DÉCISION
[1] Le 25 avril 2000, monsieur Léo Lemoine, le travailleur, dépose une requête par laquelle il demande la révision d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 mars 2000.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles refuse une demande de remise formulée à l'audience par la représentante du travailleur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 novembre 1999 à la suite d'une révision administrative et déclare que le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle le 11 janvier 1999.
[3] Le travailleur est présent à l'audience. L'employeur, la Commission scolaire de Montréal, y est représenté.
OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Questionné sur les conclusions recherchées par sa requête, le travailleur ne précise pas ce qu'il souhaite obtenir et laisse à la Commission des lésions professionnelles le soin d'en décider.
[5] Le travailleur est enseignant à la Commission scolaire de Montréal. En juin 1999, il présente une réclamation à la CSST pour faire reconnaître qu'il a été victime d'une lésion professionnelle le 12 janvier 1999, plus précisément une laryngite et un influenza qu'il relie à la mauvaise ventilation du local où il enseigne. Sa réclamation est refusée par la CSST le 30 août 1999. Cette décision est maintenue à la suite d'une révision administrative le 3 novembre 1999 et le travailleur conteste cette dernière décision à la Commission des lésions professionnelles.
[6] Le travailleur et l'employeur sont convoqués par la Commission des lésions professionnelles à une audience le 29 février 2000. Le travailleur ne se présente pas à l'audience, mais sa représentante, Me Céline Giguère, y est présente ainsi que la représentante de l'employeur. Étant donné l'absence de son client, Me Giguère formule une demande de remise qui est refusée par la Commission des lésions professionnelles.
[7] Il convient de citer l'extrait suivant de la décision concernant cette demande de remise et les démarches subséquentes effectués par le travailleur:
« Dès le début de l’audience, la représentante du travailleur formule une demande de remise, vu l’absence de son client.
Elle n’a le mandat de représenter le travailleur que depuis peu de temps. Vendredi dernier le 25 février 2000, elle communique par téléphone avec ce dernier : il ne lui donne aucune indication qu’il ne sera pas présent ni qu’il veut abandonner son appel.
La preuve démontre qu’à trois reprises le 28 février et deux reprises au jour même de l’audience, le syndicat du travailleur tente de le joindre par téléphone, sans compter les cinq tentatives du 25 février dernier. Il ne donne réponse à aucun de ces messages et ne parle qu’une fois le 25 avec sa représentante.
La représentante du travailleur précise que le témoignage du travailleur porterait sur son environnement de travail, sur le fait que le local dans lequel il travaille est actuellement inoccupé et pourquoi le docteur Dion produit en mai 1999 une attestation sur sa condition en janvier 1999.
L’employeur s’objecte à cette demande de remise car aucun motif ne la justifie.
La Commission des lésions professionnelles refuse la demande de remise et entend l’argumentation des parties car aucune nouvelle preuve ne lui est soumise.
Le lendemain en fin d’après-midi, après le délibéré, le travailleur transmet à la Commission des lésions professionnelles la note suivante :
« des
circonstances hors de mon contrôle m’ont empêché d’être présent à l’audience du
29 février 2000. Je tiens à m’en excuser. Je demeure cependant disponible pour
toutes informations que vous jugerez utiles. »
La Commission des lésions professionnelles communique avec le travailleur et son procureur. Les circonstances hors du contrôle du travailleur sont les suivantes : il croit que le fait d’être représenté par une avocate le dispense de se présenter à l’audience. Le 25, il se rend visiter son père et ne rentre que le 29 à 14 h. La Commission des lésions professionnelles souligne le fait que le travailleur est enseignant et âgé de plus de 50 ans.
Une autre circonstance hors du contrôle du travailleur consiste dans le fait qu’il est actuellement en arrêt de travail en raison de migraines ophtalmiques et ne croit pas qu’il aurait été capable d’assister à une audience. La Commission des lésions professionnelles lui demande de produire un certificat à cet effet. Elle reçoit un certificat daté du 12 janvier 2000 sur lequel le docteur H. Dion diagnostique une migraine ophtalmique et prescrit un arrêt de travail indéterminé. Il n’est pas attesté que le travailleur est incapable de se présenter à la Commission des lésions professionnelles. Ce certificat est produit sous la cote A-1.
Le dernier motif allégué par le travailleur pour justifier son absence est que son témoignage n’ajouterait rien à ce qui est déjà au dossier.
La Commission des lésions professionnelles transmet ces nouvelles informations aux membres qui maintiennent leur avis. Elle procède sur dossier car aucun des motifs allégués n’empêchait le travailleur de se présenter ni de prévenir de son absence. »
[8] La Commission des lésions professionnelles rejette la contestation du travailleur au motif que la présomption de maladie professionnelle prévue par l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. c. A-3.001) (la loi) n'a pas d'application dans les cas de laryngite et d'influenza et que le travailleur n'a pas démontré qu'il s'agit de maladies professionnelles au sens des articles 2 et 30 de la loi. La commissaire qui rend la décision écrit à ce sujet :
« Le travailleur attribue les maladies subies à l’insalubrité du local dans lequel il travaille. Il ne fait aucune preuve de cette insalubrité. La Commission des lésions professionnelles n’accorde aucune valeur à la note de la collègue du travailleur pour les raisons soulignées plus haut et parce qu’elle ne peut l’interroger : les problèmes respiratoires constatés chez ses élèves peuvent avoir de multiples causes. De plus, rien ne prouve que les conditions dans son local sont identiques à celles prévalant dans le local du travailleur et ni le travailleur ni cette collègue ne sont des personnes aptes à statuer sur l’insalubrité d’un local.
De plus, le rapport d’intervention préparé par la CSST démontre qu’en mai 1999 à tout le moins, les conditions sont satisfaisantes et il n’y a pas de contrainte thermique.
Par ailleurs, le travailleur a le fardeau de prouver la relation entre cette insalubrité et les maladies causées.
Mis à part une allégation d’insalubrité par le travailleur causée par une mauvaise aération non prouvée, la Commission des lésions professionnelles n’a aucune connaissance de ce qu’est cette insalubrité.
De plus, le travailleur ne fait aucune preuve des causes de l’influenza et d’une laryngite. Même si on admet que tout ce que le travailleur dit est vrai et que son local est mal aéré et insalubre, où est la preuve que cette insalubrité cause les maladies subies?
Il est bien connu que les classes d’écoliers en janvier sont des milieux propices à l’influenza; on retrouve la même situation dans le métro, indépendamment des conditions de salubrité des locaux.
Le travailleur n’a donc pas rempli son fardeau de preuve.
La Commission des lésions professionnelles ajoute que même si le travailleur avait témoigné sur tous les sujets mentionnés par sa représentante et qu’il est pris pour acquis que tout ce qu’il aurait déclaré est strictement vrai, il reste que la preuve de la relation entre les maladies subies et l’insalubrité des locaux n’est pas faite d’autant plus que le travailleur n’est pas le témoin compétent pour déclarer un local insalubre ni pour établir la relation entre la lésion et l’insalubrité.
L’opinion du docteur Dion n’est pas retenue car il se prononce sur l’état de locaux qu’il n’a pas visités, quatre mois après la survenance de la lésion et se réfère au 12 janvier 1999 alors que le travailleur le consulte pour une cervicalgie le 11 janvier 1999. Même si on prend pour acquis que les symptômes d’influenza et de laryngite n’apparaissent que le 12 janvier 1999, pourquoi ne pas avoir émis un certificat le jour même de la visite et pourquoi ne pas retrouver aux notes du docteur Dion des notes se rapportant à cette visite du 12 janvier 1999?
La Commission des lésions professionnelles ne peut ignorer non plus le contexte dans lequel le travailleur fait sa demande et les efforts qu’il déploie pour arriver à être payé pendant un congé qu’il accepte de prendre sans solde. »
[9] Dans la lettre qu'il a transmise à la Commission des lésions professionnelles, le travailleur invoque les motifs suivants au soutien de sa requête:
« […]
Cette dernière (la commissaire) s'est servie d'éléments d'une convocation téléphonique du 02 mars 2000 dans une décision sans que ma procureure en soit informée tout en ayant pris soin au début de notre conversation de me mentionner que la décision était déjà rendue et que ma procureure n'avait pas demandé de remise. Je considère donc que cette façon de procéder inadéquate et considère ne pas avoir eu droit à une défense pleine et entière. »
[10] Lors de l'audience, le travailleur expose que, contrairement à ce qu'elle indique dans sa décision, la commissaire n'a pas parlé à Me Giguère puisque celle-ci lui a transmis une lettre en date du 2 mars 2000 l'informant qu'à la suite de l'audience, son mandat était terminé.
[11] Appelée à témoigner par le travailleur, Me Giguère déclare qu'à une date qu'elle ne peut préciser, la commissaire a communiqué avec elle pour l'informer qu'elle avait parlé au travailleur. La conversation téléphonique a été brève et il n'y a eu aucune discussion sur le mérite du dossier.
[12] Le travailleur réitère qu'il n'a pas eu droit à une défense pleine et entière lors de la conversation téléphonique qu'il a eue avec la commissaire puisqu'il n'a pas pu être conseillé par son avocate.
[13] Il prétend de plus que la commissaire aurait dû lui poser des questions sur un élément de preuve au dossier qu'elle considérait « troublant », soit une lettre émanant d'une collègue du travailleur dont l’écriture apparaissant être celle du travailleur, parce qu'il aurait pu lui expliquer que c'est lui-même qui a rédigé la lettre, mais que c'est sa collègue qui l'a signée.
AVIS DES MEMBRES
[14] Les membres issus des associations d'employeurs et des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être rejetée parce qu'ils considèrent que le travailleur n'a pas démontré l'existence d'un motif justifiant la révocation de la décision.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[15] Même si le but recherché par la requête du travailleur demeure imprécis, la Commission des lésions professionnelles estime qu'il y a lieu d'examiner s'il y a lieu de révoquer la décision rendue le 13 mars 2000 du fait que la commissaire a refusé la demande de remise présentée par la représentante du travailleur lors de l'audience du 29 février 2000 ou parce qu'elle a communiqué par téléphone directement avec lui en l'absence de son avocate et sans l'aviser de son droit à l'assistance de celle-ci.
[16] C'est l'article 429.56 de la loi qui donne à la Commission des lésions professionnelles le pouvoir de réviser ou révoquer une décision qu'elle a rendue. Cet article se lit comme suit:
429.56 La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
[17] La présente affaire concerne le motif prévu par le deuxième paragraphe, soit celui qui permet la révision ou la révocation d'une décision parce qu'une partie, en l'occurrence le travailleur, n'a pu se faire entendre pour des raisons jugées suffisantes. Ce motif réfère à la règle audi alteram partem.
[18] Cette règle peut comporter le droit pour une partie d'obtenir la remise d'une audience, mais il ne s'agit pas d'un droit absolu de telle sorte que le refus d'une remise n'entraîne pas automatiquement la révocation de la décision. Les professeurs Gilles Pépin et Yves Ouellette écrivent à ce sujet dans l'ouvrage Principes de contentieux administratif[1]:
« Le droit d'être entendu peut comporter le droit d'obtenir un ajournement préventif d'un déni de justice. Il ne s'agit évidemment pas d'un droit absolu ou inconditionnel. Les tribunaux supérieurs interviendront si un ajournement est arbitrairement refusé à un administré non négligent et si ce refus l'empêche par ailleurs d'être entendu et lui cause un préjudice certain et irréparable. »
[19] La même règle est énoncée par le professeur Patrice Garant dans son ouvrage Droit administratif, volume 2 Le Contentieux[2]:
« La règle audi alteram partem peut impliquer, suivant les circonstances, le droit pour l'une des parties à requérir un ajournement. Le tribunal inférieur étant maître de la procédure, il a le pouvoir et le devoir d'apprécier si l'octroi de l'ajournement est vraiment nécessaire ou s'il n'est qu'abusif; les cours de justice n'interviendront que si le refus d'ajournement est injuste ou arbitraire. […] »
[20] En l'espèce, la Commission des lésions professionnelles considère que cette règle n'a pas été violée. Le travailleur a été convoqué à l'audience et il ne s'y est pas présenté sans avoir communiqué préalablement avec sa représentante ou le tribunal pour aviser de son absence, des motifs de celle-ci et de son intention d'obtenir la remise de l'audience. Les tentatives effectuées par sa représentante et l'agente syndicale pour le rejoindre le jour même de l'audience se sont avérées infructueuses et pour cause, puisque le travailleur était chez son père et qu'il n'avait pas l'intention de se présenter à l'audience compte tenu qu'il estimait ne pas devoir le faire parce qu'il était représenté par son avocate. Il est donc mal venu de se plaindre que le tribunal ait procédé en son absence.
[21] Par ailleurs, la représentante du travailleur était présente à l'audience et a pu soumettre une argumentation au soutien de sa contestation sur la base de la preuve au dossier. Elle a également indiqué à la commissaire les éléments sur lesquels aurait porté le témoignage du travailleur s'il avait été présent et celle-ci en tient compte dans sa décision en expliquant que son témoignage n'aurait pas été suffisant pour établir l'existence d'une maladie professionnelle.
[22] La commissaire avait discrétion pour accorder ou refuser la remise de l'audience et dans les circonstances, sa décision de la refuser n'apparaît aucunement arbitraire ni injuste ni préjudiciable au travailleur.
[23] Pour ce qui est du reproche adressé à la commissaire par le travailleur relativement au fait qu'elle a communiqué directement avec lui après l'audience en l'absence de son avocate et sans l'informer qu'il avait le droit d'être représenté par avocat, la règle audi alteram partem comporte le droit pour une partie d'être représenté par avocat, mais encore ici, ce droit n'est pas absolu.
[24] La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur savait fort bien qu'il pouvait être représenté par avocat puisqu'il l'était lors de l'audience du 29 février 2000 et qu'il aurait pu informer la commissaire qu'il préférait consulter son avocate avant de répondre à ses questions. Contrairement à ce qu'il prétend, la commissaire n'avait pas l'obligation de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat. Selon toute vraisemblance, le travailleur confond à tort sa situation avec celle d'une personne arrêtée à qui la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît le droit d'être informée sans délai de son droit à l'assistance d'un avocat. Il s'agit ici d'une toute autre situation.
[25] Certes, compte tenu que la commissaire entendait donner suite à la lettre que le travailleur lui a fait parvenir après l'audience, il eût été préférable qu'elle entre en contact avec sa représentante avant de communiquer avec celui-ci. Cependant, le travailleur ne peut invoquer qu'il a été brimé dans son droit d'être représenté par son avocate puisque sa démarche et la lettre qu'il a transmise pouvaient inciter la commissaire à croire qu'il n'était plus représenté ou, à tout le moins, à communiquer directement avec lui. En effet, c'est sans passer par l'intermédiaire de son avocate que le travailleur s'est adressé à la commissaire et dans sa lettre, il l'invite à communiquer avec lui si elle souhaitait obtenir des informations additionnelles, ce qui s'avérait inévitablement nécessaire, compte tenu que les « motifs hors de son contrôle » invoqués par le travailleur n'étaient pas précisés.
[26] Par ailleurs, lors de la conversation téléphonique, la commissaire s'est limitée à obtenir des informations sur les motifs de l'absence du travailleur à l'audience et la Commission des lésions professionnelles ne voit pas en quoi la non-assistance de son avocate a eu pour effet d'empêcher le travailleur de faire valoir ses motifs comme c'était le but de sa démarche auprès de celle-ci.
[27] Enfin, le travailleur ne peut reprocher à la commissaire de ne pas lui avoir posé de questions sur des éléments de preuve, telle que la lettre de sa collègue puisque l'audience était terminée et qu'elle ne pouvait, surtout en l'absence de l'employeur ou de son représentant, rouvrir l'enquête sur le mérite de sa contestation.
[28] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que le travailleur n'a pas démontré l'existence d'un motif justifiant la révocation de la décision du 13 mars 2000 et que sa requête doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Léo Lemoine.
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Claude-André Ducharme |
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Commissaire |
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Madame Christiane Benoît 3737, rue Sherbrooke Est 2e étage Montréal (Québec) H1X 3B3 |
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Représentant de la partie intéressée |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.