Décision

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Hydro-Québec c. 9138-7274 Québec inc.

2010 QCCQ 8110

 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE : QUÉBEC

« Chambre civile »

N° :

200-22-048793-087

 

 

 

DATE :

23 septembre 2010

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LINA BOND, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

HYDRO-QUÉBEC

demanderesse

c.

9138-7274 QUÉBEC INC.

et

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE GCS INC.

et

ENTREPRISE M.J. DÉNEIGEMENT & EXCAVATION

défenderesses

ET

9138-7274 QUÉBEC INC.

           défenderesse-requérante

c.

GROUPE LEDOR MUTUELLE D’ASSURANCE, DIVISION DORCHESTER

           intimée

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT sur requête pour forcer à assumer la défense

______________________________________________________________________

 

[1]           La défenderesse 9138-7274 Québec Inc. (Québec Inc.) présente une requête visant à obliger son assureur Groupe Ledor (Ledor) à prendre sa défense dans l’action en dommages-intérêts, au montant de 61,359.44 $, déposée contre elle par Hydro-Québec pour des dommages causés à un pylône en février 2006. 

[2]           Ledor refuse d’assumer la défense soumettant qu’elle a subi un préjudice vu la dénonciation tardive du sinistre par son assurée Québec Inc. 

[3]           Avant d’analyser la requête, le Tribunal réitère qu’il accueille l’objection, prise sous réserve lors de l’audition, quant à la production d’une déclaration assermentée de madame Raymonde Lavoie, employée d’Aviva, assureur de la défenderesse Société Immobilière GCS Inc. (GCS).  Le dépôt de cet affidavit, signifié la veille de l’audition de la requête, cause un préjudice à Ledor car elle ne peut contre-interroger cette employée et qu’au surplus, les faits énoncés ne sont pas pertinents pour solutionner le présent litige. 

[4]           En effet, la décision d’Aviva d’assumer la défense de GCS est sans effet sur l’interprétation de la disposition légale en cause. 

[5]           D’abord, une mise en contexte s’impose. 

[6]           La défenderesse est propriétaire de divers immeubles gérés par GCS, laquelle aurait confié, pour l’hiver 2005-2006, à Entreprise M.J. Déneigement & Excavation, un contrat de déneigement pour l’immeuble à logements situé au 160-164, avenue St-Sacrement, Québec. 

[7]           Le 12 janvier 2009, Québec Inc. avise Ledor de la réception d’une requête introductive d’instance signifiée par Hydro-Québec le 7 janvier 2009. 

[8]           Le 21 juillet 2009, Ledor avise Québec Inc. qu’elle ne pourra assumer sa défense en regard de la réclamation vu le préjudice subi résultant de la tardiveté de l’avis de sinistre. 

[9]           La preuve documentaire et le témoignage de Mélanie Bernard, dirigeante de Québec Inc., démontrent qu’à compter de février 2006, l’assurée connaissait l’existence du sinistre pouvant donner lieu à une réclamation car elle avait reçu plusieurs lettres d’Hydro-Québec réclamant le paiement des réparations au pylône. 

[10]        L’expert en sinistre Claude Poirier a reçu mandat par Ledor de faire enquête, le 10 février 2009, afin de déterminer si l’assurée Québec Inc. a engagé sa responsabilité et devrait être indemnisée. 

[11]        Il obtient certains documents, rencontre la dirigeante Mélanie Bernard puis interroge l’entrepreneur en déneigement. 

[12]        Dans deux rapports remis à Ledor, en février et mars 2009, l’expert en sinistre écrit être incapable d’identifier la cause des dommages car il manque d’éléments pour justifier quelque conclusion que ce soit. 

[13]        Cet expert en sinistre témoigne que dans la majorité des cas, il amène avec lui un inspecteur pour vérifier les lieux et prendre des photos dans le but d’établir la cause des dommages.  Ici, il aurait sûrement amené un expert pour vérifier si les dommages causés au pylône résultent d’un phénomène naturel, de la faute du déneigeur ou du propriétaire de l’immeuble afin d’évaluer si l’assurée Québec Inc. a commis une faute engageant sa responsabilité. 

[14]        Ici, la dénonciation est tardive et une clause de la police émise par Ledor prévoit expressément la déchéance du droit à l’indemnisation en cas de tardiveté de l’avis du sinistre. 

[15]        Selon Québec Inc., rien ne justifie d’exempter Ledor de son obligation d’assumer sa défense puisque la police émise couvre ce type de dommage et que les allégations de la requête introductive d’instance réfèrent à un risque couvert par le contrat d’assurance. 

[16]        Aussi, elle soutient que Ledor ne subit aucun préjudice car elle peut toujours exercer l’ensemble de ses droits liés à son obligation de la défendre.  Québec Inc. réclame aussi de choisir les avocats chargés de sa défense en raison du conflit d’intérêts entre eux dû à la présentation de la présente requête. 

[17]        Les paramètres de l’obligation de défendre imposés à l’assureur sont établis dans l’arrêt Zurich du Canada, Compagnie d’Indemnité c. Renaud & Jacob[1], alors que le juge Lebel siégeant à la Cour d’appel mentionne : 

[…]  L’obligation de défendre impose à l’assureur la prise en charge de la personne assurée, à ses frais, dès le début de la poursuite.  […]

[…]

[..]  L’obligation de défense peut être exécutoire, même dans des situations où, ultimement, selon la preuve présentée, l’assureur ne se trouvera pas tenu de payer en vertu de l’obligation d’indemnisation.  […]

Par ailleurs, lorsque la défense de l’assuré est une obligation pour l’assureur, son exécution lui confère des droits.  Le principal de ceux-ci est la conduite de la défense.  Il choisit les avocats et les experts, définit l’orientation de la défense, de la procédure écrite comme de la plaidoirie éventuelle devant le tribunal, et même, éventuellement, décide de l’opportunité de régler ou non l’affaire.  De plus, elle impose à l’assuré l’obligation de collaborer avec l’assureur et ses représentants. 

[18]        La présente requête met en cause l’article 2470 du Code civil du Québec énonçant :

2470. L'assuré doit déclarer à l'assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu'il en a eu connaissance. Tout intéressé peut faire cette déclaration.

 

Lorsque l'assureur n'a pas été ainsi informé et qu'il en a subi un préjudice, il est admis à invoquer, contre l'assuré, toute clause de la police qui prévoit la déchéance du droit à l'indemnisation dans un tel cas.

[19]        Bien que le libellé de cet article prévoie la déchéance du droit à l’indemnisation dans le cas du préjudice subi par l’assureur avisé tardivement, il semble acquis que cette cause de déchéance puisse aussi être soulevée par l’assureur au stade d’une requête relative à l’obligation de défendre en responsabilité civile. 

[20]        Dans son article[2], Me Isabelle Hudon écrit : 

De la même façon que dans le cas où l’assureur prétend que le contrat est nul, il ne s’agit pas de tenter de découvrir la nature véritable de la demande faite contre l’assuré, d’en contester ou d’en compléter les allégations, mais plutôt de déterminer si l’assureur peut opposer à son assuré une cause de déchéance. 

Pourquoi, encore une fois, forcer un assureur à défendre un assuré si ce dernier, par ses faits et gestes, s’est privé du droit à la couverture d’assurance ?  Nous sommes d’avis qu’une preuve devrait pouvoir être administrée, à ce sujet, lors de la présentation d’une requête Wellington. 

[21]        L’obligation de défendre de l’assureur doit s’analyser à partir des allégations de la requête introductive d’instance. 

[22]        Hydro-Québec allègue que les dommages causés au pylône sont dus à un amas de glace et de neige, par les déneigeurs engagés par GCS, et entraînent aussi la responsabilité de l’immeuble Québec Inc. pour les motifs suivants : 

8.  Les dommages subis par la demanderesse sont dus qu’aux seules fautes, négligence, imprudence, inhabilité et incurie des défenderesses et plus particulièrement sans limiter la généralité de ce qui précède, en ce que : 

Quant à la défenderesse 9138-7274 QUÉBEC INC. :

a) Elle n’a pas suffisamment surveillé ni contrôlé le travail effectué par son gestionnaire

d)  Elle est responsable des dommages causés par son gestionnaire ;

c)  Elle contrevient aux droits que la demanderesse détient sur le terrain, soit les droits réels et perpétuels de servitude que la demanderesse détient sur le terrain tel qu’il appert de l’acte de vente, pièce P-3 ;

d)  Elle contrevient à l’article 8 de l’acte de vente du 24 octobre 1974, prévoyant que : 

8.  […]  L’acquéreur s’engage à protéger d’une façon adéquate les structures de l’Hydro-Québec (Flexbeam)

L’acquéreur ne fera en aucun temps des empilages de neige à défaut de se conformer l’Hydro-Québec se réserve le privilège d’effectuer les travaux aux frais de l’acquéreur. 

[23]        Il ne faut pas confondre l’obligation de défendre l’assurée de celle d’indemniser son assurée. 

[24]        La véritable question consiste à vérifier si le dommage réclamé est couvert par l’assurance et, si tel est le cas, cela inclut pour l’assurée le droit d’être défendue par cet assureur. 

[25]        Dans un arrêt[3] rendu ce 23 septembre 2010, la Cour suprême va même beaucoup plus loin en établissant que l’obligation de défendre est déclenchée en présence d’une simple possibilité que la demande judiciaire relève de la protection accordée par la police à l’assuré. 

[26]        Toutefois, si l’assureur peut être exempté d’indemniser son assurée en cas de délai tardif, on doit aussi permettre à l’assureur d’invoquer que ce même délai tardif l’empêche de défendre son assurée. 

[27]        Cependant, il appartient à l’assureur d’établir son préjudice, soit qu’en raison de la dénonciation tardive, il est privé d’obtenir les informations nécessaires à formuler des moyens de défense sérieux, d’administrer la preuve, de négocier un règlement du dossier ou d’enquêter pour recueillir les faits nécessaires à soumettre une véritable défense pour son assurée. 

[28]        Ici, compte tenu de la formulation des allégations invoquant la responsabilité de Québec Inc., le Tribunal en conclut que malgré la dénonciation tardive, l’assureur est en mesure de vérifier si son assurée a surveillé ou contrôlé le travail de son gestionnaire, car il s’agit de deux compagnies liées, et il pourra aussi évaluer les obligations liées à l’acte de vente du 24 octobre 1974. 

[29]        Dans ces circonstances, on peut dire que l’assureur ne subit aucun préjudice car il est en mesure de gérer le dossier et d’exercer ses droits. 

[30]        Toutefois, il appartient à l’assureur de choisir l’avocat car la seule nécessité de déposer une requête visant à le forcer à défendre son assurée ne permet pas de conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts entre eux, surtout que l’assureur ne nie pas couverture. 

[31]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ;

[32]        ACCUEILLE PARTIELLEMENT la requête. 

[33]        ORDONNE à l’intimée de prendre fait et cause pour la défenderesse 9138-7274 Québec Inc. dans les présentes procédures, d’assumer sa défense et de payer tous les frais judiciaires et extrajudiciaires reliés à la défense. 

[34]        DÉCLARE que l’intimée choisira elle-même les procureurs qui assumeront la défense de la défenderesse 9138-7274 Québec Inc.

[35]        FRAIS À SUIVRE

 

 

__________________________________

LINA BOND (JB 2986)

Me Louis Prévost

McGovern, Lafontaire

75, boul. René-Lévesque Ouest, 4e étage

Montréal, (Québec) H2Z 1A4

Pour la demanderesse Hydro-Québec

 

Me Mathieu Leblanc-Gagnon, casier 133

Fasken, Martineau, Dumoulin

Pour la défenderesse-requérante, 9138-7274 Québec Inc.

 

Me Marie-Josée Texeira, casier 35

Michaud, Lebel

Pour l’intimée Groupe Ledor Mutuelle d’Assurance, Division Dorchester

 

Me Frédéric Bélanger, casier 124

Carter, Gourdeau

Pour la défenderesse Société Immobilière GCS Inc.

 

Me Julie Genest-Gaumont, casier 4

Tremblay, Bois, Mignault, Lemay

Pour la défenderesse Entreprise M.J. Déneigement et Excavation



[1] 1996 CanLII 5801 (QC C.A.)

[2] HUDON, Isabelle, La requête Wellington et la preuve extrinsèque :  que faire lorsque la validité même du contrat d’assurance est mise en cause ou qu’une cause de déchéance est soulevée par l’assureur?  Développements récents en droit des assurances (2010), Barreau du Québec, 2010, vol. 322, p. 183

[3] Progressive  Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2010 CSC 33

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