Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Endorecherche inc. c. Université Laval

2019 QCCA 277

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-009793-180

(200-17-015866-122) (200-17-015873-128)

 

DATE :

 15 FÉVRIER 2019

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

N° : 200-17-015866-122

 

ENDORECHERCHE INC.

ENDOCEUTICS INC.

FERNAND LABRIE[1]

APPELANTS - Défendeurs

c.

 

UNIVERSITÉ LAVAL

INTIMÉE - Demanderesse

et

 

CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE QUÉBEC, maintenant connu sous le nom de CHU DE QUÉBEC

INTIMÉ - Mis en cause

 

 

N° : 200-17-015873-128

 

ENDORECHERCHE INC.

ENDOCEUTICS INC.

FERNAND LABRIE

APPELANTS - Défendeurs

c.

 

CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE QUÉBEC, maintenant connu sous le nom de CHU DE QUÉBEC

INTIMÉ - Demandeur

et

 

UNIVERSITÉ LAVAL

INTIMÉE - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Un appel est interjeté par les appelants par déclaration d’appel contre un jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Jacques G. Bouchard) rendu le 30 mai 2018 qui a, pour l’essentiel, constaté le caractère incomplet d’une reddition de comptes faite par les appelants et les a condamnés à payer 11 281 129 $ aux intimés, à parts égales. Dans la foulée, les intimés présentent une requête conjointe en rejet d’appel et, de façon subsidiaire, une requête conjointe en cautionnement. De leur côté, les appelants présentent une requête pour permission d’appeler de bene esse.

[2]           Une mise en contexte s’impose ici.

[3]           Le litige qui oppose les parties fait rage depuis plus de 11 ans à la suite d’une entente conclue en juin 1991 [l’Entente] dans des circonstances que le juge Blanchet résume ainsi le 16 avril 2013 :

[2]        Au début des années 1990, Dr Fernand Labrie, membre du personnel enseignant de l'Université Laval, est également le seul actionnaire et administrateur de la société EndoRecherche inc., l’une des demanderesses, qui s'apprête à conclure une entente de partenariat avec la multinationale pharmaceutique américaine Schering Corporation et le Centre hospitalier de l'Université Laval.

[3]        Le 19 juin 1991, suite à une rencontre tenue la veille en vue de clarifier les droits et obligations de chacun dans la démarche projetée, le Dr Labrie et EndoRecherche Inc. soumettent à l'Université Laval, par procureurs interposés, une proposition écrite visant le partage des redevances que pourraient générer l'exploitation et la commercialisation des résultats de la recherche effectuée par eux ou pour leur compte en marge d’un projet de recherche et développement dans le cadre duquel s’inscrit le partenariat à intervenir avec Schering. Ce projet est soumis par EndoRecherche, mais en collaboration avec Schering et le Laboratoire d’endocrinologie moléculaire du Centre de recherche du CHUL, sous le titre « Projet mobilisateur », dans le cadre d’une demande d’aide financière au Fonds de développement technologique du Québec (FDT).[2]

[4]        Pour l’essentiel, le « Projet mobilisateur » couvre des recherches globales visant à améliorer non seulement le traitement de certains cancers hormono-dépendants (sein, prostate, utérus ou ovaires), mais aussi l’approche thérapeutique d’autres problèmes non cancéreux éprouvés par les femmes à l’époque de la ménopause, tels que sécheresse ou atrophie vaginale, disfonctionnement sexuel et perte de désir.

[5]        Le 26 juin, le Dr Labrie accepte sans condition, pour lui-même et pour le compte d'EndoRecherche, la contreproposition écrite soumise le même jour par les procureurs de l'Université Laval. […][3]

[Références omises]

[4]           Quant à l’élément déclencheur du litige, le juge de poursuivre :

[10]      Au cours des quinze années qui suivront l'entente de juin 1991, aucune somme ne sera jamais versée à l'Université Laval ni au CHUQ par le Dr Labrie ou EndoRecherche, qui affirmeront toujours n'avoir eux-mêmes jamais perçu de redevances donnant lieu à partage en vertu de l'entente initiale.

[11]      Mais voilà qu'au printemps 2007, l'Université Laval est informée d'un projet d'appel public à l'épargne (PAPE) lancé par une nouvelle société du nom d’EndoCeutics Inc., autre demanderesse en l’instance. Au prospectus, on constate qu'il s'agit d'une filiale formée par EndoRecherche, elle-même contrôlée en totalité par le Dr Fernand Labrie. On constate également au prospectus qu'EndoRecherche cèdera bientôt à EndoCeutics tous ses droits dans les brevets et demandes de brevets visant deux produits faisant l'objet du « Projet mobilisateur », donc de l'entente de 1991, soit l'Acolbifène, médicament destiné au traitement de certains cancers, et une molécule naturelle connue comme étant la DHEA.

[12]      En vertu de l’entente projetée, EndoCeutics assumerait les obligations afférentes aux droits faisant l'objet de la cession, à l’exception toutefois de celles prévues en faveur de l'Université Laval et du CHUL dans l'entente de juin 1991. Au terme de discussions et d’échanges qui suivent l'annonce de cet appel public à l'épargne par EndoCeutics, l'Université Laval manifeste dans une mise en demeure son intention de contester toute cession de droits qui ne transférerait pas aussi les obligations d'EndoRecherche à son endroit, ce qui conduit au retrait du PAPE par EndoCeutics.

[13]      Nonobstant ce retrait, l'Université Laval, inquiétée par les informations contenues au prospectus d'EndoCeutics, dépose le 24 septembre 2007 un avis d'arbitrage par lequel elle réclame du Dr Labrie et d'EndoRecherche une reddition de compte, de même que sa part « de toutes les redevances ou autres sommes perçues de Schering depuis la conclusion de la convention de licence P-12 ». Cette part de 25% représenterait environ 3,6 millions $ US sur des sommes perçues de l’ordre de 14 millions $ US.[4]

[5]           Au départ, seuls M. Labrie et Endorecherche inc. [ER] sont visés par l’avis d’arbitrage. Toutefois, les circonstances suivantes donneront lieu à l’amendement de l’avis et à l’ajout de Endoceutics inc. [EC] à titre de défenderesse, en dépit de sa contestation[5] :

[15]      Or, au début d’octobre 2010, deux mois avant le début de l’audition en arbitrage, on apprend par communiqué de presse qu'EndoCeutics vient de conclure avec la société Bayer inc. « une entente internationale exclusive de collaboration pour la Phase III de développement clinique et la commercialisation de la Déhydroépiandrostérone (DHEA), un nouveau traitement pour l’atrophie vaginale et la dysfonction sexuelle chez la femme ». Le partenariat envisagé implique « près de 330 millions de dollars canadiens en coûts et jalons de recherche », sans compter « les redevances sur le volume des ventes mondiales effectuées par Bayer inc. ».

[16]      Le 17 septembre 2010, l’Université Laval amende son avis d’arbitrage dans le but de préciser sa demande fondée sur le contrat avec Schering et d’élargir la portée de sa réclamation de façon à ce qu’elle porte non plus seulement sur ce contrat précis, mais aussi sur « toutes redevances en lien avec le Projet mobilisateur qui ont pu être perçues par les défendeurs ».

[17]      Le 19 novembre 2010, après un interrogatoire avant défense du Dr Labrie dans le cadre d'une instance distincte engagée par EndoCeutics en Cour supérieure, l'Université Laval amende de nouveau son avis d'arbitrage pour alléguer la cession de droits qui a permis à EndoCeutics de conclure avec Bayer une entente visant les travaux effectués par EndoRecherche dans le cadre du « Projet mobilisateur ». À l’ouverture de l’audience, le 29 novembre, les procureurs d’EndoRecherche et Dr Labrie contesteront avec vigueur la recevabilité de l’amendement, qui sera néanmoins autorisé par décision des arbitres le 1er décembre.

[18]      Du fait de cet amendement, les conclusions contre EndoRecherche et Dr Labrie visent maintenant, outre le contrat Schering, « toutes les sommes qui leur auraient été versées en rapport avec les produits faisant l’objet du Projet mobilisateur par toutes autres personnes ou sociétés dont notamment, Endoceutics inc. et Bayer inc. ». À ce stade, EndoCeutics n’est pas encore partie aux procédures d'arbitrage mais, comme nous le verrons plus loin, elle est omniprésente dans les allégations écrites des parties et dans les témoignages rendus lors de l'audition, qui occupera douze (12) jours devant les arbitres, entre le 29 novembre et le 17 décembre 2010.

[19]      On apprendra lors de l'audition, entre autres, qu'EndoCeutics est bien une filiale à part entière d'EndoRecherche, mais qu'elle n'a pas convenu d'assumer les obligations contractées par celle-ci envers l'Université Laval et le CHUQ dans l'entente de 1991. Au dernier jour de l'audition, toutefois, le 17 décembre 2010, le ré-interrogatoire du Dr Labrie donne lieu à un échange pointu entre les procureurs et les arbitres, au terme duquel le procureur du Dr Labrie confirme qu’EndoRecherche et EndoCeutics, sont contrôlées par ce dernier et ne sont rien d'autre que ses alter ego […][6]

[6]           La sentence arbitrale [Sentence] est rendue le 20 septembre 2011. Quatre ans se sont alors écoulés depuis le dépôt de l’avis. Aux termes de cette décision, le tribunal note que, même avant la signature de l’Entente, les relations étaient tendues entre les parties :

[9]        Dans les mois qui ont précédé l’entente P-10 les relations entre l’Université et le Dr Labrie sont plutôt tendues. Le recteur Gervais souligne dans ses lettres antérieures et dans son témoignage des difficultés à se renseigner et les demandes de clarification notamment sur le contrat Schering. Selon lui, l’Université était tenue dans l’ignorance de faits qu’elle jugeait pertinents pour la protection de ses droits, ceux issus du RÈGLEMENT INVENTION-BREVETS.

[7]           Au début de 2012, les intimés déposent des requêtes en homologation de la Sentence et les appelants, des requêtes en nullité de celle-ci. Le 16 avril 2013, la Cour supérieure accueille les premières et rejette les secondes[7] et, le 17 août 2015, la Cour rejette les pourvois des appelants. Le 9 novembre suivant, une juge de la Cour rejette la demande des appelants pour suspension de l’exécution des jugements de la Cour supérieure et des arrêts de la Cour, jusqu’à ce que la Cour suprême ait rendu un jugement final. Cette dernière rejettera la demande d’autorisation des appelants le 7 avril 2016[8].

[8]           Dans l’intervalle, les appelants auront transmis aux intimés, le 10 novembre 2015, des « documents en exécution des ordonnances de reddition de comptes contenues dans la sentence arbitrale ».

[9]           Le 27 novembre, les intimés déposent des requêtes en contestation de comptes[9] qui seront éventuellement fusionnées en une demande conjointe en reddition de comptes qui, modifiée le 29 novembre 2016, donnera lieu au jugement dont appel. De leur côté, les appelants déposent, le 9 février 2016, une demande de directives sur l’exécution d’une sentence arbitrale recherchant un jugement déclaratoire sur l’obligation de réinvestissement formulée dans l’Entente.

[10]        Le juge de première instance a rejeté la demande de directives et accueilli le recours des intimés en contestation de la reddition de comptes. Il estime que, par les moyens avancés, les appelants cherchent à revenir sur les déterminations faites par les arbitres à l’égard desquelles il y a chose jugée. En regard des conclusions comptables de la reddition de comptes, il écrit :

[49]      Les parties ont soumis chacune leur expertise comptable, l’une pour soutenir la reddition de comptes, l’autre pour en contester le contenu. Le Tribunal retiendra la dernière, préparée par la firme Accuracy, puisque celle-ci respecte parfaitement les termes de la sentence arbitrale. À plusieurs égards, les rapports de cette firme, datés du 31 octobre 2016 et du 16 mai 2017, doublés du témoignage de monsieur François Filion, ont été fort éclairants aux yeux du Tribunal. Il s’agit d’une expertise complète, exhaustive, documentée et objective qui respecte parfaitement les exigences du Tribunal en cette matière. Sa valeur probante est entière.

[50]      En comparaison, le rapport daté du 19 janvier 2017 de Ernst and Young (EY) apparait bien mince. Le témoignage confus de madame Nancy Avoine n’a pas amélioré la perception du Tribunal sur ce rapport dont elle est cosignataire.

[51]      Surtout, certaines des hypothèses considérées ne sont pas retenues par le Tribunal parce qu’elles s’écartent de la sentence arbitrale. À titre d’exemple, tous les travaux de recherche de ER et EC jusqu’au 31 décembre 2012 sont considérés alors qu’ils ne devraient pas l’être, ce qui change substantiellement les résultats. Également, on considère la totalité des redevances éventuelles payables à Bayer, malgré qu’elles ne soient payables que lors de la commercialisation du Vaginorm.

[52]      Ainsi, une fois la reddition de comptes corrigée à l’aide des rapports d’Accuracy, le montant payable à UL et CHU après partage au 31 décembre 2014, en fonction de la sentence arbitrale, est de 11 281 129 $, selon le scénario numéro deux proposé et retenu par le Tribunal.[10]

[11]        Les appelants demandent que le jugement dont appel soit infirmé, que la demande conjointe en contestation du compte soit rejetée et que, dans le cas contraire, la Cour statue sur l’obligation de réinvestissement stipulée dans l’Entente et reprise dans la Sentence, en déclarant qu’elle ne peut être satisfaite que par un réinvestissement des sommes reçues dans les recherches menées par M. Labrie « lui-même ou par les équipes qui en dépendent ».

* * *

[12]        Au soutien de leur requête en rejet d’appel, les intimés allèguent que l’appel ne présente aucune chance raisonnable de succès (art. 365 C.p.c.), plus particulièrement en ce que : le principe de la chose jugée a été correctement appliqué par le premier juge; la position adoptée par les appelants empêcherait toute reddition de comptes conformément à la sentence arbitrale; celle-ci énonce tous les paramètres requis pour effectuer le calcul des dépenses; le juge conclut, à bon droit, que l’impact de l’annulation de la convention Bayer n’avait pas à être considéré; le juge s’est bien dirigé en droit en concluant que la règle de la chose jugée l’empêchait de se substituer au tribunal d’arbitrage en regard des directives demandées par les appelantes au sujet de l’obligation de réinvestissement; il en irait de même en regard de la déductibilité de certains frais au prorata du coût des travaux de recherche effectués au CHU avant le 1er janvier 2009.

[13]        Par ailleurs, les intimés auraient informé les appelants qu’une permission de faire appel aurait dû être obtenue au préalable, le jugement attaqué ayant été rendu en matière d’exécution (art. 30, 2e al. 8) C.p.c.). En réponse, les appelants ont déposé, le 28 juin 2018, une requête pour permission d’appeler de bene esse.

[14]        Le jugement dont appel n’a pas été rendu en matière d’exécution. Il rejette une demande de directives des appelants sur l’exécution d’une obligation mentionnée dans la Sentence dont ils cherchent à faire clarifier la portée, s’agissant de l’obligation de réinvestissement des sommes à être perçues par les intimés en vertu de l’Entente.

[15]        En revanche, le jugement accueille la demande conjointe des intimés en contestation de la reddition de comptes et la déclare incomplète et non conforme à la Sentence, pour ensuite chiffrer le montant dû par les appelants aux intimés.

[16]        Ainsi, le débat mû devant la Cour est préalable à des mesures d’exécution quelles qu’elles soient, de sorte que l’appel pouvait être interjeté sans autorisation. La requête pour permission d’appeler de bene esse des appelants sera donc rayée puisque sans objet.

[17]        En ce qui concerne la requête en rejet d’appel, les moyens avancés par les appelants méritent d’être étudiés au fond et il n’est pas possible de conclure, à ce stade-ci, que l’appel est abusif ou ne présente aucune chance raisonnable de succès. Il est vrai que les déterminations de fait auxquelles parvient le juge sur la valeur relative de la preuve par expert imposent la déférence et qu’une erreur sérieuse devait, sous ce rapport, être pointée par les appelants, ce qui ne semble pas être le cas[11]. Toutefois, les calculs proposés par l’expert Filion pourront fluctuer dans la mesure où les hypothèses qu’il formule ne seraient pas intégralement retenues. La prudence impose de laisser cheminer le tout en appel.

[18]        Cette requête sera donc rejetée.

[19]        Reste la requête conjointe en cautionnement.

[20]        En référence à l’article 364 C.p.c., les intimés demandent à la Cour d’assujettir l’appel à un cautionnement de 16 119 921 $ pour garantir le paiement du montant de la condamnation, si le jugement est confirmé, et de 20 000 $ pour garantir le paiement des frais de l’appel.

[21]        Au soutien de leur requête, ils allèguent que : le comportement des appelants dénote, depuis plus de 10 ans, une intention ferme de ne rien payer des sommes qu’ils leur doivent; les appelants manifestent un manque total et systématique de transparence; ils n’ont appris l’existence de faits importants en lien avec l’objet de l’arbitrage que par l’effet du hasard ou de façon accessoire, lors de la réception d’autres documents, sans que les appelants aient jugé bon de les tenir informés; les appelants refusent régulièrement de leur communiquer les informations financières pertinentes les concernant, sauf lorsqu’une ordonnance les y contraint; cette situation a perduré après le dépôt de la Sentence qui les obligeait à rendre des comptes; les appelants multiplient les recours pour retarder la mise en œuvre de la Sentence.

[22]        Les intimés reprochent également aux appelants de n’avoir pas « provisionné » les fonds requis pour satisfaire au jugement dont appel et il n’y aurait aucune assurance que les montants seront disponibles. Les appelants ont par ailleurs créé deux nouvelles entités corporatives dans les deux dernières années, EndoCeutics Pharma (MSH) inc. [EC (MSH)] en décembre 2016, et EndoCeutics Pharma(Québec) [EC (QC)] en mai 2017, par l’intermédiaire desquelles elles poursuivent certaines activités commerciales. Ces entités sont directement liées aux appelants, plus particulièrement à M. Labrie[12].

[23]        Les appelants n’ont fourni aux intimés aucune information financière ou autre sur ces entités qui sont actives ni de données récentes sur EC. Deux immeubles ont été acquis par les nouvelles entités dont la valeur s’élève respectivement à 13 M $ et 1,4 M $, immeubles qui sont hypothéqués à hauteur de 170 M $.

[24]        Enfin, les intimés allèguent avoir demandé aux appelants, le 25 septembre 2018, une nouvelle reddition de comptes, cette fois en date du 30 septembre 2018. On leur a répondu que l’obligation de divulgation découlant de la sentence arbitrale avait été satisfaite et que dorénavant seraient seules fournies les informations prévues dans l’Entente, ce qui n’augurerait rien de bon.

[25]        Ainsi, en prenant notamment appui sur ce contexte et sur les rapports additionnels de François Filion (Accuracy), les intimés soutiennent que les états financiers de EC (31 décembre 2015) et ER (31 janvier 2016) laissent objectivement craindre que les appelants ne disposent pas des liquidités suffisantes pour faire face aux obligations découlant du jugement dont appel.

* * *

[26]        L’article 364 C.p.c. énonce :

364. La Cour d’appel ou un juge d’appel, d’office ou sur demande de l’intimée, peut, pour un motif qui le justifie, assujettir un appel à un cautionnement afin de garantir le paiement des frais de l’appel et du montant de la condamnation si le jugement est confirmé.

La cour ou le juge fixe le montant du cautionnement et le délai à l’intérieur duquel l’appelant est tenu de fournir une caution.

[Soulignement ajouté]

[27]        La ministre de la Justice, dans les commentaires exprimés à l’occasion de la réforme de la procédure civile, souligne que cette formulation nouvelle marque un changement important à première vue puisque le critère de la « raison spéciale », retenu jusque-là, fait désormais place à l’exigence d’un « motif qui le justifie »[13].

[28]        Le législateur n’a certes pas voulu revenir à une époque où le cautionnement était la règle en appel[14]. Mais il est également vrai que le nouveau critère confère à la Cour une discrétion plus large qu’auparavant, sans nécessairement faire table rase de l’enseignement dégagé sous le droit antérieur[15]. Le cautionnement doit se justifier, sans pour autant que l’on soit en présence d’une situation « spéciale » qualifiée à une certaine époque d’« exceptionnelle ». Cette jurisprudence n’a plus sa raison d’être.

[29]        La juge Bélanger écrivait, avec à propos, dans Droit de la famille - 17418 :

[11]      Pour l’essentiel, cette disposition reprend le droit antérieur (art. 497 a.C.p.c.), si ce n’est qu’il n’est plus nécessaire de démontrer une « raison spéciale » ou des circonstances exceptionnelles. D’ailleurs, même avant la modification législative, la règle avait été assouplie par les juges de la Cour.

[…]

[13]      Certaines tendances se dégagent toutefois des décisions de la Cour. Ainsi, une demande de cautionnement en appel doit être supportée par une preuve « claire, précise et articulée basée sur des faits et non sur de simples hypothèses ou conjectures », allant au-delà de la simple allégation. Cette preuve doit établir que sans la caution, les droits reconnus par le jugement de première instance sont en péril ou qu’il est nécessaire pour garantir les frais d’appel, d’ordonner un cautionnement.[16]

[Références omises]

[30]        Ainsi, il a été décidé que la multiplication des comptes bancaires et le manque systématique de collaboration quant à la divulgation de sa situation financière par une partie peut constituer un motif valable. Le juge Mainville écrit :

[26]      Un cautionnement peut donc être octroyé « pour un motif qui le justifie ». Ce critère législatif vague mériterait d’être précisé. Dans ce cas-ci, l’intimé soumet que sans l’octroi d’un cautionnement et compte tenu de la conduite de l’appelante prise dans son ensemble, il existe un risque sérieux qu’il ne puisse retracer les fonds en la possession de cette dernière pour exécuter le jugement, en tout ou en partie, à l’issue du pourvoi d’appel. Si cela s’avère être le cas, il s’agirait là effectivement d’un motif qui justifierait un cautionnement au sens de l’art. 364 C.p.c., comme c’était d’ailleurs le cas sous l’ancien C.p.c., tel que le notait le juge Schrager dans Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Québec (Conseil québécois sur le tabac et la santé) et le juge Chamberland dans Wightman c. Widdrington (Succession de). Qu’en est-il en l’occurrence?

[…]

[30]      Compte tenu des conclusions de fait de la juge Perrault énoncées ci-dessus, je suis d’avis que les craintes de l’intimé sont raisonnablement justifiées. La multiplication des comptes bancaires et le manque systématique de collaboration de l’appelante quant à la divulgation de sa situation financière permet de conclure à un risque réel pour l’intimé quant à l’exécution éventuelle du jugement dans l’éventualité où il aurait gain de cause en appel.[17]

[Soulignement ajouté]

[31]        Dans la même veine, le Code de procédure civile impose dorénavant aux parties à un litige une obligation de coopération et de collaboration :

20. Les parties se doivent de coopérer notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents.

Elles doivent notamment, au temps prévu par le Code ou le protocole de l’instance, s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire.

[Soulignement ajouté]

[32]        Cette obligation de droit nouveau a un caractère fondamental et est élevée au rang des principes directeurs de la procédure. Luc Chamberland écrit :

            Cette nouvelle disposition est appelée à jouer un rôle crucial dans le Code. Malgré l’existence d’un système de justice de nature contradictoire, un important devoir de coopération est imposé aux parties, et par le fait même à leur procureur, afin de réduire les coûts, les délais et aussi accroître l’accessibilité à la justice. Cette obligation inscrite aux principes directeurs, jumelée au principe de proportionnalité, appliquée maintenant aux moyens de preuve, bénéficie d’une vaste portée. L’article précédent prévoit déjà que les parties « doivent veiller à limiter l’affaire à ce qui est nécessaire pour résoudre le litige ». La disposition préliminaire énonce que l’exercice des droits devra se faire « dans un esprit de coopération et d’équilibre ». Celle-ci souligne également que le règlement des litiges devrait s’effectuer par l’emploi de « procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice » afin d’assurer « l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile ». Finalement, afin de bien marquer l’étendue de cette disposition, le législateur utilise pour chacune des phrases l’adverbe « notamment ».

            On impose également une obligation mutuelle de s’informer, en tout temps, non seulement des faits au dossier, mais de tout autre élément susceptible de favoriser un débat loyal. Cette obligation continue devrait contribuer à réduire les surprises entre les parties. […][18]

[Soulignement ajouté]

* * *

[33]        On aura compris que, dans cette affaire, des données comptables fiables et complètes sont au cœur du litige. Elles sont essentielles à une préparation adéquate des parties, à toute étape. Elles sont requises pour une présentation pertinente et judicieuse des arguments et des moyens qui concernent, ici, la mise en œuvre de l’Entente et de la Sentence. Un manquement sous ce rapport fait non seulement entorse à l’obligation de coopération, il est susceptible de compromettre le droit même à une audition juste et efficace.

[34]        En vue de l’audition de la requête conjointe en cautionnement, les parties ont déposé des documents comptables, rapports ou déclarations solennelles auxquels les avocats se sont référés et qui sont susceptibles d’éclairer la Cour. Il est maintenant opportun de s’y attarder.

[35]        Dans le cas de l’expert François Filion (Accuracy), dont les services ont été retenus par les intimés, ces documents se situent dans la lignée des deux rapports d’expertise préparés les 31 octobre 2016 et 16 mai 2017 et déposés au procès.

[36]        Dans un premier rapport daté du 8 novembre 2018, M. Filion analyse la capacité des appelants de payer aux intimés la somme de 16,1 M $ découlant du jugement dont appel. Il écrit, après analyse de la situation financière de ER au 31 janvier 2016 :

15.  La lecture du bilan d’ER au 31 janvier 2016 permet de constater que :

·       La société détient peu de liquidités (encaisse de 513 739 $) et peu de sommes à recevoir à court terme (160 932 $).

·       Le principal actif est une avance à EC sans intérêts et modalité de remboursement d’un montant 30 504 733 $. Comme nous le constaterons à la Section 4 du présent rapport, au 31 décembre 2015, EC n’avait pas les sommes nécessaires afin de rembourser cette avance à ER. Notons que cette avance a augmenté de plus de 9 M$ entre 2015 et 2016.

·       Le passif est essentiellement composé d’avances effectuées par la société mère 2751-8901 Québec inc. au montant de 14,6 M$. Notons que cette avance a augmenté de plus de 10 M$ entre 2015 et 2016.

Cette (ou ces) avance de 10 M$ effectuée par 2751-8901 Québec inc. à ER durant l’exercice se terminant au 31 janvier 2016 a servi essentiellement à avancer des sommes à EC.

·       Les capitaux propres indiquent un total de 18,4 M$.

16.  Ainsi, le bilan d’ER indique peu de liquidités et bien qu’une avance importante au montant de 30 M$ est à recevoir d’EC, le remboursement de cette dernière est tributaire des liquidités disponibles et de la santé financière d’EC. Or, au 31 décembre 2015, EC n’avait pas les liquidités nécessaires afin de rembourser cette somme (voir Section 4).

17.  En conclusion, au 31 janvier 2016, ER n’avait pas les liquidités nécessaires afin de faire face à un éventuel montant à payer concernant la Sentence arbitrale estimé à plus de 16,1 M$ (capital de 11,2 M$) et intérêts de 4,9 M$).

[Soulignement ajouté]

[37]        M. Filion ajoute que le bilan d’ER au 31 janvier 2016 ne comptabilise aucun passif en conséquence de la sentence arbitrale. Il requiert, par ailleurs, que des informations précises soient fournies pour actualiser les données sur la capacité financière de ER.

[38]        En ce qui concerne EC, M. Filion écrit, après analyse de sa situation financière au 31 décembre 2015 :

23.  La lecture du bilan d’EC au 31 décembre 2015 permet de constater que :

·       La société n’a pas de liquidités (découvert bancaire de 82 527 $) et a près de 2 M$ de sommes à recevoir à court terme;

·       Les autres actifs sont constitués d’immobilisations/actifs incorporels (2,3 M$), d’avances/billets (292 000 $), de frais payés d’avance (295 000 $) et de stocks (22 000 $);

·       Le passif est essentiellement composé de :

o  Une avance d’ER d’un montant de 28,7 M$;

o  Des avances de 2751-8901 Québec inc., la société mère d’ER, totalisant 1,9 M$;

·       Les capitaux propres sont déficitaires d’un montant de 26,7 M$.

24.  Ainsi, le bilan d’EC indique peu d’actifs à court terme pouvant être réalisés rapidement en comparaison à l’avance importante due à ER de 28,7 M$. Ainsi, au 31 décembre 2015, EC n’avait pas la capacité financière nécessaire afin de rembourser cette avance à ER.

25.  En conclusion, au 31 décembre 2015, EC n’avait pas les liquidités nécessaires afin de faire face à un éventuel montant à payer concernant la Sentence arbitrale estimé à plus de 16,1 M$ (capital de 11,2 M$ et intérêts de 4,9 M$).

[39]        Encore là, l’expert note qu’aucun passif n’a été comptabilisé en conséquence de la sentence arbitrale. Curieusement, une note aux états financiers mentionne que EC demande l’annulation de la Sentence aux motifs qu’elle n’était pas partie à l’Entente ni au litige arbitral et que les arbitres l’ont illégalement modifiée pour en étendre indûment la portée… Elle conclut qu’elle n’a rien comptabilisé dans ses états financiers « puisque la direction est d’avis que sa contestation est bien fondée ».

[40]        Or, le projet de ces états financiers a été préparé le 27 juin 2016, près de trois mois après que la Cour suprême eut mis fin à la contestation des appelants relative à la validité de la sentence arbitrale. Il s’agit sans doute d’une maladresse comptable.

[41]        Enfin, M. Filion présente diverses informations financières sur des transactions réalisées par EC depuis le 31 décembre 2015. Il identifie l’information qu’il doit obtenir pour être en mesure d’actualiser son rapport sur la situation financière de EC.

[42]        Le 9 novembre 2018, l’avocat des appelants fait parvenir aux avocates des intimés une « Déclaration de la direction » qui porte sur les revenus et dépenses attribuables à Vaginorm/IntraRosa pour les exercices terminés les 31 décembre 2016 et 2017 en ce qui concerne EC et pour les exercices terminés les 31 janvier 2017 et 2018 en ce qui concerne ER. Les revenus et dépenses ont également été cumulés de janvier 2007 au 31 décembre 2015.

[43]        Ce document est complété par un rapport comptable d’Ernst & Young [EY] qui a vérifié les états consolidés de EC au 31 décembre 2017 et atteste qu’ils ont été préparés selon les normes canadiennes applicables aux entreprises à capital fermé. Les états financiers non consolidés de ER au 31 janvier 2018 ont par ailleurs été compilés, « sans mission d’audit ou d’examen », de sorte que « nous n’exprimons aucune assurance sur ceux-ci ». Dans chaque cas, les comptables ont comparé les soldes provenant des états financiers avec les soldes présentés dans la Déclaration de la direction et aucun écart n’a été décelé.

[44]        Le 28 novembre 2018, Deloitte a compilé, à partir des informations fournies par la direction, le bilan consolidé de ER et de EC au 30 septembre 2018 et l’état combiné des résultats de EC et ER au 30 septembre 2018. N’ayant pas réalisé une mission de vérification ou d’examen à cet égard, la firme n’exprime aucune assurance. Notons que l’état combiné des résultats de ER et EC inclut également les résultats de EC (MSH) et EC (QC).

[45]        Le 29 novembre 2018, M. Dennis Turpin, vice-président finances chez EC, a signé une déclaration sous serment en réponse au rapport Filion du 8 novembre. Il y affirme que : Deloitte a été mandatée pour compiler les documents ci-haut mentionnés et a fourni une assistance pour analyser et interpréter l’information financière et d’autres données se rapportant à ce dossier; depuis le 1er février 2016 pour ER et le 1er janvier pour EC et jusqu’au 30 septembre 2018, ER et EC ont cumulé un chiffre d’affaires combiné de près de 145 M $ et un bénéfice net de près de 11,5 M $; EC a inscrit dans ses états financiers au 31 décembre 2017 une provision de 15,7 M $ pour éventualités liées au présent litige et elle y a ajouté une provision additionnelle pour intérêts courus en date du 30 septembre 2018; n’eût été cette provision, le bénéfice net combiné aurait été de 27,4 M $; au 30 septembre 2018, l’encaisse et les placements à court terme consolidés de ER totalisaient près de 41 M $ et le fonds de roulement consolidé, 11,1 M $; n’eût été la provision pour éventualités, le fonds de roulement consolidé aurait été d’environ 27,1 M $; en date du 29 novembre 2018, les appelantes ont les liquidités nécessaires pour satisfaire au jugement de première instance.

[46]        M. Turpin ajoute que les immobilisations corporelles et incorporelles ont augmenté pour permettre à EC et à ses filiales de fabriquer et de commercialiser l’IntraRosa à grande échelle et de respecter ses obligations contractuelles, que la valeur aux livres consolidée des immobilisations de ER et de ses filiales totalisait environ 57 M $ au 30 septembre 2018 et que EC a conclu un financement dont le solde aux états financiers consolidés de ER était de près de 70 M $ à cette date.

[47]        Il souligne toutefois que, si la requête en cautionnement était accueillie, « cela pourrait entraîner des conséquences néfastes pour ER et EC ».

[48]        Le 7 décembre 2018, M. Filion signe un rapport complémentaire. Il mentionne d’emblée que les résultats fournis se présentent sous une forme consolidée regroupant ER, EC et les filiales de cette dernière, de sorte qu’il est « impossible de déterminer à quelle société appartiennent les différents actifs et passifs » auxquels se réfère la déclaration.

[49]        Ainsi, il n’y a aucune indication quant à la répartition de l’encaisse et des placements pour ce qui concerne particulièrement ER et EC. Par ailleurs, la valeur de ces postes comptables a diminué de 3,4 M $ entre le 30 septembre et le 29 novembre 2018. Également, le bilan consolidé ne permet pas d’identifier « certains éléments, dont entre autres, les garanties, cautions, conditions rattachées au prêt de 69,5 M $ au 30 septembre 2018… ».

[50]        En ce qui concerne la provision pour éventualités de 15,7 M $ maintenant comptabilisée dans le passif à court terme à l’état financier de EC au 31 décembre 2017, M. Filion souligne que le fait d’inscrire cette provision ne fait pas en sorte « que des sommes au bilan d’EC sont réservées, ou autrement affectées spécifiquement pour le paiement éventuel de ce jugement ». Rien ne garantit que ER et EC auront éventuellement les sommes requises.

[51]        Enfin, seul un extrait de deux pages de l’état financier de EC au 31 décembre 2017, qui compte plus de 20 pages, a été fourni à la partie adverse. Aussi, le fait de présenter la provision pour éventualités dans le passif à court terme a pour effet de réduire le fonds de roulement de EC à 11,1 M $ au 31 décembre 2017.

[52]        Le 19 décembre 2018, M. Turpin a signé une nouvelle déclaration sous serment. Il répond que 99% de l’encaisse appartient à ER et EC. Il explique la baisse de l’encaisse par le paiement d’impôts sur les bénéfices de ER. Sur la provision pour éventualités, il souligne que l’échéance ou le montant est incertain et c’est la raison pour laquelle le montant litigieux a été considéré comme une provision et non comme un compte à payer. Enfin, il réitère que si la requête devait être accueillie, les liquidités de l’entreprise pourraient être affectées, ce qui aurait « des conséquences néfastes sur le développement des appelantes ».

* * *

[53]        L’attitude manifestée par les appelants depuis le début de l’aventure commune des parties ne satisfait pas aux exigences de collaboration et de coopération dont la portée et le rôle directeur sont maintenant reconnus à l’article 20 C.p.c. Pour la mise en œuvre de l’entente de 1991 et de la sentence arbitrale de 2011, les appelantes et celui qui en tire les ficelles, M. Labrie, sont les seuls à posséder une information essentielle pour les intimés. Sans cette information, les intimés sont dans l’incapacité d’évaluer dans quelle mesure l’Entente et la Sentence reçoivent application et, le cas échéant, quelles sont les sommes qui leur sont dues.

[54]        L’avocat des appelants a invité les intimés, en plaidoirie, à se réjouir des succès actuels et à venir des entreprises de M. Labrie. On aura compris que là n’est pas la question. Les intimés seraient sans doute enchantés du succès financier des appelants dont ils toucheront leur part, le cas échéant, tel que convenu au départ. Ils n’ont pas d’intention ténébreuse, comme le rappelaient les arbitres aux appelants dans leur décision :

[79]      Il est normal qu’avant mai 2007 l’Université et le CHUQ se soient interrogés pour connaître les résultats de l’entente P-10, le cas échéant. Les défendeurs prétendent que la demanderesse et le mis en cause ont plutôt voulu profiter du premier appel public à l’épargne (PAPE) pour demander ce à quoi ils n’avaient pas droit, formant concertation et même complot, causant l’échec du PAPE et forçant ENDOCEUTICS à retirer le prospectus D-33 le 26 juin 2007. Les défendeurs ajoutent à l’idée de complot, notamment, la lettre d’octobre 2006 écrite par le CHUQ au Recteur. De même ils se plaignent de la résiliation du contrat de recherche D-26 par lettre du 19 décembre 2008. Enfin ils invoquent abus de droit et de procédures.

[80]      Nous concluons plutôt à une mésentente sur le contenu et la portée de l’entente P-10. Ni dans les documents produits, ni dans les témoignages entendus pendant plusieurs jours nous ne percevons des complicités ou des manœuvres menant à un complot soit dans le but d’obtenir plus que ce qui y est prévu, soit dans celui de rendre impossible son exécution ou encore de la renégocier. On ne peut reprocher la vigilance dans l’exercice de droits ni d’inciter un partenaire à agir pour les faire respecter. Quant aux abus de droit et de procédures, nous croyons que la situation justifiait les prétentions soumises en demandes.

[Soulignement ajouté - Références omises]

[55]        Depuis le dépôt de la Sentence, il y a bientôt huit ans, les intimés font valoir ce qu’ils considèrent être leur droit. Dans la foulée et depuis la remise, en novembre 2015, de la Reddition de comptes 2014, des informations additionnelles ont été demandées et fournies, notamment à la suite de l’interrogatoire, au printemps 2016, du vice-président finances de EC à l’époque, M. Claude Doré. Celles-ci ont donné lieu aux rapports Filion[19] d’octobre 2016 et de mai 2017. Il faut toutefois rappeler que, dans un courriel envoyé aux avocates des intimés le 2 octobre 2018, et tel que relaté ci-haut, l’avocat des appelants les a informées que la sentence arbitrale ne s’appliquant qu’au contrat Bayer, résilié en 2015, la seule obligation de divulgation demeurant ne pourrait reposer que sur le paragraphe 3 de l’Entente.

[56]        Cela dit, en regard de la capacité financière des appelantes de satisfaire au jugement dont appel, des questions demeurent sans réponse et des informations demandées n’ont pas été fournies.

[57]        Fondamentalement, l’information fournie sous forme d’état combiné des résultats et de bilan consolidé d’ER au 30 septembre 2018 ne permet pas de déterminer à laquelle des quatre sociétés (ER, EC, EC (MSH), EC (QC)), doivent être attribués les actifs et passifs mentionnés dans la déclaration sous serment du 29 novembre 2018.

[58]        Or, de l’avis de M. Filion, en date des 31 janvier 2016 et 31 décembre 2015, ni ER ni EC ne disposaient respectivement des liquidités pour satisfaire au jugement dont appel. Sur la base des documents fournis par les appelants, rien ne permet de croire que la situation de ER se serait améliorée, ce que ne prétend d’ailleurs pas M. Turpin dans sa déclaration. Dans sa déclaration additionnelle du 10 décembre, il précise que 99% de l’encaisse et des placements à court terme appartiennent à EC et à ER, sans préciser davantage.

[59]        Par ailleurs, EY précise que, dans le cadre des états financiers non consolidés d’ER au 31 janvier 2018, lesquels incluent ceux au 31 janvier 2017, elle n’a pas réalisé de mission d’examen et n’exprime aucune assurance.

[60]        Pour ce qui concerne EC et tel que déjà mentionné, seul un extrait de deux pages de l’état financier au 31 décembre 2017 a été mis à la disposition de la partie adverse. En outre, l’expert Filion a demandé, le 8 novembre 2018, des informations à incidence financière importantes sur les éléments suivants :

37.  De plus, depuis 2016, différentes transactions financières ont été réalisées par EC ayant une incidence certaine sur sa situation financière, telles que :

·       Obtention d’un prêt de 85 M$ US auprès de CRG Servicing LLC;

·       Obtention de paiements d’au moins 70 M$ US provenant de l’entente conclue avec AMAG. De cette somme, il resterait l’équivalent d’une somme de 56 M$ US en considérant les paiements qui auraient été effectués à Bayer;

·       La réception de 600 000 actions ordinaires d’AMAG qui ont une valeur en date des présentes d’environ 10,5 M$ US;

·       La possibilité, tout dépendant du niveau réalisé de ventes jusqu’à maintenant, de paiements de jalons de plusieurs dizaines, voire centaines de millions de $ US selon l’atteinte de différents niveaux de ventes de l’Intrarosa.

38.  Ainsi, il serait nécessaire d’obtenir des informations à jour afin de déterminer si EC a les capacités financières nécessaires afin d’honorer le jugement rendu le 30 mai 2018 totalisant une somme de 16,1 M$ (capital de 11,2 M$ et intérêts de 4,9 M$).

[Soulignement ajouté]

[61]        Et un peu plus loin, M. Filion demande :

39.  […]

·       Toutes les ententes entourant la génération de ventes depuis 2016 ainsi que celles à venir;

·       Tous les contrats d’emprunt ou engagements financiers survenus depuis 2016 et jusqu’à maintenant.

[62]        Ces informations essentielles n’ont pas été transmises aux intimés.

[63]        Par ailleurs, nous n’avons aucune idée de l’impact financier de l’immatriculation des deux filiales de EC (EC (MSH) en décembre 2016 et EC (QC) en mai 2017) sur le bilan de l’appelante. Dans ce contexte, le commentaire de l’avocat des appelants formulé à l’audience selon lequel les appelants « ont inondé les intimés d’informations » est, pour dire le moins, inapproprié et inexact.

[64]        Enfin, alors que M. Turpin affirme que le dépôt d’un cautionnement (sans autre précision) pourrait avoir des « conséquences néfastes sur le développement de ER et EC », l’avocat des appelantes assure qu’elles n’auront aucune difficulté à déposer un cautionnement de 16 M $. Ici encore, on cultive l’ambiguïté.

[65]        Sur le tout, la Cour estime être en présence d’une preuve claire, précise et articulée, basée sur des faits, établissant qu’il est nécessaire, pour garantir les droits reconnus par le jugement de première instance, d’ordonner un cautionnement.

[66]        En regard de la quotité du cautionnement, rappelons qu’il ne doit pas constituer un obstacle ou mettre en péril le droit d’appel[20] ni être tel que son attribution équivaut à une exécution provisoire du jugement porté en appel[21]. Cela étant considéré, la Cour assujettira l’appel à un cautionnement de cinq millions de dollars pour garantir le paiement de la condamnation et des frais, montant qui pourra notamment être fourni sous forme de lettre de crédit irrévocable[22].

[67]        En terminant, les appelants ont questionné, in limine litis, la validité du désistement partiel d’un jugement daté du 7 décembre 2018, déposé par les intimés devant la Cour supérieure et au terme duquel ils se désistent de la conclusion du paragraphe 59 du jugement dont appel et des droits qui en découlent en ce qui concerne le défendeur Fernand Labrie personnellement. La Cour ne voit pas matière à intervention sous ce rapport.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[68]        REJETTE la requête conjointe en rejet d’appel, avec les frais de justice;

[69]        DÉCLARE sans objet la requête pour permission de faire appel de bene esse;

[70]        PREND ACTE du désistement partiel des intimés en Cour supérieure;

[71]        ACCUEILLE la requête conjointe en cautionnement, ASSUJETTIT l’appel à un cautionnement de cinq millions de dollars pour garantir le paiement de la condamnation et des frais, et ORDONNE aux appelantes Endorecherche inc. et Endoceutics inc. de fournir ce cautionnement dans un délai de 30 jours du dépôt de cet arrêt, avec les frais de justice.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

Me Jacques Larochelle

Jacques Larochelle Avocat inc.

Pour les appelants

 

Me Marie Cossette

Me Odile Archambault

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Pour l’intimée Université Laval

 

Me Marie-Hélène Riverin

LAVERY DE BILLY

Pour l’intimé Centre hospitalier universitaire de Québec,

maintenant connu sous le nom de CHU de Québec

 

Date d’audience :

10 décembre 2018

 


 

 

ANNEXE

 

 

 

 



[1]     Monsieur Labrie est décédé le 16 janvier 2019.

[2]     Le « Projet mobilisateur » était joint à la lettre du 19 juin, de même que la demande d’aide au F.D.T., le projet de contrat à intervenir avec Schering et d’autres documents pertinents.

[3]     Endoceutics inc. c. Philippon, 2013 QCCS 1742, paragr. 2-5.

[4]     Id., paragr. 10-13.

[5]     Le tribunal d’arbitrage note que EC « a comparu “sous toutes réserves” et indiqué qu’elle ne se considérait pas liée par la clause compromissoire ni comme partie à l’arbitrage. De plus, elle soutient que l’ajout d’ENDOCEUTICS aurait dû faire l’objet d’un débat préliminaire susceptible d’une décision intérimaire ». Université Laval c. Endorecherche inc. et als., C.C.A.C., no S07-092401-RG, 21 septembre 2011, Jean McNicoll, Jean Moisan et Jacques Philippon, paragr. 85.

[6]     Endoceutics inc. c. Philippon, supra, note 3, paragr. 15-19.

[7]     2013 QCCS 1735, 2013 QCCS 1736, 2013 QCCS 1743; voir aussi Endoceutics inc. c. Philippon, supra, note 3.

[8]     Endorecherche inc., et al. c. Centre hospitalier universitaire de Québec, et al., 2016 CanLII 18908.

[9]     Qui deviendront une demande conjointe en reddition de comptes.

[10]    Université Laval c. Endorecherche inc., 2018 QCCS 2598, paragr. 49-52.

[11]    La réponse de l’experte des appelants (du 10 janvier 2017) au rapport de l’expert Filion de la firme Accuracy, retenue par le juge, ne nous a pas été fournie.

[12]    Un organigramme reproduit en annexe de cet arrêt et qui était intégré dans un rapport préparé par M. François Filion le 8 novembre 2018 fait voir les sociétés détenues par M. Labrie.

[13]     Luc Chamberland (dir.), Le Grand collectif - Code de procédure civile - Commentaires et annotations, Vol. 1, 3e éd., Montréal, Yvon Blais, 2018, p. 1801.

[14]     Hippodrome Blue Bonnets c. Jolicoeur, [1990] R.D.J. 458.

[15]    Voir par exemple : Enerkem Alberta Biofuels c. Papillon et fils Ltée, 2018 QCCA 407, paragr. 16 (Hogue, j.c.a.); Compagnie des arts et métiers traditionnels limitée c. Ordre de la Très-Sainte-Trinité, 2018 QCCA 1216, paragr. 7 (Marcotte, j.c.a.); Cran-Québec II c. Excavations Mario Roy inc., 2017 QCCA 1983, paragr. 9-13 (Rancourt, j.c.a.); Droit de la famille - 172312, 2017 QCCA 1554, paragr. 26 (Mainville, j.c.a).

[16]    Droit de la famille - 17418, 2017 QCCA 373, paragr. 11 et 13 (Bélanger, j.c.a). Voir aussi : Wightman c. Widdrington (Succession de), 2011 QCCA 1393, paragr. 26-28.

[17]    Droit de la famille - 172312, supra, note 15, paragr. 26 et 30.

[18]    L. Chamberland (dir.), Le Grand collectif - Code de procédure civile - Commentaires et annotations, supra, note 13, p. 203.

[19]    M. Filion réfère à ces informations et à cet interrogatoire.

[20]    Labene c. Paquette, 2015 QCCA 962, paragr. 6 (Mainville, j.c.a.); Therrien c. Lefebvre, 2015 QCCA 1549, paragr. 13 (St-Pierre, j.c.a.); Inversiones Bellrim s.a. c. Guzzler Manufacturing Inc., 2009 QCCA 550, paragr. 16 (Dufresne, j.c.a.); Shama Textiles inc. c. Certain Underwriters at Lloyds, 2007 QCCA 771, paragr. 8 (Bich, j.c.a.).

[21]    Imperial Tobacco Canadien Ltd. c. Conseil Québécois sur le tabac et la santé, 2015 QCCA 1737, paragr. 47 (Schrager, j.c.a.); Laforest c. Côté, 2015 QCCA 119, paragr. 17 (Gagnon, j.c.a.); Bell c. Molson, 2013 QCCA 377, paragr. 10.

[22]    Imperial Tobacco Canadien Ltd. c. Conseil Québécois sur le tabac et la santé, supra, note 21, paragr. 62 (Schrager, j.c.a.).

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