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[1] Le 17 mars 2006, la Communauté des Sœurs de l’Assomption de la Sainte-Vierge (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 30 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 29 septembre 2005 et déclare que la base salariale brute devant servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est de 15 538 $ par année.
[3] Une audience est tenue à Trois-Rivières le 25 juillet 2006 en présence de l’employeur et de son procureur de même que de la travailleuse.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le revenu brut devant servir de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est de 9 105 $ représentant le salaire gagné par la travailleuse dans les 52 semaines précédant l’événement.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Il n’y a pas lieu d’annualiser le revenu de la travailleuse à la lumière des principes retenus par la Cour d’appel du Québec. Le revenu brut retenu doit se rapprocher le plus possible de la réalité des travailleurs et travailleuses et cette réalité en l’espèce est de 9 105 $ annuellement. Cependant, cela n’exempte pas le tribunal d’appliquer les dispositions de l’article 65 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui prévoit un maximum et un minimum au niveau du revenu brut annuel d’emploi. En l’espèce, la CSST avait raison de fixer ce revenu brut annuel à 15 538 $ sur la base du salaire minimum.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le 22 janvier 2005, la travailleuse subit une lésion professionnelle reconnue par la CSST qui, dans une décision du 20 mai 2005, a aussi reconnu le diagnostic de tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche comme étant relié à l’événement initial.
[7] À l’«avis de l’employeur et demande de remboursement», l’employeur indique que la travailleuse a gagné 9 105 $ au cours des 12 mois précédant l’accident. Ceci est d’ailleurs corroboré dans le document déposé sous la cote E-1 et n’a nullement été contredit à l’audience. Ce document démontre lui aussi que la travailleuse a gagné 9 105 $ au cours des 52 semaines précédant l’événement du 22 janvier 2005. Elle a travaillé une moyenne de 14 heures et demie par semaine pour un revenu hebdomadaire moyen d’environ 175 $.
[8] Madame Barbara Bonin, adjointe chez l’employeur, témoigne d’ailleurs à cet effet ajoutant que la travailleuse a le statut de « temps partiel occasionnel », statut partagé par 40 à 50 % des employés travaillant chez l’employeur. Ce dernier a également à son emploi des travailleurs à temps plein et d’autres à temps partiel «régulier».
[9] Dans un avis de paiement du 29 septembre 2005, la CSST indique que le montant des indemnités de la travailleuse a été établi sur la base du revenu brut assurable de 15 538 $, soit sur la base du salaire minimum annualisé.
[10] Personne à l’audience n’a contesté le fait que l’avis de paiement du 29 septembre 2005 constitue une décision permettant aux parties d’exercer un droit de contestation à son encontre. La jurisprudence est d’ailleurs à l’effet qu’un tel avis constitue bel et bien une décision.[2]
[11] Il est vrai que cette décision date du 29 septembre 2005, soit plus de neuf mois après la survenance de la lésion initiale et qu’on pourrait être tenté de penser que d’autres avis de paiement antérieurs ou d’autres documents avaient déjà informé l’employeur de cette décision de la CSST auquel cas l’employeur serait forclos de contester la décision de septembre 2005.[3]
[12] Toutefois, le tribunal ne bénéficie d’aucune preuve concrète lui permettant de constater que l’employeur a bel et bien été informé du revenu brut retenu par la CSST avant le 29 septembre 2005.
[13] La Commission des lésions professionnelles doit donc décider de la question du revenu brut de la travailleuse tel que prévu à l’article 67 de la loi :
67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I-3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
__________
1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.
[14] C’est ce revenu brut qui servira à établir le revenu net retenu prévu à l’article 63 de la loi :
63. Le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi est égal à son revenu brut annuel d'emploi moins le montant des déductions pondérées par tranches de revenus que la Commission détermine en fonction de la situation familiale du travailleur pour tenir compte de:
1° l'impôt sur le revenu payable en vertu de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) et de la Loi de l'impôt sur le revenu (Lois révisées du Canada (1985), chapitre 1, 5e supplément);
2° la cotisation ouvrière payable en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23); et
3° la cotisation payable par le travailleur en vertu de la Loi sur le régime de rentes du Québec (chapitre R-9).
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des indemnités de remplacement du revenu, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table indique des revenus bruts par tranches de 100 $, des situations familiales et les indemnités de remplacement du revenu correspondantes.
Lorsque le revenu brut d'un travailleur se situe entre deux tranches de revenus, son indemnité de remplacement du revenu est déterminée en fonction de la tranche supérieure.
__________
1985, c. 6, a. 63; 1993, c. 15, a. 88; 1997, c. 85, a. 3.
[15] Enfin, c’est ce revenu net retenu qui servira à son tour à déterminer l’indemnité de remplacement du revenu tel que le mentionne l’article 45 de la loi :
45. L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90% du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 45.
[16] Selon la preuve faite à l’audience, le revenu prévu au contrat de travail de la travailleuse est d’environ 12,00 $ l’heure. Elle travaille à temps partiel à raison d’environ 15 heures par semaine. Le tribunal constate donc que la travailleuse fournit une prestation de travail à temps partiel, qu’elle travaille environ 15 heures par semaine et qu’elle gagne environ 12,00 $ l’heure. Le montant de 9 105 $ avancé par l’employeur semble donc correspondre au revenu brut prévu par le contrat de travail de la travailleuse. Le tribunal n’a bénéficié d’aucune preuve démontrant que la travailleuse a retiré un revenu brut plus élevé de son emploi comme le permet l’article 67 de la loi.
[17] Le tribunal ne croit pas qu’il y ait lieu d’annualiser ce revenu brut. Le soussigné s’est déjà penché sur cette question dans l’affaire Revêtements Écono Guy Tremblay & Julien Tremblay[4].
[18] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles avait refusé d’annualiser le revenu brut annuel d’un travailleur à temps partiel au motif qu’une telle façon de procéder enrichirait injustement le travailleur et ne représentait aucunement la réalité et son vécu professionnel. Le revenu brut d’un travailleur doit être basé sur son contrat de travail et non pas sur de pures hypothèses. C’est donc la situation réelle du travailleur qui devrait prévaloir en cette matière.
[19] D’ailleurs, l’annualisation automatique du salaire ferait en sorte que le législateur aurait parlé pour ne rien dire en prévoyant à la fin de l’article 67 de la loi qu’il est possible d’ajouter les prestations d’assurance emploi au revenu brut. Une pareille disposition deviendrait complètement stérile si l’annualisation du revenu brut est pratiquée.
[20] La Cour d’appel du Québec a d’ailleurs rendu deux arrêts sur cette question et le soussigné partage entièrement les vues qui y sont exprimées par la plus haute cour du Québec.
[21] Dans l’arrêt Héroux & Groupe Forage Major[5], la Cour d’appel déclarait manifestement déraisonnable le fait pour la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles de conclure que le revenu annuel d’un travailleur est celui qui est obtenu à la suite d’une opération mathématique par laquelle le salaire de son contrat de courte durée, à raison de 12 heures par jour, 7 jours par semaine est multiplié par 52. La Cour s’exprime notamment comme suit :
« [44] (…)
[15] Il serait impensable que le salaire annuel retenu pour déterminer l’indemnité de remplacement du revenu dépende principalement des aléas du contrat particulier exécuté au moment de la lésion.
[16] Le législateur renvoie, par l’article 67, au salaire prévu par le contrat de travail. Il ne spécifie pas s’il s’agit d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. C’est donc que les règles doivent couvrir les deux types de contrats. L’évaluation du revenu annuel doit être modulée en fonction des critères de l’article 67. Cette évaluation doit tenir compte de tous les faits qui sont de nature à rehausser le revenu brut du travailleur. Tous les facteurs mentionnés ont un fondement dans les conditions de travail réelles du travailleur. L’article 67 ne fait aucune allusion à une projection mathématique.
[17] L’ajustement pour tenir compte des prestations d’assurance-chômage donne d’ailleurs un indice voulant que le travail puisse être pour le moins d’une année sans que la CSST doive obligatoirement avoir recours à une projection mathématique du salaire gagné au cours de la semaine pendant laquelle la lésion survient. Cet ajustement démontre donc que l’annualisation n’est pas envisagée par le texte de l’article 67 puisqu’il n’y aurait jamais de cas où il serait avantageux de tenir compte des prestations d’assurance-chômage, celles-ci étant au mieux de 55% du salaire du travailleur.
[18] J’accepte le principe mis de l’avant par le commissaire suivant lequel l’indemnité est destinée à compenser la perte de gains futurs et l’incapacité à exercer un emploi. Une interprétation favorable au travailleur doit prévaloir. Il faut toutefois tenir compte du fait que le législateur a retenu le concept du revenu annuel qui correspond normalement à une donnée trouvant une corrélation dans la réalité.
[19] Par contraste, le résultat de l’opération mathématique retenue par le commissaire n’a rien de commun avec la réalité. En l’espèce, elle donnerait même lieu à une indemnité qui serait près du double du salaire normalement gagné par un travailleur exécutant les anciennes fonctions de l’appelant.
[20] Il serait impensable pour un travailleur de travailler 12 heures par jour 365 jours par année et inhumain pou un employeur d’imposer de telles conditions. L’approche est irréaliste, irrationnelle et ne prend pas appui sur le texte de l’article 67. Cet article commande une évaluation qui tient compte des caractéristiques particulières de l’emploi du travailleur. Cet article ne laisse pas place à une application aveugle d’une méthode qui peut ne pas être manifestement déraisonnable dans certains contrats mais qui ne peut certes pas être extrapolée à un contrat à durée déterminée comme celui en l’espèce. (…)
(gras et soulignements ajoutés) »
[22] Très récemment, la Cour d’appel s’est penchée à nouveau sur un cas de fixation du revenu brut annuel dans l’affaire Simon & Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois[6]. Dans cet arrêt de la Cour d’appel, le juge Rochette s’exprime ainsi au nom des trois membres du tribunal :
« (…)
[46] L’annualisation n’est pas prévue - et encore moins imposée - à l’article 67, qu’un contrat d’emploi soit à durée déterminée ou indéterminée. En revanche, elle demeure une alternative valable pour autant qu’il existe un lien entre l’indemnisation qui en résulte et la situation de la travailleuse. Un tel lien n’est pas démontré par la réviseure de la CSST entre l’annualisation et les caractéristiques particulières de l’emploi de l’appelante. On a appliqué aveuglément ici une méthode, un mode de calcul, sans établir de corrélation avec la réalité de l’emploi de l’appelante.
(…)
[49] Cet énoncé est inexact. Comme notre Cour l’a rappelé dans l’arrêt Héroux [19], l’indemnité versée en vertu de la LATMP est destinée à compenser la perte de gains futurs et l’incapacité à exercer un emploi. L’article 45 LATMP précise, par ailleurs, que l’indemnité de remplacement du revenu est établie en tenant compte du « revenu que le travailleur tire annuellement de son emploi ». Une interprétation favorable au travailleur doit être retenue, tant pour le passé [20] que pour l’avenir raisonnablement prévisible. Katherine Lippel et Marie-Claire Lefebvre écrivent à ce sujet :
Il nous semble que la leçon à tirer de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Héroux est que la C.L.P., comme la C.S.S.T., est libre d’adapter les consignes du législateur prévues à l’article 67 de manière à permettre une indemnisation qui tienne compte de la perte de capacité de gain, que la disposition doit s’interpréter de manière favorable au travailleur, mais que toute application de la loi doit être un reflet non pas nécessairement du passé mais d’une projection réaliste de la situation dans l’avenir. Si les revenus gagnés au cours des douze mois précédents démontrent une capacité de gain supérieure à celle qui serait obtenue en projetant sur une année le salaire du contrat de travail du travailleur au moment de l’accident, la loi exige que le revenu antérieur soit déterminant ; dans toute autre situation, la C.L.P. doit, de manière réaliste, tenter d’estimer les revenus futurs qu’aurait pu gagner le travailleur n’eût été de sa lésion. […][21]
[Je souligne]
[50] Je suis d’accord avec cette proposition. Cela étant, l’annualisation du salaire horaire de l’appelante est-elle manifestement déraisonnable ? La projection faite de sa situation dans cet horizon d’une année est-elle contraire à la raison ?
(…)
[55] Les circonstances de cette affaire sont bien particulières et il ne faudrait pas en conclure que l’annualisation des revenus d’un travailleur qui effectue du remplacement occasionnel doit dorénavant être facilitée, avec les conséquences en découlant sur l’administration du régime. Le revenu annuel retenu doit prendre appui sur la réalité d’emploi de chaque travailleur et sur une projection défendable de sa situation dans l’avenir. La futurologie n’a pas sa place dans ce cadre.
(…) »
[23] Ceci étant dit, la loi contient aussi d’autres dispositions concernant le calcul du revenu brut annuel d’emploi aux articles 65, 66 et 6 de la loi :
65. Aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d'emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.
__________
1985, c. 6, a. 65.
66. Pour l'année 1985, le maximum annuel assurable est de 33 000 $.
Pour l'année 1986 et chaque année subséquente, le maximum annuel assurable est obtenu en multipliant le maximum pour l'année 1985 par le rapport entre la somme des rémunérations hebdomadaires moyennes des travailleurs de l'ensemble des activités économiques du Québec établies par Statistique Canada pour chacun des 12 mois précédant le 1er juillet de l'année qui précède celle pour laquelle le maximum annuel assurable est calculé et cette même somme pour chacun des 12 mois précédant le 1er juillet 1984.
Le maximum annuel assurable est établi au plus haut 500 $ et est applicable pour une année à compter du 1er janvier de chaque année.
Pour l'application du présent article, la Commission utilise les données fournies par Statistique Canada au 1er octobre de l'année qui précède celle pour laquelle le maximum annuel assurable est calculé.
Si les données fournies par Statistique Canada ne sont pas complètes le 1er octobre d'une année, la Commission peut utiliser celles qui sont alors disponibles pour établir le maximum annuel assurable.
Si Statistique Canada applique une nouvelle méthode pour déterminer la rémunération hebdomadaire moyenne pour un mois donné, en modifiant la période ou le champ d'observation visé, et que la somme des rémunérations hebdomadaires moyennes pour une année au cours de laquelle Statistique Canada a appliqué une nouvelle méthode est supérieure ou inférieure de plus de 1% à la somme des rémunérations hebdomadaires moyennes établies selon les données de l'ancienne méthode, les rémunérations hebdomadaires moyennes à utiliser pour établir la moyenne annuelle pour chacune des années affectées par le changement de méthode sont ajustées par la Commission de façon à tenir compte des données selon la méthode appliquée par Statistique Canada le 19 août 1985.
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1985, c. 6, a. 66.
6. Aux fins de la présente loi, la Commission détermine le salaire minimum d'un travailleur d'après celui auquel il peut avoir droit pour une semaine normale de travail en vertu de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) et ses règlements.
Lorsqu'il s'agit d'un travailleur qui n'occupe aucun emploi rémunéré ou pour lequel aucun salaire minimum n'est fixé par règlement, la Commission applique le salaire minimum prévu par l'article 3 du Règlement sur les normes du travail (R.R.Q., 1981, chapitre N-1.1, r. 3) et la semaine normale de travail mentionnée à l'article 52 de la Loi sur les normes du travail, tels qu'ils se lisent au jour où ils doivent être appliqués.
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1985, c. 6, a. 6.
[24] L’article 65 prévoit clairement un plancher et un plafond dans l’établissement du revenu brut annuel d’emploi. Il ne s’agit donc pas ici d’annualiser ou de faire des projections mathématiques. Il s’agit plutôt, une fois le revenu brut annuel d’emploi établi, de vérifier s’il respecte les balises minimales et maximales imposées par le législateur, rien de plus. La concordance avec la réalité cède ici le pas à des chiffres fixés par le législateur dans le cadre de son pouvoir législatif souverain.
[25] Or, le revenu brut prévu au contrat de travail de la travailleuse est inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum calculé par la CSST à 15 538 $, montant nullement contesté par l’employeur quant à son quantum.
[26] Le tribunal se doit donc de constater que c’est le revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum qui doit servir ultimement au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu puisqu’il est supérieur au revenu brut annuel d’emploi autrement déterminé pour la travailleuse selon les règles reconnues.
[27] Une abondante jurisprudence a interprété cet article 65.
[28] Dans l’affaire Ministère de la Santé et des Services sociaux & Rhéault[7], la Commission des lésions professionnelles affirme que l’article 65 détermine bel et bien un revenu brut minimum d’emploi qui ne peut être inférieur au salaire minimum annualisé faisant en sorte que l’indemnité de remplacement du revenu doit être déterminé sur cette base et non sur la base du salaire gagné au cours des 12 mois précédant sa lésion professionnelle, ce dernier montant étant inférieur au premier.[8]
[29] Dans l’affaire Commission scolaire des Affluents & Clément[9], la Commission des lésions professionnelles émet le principe que le revenu brut devant servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu chez une travailleuse exerçant un emploi à temps partiel ne peut pas être inférieur au salaire minimum annualisé puisque l’article 65 impose un seuil minimum au revenu brut annuel qui correspond au salaire minimum en tenant compte du taux horaire prévu au Règlement sur les normes du travail[10] et de la durée de la semaine normale de travail prévue à la Loi sur les normes du travail[11] reporté sur une base annuelle. Selon le commissaire saisi de cette affaire, il apparaît équitable que tous les travailleurs puissent bénéficier du même seuil minimum de revenus qu’ils occupent ou non un emploi rémunéré au moment de la lésion.[12]
[30] Dans une autre affaire[13], la Commission des lésions professionnelles était saisie d’un cas où une maître de poste adjointe travaillait 6.75 heures par semaine. Malgré celà, le commissaire Denis Rivard décidait que le revenu brut annuel d’emploi devait être établi de manière à ce que la travailleuse bénéficie pleinement des effets de l’article 65 de la loi, ce revenu ne pouvant être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum. Le commissaire ajoute que même si la travailleuse tire avantage de cette façon d’évaluer son revenu puisque les montants d’indemnité de remplacement du revenu ainsi déterminés seront supérieurs au salaire qu’elle recevait au moment où elle travaillait, l’article 65 établit un plancher au niveau de l’indemnisation, tout comme il prévoit un plafond à cette même indemnisation. C’est donc dire que certains travailleurs peuvent être pénalisés par ce plafond tout comme d’autres peuvent être avantagés par la présence d’un plancher.
[31] Le tribunal partage entièrement ce point de vue. Le législateur a pris une décision politique et sociale d’assortir le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu d’un minimum et d’un maximum au niveau du revenu brut. Ce que l’employeur demande dans le présent dossier revient ni plus ni moins à rayer l’article 65 de la loi, ce qui pourrait peut-être l’avantager dans le présent dossier, mais qui entraînerait certainement de nombreux désavantages pour les employeurs qui ont à leur service des travailleurs bénéficiant d’un revenu brut annuel d’emploi supérieur au maximum annuel assurable.
[32] Est-ce à dire qu’en pareil cas le tribunal ne devrait pas tenir compte du plafond déterminé par le législateur et décider d’indemniser ce type de travailleurs de façon pleine et entière, en correspondance avec la réalité? C’est là que mène la logique avancée par l’employeur. S’il faut à tout prix et en toutes circonstances s’approcher de la réalité, il faut alors ne plus tenir compte du maximum annuel assurable et indemniser pleinement les travailleurs bénéficiant d’une forte rémunération.
[33] Or, ce n’est pas ce que le législateur a décidé.
[34] Le tribunal convient qu’il n’y a pas lieu d’annualiser le salaire d’un travailleur lorsque cela a pour effet de dénaturer la réalité de son vécu. Cela ne fait cependant pas en sorte qu’il puisse passer outre aux prescriptions claires et limpides de l’article 65 de la loi qui prévoit des seuils d’indemnisation minimum et maximum.
[35] Le présent tribunal peut interpréter la loi mais il ne peut pas la changer. C’est au niveau politique que l’employeur doit s’adresser s’il estime que l’article 65 n’est pas juste ou convenable.
[36] Dans l’affaire Restaurant Lougiac inc. & Maringer[14], la Commission des lésions professionnelles rappelle une fois de plus que le but de l’article 65 de la loi est de déterminer des seuils d’indemnisation minimum et maximum qui s’appliquent au revenu brut préalablement déterminé. Il ne saurait donc être question de calculer le salaire minimum sur la base du nombre d’heures à temps partiel réellement travaillées, mais plutôt comme la loi le prescrit et comme la CSST l’a calculé dans le présent dossier.
[37] Plusieurs autres décisions ont tranché dans le même sens à savoir que, indépendamment du revenu brut prévu au contrat de travail, le minimum prévu à l’article 65 devait être respecté.[15]
[38] Le commissaire Pierre Prégent, dans l’affaire Commission scolaire Lac-Abitibi et St-Arnaud[16], émettait lui aussi l’opinion que l’article 65 prévoit un seuil minimum et un seuil maximum à respecter dans le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, même si ces limites pouvaient générer des situations inéquitables.
[39] D’ailleurs, le tribunal rappelle que la loi contient plusieurs exemples de ce qu’on pourrait qualifier de surindemnisation ou de sous-indemnisation.
[40] Bien entendu, la règle générale à retenir est à l’effet que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles a pour objet de réparer les conséquences des lésions professionnelles, cet effet réparateur ne devant pas avoir pour effet d’appauvrir ou d’enrichir un travailleur mais de lui permettre de recevoir ce à quoi il a droit, pas plus ni moins.[17]
[41] Cependant, un tel principe général ne peut avoir pour effet de stériliser des dispositions claires et limpides de la loi ou de les en retirer.
[42] Par exemple, même si un travailleur ayant droit au remboursement de travaux d’entretien courant de son domicile tel que prévu à l’article 165 de la loi encourt des déboursés de 2 000 $ pendant une année donnée, il n’aura droit qu’à un remboursement de 1 500 $, le tout sujet aux revalorisations prévues à la loi. On ne pourra donc prétendre à une sous-indemnisation qui irait à l’encontre du principe général prévu à la loi. Le législateur fait le choix, à l’article 165, de limiter un droit et ce choix doit être respecté.
[43] Il en va de même d’un travailleur qui dépenserait, pour un mois donné, des sommes pour de l’aide personnelle à domicile de 1 200 $. Il ne pourrait réclamer que le maximum prévu par la loi de 800 $ auquel réfère l’article 160.
[44] Le tribunal pourrait donner plusieurs autres exemples de cas de sous-indemnisation clairement prévus et voulus par le législateur comme des exceptions au principe général de réparation intégrale des conséquences d’une lésion professionnelle.
[45] Par ailleurs, le législateur a également prévu spécifiquement des cas de surindemnisation et encore là, la loi doit être appliquée telle qu’elle est écrite et selon la volonté du législateur de faire entorse au principe général de l’adéquation de la réparation sans surindemnisation ou sous-indemnisation.
[46] Par exemple, le fait pour certains travailleurs de recevoir une indemnité de remplacement du revenu égale à 90 % du revenu net retenu a pour effet, notamment à cause des lois fiscales, de leur faire bénéficier de plus d’argent que lorsqu’ils sont au travail. Encore là, il s’agit d’un effet de la loi qui fait exception au principe général.
[47] Un autre exemple réside dans les dispositions de l’article 86 de la loi qui lui aussi prévoit un plancher. Il se lit comme suit :
86. Le montant de l'indemnité pour préjudice corporel ne peut être inférieur à 500 $ lorsque le travailleur a subi un déficit anatomo-physiologique.
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1985, c. 6, a. 86; 1999, c. 40, a. 4.
[48] Ainsi, même si un travailleur a droit par pure application du barème à un montant inférieur à celui fixé par cet article, tel que revalorisé, il aura quand même droit au montant prévu à l’article 86. Pourrait-on alors argumenter qu’il y a surindemnisation contraire au principe prévu à la loi et que ce travailleur ne devrait recevoir que le montant prévu par pure application du barème ?
[49] La même chose peut être dite des dispositions prévues aux articles 77 et suivants de la loi. Ainsi, le bénévole tout comme l’étudiant effectuant un stage non rémunéré pourra dans certaines circonstances bénéficier de l’indemnité de remplacement du revenu. Il s’agit là clairement de situations de surindemnisation puisqu’on verse un revenu à des personnes qui n’en recevaient aucun avant la survenance de la lésion professionnelle. Devrait-on alors simplement rayer ces articles de la loi à cause du principe général de non-surindemnisation ou en argumentant qu’un travailleur ne doit pas recevoir autre chose que ce qui correspond à sa réalité et son vécu ?
[50] Encore là, plusieurs autres exemples pourraient être données pour illustrer nos propos.
[51] La même logique doit être retenue pour l’article 65 de la loi qui doit être appliqué parce qu’édicté par le législateur qui reste souverain en cette matière, le présent tribunal n’ayant pour mandat que d’appliquer sa volonté et non pas de la changer ou l’adapter.
[52] L’employeur prétend de plus que les dispositions de la loi doivent s’interpréter les unes par les autres en faisant ressortir le sens voulu par le législateur. Ce principe a beau être exact, il ne saurait avoir pour effet de contredire un texte clair et de rayer les dispositions de l’article 65 de la loi.
[53] En résumé, le tribunal estime que la CSST a bien agi dans ce dossier dont la solution ne réside nullement dans la notion d’annualisation. Le tribunal l’a dit et le répète, il n’est pas question d’annualiser le revenu de la travailleuse. Cependant, le tribunal se doit d’appliquer les dispositions de l’article 65 de la loi telles qu’elles ont été écrites et comme une abondante jurisprudence largement majoritaire, sinon quasi-unanime, les comprend.
[54] Il est vrai qu’il existe quelques décisions qui s’écartent de la jurisprudence auxquelles le présent tribunal a référé. Cependant, dans certains cas les commissaires se sont ralliés à la jurisprudence majoritaire par la suite. Certaines autres décisions datent de quelques années alors que les décisions récentes sont plutôt unanimes dans le sens de l’existence à l’article 65 d’un maximum et d’un minimum du revenu brut. De toute façon, il s’agit d’un courant plutôt minoritaire et qui fait fi des dispositions claires de l’article 65 de la loi, ceci étant dit avec respect pour l’opinion contraire.[18]
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la Communauté des Sœurs de l’Assomption de la Sainte-Vierge, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 30 janvier 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le revenu brut annuel d’emploi de la travailleuse servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est de 15 538 $.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Me Bernard Cliche |
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LANGLOIS KRONSTROM & ASS. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Leblanc & Comptoir Emmaüs inc., C.L.P. 250361-31-0411, 28 février 2005, P. Simard; Tanguay & RBA inc., C.L.P. 252760-01A-0501, 25 octobre 2005, C.A. Ducharme
[3] Leblanc & Comptoir Emmaüs inc., déjà citée; Tanguay & RBA inc., déjà citée
[4] C.L.P.E. 2003LP-280
[5] [2001] C.L.P. 317 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada rejetée, 3 octobre 2002, dossier 28855
[6] Cour d’appel du Québec, 200-09-005097-057, 12 avril 2006, jj. Beaudoin, Rochette et Dutil
[7] 183733-62-0205, 1er octobre 2002, R.L. Beaudoin
[8] Voir aussi The Gazette & Rosenblatt-Lazarus, [1997] C.A.L.P. 669 ; Butt & Ville de Pointe-Claire, 155727-71-0102, 23 mai 2002, L. Landriault; Ville de Pointe-Claire & Fraser, 141564-71-0006, 6 mars 2001, A. Suicco
[9] [2005] C.L.P. 756
[10] R.R.Q. 1981, c. N-1.1, r. 3
[11] L.R.Q. c. N-1.1
[12] Voir aussi Commission scolaire Harricana & Bergeron, 240608-08-0408, 7 juillet 2005, P. Prégent
[13] Société canadienne des postes & Packwood Martin, 219521-62A-0311, 19 juillet 2005, D. Rivard
[14] 247418-64-0410, 26 avril 2006, M. Montplaisir
[15] Réfrigération Noël inc. & Gosselin, 241060-32-0408, 21 octobre 2004, M.A. Jobidon; Coulombe & Crawley McCraken ltée, [1986] C.A.L.P. 257 , requête en évocation accueillie sur un autre point, [1987] C.A.L.P. 425 (C.S.), appel accueilli, [1994] C.A.L.P. 1810 (C.A.); Succession Ménard et Arcon Canada, [1986] C.A.L.P. 69 , requête en évocation rejetée [1987] C.A.L.P. 454 (C.S.), appel rejeté, [1994] C.A.L.P. 1809 (C.A.), Restaurant McDonald & Larin, [2005] C.L.P. 864 ; 1642-1448 Québec inc. & Mecteau, 237430-31-0406, 14 décembre 2005, M. Beaudoin; Paroisse de St-Élie & Casabon, 268564-04-0508, 15 mars 2006, D. Lajoie; JLR inc. & Boudreault, 253529-32-0501, 3 avril 2006, C. Lessard; Marché Clément des Forges inc. & St-Laurent, Soquij- AZ-50288594 (6 janvier 2005); Restaurant A & W et Godin, C.L.P.E. 2004LP-154 ; Magasins Hart inc. & Giguère, C.L.P. 255802-61-0502, 2 août 2005, S. Di Pasquale; Rivest & Aménagement forestier LF, C.L.P. 254406-08-0502, 21 septembre 2005, Monique Lamarre; Fondations Béliveau & Chacon, 234939-31-0405, 29 novembre 2005, P. Simard; Tassone & CE Refractories, C.L.P. 238444-71-0406, 19 mai 2005, M. Zigby; Magasin Coop de St-Côme & Morin, C.L.P. 245691-03B-0410, 22 mars 2005, R. Jolicoeur; Després et Services & Sani-Pro, C.L.P. 230988-63-0402, 21 janvier 2005, F. Mercure
[16] 257061-08-0503, 28 juillet 2005, P. Prégent
[17] Chaput et STCUM, [1992] C.A.L.P. 1253 , (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 4 mars 1993, dossier 23265
[18] Voir notamment Les Restaurants McDonald du Canada ltée & Demosthènes, [1998] C.L.P. 409
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