Décision

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Allaire c. Transat Tours Canada inc.

2018 QCCQ 513

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-700102-165

 

DATE :

9 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

NATHALIE CHALIFOUR, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

STÉPHANIE ALLAIRE

et

FRANCIS DELCOURT

 

Demandeurs

c.

 

TRANSAT TOURS CANADA INC.

et

AIR TRANSAT A.T. INC.

 

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Les demandeurs, Mme Allaire et M. Delcourt et leur fils de presque trois ans, se sont vus refusé le droit de monter à bord d’un avion de la défenderesse Air Transat A.t. inc. (ci-après : Air Transat) après que l’enfant eu vomi peu de temps avant l’embarquement.

[2]           La famille Allaire-Delcourt, qui partait pour un voyage d’une semaine à Disney World en Floride, a finalement pu acheter trois billets d’avion auprès d’Air Canada et s’envoler le jour même, quelque douze heures plus tard.

[3]   Ils réclament d’être dédommagés invoquant la faute d’Air Transat et de Transat Tours Canada inc. (ci-après : Transat Tours).

LES QUESTIONS EN LITIGE

1)     Le refus de permettre l’embarquement de la famille Allaire-Delcourt était-il justifié?

2)     Dans la négative, quels sont les dommages de Mme Allaire et de M. Delcourt?

3)     Les défenderesses sont-elles toutes deux responsables de ces dommages?

LES FAITS

[4]           Le 28 juillet 2016, les Allaire-Delcourt doivent s’envoler sur les ailes d’Air Transat à 7 h du matin pour un séjour d’une semaine à Disney Word[1].

[5]           Vers 6 h, ils achètent un petit-déjeuner à emporter pour le manger dans l’aire d’attente. Le petit, agité par l’excitation du voyage, s’étouffe et vomit ce qu’il vient d’avaler.

[6]           Comme l’embarquement vient de commencer, Mme Allaire avise une employée d’Air Transat pour qu’un préposé vienne nettoyer le dégât.

[7]           Quelques minutes plus tard, cette employée se rend auprès de Mme Allaire et l’informe que sa famille ne pourra pas monter à bord de l’avion à cause de la condition physique de l’enfant.

[8]           Puisque l’enfant vient de vomir, Air Transat ne peut prendre le risque de le transporter par avion.

[9]           Les Allaire-Delcourt sont consternés puisque leur garçon n’est pas malade et qu’il ne s’agit que d’un incident banal.

[10]        Les préposés d’Air Transat demeurent fermes et ne veulent pas discuter; les Allaire-Delcourt sont escortés à l’extérieur de la zone internationale d’embarquement.

[11]        Les Allaire-Delcourt réussissent finalement à se procurer trois nouveaux billets d’avion auprès d’Air Canada pour un décollage à 18 h 30 le soir même.

[12]        La famille Allaire-Delcourt a passé une très belle semaine de vacances, leur fils étant en pleine santé[2].

[13]        La réclamation des Allaire-Delcourt se détaille comme suit :

i)        le remboursement des billets d’avion auprès d’Air Canada au coût de 1 299 $[3];

ii)      le remboursement du repas du soir pris à l’aéroport à cause de la situation, soit 53,69 $[4];

iii)     la perte d’une journée dans leur plan repas Disney et d’une journée pour les laissez-passer associés aux manèges, soit 345 $[5];

iv)     750 $ à titre de dommages moraux et pour troubles et inconvénients;

v)       le remboursement des billets payés auprès d’Air Transat au prix de 900 $.

ANALYSE

1.     Le refus de permettre l’embarquement de la famille Allaire-Delcourt était-il justifié?

[14]        Mme Louise Delaney, agente aux relations à la clientèle de Transat, explique qu’Air Transat a le droit de refuser un passager pour un motif de sécurité ou pour le bien-être des autres passagers.

[15]        Elle réfère le Tribunal aux documents destinés à la clientèle d’Air Transat[6] et de Transat Tours qui mentionnent ce pouvoir discrétionnaire du transporteur[7].

[16]        Mme Delaney témoigne que la préposée au comptoir d’enregistrement, après avoir été informée que l’enfant des Allaire-Delcourt avait vomi, a rapporté l’incident au capitaine pour qu’il décide de l’embarquement ou non du passager.

[17]        Conformément à la procédure habituelle, le capitaine est entré en contact avec un représentant de la firme MedAire inc., conseillers experts médicaux, pour obtenir une recommandation.

[18]        Tenant compte du trouble gastrique rapporté[8], MedAire inc. a recommandé de refuser l’embarquement de l’enfant à bord de l’avion.

[19]        Bien sûr, le Tribunal convient qu’un transporteur peut refuser l’embarquement d’un passager pour différents motifs de sécurité, que ce soit pour le bien-être des autres passagers et de l’équipage ou pour la protection du passager concerné[9].

[20]        Néanmoins, ce droit du transporteur, comme n’importe quel droit, n’est pas absolu et ne doit pas être exercé d’une manière excessive ou déraisonnable[10].

[21]        En l’espèce, la préposée au poste d’embarquement d’Air Transat n’a ni vu l’enfant, ni pris soin d’interroger Mme Allaire sur l’état de son fils lorsque cette dernière lui a rapporté l’incident.

[22]        La préposée au poste d’embarquement d’Air Transat a seulement retenu de l’aparté avec Mme Allaire qu’un enfant venait de vomir, sans chercher plus loin.

[23]        Mme Allaire, qui n’avait jamais même fait allusion ou suggéré que son enfant était malade, mais bien seulement avisé la préposée d’un dégât, par civisme, a été prise au dépourvue.

[24]        Le Tribunal croit les Allaire-Delcourt lorsqu’ils témoignent du bon état de santé de leur fils alors et que la préposée d’Air Transat aurait pu aisément le constater elle-même simplement en parlant avec lui et en ne l’observant que quelques minutes.

[25]        Il faut noter que la responsabilité d’un transporteur aérien n’est pas enclenchée dès que le risque envisagé au moment d’un refus de transport ne se concrétise pas. Le transporteur n’est pas responsable si son refus repose sur l’exercice raisonnable et non excessif de son droit de refuser l’embarquement.


[26]        Le Tribunal fait siens les propos du juge Pinsonnault dans l’affaire Jelovic c Air Transat A.T. inc. [11] :

Le Tribunal reconnaît certes qu’il est essentiel pour un transporteur aérien d’assurer la sécurité à bord de ses vols tant pour les passagers que pour l’équipage. Mais, les décisions discrétionnaires prises par ses préposés dans un tel contexte doivent l’être avec sérieux et circonspection.

Or, même s’il s’agit d’une situation où les droits collectifs des passagers et de l’équipage de l’avion doivent l’emporter sur les droits individuels, le transporteur aérien, en exerçant, par l’entremise de ses préposés, une telle discrétion, doit néanmoins être sensible non seulement aux conséquences d’une telle décision sur les passagers et l’équipage de l’avion visé mais aussi sur le passager à qui on refuse l’accès lors de l’embarquement.

(Le Tribunal souligne)

[27]        En l’espèce, la preuve démontre qu’Air Transat a mal exercé sa discrétion et agi par automatisme, sans aucune vérification concrète.

[28]        Air Transat a ainsi causé un dommage indu à la famille Allaire-Delcourt.

2.     Quels sont les dommages de Mme Allaire et de M. Delcourt?

[29]        Mme Allaire et M. Delcourt sont bien fondés de réclamer les dommages qui découlent directement de la faute d’Air Transat.

[30]        Clairement, les trois billets d’avion achetés auprès d’Air Canada au coût de 1 299 $ et le repas additionnel consommé à l’aéroport au coût de 53,69 $ sont de tels dommages.

[31]        En ce qui concerne la perte d’une journée à leur plan de repas, la preuve des demandeurs n’est cependant pas suffisante. En effet, le Tribunal retient du témoignage de Mme Delaney que ce plan fonctionne par l’attribution de points et que si la famille n’avait pas utilisé tous ses points, Transat Tour aurait été partiellement remboursé, ce qui n’est pas le cas.

[32]        Il est donc vraisemblable que les Allaire-Delcourt ont utilisé plus de points pour les repas restants.

[33]        Par contre, les Allaire-Delcourt ont bel et bien manqué une journée de manèges qu’ils n’ont pu récupérer. Ils ont donc droit à 179 $ pour la perte d’une journée de laissez-passer aux manèges.

[34]        Quant aux dommages moraux pour compenser les troubles et inconvénients subis et le stress découlant de la situation, leur demande à 750 $ apparaît raisonnable. La situation fut extrêmement dérangeante et stressante pour la famille qui a tout de même perdu une journée complète à Disney World.

[35]        Par contre, les Allaire-Delcourt ne sont pas bien fondés de réclamer le remboursement de leurs billets d’avion auprès d’Air Transat qu’ils ont payé 900 $ puisque cela revient à réclamer un vol aller-retour en Floride gratuit; le Tribunal se verrait à les enrichir indument.

3.     Les défenderesses sont-elles toutes deux responsables de ces dommages?

[36]        Transat Tours n’a aucune responsabilité à l’égard de la situation en litige et il n’y a donc pas lieu de retenir le recours institué contre elle.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE EN PARTIE la réclamation des demandeurs;

CONDAMNE Air Transat A.T. inc. à payer aux demandeurs 2 281,69 $ avec l’intérêt au taux légal plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la mise en demeure, soit à compter du 30 août 2016;

REJETTE la réclamation des demandeurs à l’encontre de Transat Tours Canada inc.;

LE TOUT, AVEC LES FRAIS de justice, soit le timbre judiciaire payé par les demandeurs au montant de 100 $.

 

 

 

 

 

__________________________________

L’honorable Nathalie Chalifour, J.C.Q.

 

Date d’audience :

29 janvier 2018

 



[1] Voir facture P-1

[2] Voir déclaration écrite de la grand-mère de l’enfant présente en Floride P-12

[3] Voir P-3

[4] Voir P-9

[5] Voir P-1, le forfait repas valant 1 162 4 pour deux personnes pour  sept jours et le forfait manèges valant 1 256 $ pour deux personnes pour sept jours.

[6] Voir D-4

[7] Voir D-5

[8] Voir rapport D-3

[9] Voir notamment l’article 2037 C.c.Q. : Le transporteur est tenu de mener les passagers sains et saufs, à destination. Il est tenu de réparer le préjudice subi par le passager, à moins qu’il n’établisse que ce préjudice résulte d’une force majeur, de l’état de santé du passager ou de la faute de celui-ci. Il est aussi tenu à réparation lorsque le préjudice de son état de santé ou de celui d’un de ses préposés, ou encore de l’état ou du fonctionnement du véhicule.

[10]Voir article 7 C.c.Q : « Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. »

[11] 2003 CanLII 39360 (QC CQ) et voir aussi Garcia c Westjet (Compagnie Aérienne) 2013 QCCQ 8352

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