DÉCISION
[1] Le 26 mai 1999, monsieur Sylvain Ouellet, le travailleur, signe et transmet à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision émise le 20 mai 1999 par le service de révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST).
[2] Par cette décision, la réviseure dispose d’une demande de révision introduite par le travailleur, le 11 février 1999, à l’encontre d’une décision émise par la CSST, le 5 février de la même année. La réviseure confirme la décision contestée et rejette la demande de révision du travailleur à l’effet d’être reconnu invalide en application de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001, aux motifs que l’article 93 s’inscrit dans les indemnités de décès et ne s’applique dont pas au travailleur.
[3] Une audience fut dûment convoquée et tenue devant la Commission des lésions professionnelles, siégeant à Chicoutimi, le 6 décembre 1999.
[4] Le travailleur ainsi que la CSST étaient présents.
[5] Cette audience fut ajournée afin de permettre aux parties de s’enquérir auprès de la Commission de la Construction du Québec des dispositions régissant le travailleur en ce qui concerne son régime de retraite. En effet, le travailleur demandait l’application de l’article 93 dans le cadre de l’application de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[6] Suite à l’ajournement prononcé, les parties ont obtenu les informations demandées, informations transmises à la Commission des lésions professionnelles. De plus, les parties se sont entendues pour produire une argumentation écrite sur le sujet en litige et ont requis que la Commission des lésions professionnelles se prononce à la vue du dossier conformément à l’article 429.14 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
L'OBJET DU LITIGE
[7] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision contestée et de déclarer qu’il est admissible à recevoir les prestations prévues par l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, en l’occurrence d’obtenir de la CSST qu’elle assume la part des cotisations exigibles de Constructeurs GPC inc., l’employeur, dans le cadre du régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion professionnelle.
LES FAITS
[8] Des documents au dossier, la Commission des lésions professionnelles résumera les éléments pertinents à notre litige.
[9] Quant à l’histoire de cas du travailleur, la Commission des lésions professionnelles réfère le lecteur à la section «Les faits» contenue à une décision émise le 16 février 1999, par la Commission des lésions professionnelles, dans le dossier 104198-02-9808, le tout comme si cette section était rapportée au long au présente.
[10] De façon plus spécifique, rappelons succinctement que le travailleur fut victime d’une lésion professionnelle, le 21 septembre 1988, alors qu’il était soudeur chez l’employeur, compagnie oeuvrant dans le secteur de la construction.
[11] Suite à cette lésion professionnelle ainsi que des différents traitements médicaux reçus par le travailleur, celui-ci s’est vu reconnaître un taux d’atteinte permanente supérieure à 100 % (119 %) ainsi que des limitations fonctionnelles importantes, limitations confinant à l’invalidité totale du travailleur tel que s’exprime le docteur Jean-François Roy, le 27 septembre 1994, à son rapport d’évaluation ainsi qu’en date du 1er décembre 1999, le tout comme suit :
«Vous êtes considéré comme invalide et ce de façon totale et permanente pour tout emploi rémunérateur jusqu’à nouvel ordre.
Il se peut qu’une chirurgie éventuelle puisse améliorer votre condition physique mais cette chirurgie est non envisagée pour l’instant.»
[12] Quant au programme de réadaptation sociale du travailleur, on doit constater que par lettre du 4 mai 1995, la CSST rendait une décision dans laquelle elle admet son impossibilité, à cette époque, de déterminer un emploi convenable.
[13] De plus, la CSST paie le travailleur en indemnités de remplacement du revenu depuis sa lésion professionnelle du 21 septembre 1988 et jusqu’à présente date. Ajoutons que la CSST reconnaît que le dossier de réadaptation sociale du travailleur est inactif.
[14] Or, tous ces éléments sont admis par la CSST à son argumentation écrite du 15 mai 2000, en page 2, bien que la CSST ajoute qu’elle ne peut reconnaître que le travailleur est invalide au sens de l’article 93.
[15] D’autre part, en date du 17 janvier 1999, monsieur Rémi Pilote, conseiller en réadaptation de la CSST, adressait une lettre à la Commission de la Construction du Québec dans lequel il rapporte :
«Monsieur Sylvain Ouellet serait éligible à l’application de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. C’est donc dire que la CSST serait prête à payer la part de l’employeur des cotisations à son régime de retraite si celui-ci assume la sienne.
Nous aimerions donc connaître les modalités d’application ainsi que les coûts par année que cela pourrait impliquer.
Par la suite, nous pourrons alors entrer en communication afin de finaliser le tout.»
[16] Le 15 février 1996, monsieur Marc Lachance, chef de section à la Commission de la Construction du Québec, transmettait à monsieur Rémi Pilote les paramètres applicables au dossier du travailleur en prenant en considération le métier de «soudeur en tuyauterie».
[17] Subséquemment, le travailleur a reçu copie de ces informations et fut avisé que pour pouvoir bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il devait payer sa part de contribution, ceci de façon rétroactive à la lésion professionnelle, s’il voulait obtenir la contribution de la CSST.
[18] Le 25 janvier 1999, le travailleur adressait une lettre à la CSST, lettre qu’il intitule «demande de reconnaissance de l’article 93». À cette lettre, le travailleur explique qu’il désire être reconnu invalide conformément à l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, le tout dans le contexte de l’application de l’article 116 de cette loi.
[19] Lors de l’audience, le travailleur précise qu’il ne recherche pas une déclaration théorique d’invalidité mais plutôt l’application de l’article 116, en l’occurrence le paiement de ses contributions à son régime de retraite par la CSST.
[20] Voilà donc l’essentiel du litige opposant le travailleur à la CSST, litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles.
[21] La Commission des lésions professionnelles ajoute qu’elle a pris connaissance des argumentations écrites transmises par les parties ainsi que de la documentation annexée.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[22] Le travailleur allègue que conformément à toute la documentation médicale à son dossier ainsi que des décisions émises à la CSST, il faut bien reconnaître qu’il est invalide au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en ce qu’il subit une invalidité physique grave et prolongée le rendant régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
[23] Il ajoute que cet état de faits est reconnu par la CSST depuis plusieurs années puisque, à tout escient, son dossier est clos en réadaptation sociale.
[24] Le travailleur ajoute qu’il a manifesté son désir de participer au régime de retraite de la Commission de la Construction du Québec et qu’il est en droit de bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[25] Pour sa part, la CSST allègue que le travailleur est un travailleur de la construction qui fut victime d’une lésion professionnelle alors qu’il détenait un emploi dans ce secteur d’activité.
[26] En conséquence, en application de l’article 234 alinéa 2, le travailleur ne peut bénéficier des dispositions de la section I chapitre VII de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Or, l’article 235 alinéa 2 est inscrit à l’intérieur de cette section.
[27] En second lieu, on ajoute que les dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne sont qu’un prolongement des dispositions de l’article 235 de cette loi, article qui trouve application pendant le délai prévu à l’article 240, délai prévu pour l’exercice du droit de retour au travail.
[28] Ainsi donc, si le travailleur continue à participer à son régime de retraite pendant cette période initiale, l’employeur doit payer sa part de cotisation exigible. Or, cette obligation est transférée à la CSST, à l’expiration des délais prévus à l’article 240, selon le cas, lorsque le travailleur est reconnu être atteint d’une invalidité grave et prolongée.
[29] Donc, subsidiairement, la CSST invoque qu’initialement, suite à sa lésion professionnelle de 1988 le travailleur devait, dans un délai raisonnable, informer son employeur qu’il désirait continuer à participer à son régime de retraite, condition essentielle à l’application de l’article 235 alinéa 2. À défaut de ce faire dans un délai raisonnable, le travailleur perdait ses droits et l’article 116 n’a pas pour effet de faire renaître ceux-ci à l’expiration du délai prévu à l’article 240.
[30] De plus, la CSST ajoute que le travailleur n’a fait valoir aucun motif raisonnable permettant d’excuser son retard à agir puisque, à tout escient, sa demande fut faite en 1996.
[31] Finalement, la CSST ajoute que le recours disponible au travailleur est celui prévu à l’article 32 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles dans le cadre où il introduit une telle demande et subit un refus de la part de son employeur.
L'AVIS DES MEMBRES
[32] Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales recommandent à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la contestation du travailleur pour les motifs suivants :
- le travailleur a subi une lésion professionnelle alors qu’il occupe un emploi dans le secteur de la construction;
- conformément à l’article 234 alinéa 2, les travailleurs de la construction (article 247 LATMP) sont spécifiquement exclus de l’application de la section I du chapitre VII et l’on ne retrouve aucune disposition similaire à l’article 235 paragraphe 2° LATMP à la section II du chapitre VII;
- l’article 116 LATMP est un prolongement de l’article 235 paragraphe 2° en ce qu’il prévoit les mêmes droits énoncés à l’article 235 paragraphe 2° si ce n’est qu’après l’épuisement de la période prévue à l’article 240 LATMP, selon le cas, la CSST sera appelé à versé la contribution de l’employeur;
- le législateur, à l’article 116 LATMP prévoit spécifiquement la même exclusion que l’article 234 alinéa 2 LATMP puisqu’il réfère à la notion «d’établissement», notion définie à l’article 2 LATMP et à l’article 1 LSST. Or, ces définitions excluent spécifiquement un chantier de construction;
- finalement, dans l’hypothèse où l’on retiendrait l’application de l’article 116 au travailleur, l’on devrait recommander le rejet de sa demande puisqu’il a à jamais offert de payer sa part de contribution, dans un délai raisonnable, depuis sa lésion professionnelle;
- Le travailleur n’a fait valoir aucun motif raisonnable d’excuse à son retard à agir dans les délais.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[33] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur peut bénéficier des dispositions de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cet article stipule :
116. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235.
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1985, c. 6, a. 116.
[34] L’article 116 s’inscrit à la section IV du chapitre III de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le chapitre III porte sur les indemnités en générale qui sont prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[35] De façon spécifique, à la section IV intitulé «Autres indemnités», le législateur québécois a stipulé une série de dispositions aux articles 112 à 116, dispositions de nature générale et prévoyant spécifiquement le paiement d’indemnité ou le remboursement de frais non autrement compris dans les sections précédant la section IV. Il s’agit donc d’indemnité particulière s’ajoutant à celle déjà prévue au section précédante lorsque les conditions d’application requises par les articles 112 à 116 sont satisfaites.
[36] En tout état de cause il s’agit donc d’indemnité ayant une existence objective indépendante de toute autre indemnité prévue par une section ou un chapitre spécifique de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles si ce n’est de l’existence d’une lésion professionnelle. En conséquence, ces prestations s’ajoutent à celles déjà prévues aux autres sections et dépendent des conditions spécifiques prévues à chacune de ces dispositions législatives visées à la section IV du chapitre III.
[37] Or, l’article 116 prévoit de façon générale qu’un travailleur qui subit une lésion professionnelle entraînant une invalidité grave et prolongée a le droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
[38] Comme conditions d’application, ce premier paragraphe requiert :
- que le travailleur soit victime d’une lésion professionnelle;
- que cette lésion professionnelle entraîne une invalidité prévue à l’article 93 (grave et prolongée);
- et que le travailleur continue à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où il travaillait au moment de sa lésion.
[39] Or, le second alinéa de l’article 116 ajoute que, pendant la période où l’employeur est tenu d’assumer sa part en vertu du second paragraphe du premier alinéa de l’article 235, la CSST sera dispensée de ce paiement.
[40] Il en ressort donc que l’article 116 se trouve à être le prolongement des droits prévus à l’article 235 paragraphe 2° de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cet article énonce :
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :
1° continue d'accumuler de l'ancienneté au sens de la convention collective qui lui est applicable et du service continu au sens de cette convention et au sens de la Loi sur les normes du travail (chapitre N - 1.1);
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
Le présent article s'applique au travailleur jusqu'à l'expiration du délai prévu par le paragraphe 1° ou 2°, selon le cas, du premier alinéa de l'article 240.
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1985, c. 6, a. 235.
[41] À l’article 235, dans le cadre du chapitre VII de la section I portant sur le «droit au retour au travail», le législateur québécois a prévu qu’un travailleur qui devait s’absenter de son travail suite à une lésion professionnelle pouvait continuer de participer au régime de retraite et d’assurance offert dans l’établissement, pourvu qu’il paie sa part de cotisation exigible, s’il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
[42] Ce droit particulier fait partie des droits reconnus au travailleur dans le cadre du droit au retour au travail et s’applique pendant la période prévue à l’article 240, selon le cas. L’article 240 énonce :
240. Les droits conférés par les articles 236 à 239 peuvent être exercés :
1° dans l'année suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant 20 travailleurs ou moins au début de cette période; ou
2° dans les deux ans suivant le début de la période d'absence continue du travailleur en raison de sa lésion professionnelle, s'il occupait un emploi dans un établissement comptant plus de 20 travailleurs au début de cette période.
Le retour au travail d'un travailleur à la suite d'un avis médical n'interrompt pas la période d'absence continue du travailleur si son état de santé relatif à sa lésion l'oblige à abandonner son travail dans la journée du retour.
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1985, c. 6, a. 240.
[43] À ce stade, il faut convenir que l’article 235 s’inscrit dans les nouvelles dispositions adoptées depuis le 19 août 1985 lors de l’adoption de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Il créé un nouveau droit accordé aux travailleurs du Québec, droit visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle.
[44] De façon spécifique, l’article 235 protège donc l’admissibilité des travailleurs, pendant leur période d’absence du travail dû à une lésion professionnelle au régime de retraite leur étant applicable. Cet article, bien que ne comportant aucun délai d’application, suppose que le travailleur, suite à une lésion professionnelle, continue à participer à son régime de retraite tel que prévu à son contrat de travail ou à sa convention collective.
[45] Or, l’article 234 stipule :
234. La présente section s'applique au travailleur qui, à la date où il est victime d'une lésion professionnelle, est lié par un contrat de travail à durée indéterminée ou, dans le cas prévu par l'article 237, à durée déterminée.
Cependant, elle ne s'applique pas au travailleur visé dans la section II du présent chapitre, sauf en ce qui concerne l'article 243.
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1985, c. 6, a. 234.
[46] L’article 234 définit le domaine de l’application de la section I du chapitre VII. Or, au second alinéa de l’article 234, le législateur québécois stipule que la section I du chapitre VII ne s’applique pas au travailleur visé dans la section II du chapitre VII, sauf en ce qui concerne l’article 243, article portant sur l’obligation faite à l’employeur de procéder à embaucher de nouveau un travailleur victime d’une lésion professionnelle lorsqu’il est en mesure d’exercer son emploi.
[47] Cette exclusion de l’article 234 vise donc l’ensemble de la section I et réfère les travailleurs visés par l’article 247 au droit spécifiquement prévu à la section II du chapitre VII. L’article 247 énonce :
247. La présente section s'applique au travailleur qui est un salarié au sens de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main‑d'oeuvre dans l'industrie de la construction (chapitre R‑20) et qui travaille sur un chantier de construction.
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1985, c. 6, a. 247; 1986, c. 89, a. 50.
[48] À la section II, l’on ne retrouve aucune disposition similaire aux dispositions de l’article 235 au paragraphe 2°.
[49] Il en résulte que les travailleurs visés par l’article 247 ne bénéficient pas du droit prévu à l’article 235 paragraphe 2° et, qu’en conséquence, pendant la période d’application de l’article 240, ils ne peuvent continuer à participer à leur régime de retraite et d’assurance offert dans l’établissement où ils travaillent (chantier de construction).
[50] La lecture de l’ensemble de ces dispositions législatives pose donc un problème d’interprétation. En effet, selon qu’un travailleur est un travailleur de la construction ou non, le législateur québécois a stipulé des droits et obligations différentes quant au contenu du droit au retour au travail ainsi que ces modalités d’application.
[51] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il existe un tel régime de retraite géré par la Commission de la Construction du Québec qui prévoit spécifiquement qu’un salarié invalide peut participer au régime de retraite. En effet, l’article 8 du Règlement sur les régimes complémentaires des avantages sociaux dans l’industrie de la construction, R.-20, R. 14.01, précise :
20. Peut participer au régime de retraite le salarié invalide au sens de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) à qui cette loi permet de continuer à participer à ce régime.
[52] Dès lors, les travailleurs de la construction ne bénéficient pas de la même couverture à l’intérieur du droit de retour au travail prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[53] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles constate que l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles se situe dans le prolongement du paragraphe 2 de l’article 235 en étendant la couverture dont bénéficie le travailleur au-delà des périodes prévues aux paragraphes 1 et 2 de l’article 240.
[54] Les deux articles prévoient spécifiquement qu’il s’agit d’une couverture facultative, conditionnelle au paiement par le travailleur de sa cotisation exigible.
[55] Dans l’affaire Claude Beauregard et Abattoir St-Jean ltée[1], le commissaire Guy Perreault ajoute :
« (...)
Bien que l’article 235 ne comporte pas expressément de délais au cours desquels un travailleur doit informer l’employeur de son désir de participer à un régime de retraite, la Commission d’appel est d’avis que cet article est suffisamment clair pour pouvoir conclure que le travailleur doit manifester son intention au début de son absence à la suite d’une lésion professionnelle ou, en tout cas, dans un délai raisonnable. Les mots «Le travailleur qui s’absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle [...] continue d’accumuler de l’ancienneté [...] pourvu qu’il paie sa part des cotisations exigibles [...]» sont très explicites à l’effet qu’on ne veut pas qu’il y ait de brisure, de rupture sur ces aspects au moment de la lésion professionnelle du travailleur ou de son absence du travail, et que ces bénéfices doivent s’appliquer dès ce moment. Le législateur a utilisé d’autres termes quand il a mentionné à l’article 242 de la loi, d’autres avantages qui s’appliquent plus tard, soit lorsque le travailleur réintègre son emploi.
Le fait qu’un travailleur ne contribue pas ou n’informe pas rapidement l’employeur de son désir de contribuer à l’effet évidemment opposé, comme le souligne l’employeur, c'est-à-dire qu’il indique que le travailleur ne veut plus continuer de participer à ces régimes.
D’autre part, la Commission d’appel considère que la référence à l’article 240 de la loi dans l’article 235 n’a aucune connotation de délais mais vise la période d’application de tels bénéfices, si le travailleur continue d’être absent et paie ses contributions.
(...)»
[56] Il en résulte que dans les cas où l’article 235 s’applique, le travailleur doit aviser dans un délai raisonnable son employeur qu’il désire continuer à participer à son régime de retraite et offrir le paiement de sa cotisation exigible. À défaut de se faire, l’employeur n’a pas à offrir de payer sa cotisation puisque, à tout escient, le travailleur est présumé avoir choisi d’interrompre ses participations à son régime de retraite.
[57] Comme par ailleurs l’article 116 se trouve à être un prolongement de l’article 235 et que dans son texte le législateur a employé des termes similaires, tels celui de «continuer à participer au régime de retraite offert», il faut bien conclure que les mêmes règles demeurent applicables et, qu’en conséquence, un travailleur qui veut bénéficier des dispositions de l’article 116 doit aviser, dans un délai raisonnable, la CSST qu’il désire toujours contribuer à son régime de retraite et offrir les cotisations exigibles, le tout à la fin de la période prévue à l’article 240 dans lequel se retrouve le travailleur eut égard au nombre d’employés dans l’entreprise.
[58] À défaut de ce faire, dans un délai raisonnable, la Commission des lésions professionnelles doit conclure qu’un travailleur visé par les dispositions de l’article 235 se retrouve dans une situation de hors délai.
[59] Dans les circonstances actuelles, rappelons que le travailleur fut victime de sa lésion professionnelle le 21 septembre 1988 et que, par la suite, il n’a jamais repris le travail.
[60] Pendant la période initiale prévue par l’article 240, le travailleur n’a jamais offert de continuer à participer à son régime de retraite et ne s’est donc pas prévalu des dispositions de l’article 235.
[61] Subséquemment, ce n’est qu’à partir de 1996 que le travailleur s’adresse à la CSST sur ce sujet.
[62] Dès 1994, la documentation médicale au dossier établissait que le travailleur présentait une atteinte permanente importante ainsi que des limitations fonctionnelles l’empêchant de reprendre un travail rémunérateur. Il en résulte donc que le travailleur ne s’est pas prévalu ni des dispositions de l’article 235 ni des dispositions de l’article 116 avant 1996 alors qu’il avait une connaissance de son invalidité.
[63] Or, l’article 352 énonce :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
[64] Il en résulte donc que la CSST pouvait prolonger ou relever le travailleur de son défaut d’avoir respecté le délai s’il démontrait un motif raisonnable pour expliquer son retard à agir.
[65] Sur ce sujet, on doit constater que le seul motif apparent à ce dossier est celui de l’ignorance de la loi. Or, de jurisprudence constante, l’ignorance de la loi ne constitue pas un motif raisonnable d’excuse.
[66] Ainsi donc, même dans l’hypothèse où la Commission des lésions professionnelles conclurait que l’article 116 s’applique à un travailleur de la construction, il en résulterait que le travailleur n’aurait pas accès au droit prévu à cet article ne s’étant pas prévalu des dispositions de l’article 116 dans un délai raisonnable et n’ayant fait valoir aucun motif raisonnable permettant d’excuser son retard à agir.
[67] La Commission des lésions professionnelles ajoute, comme discuté plus haut, que conformément à l’application de l’article 234 alinéa 2, les travailleurs visés par l’article 247, en l’occurrence les travailleurs de la construction ne bénéficient pas des droits prévus à l’article 235 paragraphe 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. En effet, il faut bien conclure qu’ils sont spécifiquement exclus de la couverture prévue par le paragraphe 2 de l’article 235.
[68] Quant à l’article 116, bien qu’inscrit dans une section générale portant sur les autres indemnités, il faut bien conclure qu’il s’agit d’un prolongement immédiat et direct, le tout de façon explicite, de l’article 235 paragraphe 2.
[69] En conséquence, pour cette première raison, l’article 116 est soumis au même domaine d’application et subit donc les mêmes restrictions imposées par le législateur au chapitre portant sur le droit au retour au travail du travailleur.
[70] Bien plus, l’article 116 s’applique aux travailleurs qui continuent à participer au régime de retraite offert dans l’établissement où le travailleur travaillait au moment de sa lésion professionnelle.
[71] Or, le terme «établissement» est défini à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles de la façon suivante :
« établissement » : un établissement au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ;
[72] À la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1, on définit le terme «établissement comme suit :
« établissement » : l’ensemble des installations et de l’équipement groupés sur un même site et organisés sous l’autorité d’une même personne ou de personnes liées, en vue de la production ou de la distribution de biens ou de services, à l’exception d’un chantier de construction; ce mot comprend notamment une école, une entreprise de construction ainsi que les locaux mis par l’employeur à la disposition du travailleur à des fins d’hébergement, d’alimentation ou de loisirs, à l’exception cependant des locaux privés à usage d’habitation ;
[73] Il résulte donc de ces définitions que le législateur a spécifiquement exclu les chantiers de construction et, qu’en conséquence, à l’intérieur même de l’article 116, le législateur réitère, par ce biais, la distinction spécifiquement énoncée à l’article 234.
[74] Dès lors, force nous est de conclure que les travailleurs de la construction ne peuvent bénéficier des dispositions des articles 235 paragraphe 2 et 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[75] Finalement, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser que les modalités d’exercice du droit de retour au travail sont spécifiquement prévues aux articles 244 à 246 pour les travailleurs en général et aux articles 250 et 251, pour les travailleurs de la construction.
[76] Il en résulte donc que, selon les modalités d’application prévues à ces dispositions législatives et les circonstances du cas, le tout peut résulter en une demande d’intervention faite en vertu de l’article 252 auprès de la CSST, demande d’intervention elle-même soumise et sujette aux recours prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
[77] D’autre part, tel qu’il appert de la jurisprudence déjà citée[2], le tout peut être soumis à la CSST sous forme d’une plainte en vertu de l’article 32.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête introduite par monsieur Sylvain Ouellet, le 26 mai 1999;
MODIFIE la décision émise par le service de révision administrative de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, en date du 20 mai 1999;
CONSTATE que le litige soulevé par monsieur Sylvain Ouellet porte sur l’application de l’article 116 et, qu’en tout état de cause, la déclaration d’invalidité recherchée en vertu de l’article 93 résulte des conditions d’application de l’article 116 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que monsieur Sylvain Ouellet ne peut bénéficier des dispositions de l’article 116 puisqu’il est reconnu comme étant être un travailleur de la construction visé par les dispositions de l’article 247 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et spécifiquement exclus par l’application de l’article 234 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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PIERRE SIMARD |
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Commissaire |
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PANNETON LESSARD Me Stéphane Larouche 901, boul. Talbot, C.P. 5400 Chicoutimi (Québec) G7H 6P8 |
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Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.