DÉCISION
[1] Le 27 mars 2001, Thiro ltée (l’employeur) dépose une requête demandant la révision d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 8 mars 2001.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête en révision de monsieur André Varennes (le travailleur), révise en partie la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 juillet 1999, infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) du 23 juillet 1998; déclare qu’une atteinte permanente de 14.15 % découle de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 30 septembre 1997 et que cette atteinte s’ajoute à celle déjà reconnue de 26 % pour un total de 40.15 % et déclare que le travailleur n’était pas capable, le 24 février 1998, d’exercer son emploi de chef de groupe.
[3] Le 4 juin 2001, le travailleur dépose une requête en irrecevabilité à l’encontre de la requête déposée par l’employeur le 26 avril 2001.
[4] Une audience a lieu à Montréal le 11 septembre 2001. L’employeur est représenté par Me Martine Létourneau. Le travailleur est présent et représenté par Me André Laporte.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L’employeur allègue au soutien de sa demande de révision les motifs suivants que l’on retrouve aux paragraphes 16 à 26 de sa requête datée du 27 mars 2001 :
« 16) La CLP, dans sa décision du 8 mars 2001 a commis un vice de fonds de nature à invalider sa décision ainsi qu’outrepasser sa juridiction;
17) En effet, la CLP a accueilli la requête en révision du travailleur quant à l’incapacité de ce dernier d’effectuer son emploi de chef de groupe;
18) Pour ce faire, la CLP a substitué son appréciation des faits ainsi que des témoignages rendus lors de l’audition précédente devant la CLP;
19) En vertu de
l’article
20) La décision de la CLP du 29 juillet 1999 est bien fondée en faits et en droit et ne souffrait d’aucun vice de fond ou de procédure;
21) La CLP, dans sa décision du 29 juillet 1999, après avoir entendu la preuve et plus particulièrement le témoignage du Dr Duquette ainsi que la description du travail de chef de groupe, a conclu que le travailleur, malgré de nouvelles limitations fonctionnelles avait la capacité d’effectuer le travail de chef de groupe;
22) La CLP, siégeant en révision, a fait une nouvelle analyse de la preuve et conclut que le travailleur n’était pas en mesure d’effectuer le travail de chef de groupe;
23) Cette dernière motive sa décision au paragraphe 44 de sa décision du 8 mars 2001 :
« De plus, le docteur Duquette a précisé, lors de son témoignage, ce qu’il entendait par travail sédentaire. Il a indiqué qu’il s’agit d’un travail de bureau, où le travailleur disposerait d’une table, lui permettant un appui des coudes. Il s’agit également d’un travail où il n’aurait pas à conduire un véhicule automobile avec un levier de vitesse manuel. »
24) En révisant la décision de la CLP du 29 juillet 1999, en substituant son interprétation de la preuve tel qu’entendu, la CLP siégeant en révision a outrepassé sa juridiction et en conséquence sa décision est non fondée en faits et en droit et doit faire l’objet d’une révision en vertu de l’article 429.56 la LATMP;
25) Le tout sans restreindre la portée de l’argumentation devant la CLP;
26) La requérante demande que la présente requête en révision fasse l’objet d’une enquête et audition; »
[6] Par conséquent, l’employeur demande d’accueillir sa requête, de déclarer que la décision de la Commission des lésions professionnelles du 8 mars 2001 est non fondée en faits et en droit et de confirmer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 juillet 1999.
[7] Le 4 juin 2001, le travailleur dépose une requête en irrecevabilité à l’encontre de la requête en révision présentée par l’employeur.
[8] Les motifs à l’appui de cette requête en irrecevabilité sont les suivants :
« […]
2. Dans sa
requête en révision, en vertu de l’article
3 . Cette décision a été déposée à la Cour supérieure par avis, le 30 mars 2001, en vertu des dispositions prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
4. Cette décision rendue par la Commission des lésions professionnelles à la même force et le même effet qu’une décision de la Cour supérieure;
5. Par sa requête en révision, la requérante tente d’en appeler d’une décision rendue exécutoire;
6. La procédure utilisée par la requérante est inappropriée et illégale;
7. La requérante ne peut demander la révision d’une décision rendue en révision afin d’en contrôler la légalité à plus forte raison lorsqu’elle a fait l’objet d’un avis de dépôt à la Cour supérieure;
8. L’intimée demande que la présente requête en irrecevabilité fasse l’objet d’une enquête et audition;
[…] »
L'AVIS DES MEMBRES
[9] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête en irrecevabilité présentée par le travailleur. Il considère également qu’il n’y a pas lieu d’accueillir la requête en révision déposée par l’employeur puisqu’il n’a été démontré aucun vice de fond de procédure de nature à invalider la décision du 8 mars 2001 dont il demande la révision.
[10]
Quant à la requête en irrecevabilité déposée par le
travailleur, le membre issu des associations d’employeurs considère que le
dépôt auprès de la Cour supérieure de la décision du 8 mars 2001, dont
l’employeur demande la révision en vertu de l’article
[11]
Quant au fond de la requête, le membre issu des associations
d’employeurs estime qu’il y a lieu d’accueillir la requête en révision de
l’employeur. La lecture de l’énoncé des
limitations fonctionnelles émises par le docteur Duquette permet de constater
qu’il énumère des limitations fonctionnelles et termine en écrivant : « il
doit donc s’en tenir à un travail sédentaire ». L’utilisation de la conjonction « donc » permet d’inférer que
c’était là la conclusion découlant des prémisses que sont les limitations
fonctionnelles décrites antérieurement.
La lecture qu’en fait la Commission des lésions professionnelles ne lui
paraît donc pas manifestement déraisonnable et l’intervention de la Commission
des lésions professionnelles sur requête en vertu de l'article
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] Dans sa requête en irrecevabilité, le travailleur plaide que la requête de l’employeur n’est pas adressée au bon tribunal puisqu’elle aurait dû être déposée auprès de la Cour supérieure.
[13] Le travailleur soutient que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence puisque la décision dont l’employeur demande la révision ayant été dûment déposée à la Cour supérieure, par avis le 30 mars 2001, que cette décision ne peut faire l’objet d’une révision puisqu’elle a la même force et le même effet qu’une décision de la Cour supérieure. Il conclut que cette requête en révision est inappropriée et illégale puisque par cette procédure l’employeur tente d’en appeler d’une décision rendue exécutoire.
[14]
La preuve révèle que la décision, dont on demande la révision,
a fait l’objet d’un avis de dépôt, le 22 mars 2001, signifié à l’employeur le
30 mars 2001, conformément à l’article
429.58 Une décision de la Commission des lésions professionnelles a un caractère obligatoire suivant les conditions et modalités qui y sont indiquées pourvu qu’elle ait été notifiée aux parties.
L’exécution forcée d’une telle décision se fait, par dépôt, au greffe de la Cour supérieure du district où le recours a été formé.
Sur ce dépôt, la décision de la Commission des lésions professionnelles devient exécutoire comme un jugement final et sans appel de la Cour supérieure et en a tous les effets.
________
1997, c. 27, a. 24.
[15]
La jurisprudence[2],
à laquelle souscrit la soussignée, a interprété l’ancien article 429, qui a été
remplacé depuis par l’article 429.58 qui est au même effet, pour reconnaître
que l’homologation par la Cour supérieure d’une décision rendue par la
Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ne constituait qu’une
simple procédure. Il s’agit d’un moyen
facultatif d’exécution forcée d’une telle décision. Cette procédure n'a pour objet que d’empêcher la Commission des
lésions professionnelles d’exercer la compétence qui lui a été attribuée par le
législateur, par exemple à l’article
[16] La Commission des lésions professionnelles considère avoir compétence pour examiner le bien fondé de la requête en révision de l’employeur d’ailleurs déposée dans le délai. Par conséquent, elle rejette la requête en irrecevabilité déposée par le travailleur puisque non fondée en faits et en droit.
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision qu’elle a rendue à la suite d’une première révision le 8 mars 2001.
[18] Plus précisément, elle doit déterminer si la Commission des lésions professionnelles était justifiée d’accueillir en partie la requête en révision du travailleur, de réviser en partie sa décision rendue initialement le 29 juillet 1999 et de déclarer qu’une atteinte permanente additionnelle de 14.15 % découlait de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 30 septembre 1997 et que cette atteinte s’ajoutait à celle déjà reconnue au travailleur (de 26 %) pour un total de 40.15% et, enfin, de reconnaître que le travailleur n’était pas capable d’exercer l’emploi de chef de groupe le 24 février 1998.
[19]
Le pouvoir de révision ou de révocation d’une décision est
prévue à l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[20]
Dans le présent dossier, l’employeur invoque que la Commission
des lésions professionnelles a commis un vice de fond de nature à invalider sa
décision et que, de plus, la Commission des lésions professionnelles siégeant
alors en révision a outrepassé sa compétence.
Il fonde son recours sur le 3e paragraphe de l’article
[21] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Produits Donohue et Franchellini[3], a précisé l’interprétation à donner aux termes « vice de fond de nature à invalider la décision » voulant qu’il faille entendre par cette expression une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le litige.
[22] L’employeur soutient que la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a procédé à une nouvelle analyse de la preuve et conclut que le travailleur n’était pas en mesure d’effectuer le travail de chef de groupe. La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a révisé la décision initiale du 29 juillet 1999 en y substituant son interprétation de la preuve. Il soumet que cette dernière décision doit faire l’objet d’une révision puisque la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision le 29 juillet 1999 après avoir entendu la preuve et plus particulièrement le témoignage du docteur Duquette ainsi que la description du travail de chef de groupe pour conclure que le travailleur, malgré de nouvelles limitations fonctionnelles, avait la capacité d’effectuer le travail de chef de groupe.
[23]
La soussignée ne retient pas cette prétention voulant que la
deuxième commissaire, en révision, ait substitué sa propre appréciation de la
preuve à celle du premier commissaire.
Au contraire, la commissaire en révision a précisé les motifs pour
lesquels elle accueillait la requête en révision à savoir que le premier
commissaire avait écarté sans raison une limitation fonctionnelle. De plus, il avait omis de retenir cette limitation
fonctionnelle, et également ignoré un document mis en preuve (soit le Guide de classification canadienne
descriptive des professions appelé le CCDP)
décrivant les limitations fonctionnelles se rattachant au travail
sédentaire. En outre, comme les
limitations fonctionnelles n’avaient fait l’objet d’aucune contestation de la
part de l’employeur ou de la CSST, la commissaire en révision a conclu, à juste
titre, que cette limitation fonctionnelle devait être tenue pour acquise
conformément à l’article
« [47] En écartant une limitation fonctionnelle qui avait été imposée par le médecin qui avait charge du travailleur et qui n’avait pas été contestée selon la procédure prévue à la loi, le commissaire a commis une erreur de droit manifeste.
[48] Cette erreur est déterminante puisque c’est en fonction des limitations fonctionnelles imposées au travailleur que sa capacité de travail doit être évaluée.
[49] Il y a donc lieu de réviser la décision rendue. »
[24] En effet, la soussignée constate que le premier commissaire n’était pas saisi des limitations fonctionnelles mais de la capacité du travailleur d’exercer l’emploi de chef de groupe.
[25] En cherchant à interpréter les limitations fonctionnelles plutôt qu’à les appliquer, la Commission des lésions professionnelles en révision était justifiée, de l'avis de la soussignée, de considérer qu’une erreur de droit avait été commise.
[26] La soussignée considère donc que l’intervention en révision de la deuxième commissaire était justifiée puisque le premier commissaire avait omis de tenir compte d’une règle de droit.
[27]
Cet excès de compétence commis par le premier commissaire a
amené une intervention en révision de la deuxième commissaire dans le but de
corriger cette erreur. Ainsi, la
deuxième commissaire a observé les règles de droit la régissant et plus
particulièrement en appliquant l’article
[28] Puis, après avoir constaté l’erreur commise par le premier commissaire la deuxième commissaire en révision a corrigé la décision en reprenant les faits, a examiné le dossier au fond puis a rendu la décision qui aurait dû être rendue. Ce cheminement de la commissaire, de l’avis de la soussignée, est conforme à l’état actuel du droit.
[29] Par conséquent, il y a lieu de rejeter la requête en révision déposée par l’employeur puisqu’elle s’apparente à un appel déguisé pur et simple. Il n’a apporté aucun élément nouveau démontrant la présence d’un vice de fond dans le dossier.
[30]
En conclusion, la décision du 8 mars 2001 ne contient aucune
erreur en faits et en droit ayant un effet déterminant sur le litige
correspondant à la notion de vice de fond de nature à invalider cette décision
au sens du 3e paragraphe de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en irrecevabilité déposée par monsieur André Varennes le 4 juin 2001; et
REJETTE la requête en révision déposée par Thiro ltée le 27 mars 2001.
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Me Doris
Lévesque |
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Commissaire |
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LAPORTE & LAVALLÉE (Me
André Laporte) |
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Représentant de la partie requérante |
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BOURQUE, TÉTREAULT & ASS. (Me
Martine Létourneau) |
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Représentante de la partie intéressée |
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AVIS :
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appel; la consultation
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