Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2015 QCTAQ 04165
Dossier : SAS-Q-205227-1410
DANIELLE ALLARD
c.
MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX
[1] Le requérant conteste une décision prise par l’intimé, le ministre de la Santé et des services sociaux (le ministre), le 17 octobre 2014, laquelle révoque le permis de directeur de funérailles délivré au requérant, et ce, à compter de la date de l’avis.
[2] L’audience s’est tenue le 21 janvier 2015. À la fin de cette audience, le Tribunal a permis au requérant de transmettre des représentations additionnelles au plus tard le 12 février 2015 et accordé à l’intimé le droit d’y répliquer, et ce, au plus tard le 19 février 2015. Le 26 janvier 2015, le requérant informait le Tribunal qu’il n’avait pas d’autres détails à fournir dans le dossier. L’affaire a donc été prise en délibéré.
Sommaire des faits
[3] En tout temps pertinent, le requérant était titulaire d’un permis de directeur de funérailles délivré par le ministre. À sa demande de permis pour l’année civile 2014, il avait joint un document intitulé « Entente de services ». Il affirmait alors utiliser les services d’une entreprise à Ville A pour la crémation et l’embaumement d’un cadavre.
[4] L’installation du requérant était connue sous la dénomination sociale Salon funéraire A. Les activités autorisées dans cette installation étaient essentiellement une salle d’exposition. Il n’y avait pas de salle d’embaumement, crématorium ou columbarium.
[5] Aussi, le requérant détenait un permis d’embaumeur.
[6] Le 11 septembre 2014, le ministre avise le requérant de son intention de révoquer le permis de directeur de funérailles à la suite d’une enquête relative aux dispositions funéraires prises à l’occasion du décès de monsieur J.-G. G. On reprochait au requérant les manquements suivants :
« […]
Notre enquête a révélé que monsieur G. est décédé le 11 juillet 2014 à 22 h 01. Vous avez procédé seul à la prise en charge du cadavre le 19 juillet 2014 à 11 h dans les installations du Centre de santé et de services sociaux A (CSSS). Il a été établi que le cadavre était alors dans un état de putréfaction et que des odeurs nauséabondes s’en dégageaient. D’après les informations obtenues, des liquides biologiques provenant du cadavre se seraient écoulés sur vous et sur l’agent de sécurité qui vous aidait. Il semble de plus que vous n’étiez pas vêtu de façon adéquate pour faire face à ce genre de situation.
Votre déclaration écrite a révélé qu’à partir du moment de la prise en charge du cadavre au CSSS jusqu’à l’inhumation au cimetière, le cadavre n’a pas été conservé à une température inférieure à 5°C et qu’il n’a pas été embaumé ni incinéré. Également, lors du transport du cadavre dans votre corbillard vous nous avez indiqué que vous aviez stationné celui-ci le temps d’un dîner. Vous avez ensuite déposé le cadavre dans un cercueil de bois en masquant les odeurs et l’avez laissé dans votre salle d’exposition pour une durée de deux jours. Le 21 juillet 2014, le cercueil contenant le cadavre a été transporté à la salle communautaire de la municipalité A pour une exposition de 10 h à 14 h et par la suite à l’Église de la paroisse A pour une cérémonie suivie de l’inhumation au cimetière paroissial. À la lumière des faits, nous constatons que vous avez enfreint les articles 51, 52, 53 et 54 du Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (RLRQ, chapitre L-0.2, r. 1) relativement à la prévention, la conservation, la préparation et la présentation des cadavres. Des infractions similaires vous ont été reprochées par le MSSS le 30 janvier 2013. À l’époque, le MSSS vous avait demandé de prendre les mesures nécessaires pour que la situation ne se reproduise plus et de vous gouverner de manière à respecter la législation applicable au secteur funéraire.
Considérant ce qui précède, nous vous informons que le ministre a l’intention de révoquer votre permis de directeur de funérailles portant le numéro […]. »
[7] Le 24 septembre 2014, le procureur du requérant présente ses observations. D’entrée de jeu, il signale que le requérant s’empresse de déclarer pour avérer les faits relatés dans l’avis du 11 septembre 2014 et y ajoute quelques précisions. Le requérant admet que les dispositions prévues à l’article 52 de la réglementation applicable ont été enfreintes, mais il en est tout autrement des articles 51, 53 et 54. Enfin, il plaide qu’une réprimande serait appropriée et ajoute que le requérant s’engage fermement à ne plus intervenir dans ce genre de situation, et surtout, à privilégier l’incinération comme mode de disposition des dépouilles.
[8] Après avoir pris connaissance des observations du requérant, le ministre décide, le 17 octobre 2014, de révoquer le permis de directeur de funérailles délivré au requérant, et ce, à compter de la date de l’avis. Cette décision est ainsi motivée :
« […]
Le 11 septembre dernier, nous vous faisions parvenir un avis vous informant de l’intention du ministre de révoquer le permis de directeur de funérailles dont vous êtes titulaires, étant donné les infractions que vous avez commises relativement à la prévention, la conservation, la préparation et la présentation des cadavres. Nous vous invitions alors à présenter vos observations, et, s’il y avait lieu, à produire des documents pour compléter votre dossier avant qu’une décision ne soit rendue.
Dans une correspondance datée du 24 septembre 2014, vous nous avez fait part de vos commentaires par l’entremise de maître Sylvain Roy. Soyez assuré que nous en avons pris connaissance. Cependant, pour obtenir un permis de directeur de funérailles et d’embaumeur, vous avez dû démontrer une connaissance suffisante des lois et des règlements relatifs aux activités funéraires. De plus, les mesures de prévention universelles et les dispositions relatives à la conservation, à la préparation et à la présentation des cadavres font partie intégrante des connaissances que vous avez démontrées par la réussite d’un examen. Dans cet ordre d’idées, il est important de mentionner que lors de la présence des liquides biologiques, les mesures de prévention doivent être appliquées en tout temps, peu importe la raison pour laquelle ces liquides se sont écoulés. Également, le fait de placer le cercueil contenant le cadavre en présence du public constitue une exposition, et ce, même si le cercueil est fermé. Enfin, le fait que vous soyez d’avis que les normes soient désuètes ou non adaptées aux nouvelles demandes des familles n’a aucun impact sur la validité de la loi et de ses règlements.
En conséquence, et conformément aux pouvoirs conférés par l’article 40.3.2 de la loi, nous vous informons que le ministre révoque le permis de directeur de funérailles numéro […] qui vous a été délivré, et ce, à compter de la date du présent avis.
Ainsi, vous ne pouvez plus agir comme directeur de funérailles ni prétendre agir comme tel, le tout conformément à l’article 33 de la loi. Cela signifie que vous devez cesser toute activité pour laquelle un permis de directeur de funérailles est requis par la loi. Nous vous rappelons également que quiconque enfreint les dispositions de la loi ou des règlements adoptés en application de celle-ci commet une infraction et est passible de la sanction prévue à l’article 71 de la loi. »
[9] Le requérant introduit le présent recours le 23 octobre 2014. Il justifie ainsi sa demande :
« Décision trop sévère et disproportionnée selon les faits reprochés. Annulation de cette décision trop abusive et déraisonnable. ».
[10] De l’ensemble des différents témoignages entendus, le Tribunal retient ce qui suit.
Un inspecteur du ministère de la Santé et des Services sociaux
[11] Monsieur É. L. est inspecteur au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) depuis 2001. Il effectue des inspections dans le cadre de l’application de plusieurs lois, dont la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres et son règlement d’application. Il compte une quinzaine d’inspections par année dans ce secteur d’activité.
[12] Le 28 juillet 2014, une plainte émanant du CSSS A est reçue en lien avec la récupération du cadavre de monsieur J.-G. G. par le requérant, laquelle aurait été inadéquate. À la réception de la plainte, il en discute avec son supérieur. Il est convenu de faire des vérifications.
[13] Le témoin avait déjà rencontré le requérant en janvier 2013 à la suite d’une plainte.
[14] Il consulte d’abord le site du salon funéraire A. Suivant l’avis de décès, J.-G. G. est décédé le 11 juillet 2014 et l’exposition de la dépouille devait avoir lieu dans une salle communautaire le 21 juillet 2014. Le témoin communique avec la municipalité, par téléphone, et est informé qu’il y a bien eu une exposition dans la salle communautaire ce jour-là et que la dépouille était dans un cercueil. On ne rapporte pas d’odeur durant l’exposition outre l’encens[1].
[15] Le 6 août, il rencontre différents témoins. Il est informé, par l’entreprise de Ville A avec laquelle le requérant fait affaire pour la crémation et l’embaumement d’un cadavre, que leurs services n’ont pas été requis pour la dépouille de J.-G. G. Le curé de la paroisse confirme que la cérémonie a eu lieu à l’église le 21 juillet 2014 et qu’il y a eu mise en terre le jour même.
[16] Le témoin a également rencontré le requérant à son domicile. Il y a eu prise d’une déclaration écrite laquelle a été signée par le requérant. Celui-ci ne désirait pas consulter un avocat avant de la signer. Le requérant était coopératif.
[17] Enfin, le témoin a rencontré un gardien de sécurité du CSSS A lequel est intervenu lorsque le requérant a récupéré la dépouille à l’hôpital.
[18] Par la suite, il y a eu analyse du dossier, d’où des sanctions administratives et péna-les. Plusieurs manquements à la législation applicable ont été retenus, dont les suivants :
- La dépouille de J.-G. G. a été récupérée à la suite de demandes répétées de l’hôpital;
- Le requérant n’était pas vêtu adéquatement lors de cette récupération;
- Les précautions nécessaires au transport de la dépouille de la morgue de l’hôpital au corbillard n’ont pas été prises de sorte que des liquides biologiques se sont répandus;
- Durant le transport de la dépouille vers le salon funéraire, le requérant s’est arrêté pour dîner alors que le corbillard n’est pas réfrigéré;
- Après sa récupération par le requérant, le cadavre n’a pas été conservé à 5°C et n’a été ni embaumé ni incinéré;
- Le requérant a mis le cadavre dans un cercueil de bois scellé après l’avoir saupoudré de bicarbonate de soude.
[19] À ce jour, les plaintes pénales n’ont pas été signifiées au requérant[2].
Un agent de sécurité au CSSS A
[20] Monsieur K. L. est agent de sécurité au CSSS A, pour l’entreprise A, depuis août 2013. Il a reçu une formation d’une vingtaine d’heures avant de travailler en milieu hospitalier. Son quart de travail est surtout la fin de semaine.
[21] Ses fonctions sont de veiller à la sécurité dans l’hôpital, notamment la sortie des corps. À cette fin, il y a un protocole à respecter. Le transporteur doit d’abord aller à l’admission de l’hôpital afin d’obtenir les documents nécessaires, dont le formulaire SP-3. Muni de ces documents, le témoin accompagne le transporteur à la morgue. Le corbillard et la civière transitent par l’entrée des marchandises. À la morgue, le cadavre est mis sur la civière du transporteur dans un sac de transport, lequel est intégré et opaque, et il est sanglé. Cette civière est ensuite amenée à l’entrée des marchandises et mise dans le corbillard.
[22] Depuis août 2013, il a procédé à la sortie de corps environ une fois par fin de semaine.
[23] Le 19 juillet 2014, il est intervenu relativement à la sortie du corps de J.-G. G. À ce sujet, il a préparé un rapport[3]. Ce jour-là, un individu se présente au poste d’information et demande qu’on l’assiste pour aller récupérer une dépouille « dans le frig ». L’individu est vêtu d’un chandail délavé, porte des shorts de coton dans le même état et des sandales de plage, sans bas.
[24] Après avoir vérifié l’identité de l’individu, le témoin demande au requérant de fournir les papiers nécessaires à la sortie du corps. Le requérant répond qu’il les a laissés dans son véhicule. À l’entrée des marchandises, le témoin vérifie les documents et communique avec l’admission pour s’assurer que tout est conforme.
[25] Par la suite, tous deux se rendent au frigidaire de la morgue. Le corps est sur une civière de l’hôpital enveloppé dans un linceul ainsi qu’un sac blanc opaque[4]. Le tout n’était pas complètement fermé en raison de la position des bras et du gonflement du corps. Aussi, le corps dégageait des odeurs nauséabondes. C’était la première fois qu’il voyait un corps « emballé comme ça. »
[26] Le témoin met des gants de latex jetables avant de déplacer le corps. Le requérant n’était pas muni de gants ni de vêtements de protection et de souliers fermés. Il lui est arrivé de donner des gants de latex à un transporteur. Habituellement, les transporteurs ont leurs propres gants et sont bien habillés avec des souliers fermés.
[27] Au premier essai, ils tentent de sortir le corps du linceul. Du sang et des liquides biologiques se sont alors écoulés sur le sol ainsi que sur les shorts, les jambes et les sandales du requérant qui après-coup « se secoue un peu ». Au second essai, il y a encore des écoulements sur le sol et sur le requérant. Ils ont mis le linceul « pas fermé » sur le sac de transport de la civière puisque le requérant ne voulait pas « le salir ». Habi-tuellement, le sac de transport se referme sur le corps. Puis, ils sont sortis du frigidaire. Le corps était alors à découvert de sorte que le témoin a mis un piqué sur le dessus de la dépouille. Finalement, il a aidé le requérant à mettre la civière dans le corbillard.
[28] Tout le long du trajet, entre le frigidaire de la morgue et l’entrée des marchandises, il y avait des traces de liquides biologiques. Le témoin a demandé à l’équipe de désinfection de l’hôpital de nettoyer le frigidaire ainsi que le passage emprunté durant le transport. Du-rant les manœuvres, ses bottes ont été éclaboussées. Il les a désinfectées immédiatement. Aussi, il a changé de chemise en raison de l’odeur. Dans les minutes qui ont suivi, l’équipe de désinfection a procédé au nettoyage des lieux. Alors qu’ils étaient dans le frigidaire, le témoin a proposé au requérant qu’on enlève les résidus sur ses vêtements, ses pieds et ses jambes avec des produits désinfectants. Cette offre a été déclinée.
[29] En contre-interrogatoire, le témoin admet qu’il ne connaissait pas la cause du décès de J.-G. G.
[30] Il ignore s’il y avait des drains dans le frigidaire de la morgue ce qui aurait pu permettre l’écoulement des liquides biologiques, du moins en partie. Ce n’est pas là que sont pratiquées les autopsies.
Le conseiller responsable du dossier funéraire au ministère de la Santé et des Services sociaux
[31] Monsieur C. C. est conseiller aux établissements et responsable du dossier funéraire au MSSS depuis 1993. Il est responsable de la gestion et de l’émission des permis, dont les permis d’embaumeur et de directeur de funérailles, il conseille les entreprises, collabore avec les autres services (Régie des rentes et al.) et voit aux inspections et enquêtes appropriées.
[32] Il souligne l’importance, dans ce secteur d’activité, de la protection de la santé publique.
[33] Relativement au permis de directeur de funérailles, il est appelé à donner des informations sur les conditions requises pour l’obtention d’un tel permis.
[34] Relativement au permis d’embaumeur, le Collège de Rosemont est le seul établissement offrant un DEC en thanatologie. Ce programme d’études prépare les candidats aux techniques d’embaumement et l’administration d’une entreprise.
[35] Le témoin connaît le requérant depuis 2003. Ce dernier a obtenu un DEC en thana-tologie en 1995[5]. En septembre 2003, il a passé un examen pour l’obtention d’un permis d’embaumeur[6]. Il a cessé ses opérations comme embaumeur en 2011, puis en 2013, il a demandé à nouveau ce permis et passé un examen[7]. En mars 2010, le requérant a demandé un permis de directeur de funérailles et passé un examen[8]. Ces examens visent à vérifier la connaissance des lois et règlements applicables dans le secteur funéraire. En 2013, on a ajouté une salle d’embaumement au permis de directeur de funérailles du requérant et, en 2014, il n’y avait plus de salle d’embaumement dans l’installation du requérant.
[36] Le témoin rappelle qu’en 2012, son service avait reçu une plainte liée au transfert et à la remise d’un cadavre par le requérant. C’est dans ce contexte qu’il a écrit la lettre du 30 janvier 2013.
[37] Les passages suivants de cette lettre méritent d’être soulignés :
« […]
Lors d’une rencontre le 24 janvier 2013, vous avez déclaré avoir présenté le cadavre d’une personne non embaumée dont le décès remontait à plus de 18 heures et l’avoir conservé à une température de plus de 5 °Celsius. Nous tenons à vous rappeler les articles 51 et 52 du Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres
[…]
Vous devrez dorénavant vous gouverner de manière à respecter la législation concernée par ce secteur d’activité et tout manquement sera tenu en compte…».
[38] À la suite de l’enquête menée par É. L., il est apparu que la situation était similaire à celle décrite dans la lettre du 30 janvier 2013. Aussi, la santé publique était en cause en raison, notamment, de l’écoulement des liquides biologiques lors de la récupération du corps ainsi que la conservation ultérieure de celui-ci, d’où sa recommandation au ministre de révoquer le permis de directeur de funérailles.
[39] Le témoin comprend, de la réglementation applicable, qu’un cadavre gardé plus de 24 heures après le décès doit être embaumé ou conservé à une température inférieure à 5°C en raison de la détérioration du cadavre et de la propagation possible de maladies « via » les liquides corporels. En ce sens, la cause du décès importe peu. Aussi, un cadavre embaumé qui est gardé plus de 7 jours doit être conservé à une température inférieure à 5°C. On entend par l’expression « exposition » d’un corps, le fait que le cercueil soit placé dans un lieu public, ouvert ou fermé.
[40] Le témoin est appelé à commenter le passage suivant des observations présentées par le procureur du requérant :
« […]
notre client, dès le samedi, a déposé la dépouille dans un cercueil de bois en s’assurant d’abord de saupoudrer le cadavre et toutes les surfaces l’entourant d’un produit désinfectant à base d’ammoniac et de bicarbonate de soude, comme cela se faisait selon les anciens us, i.e. selon les méthodes reconnues par la profession : par la suite, il s’est assuré de sceller le couvercle dudit cercueil en utilisation une bande autocollante en caoutchouc garantissant que le couvercle soit fermé hermétiquement; … ».
[41] Pour ce qui est de l’utilisation d’ammoniac, encore faut-il que cette désinfection soit faite dans une salle d’embaumement. Pour ce qui est du bicarbonate de soude, son utilité est limitée aux odeurs. Enfin, seuls les cercueils de métal sont scellés et non pas les cercueils en bois.
[42] Contre-interrogé, le témoin affirme que les plaintes dans ce secteur viennent du public et des autres entreprises funéraires. La plainte ici en cause venait de l’hôpital : « c’était la première fois » qu’il recevait une telle plainte.
[43] Il reconnaît qu’il n’est pas un embaumeur. Toutefois, il a travaillé dans une entreprise funéraire durant 13 ans et a été ambulancier.
[44] Lorsqu’un transporteur va chercher un corps dans un hôpital, il n’est pas tenu de porter un sarrau, des gants et un couvre-chef. Par contre, il doit avoir « ce qu’il faut » pour parer à toute éventualité quitte à demander à l’hôpital qu’on le lui fournisse.
[45] Le témoin est questionné sur les caractéristiques des cercueils suivant les notes de cours du Collège de Rosemont[9]. À son avis, un cercueil en métal est hermétique alors que le bois est poreux.
[46] Une dépouille peut être incinérée dans un cercueil de métal ou de bois. Dans l’attente de l’incinération, on doit prendre des mesures pour éviter l’écoulement des liquides biologiques ainsi que la propagation de maladies.
Le requérant
[47] Le requérant admet le contenu de la déclaration faite à l’inspecteur du MSSS ainsi que les éléments factuels retenus par le ministre dans la lettre du 11 septembre 2014. Il est en accord avec les observations présentées par son procureur.
[48] Il rappelle qu’après ses études, il a travaillé dans le domaine comme contractuel à Montréal. De 2004 à 2008, il a travaillé comme embaumeur pour l’entreprise J. B.
[49] Depuis mars 2010, il est directeur de funérailles pour son compte. Son entreprise a pu être mise sur pied avec l’aide d’Emploi-Québec. Son objectif est d’offrir des services funéraires à une clientèle à faible revenu ainsi qu’un rituel. D’ailleurs, il a obtenu une maîtrise en spiritualité. Dès le départ, il y a eu une « guerre commerciale », car le coût de ses services était plus bas que le marché.
[50] En janvier 2014, il n’a plus de salle d’embaumement dans le salon funéraire en raison des coûts. Les embaumements et incinérations sont faits à Ville A. C’est lui qui transporte les corps là bas. À Ville B, il est « bloqué » pour le four, il ne peut avoir de cercueils, ni publier d’avis dans les journaux locaux[10].
[51] Le décès de J.-G. G. survient en période de canicule. Le corps est retrouvé le 11 juillet 2014, trois jours après le décès. À la demande du coroner, il est transporté par une autre entreprise à la morgue du CSSS A. La famille avait demandé au départ une autopsie. Ce n’est que le mardi suivant (15 juillet 2014) qu’il n’est plus question d’autopsie.
[52] Entre-temps, le requérant est contacté par la famille. Il est informé que la famille souhaitait que le corps soit dans un cercueil. L’entreprise qui avait transporté le corps à l’hôpital offrait ces services pour 12 000,00 $ alors que les siens s’élevaient à 5 000,00 $.
[53] À son salon funéraire, il ne dispose pas de chambre froide. L’hôpital accepte de garder les corps un certain temps.
[54] Sitôt l’autopsie écartée, l’hôpital lui a demandé de venir chercher le corps. Il a répondu qu’il viendrait le récupérer le lundi (21 juillet 2014). Le jeudi (17 juillet 2014), le coroner l’appelle et lui demande de venir chercher le corps le plus tôt possible en raison des fortes odeurs qu’il dégage. Le requérant lui répond que « ça sera lundi matin seulement. » Le vendredi, le coroner rappelle et lui demande de venir le lendemain, ce qui permettrait le nettoyage des lieux avant le retour des employés le lundi.
[55] Le samedi (19 juillet 2014), le requérant se dirige vers l’hôpital afin de récupérer le corps. Il est vêtu « sport », car il faisait chaud. « Normalement », il porte un pantalon et une chemise.
[56] Dans son corbillard, il avait des gants, du désinfectant et un sarrau, mais il ne les a pas utilisés.
[57] Lorsqu’il voit le corps, il sait que le décès est lié à un infarctus. En principe, il aurait dû être bien enveloppé. Il avait été mis dans un sac standard ce qui n’était pas adéquat.
[58] Au cours de la récupération, « ça ne l’a pas dérangé d’avoir du liquide. » Il n’a jamais mis de gants. Il reconnaît qu’il prend le risque d’être contaminé.
[59] Il a mis sur sa civière un gros plastique. Il n’a pas été en mesure de sortir le corps du sac mal fermé.
[60] Le corps ne pouvait pas être embaumé, car il était en état de décomposition « jello ». D’ailleurs, la famille voulait qu’il soit mis dans un cercueil. Le requérant aurait voulu communiquer avec le MSSS pour avoir des informations, mais il savait que les bureaux étaient fermés le samedi. Il n’aurait pas dû prendre un cas comme ça. Le corps aurait dû être incinéré, mais il voulait respecter les volontés de la famille. Si l’hôpital avait gardé le corps plus longtemps, il y aurait eu moins de problèmes.
[61] Après son départ de l’hôpital, il s’est arrêté pour dîner (½ heure).
[62] En après-midi, il a mis le corps dans un cercueil de location. Jusque là, le corps avait été conservé à une température de 1°C à 4°C. Dès qu’il a saupoudré avec le bicarbonate de soude « c’était correct. » Il n’y avait pas d’odeur ni d’écoulement. La famille ne lui avait pas donné d’instructions pour l’habillement du défunt.
[63] Il n’est pas clair que le saupoudrage fait partie de l’embaumement. Il a utilisé une poudre standard.
[64] Le dimanche, le cercueil était dans le salon funéraire. Il y a de la climatisation dans ce lieu.
[65] Le lundi, il y a eu exposition au centre communautaire.
[66] Interrogé relativement à la lettre de C. C. du 30 janvier 2013, le requérant reconnaît avoir présenté une personne non embaumée dans un cercueil de carton plus de 18 heures après le décès. Il affirme qu’il a « fait ça à plusieurs reprises. »
[67] Le requérant déclare, à quelques reprises, qu’il y a des zones grises dans la réglementation de sorte qu’une nouvelle loi est requise.
Décision
[68] L’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres[11] (la Loi) et du Règlement d’application de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres[12] (le Règlement) est ici en cause.
[69] Suivant l’article 33 de la Loi, nul ne peut agir comme directeur de funérailles s’il n’est titulaire d’un permis délivré à cette fin par le ministre de la Santé et des Services sociaux.
[70] Aussi, nul ne peut pratiquer l’embaumement, la crémation ou la thanatopraxie s’il n’est titulaire d’un permis délivré par le ministre[13].
[71] Une personne qui sollicite un permis de directeur de funérailles ou d’embaumeur doit transmettre sa demande au ministre. Cette demande doit être faite conformément au Règlement. Un tel permis est renouvelé si son titulaire remplit les conditions prescrites pour son renouvellement[14].
[72] Un titulaire de permis doit exercer ses activités conformément à ce qui est indiqué à son permis et respecter les obligations que la Loi et le Règlement lui imposent[15].
[73] Le ministre peut faire une inspection pour vérifier l’application de la Loi et du Règlement[16].
[74] Le ministre peut suspendre, révoquer ou refuser de renouveler le permis de tout titulaire qui ne remplit plus les conditions requises pour obtenir son permis[17].
[75] Une telle décision peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec[18], lequel peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu[19].
[76] Suivant l’article 69 de la Loi, le gouvernement a adopté le Règlement en cause, et ce, « en vue de protéger contre les dangers à la santé publique ».
[77] C’est ainsi que le gouvernement a, notamment, déterminé les conditions que doit remplir une personne qui sollicite un permis de directeur de funérailles, les documents que celui-ci doit produire et la nature des opérations qu’il doit conduire, ainsi que les conditions de préparation, d’embaumement, de crémation ou d’incinération des défunts, les personnes pouvant effectuer ces opérations et les endroits où elles peuvent être conduites.
[78] Selon le Règlement, un cadavre humain qui est gardé plus de 24 heures après le décès doit être conservé à une température inférieure à 5°C ou être embaumé[20].
[79] Tout cadavre humain qui doit être exposé pendant plus de 24 heures ou dont l’exposition commence plus de 18 heures après le décès doit être embaumé[21]. Aucun embaumement ne peut avoir lieu avant 6 heures après la constatation du décès[22].
[80] L’embaumement consiste à préparer, désinfecter et préserver les corps d’êtres humains décédés. Le titulaire d’un permis d’embaumeur doit effectuer son travail avec l’attention et le soin requis afin de prévenir tout danger de contamination. Pour effectuer ce travail, l’embaumeur doit, notamment, être muni d’un sarrau imperméable, d’un couvre-chef et de gants de caoutchouc et ces vêtements doivent être lavés après chaque opération[23].
[81] Un directeur de funérailles doit tenir un registre de tous les embaumements pratiqués sous sa responsabilité. Ce registre doit comprendre, notamment, la date de l’embaumement et le nom de l’embaumeur[24].
[82] Il est permis à un titulaire d’un permis de directeur de funérailles de procéder à des crémations si le permis contient une telle autorisation[25].
[83] Une crémation doit être effectuée dans un crématorium aménagé et opéré de façon à prévenir tout danger de contamination[26]. Aucune crémation ne peut avoir lieu avant 12 heures après la constatation du décès[27].
[84] Un permis de directeur de funérailles ne peut être délivré qu’à une personne qui, notamment, est propriétaire ou locataire d’installations comprenant une salle d’exposition[28] et tout le matériel nécessaire pour coordonner les services et démontre une connaissance suffisante des lois et règlements relatifs aux directeurs de funérailles[29].
[85] Un permis d’embaumeur ne peut être délivré qu’à une personne qui, notamment, est détentrice d’un diplôme en la matière et démontre une connaissance suffisante des lois et règlements relatifs aux embaumeurs[30].
[86] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la décision du 17 octobre 2014 doit être confirmée.
[87] Suivant la Loi, le ministre de la Santé et des Services sociaux veille à ce que le titulaire d’un permis de directeur de funérailles se conforme à ses obligations.
[88] À cette fin, il peut, par une personne qu’il autorise, faire une inspection pour vérifier l’application de la Loi et du Règlement, comme dans le présent cas.
[89] Le titulaire d’un permis de directeur de funérailles doit, pendant la durée de validité du permis, se conformer aux obligations que la Loi et le Règlement lui imposent.
[90] En l’espèce, le ministre a révoqué le permis de directeur de funérailles du requérant, le 17 octobre 2014, puisqu’il a contrevenu à la Loi et au Règlement.
[91] Qu’en est-il ?
[92] En 2014, le requérant n’a plus de salle d’embaumement dans son salon funéraire. Il n’a pas de crématorium non plus. Il doit donc transporter les corps à Ville A pour les embaumements et les incinérations.
[93] Il ne dispose pas non plus d’une chambre froide à son salon funéraire.
[94] Dès le 15 juillet 2014, le requérant aurait pu récupérer le corps de J.-G. G. puisqu’il n’y aurait pas d’autopsie. Il répond au coroner qu’il ira le chercher le 21 juillet 2014, soit le jour même de l’exposition de la dépouille à la salle communautaire. Toutefois, à la suite des demandes répétées du coroner, le requérant récupérera le corps le 19 juillet 2014.
[95] Le requérant sait, à ce moment-là, que le corps est dans un état de putréfaction avancée. Il connaît la cause du décès, mais n’a pas d’autres informations médicales sur le défunt.
[96] Il se présente à l’hôpital en short, chandail délavé et sandales aux pieds. Cette tenue était inadéquate dans les circonstances.
[97] Bien que le requérant avait, dans son corbillard, des gants, du désinfectant et un sarrau, il ne les emporte pas. Cet équipement aurait pu parer à tout danger de contamination.
[98] Durant les manœuvres pour récupérer le corps, il y aura des écoulements de liquides biologiques, notamment sur les vêtements et les jambes du requérant, le sol du frigidaire de la morgue ainsi que le long du trajet menant à l’entrée des marchandises où était garé le corbillard.
[99] La preuve ne révèle pas que le requérant a pris quelque mesure afin d’éviter tout danger de contamination. Ce comportement s’écarte du professionnalisme attendu.
[100] Après la récupération du corps, le requérant ira dîner dans un restaurant avec ses vêtements en l’état et alors que le corbillard n’est pas réfrigéré, et ce, en pleine canicule.
[101] Rappelons que le Règlement prévoit des conditions précises de préparation, d’embaumement ou de crémation des défunts. Ces exigences sont requises en vue de protéger contre les dangers à la santé publique.
[102] L’exposition de la dépouille était prévue le 21 juillet 2014, soit plus de 200 heures après le décès. Le corps devait donc, suivant l’article 51 du Règlement, être embaumé. Signalons que l’embaumement consiste, notamment, à désinfecter les corps d’êtres humains décédés et que ce travail s’effectue avec l’attention et le soin requis afin de prévenir tout danger de contamination.
[103] Le requérant prétend qu’il n’était pas possible, au stade de décomposition où en était le corps, de procéder à un embaumement.
[104] Suivant le Règlement, le requérant devait donc faire en sorte qu’il y ait crémation. Signalons que la crémation doit être effectuée dans un crématorium aménagé et opéré de façon à prévenir tout danger de contamination.
[105] En l’espèce, le requérant a fait fi de ces mesures de prévention en matière de santé publique que sont l’embaumement et l’incinération d’un cadavre humain.
[106] Le requérant a plutôt choisi de procéder suivant les « anciens us » en saupoudrant le cadavre avec du bicarbonate de soude et en scellant le cercueil. Il va sans dire que le corps n’a pas été conservé à une température inférieure à 5°C.
[107] Or, cette pratique d’un autre temps est contraire à la réglementation en vigueur. Cette réglementation s’applique tant et aussi longtemps qu’elle n’est pas modifiée. Aussi, les vœux des proches d’une personne décédée ne peuvent en écarter l’application.
[108] Pourtant, le requérant avait démontré une connaissance suffisante de la Loi et du Règlement lors de l’obtention du permis de directeur des funérailles en 2010. La réussite de l’examen des connaissances élaboré par le MSSS en fait preuve. Depuis lors, les dispositions réglementaires applicables[31] n’ont aucunement été modifiées.
[109] Le Tribunal retient que le requérant ne s’est pas conformé, en juillet 2014, aux exigences législatives et réglementaires qui ont conditionné la délivrance du permis de directeur des funérailles lesquelles visent la protection de la santé publique.
[110] À cela s’ajoute, qu’en janvier 2013, le requérant était informé par le ministre du non-respect des articles 51 et 52 du Règlement dans un cas similaire, soit d’avoir présenté le cadavre d’une personne non embaumée dont le décès remontait à plus de 18 heures et l’avoir conservé à une température de plus de 5°C. Le ministre indiquait alors au requérant qu’il devait dorénavant respecter la législation applicable au secteur funéraire et que tout manquement ultérieur serait pris en compte. Le requérant était ainsi clairement informé de cesser cette pratique.
[111] Or, non seulement, le requérant a disposé du corps de J.-G. G. en juillet 2014 contrairement à la législation applicable, mais il a admis, à l’audience, avoir procédé ainsi à plusieurs reprises.
[112] De l’avis du Tribunal, le requérant persiste à ne pas modifier ses façons de faire afin de se conformer aux obligations légales reliées à la détention du permis de directeur de funérailles.
[113] Sa conduite est, à cet égard, marquée par une forme d’insouciance.
[114] Partant, il n’y a pas lieu d’intervenir et de réformer la décision du 17 octobre 2014.
[115] Enfin, le requérant soulève qu’il veut offrir des obsèques dignes pour une clientèle à faible revenu. Bien que cet objectif puisse être louable, encore faut-il que les services rendus dans ce secteur d’activité le soient conformément à la législation applicable.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
Rejette le recours.
Chamberland, Gagnon (Justice-Québec)
Me Mélanie Robert
Procureure de la partie intimée
[1] s’ajoute une déclaration verbale d’A. R. prise à la suite d’une rencontre le 6 août
[2] cette information est confirmée par la procureure de l’intimé dans une lettre du 23 janvier 2015
[3] annexe B au rapport d’inspection : rapport quotidien et un rapport détaillé à la demande de l’hôpital
[4] probablement du coroner
[5] pièce I-1
[6] pièce I-2
[7] pièce I-4
[8] pièce I-3
[9] pièce R-1
[10] le requérant laissant entendre que la concurrence en serait responsable
[11] RLRQ, chapitre L-0.2
[12] RLRQ chapitre L-0.2, r. 1
[13] article 32
[14] articles 34 et 37
[15] articles 35, 38 et 39.1
[16] article 65
[17] article 40.3.2.
[18] article 41
[19] article 15 de la Loi sur la justice administrative RLRQ, chapitre J-3 - commentaire : le législateur n’a pas restreint l’étendue de la compétence attribuée au TAQ contrairement à ce qui est prévu à l’article 53 de la Loi sur les transports, RLRQ, chapitre T-12
[20] article 52
[21] article 51 - exception : incinération obligatoire en cas de variole, peste ou choléra
[22] article 50
[23] articles 2 i), 53 et 54
[24] article 57
[25] article 58
[26] article 59
[27] article 63
[28] d’au moins 35 m de surface
[29] article 98
[30] article 97
[31] articles 42 à 63
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