Décision

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Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher c. Van Landschoot

2014 QCCS 4284

JR 1056

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-007357-140

 

 

 

DATE :

16 juillet 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

FRANÇOIS ROLLAND, juge en chef

______________________________________________________________________

 

 

CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX PIERRE-BOUCHER

et

PIERRE MAYENCE

Parties demanderesses

c.

MICHEL VAN LANDSCHOOT

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

Parties mises en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE INTRODUCTIVE D’INSTANCE EN

JUGEMENT DÉCLARATOIRE ET SUR LA REQUÊTE POUR ÉMISSION D’UNE ORDONNANCE DE SAUVEGARDE

______________________________________________________________________

 

[1]           Monsieur Pierre Mayence demande, par sa requête amendée, que le Tribunal déclare que sa volonté de cesser de s’alimenter et de s’hydrater constitue un refus de traitement au sens du Code civil du Québec; et que le Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher (ci-après : CSSS Pierre-Boucher), son personnel infirmier et médical soient tenus de respecter sa volonté et s’abstiennent de lui administrer les soins de santé auxquels il ne consent pas.

[2]           Monsieur Mayence demande de plus l’émission d’une ordonnance de sauvegarde pour enjoindre le CSSS Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical à lui administrer les médicaments appropriés pour soulager efficacement ses douleurs, afin de lui réserver une mort dans la dignité, conformément au Code de déontologie des médecins.  Cette conclusion a été amendée du consentement de toutes les parties au début de l’audition.

[3]           Toutes les parties consentent aux présentes procédures, soit le CSSS Pierre-Boucher, Michel Van Landschoot et le Procureur général du Québec.

[4]           Les faits de cette triste affaire peuvent se résumer ainsi.

[5]           En août 2010, à la suite d’un grave accident à l’occasion d’un saut en parachute, monsieur Pierre Mayence devient tétraplégique.

[6]           Monsieur Mayence est divorcé et sans enfant, n’ayant été marié qu’une très courte période de temps avant son accident.

[7]           En raison de cet accident, monsieur Mayence présente une perte totale d’autonomie et nécessite donc des soins pour l’ensemble de ses besoins.

[8]           Ainsi, il ne peut bouger que son cou et sa tête, mais il respire seul et il peut également s’exprimer sans difficultés.

[9]           Monsieur Mayence se déplace en fauteuil roulant et peut aussi utiliser un téléphone cellulaire et un ordinateur à l’aide d’équipements spécialisés.

[10]        Monsieur Mayence est hébergé au Centre Jeanne-Chevrier, qui est une ressource d’hébergement faisant partie du CSSS Pierre-Boucher.

[11]        En février 2014, monsieur Mayence tente de mettre fin à ses jours en cessant de s’alimenter et de s’hydrater, mais renonce à son jeûne parce que ses proches ne sont pas prêts à le voir ainsi mettre fin à ses jours et pour qu’il puisse préparer adéquatement les mandats et testament dans les circonstances.

[12]        Monsieur Mayence réitère maintenant son désir de mettre fin à ses jours et déclare qu’il cessera de manger et de s’hydrater.

[13]        À la fin juin, il est rencontré par un comité d’éthique du CSSS Pierre-Boucher et à la suite de cette rencontre, il remet son projet pour permettre à l’équipe médicale de mettre en place un plan d’intervention et de prévoir une mort dans la dignité, sans souffrances.

[14]        Monsieur Mayence a aussi fait l’objet d’une évaluation psychiatrique par le Dr Henri Brisson, médecin-psychiatre. Ce dernier conclut à l’aptitude de monsieur Mayence à refuser les soins qui lui sont proposés.

[15]        Le rapport du psychiatre Brisson énonce qu’aucune dépression n’est observée et que l’aptitude de monsieur Mayence ne fait aucun doute.

[16]        Monsieur Mayence allègue que des traitements palliatifs pourraient lui être nécessaires dans l’éventualité où son agonie provoquerait des souffrances.

[17]        Tel que mentionné, le CSSS Pierre-Boucher consent à cette procédure, mais les membres de l’équipe médicale sont inconfortables avec cette situation pour le moins inusitée.

 

 

LE DROIT

 

 

[18]        Les articles 10 et 11 du Code civil du Québec établissent que :

10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.

Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé.

11. Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse d'examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention.

Si l'intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des soins, une personne autorisée par la loi ou par un mandat donné en prévision de son inaptitude peut le remplacer.

 

[19]        L’article 9 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux prévoit :

Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitement ou de toute autre intervention.                                                          [soulignements ajoutés]

Le consentement aux soins ou l’autorisation de les prodiguer est donné ou refusé par l’usager ou, le cas échéant, son représentant ou le tribunal, dans les circonstances et de la manière prévues aux articles 10 et suivants du Code civil.

[20]        Dans l’arrêt M.B. c. Centre hospitalier Pierre-Le-Gardeur[1], monsieur le juge Chamberland reprend les propos du juge Delisle qui s’exprimait pour la majorité, dans l’arrêt Institut Philippe-Pinel de Montréal c. G.(A.)[2]:

Le droit à l'autodétermination et le droit à l'inviolabilité de la personne sont à la source du droit de refuser un traitement ou d’y consentir.

 

[21]        Dans Manoir de la Pointe Bleue (1978) inc. c. Corbeil[3], le juge Rouleau énonce :

…que l’on soit dans un centre hospitalier ou dans un centre d’accueil, le patient a les mêmes droits de refus envers des soins ou des traitements, et cette volonté clairement exprimée doit être respectée par les autorités en place, qu’elles soient de la direction de l’institution ou des professionnels de la santé qui dispensent leurs services à cet établissement.

[22]        Un peu plus loin[4], monsieur  le juge Rouleau ajoute :

Le Tribunal n’a pas à se substituer à la personne compétente à décider, c’est-à-dire l’intimé, apte et capable de choisir les limites de sa qualité de vie.

Le Tribunal jouit souvent de discrétion dans l’accomplissement de sa lourde tâche mais, en l’espèce, il ne peut contrer la volonté de l’intimé, pas plus qu’il ne pourrait ordonner à un malade de se soumettre à des traitements de chimiothérapie, de radiothérapie ou de dialyse.

Alors, la requérante n’a pas l’obligation de nourrir l’intimé contre sa volonté et le Tribunal ne peut déclarer qu’on ne serait pas tenue de respecter cette volonté malgré les conséquences qui peuvent en découler.

Ainsi, le droit de refus prime sur l’obligation de fournir les soins de base, soit l’alimentation et les breuvages.

 

[23]        Dans Nancy B. c. L’Hôtel-Dieu de Québec[5], le juge Dufour écrit :

Le corollaire logique de cette doctrine du consentement éclairé est que le patient possède généralement le droit de ne pas consentir, ce qui est le droit de refuser un traitement et de demander sa cessation au cas où il aurait été entrepris.

[24]        Dans M.-W.(J.) c. C.-W.(S.)[6], le juge Baudouin énonce :

Le principe de l’autonomie de la personne et de l’autodétermination permet désormais à quiconque de refuser un traitement, même si ce refus mène à la mort (art. 19.1 à 19.4 C.C.; art. 11 et sqq. C.C.Q.).

 

DISCUSSION ET DÉCISION

 

 

[25]        Dans la mesure où le demandeur est apte à formuler une décision éclairée, le centre hospitalier doit respecter son refus de recevoir les soins requis par son état et nécessaires à sa survie.

[26]        Comme le soulignait le juge Rouleau dans Manoir de la Pointe Bleue (1978) inc. c. Corbeil précité, il apparait donc que l’alimentation est un soin de base et que le refus de nourriture implique également le refus d’être nourri subséquemment par un soluté, c’est-à-dire, un traitement de soutien.

[27]        Le corps médical a rencontré monsieur Mayence et reconnait qu’il est apte à refuser les traitements. Le rapport du Dr Brisson, psychiatre, démontre clairement l’aptitude de monsieur Mayence à refuser les traitements.

[28]        Les membres du corps médical reconnaissent que les médicaments qui pourront être administrés à monsieur Mayence, le cas échéant, ne peuvent provoquer la mort et ne sont que de nature à alléger ses souffrances.

[29]        Le CSSS Pierre-Boucher et le Procureur général du Québec ne contestent pas les requêtes amendées et, compte tenu des amendements, consentent à ce que le Tribunal statue sur les deux requêtes dès à présent.

[30]        Le Tribunal constate que monsieur Pierre Mayence est apte à prendre cette décision et à refuser tout traitement.

[31]        Monsieur Mayence apparait être un homme intelligent, réfléchi et responsable. Durant l’audition, le Tribunal lui demande s’il maintient sa décision; il répond affirmativement.

[32]        Il n’appartient pas au Tribunal d’être d’accord ou pas avec la décision de monsieur Mayence ou d’y substituer son appréciation. Le Tribunal doit respecter cette décision.

[33]        Les conclusions recherchées par la requête amendée en jugement déclaratoire sont rédigées ainsi :

DÉCLARER que la volonté de monsieur Pierre Mayence de cesser de s’alimenter et de s’hydrater constitue un refus de traitement au sens de l’article 11 du Code civil du Québec;

DÉCLARER que le CSSS Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical, sont tenus de respecter le refus de traitement de monsieur Pierre Mayence et doivent s’abstenir d’administrer des soins de santé auxquels il ne consent pas;

DÉCLARER que le CSSS Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical, peuvent administrer à monsieur Pierre Mayence, les médicaments appropriés pour soulager efficacement ses douleurs afin de lui réserver une mort dans la dignité, conformément au Code de déontologie des médecins;

[34]        Les conclusions recherchées par la requête amendée pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde se lisent de la façon suivante :

PERMETTRE que le demandeur CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX PIERRE-BOUCHER, son personnel infirmier et le médecin traitant fournissent au demandeur PIERRE MAYENCE, les médicaments appropriés pour soulager efficacement ses douleurs afin de lui réserver une mort douce.

DÉCLARER que l’assistance nécessaire en pareilles circonstances doit se faire en respectant la dignité du demandeur PIERRE MAYENCE.

[35]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]        ACCUEILLE la requête en jugement déclaratoire amendée;

[37]        DÉCLARE que la volonté de monsieur Pierre Mayence de cesser de s’alimenter et de s’hydrater constitue un refus de traitement au sens de l’article 11 du Code civil du Québec;

[38]        DÉCLARE que le Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical, sont tenus de respecter le refus de traitement de monsieur Pierre Mayence et doivent s’abstenir d’administrer des soins de santé auxquels il ne consent pas;

[39]        DÉCLARE que le Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical, peuvent administrer à monsieur Pierre Mayence, les médicaments appropriés pour soulager efficacement ses douleurs afin de lui réserver une mort dans la dignité, conformément au Code de déontologie des médecins;

[40]        ACCUEILLE la requête amendée pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde.

[41]        ORDONNE que le Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher, son personnel infirmier et médical administrent les médicaments appropriés pour soulager efficacement les douleurs de monsieur Pierre Mayence afin de lui réserver une mort douce et dans la dignité.

[42]        LE TOUT sans frais.

 

 

 

__________________________________

FRANÇOIS ROLLAND, juge en chef

 

Me Sébastien Bédard et Me Annie-Pierre Ouimet-Comtois

Sébastien Bédard avocats inc.

Pour la demanderesse CSSS Pierre-Boucher

 

Me Alexandre Germain

GERMAIN & LEMAY

Pour le demandeur Pierre Mayence

 

Me Manon Des Ormeaux

Justice Québec

Pour le Procureur général du Québec

 

M. Michel Van Landschoot

Présent

 

Date d’audience :

16 juillet 2014

 



[1] M.B. c. Centre hospitalier Pierre-Le-Gardeur, AZ-50222400 (500-09-013917-034, 25 février 2004, C.A.), paragr. 38.

[2]  Institut Philippe-Pinel de Montréal c. G.(A.), [1994] R.J.Q. 2523 (C.A.).

[3]  Manoir de la Pointe Bleue (1978) inc. c. Corbeil, [1992] R.J.Q. 712, p. 724 (C.S.).

[4]  Ibid., p. 725.

[5]  Nancy B. c. L’Hôtel-Dieu de Québec, AZ-92021036 (200-05-003232-910. 6 janvier 1992, CS), p. 11.

[6] M.-W.(J.) c. C.-W.(S.), [1996] R.J.Q. 229, p. 235 (C.A.).

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