Malenfant et FCNQ Construction

2013 QCCLP 2388

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

Rimouski

12 avril 2013

 

 

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

 

 

Dossier :

448010-01A-1109

 

 

 

Dossier CSST :

136848686

 

 

 

Commissaire :

Louise Guay, juge administratif

 

 

 

Membres :

Gilles Cyr, associations d’employeurs

 

 

François Pilon, associations syndicales

 

 

 

 

Assesseur :

Marc Mony, médecin

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Patrick Malenfant

 

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

F.C.N.Q. Construction

Les Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée

Les Entreprises forestières Louis Plourde

Les Entreprises forestières

Ray R. Caron forestier ltée

 

Parties intéressées

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 1er septembre 2011, monsieur Patrick Malenfant (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle il conteste une décision rendue le 12 août 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative.


[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 15 avril 2011. Elle déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 15 janvier 2011 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Une première audience s’amorce le 14 mai 2012 à Rivière-du-Loup en présence du travailleur et de son représentant. L’employeur Les Entreprises québécoises d’exca­vation LEQEL (1993) ltée y est représenté. À la suite de l’appel de la cause, du dépôt des documents supplémentaires et la consignation des conclusions recherchées par le travailleur, comme le présent litige est uniquement soumis sous l’angle d’une maladie professionnelle, l’audience est ajournée à la demande du représentant de l’employeur et dans le but également de convoquer les anciens employeurs du travailleur.

[4]           L’audience se poursuit le 26 février 2013 à Rivière-du-Loup. Le travailleur est présent et représenté. L’employeur Les Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée est également présent et représenté. Toutefois, aucun des anciens employeurs du travailleur convoqués pour l’audience ne s’est présenté.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande au tribunal d’infirmer la décision en litige et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 15 janvier 2011 sous la forme d’une maladie professionnelle ou de l’aggravation d’une condition personnelle préexistante.

LES FAITS

[6]           Le travailleur, âgé de 32 ans, occupe un emploi d’opérateur de rétrocaveuse chez l’employeur Les Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée depuis le mois d’août 2008.   

[7]           Le 1er avril 2011, il signe un formulaire CSST de réclamation du travailleur pour un événement qui serait survenu le 15 janvier 2011 et le décrit ainsi :

J’ai de la douleur depuis environ 3 mois dans le bas du dos et depuis 2 mois dans la jambe gauche. Je travaillais quand même. Mais le médecin m’a arrêté pour allé suivre des traitement physiothérapie.

 

[sic]

 

 

[8]           Au soutien de sa réclamation, il dépose une attestation médicale initiale rédigée le 1er avril 2011 par la docteure Marie-Hélène Leblanc, omnipraticienne. Elle retient un diagnostic de lombosciatalgie gauche. À la note clinique de cette consultation, elle indique comme historique de la maladie que depuis 3 ou 4 mois, le travailleur présente une douleur dorsale gauche avec irradiation au membre inférieur gauche et spasme. La docteure Leblanc s’interroge quant au diagnostic retenu, à savoir s’il est secondaire à de l’arthrose facettaire ou à une hernie discale. Elle note que le tripode et le Lasègue sont positifs à gauche, mais au niveau de l’examen sensitif et des forces, le tout est normal. L’imagerie médicale réalisée à cette date démontre une variante transitionnelle avec une probable lombarisation partielle de S1 et suggère des changements dégéné­ratifs légers.

[9]           Le 8 avril 2011, un scan lombaire est réalisé. Il est d’abord constaté que le travailleur présente six vertèbres à configuration lombaire. Le résultat de cet examen confirme une hémilombarisation partielle de S1 droit et un disque hypoplasique entre S1 et S2. En L5-S1 est décrite une hernie postérocentrale avec extension paracentrale droite et gauche, mais plus significative à gauche, ainsi qu’un complexe ostéophytique foraminal gauche. Le radiologiste Dany Dumais mentionne que le tout pourrait irriter la racine sortante L5 gauche.

[10]        Selon les notes évolutives consignées au dossier de la CSST, le travailleur relie ses douleurs au fait de « se faire brasser dans sa machine ». Le 15 avril 2011, la CSST rend sa décision initiale. La réclamation du travailleur est refusée et celui-ci demande la révision de cette décision. 

[11]        Le 3 mai 2011, le travailleur consulte la docteure Marianne Harvey, omniprati­cienne. Elle rédige un rapport médical d'évolution et y mentionne : « Lombosciatalgie G c att. racine L5 probable conséquemment à position non ergonomique du tronc en action chronique. Idéalement modifier position travail × 1 mois ou arrêt ». Elle prescrit également des traitements en physiothérapie et de la médication. À sa note clinique, la docteure Harvey indique que le travailleur est actuellement non limité dans ses mouve­ments fonctionnels, mais que la douleur augmente aux mouvements répétitifs du tronc (rotation) et en position assise prolongée avec stress en mouvement. Elle rapporte que le taco est positif, mais qu’il n’y a pas d’accident franc et que l’atteinte est liée surtout aux mouvements répétitifs.

[12]        Le 20 mai 2011, le travailleur consulte de nouveau la docteure Harvey. À son rapport médical d'évolution, elle retient un diagnostic de lombalgie avec hernie discale exacerbée par le travail répétitif du tronc. Elle recommande des travaux légers avec changement de position 10 minutes par heure. À sa note clinique, elle indique la présence de raideur lombaire en soirée, mais une diminution de la douleur au travail et une irradiation occasionnelle dans la cuisse.

[13]        Le 6 juin 2011, sans produire de rapport médical d'évolution, la docteure Harvey indique à ses notes cliniques : « Retour au travail rég. à tenter légère amélioration c acupuncture pense au chiro ».

[14]        Le 12 août 2011, la CSST rend sa décision à la suite d’une révision adminis­trative par laquelle elle confirme le refus de la réclamation du travailleur. Cette décision fait l’objet du présent litige.

[15]        La consultation médicale suivante avec la docteure Harvey a lieu le 2 septembre 2011 où il est mentionné «  Retour au travail amélioré » et qu’il changera de travail sous peu. La suivante a lieu le 13 avril 2012 et à sa note clinique, la docteure Harvey rappelle que le travailleur est porteur d’une hernie L5-S1 avec extension à gauche plus grande qu’à droite et d’un ostéophyte foraminal gauche. Elle rapporte des raideurs matinales sévères ainsi qu’une irradiation à la fesse gauche pire en position assise prolongée et précise que le travailleur n’a pas changé de travail. Elle consigne son examen physique qui démontre l’extension et la flexion gauche comme étant limitées, mais que le tripode et le Lasègue sont négatifs. Le travailleur préfère ne pas arrêter de travailler.

[16]        Bien qu’elle ne soit pas en objet du présent litige, le tribunal note que le tra­vailleur présente une nouvelle réclamation auprès de la CSST aux fins de la recon­naissance d’une récidive, rechute ou aggravation qui serait survenue le 9 juillet 2012. Le suivi médical réalisé dans le cadre de cette réclamation fait état de lombalgie chronique de type somatique. Il est même recherché d’autres pathologies. L’imagerie par résonance magnétique réalisée le 25 juillet 2012 rapporte d’importantes manifesta­tions de discopathie dégénérative en L4-L5 avec une petite hernie discale centrale non compressive (le niveau identifié correspond probablement à une erreur d’interprétation, le travailleur étant porteur de 6 vertèbres à configuration lombaire). Au rapport médical d'évolution rempli par la docteure Harvey le 20 novembre 2012, elle retient toujours un diagnostic de lombalgie en lien avec une douleur chronique somatique, tentative de retour au travail à des travaux légers et recommande « ø lever poids > 10Kg ø position statique > 30 min ø mvt tronc en torsion/flexion ».

[17]         Par son témoignage, le travailleur fait d’abord la revue de ses emplois anté­rieurs. Il expose avoir travaillé dans le domaine forestier entre l’année 2001 et le printemps 2008, sauf pour un contrat de deux mois consécutifs dans le Nord-du-Québec au cours duquel il occupe un emploi d’opérateur de pelle. Il a également eu des périodes en assurance-chômage.

[18]        Dans le cadre de ses emplois dans le domaine forestier, le travailleur œuvre pour différents employeurs à titre d’opérateur d’abatteuse multifonctionnelle sur che­nilles. Pendant un peu plus de deux ans, il opère par la suite un transporteur sur roues, mais à titre de travailleur autonome, étant propriétaire de sa machinerie. Il confirme au tribunal qu’il n’est pas couvert par une protection personnelle de la CSST durant cette période. Au moment de l’événement, il est opérateur de rétrocaveuse depuis un peu plus de deux ans chez l’employeur Les Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée. Il conduit également le camion qui transporte la rétrocaveuse d’un site à l’autre selon les contrats.

[19]        À la demande de son représentant, le travailleur identifie les machineries utili­sées au cours de sa carrière en faisant un parallèle avec celles retrouvées à la docu­mentation déposée au tribunal, soit au Guide des bonnes pratiques en matière de vibrations globales du corps[2] (Directive du Parlement européen en matière de santé et sécurité au travail) et au document intitulé Vibrations et mal de dos (Guide des bonnes pratiques en application du décret « Vibrations »)[3]. Le travailleur relève toutefois des différences entre les dessins des documents et les machineries réellement opérées en indiquant parfois qu’une telle machine pourrait être assimilable à tel dessin, en chan­geant par exemple le type de roue pour des chenilles.

[20]        Le travailleur explique que l’ensemble des machineries qu’il opère produit des vibrations provenant du moteur. Il précise aussi que mis à part le camion, les machi­neries ne sont pas équipées de suspension, mais qu’il y en a une au niveau du siège de l’opérateur ajustable en fonction de son poids. Il prend soin d’ajuster le siège pour son poids.

[21]        Selon les notes évolutives du dossier, le travailleur relie son état au fait qu’il « se fait brasser » en opérant ces machineries. Que ce soit en regard de l’abatteuse, du transporteur sur roues, de la pelle mécanique ou de la rétrocaveuse, le travailleur témoigne en audience qu’il « se fait beaucoup brasser » en effectuant son travail. Il fait référence entre autres au sol accidenté, à des roches ou à des souches qui sont franchies ou percutées, parfois cachées par la neige. Dans son témoignage, le travail­leur utilise fréquemment l’expression « ça brasse beaucoup, bang-bang ».

[22]        Ensuite, le travailleur décrit en détail au tribunal les tâches qu’il effectue à comp­ter du mois d’août 2008, soit depuis qu’il est à l’emploi des Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée. Du mois d’août à décembre 2008, il occupe un emploi de manœuvre. Les tâches sont variées et il utilise les outils selon la tâche à exécuter. Il est appelé à utiliser un marteau-piqueur, un « casse-braker » ou un compacteur, tous des outils portatifs impliquant des vibrations par les mains. Il utilise également des outils manuels comme une pelle et un râteau.

[23]        Depuis décembre 2008, il opère une rétrocaveuse. Cette machinerie comporte une grosse pelle à l’avant et une petite pelle (godet) sur un bras articulé à l’arrière. Il explique que sa tâche première consiste à faire les trous dans le but d’installer des poteaux de ligne électrique.

[24]        Il travaille en équipe de 2 ou 3 travailleurs : c’est lui qui opère la rétrocaveuse et les autres sont des manœuvres. Il creuse des trous avec cette machinerie afin d’instal­ler des poteaux le long des chemins, sur des terrains privés ou dans des quartiers en développement. Le trou doit atteindre entre 6 à 10 pieds de profondeur et il gratte au maximum avec sa machinerie afin que les manœuvres aient le moins possible de travail physique à faire. Lorsqu’il creuse avec la rétrocaveuse, son siège est pivoté entière­ment vers l’arrière et il est face aux manettes du bras articulé. S’il atteint du roc et que le trou n’est pas suffisamment profond, son collègue manœuvre utilise les outils porta­tifs pour continuer le creusage si nécessaire ou pour installer de la dynamite. Ensuite, le poteau est installé de même qu’une tige d’ancrage si nécessaire. Le trou est comblé à l’aide de la rétrocaveuse en couches successives de gravier compacté, puis le terrain est remis en état dont la finition se fait à l’aide de pelles et de râteaux.

[25]        Par son témoignage, le travailleur explique que lorsque le travail avec la rétroca­veuse est terminé, il ne reste pas à rien faire : il exécute diverses tâches comme aller chercher de la matière de remplissage avec sa machinerie. Il relate également qu’il fait des tâches de manœuvre et qu’il utilise les outils nécessaires en alternance pour aider son collègue lorsqu’ils ne sont que deux.

[26]        Le travailleur expose en détail une opération spécifique qui consiste à faire survoler la rétrocaveuse pour franchir un fossé. Cette manœuvre consiste à utiliser le bras articulé du godet (situé à l’arrière) pour glisser le tracteur de l’autre côté du fossé sans qu’il ait à suivre la configuration de cette tranchée. Pour cette opération, il explique qu’il doit tenir le frein qui, en l’occurrence, est une pédale double, avec son pied gauche. Comme son siège ne pivote que vers la gauche et qu’il est droitier, il se tourne vers la droite, se retrouvant ainsi dans une position de torsion du tronc, pour atteindre les manettes de contrôle du godet avec sa main droite. C’est en coordonnant les mouvements du godet qui est piqué dans le sol ainsi que les freins qu’il peut faire glisser le tracteur de l’autre côté du fossé, le poids de la machinerie reposant aussi sur la pelle située à l’avant, laquelle glisse au sol tel un traineau lorsque le godet tire le tracteur. Il estime que le temps total nécessaire pour franchir un fossé de cette façon représente environ 5 minutes et n’est pas nécessaire pour tous les poteaux. Dans une journée, il peut faire l’installation de 6 ou 7 poteaux.

[27]        Proportionnellement parlant, le travailleur estime en moyenne qu’il passe 20 à 30 % de son temps à conduire le camion selon la saison, 50 % de son temps de travail pour l’installation de poteaux, 20 % pour le terrassement et 10 % pour le chargement de matériel, commissions ou manutention de pierre.  

[28]        En lien avec l’apparition de symptômes douloureux, le travailleur relate que les premiers sont survenus à l’automne 2010 en se tournant sur son siège pour atteindre les manettes. Il ressent alors comme une brûlure. Il se souvient qu’il était en Gaspésie, à Caplan, mais ne peut préciser la date. Il croit que c’est peut-être en octobre. Il n’a pas consulté de médecin, a pris du Tylénol et se souvient avoir eu de la difficulté à se lever du lit, mais a continué son travail régulier. Le travailleur témoigne que la douleur est continuelle depuis ce temps, mais questionné par son représentant par la suite, il men­tionne qu’il présentait des douleurs avant, mais qu’elles sont pires depuis.

[29]        Le travailleur explique qu’il absorbe souvent des coups dans le dos en manœu­vrant la rétrocaveuse. La douleur est présente au bas du dos à gauche et descend à la cuisse gauche. Il travaille en tolérant la douleur jusqu’à la première consultation médi­cale. Après un arrêt de travail du 1er avril au 9 mai 2011, il le reprend jusqu’au 11 mai 2012, mais depuis cette date, il estime que sa situation se dégrade.      

[30]        D’autre part, le travailleur confirme être amateur de motoneige, qu’il en faisait environ 2 à 3 heures par fin de semaine, mais qu’il l’a vendu en janvier 2011. Il utilise un véhicule tout-terrain quelques fois durant l’été, mais n’effectue pas plus de 100 km par année.    

L’AVIS DES MEMBRES

[31]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travail­leur devrait être accueillie. Selon lui, même si la présomption de maladie profession­nelle ne s’applique pas, il estime que la preuve prépondérante démontre que le travail­leur est soumis à des vibrations dans le cadre de son travail. Il conclut que son état découle des risques particuliers du travail exercé.

[32]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Il considère que la preuve présentée ne permet pas de conclure à une relation entre l’état du travailleur et son travail exercé au cours de ses dix années de travail en carrière. De plus, il estime étonnant que le travailleur tente de bonifier sa version en ajoutant par son témoignage un événement qui serait survenu à l’automne 2010, lequel n’est aucunement documenté au dossier de la CSST ni à son dossier médical. D’ailleurs, la preuve prépondérante situe plutôt l’apparition de la dou­leur en janvier 2011 et pas avant. Même si le travailleur exerce un travail qui implique des vibrations, il n’est pas démontré que la maladie dont il souffre est caractéristique ou reliée directement aux risques particuliers de son travail.


LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[33]        Le tribunal doit déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 15 janvier 2011. Cette notion est définie ainsi à la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[34]        Tout d’abord, il n’est aucunement prétendu en l’espèce que le travailleur ait subi une récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieure; cette possibilité est donc écartée.

[35]        Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’est également pas prétendu la sur­venance d’un accident du travail et le tribunal convient que la preuve prépondérante ne supporte pas cette hypothèse. En plus de comporter des imprécisions quant à la date, le travailleur n’a pas consulté de médecin et lorsqu’il le fait le 1er avril 2011, il déclare que l’apparition de ses symptômes remonte au 15 janvier 2011 et c’est ce qui est consi­gné à l’attestation médicale initiale. Lorsque le travailleur signe sa réclamation qu’il dépose à la CSST, il y indique que la date d’événement est le 15 janvier 2011. Comme l’histoire décrite en audience qui serait survenue à l’automne 2010 n’est aucunement documentée et qu’il ne relate aucun fait accidentel qui serait survenu le 15 janvier 2011, la notion d’accident du travail est écartée.

[36]        Il reste à examiner si le travailleur a subi une maladie professionnelle, laquelle est définie ainsi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[37]        Afin de faciliter la preuve d’une maladie professionnelle, il est introduit à la loi une présomption :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspon­dant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[38]        En l’espèce, le représentant du travailleur soumet que ce dernier est atteint d’une maladie professionnelle causée par les vibrations. À la section IV de l’annexe 1 de la loi est listée la maladie causée par les vibrations :

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES                                                      GENRES DE TRAVAIL

 

[...]

 

6.     maladie causée par les vibrations                 un travail impliquant des vibrations

 

[...]

 

 

[39]        Le tribunal souligne que le diagnostic au présent dossier n’a pas fait l’objet d’une demande auprès du membre du Bureau d'évaluation médicale. Ceci étant, celui qui demeure liant est le diagnostic émis par le médecin qui a charge du travailleur[4]. Parmi les rapports médicaux rédigés en lien avec la réclamation qui fait l’objet du présent litige, le diagnostic de lombosciatalgie gauche est retenu de façon presque constante. Par ailleurs, bien que la docteure Harvey écarte le diagnostic de hernie discale à son rapport médical d'évolution du 3 mai 2011, en mentionnant à ses notes cliniques que le taco est positif, mais qu’il n’y a pas d’accident franc, elle le retient par la suite à son rapport médical d'évolution suivant, soit celui du 20 mai 2011. Le diagnostic retenu en l’espèce est donc une lombosciatalgie gauche et une hernie discale.

[40]        Pour bénéficier de l’application de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi, le travailleur doit d’abord démontrer qu’il est atteint d’une maladie prévue à l’annexe 1 de la loi. Les diagnostics retenus au présent dossier ne sont pas énumérés expressément et spécifiquement à l’annexe 1 de la loi. Par ailleurs, le travailleur allègue être atteint d’une maladie causée par des vibrations. Toutefois, aucun médecin qui l’a examiné n’en fait état ni sur les rapports médicaux d'évolution ni aux notes cliniques. Aucune expertise médicale n’est réalisée au présent dossier pour soutenir les prétentions du travailleur et établir qu’une lombosciatalgie et qu’une hernie discale correspondrait à une maladie spécifique de l’exposition aux vibrations donnant ouverture à l’application de la présomption de lésion professionnelle au sens de la loi applicable au Québec.

[41]        Comme il n’est pas démontré que le travailleur est atteint d’une maladie causée par les vibrations ou d’une autre prévue spécifiquement à l’annexe 1 de la loi, la présomption de maladie professionnelle ne peut trouver application au présent dossier.

[42]        À défaut de bénéficier des effets de la présomption prévue à l’article 29 de la loi, pour faire reconnaître sa maladie à titre de lésion professionnelle, le travailleur doit démontrer par une preuve prépondérante qu’elle est caractéristique du travail exercé ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail selon la disposition suivante prévue à la loi :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie profes­sionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[43]        En l’espèce, le tribunal est d’avis que la lombosciatalgie et la hernie discale dont le travailleur est porteur ne sont pas caractéristiques ni reliées aux risques particuliers du travail exercé pour les motifs suivants.

[44]        Tout d’abord, le tribunal est d’avis qu’il n’est pas démontré par une preuve pré­pondérante que les diagnostics retenus correspondent à une maladie caractéristique du travail qu’il a exercé entre les années 2001 à 2011. En effet, la preuve prépondérante ne démontre pas que d’autres travailleurs exerçant le même métier dans les mêmes conditions que le travailleur ont développé une lombosciatalgie et une hernie discale. Il n’est produit aucune étude scientifique, statistique ou épidémiologique soutenant les prétentions du travailleur et démontrant que ces pathologies seraient caractéristiques du travail qu’il a  occupé.

[45]        À la documentation[5] déposée par le représentant du travailleur en lien avec l’exposition aux vibrations issue de l’INRS, il est noté une distinction entre les vibrations transmises à l’ensemble du corps par des véhicules et celles transmises par le système main-bras par des machines portatives. Il est mentionné qu’à la longue, les vibrations les plus intenses peuvent entraîner des risques pour la santé, notamment des douleurs lombaires, des hernies discales ou le syndrome des vibrations dans les mains et les bras. En l’espèce, le tribunal est d’avis qu’il n’est pas démontré que le travailleur est exposé à d’intenses vibrations et souligne qu’il n’est pas ici question d’un travailleur soumis à ces conditions de travail depuis de nombreuses années. Le travailleur cumule quelque 10 ans d’expérience, desquelles il y a lieu de soustraire les périodes de chômage et le temps où il est travailleur autonome sans protection personnelle à la CSST.  

[46]        Les documents Vibrations et mal de dos et Guide des bonnes pratiques en matière de vibrations globales du corps visent à aider les entreprises dans l’application d’une règlementation en vigueur dans les pays européens relativement aux exigences minimales d’hygiène et de sécurité pour l’exposition des travailleurs aux vibrations. Il est proposé une méthode d’évaluation des risques vibratoires incluant des formules de calcul des vibrations. Il est toutefois précisé que seules des mesures au poste de travail permettent de définir avec précision le niveau de vibration que produit chaque engin. Il est également défini un seuil d’action d’exposition où il est nécessaire d’intervenir en matière de prévention et un seuil limite du niveau de vibration à laquelle les travailleurs ne doivent pas être exposés. 

[47]        Un autre document vise précisément les conducteurs d’engins mobiles. Il est entre autres mentionné : « Une exposition régulière et fréquente aux vibrations et aux chocs répétés transmis par le siège, à des niveaux importants sur plusieurs mois ou années, peut occasionner des lésions aux vertèbres et aux disques de la colonne vertébrale ».

[48]        De cette documentation, le tribunal comprend qu’elle tend à démontrer par ana­logie, en fonction de l’évaluation faite par l’INRS, que les types de machineries opérées par le travailleur impliquent des vibrations. Toutefois, ces éléments ne permettent pas de conclure que le travailleur a été exposé à des niveaux nocifs de vibrations. À cet égard, le tribunal retient les proportions de temps de travail du travailleur, que la vibration est variable selon les tâches effectuées et selon l’engin opéré et le type de sol. Tenter de transposer ces données s’avère un exercice difficile, voire impossible. En effet, comment appliquer une formule mathématique pour évaluer où se situe l’expo­sition aux vibrations du travailleur en se fondant uniquement sur son témoignage? Le tribunal ne peut prendre pour acquis que ces données sont fiables et transposables totalement au travailleur alors qu’en audience, il identifie des dessins de machineries et y apporte des distinctions avec celles qu’il a réellement conduit. Même si le tribunal était en mesure de comparer les machineries opérées par le travailleur dans les documents européens de sa compréhension, il ne s’agit pas d’une preuve prépondérante, mais une seule appréciation par rapport à une norme applicable en fonction d’une réglementation étrangère.         

[49]        De plus, le tribunal souligne qu’aucune preuve médicale supplémentaire n’est déposée par le travailleur et que celle retrouvée au dossier ne permet pas d’établir de façon prépondérante un lien de causalité entre son état et les risques particuliers allégués de son travail. L’importance d’une preuve médicale n’est pas à négliger, car le fardeau incombe au travailleur, comme le rappelle la Commission des lésions profes­sionnelles dans l’affaire Daigneault et TRB 2000 inc.[6] :

[42]   Le travailleur ne soumet toutefois pas d’opinion médicale établissant de façon probable la relation entre les risques auxquels son travail l’exposait et sa maladie. Or, la preuve médicale revêt une importance toute particulière puisque, même si la détermina­tion des risques particuliers peut se faire par une preuve profane, l’établissement d’une relation entre ces risques et un diagnostic relève en grande partie de la preuve d’expert même si le fardeau de la preuve est celui de la balance des probabilités et qu’il n’est pas nécessaire qu’une preuve de certitude scientifique soit faite9.

________________

Brasserie Labatt ltée et Trépanier, [2003] C.L.P. 1485 .

 

 

[50]        Ainsi, même si la documentation européenne déposée au soutien des préten­tions du travailleur quant à la présence de vibrations était jugée prépondérante, la rela­tion causale ne peut être établie par le seul témoignage du travailleur. Cette relation causale n’a pas à être prouvée avec certitude, mais selon la prépondérance de preuve et se doit d’inclure une preuve médicale soutenant la subjectivité des allégations du travailleur[7].

[51]        Au présent dossier, force est de constater qu’aucun de ses médecins n’étaye une relation entre la condition du travailleur et les vibrations ressenties dans le cadre de son travail. Au surplus, lorsque la docteure Harvey propose des limitations fonction­nelles, elle ne mentionne pas d’éviter les vibrations.

[52]        La preuve médicale disponible en l’espèce démontre que la docteure Harvey retient plutôt que la condition du travailleur serait en lien avec la position qu’il adopte dans le cadre de son travail et à des mouvements répétitifs du tronc. Or, celle-ci mentionne à ses rapports médicaux d'évolution et à ses notes cliniques que le travail­leur travaille dans une position non ergonomique et que ses symptômes sont exacerbés par les mouvements répétitifs du tronc.

[53]        Le tribunal retient de la preuve que le siège de la rétrocaveuse pivote. Lorsque le travailleur opère le godet, son siège est pivoté et il se retrouve face aux manettes qu’il doit utiliser pour creuser les trous pour les poteaux. Selon le témoignage du travailleur, le tribunal retient que la seule position qui pourrait correspondre à la notion de position « non ergonomique » est celle qu’il adopte pour atteindre les manettes du bras articulé

alors qu’il doit appuyer en même temps sur le frein de son pied gauche; il décrit alors une torsion du tronc. Or, cette position est adoptée uniquement lorsqu’il doit réaliser l’opération de franchir un fossé en faisant survoler la rétrocaveuse. Le tribunal consi­dère qu’il ne s’agit pas d’une opération fréquente, constante et suffisamment répétitive pour permettre de conclure que le travailleur adopterait une position non ergonomique de façon importante pour représenter un risque particulier de son travail.

[54]        Dans ses emplois antérieurs, le travailleur ne décrit pas de position qui pourrait être qualifiée de « non ergonomique ». Il en est ainsi pour les autres tâches exercées par le travailleur, dont celles de l'emploi de manœuvre qui sont occasionnelles et réali­sées pour aider ses collègues. Même si la docteure Harvey indique que le travailleur effectue dans le cadre de son travail des mouvements répétitifs du tronc, le tribunal ne retrouve pas la preuve d’une telle affirmation. Ainsi, l’hypothèse de  mouvements répé­titifs du tronc ne peut être retenue comme un risque particulier du travail exercé.

[55]        En outre, le tribunal retient que les symptômes ne sont pas apparus de façon graduelle, de façon insidieuse et de longue date; le témoignage du travailleur est équi­voque à cet égard. Il n’est rapporté aucune consultation médicale antérieure au 1er avril 2011. Or, spontanément lors de son témoignage, le travailleur fixe à un moment précis l’apparition de ses symptômes pour, plus tard, devenir plus ambigu à la suite d’une question de son représentant quant à la période d’apparition des premiers symptômes. De fait, le travailleur bonifie sa version en racontant une situation précise à partir de laquelle ses douleurs seraient constantes, mais pour lesquelles il ne consulte que six mois plus tard, ce qui laisse le tribunal perplexe.

[56]        Le tribunal constate du dossier médical du travailleur qu’il présente un complexe ostéophytique spécifiquement là où semblent provenir les symptômes alors que la hernie discale n’est pas compressive selon l’imagerie par résonance magnétique. Il est opportun de rappeler que la manifestation d’une condition personnelle au travail n’en fait pas une lésion professionnelle pour autant.

[57]        En regard de la décision[8] déposée par le représentant du travailleur, il y a lieu de la distinguer de la présente affaire. Le tribunal ne peut transposer les conclusions de cette affaire à la présente cause. En effet, les faits, le diagnostic et la preuve présentée sont des éléments tout à fait différents, surtout en regard de la preuve médicale. D’ailleurs, il n’est pas reconnu une maladie professionnelle, mais bien l’aggravation d’une condition personnelle préexistante de dégénérescence discale lombaire en relation avec les risques particuliers de son travail après une longue carrière profes­sionnelle.    

[58]        En regard de cette possibilité, il ne s’agit pas d’une catégorie en-soi de lésion professionnelle. Comme le précise la Cour d’appel dans l’affaire PPG Canada[9], afin que l’aggravation d’une condition préexistante soit indemnisée, elle doit résulter de la surve­nance d’un accident du travail ou des risques particuliers du travail. Le tribunal écarte donc cette avenue, ne disposant pas d’une telle preuve.

[59]        Ainsi, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 15 janvier 2011 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Patrick Malenfant, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 août 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la lombosciatalgie et la hernie discale dont est atteint le travailleur ne constituent pas une lésion professionnelle.

 

 

__________________________________

 

Louise Guay

 

 

Me Jean-Sébastien Deslauriers

F.I.P.O.E.

Représentant du travailleur

 

Me Christian Tétreault

BOURQUE, TÉTREAULT & ASSOCIÉS

Représentant de Les Entreprises québécoises d’excavation LEQEL (1993) ltée

 

Mme Marie-Josée Cocco

AON HEWITT

Représentante de la F.C.N.Q. Construction

 



[1]     L.R.Q., c. A-3.001.

[2]     M.J. GRIFFIN et coll. Guide consultatif des bonnes pratiques en vue de l’application de la Directive 2002/44/EC relative aux exigences minimales d’hygiène et sécurité pour l’exposition des employés aux risques résultant d’agents physiques (vibrations). INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles).

[3]     P. DONATI et coll. Vibrations et mal de dos (Guide des bonnes pratiques en application du décret « Vibrations »). INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles), 1re édition, Paris 2008.

[4]     Article 224 de la loi.

[5]     M. Lefebvre. Conducteurs d’engins mobiles vibrations plein le dos. IRNS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies profession­nelles), 1ère édition, Paris 2001; et, Vibrations [En ligne], www.inrs.fr/accueil/risques/phenomene-physique/vibration.html, IRNS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles). Voir aussi notes 2 et 3.

[6]     C.L.P. 306051, 16 janvier 2008, A. Vaillancourt.

[7]     Brisson et Boisaco inc. C.L.P. 229324-09-0403, 27 juillet 2007, D. Sams.

[8]     Cyr et Robert L. Gaudet inc. et CSST, C.L.P. 313598-01B-0703, 29 mai 2009, R. Arseneau.

[9]     PPG Canada inc. c. C.A.L.P. [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).

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