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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 19 avril 2005, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation à l’encontre d’une décision rendue par cette instance le 3 mars 2005 qui lui a été notifiée le 9 mars 2005.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que M. Benoît Marquis (le travailleur) a droit à un déficit anatomo-physiologique de 20.6 % à la suite de sa lésion professionnelle du 15 novembre 2000. Le tribunal déclare également que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 20 mai 2002 en raison de céphalées post-traumatiques.
[3] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision à Rimouski le 27 juin 2005, le travailleur était absent mais il était représenté tout comme la CSST.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par cette instance pour le motif qu’elle est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. La CSST soumet que le tribunal a excédé sa compétence puisque, d’une part, il était lié par les conclusions médicales émises par le Dr Desjardins, lesquelles ont été entérinées par le médecin ayant charge du travailleur et, d’autre part, parce que le tribunal n’était pas saisi d’une contestation portant sur une rechute, récidive ou aggravation.
LES FAITS
[5] Pour une meilleure compréhension de la présente décision, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il a lieu de résumer les faits.
[6] Le 15 novembre 2000, le travailleur est victime d’un accident du travail lorsque le tracteur qu’il conduit bascule. Le travailleur se frappe le front sur le moteur de l’essuie-glace. Le premier diagnostic émis est une fracture du crâne.
[7] Le travailleur est hospitalisé pendant quatre jours. Le 17 novembre 2000, il est opéré pour une fracture du sinus frontal. Il est alors suivi par le Dr Denis Pouliot, oto-rhino-laryngologiste, à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.
[8] Le 2 février 2001, le Dr Denis Pouliot transmet son rapport médical au Dr Soucy, omnipraticien et médecin du travailleur. Il lui mentionne que le travailleur présente des céphalées frontales. Son examen clinique lui semble normal mais il demande une tomodensitométrie des sinus.
[9] Le 4 avril 2001, le Dr Soucy indique dans un rapport médical pour la CSST que le travailleur présente des céphalées.
[10] Le 23 avril 2001, le Dr Pouliot informe le Dr Soucy que la tomodensitométrie de contrôle des sinus du travailleur effectuée en mars 2001 ne révèle aucune atteinte des sinus frontaux et que l’examen en oto-rhino-laryngologie est dans les limites de la normale sauf pour un peu de rougeur frontale à droite. Le Dr Pouliot écrit :
« Impression : réaction inflammatoire post-chirurgie au niveau frontal, particulièrement du côté droit. Rhino-sinusite chronique et vertiges d’origine labyrinthique droite.
Recommandations : ce patient peut travailler facilement en ce qui concerne son problème de traumatisme et de fracture du sinus frontal.
(...) »
[11] Le 1er mai 2001, le Dr Soucy note dans un rapport médical transmis à la CSST que le travailleur présente des étourdissements et des céphalées qui peuvent être reliés à la fracture de la paroi antérieure du sinus frontal gauche.
[12] Le 29 mai 2001, la CSST demande deux expertises médicales en vertu de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Une demande est adressée au Dr Gilles Desjardins, oto-rhino-laryngologiste, et une autre au Dr Patrice Drouin, neurologue.
[13] Le 29 juin 2001, le travailleur se plaint au Dr Soucy qu’il a des vertiges post-traumatiques.
[14] Le 12 juillet 2001, le Dr Drouin, agissant comme médecin désigné par la CSST, complète un rapport d’évaluation médicale après avoir examiné le travailleur le 3 juillet 2001. Dans son rapport d’expertise, le Dr Drouin rapporte les plaintes du travailleur et le résultat de son examen physique. Le Dr Drouin est d’avis que sur le plan neurologique, le travailleur ne présente aucun déficit fonctionnel qui pourrait l’empêcher de faire son travail normal. Il suggère toutefois une évaluation en oto-rhino-laryngologie compte tenu que le travailleur dit présenter des vertiges, une surdité et des acouphènes. Le Dr Drouin mentionne que le Dr Marion, neurologue, qui a examiné le travailleur, émet la possibilité d’une maladie de Menière.
[15] Le 15 octobre 2001, le Dr Gilles Desjardins, oto-rhino-laryngologiste et spécialiste dans la chirurgie nasale fonctionnelle et esthétique et la chirurgie de la surdité, complète un rapport d’expertise médicale après avoir examiné le travailleur le 27 juin 2001 et après avoir obtenu les résultats d’un électromyogramme passé à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus le 14 septembre 2001. Le but de cet examen était pour vérifier la cause des vertiges et des étourdissements. L’examen s’est révélé dans les limites de la normale.
[16] Dans son rapport d’évaluation, le Dr Desjardins conclut qu’il n’y a aucune base objective qui explique les sensations de vertiges ou d’étourdissements dont se plaint le travailleur. Il est d’avis que le travailleur ne présente pas de limitations fonctionnelles qui l’empêchent de refaire son travail. Il mentionne toutefois que le travailleur a des limitations à cause d’une hypoesthésie frontale gauche par atteinte du trijumeau avec céphalées résiduelles dues à son traumatisme. Il estime que le travailleur conserve une atteinte permanente de 4 % soit, 1 % pour céphalées résiduelles post-traumatiques au niveau frontal (code 308 740) et 3 % pour une hypoesthésie de la première branche du trijumeau (par analogie avec une atteinte partielle) (code 309 151).
[17] Le 25 octobre 2001, l’agente d’indemnisation transmet au Dr Soucy un formulaire intitulé : « Demande d’information» ». Elle lui demande s’il complètera un rapport final et si la lésion est consolidée. À la section 6 de ce formulaire, l’agente mentionne :« le neurologue avait consolidé le travailleur et vous étiez d’accord. Ci-joint, expertise de O.R.L. qui consolide aussi. Nous avons alors besoin du RF puisque l’O.R.L. arrive aux mêmes conclusions que vous et le neurologue. »
[18] Faisant suite à cette demande d’information, le Dr Soucy complète un rapport final qu’il signe le 12 novembre 2001. La date de visite indiquée sur ce rapport est le 29 juin 2001. Le Dr Soucy mentionne que la lésion est consolidée le 3 juillet 2001 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[19] Le 16 novembre 2001, la CSST rend une décision informant le travailleur qu’il est capable de reprendre son emploi le 3 juillet 2001 et que l’indemnité qui lui a été versée jusqu’au 15 novembre 2001 ne lui sera pas réclamée.
[20] La CSST reçoit un rapport final du 19 novembre 2001 du Dr Marion qui diagnostique une surdité. Le médecin de la CSST suggère à l’agent d’indemnisation d’ouvrir un nouveau dossier pour surdité professionnelle. La CSST ne s’est pas prononcée en regard de ce diagnostic.
[21] Le 21 mai 2002, le travailleur rencontre une nouvelle agente à la CSST. Il lui remet un rapport médical du Dr Simon Racine du 20 mai 2002 qui fait état d’une céphalée chronique post-accidentelle. Ce médecin prescrit une médication et un arrêt de travail. L’agente mentionne dans les notes évolutives que l’évaluation faite par le Dr Desjardins, l’oto-rhino-laryngologiste, en 2001, n’a pas été acheminée avec un rapport complémentaire au médecin ayant charge du travailleur et qu’il contient une atteinte permanente. Elle constate également que la CSST ne s’est pas prononcée sur certains diagnostics.
[22] À cette époque, le travailleur consulte le Dr Marion pour ses oreilles et il est dans l’attente d’un examen prescrit par son médecin pour ses maux de tête.
[23] En juin 2002, le médecin régional de la CSST prend connaissance de l’expertise du Dr Desjardins. Il est d’avis qu’il est possible que le travailleur présente une atteinte permanente car il a toujours des céphalées chroniques pour lesquelles le médecin lui a prescrit une médication en mai 2002. Le médecin régional recommande qu’un rapport médical complémentaire soit envoyé au Dr Soucy pour obtenir son opinion sur l’atteinte permanente.
[24] Le 8 juillet 2002, le Dr Soucy complète le rapport complémentaire dans lequel il se dit d’accord avec les conclusions émises par le Dr Desjardins voulant que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique mais sans limitations fonctionnelles.
[25] Le 10 juillet 2002, le médecin de la CSST écrit dans les notes évolutives que l’expertise du Dr Desjardins est devenue le REM du travailleur à la suite de l’accord du Dr Soucy sur son rapport complémentaire. Le diagnostic est celui de céphalée post-traumatique consolidée le 3 juillet 2001 avec un déficit anatomo-physiologique de 4 %.
[26] Le 17 juillet 2002, la CSST rend une décision avisant le travailleur que son atteinte permanente est évaluée à 4 % à laquelle s’ajoute .40 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie ce qui lui donne droit à une indemnité de 2 484,55 $.
[27] Le 23 juillet 2002, la CSST rend une décision informant le travailleur qu’elle refuse sa réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation le 21 mai 2002 vu l’absence d’aggravation objective de sa lésion étant donné que la céphalée a été reconnue comme permanente.
[28] Le 30 juillet 2002, le travailleur dépose une demande de révision de la décision du 17 juillet 2002 qui est libellée comme suit :
« À la suite de la lettre que vous m’avez fait parvenir le 17 juillet 2002, me disant que mon indemnité est de 2 484.55 $, m’incite à vous demander une révision.
Avec les inconvénients que j’ai à subir à la suite de cet accident, ce qui veut dire, maux de tête fréquents, les plaques et vis qui reste à vie dans ma tête, ainsi que l’hiver au froid, je gèle immédiatement au front et j’en viens à voir embrouiller. Donc, le montant que vous m’offrez, en ayant à subir tous ces inconvénients de cet accident, tout le restant de ma vie. »
[29] Le 13 septembre 2002, la CSST, à la suite de la révision administrative, déclare que la procédure d’évaluation médicale a été respectée et elle confirme sa décision initiale déclarant que la lésion professionnelle survenue le 15 novembre 2000 a entraîné une atteinte permanente de 4.40 %.
[30] Le travailleur conteste cette décision à la Commission des lésions professionnelles. Dans sa requête, il allègue qu’il a des maux de tête fréquents, des étourdissements, que l’hiver son front gèle et il voit tout embrouillé. Il estime que le montant qui lui est offert n’est pas suffisamment élevé pour les inconvénients qu’il subit depuis son accident.
[31] Le 6 juin 2003, la Commission des lésions professionnelles tient une audience lors de laquelle seul le travailleur est présent. Le tribunal suspend l’audience pour permettre au travailleur d’aller se chercher un représentant.
[32] L’audience s’est poursuivie le 2 août 2003. Il a été convenu au début de l’audience que le travailleur se ferait expertiser. Le délibéré a été suspendu afin de permettre au travailleur de se faire expertiser.
[33] Le Dr Paul Giguère, oto-rhino-laryngologiste, a examiné le travailleur le 25 novembre 2004 pour les fins d’une expertise médicale qui a été transmise au tribunal. Le travailleur lui a décrit son accident et les symptômes qu’il présente de ce temps. Il lui a mentionné que malgré le fait qu’il a repris le travail, il présente des sinusites à répétition et il accuse des problèmes importants de céphalée avec exacerbation au froid de façon régulière. Il prend une médication pour cette condition. Il a des problèmes d’épaississement, de rougeur et d’inflammation de la peau, des vertiges, des rhinorrhées verdâtres et de l’hypoesthésie au niveau sous-orbitale droite. Le Dr Giguère conclut comme suit :
« DISCUSSION :
Nous avons noté, lors de l’entrevue de ce patient qui a duré une heure, que monsieur Marquis était un homme de 47 ans qui nous est apparu comme s’expriment difficilement mais un gros travailleur qui a été très nerveux durant l’entrevue tout au moins.
Nous avons revu avec le patient l’évaluation médicale du docteur Patrice Drouin et les éléments suivants devraient être notés à notre avis.
Dans « Les plaintes et problèmes reliés à la lésion professionnelle », le docteur Drouin mentionne que le patient a conduit son auto en arrivant dans la ville ce qui n’est pas vrai. C’est toujours son épouse qui a conduit l’automobile lorsqu’il a été dirigé à l’hôpital de L’Enfant-Jésus.
L’affirmation à l’effet que le but de la chirurgie était principalement au plan cosmétique n’est pas une affirmation valide puisqu’un enfoncement du sinus frontal entraîne nécessairement une atteinte de la muqueuse de ce sinus et que toute chirurgie du sinus frontal a pour but de prévenir les complications sinusiennes tout autant que de repositionner la table antérieure.
Il mentionne enfin après la description des plaintes qu’il n’y a pas d’autres symptômes significatifs et le patient nie avoir oublié de mentionner les hypoesthésies aussi bien que les problèmes de spasmes musculaires. Toutefois, il indique bien qu’il était encore plus tendu lors de cette entrevue.
À l’item « Aggravation d’une pathologie préexistante », je pense qu’il faut sûrement considérer que monsieur Marquis présentait une dysfonction temporo-maxillaire à cause de sa malocclusion et que celle-ci depuis son traumatisme a été un facteur de spasmes musculaires aggravant les céphalées actuelles. Le neurologue conclut à l’absence de séquelle neurologique alors que ce patient déjà très nerveux qui présentait des spasmes musculaires a eu une évolution très difficile et a présenté une adaptation très difficile à sa condition de sinusites chroniques, de céphalées et une évaluation neuropsychologique sous ce rapport aurait dû et devrait être effectuée.
ÉVALUATION DU RAPPORT DU DOCTEUR GILLES DESJARDINS
Parmi « Les plaintes et problèmes reliés à la lésion professionnelle », Le Dr Desjardins ne relève aucune des plaintes que le patient lui a mentionnées à savoir les sinusites chroniques, les problèmes de douleurs frontales reliées aux variations thermiques et aux variations d’humidité, ainsi que les vertiges post-traumatiques persistants.
L’examen physique ne tient nullement compte des problèmes sinusiens et il n’a fait aucune fibroscopie pour évaluer les voies aériennes nasosinusiennes.
En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, les céphalées résiduelles par atteinte du trijumeau sont identifiées en rapport avec ce problème alors qu’il n’y a aucune référence au problème de sinusites chroniques chez ce patient.
Pour ma part, je crois qu’il y a une aggravation importante de la dysfonction de l’articulation temporo-maxillaire chez ce patient qui entraîne une aggravation de ses céphalées, qu’il a beaucoup de difficultés à tolérer et pour laquelle j’ai recommandé un traitement par relaxation, application de chaleur mais qui persistera tant que les plaques et vis seront en place et les phénomènes de sinusites chroniques continueront.
Je suis d’accord avec l’atteinte partielle de la première branche du trijumeau (309151) pour un DAP de 3% en ce qui concerne cette partie de l’évaluation mais il faudrait ajouter une incapacité partielle permanente pour les vertiges positionnels qui ne l’empêchent pas de continuer l’exercice de son travail mais qui sont nettement présents. Enfin pour les séquelles de sinusites chroniques ethmoïdo-maxillaires et frontales, un DAP doit être accordé au niveau des sinus frontaux, sinus ethmoïdo-maxillaires sous forme de sinusites chroniques. La céphalée reliée au traumatisme et due au traumatisme doit être considérée comme n’atteignant pas uniquement la région frontale mais tout le cuir chevelu, la région occipitale, les régions temporales et pariétales ainsi que les régions mandibulaires.
Il faut tenir compte aussi que ce travailleur a repris le travail. Il travaille au froid régulièrement de sorte que la présence de plaque et vis et la présence de sinusites chroniques sont aggravées par les conditions atmosphériques lorsqu’il y a humidité et lorsqu’il y a variations brusques de température et particulièrement les froids intenses sont des conditions contre lesquelles il doit lutter. Une incapacité partielle permanente doit être considérée pour ce problème.
En conclusion, en me basant sur les règlements annotés sur les barèmes de dommages corporels, l’approche réalisée chez ce patient par une incision bicoronale avec libération de la table antérieure du sinus est assimilable comme séquelle de sinusectomie bilatérale et le code 408758 s’applique pour un pourcentage d’incapacité partielle permanente de 3%. Les sinusites chroniques d’origine frontale qui atteignent l’ethmoïde et les régions maxillaires entraînent des perturbations du flot aérien pour un déficit anatomophysiologique de 3% puisqu’elles sont bilatérales et le 408703 s’applique. La perte partielle de la branche du nerf cutané unique latéral soit le code 308151 pour un déficit anatomophysiologique de 3% doit être ajoutée.
À mon avis, la région frontale fait partie également du crâne et une fracture complexe de la région antérieure du sinus frontal correspond à une fracture du crâne enfoncée pour le code 211354 pour un déficit anatomophysiologique de 3%.
Il y a également une atteinte par perte partielle de la fonction vestibulaire pour le code 216368 où il y a présence de signes de vertiges périphériques pour un déficit anatomophysiologique de 2%.
Le total pour le DAP est de 17%. Le pourcentage de perte de jouissance de la vie qui résulte du déficit anatomophysiologique est de 3% pour un grand total de 20%. » (sic)
[34] À l’audience du 27 juin 2005, l’avocat du travailleur a informé la Commission des lésions professionnelles que cette expertise a été transmise à la CSST.
[35] Le 3 mars 2005, la Commission des lésions professionnelles rend sa décision. L’objet de la contestation est précisé comme suit au paragraphe 5 :
« [5] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la CSST et de déclarer que la décision de la CSST ne tient pas compte des problèmes de vision, de surdité et de vertiges qui sont aussi en relation avec cette lésion professionnelle et pour lesquels une expertise est produite le 3 décembre 2004. »
[36] Les motifs de la décision se lisent comme suit :
« [26] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer les séquelles de la lésion professionnelle du 15 novembre 2000.
[27] De toute évidence, les données utilisées par la CSST pour statuer sur le déficit anatomo-physiologique étaient incomplètes. La consolidation sur la base d’une attestation médicale manifestement imprécise et la rechute, récidive et/ou aggravation sont autant de facteurs qui confirment que l’état véritable du travailleur n’avait pas été bien cerné.
[28] Par ailleurs, la preuve confirme que le travailleur n’a pas été en mesure de réintégrer l’emploi plus rémunérateur qu’il occupait lors de l’événement accidentel. Pourtant, la LATMP reconnaît au travailleur une certaine protection de statut en relation avec l’emploi occupé lors de l’événement accidentel. En présence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique, la CSST ne peut refuser au travailleur les bénéfices prévus par les articles 145 et 146 de la LATMP :
145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
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1985, c. 6, a. 145.
146. Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.
Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.
__________
1985, c. 6, a. 146.
[29] Par ailleurs, au plan médical, l’expertise du Dr Giguère est la seule élaborée par un médecin choisi par le travailleur. Les expertises demandées par la CSST étaient incomplètes. Il est vrai que ces expertises ont été requises dans un très court délai après les interventions chirurgicales et que ce facteur affecte la qualité des informations médicales disponibles.
[30] Par ailleurs, ces expertises font abstraction d’un certain nombre de facteurs qui ont été décrits par le Dr Giguère et relativement auxquelles il ne nous apparaît pas utile d’ajouter.
[31] En définitive, l’expertise médicale la plus précise et celle qui tient le mieux compte de tous les facteurs est celle du Dr Giguère. La CSST n’ayant pas requis que cette expertise soit soumise à un expert ou transmise au Bureau d'évaluation médicale. Les recommandations du Dr Giguère nous apparaissent suffisamment précises et documentées pour justifier une conclusion formelle de la Commission des lésions professionnelles relativement au déficit anatomo-physiologique qui affecte Monsieur Benoît Marquis. »
[37] Le dispositif de la décision se lit comme suit :
« ACCUEILLE la présente contestation ;
INFIRME la décision rendue par la Direction de la Révision administrative de la région de Bas-St-Laurent le 13 septembre 2002 ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 juillet 2002 ;
DÉCLARE que Monsieur Benoît Marquis a un déficit anatomo-physiologique de 20.6%, soit :
- 40875840 pour sinusectomie post-traumatique bilatérale au niveau frontal pour un déficit anatomo-physiologique de 3 % ;
- 309151 pour une atteinte partielle de la première branche du trijumeau pour un déficit anatomo-physiologique de 3 % ;
- 308151 pour une perte partielle de la branche du nerf cutanée et un déficit anatomo-physiologique de 3 % ;
- 408703 pour sinusites chroniques bilatérales et perturbation du flot aérien pour un déficit anatomo-physiologique de 3 % ;
- 211354 pour fracture du crâne enfoncée pour un déficit anatomo-physiologique de 3 % ;
- 216368 pour atteinte de la fonction vestibulaire et signes de vertiges pour un déficit anatomo-physiologique de 2 %
- 225198 pour pourcentage pour douleur et perte de jouissance de la vie et un déficit anatomo-physiologique de 3,6 % ;
en relation avec une lésion professionnelle subie le 15 novembre 2000 ;
DÉCLARE que Monsieur Benoît Marquis a subi une rechute, récidive et/ou aggravation le 20 mai 2002 qui justifiait les soins proposés par le Dr Simard-Racine pour des céphalées post-traumatiques ;
CONSTATE que la capacité du travailleur pour occuper un emploi d’opérateur de machinerie lourde est affectée par des problèmes de vertiges et de surdité. »
L’AVIS DES MEMBRES
[38] Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs recommandent à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir en partie la requête en révision. Ils sont d’avis que l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation n’a pas été contestée par le travailleur et que le tribunal ne pouvait pas disposer de cette question. Cette partie de la décision doit être révoqué.
[39] Quant à l’autre partie de la décision, ils sont d’avis qu’elle ne comporte pas de vice de fond de nature à l’invalider.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[40] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif permettant la révision de la décision rendue par cette instance le 3 mars 2005.
[41] Le recours en révision ou en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[42] Au soutien de sa requête, la CSST soulève premièrement que le tribunal était lié par le rapport d’évaluation du Dr Desjardins qui a reçu l’accord du Dr Soucy le 8 juillet 2002.
[43] La jurisprudence[2] a établi qu’on entend, entre autres, par la notion « vice de fond ... de nature à invalider la décision », une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue du litige. La Cour d’appel, dans Bourassa c. C.L.P.[3] rappelle ainsi la notion de « vice de fond » :
« [21] La notion [vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments(4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs du Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La Justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[44] Les dispositions pertinentes de la loi sont les suivantes :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
[45] Dans le présent cas, il y a eu une irrégularité dans la procédure d’évaluation médicale puisque le rapport d’évaluation médicale émis par le Dr Desjardins le 15 octobre 2001 n’a pas été transmis au médecin ayant charge du travailleur, le Dr Soucy, de la façon prévue à la loi. En effet, l’agente d’indemnisation, bien qu’elle ait transmis une demande d’information au Dr Soucy, ne lui a pas transmis le formulaire intitulé « Rapport médical complémentaire ». Il est clair que le Dr Soucy n’a pas pris connaissance de l’évaluation du Dr Desjardins et qu’il s’est fié au résumé erroné en partie fait par l’agente de la CSST qui précise que le Dr Desjardins arrivait aux mêmes conclusions que celles émises par le Dr Drouin.
[46] C’est le 21 mai 2002 qu’une nouvelle agente au dossier du travailleur a constaté l’erreur commise par la CSST qui a omis d’acheminer le rapport du Dr Desjardins au Dr Soucy en suivant la procédure prévue à la loi. La CSST a donc décidé de corriger cette erreur en s’adressant de nouveau au Dr Soucy. La nouvelle agente a aussi remarqué que la CSST avait omis de se prononcer sur certains diagnostics pouvant résulter de la lésion professionnelle initiale.
[47] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que la règle prévue à l’article 224 de la loi ne s’applique pas dans le cas particulier à cause des irrégularités commises dans la procédure d’évaluation médicale.
[48] Le fait que la CSST ait tenté de corriger son erreur, un an plus tard, ne vient pas bonifier le processus. L’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale fait en sorte que le tribunal n’est pas lié par le rapport d’évaluation du Dr Desjardins qui a été approuvé, un an plus tard, par le Dr Soucy.
[49] Le tribunal devait se prononcer sur les séquelles permanentes de la lésion professionnelle. Il aurait pu retourner le dossier à la CSST afin que l’évaluation médicale soit reprise comme lui demandait l’avocat du travailleur mais il a décidé qu’avec l’expertise du Dr Giguère, il pouvait se prononcer sur l’atteinte permanente et il a motivé sa décision.
[50] Compte tenu de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles estime que l’erreur soulevée par la CSST ne constitue pas un vice de fond de nature à invalider la décision qui porte sur le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique résultant de la lésion professionnelle subie le 15 novembre 2000 par le travailleur.
[51] Le deuxième moyen soulevé par la CSST veut que la Commission des lésions professionnelles n’avait pas compétence pour disposer de la rechute, récidive ou aggravation du 20 mai 2002 puisque le travailleur n’a jamais contesté la décision rendue par la CSST le 23 juillet 2002 qui refusait sa réclamation. À ce sujet, le tribunal s’exprime comme suit :
« [16] Le 17 juillet 2002, la CSST informe le travailleur qu’un déficit anatomo-physiologique de 4,40 % lui est reconnu en relation avec la lésion professionnelle du 15 novembre 2000. Le 23 juillet 2002, la CSST informe le travailleur qu’elle ne juge plus les céphalées, comme celles diagnostiquées le 20 mai 2002, consécutives à la lésion professionnelle.
[17] Maladroitement, le travailleur conteste ces décisions le 30 juillet 2002 en insistant sur ses malaises et incapacités.
[18] La CSST en déduit que le travailleur conteste seulement la décision du 17 juillet 2002 et qu’il ne conteste pas la plus récente décision. C’est une interprétation des faits qui résiste mal à l’analyse du contexte dans lequel évolue le travailleur, à ce moment-là. »
[52] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime que la contestation du travailleur est rédigée clairement et qu’elle porte uniquement sur la décision rendue par la CSST le 17 juillet 2003 qui est en rapport avec le pourcentage de déficit anatomo-physiologique. Le libellé de cette contestation ne porte pas à interprétation.
[53] De plus, la contestation du travailleur à la Commission des lésions professionnelles indique clairement qu’il n’est pas d’accord avec l’indemnité pour dommages corporels compte tenu des séquelles qu’il conserve de sa lésion professionnelle. Il n’est pas fait mention de la rechute, récidive ou aggravation.
[54] La Commission des lésions professionnelles estime que le tribunal n’avait pas la compétence pour se prononcer sur l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation en mai 2001 puisque cela n’a pas été contestée initialement par le travailleur et n’a pas fait l’objet d’une décision en vertu de l’article 358 de la loi.
[55] Compte tenu de cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles estime que la décision de cette instance sur l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation le 20 mai 2002 doit être révoquée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, en partie, la requête déposée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RévOQUE, en partie, la décision rendue le 3 mars 2005 par la Commission des lésions professionnelles qui reconnaît l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation le 20 mai 2002.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Commissaire |
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Me Denis Tremblay |
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TREMBLAY, TREMBLAY |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Mélisande Blais |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
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