Décision

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Gabarit CM

Ville de Montréal c. Langelier-Aouad

2019 QCCM 173

COUR MUNICIPALE
DE LA VILLE DE MONTRÉAL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

No :

836-142-871

 

DATE :

15 novembre 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

STÉPHANE BRIÈRE

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE MONTRÉAL

Poursuivante

c.

GABRIEL LANGELIER-AOUAD

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

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[1]       On reproche au défendeur d’être le conducteur d’un véhicule routier faisant usage d’un téléphone cellulaire contrairement aux dispositions de l’article 443.1 du Code de la sécurité routière.

I.          APERÇU

[2]       Les événements se déroulent le 7 septembre 2018.

[3]       La version du défendeur et celle du policier diffèrent quelque peu, mais aux fins de sa décision, le Tribunal retiendra celle du défendeur qui lui apparaît non seulement crédible, mais aussi fiable et plausible.

[4]       Or, le défendeur mentionne être accompagné d’un collègue qui est passager dans son véhicule. À l’approche du feu de circulation, son téléphone sonne et le défendeur décide de répondre à un client potentiel. Il demande à son collègue de prendre son téléphone situé dans un porte-gobelet et d’activer la fonction haut-parleur.

[5]       Son collègue, le passager, s’exécute et tient le téléphone près du visage du défendeur pendant que celui-ci entretient une discussion.

[6]       La scène est observée par le policier posté à proximité et le défendeur est intercepté par la suite.

[7]       La principale question soulevée est de savoir si un passager peut être assimilé à « un dispositif mains libres » comme indiqué à l’article 443.1 du C.s.r.

[8]       Le Tribunal est d’avis que non, et ce, pour les raisons suivantes.

II.         ANALYSE

[9]       Il est opportun de reproduire le texte de l’article 443.1 du C.s.r. :

Il est interdit à tout conducteur d’un véhicule routier et à tout cycliste de faire usage d’un téléphone cellulaire ou de tout autre appareil portatif conçu pour transmettre ou recevoir des informations ou pour être utilisé à des fins de divertissement, ou de faire usage d’un écran d’affichage, sauf dans les cas suivants:

1°le conducteur du véhicule routier utilise un dispositif mains libres;

2°le conducteur du véhicule routier ou le cycliste consulte l’information affichée sur un écran d’affichage, y compris celui d’un appareil portatif, ou actionne une commande de l’écran alors que celui-ci satisfait à l’ensemble des conditions suivantes:

a) il affiche uniquement des informations pertinentes pour la conduite du véhicule ou liées au fonctionnement de ses équipements usuels;

b) il est intégré au véhicule ou installé sur un support, amovible ou non, fixé sur le véhicule;

c) il est placé de façon à ne pas obstruer la vue du conducteur du véhicule routier ou du cycliste, nuire à ses manoeuvres, empêcher le fonctionnement d’un équipement ou en réduire l’efficacité et de manière à ne pas constituer un risque de lésion en cas d’accident;

d) il est positionné et conçu de façon à ce que le conducteur du véhicule routier ou le cycliste puisse le faire fonctionner et le consulter aisément.

Pour l’application du premier alinéa, le conducteur du véhicule routier ou le cycliste qui tient en main, ou de toute autre manière, un appareil portatif est présumé en faire usage.

Le gouvernement peut, par règlement, préciser les modalités d’application du présent article, notamment définir le sens de certaines expressions. Il peut également prévoir d’autres exceptions aux interdictions qui y sont prévues ainsi que d’autres normes applicables aux écrans d’affichage.

[10]    Selon le Tribunal, le législateur veut par cette disposition interdire l’utilisation d’un téléphone cellulaire par le conducteur d’un véhicule routier sous réserve des exceptions prévues. À ce sujet, le Tribunal partage l’opinion de sa collègue dans la décision Ville de Laval c. Scricca[1].

[11]    Dans son témoignage, le défendeur admet faire usage de son téléphone cellulaire au moment de son interception. Il est tenu par le passager.

[12]    L’une des exceptions prévues est l’utilisation d’un « dispositif mains libres » (art. 443.1(1)) termes qui ne sont pas définis dans la loi.

[13]    Le Tribunal retient du témoignage du défendeur que son passager en tenant le téléphone cellulaire, durant sa conversation, fait office de « dispositif mains libres ».

[14]    Or, les principes d’interprétation des lois développées par les tribunaux supérieurs enseignent que les dispositions législatives doivent s’interpréter dans leur contexte global, suivant leur sens ordinaire et s’harmonisant avec la loi et son objet.

[15]    La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership[2] établit ce qui précède de la façon suivante :

26 Voici comment, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), Elmer Driedger a énoncé le principe applicable, de la manière qui fait maintenant autorité :

[TRADUCTION]  Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d’interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes : voir, par exemple, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, 1984 CanLII 20 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, 1994 CanLII 58 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 3, p. 17; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 25; R. c. Araujo[2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65 (CanLII), par. 26; R. c. Sharpe[2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2 (CanLII), par. 33, le juge en chef McLachlin; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3 (CanLII), par. 27.  Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien-fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, qui dispose que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[16]    Cependant en matière pénale, la Cour d’appel du Québec dans Charlebois c. Barreau du Québec[3] ajoute que l’interprétation restrictive n’est justifiée que s’il subsiste une difficulté réelle et que le recours aux règles ordinaires d’interprétation ne permet pas de surmonter.

[17]    L’article 443.1 du C.s.r. s’inscrit à la section V « Distractions au volant » du Code. Les termes utilisés sont prohibitifs et interdisent l’utilisation du téléphone cellulaire par le conducteur d’un véhicule routier sauf exception.

[18]    En raison de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que l’intention exprimée du législateur est de réduire les sources de distraction des conducteurs, dont l’utilisation d’un téléphone cellulaire, pour assurer la sécurité de tous les usagers de la route et en premier lieu, le conducteur lui-même.

[19]    Quant au terme « dispositif », le Tribunal adopte l’interprétation du juge Paré dans l’affaire Ville de Laval c. Scricca[4], laquelle s’exprime ainsi :

[22] Que disent ces sources de référence relativement à l’expression « dispositif »? En résumé, toutes sensiblement la même chose : qu’il s’agit d’un mécanisme, soit dans la manière dont les pièces sont agencées, soit en référence aux organes d’un appareil, soit en lien avec un ensemble de pièces. Dans toutes les définitions recensées[9], les explications se rapportent toutes à un mécanisme et des pièces.

[note omise]

[20]    Force est de constater que les mains d’un passager ou toute autre partie de son corps ne peuvent être assimilées à un mécanisme ou un ensemble de pièces.

[21]    Ainsi, compte tenu de ce qui précède, des principes d’interprétation applicables et de l’intention du législateur, le Tribunal considère que l’utilisation d’un téléphone cellulaire par un conducteur, tenu par un passager, est interdite par l’article 443.1 du C.s.r. Aucune exception prévue à cette disposition ne peut recevoir application en l’espèce et permettre l’utilisation du téléphone cellulaire de la manière décrite par le défendeur.

[22]    En conséquence, le Tribunal conclut que les éléments constitutifs de l’infraction reprochée au défendeur sont prouvés.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

DÉCLARE le défendeur coupable;

CONDAME le défendeur à payer 300,00 $ d’amende avec frais;

ACCORDE un délai de 60 jours au défendeur pour acquitter l’amende et les frais ainsi que la contribution obligatoire prévue par la loi.

 

 

__________________________________Stéphane Brière, J.C.M.

 

Me François Boillat-Madfouny

Procureur pour la poursuivante

 

Le défendeur n’est pas représenté

 

Date d’audience :

24 octobre 2019

 



[1] 2019 QCCM 152 (CanLII)

[2] [2002] 2 R.C.S. 559, par. 26

[3] 2012 QCCA 788 (CanLII)

[4] Préc., note 1, par. 22

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