DÉCISION
[1] Le 31 août 2001, monsieur Claude Doré (le travailleur) dépose une requête en révision de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 25 juillet 2001.
[2] Cette décision de la Commission des lésions professionnelles confirme une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 novembre 2000 à l’effet de refuser la réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle du 28 janvier2000.
[3] Le travailleur avait également contesté une décision de la CSST du 20 janvier 2000, portant sur sa capacité à exercer l’emploi convenable, à temps plein, à compter du 9 janvier 2000. Le travailleur s’est cependant désisté de sa contestation lors de la première audience, soit le 9 mai 2001.
[4] Le travailleur est présent et représenté à l’audience alors que les employeurs, Autobus Trans-Nord Ltée et Réusinage Lamco inc. n’y sont pas présents et qu’ils n’y sont pas représentés.
[5] La CSST est intervenue dans ce dossier et elle est représentée à l’audience.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 25 juillet 2001, d’infirmer la décision de la CSST du 14 novembre 2000 et de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 28 janvier 2000.
[7] Le travailleur invoque que la décision de la Commission des lésions professionnelles est entachée d’un vice de fond. Il reproche au commissaire d’avoir commis des erreurs de droit et de faits manifestes et déterminantes, équivalant à un déni de justice.
[8] Les arguments au soutien de sa requête sont décrits dans le document qu’il a transmis à la Commission des lésions professionnelles le 31 août 2001[1] comme suit :
« (…)
97. Le travailleur demande la révision de la décision rendue le 25 juillet 2001 portant sur le refus de reconnaître sa lésion professionnelle du 28 janvier 2000 puisque celle-ci est entachée de vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider, notamment et sans limiter la généralité de ce qui précède, en ce que :
a) Lorsque la Commission des lésions professionnelles examine si le travailleur a été victime d’un accident du travail, elle a commis une erreur manifestement déraisonnable en omettant ou négligeant d’analyser l’application de l’article 28 de la Loi alors que tous et chacun des critères au dossier s’y trouvaient :
i. Il a été mis en preuve que la douleur et la blessure sont apparus au travail alors que le travailleur faisait son travail; (paragraphe 22)
ii. Le travailleur a consulté le même jour le docteur Jacques, laquelle a posé le diagnostic d’entorse cervico-dorso-lombaire (paragraphe 15);
iii. Le diagnostic d’entorse cervico-dorso-lombaire est une blessure au sens de la Loi et reconnu par la jurisprudence de la CALP et de la CLP (parg. 15). La Commission des lésions professionnelles était liée par ce diagnostic en vertu de l’article 224 de la Loi;
iv. Aucune preuve n’a été faite lors de l’audition pour renverser la présomption de l’article 28 de la Loi, soit l’absence d’un événement imprévu et soudain, la présence d’une condition personnelle, l’absence de relation entre l’accident et la blessure alors que ce fardeau appartenait aux intéressés et/ou à l’intervenante;
v. La Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifestement déraisonnable en exigeant du requérant qu’il fasse la preuve d’un accident du travail précis et établi, un événement imprévu et soudain et le lien de causalité entre cette blessure et cet événement alors que la présomption de l’article 28 de la Loi vise justement à diminuer ce fardeau de preuve pour le travailleur quant à tous ces critères;
vi. La Commission des lésions professionnelles ne pouvait pas se dégager d’analyser l’existence et l’application de la présomption de l’art. 28 de la Loi pour le motif que la réclamation initiale ne parlait pas d’accident de travail mais plutôt d’une rechute, récidive ou aggravation, et ce faisant, elle a commis une erreur manifestement déraisonnable;
b) Lorsque la Commission des lésions professionnelles retient qu’au moment de l’accident de travail, le travailleur faisait son travail habituel depuis 1994 (paragraphe 24 & 30), l’événement initial date du mois d’octobre 1991 et consistait en une entorse lombaire (sur discopathie) (paragraphe 34), le travailleur occupait un emploi cinq jours par semaine jusqu’au début de l’an 2000 (paragraphe 24);
i. Elle commet une erreur manifestement déraisonnable en dénaturant toute la preuve documentaire constituée au dossier du travailleur ainsi que son témoignage lors de l’audition;
ii. Le travailleur a témoigné à l’audition à l’effet que lors de l’événement du 20 janvier 2000, il ne faisait pas son travail habituel mais était au travail dans le cadre d’un retour progressif suite à plusieurs rechutes;
iii. La CSST a rendu une décision à cet effet le 9 novembre 1999 et le 20 janvier 2000;
iv. Le travailleur a été victime d’une rechute, récidive ou aggravation, le 6 octobre 1996 en relation avec la lésion professionnelle du 15 octobre 1991 concernant un diagnostic de lombosciatalgie gauche, laquelle fût acceptée par la CSST dans une décision du 14 novembre 1996;
v. La preuve médicale au dossier démontre, suite à la rechute du mois d’octobre 1996, que le travailleur est retourné au travail deux avant-midi par semaine et, à partir du mois d’avril 997 jusqu’au mois de février 1999, il travaillait trois jours par semaine;
vi. La preuve médicale au dossier démontre, suite à l’événement initiale du mois d’octobre 1991, que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 14 février 1992, le 6 octobre 1996, le 16 juillet 1998, le 17 août 1998, le 27 mars 1999 ainsi que le 28 novembre 1999;
c) Lorsque la Commission des lésions professionnelles examine la notion de rechute, récidive ou aggravation en relation avec la preuve, elle commet une erreur manifestement déraisonnable en analysant uniquement la notion d’aggravation;
i.La Commission des lésions professionnelles examine seulement l’événement initial du mois d’octobre 1991 qui consistait en une entorse lombaire (sur discopathie) sans examiner les différentes autres récidives, rechutes ou aggravations survenues jusqu’en l’an 2000;
ii.La Commission des lésions professionnelles note qu’à part les douleurs, rien n’est objectivé du côté lombaire et mentionne que le docteur Jacques parle d’une lombosciatalgie habituelle alors que depuis 1991, l’ensemble des médecins intervenus au dossier ont posé le diagnostic de lombosciatalgie gauche;
iii.La Commission des lésions professionnelles retient que la condition du travailleur n’a pas entraîné d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles supplémentaires alors que les docteurs Jacques et Lemieux, recommandent un travail de trois jours par semaine suite à la consolidation de la lésion du 28 janvier 2000;
iv.La Commission des lésions professionnelles retient uniquement que l’expertise du docteur Lemieux en mars 2001 est comparable à celle du docteur Bouthillier en octobre 1998 et que l’atteinte permanente et limitations fonctionnelles sont les mêmes, donc, la condition du travailleur n’a pas changée de façon générale entre 1998 et 2001;
v.La Commission des lésions professionnelles reconnaît que le requérant ressent certaines douleurs mais mentionne qu’il est possible qu’elles soient causées par sa discopathie ou sa dégénérescence déjà établie, alors qu’il n’y a aucune preuve à cet effet au dossier;
vi.La Commission des lésions professionnelles doit analyser les notions de récidive et de rechute et non seulement d’aggravation comme elle le fait dans sa décision du 25 juillet 2001;
vii.La Commission des lésions professionnelles a commis une erreur manifestement déraisonnable en ne disposant pas de la semaine de travail du requérant alors que cette décision (R-101519379-00001) faisait l’objet de la contestation produite le 22 décembre 2000 à l’encontre de la décision de la Direction de la révision administrative rendue le 14 novembre 2000;
(…) » (sic)
[9] À l’audience de la requête en révision, le procureur du travailleur retire son dernier argument, soit que le commissaire a omis de disposer de la contestation du travailleur du 22 décembre 2000, puisqu’il s’en était désisté lors de la première audience.
LES FAITS
[10] Pour une meilleure compréhension du dossier, il convient de rappeler quelques faits.
[11] Le 7 novembre 1991, le travailleur soumet une réclamation à la CSST, pour une rechute, récidive ou aggravation d’un accident qu’il avait subi le 11 septembre 1987. Sa réclamation est acceptée, à titre d’un nouvel événement survenu le 15 octobre 1991. Les circonstances en sont les suivantes :
« (…)
R est mécanicien en suspension (mot illisible), a débuté sa journée à 5 h 30 le matin (autobus scolaire), a travaillé après des ressorts qui pèsent 100 lbs chaque. En forçant pour embarquer le ressort sur l’essieu avant, a senti une douleur bas du dos, et en se penchant pour ramasser des u-bolt, a barré, il était 8 h 30 le matin, a averti son employeur, Michel Daoust et a consulté, a une douleur à jambe gauche. » [2]
[12] À l’époque pertinente, le travailleur occupe un emploi de mécanicien chez l’employeur, depuis six ans. Il est âgé de quarante-deux ans.
[13] Le travailleur consulte le docteur Gilles Aubin qui diagnostique une entorse lombaire aiguë et une lombosciatalgie. Il initie un traitement conservateur.
[14] Le docteur José L. Ramirez-Belmonte, que le travailleur consulte le 10 décembre 1991 à la demande du docteur Aubin, conclut à la présence d’une radiculite S1 gauche « par vraisemblable hernie discale ». Il considère que cette pathologie est en voie de guérison. Le 10 janvier 1992, il autorise un retour au travail le 13 janvier 1992, tout en précisant que monsieur Doré doit éviter de faire des efforts.
[15] Le travailleur connaît une rechute, récidive ou aggravation de son état le 14 février 1992. Il est soigné pour une entorse lombaire. Il reçoit des traitements de chiropraxie et de physiothérapie, de même que des infiltrations et des blocs facettaires.
[16] Le travailleur subit également des examens à la demande du docteur Aubin. Les résultats en sont les suivants :
- tomodensitométrie axiale lombaire du 5 juin 1992 : « Minime hernie postéro - latérale droite au niveau L4-L5 et disque cicatriciel au niveau L5-S1. »;
- myélographie du 6 juillet 1992: « Présence d’un bombement discal central plutôt discret au niveau L4-L5 avec bon remplissage de l’ensemble des gaines radiculaires. Rien d’autre à signaler. ».
[17] L’état du travailleur est consolidé par le docteur Richard Lambert le 19 novembre 1992, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[18] À la suite d’un examen par un membre du Bureau d'évaluation médicale, la CSST attribue au travailleur une atteinte permanente de 2,2 % et des limitations fonctionnelles consistant à éviter :
- de soulever, pousser ou tirer plus de 10 kg;
- d’effectuer des mouvements répétitifs avec le rachis lombo-sacré;
- de travailler de façon continue en flexion antérieure.
[19] Le travailleur est admis en réadaptation[3]. Un emploi convenable de réparateur d’alternateurs, de démarreurs et de génératrieces est identifié. Une formation est prévue qui doit avoir lieu du 25 mai 1993 au 16 juillet 1993.
[20] Le travailleur connaît une rechute, récidive ou aggravation de son état le 31 juillet 1993, alors qu’il ressent des douleurs « en se tournant dans son lit »[4]. La réclamation qu’il soumet à la CSST est refusée.
[21] Le travailleur subit une nouvelle tomodensitométrie axiale le 20 août 1993, dont les résultats se comparent à ceux de l’examen précédent, selon la docteure Christine Lupien, radiologiste.
[22] Le travailleur est jugé capable d’exercer son emploi convenable à compter du 20 février 1994[5]. Il occupe un emploi là où il a effectué son stage de formation.
[23] Le travailleur soumet une réclamation pour une rechute, récidive ou aggravation survenue le 27 septembre 1996[6]. Il présente une lombsciatalgie gauche aiguë. Il est en mesure de reprendre son travail de façon progressive, à compter du 2 décembre 1998. Ses séquelles permanentes n’ont pas été aggravées par cette lésion.
[24] Le 31 mars 1998, le docteur Aubin complète un formulaire « Information médicale complémentaire écrite », à la demande de la CSST. Il y mentionne que monsieur Doré travaille toujours à raison de trois jours par semaine. Il suggère une consultation auprès du docteur Bouthillier pour une nouvelle évaluation de l’atteinte permanente.
[25] Le 20 juillet 1998, le docteur Aubin fait mention d’une aggravation de l’état du travailleur survenue le 16 juillet 1998. Il prescrit un nouvel arrêt de travail.
[26] Le docteur Bouthillier voit le travailleur le 17 août 1998. Il juge qu’il n’y a pas matière à réviser le déficit anatomo-physiologique.
[27] Dans un rapport d'évaluation médicale du 19 octobre 1998, le docteur Bouthillier suggère une reprise du travail, à raison de trois jours par semaine, de façon permanente. Il croit que le travailleur sera ainsi en mesure d’éviter de nouvelles rechutes, récidives ou aggravations. À la demande de la CSST, il retire cette recommandation dans un document intitulé « Information médicale complémentaire écrite » qu’il complète en février 1999. Il ajoute cependant certaines restrictions, soit celles consistant à:
- éviter la flexion prolongée du tronc ou la flexion répétée;
- éviter la position debout ou assise prolongée pour plus d’une heure, sans changer de position.
[28] Le travailleur connaît un nouvel arrêt de travail au cours de la période du 27 mars 1999 au 13 avril 1999[7]. Il est traité pour une entorse lombaire. Cette lésion est consolidée par le docteur Laurent Jacob, dans un rapport final du 20 décembre 1999. Aucune atteinte permanente ou limitation fonctionnelle ne lui est attribuée en conséquence de cette rechute, récidive ou aggravation.
[29] Entre-temps, soit le 9 novembre 1999, la CSST avait décidé que le travailleur était redevenu capable d’occuper son emploi convenable, à temps plein, à compter du 8 novembre 1999. Elle autorisait cependant un retour progressif, à raison de trois jours par semaine, pour la période du 8 novembre 1999 au 17 décembre 1999, puis jusqu’au 9 janvier 2000[8]. Le travailleur qui avait contesté la décision de la CSST mettant fin à son retour au travail progressif, s’est désisté de sa contestation lors de l’audience du 9 mai 2001. De fait, il est retourné au travail, à temps plein, durant la période du 9 janvier 2000 au 28 janvier 2000, date où il soumet une nouvelle réclamation.
[30] Le 28 janvier 2000, monsieur Doré consulte la docteure Jacques. Elle diagnostique une « entorse cervico-dorso-lombaire » et prescrit un arrêt de travail.
[31] Le 16 février 2000, le travailleur soumet une réclamation à la CSST pour une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 15 octobre 1991, survenue le 28 janvier 2000, dans des circonstances ainsi décrites :
« Je démontais des étriers de freins (autobus scolaire) sur une table et puis en la plaçant dans la machine pour lavage, j’ai ressenti une forte douleur dans le bas du dos et vers le haut et la hanche gauche, arrêt 11 am, consulter le médecin et le chiro le même jour. » (sic)
[32] Son employeur a été avisé de la survenance de l’accident, le jour même, tel que noté à « Avis de l'employeur et demande de remboursement » du 14 février 2000.
[33] Le travailleur reçoit un traitement conservateur. Il est jugé apte à retourner à son travail, à raison de trois jours par semaine, à compter du 4 février 2000. Sa lésion est consolidée le 3 mars 2000, sans nouvelle atteinte permanente mais avec de nouvelles limitations fonctionnelles. Il est de nouveau référé auprès du docteur Bouthillier qui le voit le 17 avril 2000. Il lui prescrit une médication anti-inflammatoire, le port d’un corset et l’utilisation d’un neuro-stimulateur.
[34] La réclamation pour la rechute, récidive ou aggravation du 28 janvier 2000 est refusée par la CSST, au motif que le travailleur n’a pas connu de détérioration objective de son état.
[35] Le travailleur conteste cette décision qui est maintenue en révision administrative. Le réviseur décide que monsieur Doré n’a pas subi une lésion professionnelle le 28 janvier 2000, que ce soit à titre d’accident du travail ou de rechute, récidive ou aggravation. Il détermine également que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi, ne peut s’appliquer à la réclamation du travailleur. Le travailleur conteste cette décision auprès de la Commission des lésions professionnelles qui confirme la décision de la CSST. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente requête en révision.
L'AVIS DES MEMBRES
[36] Conformément à la loi, la commissaire soussignée a reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs, sur les questions qui font l’objet de la présente requête en révision.
[37] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête en révision doit être accueillie. Le commissaire était saisi d’une contestation portant sur une décision de la CSST qui refusait la réclamation du travailleur pour une lésion professionnelle survenue le 28 janvier 2000. Il devait donc évaluer si la présomption de lésion professionnelle s’applique au cas de monsieur Doré. Si tel n’était pas le cas, il devait examiner si le travailleur a subi un accident du travail ou une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 15 octobre 1991. Il est d’avis que le seul fait de conclure que la condition du travailleur ne s’est pas détériorée depuis 1998, ne constitue pas un motif justifiant le refus de la rechute, récidive ou aggravation.
[38] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le commissaire a commis une erreur déterminante en omettant de décider de l’application de la présomption de lésion professionnelle, alors qu’il était en présence d’un diagnostic d’entorse cervicale, d’entorse dorsale et d’entorse lombaire.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[39] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[40] L’article 429.49 de la loi établit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et que toute personne visée doit s’y conformer sans délai :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[41] Par ailleurs, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans des cas qui y sont expressément prévus :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[42] Le recours en révision ou en révocation n’est possible que dans les circonstances prévues à l’article 429.56 et ne peut, en aucun cas, constituer un second appel ou un appel déguisé.
[43] La présente requête est soumise en vertu du paragraphe 3º de l’article 429.56 de la loi. Le travailleur invoque l’existence d’un vice de fond de nature à invalider la décision.
[44] Les termes « vice de fond » ne sont pas définis dans la loi. La jurisprudence[9] de la Commission des lésions professionnelles a retenu, toutefois, que l’expression « vice de fond…de nature à invalider la décision » réfère à une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige. Selon le travailleur, la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles comporte des erreurs de cette nature.
[45] Le tribunal partage cet avis, pour les motifs qui suivent.
[46] Précisons d’abord que le premier commissaire était saisi d’une requête à l’encontre d’une décision de la CSST, rendue à la suite d’une révision administrative. Le réviseur ne s’est pas limité à examiner la réclamation sous l’angle d’une rechute, récidive ou aggravation comme le réclamait le travailleur. Il a également décidé que le travailleur n’a pas subi un accident du travail et que la présomption de lésion professionnelle ne s’applique pas.
[47] Le premier commissaire adopte la même attitude alors qu’au paragraphe 4 de la décision, il précise que le travailleur demande que sa réclamation soit acceptée à titre d’un nouvel accident du travail ou, de façon subsidiaire, à titre de rechute, récidive ou aggravation de ses lésions antérieures. Au paragraphe 28 de sa décision, il identifie la question dont il est saisi, comme suit : « La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 28 janvier 2000. »
[48] Le commissaire détermine que le travailleur n’a pas subi un accident du travail. Il s’en explique au paragraphe 30 de la décision. La décision qu’il rend à ce sujet ne comporte pas d’erreur.
[49] Le commissaire déclare également que le travailleur n’a pas subi le 28 janvier 2000 une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 15 octobre 1991. Pour en venir à cette conclusion, il analyse certains des critères retenus par la jurisprudence en matière de rechute, récidive ou aggravation (paragraphes 33 à 36). Il conclut que la preuve prépondérante ne milite pas en faveur de l’acceptation de la réclamation à titre de rechute, récidive ou aggravation.
[50] Ce faisant, il apprécie la preuve qui lui est soumise et rend une décision à l’intérieur de sa compétence. Il n’y a pas là matière à révision.
[51] Cependant, force est de constater que le commissaire a omis de traiter de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi. On ignore si une telle demande lui a été formulée lors de l’audience. Le commissaire n’en fait pas mention dans sa décision. Il est impossible de le vérifier autrement puisque l’enregistrement de l’audience est inaudible.
[52] Il n’en demeure pas moins que le commissaire avait l’obligation de décider, dans un premier temps, si le travailleur pouvait bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
________
1985, c. 6, a. 28.
[53] Or, rien au dossier ne démontre qu’une telle analyse a été faite, même de façon implicite. Ainsi, le commissaire ne procède pas à l’analyse des éléments dont on tient habituellement compte en matière de présomption de lésion professionnelle.
[54] Pourtant, il disposait d’une preuve qui lui permettait d’appliquer la présomption.
[55] En effet, le diagnostic établi par le médecin qui a charge, lequel n’est pas contesté, est celui d’entorse cervico-dorso-lombaire. Il s’agit d’un diagnostic qui constitue une blessure, tel que le reconnaissent les instances de façon quasi unanime. C’est d’ailleurs le diagnostic que le commissaire retient, tel que mentionné au paragraphe 35 de la décision.
[56] Nulle part à la décision, le commissaire ne conclut que l’entorse ne constitue pas une blessure.
[57] D’autre part, le travailleur a témoigné que ses douleurs, sous forme de points, se sont manifestées alors qu’il était en train d’exécuter son travail (paragraphe 22 de la décision).
[58] L’employeur a été avisé de la situation de façon immédiate, tel que noté à l’« Avis de l'employeur et demande de remboursement » du 14 février 2000. Monsieur Doré a consulté la docteure Jacques le même jour.
[59] Le témoignage du travailleur n’a pas été contredit, selon ce qui est rapporté à la décision.
[60] La CSST n’a soumis aucune preuve permettant de renverser la présomption de lésion professionnelle. Ainsi, elle n’a pas établi qu’il y a absence de relation entre la blessure et les gestes que le travailleur a exécutés le 28 janvier 2000. La seule opinion médicale qu’elle a fournie, soit celle de membre de son bureau médical en date du 14 avril 2000, est à l’effet qu’il n’y a pas eu de rechute, récidive ou aggravation.
[61] Si le commissaire jugeait que l’absence d’un événement imprévu et soudain constituait un motif de renversement de la présomption de lésion professionnelle, il devait le dire précisément. Or, il n’y a rien de tel dans la décision rendue.
[62] En agissant comme il l’a fait, le commissaire a imposé au travailleur un fardeau de preuve qui, dans les circonstances du présent dossier, incombait plutôt à l’employeur ou à la CSST.
[63] Ce faisant, il a omis d’appliquer une règle de droit et a commis une erreur qui justifie que la décision rendue soit révisée, comme en a déjà décidé la Commission des lésions professionnelles dans un cas semblable[10].
[64] Par ailleurs, il ressort de l’ensemble de la preuve au dossier et du témoignage du travailleur tel que rapporté par le commissaire, qu’une lésion professionnelle est survenue le 28 janvier 2000, conformément à l’article 28 de la loi. Le tout tel que précédemment démontré.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Claude Doré;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 25 juillet 2001;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 28 janvier 2000.
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Me Micheline Bélanger |
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Commissaire |
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LAPORTE ET LAVALLÉE (Me André Laporte) |
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Représentant du travailleur |
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PANNETON, LESSARD (Me Isabelle Piché)
Représentante de la partie intervenante |
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[1] Ce document a fait l’objet de corrections mineures, notamment au paragraphe 97 alors que le mot forme est remplacé par le mot fond
[2] Selon la description que monsieur Doré a faite à un agent de la CSST le 26 novembre 1996
[3] Voir décision de la CSST du 25 janvier 1993
[4] Tel que décrit à l’agent de la CSST le 3 août 1993
[5] Décision de la CSST du 24 février 1994
[6] La décision de la CSST est à l’effet que la rechute, récidive ou aggravation est survenue le 6 octobre 1996
[7] Selon un rapport médical complété par la docteure Nicole Jacques le 5 avril 1999
[8] Décision de la CSST du 20 janvier 2000
[9] Produits forestiers Donohue inc et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[10] Monique Côté et Interballast, 129696-62B-0001, 19 décembre 2000, G. Godin
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.