Bégin et ADS inc. |
2013 QCCLP 1182 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 2 décembre 2011, ADS inc. (l’employeur) dépose une requête en révision à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 31 octobre 2011.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare que madame Lina Bégin (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle, le 12 février 2009.
[3] L’audience sur la requête en révision a lieu devant la Commission des lésions professionnelles à Lévis, le 7 septembre 2012, en présence de la travailleuse et d’une représentante de l’employeur qui est assistée d’un avocat.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 31 octobre 2011 et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 12 février 2009.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous les deux d’avis d’accueillir la requête en révision. Ils retiennent que le premier juge administratif a inventé un diagnostic qui n’a été retenu par aucun médecin au dossier. Ce faisant, il a appliqué erronément la présomption de l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en concluant, sans motivation, qu’une atteinte des fonctions des voies respiratoires constitue une blessure. Ils sont d’avis qu’il s’agit d’une erreur manifeste et déterminante qui donne ouverture à la révision. Quant au fond, ils retiennent de la preuve médicale unanime que la travailleuse n’a pas subi un asthme professionnel.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 31 octobre 2011.
[7] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] Le recours en révision et en révocation est prévu à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Le recours en révision et en révocation s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi qui prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 de la loi est établi.
[10] Dans le présent cas, l’employeur invoque que la décision du premier juge administratif comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. L’expression « vice de fond …de nature à invalider la décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[2] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[11] Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.
[12] Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[3], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire Fontaine, comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[4], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.
[13] Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer sa propre conclusion au motif qu'il n'apprécie pas la preuve et le droit de la même manière que celui-ci.
[14] Il y a lieu de rapporter les faits suivants afin de bien situer le présent litige.
[15] La travailleuse occupe l’emploi de technicienne en développement de produits pour l’employeur depuis plusieurs années.
[16] Le 24 février 2009, elle soumet une réclamation à la CSST afin de faire reconnaître qu’elle est atteinte d’un asthme professionnel. Elle prétend que, le 12 février 2009, en manipulant des sacs, elle a aspiré des poussières de fibre Oasis qui ont entraîné des problèmes d’asthme qu’elle n’avait pas avant. Il ressort de la preuve qu’avant cette date, elle a été exposée à quelques reprises à la fibre Oasis et qu’elle avait présenté non pas des problèmes respiratoires, mais des problèmes cutanés, comme d’ailleurs certains autres de ses collègues.
[17] Le 22 février 2009, elle consulte le docteur Godin qui retient le diagnostic de bronchospasme. Il associe cette condition à l’inhalation de vapeurs chimiques. Par la suite, la travailleuse est suivie régulièrement par le docteur Bourget qui maintient le diagnostic de bronchospasme. Il dirige la travailleuse en pneumologie.
[18] C’est dans ce contexte que le 2 mars 2009, la travailleuse consulte le pneumologue LaForge. Comme, selon lui, il persiste un doute raisonnable qu’il peut y avoir relation entre le travail et les symptômes à la fonction respiratoire, il recommande que la travailleuse ne soit plus exposée aux substances de laboratoire dans le cadre de son travail.
[19] Le 26 mars 2009, la travailleuse consulte le pneumologue Raby pour un suivi de la première consultation auprès du docteur LaForge. Il retient que, malgré l’arrêt de travail, la travailleuse présente une toux et des sibilances persistantes. Il constate qu’elle présente un asthme mal contrôlé et il change la médication. Comme la fibre Oasis n’est plus en milieu de travail, il considère que la travailleuse peut reprendre son travail et il ajoute qu’elle sera évaluée par la CSST.
[20] Devant la possibilité d’un asthme professionnel, la CSST dirige le cas de la travailleuse au Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Trois pneumologues, membres de ce comité, se réunissent le 5 juin 2009. L’histoire de la maladie relatée à leur rapport résume bien l’ensemble de la preuve factuelle soumise à l’audience devant le premier juge administratif :
HISTOIRE DE LA MALADIE : Madame Bégin raconte qu’elle a travaillé avec les fibres textiles oasis au laboratoire. Après avoir fait plusieurs évaluations, les fibres ont été acceptées et en date du 12 février 2009, l’entreprise a commencé à préparer l’usine afin de fabriquer des tissus à base de fibres oasis. Dans ce contexte, madame Bégin a dû participer à ces travaux qui ont débuté vers le 12 février. Dans les jours qui ont suivi, la patiente est devenue de plus en plus dyspnéique. En date du 19 février, les collègues de travail lui on même fait remarquer qu’elle était oppressée et qu’elle avait des sifflements respiratoires. Elle a décidé de ne pas se présenter au travail le 20 février 2009. Compte tenu de l’importance des difficultés respiratoires qui persistaient, elle a décidé de consulter à l’urgence dimanche le 22 février 2009 où on a mis en évidence un bronchospasme important. Elle aurait consulté à l’urgence du CHUL et éventuellement elle a consulté à l’urgence de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Elle a été vue en pneumologie et l’arrêt de travail s’est maintenu jusqu’au 25 mars. Par la suite, elle a recommencé à travailler. Initialement, elle est demeurée à temps partiel au laboratoire et ce durant quelques semaines. Ultérieurement, elle a recommencé à travailler au laboratoire et à l’usine. Cependant, il est important de préciser qu’il n’y avait plus d’exposition aux fibres oasis puisque semble-t-il les fibres ont été retirées de l’usine. Madame Bégin a également observé la présence de papules au niveau des bras et ce à au moins 4 reprises alors qu’elle travaillait avec la fibre oasis. D’autres employés ont présenté des problèmes dermatologiques similaires avec cette fibre.
Du point de vue respiratoire, actuellement la patiente se plaint toujours de dyspnée. Elle continue à utiliser Advair et Ventolin. En regard des problèmes respiratoires, la patiente note la présence d’un peu d’éternuement sans congestion nasale ou rhinorrhée. Le reste de la revue des systèmes n’apporte pas d’élément nouveau au tableau respiratoire. [sic]
[21] Dans le cadre de leurs conclusions, les pneumologues du Comité des maladies professionnelles pulmonaires retiennent que la travailleuse raconte une histoire compatible avec un diagnostic d’asthme professionnel. Cependant, avant de tirer des conclusions définitives, ils recommandent qu’on procède à une épreuve de provocation bronchique spécifique en laboratoire avec des échantillons de fibres dont dispose la travailleuse.
[22] Le 19 juin 2009, trois pneumologues du Comité des maladies professionnelles pulmonaires produisent un rapport complémentaire. Après avoir effectué des recherches sur la fibre Oasis, ils retiennent que l’information sur la toxicité de ce produit semble indiquer qu’il se solubilise dans l’eau et n’a pas d’effet significatif sur le plan respiratoire. Cependant, la travailleuse les ayant informés qu’un aérosol était appliqué sur ces fibres, ils ajoutent vouloir obtenir l’identification de ce produit avant de donner suite à la proposition de tests par provocation.
[23] Le 21 août 2009, les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires se réunissent de nouveau. Après avoir pris connaissance de la fiche signalétique de l’aérosol utilisé sur la fibre, ils retiennent qu’aucune toxicité respiratoire n’est associée à ce produit. Compte tenu qu’ils avaient déjà établi que la fibre Oasis ne comportait aucune toxicité respiratoire, ils sont d’avis qu’il n’existe aucune base pour poursuivre l’investigation et reconnaître un asthme d’origine professionnelle.
[24] Le 3 septembre 2009, après avoir reçu l’ensemble du dossier, les membres du Comité spécial des présidents indiquent qu’ils n’ont pas la même opinion que les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires. Ils considèrent que la fibre Oasis contient des polymères composés d’acrylates et pourrait être sensibilisante et responsable d’un asthme professionnel. Ils réitèrent qu’un diagnostic d’asthme a été posé dans le dossier et qu’il est opportun que la travailleuse subisse un test de provocation spécifique.
[25] Durant la semaine du 15 novembre 2009, la travailleuse subit un test de provocation bronchique spécifique en laboratoire étalé sur une période de quatre jours. Le 26 novembre 2009, le pneumologue Laberge remplit un rapport qu’il détaille par journée.
[26] La première journée, la travailleuse est soumise à un test de provocation au lactose qui s’avère négatif. Lors des deuxième et troisième jours, la travailleuse manipule de la fibre textile Oasis pendant des périodes variant de 5 à 20 minutes. Lors de la quatrième journée, la fibre textile est solubilisée dans du sérum physiologique et nébulisée dans l’air. Le docteur Laberge décrit comme suit les résultats obtenus pour ces tests :
Jour 1 : (16 novembre 2009, journée contrôle avec inhalation de lactose)
La médication bronchodilatatrice et les stéroïdes topiques ont été cessés plus de 12 heures avant le test. Le VEMS de base se situe à 2,12 L soit à 69 % de la prédite. Pendant des périodes consécutives de 1,5 et 10 minutes, du lactose a été inhalé. Le VEMS a été mesuré de façon sériée. Il n’y a pas eu de chute significative. La CP-20 mesurée en fin de journée est à 11 mg/mL. Il n’y a pas d’éosinophilie significative au niveau des expectorations induites.
JOUR 2 : (17 novembre 2009, première journée d’exposition à la fibre « oasis »)
Le VEMS de base se situe à 2,16 L soit 70 % de la prédite. Madame Bégin a manipulé dans la chambre de provocation la fibre « oasis » pour des périodes de 5, 10 et 15 minutes consécutives. Le VEMS a été mesuré de façon sériée. La patiente a présenté des sibilances en cours de journée. Toutefois, la mesure des débits expiratoires n’a démontré qu’une chute de 19 % des débits et ce, à une seule reprise en fin de journée.
JOUR 3 : (18 novembre 2009, deuxième journée d’exposition à la fibre (« oasis »)
Le VEMS de base se situe à 2,07 L soit 67 % de la prédite. Sur trois périodes 20 minutes consécutives, madame Bégin a manipulé la fibre « oasis » dans la chambre de provocation. Le VEMS a été mesuré de façon sériée. Il n’y a pas eu de chute significative. Elle a présenté toutefois de l’œdème au niveau des mains et des râles sibilants.
JOUR 4 : (19 novembre 2009, troisième journée d’exposition à la fibre « oasis » en solution)
Le VEMS de base se situe à 2,09 L soit 68 % de la prédite. La fibre (« oasis ») solubilisée dans du sérum physiologique.
Une nébulisation a été obtenue dans la chambre de provocation pour des périodes consécutives de 5, 10 et 10 minutes. Lors de la troisième exposition, madame Bégin a présenté des tremblements, de l’hyperventilation et a dû être retiré de la chambre de provocation. Une mesure du gaz capillaire a démontré une baisse de la PCO2 jusqu’à 25 mmHg. Un électrocardiogramme s’est avéré être normal. Par la suite, la saturation est demeurée à 99 % à l’air ambiant. Nous avons par la suite, à la récupération des symptômes de la patiente, mesuré de façon sériée le VEMS et il n’y a pas eu de chute significative au cours de la journée. En fin de journée, une mesure de la réactivité bronchique spécifique à la métacholine a été effectuée. La CP-20 a été fixée à 23 mg/mL. Aucune expectoration n’a pu être obtenue à l’inhalation de salin.
[27] Le docteur Laberge retient finalement que ces données ne permettent pas de conclure à une sensibilisation à la fibre Oasis qu’elle soit à l’état naturel ou en solution. Il est d’avis que l’épisode qu’a présenté la travailleuse à l’inhalation de la fibre solubilisée est compatible avec un épisode d’hyperventilation. Il conclut que ces résultats ne supportent pas un diagnostic d’asthme professionnel.
[28] Le 17 décembre 2009, les membres du Comité spécial des présidents produisent un rapport complémentaire. Ils indiquent qu’ils avaient recommandé que la travailleuse soit soumise à des tests de provocation avec la fibre Oasis, idéalement en usine. Cependant, comme cette fibre n’était plus utilisée dans l’usine et que la travailleuse disposait d’un spécimen de cette fibre, il a été décidé de procéder à un test de provocation en laboratoire par manipulation.
[29] Ils retiennent que ces tests n’ont pas montré de variations significatives et ne supportent pas l’hypothèse d’une sensibilité spécifique à ces fibres. Ils ajoutent que, la travailleuse a, de plus, présenté des manifestations d’hyperventilation. Les membres du Comité spécial des présidents concluent donc qu’aucun argument ne leur permet de reconnaître un asthme professionnel.
[30] Le 18 décembre 2009, le docteur Bourget maintient le diagnostic de bronchospasme secondaire à l’inhalation de la fibre Oasis et précise qu’il est en attente des résultats d’examens. Aucun autre rapport médical n’est produit par la suite.
[31] Le 7 janvier 2010, la CSST rend une décision faisant suite à l’avis du Comité spécial des présidents et déterminant que la réclamation de la travailleuse est refusée au motif qu’il n’est pas reconnu qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle pulmonaire. La travailleuse conteste cette décision jusque devant la Commission des lésions professionnelles, ce qui est à l’origine du présent litige.
[32] Lors de l’audience initiale, la travailleuse n’est pas représentée et l’employeur est représenté par avocat.
[33] La soussignée a écouté l’enregistrement de l’audience. Au début de celle-ci, le premier juge administratif établit qu’il doit déterminer si l’asthme dont est atteinte la travailleuse constitue une maladie professionnelle. La travailleuse ainsi qu’une représentante de l’employeur témoignent sur différents éléments factuels. Des documents sont également déposés par la travailleuse et l’employeur pour compléter la preuve factuelle, mais aucune preuve médicale additionnelle n’est déposée au dossier.
[34] Dans le cadre de sa décision, le premier juge administratif conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle.
[35] D’abord, il établit au paragraphe [4] de sa décision que la travailleuse demande de reconnaître qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle pulmonaire à compter du 12 février 2009.
[36] Après avoir rapporté l’ensemble des faits, dans le cadre de ses motifs, le premier juge administratif reprend les dispositions encadrant la notion de maladie professionnelle ainsi que les dispositions particulières relatives aux maladies professionnelles pulmonaires.
[37] Après avoir analysé l’ensemble des faits en fonction de ces dispositions, il conclut en trois paragraphes que la travailleuse n’est pas atteinte d’un asthme professionnel :
[51] La preuve prépondérante et non contredite, soit par le rapport du pneumologue Francis Laberge, qui a supervisé les tests de provocation bronchique spécifiques en laboratoire, conclut, suite à ces tests de sensibilisation à la fibre Oasis, que la travailleuse, en inhalant cette fibre, a des épisodes d’hyperventilation. Mais ces résultats ne supportent pas un diagnostic d’asthme professionnel.
[52] Sur réception de ce rapport, le comité des présidents, le 17 décembre 2009, est d’opinion de conclure qu’il n’y a pas d’argument permettant de reconnaître un asthme professionnel à la travailleuse.
[53] Cette preuve non contredite confirme donc que la travailleuse n’est pas atteinte d’asthme professionnel.
[38] Puis, le premier juge administratif cite l’article 377 de la loi et indique qu’en vertu des pouvoirs qui lui sont attribués par la loi, le tribunal analyse la preuve soumise afin de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, à savoir si la travailleuse est atteinte d’une lésion professionnelle. À cet égard, il reprend les définitions de lésion professionnelle et d’accident du travail et cite l’article 28 de la loi.
[39] Il rappelle les trois conditions d’application de la présomption de lésion professionnelle, soit la présence d’une blessure, qui arrive sur les lieux du travail, alors que la travailleuse est à son travail.
[40] Par la suite, après avoir cité des extraits de l’affaire Boies et C.S.S.S. Québec-Nord[5], il retient que la travailleuse peut bénéficier de l’application de la présomption et que l’employeur n’a soumis aucune preuve afin de la renverser. Il motive ainsi sa décision :
[59] La notion de blessure comporte généralement les caractéristiques suivantes2 :
[154] […] - il s’agit d’une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique ou chimique, à l’exclusion des agents biologiques comme par exemple des virus ou des bactéries.
- il n’y a pas de temps de latence66 en regard de l’apparition de la lésion, c'est-à-dire que la lésion apparaît de façon relativement instantanée. Dans le cas d’une maladie, il y a au contraire une période de latence ou un temps durant lequel les symptômes ne se sont pas encore manifestés.
- la lésion entraîne une perturbation dans la texture des organes ou une modification dans la structure d’une partie de l’organisme.
[…]
[160] Le tribunal est toutefois d’avis d’écarter le critère visant la recherche d’une posture contraignante de la région anatomique lésée et celui de l’adéquation entre le geste, l’effort ou la sollicitation anatomique et l’apparition de symptômes. En effet, cet exercice conduirait à la recherche de la cause ou de l’étiologie de la blessure diagnostiquée, ce que la présomption de l’article 28 de la loi évite précisément de faire. L’accent doit donc être mis sur les circonstances d’apparition de la lésion de nature « mixte ».
[161] La blessure peut aussi résulter d’une activité au cours de laquelle apparaissent subitement des douleurs à la suite desquelles un diagnostic est retenu, telle une tendinite de la coiffe des rotateurs68. Ces douleurs apparaissent de manière concomitante à l’exercice d’un mouvement précis69 ayant sollicité la région anatomique lésée. Ainsi, un mouvement qui met à contribution un site anatomique précis pourra entraîner une blessure s’il est constaté que ce mouvement a provoqué une douleur subite à la suite de laquelle un diagnostic bien précis est retenu70.
[162] Dans un tel contexte, c’est le tableau clinique observé de façon contemporaine à ce mouvement et à la douleur qu’il a provoquée qui permettra d’identifier les signes révélateurs de l’existence d’une blessure et non la recherche d’un agent vulnérant externe ou causal71.
[164] Le tribunal conclut donc que la notion de « blessure » doit s’interpréter de façon à favoriser l’application de la présomption de lésion professionnelle et non à la stériliser.
[185] Il n’existe aucune condition d’application de la présomption de l’article 28 de la loi, autre que celles énoncées à cette disposition. Toutefois, certains indices peuvent être pris en compte par le tribunal dans le cadre de l’exercice d’appréciation de la force probante de la version du travailleur visant la démonstration de ces trois conditions, notamment :
- le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement;
- l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure;
- l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer;
- la poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée;
- l’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure;
- l’existence de diagnostics différents ou imprécis;
- la crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion);
- la présence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure;
- le tribunal juge qu’on ne doit pas exiger, au stade de l’application de la présomption, la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le travail et la blessure; autrement cette exigence viderait de son sens la présomption qui cherche précisément à éviter de faire une telle démonstration.
[235] Les motifs permettant de renverser la présomption :
- L’absence de relation causale entre la blessure et les circonstances d’apparition de celle-ci. Par exemple, la condition personnelle peut être soulevée à cette étape; dans ce cas la preuve relative à l’apparition d’une lésion reliée à l’évolution naturelle d’une condition personnelle préexistante pourra être appréciée par le tribunal;
- La preuve prépondérante que la blessure n’est pas survenue par le fait ou à l’occasion du travail ou provient d’une cause non reliée au travail.
[236] Les motifs ne permettant pas de renverser la présomption :
- L’absence d’événement imprévu et soudain;
- L’existence d’une condition personnelle en soi ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle en raison de la théorie du crâne fragile.
- Le seul fait que les gestes posés au travail étaient habituels, normaux, réguliers.
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Références omises.
[60] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet que le 12 février 2009, la travailleuse est victime d’une atteinte à sa fonction respiratoire lui causant de la toux, des éternuements et des sifflements.
[61] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet qu’avant cette date, alors âgée de 44 ans, la travailleuse n’avait aucun problème respiratoire et d’allergie.
[62] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet que le médecin de la travailleuse, le 22 février 2009, lui diagnostique un bronchospasme en raison d’une surexposition à des substances chimiques.
[63] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet qu’après cette période, la travailleuse a des problèmes respiratoires l’obligeant à se médicamenter sous forme de pompes aérosol afin de mieux respirer.
[64] L’employeur, dans son bulletin de santé et sécurité, reconnaît que le produit utilisé dans son usine, soit l’Oasis, a causé des problèmes de démangeaisons et respiratoires à ses employés suite à son utilisation.
[65] Le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante et non contredite est à l’effet que la travailleuse subit une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique ou chimique. Cette lésion apparaît de façon instantanée lors de l’exposition au produit Oasis.
[66] Cette exposition entraîne certes une perturbation de ses fonctions respiratoires lui causant de la toux, des sifflements ainsi que des éternuements, l’obligeant à prendre des produits aérosol pour mieux respirer.
[67] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet que lors des tests de provocation au produit Oasis, la travailleuse développe des symptômes respiratoires de la nature d’une hyperventilation.
[68] La preuve prépondérante et non contredite est à l’effet qu’à la fin de ces tests, la travailleuse développe des symptômes respiratoires de la nature d’une hyperventilation, confirmant qu’elle a une atteinte à ses fonctions respiratoires.
[69] Cette preuve permet donc au tribunal de confirmer que le 12 février 2009, la travailleuse est victime d’une blessure, soit une atteinte à ses fonctions respiratoires survenant sur les lieux de son travail alors qu’elle est à son travail, lui permettant de bénéficier de la présomption de l’article 28 de la loi.
[70] L’employeur ne soumet aucune preuve permettant de renverser cette présomption. La requête de la travailleuse sera donc accueillie.
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2 Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775 .
[41] L’employeur prétend que cette décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[42] Il invoque comme principal motif que le premier juge administratif commet une erreur manifeste et déterminante dans l’application qu’il fait de la présomption de l’article 28 de la loi au présent cas. Malgré le fait que le premier juge administratif n’ait aucunement annoncé ses intentions d’aborder la question en litige sous un autre angle que sous celui de la maladie professionnelle, l’employeur reconnaît qu’il avait le pouvoir de le faire. Cependant, il soutient que s’il applique l’article 28 de la loi, il doit le faire correctement.
[43] Or, il reproche au premier juge administratif d’avoir inventé un diagnostic qui n’est pas conforme à la preuve médicale et d’avoir conclu qu’il constituait une blessure. Il insiste également sur une erreur significative commise par le premier juge administratif dans la description des faits qui est déterminante pour décider de l’application de la présomption. Il soutient que contrairement à ce qu’a révélé la preuve, il rapporte erronément au paragraphe [65] qu’il y a apparition instantanée de la lésion pulmonaire lors de l’exposition au produit Oasis.
[44] Par ailleurs, il soutient que le cœur du problème vient du fait que, tel qu’en font foi les nombreuses interventions du premier juge administratif tout au long de l’audience, celui-ci n’était manifestement pas d’accord avec la preuve médicale unanime au dossier de ne pas reconnaître un asthme professionnel et il voulait trouver un moyen pour donner raison à la travailleuse. Il lui reproche d’avoir ignoré une preuve médicale unanime d’experts, sur un sujet hautement spécialisé, afin de décider en fonction de ses convictions personnelles.
[45] Le tribunal siégeant en révision considère que l’employeur a démontré que la décision comportait un vice de fond de nature à l’invalider. Il constate qu’elle comporte des erreurs manifestes de droit et de fait ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.
[46] Quant à l’erreur de droit, celle-ci a trait à l’application de l’article 28 de la loi. Pour décider de l’application de la présomption de lésion professionnelle, il faut d’abord identifier une blessure et, pour ce faire, on réfère au diagnostic retenu.
[47] Dans le présent cas, on peut lire aux paragraphes [51] à [53] qu’au moment de disposer de l’admissibilité de la lésion professionnelle sous forme de maladie professionnelle, le premier juge administratif écarte le diagnostic d’asthme professionnel, compte tenu de la preuve non contredite au dossier.
[48] Comme il a écarté ce diagnostic, lorsqu’il vient pour analyser l’admissibilité de la lésion professionnelle sous l’angle de l’article 28 de la loi, il doit s’en remettre à un autre diagnostic. À la lecture du paragraphe [69] de la décision, on comprend qu’il retient alors celui d’atteinte des fonctions respiratoires.
[49] Or, il s’agit d’un diagnostic que le premier juge administratif pose lui-même. En effet, alors que la travailleuse a été vue par plusieurs pneumologues qui l’ont examinée, pris connaissance de son dossier et pris en considération son histoire occupationnelle, aucun médecin ne retient un tel diagnostic. De fait, le seul diagnostic qui ait été retenu par les différents médecins au dossier, pour être écarté ultérieurement après les tests de provocation spécifique, est celui de bronchospasme ou d’asthme.
[50] De plus, le diagnostic qu’il retient est une expression générique qu’il choisit sans en préciser la nature et sans motivation.
[51] En outre, au paragraphe [60], il fait état d’une atteinte de la fonction respiratoire causant de la toux, des éternuements et des sifflements en date du 12 février 2009, alors qu’au paragraphe [68], il fait plutôt état de symptômes de la nature d’une hyperventilation confirmant, selon lui, une atteinte aux fonctions respiratoires. Il n’explique aucunement quel lien il fait entre ces divers éléments et comment il peut conclure que l’hyperventilation confirme une atteinte des fonctions respiratoires alors que la seule preuve médicale au dossier démontre qu’une telle hyperventilation ne permet pas de conclure à un diagnostic d’asthme professionnel.
[52] De surcroît, il y a absence totale de motivation sur le fait qu’il puisse retenir un tel diagnostic alors que le seul au dossier auquel on aurait pu associer une telle atteinte des fonctions respiratoires est celui d’asthme, mais qui est ultérieurement écarté par les pneumologues au dossier et par le premier juge administratif lui-même aux paragraphes [51] à [53], en tenant compte de la preuve médicale non contredite.
[53] Quant à l’erreur manifeste de fait, celle-ci se retrouve au paragraphe [65] de la décision. Le premier juge administratif commet une erreur dans la description des faits qui est déterminante pour décider de la survenance d’une blessure. Il indique que, selon la preuve prépondérante et non contredite, la travailleuse a subi une lésion provoquée par un agent vulnérant externe de nature physique ou chimique et que cette lésion apparaît de façon instantanée lors de l’exposition au produit Oasis. Or, tel que le soutient l’employeur, la preuve n’a pas révélé que les problèmes respiratoires sont apparus de façon instantanée à la suite de l’exposition à la fibre Oasis, mais bien que la travailleuse a d’abord été exposée quatre fois à cette fibre dans l’année précédant le 12 février 2009, avec manifestations de problèmes cutanés, mais sans symptômes respiratoires.
[54] Ces erreurs de droit et de fait sont manifestes et elles sont déterminantes sur l’issue du litige puisque c’est sur la base de ces éléments que le premier juge administratif conclut que la travailleuse peut bénéficier de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi et qu’elle a subi une lésion professionnelle, le 12 février 2009.
[55] Ces erreurs commandent une révision de la part du tribunal. Il y a donc lieu de rendre la décision qui aurait dû être rendue en tenant compte de l’ensemble de la preuve au dossier, des documents et témoignages produits et des argumentations entendus lors de l’audience devant le premier juge administratif.
[56] Le tribunal doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, le 12 février 2009.
[57] La lésion professionnelle est définie à l’article 2 de la loi.
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[58] La CSST aborde l’admissibilité de la lésion sous l’angle de la maladie professionnelle.
[59] La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[60] Afin de faciliter la preuve d’une maladie professionnelle, le législateur a édicté la présomption de l’article 29 de la loi :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[61] En ce qui concerne les maladies pulmonaires causées par des poussières organiques et inorganiques, la section V de l’annexe 1 prévoit ceci :
SECTION IV
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES GENRES DE TRAVAIL
[...]
8. Asthme bronchique : un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.
[62] Si la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption, elle doit démontrer qu’elle rencontre les conditions prévues à l’article 30 de la loi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[63] Plus spécifiquement, lorsqu’un travailleur allègue être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la loi prévoit la procédure à suivre aux articles 226 à 233 :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
__________
1985, c. 6, a. 226.
[64] Un tel comité est formé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise :
227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.
Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.
__________
1985, c. 6, a. 227.
[65] Il est ensuite prévu par la loi que les membres de ce comité examinent la travailleuse et produisent un rapport écrit à la CSST dans lequel ils se prononcent sur le diagnostic, et le cas échéant si celui-ci est positif, sur d’autres aspects médicaux en relation avec la lésion :
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
__________
1985, c. 6, a. 230.
[66] Ce rapport est ensuite transmis à un autre comité de pneumologues, cette fois formé des présidents de trois autres comités de pneumologues. Ce second comité, appelé Comité spécial des présidents, examine le dossier du travailleur, prend connaissance du rapport du précédent comité, puis confirme ou infirme ses conclusions :
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
__________
1985, c. 6, a. 231.
[67] Il est finalement établi à l’article 233 de la loi que la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial :
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .
__________
1985, c. 6, a. 233.
[68] Par ailleurs, la présente réclamation peut également être analysée sous l’angle de l’accident du travail qui est défini à l’article 2 de la loi :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[69] Afin de faciliter la preuve de l’existence d’une lésion professionnelle, le législateur a édicté la présomption de l’article 28 de la loi qui se lit comme suit :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 28.
[70] Pour pouvoir bénéficier de cette présomption, la preuve doit établir de façon prépondérante les trois éléments suivants : la survenance d’une blessure sur les lieux du travail alors que la travailleuse est à son travail.
[71] Dans le présent cas, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse a subi une lésion professionnelle pulmonaire que ce soit sous la forme d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.
[72] En effet, la preuve médicale démontre qu’initialement, compte tenu de l’histoire occupationnelle et de la symptomatologie présentée par la travailleuse, les médecins consultés considèrent qu’elle est susceptible de présenter un asthme professionnel.
[73] Ceci est bien illustré notamment par les rapports des deux premiers pneumologues consultés par la travailleuse à la demande du médecin traitant.
[74] D’une part, le 2 mars 2009, retenant qu’il y a un doute raisonnable d’une relation entre son travail et les symptômes respiratoires, le docteur LaForge recommande un arrêt de travail. D’autre part, le 26 mars 2009, le pneumologue Raby retient que la travailleuse présente un asthme mal contrôlé et il change sa médication. Il autorise le retour au travail étant donné que la fibre Oasis n’est plus dans son environnement de travail. Cependant, il précise que la travailleuse sera évaluée par la CSST.
[75] L’évocation initiale de la possibilité d’un asthme professionnel par les médecins au dossier est également bien illustrée par le premier rapport du Comité des maladies professionnelles pulmonaires daté, du 5 juin 2009. Après avoir relaté l’histoire de la travailleuse et l’avoir examinée, les pneumologues, membres de ce comité, concluent que l’histoire racontée par la travailleuse est compatible avec un diagnostic d’asthme professionnel.
[76] Cependant, avant de tirer une conclusion définitive, ils recommandent que la travailleuse subisse une épreuve de provocation bronchique spécifique en laboratoire avec la fibre Oasis. Or, toute la preuve médicale subséquente non contredite, démontre qu’après avoir procédé aux différentes analyses pertinentes, la travailleuse n’est finalement pas atteinte d’un asthme professionnel.
[77] En outre, le 19 juin 2009, les membres du Comité des maladies professionnelles pulmonaires produisent un rapport complémentaire dans lequel ils retiennent que les recherches qu’ils ont effectuées sur la fibre Oasis leur indiquent que ce produit n’a pas d’effet toxique sur le plan respiratoire. Cependant, la travailleuse ayant fait état de l’utilisation d’un aérosol sur cette fibre, ils indiquent vouloir identifier ce produit avant de donner suite aux tests de provocation spécifique.
[78] Le 21 août 2009, les membres de ce comité produisent un autre rapport complémentaire par lequel ils indiquent que, selon la fiche signalétique de cet aérosol, ce produit ne présente pas non plus de toxicité sur le plan respiratoire. D’emblée, les membres de ce comité retiennent que ces produits n’ayant aucune toxicité sur le plan respiratoire, il n’y a aucune base pour reconnaître un asthme d’origine professionnelle, ni nécessité de poursuivre davantage l’investigation.
[79] Cependant, les pneumologues membres du Comité spécial des présidents sont plutôt d’avis qu’il y a lieu de procéder tout de même aux tests de provocation spécifique, compte tenu que les polymères d’acrylates contenus dans la fibre Oasis pourraient être sensibilisants et responsables d’un asthme professionnel.
[80] Durant la semaine du 15 novembre 2009, la travailleuse se soumet à ces tests de provocation qui sont supervisés par le pneumologue Laberge. Or, après analyse des résultats à ces tests, le docteur Laberge conclut que l’ensemble des données ne permet pas de conclure à une sensibilisation à la fibre Oasis au niveau respiratoire. Il ajoute que l’épisode d’inhalation de la fibre Oasis solubilisée est compatible avec un épisode d’hyperventilation. Il conclut que ceci ne supporte pas un diagnostic d’asthme professionnel.
[81] Ainsi, après avoir pris connaissance du résultat de ces tests, les membres du Comité spécial des présidents concluent également qu’ils n’ont pas montré de variations significatives et qu’ils ne supportent pas l’hypothèse d’une sensibilité spécifique à ces fibres. Ils retiennent également que la travailleuse a présenté des manifestations d’hyperventilation et qu’aucun argument ne permet de reconnaître un asthme professionnel.
[82] Aucune preuve médicale n’a été déposée pour contredire cette conclusion des pneumologues.
[83] Lors de l’audience initiale, la travailleuse déclare remettre en question ces conclusions. Elle ne comprend pas que les pneumologues en viennent à de telles conclusions alors qu’elle a présenté de nombreuses réactions lors des tests de provocation spécifique à la fibre Oasis sous forme de sibilances, toux, œdème aux mains et au palais, dyspnée, tremblements, hyperventilation et même perte de conscience. Elle prétend que les pneumologues n’ont pas tenu compte de tous les résultats aux différents tests et remet en question la validité de leurs conclusions.
[84] Or, le tribunal ne peut retenir cette prétention qui ne s’appuie sur aucune preuve médicale. De fait, au contraire, à la lecture du rapport du docteur Laberge, on comprend que ses conclusions sont basées sur l’ensemble des données et résultats obtenus lors des tests dont il résume, d’ailleurs, l’essentiel, journée par journée, dans le cadre de son rapport du 26 novembre 2009.
[85] Avec respect, le tribunal constate que la travailleuse accorde beaucoup d’importance à différents symptômes qu’elle a ressentis lors des tests, dont l’hyperventilation qui a même entraîné une perte de conscience. Cependant, il ressort du rapport du docteur Laberge que ces constatations ne permettent pas de conclure à une sensibilisation des voies respiratoires à la fibre Oasis et que ce sont plutôt les données relatives au VEMS, aux débits expiratoires ainsi qu’à la réactivité bronchique qui permettent de tirer des conclusions à cet égard. Or, en l’espèce, selon les membres du Comité spécial des présidents, les données obtenues ne montrent pas des variations significatives permettant de retenir un diagnostic d’asthme.
[86] Par ailleurs, la travailleuse soutient que les résultats auraient pu être différents s’ils avaient été faits en milieu de travail. C’est ce que recommandaient idéalement les pneumologues du Comité spécial des présidents. Cependant, la preuve démontre que, compte tenu que cette fibre n’est plus utilisée à l’usine, ils ont recommandé de procéder à des tests en laboratoire. La simple allégation de la travailleuse, non appuyée par une preuve médicale, selon laquelle les tests de provocation effectués en laboratoire et non en usine, ne sont pas valables et que leurs résultats ont mal été interprétés par les pneumologues, est insuffisante pour contrer l’opinion unanime des médecins experts au dossier.
[87] Par conséquent, la preuve prépondérante démontrant que la travailleuse n’est pas atteinte d’un asthme professionnel et qu’elle n’a pas été exposée à un agent spécifique sensibilisant, le tribunal considère qu’elle ne rencontre pas les critères établis par la loi permettant de conclure qu’elle est atteinte d’une maladie professionnelle ou d’une lésion professionnelle survenue à la suite d’un accident du travail.
[88] En effet, en l’absence d’une preuve prépondérante d’un diagnostic d’asthme ou de blessure et de l’existence d’un agent spécifique sensibilisant, la travailleuse ne peut bénéficier de l’application des présomptions de maladie professionnelle et de lésion professionnelle prévues aux articles 28 et 29 de la loi.
[89] De plus, en l’absence d’une preuve prépondérante d’un diagnostic d’asthme et de son origine professionnelle, le tribunal ne peut conclure non plus que la travailleuse soit atteinte d’une maladie caractéristique de son travail ou reliée directement aux risques particuliers de son travail ni qu’elle a développé une maladie en relation avec un événement imprévu et soudain survenu au travail. En effet, l’existence d’une lésion, donc d’un diagnostic, et de la relation avec le travail, sont des éléments essentiels pour conclure à la survenance d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision déposée par ADS inc., l’employeur, le 2 décembre 2011,
RÉVISE la décision de la Commission des lésions professionnelles, rendue le 31 octobre 2011;
REJETTE la requête de madame Lina Bégin, la travailleuse, déposée le 26 mars 2010;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 février 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, le 12 février 2009.
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Monique Lamarre |
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Me Simon-Pierre Hébert |
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McCARTHY, TÉTRAULT |
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Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
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