Décision

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Turcot c. Commission des relations du travail

2014 QCCS 5580

JG1116

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-080326-138

 

 

 

DATE :

21 NOVEMBRE 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIELLE GRENIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

BRIGITTE TURCOT

MARTIN ROY

Requérants

c.

COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL

Défenderesse

 

9256-0929 QUÉBEC INC.

PSB BOISJOLI INC.

Mises en cause

 

MNP LTÉE

Mise en cause en reprise d’instance

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

LES FAITS

[1]           Le 17 janvier 2013, les requérants déposent à la Commission des relations de travail (CRT) une requête en continuité d’entreprise fondée sur l’article 118 du Code du travail[1] (CT) et sur les articles 96 et 97 de la Loi sur les normes du travail[2] (LNT).

[2]           Dans cette requête, les requérants demandent à la CRT de déclarer que la mise en cause, 9256-0929 Québec inc. (9256), continue les activités de 9188-8206 Québec inc. (9188) et qu’elle est solidairement responsable du paiement d’un jugement rendu le 9 mars 2011 par la CRT.

[3]           La requête des requérants en continuité d’entreprise est donc la suite logique d’une série de procédures qui débutent le 11 février et le 4 mars 2008 lorsque les requérants déposent respectivement à la CRT une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 LNT).

[4]           Les plaintes des requérants sont réunies pour enquête et audition et sont accueillies le 16 juin 2010.

[5]           Le 23 août 2010, la Cour supérieure nomme PSB Boisjoli inc. (PSB) séquestre intérimaire pour administrer les biens de 9188.

[6]           Le 9 mars 2011, la CRT ordonne à 9188 de verser respectivement aux requérants les sommes de 26 463,89 $ et de 156 843,56 $. Le syndic ne comparaît pas et est absent.

[7]           Le 29 mars 2011, la Cour supérieure nomme PSB (depuis remplacée par le séquestre substitué MNP ltée) séquestre des biens de 9188, y inclut l’immeuble (art. 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité).

[8]           Le 2 mai 2012, la Cour supérieure autorise PSB à vendre l’immeuble.

[9]           Le 30 mai 2012, la vente est conclue entre le séquestre PSB et 9256.

[10]        Le 17 janvier 2013, les requérants déposent leur requête en continuité d’entreprise.

[11]        Le 7 mai 2013, 9256 met PSB en demeure de prendre fait et cause pour elle. Elle soutient, notamment, que la réclamation des requérants était connue du séquestre avant la vente de l’entreprise.

[12]        Le 15 mai 2013, PSB décline toute responsabilité et le 7 juin 2013, elle annonce son intention de s’opposer à sa mise en cause devant la CRT.

[13]        Le 12 juin 2013, la CRT écrit aux parties et soulève la question suivante : la CRT est-elle compétente pour entendre et disposer d’une requête en continuité d’entreprise s’appuyant sur les articles 96 et 97 de la LNT après qu’elle eût décidé des plaintes en congédiement sans cause juste et suffisante et de la requête en fixation de quantum?

[14]        Le 25 novembre 2013, la CRT décline compétence, se déclare functus officio quant aux plaintes originales des requérants et juge n’avoir aucune compétence pour se saisir directement d’une requête s’appuyant sur les articles 96 et 97 de la LNT.

 

POSITION DES PARTIES

            LES REQUÉRANTS

[15]        La décision de la CRT équivaut à un refus d’accomplir un devoir que la loi lui impose. Elle a erré en se disant sans compétence pour entendre la requête en continuité d’entreprise que lui présentait les requérants.

[16]        La CRT a fait complètement abstraction de l’article 118 du Code du travail, disposition spécifiquement plaidée par les requérants et qui est au cœur même du litige.

[17]        Elle s’est contentée de vérifier sa compétence au regard des articles 96 et 97 de la LNT alors que les requérants admettent d’emblée que ces dispositions ne créent pas de recours autonome, mais s’inscrivent plutôt dans un processus décisionnel complet. Elles sont complémentaires et supplétives.

            9256-0929 QUÉBEC INC.

[18]        La CRT a une compétence limitée pour l’application de la LNT.

[19]        La LNT n’attribue à la CRT aucune compétence pour décider d’une demande fondée sur une vente ou concession d’entreprise.

[20]        À compter de sa décision finale du 9 mars 2011 qui accordait une indemnité aux requérants, la CRT était functus officio.

[21]        Le recours des requérants est un nouveau recours fondé sur des faits postérieurs et contre une nouvelle partie.

[22]        Une demande visant à faire reconnaître une continuité d’entreprise ne peut être considérée comme un accessoire d’une demande pour congédiement sans cause juste et suffisante que si l’instance n’est pas close.

[23]        Le mandamus n’est pas le recours approprié.

            MNP LTÉE

[24]        Les requérants étaient au courant du fait qu’un séquestre avait été nommé afin de gérer les actifs de 9188, et ce, avant la décision rendue par la CRT le 9 mars 2011.

[25]        Le séquestre n’est pas visé par les décisions antérieures de la CRT.

[26]        Les requérants n’ont pas demandé à la CRT de réserver sa compétence à l’égard d’un acquéreur éventuel.

[27]        La décision de la CRT est bien fondée.

[28]        Les requérants ne peuvent utiliser l’article 118 du Code du travail pour faire exécuter le jugement du 9 mai 2011.

[29]        La CRT est functus officio.

[30]        Le mandamus est un recours discrétionnaire. Les agissements des requérants et les délais encourus doivent être pris en considération, le cas échéant.

ANALYSE

[31]        Invoquant l’article 114 du CT ainsi que son Annexe I, la CRT a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour se saisir d’une demande fondée sur les articles 96 et 97 de la LNT. Ces dispositions législatives se lisent ainsi :

Code du travail

114. La Commission est chargée d'assurer l'application diligente et efficace du présent code et d'exercer les autres fonctions que celui-ci et toute autre loi lui attribuent.

Sauf pour l'application des dispositions prévues au chapitre IX, la Commission connaît et dispose, à l'exclusion de tout tribunal, d'une plainte alléguant une contravention au présent code, de tout recours formé en application des dispositions du présent code ou d'une autre loi et de toute demande qui lui est faite conformément au présent code ou à une autre loi. Les recours formés devant la Commission en application d'une autre loi sont énumérés à l'annexe I.

À ces fins, la Commission exerce les fonctions, pouvoirs et devoirs qui lui sont attribués par le présent code et par toute autre loi.

ANNEXE I

RECOURS FORMÉS EN VERTU D’AUTRES LOIS

En plus des recours formés en vertu du présent code, la Commission connaît et dispose des recours formés en vertu :

[…]

15° des articles 86.1, 123.4, 123.9, 123.12 et 126 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1);

Loi sur les normes du travail

96. L'aliénation ou la concession totale ou partielle d'une entreprise n'invalide aucune réclamation civile qui découle de l'application de la présente loi ou d'un règlement et qui n'est pas payée au moment de cette aliénation ou concession. L'ancien employeur et le nouveau sont liés solidairement à l'égard d'une telle réclamation.

97. L'aliénation ou la concession totale ou partielle de l'entreprise, la modification de sa structure juridique, notamment, par fusion, division ou autrement n'affecte pas la continuité de l'application des normes du travail.

[32]        La CRT a estimé que le « seul fait qu’une plainte soit accueillie par la Commission ne lui confère aucunement la compétence de décider de tout recours ultérieur concernant l’exécution de sa décision »[3].

[33]        La CRT a également statué que sa compétence était épuisée à la suite des décisions qu’elle a rendues, la première le 16 juin 2010 qui accueille les plaintes pour congédiement sans cause juste et suffisante et l’autre, le 9 mars 2011, qui détermine les mesures de réparation. Elle écrit :

[…] La requête ne vise donc pas à compléter ou à préciser le dispositif de la décision, elle vise à le modifier en identifiant un nouvel intimé qui ne pouvait l’être au moment où la décision a été rendue. Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’un recours visant à faire exécuter la décision et mettant en cause 9256-0929 Québec inc. n’est pas recevable devant une autre instance, mais dans les circonstances, la Commission ne peut en être saisie.[4]

[34]        Invoquant une décision qu’elle a rendue dans l’affaire Larocque, la CRT se déclare functus officio :

[45]       La requête doit donc être rejetée puisque la Commission est functus officio quant aux plaintes originales des requérants et parce qu’elle n’a aucune compétence pour se saisir directement d’une requête s’appuyant sur les articles 96 et 97 de la LNT. Dans les circonstances, il est inutile de discuter de l’opportunité de mettre en cause PSB Boisjoli inc.[5]

[35]        Les requérants reprochent à la CRT d’avoir basé sa décision sur l’article 114 et sur l’Annexe I du CT ainsi que sur les articles 96 et 97 de la LNT, sans tenir compte de l’article 118 du CT qui se lit ainsi :

118. La Commission peut notamment :

 1° rejeter sommairement toute demande, plainte ou procédure qu'elle juge abusive ou dilatoire;

 2° refuser de statuer sur le mérite d'une plainte lorsqu'elle estime que celle-ci peut être réglée par une sentence arbitrale disposant d'un grief, sauf s'il s'agit d'une plainte visée à l'article 16 de ce code ou aux articles 123 et 123.1 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) ou d'une plainte portée en vertu d'une autre loi;

 3° rendre toute ordonnance, y compris une ordonnance provisoire, qu'elle estime propre à sauvegarder les droits des parties;

 4° décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence;

 5° confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu;

 6° rendre toute décision qu'elle juge appropriée;

 7° entériner un accord, s'il est conforme à la loi;

 8° prononcer la dissolution d'une association de salariés, lorsqu'il lui est prouvé que cette association a participé à une contravention à l'article 12.

Lorsque l'association dissoute en vertu du paragraphe 8° du premier alinéa est un syndicat professionnel, la Commission transmet une copie authentique de sa décision au registraire des entreprises, qui donne avis de la décision à la Gazette officielle du Québec.

[Notre soulignement]

[36]        L’article 118 du CT investit la CRT d’un vaste éventail de pouvoirs en matière de réparations. Il n’élargit pas sa compétence pour autant.

[37]        L’application de l’article 118 du CT est liée à l’exercice d’une compétence. Or, la CRT a jugé que les articles 96 et 97 de la LNT n’étaient pas attributifs de compétence et qu’elle était dessaisie du dossier initial depuis qu’elle avait décidé du quantum de la réclamation.

[38]        La véritable question en litige concerne donc l’application justifiée ou non du principe du functus officio.

[39]        Les requérants plaident que la CRT a erré lorsqu’elle s’est déclarée functus officio. Selon eux, le principe du dessaisissement aurait dû être appliqué d’une manière plus souple et moins formaliste, tel que préconisé par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Chandler[6] et Doucet-Boudreau[7].

[40]        Afin de mieux cerner les propos du juge Sopinka dans l’arrêt Chandler, un bref examen de l’arrêt Grillas c. Ministre de la main-d'œuvre et de l’immigration[8] s’impose.

[41]        Dans cette affaire, le juge Martland avait estimé que la règle générale voulant qu’on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive ne s’appliquait pas à une entité administrative - en l’instance, la Commission d’appel de l’immigration - dont les décisions ne pouvaient faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Commentant les propos du juge Martland et se prononçant à son tour sur l’application de la règle générale du functus officio aux tribunaux administratifs, le juge Sopinka écrit :

[…] Je ne crois pas que le juge Martland ait voulu affirmer que le principe functus officio ne s’applique aucunement aux tribunaux administratifs. Si l’on fait abstraction de la pratique suivie en Angleterre, selon laquelle on doit hésiter à modifier ou à rouvrir des jugements officiels, la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe. En règle générale, lorsqu’un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s’il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l’arrêt Paper Machinery Ltd. v. J.O. Ross Engineering Corp., précité.

Le principe du functus officio s’applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d’une cour de justice dont la décision peut faire l’objet d’un appel en bonne et due forme. C’est pourquoi j’estime que son application doit être plus souple et moins formalise dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l’intérêt de la justice, afin d’offrir un redressement qu’il aurait par ailleurs été possible d’obtenir par voie d’appel.

Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu’une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d’exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C’était le cas dans l’affaire Grillas, précitée.

De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires. Voir Huneault c. Société centrale d’hypothèques et de logement (1981), 41 N.R.  214 (C.A.F.)[9]

[Notre soulignement]

[42]        Le dictionnaire Le droit québécois et canadien donne de l’expression functus officio la définition suivante :

Functus officio : Locution latine signifiant « s’étant acquitté de sa fonction ». Se dit d’un tribunal, d’un organisme public ou d’un fonctionnaire qui est dessaisi d’une affaire parce qu’il a cessé l’exercice de sa fonction. Ex. Le juge qui a prononcé un jugement final est functus officio.[10]

[43]        Se pose alors la question de savoir à quel moment un juge ou une instance administrative a épuisé sa compétence? Y a-t-il lieu de faire une distinction entre les jugements émanant des cours de justice et les décisions rendues par les organismes administratifs?

[44]        Dans l’arrêt Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse, les juges Iacobucci et Arbour s’interrogent à ce sujet. Ils écrivent :

78         Comment peut-on savoir si un juge a épuisé sa fonction?  S’exprimant au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, p. 860, le juge Sopinka décrit ainsi l’objet et l’origine de la règle :

La règle générale portant qu’on ne saurait revenir sur une décision judiciaire définitive découle de la décision de la Cour d’appel d’Angleterre dans In re St. Nazaire Co. (1879), 12 Ch. D. 88.  La cour y avait conclu que le pouvoir d’entendre à nouveau une affaire avait été transféré à la division d’appel en vertu des Judicature Acts.

79         Il est clair que la règle du functus officio a pour but d’assurer le caractère définitif des jugements des tribunaux visés par un appel (voir aussi Reekie c. Messervey, [1990] 1 R.C.S. 219, p. 222-223).  Cela est logique : s’il pouvait continuellement entendre des demandes de modification de ses décisions, un tribunal jouerait le rôle d’une cour d’appel et priverait les parties d’une assise stable pour interjeter appel.  L’application de cet aspect de la règle du functus officio au par. 23(1) oblige à se demander si l’ordre de rendre compte des efforts déployés a eu pour effet de priver les intimés d’une assise stable pour interjeter appel.[11]

[Notre soulignement]

[45]        Le pourvoi devant la Cour suprême portait sur la nature des réparations qui, en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne, peuvent être accordées afin d’assurer des droits à l’instruction dans la langue de la minorité garantis par l’article 23 de cette Charte. Dans cette affaire, le juge de première instance s’était déclaré compétent pour surveiller la mise en œuvre de la réparation qu’il avait ordonnée, c’est-à-dire pour entendre les comptes rendus des défendeurs sur leur respect de l’ordonnance dont l’un des éléments portait sur la construction d’écoles, l’autre sur la fourniture de programmes éducatifs en français et l’autre sur l’obligation imposée aux défendeurs de faire de leur mieux pour respecter l’ordonnance.

[46]        La seule question en litige dans cet arrêt concernait la déclaration de compétence du juge de première instance pour entendre des comptes rendus de la part des défendeurs. La Cour suprême a jugé que la règle du functus officio ne s’applique pas lorsque « le juge de première instance n’entend pas modifier un jugement définitif »[12].

[47]        Dans un arrêt plus récent rendu par la Cour d’appel, l’affaire Boudreault c. Syndicat des salariées et salariés de l’entrepôt Bertrand[13], le salarié avait été autorisé par la CRT à déposer lui-même son grief à l’arbitrage dans le cadre de l’application de l’article 47.2 du CT. Il demandait également à la CRT de condamner le Syndicat à lui rembourser les frais et honoraires extrajudiciaires qu’il devait assumer pour faire valoir sa plainte. Cette demande a été accueillie par la CRT qui a « réservé sa compétence pour déterminer, le cas échéant, le quantum des ces frais, y incluant les frais inhérents à l’arbitrage à intervenir ».

[48]        Le Syndicat a demandé la révision judiciaire de la décision de la CRT en ce qui avait trait à l’ordonnance de remboursement des frais reliés à la présentation de la plainte à la CRT. Cette demande a été rejetée par la Cour supérieure. Par la suite, la requête pour autorisation d’interjeter appel a été rejetée et la Cour suprême a rejeté la requête pour permission d’en appeler de cette décision.

[49]        Lorsque vint le temps de présenter sa réclamation pour se faire rembourser ses frais et honoraires d’arbitrage ainsi que ceux encourus pour faire valoir sa plainte à la CRT, le salarié a demandé à la CRT l’autorisation d’amender sa réclamation pour requérir également le remboursement des honoraires extrajudiciaires encourus devant toutes les instances depuis la demande de révision interne jusqu’à la décision de la Cour suprême.

[50]        La réclamation du salarié a été accueillie. La CRT a considéré que les frais réclamés par le salarié par amendement étaient visés par la première ordonnance et ne constituaient pas une nouvelle demande. De plus, la formation de révision de la CRT a considéré que les frais « étaient nécessaires au maintien du droit du salarié ».

[…] le fondement du droit de l’intimé à réclamer le remboursement des frais et honoraires extrajudiciaires encourus pour la présentation de sa plainte sous l’égide de l’article 47.2 et suivants du Code du travail découle uniquement de la décision CRT 1.[14]

[51]        Comme on peut le constater, les frais engendrés par la demande de révision judiciaire du syndicat avaient été engagés après la première décision du CRT.

[52]        Saisie d’une demande de révision judiciaire, la Cour supérieure a jugé que le commissaire était functus officio sur la question des frais encourus à l’occasion de la révision administrative et des procédures judiciaires subséquentes.

[53]        L’une des questions soulevées devant la Cour d’appel portait sur la question de savoir si la CRT avait épuisé sa compétence en rendant sa première décision donc, si elle était functus officio.

[54]        Dans cette affaire, la CRT avait réservé sa compétence. Le libellé de cette réserve prêtait à interprétation, car le salarié n’avait pas, lors de la première décision, demandé le remboursement des frais subséquents. Le juge Doyon écrit :

[91]       L'appelant n'a donc pas demandé le remboursement de frais subséquents, outre les frais d'arbitrage, de sorte qu'il n'est pas surprenant que la décision ne prévoit pas spécifiquement un tel remboursement. Par contre, fait-il valoir, l'on ne devrait pas lui reprocher cette omission, puisqu'il ne pouvait prévoir ces autres procédures et qu'il aurait été de toute façon inutile d'engager un débat stérile reposant sur de simples spéculations. Sur ce point, je suis d'avis qu'il a raison.

[92]       Par ailleurs, même si la décision ne réserve pas explicitement la compétence de la CRT sur la détermination du quantum des autres frais à venir, peut-on raisonnablement conclure qu'elle le fait implicitement ou par implication nécessaire? Il me semble que c'est le cas.

[…]

[97]       Par ailleurs, s'il est vrai que la règle du functus officio est appliquée avec plus de souplesse lorsqu'il est question de décisions prononcées par des tribunaux administratifs, il n'en demeure pas moins que, si le tribunal a tranché une question de façon définitive, il ne peut la modifier, à moins que la loi ne le permette : Chandler c. Alberta Association of Architects, précité.

[98]       Au moment de la décision CRT-3, à la suite de la demande d'amendement, le commissaire Daigle était confronté au constat suivant : l'appelant devrait encourir des frais dont il n'avait pas été question à l'époque de la décision CRT-1. Je rappelle qu'il ne pouvait cependant, pour cette seule raison, revenir sur sa décision antérieure. En somme, vu les circonstances de l'espèce, il ne pouvait autoriser l'amendement et évaluer le quantum des frais subséquents que si, explicitement (ce qui n'est pas le cas) ou implicitement, la décision CRT-1 le prévoyait.

[99]       Cette longue analyse m'amène à poser la question suivante : était-il raisonnable pour les décisions CRT-3 et CRT-4 de conclure que la décision CRT-1 avait, implicitement dois-je préciser, réservé la compétence de la CRT de quantifier les frais et honoraires déboursés par l'appelant aux fins de contester les procédures en révision qui furent subséquemment instituées par l'intimé?

[100]     Je suis d'avis qu'une telle inférence fait partie des conclusions que la CRT pouvait raisonnablement retenir, d'autant, comme on le sait, qu'elle possède la compétence pour rendre de telles ordonnances. Je m'explique.

[101]     Comme la décision CRT-1 cherchait manifestement à mettre l'appelant à l'abri des conséquences financières de la faute commise par l'intimé, on peut croire que cela englobait les contestations ultérieures de la décision qui cherchait justement à le libérer des frais requis pour présenter sa plainte.[15]

[Notre soulignement]

[55]        Le juge Doyon souligne que l’on peut parfois tenir compte du contexte de la décision et pas seulement de son dispositif pour connaître l’intention du décideur[16]. Il ajoute que « l’on peut parfois faire appel à des inférences pour conclure que la portée de la décision « va de soi », eu égard aux objectifs poursuivis par le décideur [17]».

[56]        Dans l’arrêt Métallurgistes unis d’Amérique, je juge Dalphond adopte une interprétation libérale de la règle du functus officio en droit administratif. Il écrit :

[46]       L’ordonnance ne précise pas un montant, il est vrai.  Cela n’est cependant pas fatal puisqu’en droit du travail, il n’est pas inhabituel pour un arbitre de prononcer une ordonnance non liquidée et d’inviter les parties à y donner suite, tout en se réservant compétence en cas de difficulté.  En d'autres mots, on ne saurait importer en ce domaine les exigences strictes du Code de procédure, nécessaires pour l’exécution forcée des jugements rendus par des juges qui sont alors functus officio et incapables de compléter le dispositif de leurs jugements.  En l'instance, la CRT n'a pas réservé sa compétence en cas de difficulté sur le montant payable, mais cela est une inférence nécessaire de sa décision puisque la hauteur du montant des frais d'avocats et débours, s'il en est, n'était pas objet de litige devant la CRT, les parties ayant choisi de ne pas en traiter immédiatement.  Dans l'avenir, pour éviter toute contestation, la CRT aurait cependant avantage à réserver expressément sa compétence.[18]

[Notre soulignement]

[57]        En l’espèce, dans la décision rendue le 16 juin 2010 par le commissaire Cloutier, ce dernier accueille les plaintes des requérants formulées sous l’article 124 de la LNT et réserve sa compétence pour déterminer les mesures de réparation prévues à l’article 128 de la LNT.

[58]        Dans la décision rendue le 9 mars 2011, le commissaire Cloutier note que l’employeur est absent, bien que convoqué, et que l’entreprise serait sous l’effet d’une ordonnance de séquestre depuis le 25 août 2010. Il ajoute que le syndic n’a pas comparu au dossier et qu’il est absent à l’audience. Le commissaire fixe le montant de la réclamation et, malgré la constatation que l’entreprise serait sous l’effet d’une ordonnance de séquestre, il ne réserve pas sa compétence.

[59]        L’entreprise est vendue le 30 mai 2012.

[60]        Les requérants plaident que leur demande de réparation fondée sur les articles 96 et 97 de la LNT ainsi que sur l’article 118 du CT constitue une solution de continuité qui n’affecte en rien ce qui a déjà été décidé (congédiement sans cause juste et indemnité) et qui s’inscrit dans la prolongation des mesures déjà prises. Il s’agirait d’une continuation, c’est-à-dire d’une suite naturelle adaptée à un but précis : accorder aux demandeurs une réparation complète et utile. Ils ajoutent que cette prolongation n’empêche aucunement les mises en cause de faire valoir leur point de vue.

[61]        De la jurisprudence et plus spécifiquement des arrêts Chandler[19], Doucet-Boudreau[20] et Boudreault[21], se dégagent certains principes qui militent en faveur d’une approche large et libérale plutôt que d’une approche étroite et formaliste qui prive les demandeurs du bénéfice déjà acquis et de la pleine protection de la LNT qui est une loi d’ordre public. Les voici :

1)            La LNT est une loi médiatrice d’ordre public (art. 93 de la LNT);

2)            Les articles 96 et 97 de la LNT ne peuvent être assimilés à des mesures d’exécution;

3)            Rien dans la LNT ne vient limiter l’application des articles 96 et 97 dans le temps;

4)            Les articles 96 et 97 de la LNT sont des normes du travail qui s’appliquent en tout temps de façon systématique;

5)            Le caractère non définitif d’une décision peut découler de la nature du recours exercé et de son objet;

6)            L’exigence d’une interprétation large et libérale de la LNT compatible avec la réalisation de son objet vaut autant pour le système de réparation mis en place pour assurer aux titulaires de droits l’entier bénéfice et la pleine protection de la loi;

7)            L’article 118 du CT confère à la CRT un vaste pouvoir discrétionnaire aux fins de réparations applicables en cas de violation des droits garantis par la LNT;

8)            La réparation accordée au bénéficiaire du droit doit être complète, efficace et utile;

9)            Une réparation ne peut être utile si elle est limitée par des difficultés de procédures;

10)         L’ancienne maxime ubi jus ibi remedium s’applique : là où il y a un droit, il y a un recours;

11)         L’intégralité de la réparation ne peut être atteinte s’il faut recourir à diverses instances judiciaires pour obtenir justice;

12)         La nécessité d’une exécution diligente doit guider la CRT tout au long du processus;

13)         La CRT aurait pu et peut-être dû réserver sa compétence pour terminer efficacement l’affaire dont elle était saisie;

14)         La règle du functus officio ne s’applique pas lorsque le tribunal administratif n’a pas l’intention de modifier un jugement définitif (arrêt Doucet-Boudreau[22] );

15)         Les décisions de la CRT ne sont pas finales et elles ne sont pas visées par un appel (art. 130 LNT).

[62]        La CRT tire sa compétence initiale de l’article 114 du CT et de l’Annexe I de ce code qui énumère une série de recours formés en vertu d’autres lois que le Code du Travail dont les articles 86.1, 123.4, 123.9, 123.12 et 126 de la LNT font partie.

[63]        Parce qu’on ne retrouve pas les articles 96 et 97 de la LNT dans l’énumération susmentionnée, la CRT en déduit que ces dispositions ne s’appliquent que lorsqu’elles doivent être interprétées dans le cadre d’une plainte mentionnée dans l’Annexe I du CT. Autrement dit, ces dispositions auraient pu s’appliquer dans le cadre du litige initial portant sur l’article 124 de la LNT. La CRT écrit :

[41]       Il est clair et non contestée que la Commission peut appliquer et interpréter les articles 96 et 97 de la Loi dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’une plainte dont elle est validement saisie.

[64]        Pour la CRT, le recours des requérants ne s’inscrit pas dans une logique de continuité. En dépit du fait que la réparation qu’elle a accordée aux deux requérants s’avère inefficace et que celle qu’ils réclament serait utile et complète, la CRT juge que le recours intenté par les requérants est un recours ultérieur qui vise à identifier l’employeur tenu à les compenser. Elle écrit :

[42]       […] La Commission n’a pas la compétence de voir à l’exécution de ses décisions. Tout au plus, peut-elle en ordonner le dépôt en vertu de l’article 129 du code. Par la suite, il revient aux parties d’obtenir le jugement du tribunal compétent pour en forcer l’exécution.

[65]        Les requérants ne demandent pas à la CRT d’ordonner l’exécution de ses décisions antérieures. Ils ont fait homologuer ces deux décisions par la Cour supérieure et, n’ayant pu exécuter contre l’ancien employeur, ils recherchent une décision qui leur permettrait d’éventuellement exécuter contre le nouvel employeur. Ils lui demandent donc d’appliquer des dispositions de la LNT qu’elle se dit compétente d’appliquer lorsqu’elle est saisie d’un litige sous l’article 124 de la LNT, mais incompétente d’appliquer dans le cadre d’une succession d’entreprise postérieure à ses deux décisions antérieures que le législateur n’a pas qualifié de « finales » et qui sont sans appel. De plus, il semble que la CRT savait qu’un séquestre avait été nommé lorsqu’elle a rendu sa décision. Elle aurait pu, dès lors, réserver sa compétence comme le lui permet l’article 118 du CT. Elle aurait ainsi évité d’avoir à se déclarer, comme elle l’a fait, dessaisie de l’affaire. Mais l’était-elle vraiment?[23]

[66]        Les requérants ont demandé à la CRT d’appliquer la règle functus officio avec souplesse.

[67]        La CRT n’a pas retenu l’approche souple et moins formaliste proposée par la Cour suprême dans les arrêts Chandler et Doucet-Boudreau, précités. Elle n’a pas consulté, semble-t-il, l’arrêt Doucet-Boudreau dans lequel la Cour suprême préconise une démarche souple lorsqu’il s’agit d’une réparation constitutionnelle, et ce, même si le jugement, en l’espèce, était visé par un appel.

[68]        Dans la présente affaire, les requérants ne demandaient pas à la CRT de modifier les décisions définitives qu’elle avait déjà rendues. Ils lui demandaient de les compléter. Il s’agissait, selon les demandeurs, d’une mesure de redressement découlant des décisions déjà rendues et inachevées.

[69]        La règle functus officio découle du caractère irrévocable des jugements. L’extension aux décisions des tribunaux administratifs d’une règle traditionnellement applicable aux cours de justice est-elle souhaitable?

[70]        Dans son traité sur les tribunaux administratifs, le professeur Yves Ouellette préconise une approche flexible. Il écrit :

Dans un contexte de droit administratif où l’on doit privilégier une culture décisionnelle différente et axée sur la flexibilité, ces valeurs formalistes ne sont pas nécessairement appropriées. Même la Cour suprême du Canada donne l’exemple d’une mesure d’accommodement en interprétant ses Règles comme lui permettant d’accepter, en de rares occasions des demandes de réexamen. L’approche traditionnelle, fondée sur la classification des pouvoirs de l’administration ou sur le mimétisme des règles judiciaires, conduit à des solutions simplistes, dogmatiques, rigides, pas compatibles avec le pragmatisme qui caractérise notre droit administratif généralement.[24]

[71]        Une autre question se pose. Dans le contexte de la LNT, est-ce réexaminer sa décision que de tenir compte d’un changement de circonstances et qui se traduit par la continuité d’entreprise survenant après les décisions initiales? Cette question ne s’imbrique-t-elle pas nécessairement dans celle qui consiste à déterminer s’il y a eu un congédiement sans cause juste et suffisante?

[72]        Faisant face à une situation de vente d’entreprise et étant incapable d’exécuter contre leur employeur, les requérants pouvaient choisir entre ces trois avenues : 1) demander à la CRT de constater qu’il y avait eu aliénation de l’entreprise et qu’une continuité d’application des normes du travail en découlait, 2) entreprendre un nouveau recours devant la Cour supérieure fondé sur les articles 96 et 97 de la LNT ou 3) débattre de la question de la continuité dans le cadre d’une saisie-arrêt.

[73]        Dans l’arrêt Weber, la Cour suprême opte pour un régime d’arbitrage exclusif avec un minimum de perturbations pour les parties et l’économie. La juge McLachlin écrit :

[58]       En résumé, le modèle de la compétence exclusive est tout à fait conforme au libellé du par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail et il concorde avec la position adoptée par notre Cour dans St. Anne Nackawic. En outre, il exauce le souhait que la procédure de règlement de litige établie par les diverses lois sur les relations du travail au pays ne soit pas doublée ou minée par des actions concomitantes. Il obéit à une tendance de plus en plus forte à faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la procédure d’arbitrage et de grief et à reconnaître des restrictions corrélatives aux droits des parties d’intenter des actions en justice qui sont parallèles ou se chevauchent voir Ontario (Attorney-General) c. Bowie (1993), 110 D.L.R. (4th) 444 (C. div. Ont.), le juge O’Brien.[25]

[Notre soulignement]

[74]        Certains attributs propres aux tribunaux administratifs en assurent l’efficacité et les distinguent des cours de justice : 1) connaissance spécialisée, 2) résolution rapide et moins coûteuse des conflits et 3) vaste pouvoir décisionnel. Les actions concomitantes minent cette efficacité.

[75]        Les articles 96 et 97 de la LNT sont des dispositions d’ordre public qui visent à protéger la mise en application de l’ensemble des normes du travail et la continuité des droits découlant de ces normes, dont la réclamation impayée d’un salarié.

[76]        Bien que les notions d’aliénation et de concession d’entreprise ne soient pas étrangères au droit civil, on peut présumer que le législateur a voulu que les cours de justice ne jouent qu’un rôle limité[26] dans le règlement des différends visés par la LNT et par le CT.

[77]        Dans Jacklin c. Atelier G. Meunier inc.[27], le commissaire du travail a jugé qu’aucune procédure formelle n’est exigée pour faire constater l’application de l’article 97 de la LNT. Une simple lettre serait suffisante pour permettre à un commissaire d’examiner s’il y a effectivement eu concession totale ou partielle d’une entreprise. Dès qu’il y a transmission d’entreprise, l’article 97 de la LNT s’applique de plein droit[28].

[78]        Le recours prévu à l’article 124 de la LNT, constitue une norme du travail au sens de l’article 97 de la LNT[29]. Dans cette optique, rien n’empêcherait la CRT de déclarer que l’article 97 crée une continuité d’application des normes du travail au profit des requérants malgré le changement de propriétaire, quitte à ce que ces derniers, s’ils ont gain de cause, se voient obliger d’entreprendre des procédures d’exécution qui nécessiteront une homologation.

[79]        Personne ne questionne l’importance de la sécurité juridique dans notre système de droit et la demande des requérants ne fragilise aucunement cette stabilité. Elle ne remet pas en question ce qui a été jugé (congédiement sans cause juste et suffisante et indemnité compensatoire) et ne constitue aucunement une mesure d’exécution, c’est-à-dire, une réalisation effective de la décision déjà rendue. Les demandeurs ne demandent pas à la CRT de contraindre les mises en cause à payer, mais seulement de reconnaître qu’ils sont les successeurs de 9188 au sens de l’article 97 de la LNT.

[80]        La mise en cause aurait pu se conformer à l’article 97 de la LNT sans contrainte puisque, selon la jurisprudence, cette disposition s’applique de plein droit.

[81]        L’énoncé du juge Sopinka dans l’arrêt Chandler et celui des juges Iacobucci et Arbour dans l’arrêt Boudreault ouvrent la voie à une vision réaliste, efficace et flexible de la notion de functus officio qui n’est pas limitée par des entraves qui sont propres aux cours de justice. Dans cette optique, le Tribunal est d’avis que la CRT s’est trompée en se déclarant sans compétence pour entendre une requête dont le but est de compléter et non de modifier ce qui a déjà été décidé. La flexibilité aurait dû primer sur un formalisme hérité du droit judiciaire.

[82]        Dans un article dans lequel il se livre à l’analyse d’un jugement rendu par la Cour supérieure de la Colombie-Britannique, le professeur R.A. MacDonald identifie cinq situations de finalité d’une décision en droit administratif. Il écrit :

[…] an act may be final in the sense that findings and conclusions contained therein are binding against everyone, an act may be final in that it is res judicata between parties to a litigated dispute, an act may be final in that it conclusively disposes of a dispute, i.e., is not interlocutory, an act may be final in the sense that a court or any other body may not review its merits, and an act may be final in that the agency making it is precluded from reconsidering or revoking it. Consequently, for purposes of administrative reopenings, it is necessary to determine specifically when administrative acts are final vis-à-vis the agency making them.

Analytically, two competing approaches to finality in this sense may be taken. From one viewpoint, it could be argued that finality is not an inherent attribute of statutory power and, therefore, no agency act is final except to the extent and for the purposes set out by statute. On the order hand, it might be suggested that finality  is the natural corollary of a grant of power and, therefore, all acts are final vis-à-vis the agency making them unless the legislation provides otherwise. It should be noted, however, that both approaches treat finality purely as a jurisdictional concept; that is, on either view, the nature of the statutory power, or the effect of its exercise on parties, is not considered to bear on the issue of conclusiveness. To this extent, both confuse agency finality with functus officio and suggest that an act is not final vis-à-vis the agency making it as long as such agency is not functus officio. Nevertheless, since a determination is obviously final (in the sense that the agency making it cannot revoke or amend it) if the agency is functus officio, an assessment of these two approaches is a good starting point for any analysis of finality.[30]

[83]        L’article 130 de la LNT énonce que les décisions de la CRT rendues, en vertu de la section III, dont l’article 124 de la LNT fait partie, sont sans appel. On n’y traite aucunement de finalité.

[84]        Comme le professeur MacDonald le souligne, cette omission revêt une certaine importance compte tenu des nombreuses dispositions législatives qui énoncent que les décisions rendues par l’autorité quasi judiciaire sont « finales et sans appel ».

If finality were a necessary concomitant of the exercise of a Statutory power, these provisions would be redundant. Consequently, it is argued that in their absence no determinations are final in any respect.[31]

[85]        Le professeur MacDonald identifie les facteurs qui devraient guider ce qu’il qualifie de « law of rehearing ». Il faudrait, selon lui, tenir compte des circonstances suivantes : « correction of clerical errors or slips, fraud, ultravires, error of fact, discovery of new evidence, change of circumstances, error of law or policy, and change of law or policy »[32]. [Notre soulignement]

[86]        En l’espèce, il ne s’agit pas de permettre à la CRT de rouvrir le débat sur des questions qui ont fait l’objet de deux décisions antérieures. Il s’agit tout simplement de compléter l’exercice d’une compétence à la lumière d’une circonstance qui n’existait pas encore au moment où les décisions ont été rendues, mais qui était prévisible.

[87]        Si la CRT s’était réservé la compétence de décider s’il y avait ou non continuité de l’entreprise, on n’aurait pu contester son droit de le faire à la lumière des vastes pouvoirs que lui confère l’article 118 du CT. En effet, le paragraphe 3 de cette disposition permettait à la CRT de rendre toute ordonnance qu’elle estimait propre à sauvegarder les droits des parties. De plus, le paragraphe 6 de cette disposition prévoit qu’elle peut rendre toute décision qu’elle juge appropriée.

[88]        En l’espèce, la demande des requérants s’inscrit dans le cadre des fonctions et attributions de la CRT. Cette demande en est une de prolongation de compétences issues de l’article 124 de la LNT et non des articles 96 et 97 qui n’en sont que des corollaires.

[89]        La demande des requérants est intitulée requête en mandamus. Cette qualification n’affecte en rien sa légitimité. La désignation erronée d’un recours en révision judiciaire ne saurait priver un justiciable de son droit.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[90]        ACCUEILLE la requête en révision judiciaire des requérants;

[91]        CASSE la décision rendue par la Commission des relations du travail;

[92]        DÉCLARE que la Commission des relations du travail est compétente pour entendre la demande des requérants et pour décider si, dans les circonstances, il y a lieu à l’application des articles 96 et/ou 97 de la Loi sur les normes du travail;

[93]        RETOURNE le dossier à la Commission des relations du travail afin qu’elle exerce sa compétence;

[94]        Avec dépens.

 

 

__________________________________

DANIELLE GRENIER, J.C.S.

 

Me Jessica Laforest

RIVEST TELLIER

Pour les demandeurs

 

Me Jean El Masri

EL MASRI AVOCAT INC.

Pour la mise en cause 9256-0929 Québec inc.

 

Me Gary Rivard

BCF

Pour la mise en cause PSB Boisjoli inc.

 

Dates d’audience :

6 et 7 novembre 2014

 



[1]     RLRQ, c. C-27.

[2]     RLRQ, c. N-1.1.

[3]     Paragr. 42.

[4]     Paragr. 43.

[5]     Larocque et Corp. EMC du Canada, 2004 QCCRT 0083.

[6]     Chandler c. Alberta Association Architects, [1989] 2 R.C.S., 848.

[7]     Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3.

[8]     Grillas c. Ministre de la main d’œuvre et de l’immigration, [1972] R.C.S., 577.

[9]     Chandler c. Alberta Association Architects, préc., note 6, pages 17 et 18.

[10]    Le dictionnaire de droit québécois et canadien, 2001, aux mots functus officio, p. 253.

[11]    Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), préc., note 7.

[12]    Id., paragr. 76.

[13]    Boudreault c. Syndicat des salariées et salariés de l'entrepôt Bertrand, distributeur en alimentation inc. Chicoutimi (CSN), 2011 QCCA 1495.

[14]    Id., page 6.

[15]    Id.

[16]    Id., paragr. 106.

[17]    Id., paragr. 109.

[18]    Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 9414 c. Castonguay, 2007 QCCA 1766.

 

[19]    Id., note 6.

[20]    Id., note 7.

[21]    Id., note 13.

[22]    Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), préc., note 7, paragr. 76.

[23]    Voir les propos du juge Dalphond dans l’arrêt Métallurgistes unis d’Amérique, préc., note 18, paragr. 46.

[24]    Yves OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Éd. Thémis, 1997, p. 478 et 479.

[25]    Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, paragr. 58.

[26]    Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298.

[27]    Jacklin c. Atelier G. Meunier inc., D.T.E. 2001T-865 (C.T.).

[28]    Gabriel c. Racine et Toupin, 1984 D.T.E. 136 (C.T.) (appel accueilli pour d’autres motifs : T.T.M. no 500-28-000087-841, le 13 juillet 1984).

[29]    Produits Pétro-Canada inc. c. Moalli, (1987) R.J.Q. 261 (C.A.).

[30]    R.A. MACDONALD, Reopenings, Rehancings and Reconsiderations in Administrative Law : Re Lorner Mining Corporation and Bukwa, (1979) 17 Osgoods Hall L.J. 207, p. 211.

[31]    Id., p. 212.

[32]    Id., p. 221.

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