[NDLE: Les photographies au paragraphe [43] ne sont pas reproduites en l'espèce; pour les obtenir, veuillez télécharger le format Word ou PDF accessibles au début de cette page.]
R. c. Delisle | 2023 QCCA 1096 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| QUÉBEC | ||||
N° : | 200-10-003981-227 | ||||
(200-01-146883-107) | |||||
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DATE : | 6 septembre 2023 | ||||
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FORMATION : | LES HONORABLES | MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. GUY COURNOYER, J.C.A. SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
APPELANT – poursuivant | |||||
c. | |||||
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JACQUES DELISLE | |||||
INTIMÉ – accusé | |||||
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ARRÊT | |||||
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[1] L’affaire se retrouve aujourd’hui pour la seconde fois devant la Cour, cette fois à l’initiative de la poursuite (ou le « ministère public » ou « le poursuivant »), qui est à l’origine du présent appel à la suite de l’arrêt des procédures prononcé le 8 avril 2022 par la Cour supérieure (l’honorable Jean-François Émond)[1].
[2] Le 14 juin 2012, un jury déclarait l’intimé (ou « Delisle ») coupable du meurtre au premier degré de son épouse, survenu en 2009. Delisle a ensuite épuisé tous ses droits d’appel sans succès et la Cour suprême a refusé, le 12 décembre 2013, de lui accorder l’autorisation de se pourvoir en appel[2].
[3] En 2015, Delisle présentait une demande de révision au ministre de la Justice du Canada (le « ministre ») conformément à la partie XXI.1 du Code criminel, une demande prise en charge par le Groupe de la révision des condamnations criminelles (« Groupe ») qui est une entité distincte au sein du ministère de la Justice[3].
[4] Pour réviser l’aspect scientifique du dossier, un groupe d’éminents spécialistes en médecine légale et sciences judiciaires — le panel — provenant de différentes provinces canadiennes[4] a été mandaté. D’autres scientifiques ont également fourni des observations. En tout, la révision effectuée par le Groupe s’appuiera sur les opinions de cinq pathologistes et de quatre experts en balistique, en plus de l’ensemble de la preuve soumise au procès.
[5] Pour les experts, l’enjeu réside dans le travail effectué par le pathologiste lors de l’autopsie, plus particulièrement l’opinion formulée par ce dernier sur la trajectoire du projectile dans le cerveau de la victime. Les experts constatent des déficiences dans le rapport d’autopsie et les prélèvements effectués, et notent l’absence de conservation du cerveau, de ses coupes et d’une documentation photographique du travail effectué sur cet organe.
[6] Le 14 novembre 2017, le Groupe a présenté son rapport au ministre. Le rapport se fondait sur plusieurs éléments nouveaux qui offraient un éclairage sur l’ensemble du dossier.
[7] En avril 2021, le ministre ordonnait la tenue d’un nouveau procès, car il était convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite, conformément au sous-alinéa 696.3(3)a)(i) du Code criminel et au Règlement[5].
[8] En cette matière, le ministre n’a pas à motiver sa décision. Voici la partie pertinente de la disposition du Code criminel :
696.3 (3) Le ministre de la Justice peut, à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie :
a) s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite :
(i) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès devant tout tribunal qu’il juge approprié […] | 696.3 (3) On an application under this Part, the Minister of Justice may
(a) if the Minister is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred,
(i) direct, by order in writing, a new trial before any court that the Minister thinks proper …
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[9] Comme il a été mentionné, les travaux du Groupe ne reposent pas exclusivement sur les constats scientifiques. Dès lors, la conclusion du ministre ne peut être comprise qu’à la lumière de tous les faits portés à sa connaissance et non pas uniquement en fonction des problèmes qui ont été relevés par les experts quant à la trajectoire du projectile.
[10] Comme il sera expliqué plus loin, Delisle a demandé à la Cour supérieure l’arrêt des procédures dans le cadre d’une requête en plusieurs volets, soit autant de motifs qui exigeaient, selon lui, la réparation recherchée. Le juge saisi de la requête préliminaire n’a finalement examiné qu’un seul volet, soit l’impact de la preuve perdue sur le droit à une défense pleine et entière et sur l’équité du procès, ce qui lui a suffi pour conclure que l’arrêt des procédures était justifié :
[444] Eu égard à ce qui précède, il n’est pas utile d’analyser les autres moyens invoqués par le requérant pour justifier sa demande en arrêt des procédures, soit celui fondé sur la violation de l’alinéa 11b) de la Charte, celui justifiant l’application de la règle du double jeopardy et celui fondé sur la catégorie résiduelle de l’arrêt Babos.[6]
[11] Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que les cas où il est possible d’octroyer une telle réparation, et au surplus à ce stade préliminaire, sont rares. Certes, le juge n’a pas erré en concluant que la preuve était pertinente et importante et que sa perte résulte d’une négligence inacceptable de l’État. Cependant, avec égards, il a erré quant au caractère déterminant de cette preuve, un résultat irréconciliable avec sa propre conclusion sur la portée des expertises examinées. En effet, malgré les défaillances du dossier d’autopsie, les experts font la démonstration qu’il est possible de présenter, au sujet de la trajectoire du projectile, une preuve probante contraire à celle du pathologiste qui a procédé à l’autopsie initiale. Le préjudice n’est donc pas irrémédiable. La réparation appropriée ne peut être l’arrêt des procédures, car un préjudice qui n’est pas irrémédiable ne peut pas être un des cas rares considérés comme les plus manifestes pour justifier cette réparation. La Cour est d’avis qu’une directive au jury pourrait constituer une réparation juste et raisonnable.
[12] À la suite de la décision du ministre, le dossier est revenu à la Cour supérieure pour la tenue du nouveau procès. Conformément à la partie XVIII.1 du Code criminel, un juge responsable de la gestion de l’instance (« juge gestionnaire » ou le « juge ») a été désigné pour entendre des requêtes préliminaires. Les parties ont débattu la requête en novembre 2021.
[13] Delisle a convaincu le juge gestionnaire de la perte d’une preuve ou de renseignements visés par l’obligation de communication du ministère public. Selon la preuve administrée, ces éléments auraient dû être conservés ou, au moins, être adéquatement documentés, notamment avec des photographies.
[14] Dans le présent arrêt, et pour alléger la rédaction, l’expression « preuve perdue » sera utilisée pour désigner le cerveau de la victime ou les coupes et prélèvements de celui-ci, de même que l’absence de documentation liée à ces aspects. Ces éléments, utiles pour déterminer la trajectoire du projectile dans le cerveau, n’ont été ni conservés, ni documentés, ni photographiés. Seul un prélèvement du cerveau qui porte une marque du passage du projectile a été conservé, mais sans être convenablement localisé de sorte qu’il ne permet pas de déterminer une trajectoire du projectile.
[15] Delisle prétendait que la « preuve perdue » le privait de son droit à une défense pleine et entière et de son droit à un procès équitable. Le juge en a convenu et, le 8 avril 2022, il a prononcé l’arrêt des procédures[7].
[16] Le poursuivant conteste maintenant le jugement et soutient que le juge a erré tant sur l’existence d’une violation des droits de Delisle que sur le choix de la réparation, l’arrêt des procédures.
[17] Avant d’aborder le fond du dossier, il faut résoudre deux questions présentées par Delisle en marge de l’appel lui-même, soit une requête en rejet d’appel et une allégation de dossier incomplet fondée sur l’arrêt Pateras[8].
[18] Dans le cadre de l’appel, Delisle présente ce qu’il intitule une « requête en rejet d’un appel constituant un abus de droit ». Le 24 mai 2022, cette requête a été déférée à la présente formation par une juge de la Cour. L’intimé interpelle le pouvoir de la Cour d’empêcher une partie d’abuser des procédures et de mettre fin, d’ores et déjà, à un appel abusif. Il prétend que l’appel formé n’est ni sérieux ni clair et qu’il a été entrepris de mauvaise foi.
[19] Il y a lieu de rejeter cette requête. En droit criminel, prétendre que l’appel n’est ni sérieux ni clair en plus d’être entrepris de mauvaise foi réussit rarement. La facture des procédures ou le fait qu’un appelant semble mécomprendre le droit, comme le suggère Delisle pour répondre à la procédure du ministère public, ne fourniront que rarement des justifications suffisantes pour le rejet sommaire d’un appel. En droit criminel, là où l’intérêt public prime, le désaccord persistant d’un appelant avec le jugement d’instance, même si l’appel semble audacieux, voire téméraire, n’est pas une justification suffisante pour bâillonner sommairement un justiciable avant même qu’il ne plaide le fond de son affaire avec un dossier complet. Les conséquences sont trop importantes tant pour l’individu que pour le maintien de la confiance du public envers l’administration de la justice. L’appel entrepris n’est d’ailleurs pas abusif.
[20] Cela dit, il est vrai qu’en droit criminel, le ministère public — le poursuivant — n’est pas un « justiciable » ordinaire[9]. Néanmoins, dans la mesure où la Cour peut rejeter sommairement un appel dans l’exercice de ses pouvoirs accessoires à celui de sa compétence, il ne s’agit pas ici d’un cas d’abus où, à titre d’exemple, l’État provoque stratégiquement un appel pour y plaider ce qu’il aurait pu plaider devant le premier juge[10].
[21] La requête en rejet est donc rejetée.
[22] Le poursuivant n’a pas d’emblée reproduit dans le dossier d’appel toutes les pièces qui ont été étudiées par le juge de la Cour supérieure et qui sont citées dans sa décision. Non seulement certaines pièces sont manquantes, mais le dossier présente un certain désordre du fait que des pièces reproduites sont cotées « I », alors que le jugement réfère à des pièces cotées « R », ce qui crée une confusion pour la bonne compréhension de la preuve présentée devant le juge d’instance.
[23] S’inspirant de l’arrêt Pateras, précité, Delisle demande à la Cour de rejeter l’appel, ou d’en limiter l’examen, notamment sur la portée du premier jugement, parce que le ministère public n’a pas reproduit dans le dossier les pièces suivantes :
a) Contre-interrogatoire du pathologiste André Bourgault, le 14 mai 2012, p. 276 à 279 (R‑9);
b) Contre-interrogatoire des balisticiens Gilbert Gravel et André Desmarais, le 17 mai 2012, p. 84 et du 23 mai 2012, p. 22, et 53 à 55 (R‑10);
c) Rapport du docteur Milroy, pathologiste, du 12 février 2019 (R‑24);
d) Rapport du docteur Ramsay, neuropathologiste, du 31 juillet 2019 (R‑25);
e) Témoignage de monsieur Gilbert Gravel, le 7 juin 2011 et le 16 mai 2012 (extraits de R‑26);
f) Contre-interrogatoire de monsieur Guillaume Arnet, le 6 décembre 2016 (R‑32).
[24] Or, il y a plus, et il est vrai que le dossier est difficile à suivre. Le juge renvoie à d’autres pièces qui sont manquantes, notamment : R‑5C, R‑6, R‑31 et R‑39 (jugement, note 33), R‑33 (jugement, note 81), R‑36 (jugement, notes 86 et 104), R‑38 (jugement, notes 23, 33 et 197). La pièce R-27, qui demeure un mystère, est mentionnée au jugement (par. 369). Certaines pièces sont produites à l’appui de la requête en rejet de l’intimé : R-1, R-37. Enfin, Delisle produit les pièces R‑9, R‑10, R‑24, R‑25, R‑26 et R‑32. La Cour note que la pièce R‑10 n’est pas mentionnée au jugement.
[25] Quant aux autres pièces « R », une concordance avec les pièces produites est possible. La Cour ne peut que déplorer l’absence de soins dans la préparation du dossier d’appel. Comme le dit l’intimé, l’arrêt Pateras illustre l’importance de produire dans le dossier le matériel nécessaire pour l’examen des questions soulevées par le pourvoi. En matière criminelle, la Cour explique, dans l’arrêt Kanya, que « la partie appelante doit joindre à son mémoire les pièces et dépositions nécessaires à l’examen des questions soulevées par son appel, au risque pour celle-ci de voir son appel échouer »[11].
[26] Néanmoins, le remède est rarement le rejet pur et simple de l’appel. Face à un problème de dossier incomplet, « [f]orce est donc pour cette Cour de tenir pour avérées les constatations de fait faites par le premier juge et de ne pas considérer les autres faits invoqués par les appelants dans leur mémoire, dont la détermination a fait l’objet d’une preuve contestée »[12]. Cette solution a été réitérée à quelques reprises lorsque, en raison du caractère incomplet d’un dossier, il est impossible de revoir la justesse des conclusions du juge ou d’y déceler quelque erreur[13].
[28] En l’espèce, l’absence de pièces est sans conséquence sur l’examen de l’appel.
[29] Avant de se tourner vers l’appel au fond, il faut rappeler certains faits.
[30] Pour comprendre le litige et bien saisir le préjudice « irrémédiable » invoqué par Delisle, il faut se replonger dans le récit de la preuve administrée lors du premier procès et présentée au juge gestionnaire. Le résumé qui suit est volontairement limité à ce qui revêt de l’importance pour l’appel et s’inspire du récit détaillé se retrouvant tant dans le jugement d’instance[14] que dans l’arrêt de la Cour rendu en 2013 et repris par le juge[15].
[31] Retenons que Delisle, revenant à sa résidence après avoir fait des courses, trouve son épouse sans vie. Lors de son appel au service d’urgence 911, puis aux policiers qui se présentent sur les lieux, il affirme que son épouse s’est enlevée la vie. De fait, une plaie d’entrée de projectile est visible sur le côté gauche de la tête de la victime et témoigne à première vue de la cause du décès. Un petit pistolet est sur place et une douille est retrouvée sur la table du salon. Étant paralysée du côté droit en raison d’un accident vasculaire cérébral survenu auparavant, la victime ne pouvait utiliser que sa main gauche.
[32] Sur place, un technicien en scène de crime trouve suspect que la main gauche de la victime soit tachée noire; probablement par la suie et les grains de poudre provenant de l’arme. Il en avise les enquêteurs et prend les précautions nécessaires pour ne pas altérer l’état de la main.
[33] Dès le départ de cette affaire, le suicide ou l’homicide sont les deux explications qui s’affrontent.
[34] L’autopsie est effectuée par le Dr André Bourgault, pathologiste judiciaire. Il concentre son travail sur la trajectoire du projectile. Pour lui, l’examen de la plaie et du crâne suggère un tir à bout touchant ou de très près. Aucune plaie de sortie du projectile n’est visible. Une radiographie montre le projectile dans la partie postérieure droite de la tête. Le pathologiste cherche activement à en déterminer la trajectoire dans le cerveau. Il s’interroge aussi sur la poudre dans la main. Il requiert la présence d’un expert en balistique pour l’aider à comprendre. La présence de poudre dans la main laisse le balisticien dubitatif et ce dernier conclut qu’il ne peut pas s’agir d’un suicide.
[35] Au procès, l’occasion exclusive de Delisle n’est pas contestée. Le ministère public fait entendre le pathologiste qui se prononce sur la trajectoire du projectile, soit une ligne droite de l’avant à l’arrière de la tête. Il témoigne que les tissus du cerveau ne permettent pas de suivre parfaitement la trajectoire, mais qu’il pouvait voir clairement que celle-ci allait de l’avant vers l’arrière[16].
[36] Deux experts en balistique témoignent que la victime n’a pu elle-même tirer le coup de feu fatal d’une manière qui aurait laissé les traces constatées dans sa main, car ces dernières supposent que la main était proche de la bouche du canon.
[37] D’autres éléments de preuve, tous contestés, pointent vers une mort suspecte. Ainsi, les balisticiens ajoutent que le pistolet doit être armé en utilisant deux mains[17]; la victime n’avait l’usage que d’une seule. Une douille est trouvée sur la table du salon. Une biologiste judiciaire suggère, en raison des projections de sang, que la tête de la victime était tournée vers la droite. Enfin, un comportement adopté par Delisle le jour même est présenté, ainsi que ses déclarations à la police, et un mobile est suggéré.
[38] Comme le souligne notre arrêt de 2013, l’angle de tir était un élément central de la preuve qui a été farouchement contesté au procès. Dans l’arrêt, la Cour fait remarquer que, lors du procès, « les experts des deux parties ont présenté des opinions divergentes » et la « question de l’angle du tir était déterminante » parce que le tir à angle excluait la possibilité d’un tir auto-infligé[18].
[39] La Cour écrit que la théorie du tir à un angle d’au moins trente degrés était préconisée par le Dr Bourgault et reprise par les balisticiens. Elle évoque également des éléments d’observations du pathologiste sur la trajectoire du projectile dans le cerveau et ajoute que ce dernier a « ainsi conclu que le projectile s’était dirigé vers l’arrière du cerveau, de la gauche vers la droite et selon un angle pratiquement horizontal » [19].
[40] Selon les experts en balistique de la poursuite, le tir perpendiculaire était impossible vu la trajectoire de la balle dans le cerveau. Ils expliquent par ailleurs que la tache noire dans la main de la victime résulterait de sa tentative de repousser le canon à l’aide de sa main[20].
[41] De son côté, l’expert de la défense, le balisticien Swistounoff, tente de démontrer que le canon était plutôt perpendiculaire et qu’une déviation du projectile s’était produite à l’intérieur de la tête de la victime. Le tir auto-infligé « quasi perpendiculaire laissait une légère ouverture vers l’avant du visage de Mme Rainville, rendant possible que la partie antérieure de sa main gauche soit située à cet endroit et qu’elle puisse presser elle-même la détente, dans l’une des positions dites “non conventionnelles” identifiées par l’expert de la défense »[21].
[42] En rejetant les arguments de Delisle en appel, la Cour écrit que le jury pouvait croire le Dr Bourgault, seul témoin qui a manipulé le cerveau, et rejeter la thèse de l’expert en balistique Swistounoff, témoignant en défense, qui préconisait une déviation significative du projectile dans le cerveau, un scénario rejeté par un autre expert de la poursuite[22].
[43] Le jury pouvait également rejeter l’hypothèse du suicide. Selon la Cour, cette thèse reposait sur trois aspects que devait accepter le jury. Le premier est lié à la trajectoire du projectile et l’angle de tir[23]. Le deuxième, vu les marques sur la main de la victime, est lié à une manipulation dite « non conventionnelle » de l’arme[24]. À cet égard, deux photographies, une reproduite par le poursuivant (à gauche) et une tirée du rapport de l’expert Swistounoff (à droite)[25], illustrent la manipulation dont il est question :
[44] La Cour qualifie cette manipulation dite non conventionnelle d’un « écueil de taille », car « le caractère inhabituel proposé par l’appelant [Delisle] pour la tenue du pistolet, [est] du jamais vu même pour l’expert de la défense. »[26]
[45] La Cour ajoute la présence d’un troisième aspect, soit une autre difficulté qui, cette fois, requérait du jury qu’il croit que Delisle a « déplacé la douille lorsqu’il a découvert Mme Rainville, sans quoi la thèse de la défense se voit considérablement minée puisqu’elle est incompatible avec la présence de la douille sur la table du salon. » [27]
La requête de Delisle devant le juge de la Cour supérieure
[46] Comme mentionné précédemment, le 13 octobre 2021, Delisle a présenté au juge de la Cour supérieure une requête modifiée en arrêt des procédures. Ce dernier note que la requête comporte plusieurs volets[28]: une violation à son droit garanti par l’article 7 de la Charte (procès juste et équitable) requérant un arrêt des procédures, une violation de l’alinéa 11b) de la Charte (procès dans un délai raisonnable), la règle du double jeopardy ou double péril, et finalement, un abus de procédure découlant d’une conduite qui mine l’intégrité du processus judiciaire selon le second volet (la catégorie « résiduelle ») de l’analyse expliquée dans l’arrêt Babos[29].
[47] Comme il est mentionné dans le résumé en introduction, l’unique question qu’a décidé de trancher le juge touche l’arrêt des procédures dans le cadre de l’analyse d’une violation de l’article 7 de la Charte, soit le volet du procès équitable et de la défense pleine et entière.
[48] L’intimé a d’ailleurs mentionné que ses autres moyens devront être examinés et tranchés par la Cour supérieure, le cas échéant.
Les prétentions de Delisle en première instance
[49] Essentiellement, devant le juge d’instance, Delisle a concédé qu’il ne pouvait d’aucune manière démontrer que l’État, par les actions du pathologiste Bourgault, avait détruit la preuve perdue avec l’intention de contrecarrer l’obligation de communication de la preuve ou d’autrement porter atteinte à ses droits.
[50] Cependant, Delisle a fait valoir que l’État avait manqué à son obligation de conserver ou de documenter une preuve pertinente, le privant d’un procès équitable et de la possibilité de faire valoir une défense pleine et entière.
[51] Comme cela est mentionné plus haut, la preuve perdue tire son origine de l’autopsie. Lors de l’examen du cerveau, le pathologiste n’a pas conservé les coupes effectuées et elles n’ont pas été documentées ou photographiées. Des prélèvements faits, un seul montrait le passage du projectile, mais le pathologiste ne l’avait pas adéquatement localisé. L’absence de cette preuve l’empêchait de préparer sa défense alors que ces éléments étaient disponibles et qu’ils devaient être conservés ou documentés.
[52] Delisle a fait d’autres reproches au pathologiste, comme celui de n’avoir dévoilé l’existence de prélèvements que quatre ans après le procès. Il lui a reproché aussi d’avoir été réticent, lors de son témoignage, à révéler des erreurs ou des omissions, notamment en ne discutant pas de la présence de fragments du projectile du côté droit du cerveau et en ne faisant pas de description claire des fractures du crâne discontinues du même côté. Selon Delisle, ces informations pouvaient soutenir sa thèse d’un ricochet du projectile qui s’opposait à la thèse de la trajectoire mise de l’avant par le pathologiste qui, parce qu’elle préconisait plutôt un tir à angle, excluait le suicide.
Les prétentions du ministère public en première instance
[53] Devant le juge gestionnaire, le ministère public a tenu une position parfois difficile à suivre. Les différents éléments de sa position sont repris dans le jugement[30].
[54] Plus particulièrement, le poursuivant ne croyait pas que les expertises au soutien du rapport du Groupe étaient pertinentes, mais plaidait que le rapport lui-même devait être déposé. Au surplus, il affirmait que les éléments de preuve recherchés par Delisle étaient dépourvus de pertinence. Sur la question de la conservation de la preuve, il était d’avis que le pathologiste Bourgault n’avait manqué à aucune norme professionnelle ni transgressé quelque obligation légale. Il n’était pas tenu d’enquêter pour trouver des éléments disculpatoires. Son rôle était de déterminer la cause du décès : une mort par balle.
[55] Dans son plan de plaidoirie, le poursuivant a expliqué au juge sa position concernant le préjudice invoqué par Delisle, que le juge reprend dans sa décision :
[252] Quant au préjudice que le requérant prétend subir pour son second procès, faute d’avoir les coupes du cerveau et les photos de ces coupes, l’intimée le nie :
➢ La trajectoire du projectile dans le cerveau ne constitue pas un élément essentiel de l’infraction ni un élément important pour sa défense;
➢ Si la trajectoire du projectile dans le cerveau est aussi importante que le requérant le prétend, il sera en mesure de démontrer sa thèse au deuxième procès, étant maintenant dans une situation plus avantageuse qu’au premier procès. Il connaît l’existence des fragments de projectile qui se sont logés du côté droit du cerveau, des fractures du crâne discontinues du côté droit de la tête, et il peut compter sur des expertises de pathologistes qui formulent des hypothèses pour appuyer sa position sur le tir perpendiculaire;
➢ Bien que les expertises auxquelles le requérant se réfère n’excluent pas la possibilité du suicide, elles n’excluent également pas la possibilité de l’homicide, de sorte que le jury pourrait le déclarer coupable malgré ces expertises en se référant à l’ensemble de la preuve.[31]
La preuve présentée pour appuyer la requête
[56] Le juge gestionnaire explique que le poursuivant s’est opposé au dépôt des expertises préparées pour le Groupe, mais pas à celui du rapport lui-même. Le poursuivant estimait que l’évaluation des expertises revenait au jury.
[57] Quant au rapport du Groupe, le juge gestionnaire estime qu’il doit faire sa propre analyse de la preuve et il rejette l’idée que le rapport puisse être utile pour répondre à la requête[32].
[58] Quant aux expertises, le juge conclut qu’elles sont admissibles pour trancher la question soulevée par la requête et non pour déterminer la trajectoire du projectile dans le cerveau. Il trace l’utilité et les limites de cette preuve qui participe à établir « les normes auxquelles les pathologistes judiciaires sont assujettis » ce qui, en retour, l’éclaire sur « l’obligation de conservation et de documentation de la preuve », le niveau de négligence associé à la perte de cette preuve et l’impact sur la défense[33].
[59] En bref, les experts ne peuvent expliquer pourquoi le pathologiste Bourgault a omis de conserver, de documenter et de photographier les coupes du cerveau dans le contexte d’un décès suspect. Ces éléments auraient normalement dû être conservés, et tous les intervenants s’entendent pour dire qu’il est maintenant impossible de confirmer les constats du pathologiste Bourgault. Cela dit, leur opinion met à mal la théorie avancée au procès sur la trajectoire linéaire du projectile dans le cerveau de la victime.
[60] Le juge identifie l’objet du débat devant lui, soit de savoir si Delisle a satisfait à son fardeau de démontrer que l’omission de l’État de conserver une preuve pertinente portait atteinte, de façon réaliste, à son droit à une défense pleine et entière et si, dans ce cas, l’État avait démontré que cette preuve en était une, dénuée de pertinence. Le juge précise :
[55] D’une part, il doit déterminer si le requérant a prouvé selon la prépondérance de la preuve que l’État (le LSJML et le pathologiste B) a omis de recueillir, de conserver et de documenter une preuve pertinente et disponible lors de l’autopsie et si ce manquement à l’obligation de conservation et de documentation de la preuve présente une possibilité réaliste d’atteinte à son droit de présenter une défense. S’il y a eu un manquement à cette obligation, il doit d’autre part déterminer si l’intimée a prouvé selon la prépondérance des probabilités que le défaut de l’État porte sur une preuve dénuée de pertinence et ne résulte pas de sa négligence inacceptable.[34]
[61] Le juge constate, à la lecture de la déclaration sous serment du pathologiste Bourgault, déposée devant le Groupe, que la preuve perdue existait lors de l’autopsie. Bourgault y affirme avoir procédé à des coupes du cerveau et avoir prélevé des tissus. Le juge constate ensuite que les coupes n’ont été ni conservées, ni documentées, ni photographiées. Si des prélèvements sont toujours disponibles, leur existence n’a été révélée qu’au moment de l’enquête du ministre et ils ne sont en définitive d’aucune utilité puisqu’un seul porte une marque du passage du projectile, sans pouvoir être localisé[35]. Ces éléments, selon le juge, étaient pertinents dans le cadre du contre-interrogatoire du pathologiste, notamment au sujet de son travail pour établir la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[62] Cela dit, le juge conclut que les opinions des experts démontrent la pertinence des éléments de preuve manquants :
[340] Les sept pathologistes qui ont transmis une opinion écrite au ministre de la Justice le confirment. Tous sont d’avis que les coupes du cerveau auraient dû être conservées ou à tout le moins photographiées. Tous sont aussi d’avis que si elles l’avaient été, cela aurait permis d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Également, le pathologiste Milroy et le neuropathologiste Ramsay expliquent que si des prélèvements du cerveau portant la trace du passage du projectile le long de sa trajectoire avaient été faits, cela se serait avéré utile. Bien localisés, ces prélèvements auraient aussi aidé à établir cette trajectoire.[36]
[63] Enfin, le juge conclut que la preuve perdue résulte d’une négligence inacceptable. D’abord, il constate que le poursuivant n’a produit aucune preuve pour démontrer le contraire outre l’affirmation péremptoire du pathologiste Bourgault qu’il n’a commis aucune négligence lors de l’autopsie.
[64] Le juge rejette l’idée avancée que la tâche du pathologiste à l’autopsie se limite strictement à déterminer la cause du décès. Il retient au contraire l’opinion des experts selon laquelle la conservation et la documentation de l’examen du cerveau s’imposaient dans les circonstances et ceux-ci peinent à expliquer l’omission de l’avoir fait adéquatement.
[65] Ainsi, pour le juge, Delisle « sera toujours confronté au fait que le pathologiste B est la seule personne qui a pu observer le cerveau. Pis encore, lors de son nouveau procès, il sera confronté au fait que le pathologiste B affirme maintenant avoir vu la trajectoire du projectile dans le cerveau du début à la fin »[37].
[66] Le juge fait un pas de plus et conclut que, même en l’absence d’une négligence inacceptable au sens de la jurisprudence, l’État a perdu une preuve si importante qu’il a enfreint le droit de l’intimé de présenter une défense pleine et entière :
[400] Dans les arrêts Cartier et Simard, précités, la Cour d’appel a rappelé cet enseignement important :
[81] Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures. […]
[401] Or, ce principe trouve application en l’espèce. Que l’on soit d’avis que l’absence de conservation et de documentation des coupes du cerveau ou encore, que l’absence de prélèvements du cerveau bien localisés montrant le passage du projectile découlent ou non de la négligence inacceptable de l’intimée, cela n’y change rien.
[402] La non-disponibilité de ces éléments de preuve est à ce point dommageable que le droit du requérant de présenter une défense pleine et entière s’en trouve violé.[38]
[67] Une fois la violation établie, le juge s’interroge sur la réparation. Il détermine que l’arrêt des procédures est une réparation draconienne, réservée aux « cas les plus manifestes ».
[68] Correctement, et reprenant les enseignements de l’arrêt Babos[39], le juge énonce que s’il y a eu atteinte au droit à un procès équitable, il faut déterminer si l’injustice envers l’accusé persistera si rien n’est fait. À cet égard, il explique qu’une réparation moins drastique que l’arrêt des procédures doit être choisie si elle est susceptible de corriger l’injustice. Enfin, le juge reconnaît que s’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de prononcer l’arrêt des procédures, il faut soupeser, d’une part, les intérêts qui militent en faveur du remède draconien — comme la dénonciation de la faute et la préservation de l’intégrité du système de justice — et, d’autre part, ceux qui vont à l’encontre de l’arrêt des procédures, dont celui que représente pour la société la tenue d’un procès et l’obtention d’un jugement au fond.
[69] Selon lui, encore une fois en reprenant les enseignements de la Cour suprême, lorsqu’une conduite fautive porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable, cette mise en balance « ajoute souvent peu de choses à l’analyse, parce que la société n’a aucun intérêt dans la tenue de procès inéquitables »[40].
[70] D’ailleurs, le juge fait remarquer que le ministère public ne lui propose aucune réparation moins drastique que l’arrêt des procédures, sauf d’affirmer que le contre-interrogatoire du pathologiste peut suffire. Le juge est plutôt d’avis que le droit de Delisle à une défense pleine et entière est irrémédiablement compromis et que rien ne peut être fait pour pallier l’injustice créée par la conduite fautive de l’État. Il conclut :
[423] De l’avis du Tribunal, il est indéniable que l’absence des coupes du cerveau, ou à tout le moins des photographies de ces coupes, ainsi que l’absence de prélèvements du cerveau bien localisés qui portent des traces du passage du projectile, causent un grave préjudice au requérant en ce qu’elles le privent d’une preuve hautement pertinente.
[424] En effet, faute de ces éléments de preuve hautement pertinents, le requérant ne sera pas en mesure de vérifier le témoignage du pathologiste B sur la déterminante et importante question de la trajectoire du projectile dans le cerveau de Nicole Rainville, laquelle constitue non seulement l’assise de la thèse de l’intimée sur le tir à angle excluant le tir auto-infligé, mais surtout la pierre d’achoppement de sa propre thèse du tir perpendiculaire à 90 degrés qui n’exclut pas la possibilité du tir auto-infligé, du suicide. Le requérant devra composer avec la description qu’en fait le pathologiste B, la seule personne à avoir eu le bénéfice d’observer et de manipuler le cerveau.
[425] Le requérant estime qu’il est impossible de pallier au préjudice découlant de la violation de manière à ce que le nouveau procès soit juste et équitable.
[426] Il soutient que l’expectative de subir un deuxième procès équitable serait inexistante. Le préjudice qui découle des manquements de l’État à son obligation de conservation et de documentation de la preuve serait irréparable. Aucun remède moins drastique ne saurait sauver l’équité du procès, la preuve étant perdue à jamais.
[427] Le Tribunal est lui aussi de cet avis.
[428] Aucune directive ne pourra remédier à l’absence de ces éléments de preuve matérielle qui auraient dû et pu être facilement recueillis, conservés et documentés.[41]
[71] Il ajoute les propos suivants avant de conclure :
[431] Ainsi, en l’absence des éléments de preuve que le pathologiste B avait le devoir de conserver, rien ni personne ne pourra démontrer la trajectoire de façon certaine.
…
[439] Cela fait en sorte que pour décider de la déterminante question de l’angle du tir, laquelle est largement tributaire de la trajectoire du projectile dans le cerveau décrite par le pathologiste B, le jury devra non seulement se prononcer sur la base d’une preuve incomplète, mais encore, d’un témoignage de fait équivoque et contradictoire.
[440] De l’avis du Tribunal, le système de justice canadien ne saurait tolérer qu’un procès soit tenu dans ces circonstances, c’est-à-dire en sachant que les incertitudes entourant un élément déterminant auraient pu être facilement être [sic] évitées si le pathologiste B avait effectué son travail selon les standards auxquels il était tenu.[42]
[72] En conséquence, le juge prononce un arrêt des procédures. Les affirmations soulignées seront au cœur de l’analyse du présent appel.
[73] Trois questions sont formulées par le ministère public :
1. Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit dans la détermination, la portée et l’application du cadre juridique applicable aux violations alléguées par l’intimé?
2. Le juge de première instance a-t-il erré en fait et en droit quant à l’existence d’une faute ou d’un abus de l’État en concluant, notamment, à une négligence inacceptable du pathologiste?
3. Subsidiairement à la question (2) : Même si l’on en venait à conclure à une violation d’un droit de l’intimé, le juge de première instance a-t-il erré en droit en concluant que le procès « s’avérera inexorablement inéquitable » justifiant ainsi l’arrêt immédiat des procédures, avant même que l’entièreté de la preuve n’ait été présentée au jury?
[74] En résumé, le poursuivant présente son appel sous l’angle de la responsabilité étatique de recueillir et de conserver tous les éléments d’informations concernant un crime. Dans la mesure où cette responsabilité n’existe pas, il ne peut y avoir de violation des droits de Delisle. Au surplus, si cette obligation existe, l’État a fait ce qui était requis et il n’a fait preuve d’aucune négligence inacceptable, contrairement à ce que conclut le juge. Enfin, l’arrêt des procédures était donc inapproprié et, dans tous les cas, des réparations moins draconiennes existent et auraient pu être mises en œuvre lors du nouveau procès.
[75] L’intimé Delisle rejette en bloc la lecture du droit que fait le poursuivant, soulignant que celle-ci ne trouve aucunement appui dans la jurisprudence. Il ajoute que le poursuivant n’a jamais proposé au juge les autres solutions qu’il suggère maintenant. En définitive, Delisle affirme que le juge a conclu à bon droit à une violation de ses droits et que, par conséquent, il pouvait ordonner l’arrêt des procédures.
[76] Dans les prochains paragraphes, le détail des positions énoncées dans les argumentaires est repris.
[77] En premier lieu, le ministère public fait valoir que le juge a erré dans la détermination et l’application du cadre juridique applicable. Se fondant sur l’arrêt Witharanage[43], le ministère public estime qu’une autopsie n’a pas à être entièrement documentée. Le juge aurait donc commis une erreur lorsqu’il « estime que les éléments de preuve que l’intimé n’est pas en mesure de consulter – en l’occurrence les coupes du cerveau, les photographies de ces coupes et les prélèvements du cerveau portant les traces du passage du projectile – constituent une atteinte au droit de l’intimé à une défense pleine et entière au sens de la jurisprudence ».
[78] En outre, le ministère public répète que la trajectoire précise du projectile n’était pas un élément que devait d’emblée vérifier le pathologiste. En définitive, tout en affirmant que la trajectoire de la balle a été documentée, encore que ce ne soit pas à la satisfaction de Delisle, il interprète la requête de celui-ci comme une demande visant à forcer l’État à enquêter pour la défense.
[79] À ce propos, voici ce qu’il écrit dans son mémoire :
[68] En d’autres mots, le tribunal aurait dû se demander : la trajectoire précise de la balle était-elle un élément essentiel de l’infraction que le poursuivant avait l’obligation d’enquêter ?
[69] En l’espèce, les éléments essentiels d’un meurtre sont, selon l’art. 231(2) C.cr. : 1) l’identité de l’accusé comme l’auteur des actes, 2) la commission d’un acte illégal par cette personne, 3) l’intention de cette personne de commettre l’acte et, le cas échéant, 4) la préméditation des actes.
[70] La trajectoire précise est devenue une question déterminante (du point de vue de l’intimé) au stade du procès seulement, comme le souligne la Cour d’appel du Québec, tenant compte du moyen de défense allégué, mais cela ne fait pas de cette trajectoire précise un élément essentiel de l’infraction que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable afin d’obtenir une déclaration de culpabilité quant au meurtre.
[71] Il est donc erroné pour le tribunal de conclure que l’État avait l’obligation de déterminer la trajectoire précise de la balle lors de l’enquête policière.
[72] Cette erreur du tribunal est névralgique puisque la suite de son analyse dépend principalement de cette conclusion. Comme il n’y avait pas d’obligation d’enquêter sur ce fait avec le degré de certitude voulu par l’intimé, il ne peut pas y avoir de négligence inacceptable de la part du pathologiste.
[80] En second lieu, il est d’avis que les opinions des experts, bien après les faits, ne rendent pas justice aux décisions prises au moment de l’autopsie. Le juge aurait donc erré en concluant à une négligence inacceptable dans ce contexte.
[81] En dernier lieu, le ministère public soutient que le juge a erré en prononçant l’arrêt des procédures en confondant le remède et la question de la force probante de l’éventuel témoignage du pathologiste, laquelle pouvait toujours être contestée au procès. Selon lui, il existait des remèdes moins draconiens. Par exemple, dans son mémoire il énumère les suivants : limitation du témoignage du pathologiste à des questions de fait; directives Vetrovec; directives de « mi-procès » quant à la force probante de cette preuve; directives finales « quant à l’appréciation de l’ensemble de cette preuve », voire l’exclusion totale du témoignage.
[82] Delisle réfute les trois moyens avancés. Quant au premier moyen, il prétend que le ministère public s’aveugle devant l’évidence. Il ne s’agit pas d’un cas où l’État a omis de récupérer un élément de preuve, comme l’illustre la jurisprudence du poursuivant, mais où il a détruit une preuve qui était entre ses mains.
[83] En second lieu, en comparant les décisions prises par le pathologiste Bourgault avec celles qu’aurait prises un pathologiste raisonnablement compétent, la conclusion du juge sur la négligence inacceptable est inattaquable.
[84] Enfin, sur le choix de la réparation, soit l’arrêt des procédures, Delisle reproche au poursuivant de soutenir un argumentaire qu’il n’a pas soulevé devant le premier juge. Il n’a jamais suggéré au juge d’attendre avant de trancher la requête, au contraire. De toute façon, les mesures réparatrices suggérées sont inadéquates puisqu’il devra composer avec le témoignage du pathologiste, malgré l’incertitude de son travail à l’autopsie, et il ajoute que l’exclusion complète de son témoignage n’offre rien de mieux puisque l’incertitude liée à l’angle de tir demeure.
[85] Il apparaît important de recadrer les questions en cause et de rappeler que la requête vise la perte de renseignements utiles pour contester la thèse avancée au premier procès quant à l’angle de tir et la trajectoire du projectile, thèse qui serait présentée à nouveau lors du second procès.
[86] Si l’enquête du Groupe au soutien de la décision du ministre d’ordonner un nouveau procès offre un nouvel éclairage sur plusieurs aspects du crime, la requête ne vise que la preuve scientifique concernant la trajectoire du projectile.
[87] Les éléments manquants n’avaient pas été spécifiquement demandés au moment du premier procès. En effet, le dossier ne révèle aucune demande de la part de Delisle ou de ses avocats visant à obtenir les coupes du cerveau ou d’autres informations concernant cet aspect du travail du pathologiste Bourgault, malgré la présence de certains indices bien présents à l’époque, comme l’ont noté les experts consultés par le Groupe. Néanmoins, Delisle avait tenté de soulever un doute sur la thèse de la trajectoire du projectile et du tir à angle qui, selon le ministère public, excluait un coup de feu auto-infligé.
[88] L’absence de cette demande lors du premier procès et, pourrait-on dire, de diligence est néanmoins sans conséquence dans le contexte. D’abord, la destruction de la preuve est survenue rapidement et avant toute accusation, rendant illusoire toute demande visant à l’obtenir. Ensuite, habituellement l’absence de diligence est pertinente pour décider de l’opportunité d’ordonner un nouveau procès, ce qui n’a pas à être décidé par le présent appel puisque le nouveau procès a été ordonné par le ministre.
[89] Instruit par les différentes opinions scientifiques présentées au Groupe, Delisle veut parfaire sa preuve scientifique et c’est dans ce contexte qu’il se bute à l’absence des éléments de preuve ciblés. Même si elle ne survient qu’à l’aube du second procès, cette demande est légitime.
[90] L’État ne peut cependant pas y répondre et Delisle demande l’arrêt des procédures en conséquence. En fait, s’il est vrai de dire que cette preuve n’existe plus, c’est parce qu’elle n’a jamais été conservée. Après ses constats à l’autopsie, le pathologiste n’a pas conservé le cerveau ou les coupes de celui-ci, il ne les a pas photographiées et il n’a pas localisé adéquatement les prélèvements qu’il a décidé de conserver.
[91] La preuve présentée au juge gestionnaire confirme que la plaie d’entrée du projectile de même que l’endroit où celui-ci est retrouvé, soit à l’arrière du crâne, sont documentés, par des notes, des photographies ou des radiographies. Toutefois, entre la plaie d’entrée et la radiographie montrant le projectile, la documentation est pauvre, et l’absence de photographies, ou du cerveau lui-même, rend impossible la révision scientifique des conclusions sur la trajectoire du projectile dans le cerveau.
[92] En guise de point de départ, il faut noter que l’exercice en appel invite l’examen du devoir de l’État de conserver les éléments d’informations qu’il recueille lors de l’enquête sur un crime et non, comme le suggère le ministère public, la création d’un droit de l’accusé à une enquête policière particulière. Qui plus est, l’obligation de conservation de la preuve discutée dans le présent arrêt est expressément tributaire des faits eux-mêmes, de l’enquête policière menée et de la thèse défendue au procès par le poursuivant.
[93] En ce sens, l’appel repose en grande partie sur les principes et les règles juridiques connus de la « communication de la preuve » ou, plus précisément, de la communication des éléments qui sont souvent désignés comme les fruits de l’enquête.
[94] En définitive, le cerveau de la victime est un élément central de cette affaire de mort suspecte, même s’il n’est pas le seul élément. Contrairement à ce que plaide le poursuivant, une preuve pertinente n’est pas uniquement liée aux éléments de l’infraction.
[95] Toutefois, si la trajectoire du projectile est pertinente, elle n’est peut-être pas aussi déterminante que le soutient Delisle ou comme en conclut le juge. Sur cet aspect, le poursuivant a raison d’affirmer que les caractéristiques du point d’entrée du projectile et la trajectoire suivie par ce dernier dans la boîte crânienne, et donc dans le cerveau de la victime, ne prouvent pas, à eux seuls, la thèse du meurtre ou du suicide.
[96] De l’avis de la Cour, bien que la nature hautement pertinente du cerveau et de son examen soit incontestable, il s’agit d’un des éléments de l’histoire qui a mené à la tragédie. À titre d’illustration, le jury devra également se questionner sur la plausibilité d’un tir auto-infligé d’une manière dite « non conventionnelle »; de même que sur la façon d’armer un pistolet qui exige en principe l’utilisation de deux mains; et, enfin, sur d’autres faits révélés par la scène de crime.
[97] Cela dit, les deux premiers moyens seront traités ensemble. Ils touchent l’obligation de communication et de conservation de la preuve. Le troisième moyen portant sur la réparation sera ensuite examiné. La Cour a d’ailleurs reçu, en date du 19 décembre 2022, des argumentaires supplémentaires des parties sur cette question avant de mettre l’affaire en délibéré.
Rappel général du droit pertinent concernant la communication de la preuve
[98] Puisque le poursuivant conteste avoir eu l’obligation de communiquer les renseignements litigieux, il faut rappeler les grandes lignes du droit applicable.
[99] Depuis toujours, la Cour suprême a réaffirmé l’obligation du ministère public de divulguer à la défense toute preuve pertinente, que celle-ci soit ou non favorable à l’accusé. Il s’agit d’une composante du droit de l’accusé à un procès équitable et du droit à une défense pleine et entière[44].
[100] Cette obligation concerne en principe les participants à l’enquête menant aux accusations[45] et, s’il y avait quelque hésitation à ce sujet, la Cour partage l’opinion du juge Brunton exprimée dans l’affaire Vachon, voulant que les renseignements colligés par les scientifiques du laboratoire judiciaire, lorsque les professionnels qui y travaillent sont sollicités par la police pour analyser des éléments de preuve, tombent sous l’obligation principale de divulgation du ministère public[46].
[101] Par ailleurs, le droit présume également que les renseignements en possession de la poursuite sont pertinents[47]. En effet, « the material in possession of the prosecuting Crown is relevant to the accused's case. Otherwise, the Crown would not have obtained possession of it (O'Connor, at para. 12) »[48].
[102] Le poursuivant doit ensuite divulguer ce qui présente une certaine utilité pour la défense, ce qui vise tous « les renseignements ayant trait aux éléments que le ministère public a l’intention de présenter en preuve contre l’accusé, mais également ceux qui peuvent raisonnablement aider ce dernier à présenter une défense pleine et entière »[49]. Les éléments qui sont manifestement sans pertinence, par opposition à simplement non pertinents, n’ont pas à être divulgués[50]. Dans le doute, le poursuivant doit les divulguer, car s’il « pèche, ce doit être par inclusion »[51].
[103] Dans l’arrêt Egger, le juge Sopinka indique que la poursuite doit divulguer tout renseignement qui peut être utile à la défense « pour parvenir à une décision susceptible d’avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve »[52].
[104] Par ailleurs, la Cour suprême n’a pas manqué de souligner que « [l]e droit à la divulgation serait vide de sens si le ministère public n’était pas tenu de conserver des éléments de preuve qu’on sait pertinents »[53].
[105] Et bien entendu, puisque rien n’est parfait, il arrivera que des éléments, qui par ailleurs doivent être communiqués, se perdent[54]. La perfection n’est pas exigée. La perte d’un élément de preuve peut s’expliquer de nombreuses façons, dont la destruction programmée, l’erreur ou la négligence inacceptable de l’État. Un défaut de divulguer une preuve qui doit l’être contrevient à l’article 7 de la Charte et peut même, dans certains cas, constituer un abus de procédure.
[106] L’abus de procédure découle « d’une conduite d’une autorité gouvernementale qui viole les principes fondamentaux qui sous‑tendent le sens du franc‑jeu et de la décence de la société »[55]. La destruction d’un élément de preuve avec l’intention de contrecarrer l’obligation de communication de la preuve tombe certainement dans ce cadre. Toutefois, « d’autres dérogations graves à l’obligation qu’a le ministère public de conserver les éléments qui doivent être produits peuvent également constituer un abus de procédure, même s’il n’est pas établi que des éléments de preuve ont été détruits de propos délibéré pour faire obstacle à leur divulgation »[56] et, ajoute la Cour, la négligence inacceptable dans la conservation de la preuve peut parfois suffire.
[107] Détruire un élément recueilli pendant l’enquête sans s’interroger sur l’obligation constitutionnelle d’une communication subséquente est un abus de procédure et contrevient au droit à une défense pleine et entière[57].
[108] Par définition, le devoir de communication de la preuve étant très large, il vise des renseignements qui ne sont pas nécessairement déterminants dans un litige[58]. Lorsqu’il y a eu la perte ou la destruction de la preuve, la partie qui s’en plaint doit démontrer la possibilité raisonnable d’une atteinte à son droit à une défense pleine et entière[59].
[109] L’État peut donc affirmer que la preuve perdue est manifestement non pertinente ou encore offrir une explication afin de convaincre un juge que la perte de cette preuve n’entraîne aucune violation à l’obligation de la divulguer ou ne constitue pas un abus de procédure.
[110] Par ailleurs, même en l’absence d’un abus de procédure, un accusé peut néanmoins établir, dans une situation extraordinaire, que la disparition d’un élément de preuve à ce point important cause un préjudice concret à son droit de présenter une défense pleine et entière[60].
[111] Si la preuve perdue devait être divulguée, le ministère public a le fardeau de démontrer que l’État a pris les mesures raisonnables qui s’imposaient pour conserver la preuve. À cet égard, on doit tenir compte de la pertinence de l’élément ou du renseignement perdu au moment de sa disparition. L’État n’a pas l’obligation de tout conserver dans l’attente que cela devienne un jour pertinent pour un dossier donné[61]. On comprend aisément que plus l’élément est pertinent, « plus le degré de diligence attendu [de l’État] pour conserver cette preuve est élevé »[62].
[112] Au risque de faire trop court, les paragraphes suivants cernent bien les déterminations factuelles du juge[63] :
[340] Les sept pathologistes qui ont transmis une opinion écrite au ministre de la Justice le confirment. Tous sont d’avis que les coupes du cerveau auraient dû être conservées ou à tout le moins photographiées. Tous sont aussi d’avis que si elles l’avaient été, cela aurait permis d’identifier de façon certaine la trajectoire du projectile dans le cerveau. Également, le pathologiste Milroy et le neuropathologiste Ramsay expliquent que si des prélèvements du cerveau portant la trace du passage du projectile le long de sa trajectoire avaient été faits, cela se serait avéré utile. Bien localisés, ces prélèvements auraient aussi aidé à établir cette trajectoire.
[341] L’intimée n’a aucunement cherché à contredire l’opinion de ces experts sur ces questions qui sont au cœur du débat soulevé par la requête en arrêt des procédures.
[113] Il est possible d’évacuer rapidement les deux premiers moyens d’appel. D’abord, l’exposé du droit répond totalement à la question concernant la pertinence de la preuve. Il n’y a pas lieu de s’attarder longuement au fait que le cerveau d’une victime, vraisemblablement décédée d’un projectile à la tête dans des circonstances suspectes, est une preuve pertinente. Il est également indéniable que cet élément de preuve existait.
[114] Si l’on s’en tient au corps de la victime, sa tête, sa boîte crânienne et son cerveau ont été le centre d’attention de l’enquête menée par le pathologiste Bourgault et le balisticien pour établir la trajectoire linéaire du projectile. Une main de la victime a également fait l’objet d’une attention immédiate des experts et de l’enquête. Ces deux aspects sont une partie importante de la preuve scientifique au soutien de l’accusation de meurtre et de l’opinion qui écartait la thèse du suicide.
[115] Il n’est pas nécessaire de répondre au ministère public qui se plaint de la portée du jugement, lequel aurait selon lui créé l’obligation pour un pathologiste de tout conserver[64]. Or, ce n’est pas la question.
[116] Le juge a déterminé que la preuve perdue faisait partie de la preuve à communiquer et à conserver afin que le ministère public s’acquitte de son obligation constitutionnelle. Ce qui en fait partie est une question factuelle, qui dépend des circonstances propres à chaque affaire. Cela dit, l’idée de documenter adéquatement une autopsie est certainement une des recommandations phares de l’enquête menée par le juge Goudge, dont le rapport a été publié le 1er octobre 2008, bien avant l’autopsie réalisée le 17 novembre 2009 :
Recommendation 77
a) Autopsies should not normally be audiotaped or videotaped. However, what is done at the autopsy should be fully transparent and independently reviewable. Therefore, what is done and by whom at the autopsy should be carefully documented. This documentation includes careful recording through photographs and contemporaneous note-taking by support staff and the forensic pathologist.
b) Best practice also requires the appropriate retention, storage, and transmittal of organs, tissues, samples, and exhibits in accordance with the current autopsy guidelines of the Office of the Chief Coroner for Ontario and policies in place at hospitals where forensic autopsies are performed.
c) ln accordance with the current guidelines of the Office of the Chief Coroner for Ontario, materials kept for testing and independent reviewability should be carefully documented.[65]
[118] Diminuer la pertinence de la preuve perdue, comme le fait le poursuivant dans son argumentaire reproduit plus haut, est un exercice difficile à suivre, voire insoutenable.
[119] Dans les circonstances, le poursuivant ne démontre aucune erreur de la part du juge qui a conclu à bon droit que cette preuve était pertinente.
[120] Le poursuivant prétend ensuite qu’il n’avait pas à conserver la preuve, aujourd’hui manquante, pour la communiquer à Delisle. Conformément au droit exposé et à la preuve non contredite devant le juge gestionnaire, le poursuivant ne démontre aucune raison d’écarter la conclusion du juge à propos de la preuve manquante qui était hautement pertinente et devait être conservée ou adéquatement documentée.
[121] Collectivement, les expertises déposées expliquent que le rapport d’autopsie initial permet de constater que le travail n’a pas été effectué en suivant les règles de l’art, que les examens n’ont pas été suffisamment documentés et que les coupes du cerveau, si elles ont été faites, pouvaient être conservées.
[122] Le poursuivant se méprend lorsqu’il associe cette conclusion à l’idée qu’un accusé peut diriger l’enquête policière. Ce n’est pas le cas, et ce n’est pas ce que le juge retient. Il n’est pas controversé qu’un accusé ne puisse exiger que l’enquête soit parfaite ou que la poursuite entreprenne des démarches d’enquête dans le but d’élaborer sa défense[66].
[123] Il s’agit plutôt ici de l’idée que la preuve recueillie pendant l’enquête policière soit conservée pour être communiquée à l’accusé afin que ce dernier puisse l’utiliser s’il le souhaite.
[124] Tout en se rappelant que la perfection n’existe pas, le juge gestionnaire retient de la preuve qu’il était possible de conserver ou de documenter la trajectoire dans le cerveau de la victime, ou les éléments qui la démontrent, sans imposer un fardeau extraordinaire à l’État. Au contraire, il semble que tous les experts s’entendent pour dire que la documentation de l’examen du cerveau était la pratique professionnelle attendue et que l’absence d’une telle documentation les laisse perplexes.
[125] Le poursuivant ne démontre pas que le juge erre lorsqu’il conclut, à l’aune de la preuve des experts établissant les normes de pratique des pathologistes, que l’État, en raison d’une négligence inacceptable, a détruit une preuve hautement pertinente par rapport au crime. Il ne convainc pas que le juge erre lorsqu’il conclut que la destruction de cette preuve a eu un impact sur le droit à une défense pleine et entière de Delisle dans le cadre de son nouveau procès.
[126] Les deux premiers griefs d’appel sont donc rejetés.
[127] Il faut souligner d’entrée de jeu que la Cour n’est pas saisie de la révision d’une décision qui se prononce sur la catégorie résiduelle de l’abus de procédure, c’est-à-dire lorsque la conduite de l’État est préjudiciable à l’intégrité du système de justice. Comme mentionné plus haut, le juge n’a pas traité de ce volet de la requête.
[128] La question soulevée suggère deux reproches au juge. Le premier, celui de s’être prononcé immédiatement sur la réparation et le second, de ne pas avoir envisagé de réparation moins draconienne.
[129] Pour justifier le fait de se prononcer immédiatement, le juge invoque le caractère irrémédiable du préjudice. Il écrit :
[442] La société n’a aucun intérêt dans la tenue d’un procès qui s’avérera inexorablement inéquitable. L’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond et le processus de recherche de la vérité ne sauraient prévaloir si l’équité du procès est irrémédiablement compromise par la faute de l’État.
[443] Pour cette raison, le Tribunal estime juste et approprié d’ordonner dès à présent l’arrêt des procédures criminelles. Bien qu’en principe, il soit préférable d’attendre la fin de l’instruction avant de prononcer cette mesure, ici, son imposition immédiate se justifie en raison du caractère irrémédiable du préjudice.[67]
[130] Ainsi, le juge, convaincu du caractère irrémédiable du préjudice, est certainement autorisé, à sa discrétion, à se prononcer immédiatement, comme le permet la jurisprudence[68]. Comme le souligne Delisle, les parties lui ont demandé de le faire. À l’audience, le poursuivant l’a reconnu et Delisle a répliqué qu’on ne pouvait maintenant reprocher au juge de l’avoir fait.
[131] Toutefois, le moment de se prononcer est tributaire de l’importance du préjudice. Le fait de se prononcer immédiatement devient une erreur lorsque le préjudice n’est pas irrémédiable. Dans le cas où il est irrémédiable, un juge peut certainement se prononcer sans plus attendre.
[132] En principe, la réparation à une atteinte au droit à une défense pleine et entière devrait, sauf de rares exceptions, être déterminée au fur et à mesure du déroulement de la preuve, sinon à la fin de celle de la poursuite, lorsque cela suffit, ou à la fin de la preuve de la défense; bref, à un moment où le juge n’est plus devant un préjudice évalué selon une preuve anticipée. Il est alors devant les faits établis[69].
[133] Évidemment, cela soulève la question de savoir si la caractérisation du préjudice est bien fondée. Avec égards, la Cour est d’avis que le juge commet une erreur sur le caractère irrémédiable de l’atteinte à une défense pleine et entière. S’il avait bien défini le préjudice en cause, il aurait reporté son analyse quant au choix de la réparation à la fin de la preuve de la poursuite.
[134] II ne fait aucun doute que le choix d’une réparation à la suite d’une violation d’un droit constitutionnel est une décision essentiellement discrétionnaire. Si cela est incontestable, le juge Doyon rappelle que la déférence en appel n’est pas absolue[70] :
[100] La norme de révision en appel d'une décision rendue en application du paragr. 24(1) de la Charte exige la déférence, comme le souligne le juge LeBel dans R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297 :
117 La décision d’accorder une suspension des procédures est une décision de nature discrétionnaire qui ne peut être modifiée à la légère : « une cour d'appel ne sera justifiée d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge de première instance que si celui-ci s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice » (Tobiass, précité, par. 87; Elsom c. Elsom, [1989] 1 R.C.S. 1367, [page 362] p. 1375). De plus, lorsqu’un juge du procès exerce son pouvoir discrétionnaire, la cour d’appel ne peut y substituer sa propre décision uniquement parce qu’elle arrive à une appréciation différente des faits (Stein c. Le navire « Kathy K », [1976] 2 R.C.S. 802; voir également R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, 2000 CSC 38; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507).
118 Cela ne signifie toutefois pas que le juge du procès se trouve entièrement à l’abri de tout contrôle. Selon un principe juridique bien établi, lorsque le « juge du procès a commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits », la décision fondée sur ces faits peut être modifiée (Kathy K, p. 808).
[135] Toujours dans l’arrêt Tshiamala, le juge Doyon explique que la question de savoir si une autre réparation moins draconienne était possible est un volet révisable dans la mesure où la Cour garde à l’esprit qu’elle « ne peut intervenir à la légère, vu le caractère discrétionnaire du pouvoir exercé par le tribunal de première instance »[71]. Il rappelle notamment que l’arrêt des procédures est réservé aux cas les plus manifestes, c’est-à-dire au cas où une preuve accablante démontre que les procédures sont injustes au point d’être contraires à l’intérêt de la justice[72].
[136] Après avoir répété que le paragraphe 24(1) de la Charte confère un pouvoir de réparation en des « termes très larges » qui s’accommode mal d’une « espèce de formule obligatoire d’application générale à tous les cas », la Cour suprême précise que ce pouvoir n’est toutefois pas absolu[73] :
[19] Troisièmement, l’interdiction de restreindre la portée du par. 24(1) n’empêche pas les tribunaux de préciser dans quels cas il peut se révéler « convenable et juste » d’accorder des dommages‑intérêts. L’expression « convenable et juste » limite les réparations possibles. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal, si large soit‑il, n’est pas pour autant absolu. Ce qui est convenable et juste dépendra des faits et des circonstances de chaque affaire. Les décisions antérieures peuvent donner des indications quant à ce qui pourra être jugé convenable et juste dans une situation donnée.
Le droit à l’arrêt des procédures
[137] En principe, l’impact de la preuve détruite, qui découle de son importance dans le contexte du procès, influencera la réparation éventuelle[74].
[138] Lorsque le ministère public ne peut satisfaire à son obligation constitutionnelle, la Cour suprême a indiqué que l’arrêt des procédures est une réparation convenable si les critères d’application exposés dans O’Connor sont satisfaits. Le juge Sopinka écrit[75] :
[…] que le défaut de divulguer du ministère public constitue ou non un abus de procédure ou un autre manquement à son obligation de divulgation et, partant, une violation de l’art. 7 de la Charte, il est possible que l’arrêt des procédures soit la réparation convenable s’il s’agit d’un des rares cas où cette réparation, dont les critères d’application ont tout récemment été exposés dans O’Connor, précité, peut être accordée.
[139] Dans l’arrêt O’Connor, la Cour écrit : « le manquement aux obligations du ministère public en matière de divulgation a porté atteinte aux principes fondamentaux qui sous-tendent le sens de décence et de franc-jeu de la collectivité, et, en conséquence, a porté préjudice à l’intégrité du système judiciaire »[76].
[140] À cet égard, « [i]l faut toujours se rappeler que l’arrêt des procédures est approprié uniquement “dans les cas les plus manifestes” lorsqu’il serait impossible de remédier au préjudice causé au droit de l’accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation de la poursuite causerait à l’intégrité du système judiciaire un préjudice irréparable »[77].
[141] Il faut soupeser l’ensemble des circonstances. Pour « déterminer s’il est possible de remédier au préjudice causé à l’intégrité du système judiciaire, il faut tenir compte des intérêts communautaires et individuels à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence. Il va sans dire que ces intérêts seront proportionnels à la gravité des accusations portées contre l’accusé. Des réparations moins draconiennes que l’arrêt des procédures devraient être examinées […] »[78].
[142] Enfin, dans l’arrêt Bjelland, la Cour rappelle qu’un procès équitable n’est pas un procès parfait[79] :
[22] S’il est vrai que l’accusé doit subir un procès équitable, le procès doit être équitable tant du point de vue de l’accusé que de celui de la société dans son ensemble. Au paragraphe 45 de l’arrêt R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a indiqué ce qu’on entend par procès équitable :
Au départ, un procès équitable est un procès qui paraît équitable, tant du point de vue de l’accusé que de celui de la collectivité. Il ne faut pas confondre un procès équitable avec le procès le plus avantageux possible du point de vue de l’accusé : R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 362, le juge La Forest. Il ne faut pas l’assimiler non plus au procès parfait; dans la réalité, la perfection est rarement atteinte. Le procès équitable est celui qui répond à l’intérêt qu’a le public à connaître la vérité, tout en préservant l’équité fondamentale en matière de procédure pour l’accusé. [Je souligne.]
[143] La Cour conclut que l’analyse du juge est entachée d’erreurs qui l’ont mené à conclure erronément, d’une part, que le préjudice est nécessairement perpétué par la tenue du procès et, d’autre part, qu’il ne peut être réparé. Avec égards, la première conclusion semble contraire à la preuve administrée; et la seconde, bien que reliée à la première, souffre de l’omission d’avoir envisagé la possibilité d’une directive pour indiquer au jury l’opportunité dont Delisle est privé en raison de la preuve perdue.
[144] Pour bien comprendre l’analyse, il est nécessaire de reprendre deux déterminations essentielles du juge : l’importance du préjudice causé à Delisle et l’absence de réparation moins draconienne à la violation du droit identifié.
[145] Voici les passages de la décision, utiles pour l’analyse. Le juge écrit :
[56] Si les réponses données à ces questions démontrent que le droit du requérant à une défense pleine et entière est violé, il faudra alors déterminer si cette violation justifie l’imposition, à cette étape-ci, avant le procès, du remède draconien de l’arrêt des procédures, ou si un remède moindre peut pallier cette violation.
[…]
[234] Il [Delisle] fait valoir qu’un témoignage approximatif, ambigu, fluctuant et contradictoire [du pathologiste] ne saurait constituer un substitut acceptable à une preuve matérielle que la poursuivante avait l’obligation de recueillir, de conserver et de documenter, surtout si cette preuve pouvait établir de façon certaine un fait déterminant de manière à éviter ce flou.
[…]
[425] Le requérant estime qu’il est impossible de pallier au préjudice découlant de la violation de manière à ce que le nouveau procès soit juste et équitable.
[426] Il soutient que l’expectative de subir un deuxième procès équitable serait inexistante. Le préjudice qui découle des manquements de l’État à son obligation de conservation et de documentation de la preuve serait irréparable. Aucun remède moins drastique ne saurait sauver l’équité du procès, la preuve étant perdue à jamais.
[427] Le Tribunal est lui aussi de cet avis.
[428] Aucune directive ne pourra remédier à l’absence de ces éléments de preuve matérielle qui auraient dû et pu être facilement recueillis, conservés et documentés.
[429] Incidemment, il est notable que l’intimée ne suggère elle-même aucun remède moindre, si ce n’est qu’elle avance que le requérant pourra interroger le pathologiste B pour faire ressortir les écarts et les ambiguïtés de ses témoignages successifs. Or, il ne s’agit pas là d’un remède à proprement parler. Le contre-interrogatoire du pathologiste B ne pourra pas clarifier le flou qu’il a contribué à créer par sa négligence inacceptable. Comme le signale la Cour d’appel dans les arrêts Cartier c. R. et R. c. Duguay, une telle réparation est peu utile puisque le droit de contre-interroger est acquis. De plus, le contre-interrogatoire en tant que remède est souvent illusoire. Le juge Doyon écrit :
[90] Le juge recherche donc un remède qui soit juste et opte pour un contre-interrogatoire portant sur les circonstances de la disparition de la preuve. Comme le plaide l’appelant, cette réparation est toutefois de peu d’utilité, puisqu’un tel contre-interrogatoire est de toute façon permis. De plus, la Cour a souligné le caractère illusoire d’un tel remède dans R. c. Duguay, 2009 QCCA 1130, paragr. 260.
[430] Dans l’arrêt R. c. Duguay, auquel se réfère le juge Doyon, la Cour a reconnu qu’un contre-interrogatoire « standard » ne peut être qualifié de remède :
[259] […] En l’espèce, il était inutile, comme l’a fait le juge de première instance, d’accorder à l’appelant un contre‑interrogatoire que l’on peut qualifier de « standard » comme remède, puisque son droit à une défense pleine et entière lui conférait déjà ce droit.
[260] Quant au droit de contre‑interroger, c'est à juste titre que l’appelant qualifie ce remède d'illusoire, puisqu’il n’a aucun impact concret. En conséquence, il faut conclure que le juge de première instance n’a accordé aucun remède immédiat à M. Fortin, malgré sa conclusion que son droit à une défense pleine et entière avait été violé.
[431] Ainsi, en l’absence des éléments de preuve que le pathologiste B avait le devoir de conserver, rien ni personne ne pourra démontrer la trajectoire de façon certaine.
[432] En somme, par sa propre négligence inacceptable, le pathologiste B s’est placé à l’abri de tout questionnement. Sur la question déterminante de l’angle du tir et de la trajectoire du projectile dans le cerveau, le jury sera confronté à son témoignage de fait voulant qu’il ait vu cette trajectoire et aux hypothèses des experts pathologistes.
[433] Cette situation est grave et conséquente.
[434] Le requérant sera toujours confronté au fait que le pathologiste B est la seule personne qui a pu observer le cerveau. Pis encore, lors de son nouveau procès, il sera confronté au fait que le pathologiste B affirme maintenant avoir vu la trajectoire du projectile dans le cerveau du début à la fin. Bien que les sept pathologistes consultés par le ministre de la Justice considèrent qu’il est hautement probable qu’il se soit mépris, et que cinq d’entre eux affirment que la trajectoire était probablement perpendiculaire suivie d’un ricochet, il lui sera impossible d’aller au-delà de ces hypothèses, faute par le pathologiste B d’avoir recueilli, conservé et documenté la preuve.
[435] Le requérant et ses experts seront confrontés à l’approche du « crois-moi parce que j’affirme l’avoir vu », une approche pourtant écartée depuis longtemps.[80]
[146] Le préjudice relevé par le juge découlant de la preuve perdue est l’idée que Delisle devra désormais composer avec la seule parole du pathologiste qui dit, dans sa nouvelle version, avoir « vu » la trajectoire du début à la fin et qu’il lui sera impossible de démontrer avec certitude le contraire[81]. Le juge considère que, sans la preuve perdue, personne ne pourra expliquer de façon certaine la trajectoire du projectile.
[147] De l’avis de la Cour, il s’agit d’une erreur. Plus fondamentalement, aucune partie dans le cadre d’un procès criminel n’est tenue à un tel fardeau de preuve. Par conséquent, l’impossibilité de démontrer avec certitude la trajectoire du projectile ne peut être, en soi, une atteinte irrémédiable au droit à une défense pleine et entière et elle ne peut pas devenir un motif pour arrêter les procédures.
[148] Le droit à l’arrêt des procédures exige une approche beaucoup plus nuancée concernant l’impact de la preuve perdue. La jurisprudence établit que l’arrêt des procédures n’est pas la réparation appropriée si l’accusé peut néanmoins présenter adéquatement les faits qui soutiennent sa défense.
[149] Dans l’arrêt Simard, le juge Kasirer, alors à notre Cour, reprend les propos de l’arrêt Bradford, et il explique que : « [a]ctual prejudice occurs when the accused is unable to put forward his or her defence due to the lost evidence and not simply that the loss of the evidence makes putting forward the position more difficult »[82]. Le juge devait aussi considérer le reste de la preuve dont disposait Delisle[83].
[150] Dans le présent dossier, il est frappant de constater que les experts ont réalisé leurs analyses et opinions à partir de la preuve, en dépit de la preuve perdue. Certes, ils déplorent la perte de la preuve et cela rend impossible toute tentative de prouver avec certitude la trajectoire du projectile, mais il demeure possible de présenter une preuve prépondérante selon laquelle la trajectoire n’est pas celle établie par le pathologiste Bourgault et le projectile a suivi une autre trajectoire.
[151] Le juge explique que sept pathologistes considèrent qu’il est hautement probable que Bourgault se soit mépris sur la trajectoire et cinq d’entre eux affirment que la trajectoire était probablement perpendiculaire et suivie d’un ricochet. Au risque de se répéter, le juge écrit :
[434] Le requérant sera toujours confronté au fait que le pathologiste B est la seule personne qui a pu observer le cerveau. Pis encore, lors de son nouveau procès, il sera confronté au fait que le pathologiste B affirme maintenant avoir vu la trajectoire du projectile dans le cerveau du début à la fin. Bien que les sept pathologistes consultés par le ministre de la Justice considèrent qu’il est hautement probable qu’il se soit mépris, et que cinq d’entre eux affirment que la trajectoire était probablement perpendiculaire suivie d’un ricochet, il lui sera impossible d’aller au-delà de ces hypothèses, faute par le pathologiste B d’avoir recueilli, conservé et documenté la preuve.
[152] Avec égards, le juge illustre que Delisle, dans le contexte d’une preuve d’experts, n’est pas privé de présenter une preuve contraire sur la trajectoire du projectile susceptible de soulever un doute raisonnable. Manifestement, la « défense », ou plus exactement, le « fait » que Delisle souhaite présenter, soit la méprise du pathologiste, peut être démontré par une preuve prépondérante malgré la preuve perdue.
[153] Correctement recadré, le préjudice invoqué consiste en l’impossibilité de démontrer un fait important, la trajectoire du projectile, selon une norme plus élevée que la prépondérance de preuve. Cela ne saurait justifier l’arrêt des procédures, qui est une réparation dans les rares cas où il y a une atteinte aux principes fondamentaux qui sous-tendent le sens de décence et de franc-jeu de la collectivité.
[154] À cet égard, bien que la négligence inacceptable du pathologiste Bourgault ait été établie, la preuve perdue n’est pas le résultat d’un geste destiné à contrecarrer les droits de Delisle, comme ce dernier l’a reconnu devant le juge gestionnaire.
[155] Comme notre Cour le rappelle, la trajectoire du projectile est certainement importante pour la « défense à l’accusation », mais l’évaluation de cette question doit considérer deux éléments problématiques repris plus haut aux paragraphes [43] à [45], soit la manipulation non conventionnelle de l’arme et l’explication sur la présence de la douille sur la table du salon.
[156] Il demeure que l’État a contrevenu au droit à une défense pleine et entière de Delisle en raison d’une négligence inacceptable. Cependant, le fait qu’il soit aujourd’hui privé de démontrer avec certitude la trajectoire du projectile ne justifie pas un arrêt des procédures.
[157] D’une part, cela mène à analyser une seconde erreur dans le jugement, concernant l’absence de réparation moins draconienne et, d’autre part, à déterminer la réparation « convenable et juste » en tenant compte de l’ensemble des circonstances.
La réparation moins draconienne
[158] D’emblée, il faut dire que le juge a eu raison de conclure que la suggestion du poursuivant voulant que le simple contre-interrogatoire du pathologiste soit une réparation appropriée était inadéquate. Dans un second procès, tous les témoins sont susceptibles d’avoir à expliquer des versions contradictoires, des omissions ou des demi-vérités. En l’espèce, la réparation vise à pallier l’impossibilité de fonder une expertise sur l’examen du cerveau de la victime ou même sur une documentation suffisante préparée lors de l’autopsie initiale, conforme à ce qui est attendu du travail d’un pathologiste judiciaire.
[159] Cela étant, et en guise de rappel, le juge gestionnaire affirme ensuite péremptoirement :
[428] Aucune directive ne pourra remédier à l’absence de ces éléments de preuve matérielle qui auraient dû et pu être facilement recueillis, conservés et documentés.
[160] Il faut s’empresser d’ajouter que le juge souligne avec raison que le poursuivant ne lui a jamais suggéré autre chose que le simple contre-interrogatoire du pathologiste comme réparation. De plus, en appel, à part proposer en rafale des mesures ou des mises en garde générales, il n’a jamais suggéré de directive équivalente à celle développée par la jurisprudence depuis au moins l’arrêt Bero[84], rendu en 2000.
[161] L’analyse des autres réparations possibles, mis à part l’arrêt des procédures, est une étape importante[85]. L’arrêt des procédures interpelle à la fois le pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la question et les exigences strictes établies par la jurisprudence.
[162] Dans l’arrêt Bero, la Cour d’appel de l’Ontario était aux prises avec une situation similaire et offrait une solution qui, à première vue, paraît indiquée à la situation de Delisle. Dans cette affaire, la destruction du véhicule impliqué dans l’accident à l’origine des accusations avait définitivement éliminé la possibilité pour Bero de démontrer que son passager était le conducteur. Le passager lui-même suggérait qu’il avait frappé le devant du véhicule. Par conséquent, une expertise de l’intérieur du véhicule, et notamment la présence de sang, aurait pu être utile à la défense. Le juge du procès avait limité le contre-interrogatoire qui touchait à la destruction du véhicule.
[163] Le juge Doherty a expliqué que le véhicule ne pouvait pas, selon les critères bien établis régissant l’obligation de la communication de la preuve, être autre chose que les fruits de l’enquête. Toutefois, puisque le véhicule avait été détruit, l’expertise était essentiellement motivée par une hypothèse qui pouvait, ou non, être confirmée. Face à cette difficulté, il a ajouté que le juge aurait dû autoriser Bero à présenter une preuve au jury pour démontrer que la poursuite avait failli à son obligation de préserver la preuve et pour expliquer l’utilité de cette preuve pour sa défense :
[49] An assessment of prejudice is problematic where, as in this case, the relevant information has been irretrievably lost. No one can say with any certainty whether an examination of the vehicle would have produced information helpful to the appellant in his defence. It may have done so, or it may have yielded information that confirmed the Crown’s case, or it may have produced information that supported neither the Crown nor the defence.
[…]
[52] I accept that, depending on the results of forensic tests of the interior of the vehicle, they could have assisted the appellant in the ways outlined by counsel. The fact remains, however, that these possible advantages to the defence were no more than realistic possibilities, and were no more likely than test results that were adverse to or neutral to the defence position.
[53] Counsel for the appellant also submits that there were no remedial steps short of a stay which could erase or even mitigate the prejudice caused to the appellant’s ability to make full answer and defence flowing from the failure to preserve the vehicle. He points out that Constable Sybydlo’s visual examination of the vehicle, which he contends is no substitute for forensic examination in any event, was admittedly a cursory one. Counsel also submits that the photographs to which the trial judge attached some significance were virtually valueless. Only two of those photographs showed parts of the interior of the vehicle and neither were detailed enough to provide any assistance to the trier of fact.
[54] I accept counsel’s observations on Constable Sybydlo’s evidence and the photographs. There was, however, another avenue open to the trial judge to minimize the prejudice caused to the appellant. The trial judge should have given the defence the opportunity to place before the jury evidence that the Crown had failed to preserve the vehicle as it was obliged to do, and evidence as to how forensic testing may have assisted in determining the identity of the driver. In my view, had the defence been allowed to make these points and to relate them to its position that the Crown had failed to discharge its burden of proof, the prejudice caused to the appellant would have been substantially reduced. This conclusion is best explored under the next ground of appeal.
[…]
[67] Where the failure to preserve evidence results in a breach of an accused’s s. 7 rights and where the defence has exercised reasonable diligence in attempting to preserve the evidence, I think the trial judge should also instruct the jury that the Crown was under an obligation to preserve the evidence and failed to do so, and that the defence cannot be faulted for not gaining access to the evidence before it was destroyed. These instructions would place the burden for the loss of the evidence on the Crown, where it belongs. These instructions may also help the jury assess the overall reliability of the investigative process which produced the evidence relied on by the Crown, and help the jury decide the significance, if any, of the absence of evidence that may have been available had the prosecution preserved all relevant evidence.
[164] Comme le souligne le juge Doherty, en définitive, il s’agit de faire comprendre au jury que la preuve est perdue par la faute du poursuivant alors qu’il avait l’obligation de la conserver; qu’on ne peut reprocher à l’accusé de ne pas y avoir eu accès; et que sa perte affecte la fiabilité de la preuve de la poursuite et peut soulever un doute raisonnable[86].
[165] En 2005, le juge Watt, tel était son titre, proposait dans son ouvrage désormais classique Watt's Manual of Criminal Jury Instructions une directive qui s’inspire de cette approche[87]. Elle figurait dans l’édition de 2015[88] et elle y est toujours dans la dernière[89]. La facture précise de cette directive n’est évidemment pas obligatoire; elle s’offre en exemple.
[166] Voici la directive suggérée par le juge Watt :
Final 43
Lost, Destroyed or Unpreserved Evidence
[1] In this case, there is evidence on which you can find that (generally describe affected evidence) has been lost (destroyed, not been preserved) by (describe relevant circumstances).
[2] You should consider first whether (generally describe affected evidence) has in fact been lost (destroyed, not been preserved). To decide this question, you should take into account all the circumstances surrounding the (generally describe affected evidence) and how it came to be lost (destroyed, unavailable). Take into account as well, any explanation given for the loss (destruction, unavailability) of this evidence.
[3] If you find that (generally describe affected evidence) has, in fact, been lost (destroyed, become unavailable) and that the explanation for its unavailability is inadequate, then you may find that this evidence would not support the case for the Crown. The Crown was under an obligation to preserve the (this) evidence and failed to do so. (NOA) cannot be faulted for not gaining access to the (this) evidence before it was destroyed. The effect that the unavailability of this evidence may have on the obligation of Crown counsel to prove the case against (NOA) beyond a reasonable doubt will be for you to say. [90]
[167] Des auteurs expliquent la directive au sud de la frontière[91] :
In the United States, a “spoliation” instruction is given where relevant evidence is destroyed by the state. The spoliation instruction is “a direction to the jury that it [may] infer from the State’s failure to preserve [evidence] that the evidence would have been adverse to the State.” State v. Vincik, 398 N.W.2d 788, 795 (Iowa S.C., 1987). The test for when the instruction is given varies from jurisdiction. See, for example, State v. Hartsfield, 681 N.W.2d 626, 630 (Iowa S.C., 2004); and Thorne v. Department of Public Safety, 774 P.2d 1326 (Alaska S.C. 1989).
[168] La directive pourrait également prendre la forme d’un énoncé des faits concernant la perte fautive – quoique non intentionnelle – de la preuve par la poursuite et son effet sur toute expertise voulant maintenant contredire celle du pathologiste.
[169] Dans tous les cas, il apparaît à la Cour qu’une telle directive semble appropriée si les circonstances demeurent les mêmes au procès.
[170] Ayant déterminé que l’arrêt des procédures n’est pas la réparation appropriée, en raison d’une erreur dans la détermination du préjudice, il n’est pas nécessaire, ici, de dicter une réparation qui, comme il est expliqué plus haut, pourra être envisagée à un moment approprié, au fur et à mesure de la preuve matérielle et des témoignages au procès ou encore à la fin de la preuve de la poursuite. Il n’est pas exclu que Delisle puisse, comme la Cour suprême l’a précisé, renouveler sa demande d’arrêt des procédures si les circonstances changent[92].
[171] Outre la détermination que Delisle a le droit à une réparation qui, dans la mesure où les circonstances ne changent pas, pourrait être minimalement une directive au jury, la Cour préfère laisser le juge et les parties déterminer la réparation appropriée ou encore, toute autre réparation qui sera susceptible de pallier la négligence inacceptable de l’État ayant mené à la disparition de la preuve.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[172] REJETTE la requête en rejet d’appel;
[173] ACCUEILLE l’appel;
[174] ANNULE l’arrêt des procédures prononcé en raison de la preuve perdue;
[175] RETOURNE le dossier à la Cour supérieure du Québec pour la continuation des procédures.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| GUY COURNOYER, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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Me François Godin Me Julien Beauchamp-Laliberté Me Olivier T. Raymond Me Andrej Skoko | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Jacques Larochelle | ||
JACQUES LAROCHELLE AVOCAT | ||
Pour l’intimé | ||
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Me Maxime Roy Me Ariane Gagnon-Rocque | ||
ROY & CHARBONNEAU AVOCATS | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 22 novembre 2022 | |
Date de délibéré : | 19 décembre 2022 | |
[1] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160.
[2] Delisle c. R., demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême rejetée, no 35491, [2013] 3 R.C.S. vii.
[3] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 138.
[4] Ce panel était co-présidé par le Dr Michael Pollanen et le Dr Tony Tessarolo, respectivement chef du Service de médecine légale de l’Ontario et directeur du Centre des sciences judiciaires de l’Ontario. Les autres membres étaient le Dr Thambirajah Balanchandra, médecin légiste en chef du Manitoba, le Dr Matthew Bowes, médecin légiste en chef de la Nouvelle-Écosse, Dean Dahlstrom, balisticien, et Christina Tellzyn, experte en criminalistique.
[5] Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416.
[6] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 444.
[7] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160.
[8] Pateras c. M.B., 1986 CanLII 3718 (C.A.Q.).
[9] Boucher v. The Queen, [1955] S.C.R. 16; R. c. McNeil, 2009 CSC 3, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 49.
[10] United States of America v. Fafalios, 2012 ONCA 365, par. 9, 10, 76 et 79.
[11] R. c. Kanya, 2019 QCCA 343, par. 13.
[12] Pateras c. M.B., 1986 CanLII 3718, par. 13 (C.A.Q.).
[13] R. c. Parent, 2021 QCCA 1898, par. 18; R. c. Subramanian, 2019 QCCA 1744, par. 10; R. c. Gagné, 2017 QCCA 788, par. 2.
[14] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 57 à 117.
[15] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, repris en grande partie dans la décision R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 118 à 129.
[16] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 92. Le juge note que l’expert, 4 ans plus tard, affirmera avoir vu cette trajectoire du début à la fin R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 93.
[17] Cette question serait aujourd’hui résolue puisque Delisle aurait admis avoir préparé l’arme : R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 171.
[18] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 147 et 149; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 125.
[19] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 150; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 126.
[20] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 146; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 81.
[21] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 149; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 125.
[22] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 152; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 126.
[23] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 155-156; repris à R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 128.
[24] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 28, 113, 149 et 161. La question de la manipulation dite « non conventionnelle » de l’arme est évoquée plusieurs fois par le juge : R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 97, 98, 101, 103, 121, 125.
[25] M.A. p. 1258. Il s’agit d’une actrice et la Cour a caché son visage.
[26] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 161.
[27] Delisle c. R., 2013 QCCA 952, par. 161.
[28] R c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 224.
[29] R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309.
[30] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 245-252.
[31] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 252 (références omises).
[32] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 294.
[33] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 285 et 290.
[34] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 55.
[35] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 338.
[36] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 340, voir aussi le par. 357.
[37] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 434.
[38] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 400-402, citant R. c. Cartier, 2015 QCCA 329, par. 81 et Simard c. R., 2015 QCCA 1266, par. 68.
[39] R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309.
[40] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 415, citant R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 40.
[41] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 423-428 (soulignements ajoutés).
[42] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 431, 439 et 440 (soulignements ajoutés).
[43] R. c. Witharanage, 2019 QCCA 1679.
[44] R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, 336; R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451; R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727; R. c. Taillefer; R. c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307, par. 64-65.
[45] R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 22-23; R. c. Gubbins, [2018] 3 R.C.S. 35, par. 21.
[46] Vachon c. R., 2012 QCCS 7209, par. 13-16; R c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 306.
[47] R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 par. 12 (les j. Sopinka et Lamer sont dissidents) par. 189 (j. Cory et Iacobucci) et par. 254 (le j. Major est dissident).
[48] R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 20.
[49] R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 17. Il existe d’autres exceptions au devoir de la communication de la preuve qui ne sont pas en cause dans le présent appel.
[50] R. c. Chaplin, [1995] 1 R.C.S. 727, par. 21-22; R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 18.
[51] R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, p. 339; Accurso c. R., 2022 QCCA 752, par. 288, note 65.
[52] R. c. Egger, [1993] 2 R.C.S. 451, p. 467; R. c. Taillefer; R. c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307, par. 59.
[53] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 20.
[54] R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, par. 37.
[55] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 22.
[56] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 22.
[57] R. v. Bero (2000), 151 CCC (3d) 545, par. 37-39 (C.A.O.).
[58] R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, par. 23.
[59] R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80, par. 35-36; R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 21-22.
[60] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 1, 23 et 25. Le juge cite aussi les arrêts R. c. Cartier, 2015 QCCA 329, par. 81; Simard c. R, 2015 QCCA 1266, par. 68.
[61] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, paragr. 21.
[62] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, paragr. 21.
[63] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, paragr. 340-341.
[64] Dans son exposé, il écrit : « [49] Le juge établit une obligation de recueillir, conserver, documenter et photographier tout ce qui est observé durant l’autopsie et pour permettre une révision objective par les pairs d’autre part. » (M.A. p. 9).
[65] Stephen T. Goudge (2008), Inquiry into Pediatric Forensic Pathology in Ontario, Report, Volume 3: Policy and Recommendations, Queen's Printer for Ontario, p. 392.
[66] R. c. Witharanage, 2019 QCCA 1679, par. 22; R. c. Darwish (2010), 252 C.C.C. (3d) 1, par. 29-31 (C.A.O.). Le ministère public ne peut ignorer les demandes sérieuses de la part de la défense : R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, par. 50.
[67] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 442 et 443 (références omises).
[68] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 27; R. c. Saskatchewan, 2018 ABCA 362, par. 7; R. c. Dulude (2004) 189 CCC (3d) 18, par. 9 (C.A.O.).
[69] R. v. Bero (2000), 151 CCC (3d) 545, par. 18 (C.A.O.); R. v. Girou, 2017 ABCA 426, par. 11-15; R. v. Henderson (2005), 189 C.C.C. (3d) 447, paragr. 39 (C.A.O.).
[70] R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, par. 100. Voir également R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 48.
[71] R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, par. 131.
[72] R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, par. 132 citant R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, 615.
[73] Vancouver (Ville) c. Ward, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 17-19; R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 18‑19.
[74] R. c. Hersi, 2019 ONCA 94, par. 36.
[75] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 23.
[76] R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 78, repris dans R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 23.
[77] R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 82, repris dans R. c. Babos, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 31.
[78] R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 81 (j. L’Heureux-Dubé, pour la majorité sur ce point), repris dans R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 22.
[79] R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, par. 22.
[80] R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 56 et 425-431 (références omises; soulignements ajoutés).
[81] La preuve autorisait le juge à conclure que cela aurait été possible : R. c. Delisle, 2022 QCCS 1160, par. 29, 143-144, 357.
[82] Simard c. R., 2015 QCCA 1266, par. 91; R. c. Bradford. (2001) 151 CCC (3d) 363, par. 8; R. c. Girou, 2017 ABCA 426, par. 17; R. c. Hersi, 2019 ONCA 94, par. 36; R. c. Abedi, 2017 ONCA 724, par. 5; R. c. Svekla (2011), 265 C.C.C. (3d) 461, par. 22, 31-33 (C.A.A.).
[83] R. v. Khan, 2022 ONCA 698, par. 83.
[84] R. v. Bero (2000), 151 CCC (3d) 545, par. 54. Notre Cour, dans l’arrêt Simard c. R., 2015 QCCA 1266, au par. 93, en note de bas de page, même si le contexte ne le requérait pas, a mentionné la possibilité d’appliquer cette réparation dans les cas appropriés. Voir également R. c. Hersi, 2019 ONCA 94, par. 35-39.
[85] Selon la deuxième étape du test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie dans l’arrêt R. c. Babos, 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 32 : « [i]l ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte » et par. 39. Voir aussi R. c. Tshiamala, 2011 QCCA 439, par. 135-136.
[86] Depuis et récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a clairement approuvé qu’une directive sur la « preuve perdue » est une autre réparation adéquate selon les circonstances : R. c. Janeiro, 2022 ONCA 118, par. 125-126; R. c. Abreha, 2019 ONCA 392, par. 12-14; R. c. Hersi, 2019 ONCA 94, par. 35-39.
[87] David WATT (2005), Watt's Manual of Criminal Jury Instructions, Thomson Canada Limited, p. 240.
[88] David WATT (2015), Watt's Manual of Criminal Jury Instructions 2nd ed., Toronto: Carswell, p. 432.
[89] David WATT (2023), Watt's Manual of Criminal Jury Instructions 3rd ed., Toronto: Carswell, p. 432.
[90] David WATT (2023), Watt's Manual of Criminal Jury Instructions 3rd ed., Toronto: Carswell, p. 432. Cela dit, la directive proposée par l’auteur invite le jury à trancher les questions portant sur la pertinence, l’obligation de conservation et le contexte entourant de la perte. Or, ces questions concernent aussi l’existence de la violation, décidée par le juge, qui commande la réparation. La Cour n’ayant pas eu un éclairage complet sur cet aspect, elle n’exprime aucun avis sur l’à-propos d’inclure ces éléments dans la directive.
[91] S. Casey HILL, David M. TANOVICH, Louis P. STREZOS, McWilliams’ Canadian Criminal Evidence, 5th Edition, § 33:2, note de bas de page 7 (version électronique; consulté le 4 septembre 2023).
[92] R. c. La, [1997] 2 R.C.S. 680, par. 28; R. c. R.V., [2019] 3 R.C.S. 237, par. 74.
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