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[1] Le 24 mars 2005, madame Patricia Scott Carey (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 février 2005 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 décembre 2004 et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 19 septembre 2004.
[3] L’audience s’est tenue le 7 mars 2006 à Salaberry-de-Valleyfield en présence de la travailleuse, de son représentant ainsi que du représentant de la CSST. Le Centre d’accueil St-Margaret (l'employeur) a indiqué, par l’entremise d’un de ses représentants, qu’il sera absent à l’audience.
[4] Le tribunal a accordé aux parties un délai afin de produire des notes et autorités dont les dernières ont été reçues au greffe du tribunal le 11 avril 2006, date à laquelle cette cause a été mise en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande de reconnaître qu’elle a droit aux indemnités de remplacement du revenu en compensation de ses absences du travail du 19 septembre au 21 septembre 2004 en raison du fait qu’elle est aux prises avec une condition d’asthme personnelle qui s’aggrave lorsqu’elle est exposée à des vapeurs de peinture.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que celle issue des associations syndicales sont d’avis que la CSST devait suivre la procédure d’évaluation médicale prévue pour les maladies professionnelles pulmonaires étant donné le diagnostic d’asthme allergique à la peinture qu’on retrouve au dossier. Ils sont donc d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse, de déclarer la décision rendue en l’espèce prématurée et de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle se conforme à la procédure énoncée aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La travailleuse, préposée aux bénéficiaires chez l'employeur depuis 22 ans, subit une lésion professionnelle le 21 juin 2001 à savoir une aggravation de sa condition asthmatique suite à l’exposition aux vapeurs de peinture.
[8] La consolidation de la condition de la travailleuse est constatée par le docteur Bouchard au 4 décembre 2001 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles dans un rapport médical final daté du même jour. Le diagnostic retenu est celui d’asthme secondaire au contact de peinture. Dans un rapport précédent, le même médecin indiquait un problème d’asthme allergique à la peinture.
[9] Toujours dans le cadre de cette lésion professionnelle, l'employeur a obtenu une opinion auprès du docteur Normand Dubé, allergologue et immunologue, où il pose l’avis suivant :
La condition médicale de cette travailleuse ne devrait pas l’empêcher d’être au travail à la condition que son asthme se maintienne à un niveau qui est optimalement contrôlé. Il devrait également y avoir des mesures préventives visant à assurer une ventilation efficace pour évacuer les odeurs irritantes vers l’extérieur, soit en générant une pression négative avec scellement des portes des chambres où il y aurait de la peinture. […]
Enfin, j’ai demandé à la travailleuse de suggérer au docteur Skaburskis une évaluation pulmonaire plus complète comprenant entre autres des épreuves de broncho-provocation à la Métacholine qui permettrait justement de quantifier son degré d’hyper réactivité bronchique et ainsi de suivre et d’établir plus clairement son degré de vulnérabilité aux irritants non spécifiques.
[10] À compter de la consolidation de cette lésion, il est convenu avec l’employeur que la travailleuse s’absente du travail chaque fois qu’elle est avisée que l'employeur procédera à des travaux de peinture afin d’éviter toute rechute. Il faut dire que l'employeur, qui opère un centre de soins et de traitements longue durée, procède à des travaux de peinture chaque fois qu’un patient décède.
[11] Ainsi, le 5 mars 2002, l'employeur, par l’entremise de madame Suzanne DiRienzo, appelle la CSST afin de confirmer si elle devait permettre à la travailleuse de rester chez elle étant donné que l'employeur procédera à des travaux de peinture du 11 au 18 mars 2002.
[12] La CSST, par l’entremise de madame Carole Demeules, rejoint ensuite la travailleuse et les échanges suivants sont rapportés aux notes évolutives :
2002-03-05
Reçu appel de Suzanne DiRienzo (E) m’avisant qu’il prévoit faire de la peinture la semaine prochaine soit du 11 au 18 mars 2002 et elle désire vérifier si tel que convenu elle doit mentionner à la T de rester chez elle afin d’éviter les allergies.
Elle prévoit faire parvenir ADR avec nouvel événement.
L’avise qu’il n’y a pas événement officiel.
Madame DiRienzo mentionne que l’expertise de leur médecin mentionne que T devrait être référé à un pneumologue.
Avise Mme DiRienzo que T avait rendez-vous chez son médecin le 05 février dernier que je la contacte afin d’obtenir info à savoir si son médecin permet qu’elle travaille sur un autre étage.
2002-03-06
T confirme qu’elle a rencontré son médecin Dr Sabarski et qu’il ne voit pas la nécessité de passer d’autre test d’allergie puisque le médecin désigné de E a passé les tests.
Cependant T mentionne que son médecin peut obtenir les informations du médecin désigné.
Lui explique qu’elle doit obtenir l’opinion de son propre médecin et non l’opinion du médecin désigné seulement puisque CSST n’est pas lié au Médecin désigné.
T refuse de passer d’autre test.
Avise T que devrons possiblement contacter son médecin.
T est en accord et me donne le # de téléphone.
De plus, son médecin lui mentionne qu’elle ne doit pas entré au travail si E procède au rafraîchissement des pièces avec de la peinture.
Q : Le médecin vous a-t-il mentionné allergie à la peinture à l’eau
R : Oui, tous genre de peinture et de cire tous produits toxique
Q : Cependant, vous a-t-il mentionné qu’il vous était possible de travailler sur un autre étage. Exemple si E peinture au 1ième étage vous est-il possible de travailler au 4ième.
R : Non, il faut qu’il n’y ai aucune peinture dans tout l’édifice car je manque au rez-de-chaussé et il faut que je descendre pour sortir etc…
Q : Votre E vous a-t-il mentionné qu’il prévoyait peinturer la semaine prochaine.
R : Oui, et je ne l’ai pas recontacter mais je n’entre pas au travail. [sic]
[13] Toujours par l’entremise de madame Carole Demeules, la CSST avise la travailleuse de ce qui suit :
Avise T que CSST ne paiera pas les 2 semaines d’arrêt car aucune aggravation puisque T ne s’est jamais présenté au travail, et confirme à T que les tests demandé sont dans le but de clarifier la situation pour les prochaines périodes où il y aura de la peinture chez E. [sic]
[14] La situation se reproduit le 24 avril 2003 ainsi que le 26 mai 2004 où la CSST donne la même réponse à la travailleuse à savoir qu’elle ne peut être indemnisée parce qu’elle n’a pas subi une aggravation de sa lésion professionnelle n’ayant pas été exposée aux vapeurs de peinture. D’autre part, la CSST lui rappelle qu’elle ne s’est pas soumise à des épreuves de broncho-provocation afin d’objectiver son degré d’hyper réactivité bronchique.
[15] Les refus énoncés par la CSST n’ont pas été contestés par la travailleuse.
[16] Le 19 septembre 2004, la travailleuse s’absente encore une fois pour une période de deux jours soit jusqu’au 21 septembre 2004 toujours en raison du fait qu’elle est avisée par l'employeur que des travaux de peinture allaient avoir lieu. La CSST donne encore la même réponse à la travailleuse qui, cette fois-ci, la conteste d’où le présent litige.
[17] L’arrêt de travail du 19 septembre 2004 au 22 septembre 2004 est appuyé par un rapport du docteur Gravel qui pose le diagnostic d’asthme aggravé par le travail. Il est admis que la travailleuse n’a pas été exposée à des vapeurs de peinture durant cette période puisque, comme mentionné plus haut, elle s’absente avant que les travaux de peinture commencent.
[18] Le tribunal a demandé aux parties de soumettre des représentations sur l’obligation de la CSST de suivre les dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires qu’on retrouve aux articles 226 à 231 et 233 de la loi compte tenu de la nature des diagnostics posés par les médecins de la travailleuse. Ces dispositions se lisent comme suit :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
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1985, c. 6, a. 226.
227. Le ministre forme au moins quatre comités des maladies professionnelles pulmonaires qui ont pour fonction de déterminer si un travailleur est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire.
Un comité des maladies professionnelles pulmonaires est composé de trois pneumologues, dont un président qui est professeur agrégé ou titulaire dans une université québécoise.
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1985, c. 6, a. 227.
228. Ces pneumologues sont nommés pour quatre ans par le ministre, à partir d'une liste fournie par l'Ordre des médecins du Québec et après consultation du Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre.
Ils demeurent en fonction, malgré l'expiration de leur mandat, jusqu'à ce qu'ils soient nommés de nouveau ou remplacés.
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1985, c. 6, a. 228.
229. Dans les 10 jours de la demande de la Commission, un établissement au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5), selon le cas, transmet au président du comité des maladies professionnelles pulmonaires que la Commission lui indique, les radiographies des poumons du travailleur que la Commission réfère à ce comité.
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1985, c. 6, a. 229; 1992, c. 21, a. 82; 1994, c. 23, a. 23.
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
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1985, c. 6, a. 230.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
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1985, c. 6, a. 231.
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231.
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1985, c. 6, a. 233.
[19] La CSST soumet qu’étant donné que la réclamation de la travailleuse a été acceptée à titre d’accident du travail lors de l’événement initial, elle n’avait pas à suivre cette procédure qui vise les maladies professionnelles, et qu’à tout événement, étant donné que le tribunal n’est pas saisi d’une contestation entourant cette lésion professionnelle, il ne peut la corriger même en supposant qu’il y a eu omission de référer le dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[20] Quant à la période du 19 septembre 2004, la CSST soumet qu’on est devant une situation théorique puisque la travailleuse n’a pas été soumise aux vapeurs de peinture ayant quitté les lieux avant d’être exposée et n’a donc pu subir une aggravation de sa lésion professionnelle.
[21] La CSST prétend donc, du moins implicitement, que la travailleuse, dans le contexte de ce dossier, doit se soumettre aux vapeurs de peinture avant de prétendre avoir droit a une indemnisation.
[22] De l’avis du tribunal, sans compter que cette prétention va carrément à l’encontre de la législation en matière de santé et sécurité au travail qui vise autant la prévention des lésions professionnelles que la réparation, elle est carrément fausse compte tenu des articles de la loi traitant des maladies professionnelles pulmonaires ci-devant cités.
[23] Dans le cas qui nous occupe, la problématique découle exclusivement du fait que la CSST n’a pas suivi la procédure énoncée à ces dispositions de la loi.
[24] La jurisprudence est sans équivoque à l’effet que la CSST doit saisir le Comité des maladies professionnelles pulmonaires dès l’instant où un médecin produit un rapport alléguant qu’une personne a possiblement contracté une maladie professionnelle pulmonaire incluant l’aggravation d’une condition personnelle et ceci même si elle a déjà accepté la réclamation sous l’angle de l’accident du travail[2].
[25] Ainsi, à partir du tout début de ce dossier où le docteur Bouchard parle d’asthme allergique à la peinture, la CSST devait soumettre ce dossier au Comité des maladies professionnelles pulmonaires dont seules les constatations pouvaient la lier aux fins de rendre une décision sur les droits de la travailleuse en vertu de la loi. Le diagnostic de la lésion professionnelle n’a donc jamais été objectivé et, à plus forte raison, ni les séquelles permanentes pouvant en découler.
[26] La travailleuse prétend qu’elle ne peut plus être exposée aux vapeurs de peinture, car ceci constituerait une limitation fonctionnelle et, si elle était maintenue par le Comité des maladies professionnelles pulmonaires, elle lui donnerait droit à l’indemnité du remplacement du revenu puisque, de toute évidence, au retour au travail de la travailleuse, l'employeur avait accepté de respecter cette limitation en avisant la travailleuse de rester chez elle lors de travaux de peinture.
[27] C’est la CSST qui est venue créer de la confusion dans ce dossier en exigeant de la travailleuse d’objectiver la nature de sa maladie alors que la loi indique clairement que c’est au Comité des maladies professionnelles pulmonaires de se charger des aspects médicaux dans le cadre d’une maladie pulmonaire.
[28] Le tribunal est donc d’avis que la décision de la CSST refusant d’indemniser la travailleuse pour la période du 19 au 22 septembre 2004 est prématurée, car elle ne peut statuer sur les droits de la travailleuse avant d’obtenir l’avis du Comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[29] Le dossier doit donc être retourné à la CSST afin qu’elle se conforme à la procédure d’évaluation médicale relative aux maladies pulmonaires professionnelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ANNULE les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17décembre 2004 et le 24 février 2005;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle se conforme aux articles 226 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Norman Tremblay |
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Commissaire |
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M. Éric Lemay |
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Conseil santé sécurité |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Pierre Bouchard |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Massy et Ministère du Développement des ressources humaines, [1996] C.A.L.P. 801 (décision accueillant la requête en révision); Rouleau et Métallurgie Frontenac, C.L.P. 110837-03B-9902, 29 juillet 1999, R. Jolicoeur; Cosimiro et Construction DJL inc., C.L.P. 136222-71-0004, 12 mars 2001, D. Gruffy; C.A.E. Électronique ltée et Zoura, C.A.L.P. 87484-60D-9704, 25 juin 1998, F. Dion-Drapeau
AVIS :
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