jours à chaque panne; quand on paie pour une garantie prolongée, on croit acheter la paix et une assurance contre les bris. Être privé d’un appareil domestique essentiel pendant d’aussi longues périodes n’est pas satisfait.
[28] Toutefois, il n’y a pas de preuve dans la présente affaire qu’on aurait raisonnablement pu faire mieux et on ne peut donc en tenir rigueur à Comerco.
[29] On peut aussi s’étonner qu’un réfrigérateur tombe en panne aussi souvent. Encore là, la preuve ne révèle pas la cause de bris aussi fréquents et pourquoi on n’a pu régler le problème une fois pour toutes.
[30] Pour ces raisons, la poursuite Comerco sera rejetée, mais sans frais, d’autant plus que la portion restante du contrat de garantie (2 ans) risque de devenir sans objet si le contrat n’est pas transféré à quelqu’un d’autre.
Question 3 : À quelles compensations a-t-elle droit?
[31] L’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur :
272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l'article 314 ou dont l'application a été étendue par un décret pris en vertu de l'article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:
a) l'exécution de l'obligation;
b) l'autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;
c) la réduction de son obligation;
d) la résiliation du contrat;
e) la résolution du contrat; ou
f) la nullité du contrat,
sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.
[32] Compte tenu des pannes récurrentes, madame Chrétien était pleinement justifiée d’acheter un nouveau réfrigérateur à l’été 2015 et de mettre au rancart celui acquis en avril 2008.
[33] Par conséquent, madame Chrétien est bien fondée de demander la résolution de la vente. Puisque le réfrigérateur a duré 7 ans et 2 mois [8] et que le Tribunal fixe à 14 années la durée de vie moyenne d’un réfrigérateur de cette qualité, il n’a atteint que la moitié de sa durée de vie utile. Basée sur un prix d’achat de 3 291,72 $, réduction et taxes incluses, elle a donc droit à un remboursement de 1 645,86 $.
[34] Elle a également droit à 500 $ pour les pertes de denrées alimentaires pour les deux fois où les pannes sont survenues alors qu’elle était absente et qui n’ont pas été compensées par Comerco.
[35] Pour les 145 jours de privation de l’usage du réfrigérateur, les pertes de temps et inconvénients liés à la présence des réparateurs à domicile et à la nécessité d’avoir recours à des solutions alternatives pendant la durée des réparations, le Tribunal alloue 1 800 $, soit 300 $ en moyenne par panne.
[36] Les dédommagements ci-dessus totalisent 3 945,86 $.
[37] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[38] CONDAMNE solidairement Mabe Canada inc. et Corbeil Électrique inc. à payer à madame Lise Chrétien la somme de 3 945,86 $, avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 8 janvier 2015, plus les frais judiciaires et de mise en demeure de 191,22 $;
[39] PRONONCE la résolution de la vente du réfrigérateur GE Profile vendu et livré le 27 avril 2008 chez madame Chrétien et permet aux défenderesses ci-dessus d’en reprendre possession dans un délai de 15 jours du paiement des condamnations ci-dessus, moyennant un préavis de 3 jours à madame Chrétien; à moins d’agir dans le délai ci-dessus mentionné, madame Chrétien pourra disposer du réfrigérateur à sa guise.
[40] REJETTE la poursuite contre Services Comerco inc., sans frais.
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__________________________________ RICHARD LANDRY, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
2 octobre 2015 |
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AVIS :
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