Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2014 QCTAQ 01839
Dossiers : SAS-M-194654-1201 / SAS-M-200766-1207
BERNARD COHEN
DOMINIQUE MARCIL
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le requérant conteste deux décisions en révision rendues les 22 décembre 2011 et 21 juin 2012 par la Société de l’assurance automobile du Québec, la S.A.A.Q., ci-après l’intimée.
[2] La première décision en révision du 22 décembre 2011 se prononce sur la con-testation de cinq décisions des agents d’indemnisation, agissant en première instance :[1]
- La première porte sur les séquelles ou l’indemnité pour perte de qualité de vie. Celle-ci évalue comme étant sous le seuil minimal l'unité concernant la protection assurée par le thorax et l’abdomen. Ce volet est confirmé en révision; on statue qu’il n'y a aucune atteinte à l’intégrité du contenu thoracique et abdominal qui est documenté par la preuve médicale au dossier; l’opinion de l’expert du requérant qui demandait une classe de gravité 1 n’est pas retenue. Le requérant demande au Tribunal qu’on reconnaisse une classe de gravité 1;
· En ce qui a trait à la fonction de locomotion, la classe de gravité 2 du barème est confirmée en révision et l’opinion de l’expert orthopédiste du requérant, Dr Tremblay, qui suggérait une classe de gravité 3 est rejetée; on demande donc au Tribunal d’accorder une gravité 3;
· En ce qui a trait au déplacement et au maintien du tronc, la décision de l’agent qui accordait une classe de gravité 1 est maintenue; l’opinion du Dr Tremblay n’est pas retenue. Le requérant demande une classe de gravité 3.
· Relativement à l’esthétique du tronc et des organes génitaux, une classe de gravité 3 est accordée en révision au lieu d’une classe de gravité 2; quant à l’esthétique du crâne et du cuir chevelu, ainsi que l’esthétique du membre inférieur droit, la classe de gravité 2 est maintenue; il en est de même du déplacement et maintien du membre supérieur gauche, la classe de gravité 2 est maintenue. Ce volet de la décision n’est pas contesté devant le Tribunal.
- La seconde décision de première instance portant sur l’emploi présumé au 181ième jour suivant l’accident qui lui présumait l’emploi de livreur de mets préparés est modifiée. L’agente réviseure lui présume l’emploi d’aide-commis de magasin, rejetant la suggestion faite par le procureur du requérant qui demandait qu’on retienne l’emploi de manœuvre spécialisé dans la construction. Le procureur réitère cette demande devant les soussignés. Il ajoute qu’en cas de refus de cet emploi, il aimerait qu’on lui reconnaisse subsidiairement l’emploi de manœuvre en entretien de travaux publics selon Repères. L’agente réviseure estima ensuite que le requérant n’était pas apte à exercer le nouvel emploi présumé d’aide-commis de magasin le 17 décembre 2010. Les indemnités de remplacement de revenu (IRR) ont continué à lui être versées. Elle infirma donc la troisième décision de l’agent portant sur l’IRR.
- La quatrième décision de première instance portant sur la fin du remboursement des traitements de physiothérapie ou de tout autre traitement cessant le 12 janvier 2011, au motif qu’ils ne sont plus requis médicalement, est confirmée en révision; le procureur du requérant avise le Tribunal en début d’audience que ce volet n’est pas en litige, faute d’objet.
- La cinquième décision portant sur le refus de lui verser de l’aide personnelle à domicile est confirmée. Le procureur du requérant souligne au Tribunal que les évaluations des besoins pour les périodes antérieures au 11 décembre 2010 sont identiques selon les deux ergothérapeutes qui ont émis des avis à cet égard. L’évaluation des besoins est, par contre, litigieuse pour les périodes du 11 décembre 2010 au 27 mai 2011, et celle du 27 mai 2011 jusqu’à aujourd’hui. Il produit au dossier un rapport d’expertise daté du 4 janvier 2013, rédigé par monsieur Claude Bougie, ergothérapeute.[2] La contre-expertise est signée par monsieur Hébert Henry, ergothérapeute, en date du 28 mars 2013, faite sur dossier.
[3] La seconde décision en révision du 21 juin 2012, contestée devant le Tribunal, se prononce sur le bien-fondé de deux décisions prises par l’agente d’indemnisation portant d’abord sur le refus de reconnaître une relation causale entre un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse et irritable, et l’accident[3], et finalement sur le refus de reconnaître une relation entre des problèmes reliés à l’œil gauche, incluant la perte de champ visuel, et l’accident.[4]
[4] À propos du lien causal psychiatrique, le procureur du requérant demande au Tribunal qu’en cas d’acceptation du lien causal, l’on accorde au requérant le pourcentage recommandé par l’expert psychiatre, Dr Gauthier. Le procureur de l’intimée s’y oppose.
[5] Finalement, quant à la relation entre l’accident et la lésion à l’œil gauche, le procureur de la partie requérante demande qu’on renvoie le dossier à l’intimée pour évaluation des séquelles et notamment pour la perte du champ visuel. En révision, la décision de première instance du 8 mai 2012 avait été modifiée. La blessure à l’œil gauche a été reconnue comme étant en relation avec l’accident. Toutefois, il est statué que cette blessure n’a laissé aucune séquelle permanente, et ce, en se basant sur les opinions de l’optométriste et de l’ophtalmologiste versées au dossier qui estimèrent que les examens étaient normaux, la rétine étant intacte, et qu’il n’y avait aucune atteinte au champ visuel.
Exposé des faits
[6] Les deux dossiers, ainsi que les témoignages de la partie requérante, de sa conjointe, de son expert psychiatre, Dr Serge Gauthier, et de l’ergothérapeute, entendus à l’audience tenue le 10 octobre 2013[5], révèlent les faits saillants suivants :
[7] Le 14 octobre 2009, durant la nuit, le requérant, âgé alors de 33 ans, est victime d’un accident d’automobile.[6]
[8] Selon le rapport de la police, il était passager avant d’une voiture[7] dont le conducteur a perdu le contrôle à la sortie d’une courbe durant la nuit.[8] Le requérant qui n’était pas attaché, a été éjecté du véhicule et a subi de multiples blessures importantes.
[9] Sans emploi, mais capable de travailler[9] au moment de l'accident, le requérant est transporté au domicile de ses parents par le conducteur et un passant.[10] C’est de cet endroit que le requérant est pris en charge par les ambulanciers qui l’amènent d’urgence à l’hôpital.
[10] On note lors du transport en ambulance de la douleur au dos, au cou et au thorax. Il ne tolère pas la position couchée où il a une abrasion. Il est alerte et le Glasgow est à 15/15.
[11] À l’urgence du Centre hospitalier A à Ville A où il est conduit par les ambulanciers, on constate une lacération temporale gauche, de la douleur au cou et au thorax, ainsi qu’une abrasion au dos. Le Glasgow est à 15. Il y a présence de ROH++. Il est vu et traité par plusieurs spécialistes de l’établissement hospitalier.
[12] Le requérant ne se souvient pas de l’accident. Le chirurgien en devoir ne sait pas s’il s’agit de voies de fait ou d’un accident d’automobile, malgré la version de sa conjointe de fait qui dit l’avoir conduit au bar et qu’il a été ramené à la maison par deux individus.[11]Celle-ci fait état d’une agression.
[13] Un drain thoracique est pratiqué aux soins intensifs pour un hémothorax droit, à la suite de multiples fractures des côtes,[12] fractures du sternum, de l’omoplate et de la clavicule gauches,[13] et une fracture « intertroc » de la hanche droite.
[14] Des radiographies sont prises des poumons, de la colonne cervicale, du thorax, du fémur droit, de l’épaule gauche, et de la colonne lombosacrée.
[15] On découvre notamment qu’il a subi une fracture au niveau du fémur droit, laquelle est traitée par réduction ouverte, fixation interne avec clou et plaque. Il est pris en charge, notamment par le Dr Richard Bonin, orthopédiste.
[16] Dans la feuille sommaire d’hospitalisation, au départ le 4 novembre 2009, on y lit notamment qu’il a fait abus de drogue, souffre d’alcoolisme et qu’il a un trouble de personnalité.[14] On écrit qu’il veut retourner boire dès que possible. L’hospitalisation a duré 21 jours.
[17] Le 26 octobre 2009, il est vu en psychiatrie, à la demande du Dr Yvan Bernier. Au moment de l’examen, il vit chez ses parents et sa copine qu’il connaît depuis quatre ans.[15] Le médecin spécialiste dont nous n’arrivons pas à lire le nom, fait état dans ses antécédents d’une commotion cérébrale en 1990 et d’antécédents judiciaires : accusation d’alcool au volant et d’entrée par effraction en 1996. On fait état de 8 à 24 consommations de bière par jour, de consommation de cocaïne une fois par semaine, et aussi de speed une fois par semaine. En plus, le requérant consomme notamment comme médication du Risperdal et de l’Ativan. Il aurait fait la tournée des bars avant son accident.[16] Il avoue à ce psychiatre qu’il a déjà été trafiquant de drogue et que c’était très payant. Il est aussi noté qu’il aurait fait un « delirium tremens » en cours d’hospitalisation.
[18] Le psychiatre, à la suite d’un examen mental normal, pose son diagnostic à l’Axe I du DSM IV, soit d’alcoolisme, d’abus de cocaïne et d’amphétamines, et à l’Axe II, il fait état d’éléments du Groupe B.
[19] Le 30 octobre 2009, lors d’un examen auprès d’un ophtalmologue à la Clinique externe d’ophtalmologie du CLSC de sa région, il est question de flottants vitrés à l’œil gauche, mais la rétine est intacte.[17] Il n’y a pas de flash aux yeux. Il n’est pas question ici d’une perte de champ de vision. On l’avise de consulter en cas de perte de champ de vision, de flash, ou s’il y a une recrudescence des flottants.
[20] Le 17 mai 2010, l’intimée lui présume un emploi de livreur de mets préparés et établit son revenu annuel brut à 18 771 $ aux fins d’indemnisation au 181ième jour de l’accident. Une indemnité de remplacement du revenu (IRR) de 547,14 $ lui est versée tous les 14 jours, étant donné qu’il ne peut effectuer cet emploi déterminé.
[21] La première expertise au dossier date du 17 décembre 2010, effectuée par Dr Jean Rousseau, à la demande de la partie intimée.
[22] Celui-ci étudie le dossier et fait état que le Dr Bonin, orthopédiste traitant, aurait déclaré le requérant consolidé en septembre 2010. Lors de sa dernière évaluation, Dr Bonin parlait de douleur dorsale importante et de boiterie résiduelle.
[23] Après avoir recueilli les plaintes, il procède à un examen objectif du requérant.
[24] Dans ses plaintes, le requérant fait état d’une douleur intermittente une fois par semaine et de courte durée à la région antérieure du thorax gauche, de douleur à la région dorsolombaire au niveau des masses para-vertébrales de D12 à L1; cette douleur est augmentée par les positions stationnaires prolongées ou augmentées par la marche; il se plaint aussi de douleur à la hanche droite lorsqu’il marche plus d’un kilomètre et lorsqu’il est assis de façon prolongée.
[25] L’expert orthopédiste émet des limitations fonctionnelles de classe 2 selon l’IRSST pour le rachis et les membres inférieurs, à savoir :
· éviter de rester debout plusieurs heures;
· éviter de soulever ou porter des charges excédant 15 kg de façon répétitive ou fréquente;
· éviter d’emprunter fréquemment les escaliers;
· éviter de travailler dans des terrains accidentés ou glissants;
· éviter les échafaudages et les échelles;
· éviter de faire des mouvements répétitifs ou fréquents de flexion, d’extension ou de torsion au niveau de la colonne dorsale et lombaire, même à faible amplitude;
[26] Quant au membre supérieur gauche, selon l’expert, il devra éviter tout travail en force qui nécessite l’utilisation des rotateurs externes, ayant auparavant conclu qu’il présente une faiblesse résiduelle à ce niveau.
[27] Il lui attribue notamment une classe de gravité 1 au niveau du déplacement et maintien du membre supérieur gauche; aucune séquelle pour la protection assurée de la cage thoracique et la paroi abdominale; une classe de gravité 1 pour le déplacement et le maintien du tronc, et une classe de gravité 2 pour la locomotion.
[28] Le 12 janvier 2012, une agente d’indemnisation rend deux décisions statuant que le requérant est apte à exercer l’emploi présumé de livreur de mets préparés, conformément à l’opinion du Dr Rousseau et qu’il n’a plus droit au remboursement du coût de ses traitements de physiothérapie.
[29] Le 13 janvier suivant, l’agente d’indemnisation statue sur l’indemnité pour perte de qualité de vie et donne suite aux recommandations du Dr Rousseau.
[30] Le requérant conteste ces trois décisions et demande la révision administrative interne.
[31] En mars 2011, les nouveaux procureurs de la partie requérante demandent à l’intimée de procéder au remboursement des frais engagés pour de l’aide personnelle à domicile, pour les périodes du 17 novembre 2009 au 17 mai 2010, et du 18 mai 2010 au 10 décembre 2010. Les attestations sont signées par la conjointe du requérant, madame P.B.
[32] Le 12 mai 2012, un agent de l’intimée rejette sommairement la demande de frais pour de l’aide personnelle. Cette décision est immédiatement contestée par le requérant.
[33] Le requérant produit à l’intimée durant l’année 2011 l’historique des employeurs pour lesquels il a travaillé de 2002 à 2006. Le Tribunal reviendra sur cette preuve dans les motifs de sa décision.
[34] Le 8 avril 2011, Dr Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, procède à une expertise, à la demande des procureurs du requérant. Son rapport est daté et signé le 27 mai 2011.
[35] Après étude du dossier et l’examen des plaintes, ainsi qu’un examen physique, l’expert orthopédiste estime que le requérant s’est blessé sévèrement lors de l’accident surtout au niveau de l’épaule gauche, du rachis thoraco-lombaire et de la hanche droite.
[36] Il est d’avis qu’il demeure avec un raccourcissement important au niveau de la hanche droite. Quant aux séquelles au niveau dorsolombaire, il estime que la gravité 3 doit lui être accordée pour l’unité fonctionnelle du déplacement et maintien du tronc. Il ajoute qu’il présente une fracture par compression à plus de 50 % de la jonction thoraco-lombaire et une seconde fracture de 30 % de L2.
[37] Dr Tremblay estime qu’il devrait avoir droit à une classe de gravité 1 pour la voussure persistante au sternum et à l’hémithorax droit, région douloureuse à la palpation au niveau de la protection assurée par la cage thoracique et la paroi abdominale.
[38] Quant au membre supérieur gauche, il est d’avis qu’on devrait lui accorder une classe de gravité 1 à cause de la perte de force au niveau de la rotation de l’épaule gauche.
[39] Concernant l’unité de locomotion, il présente selon lui une classe de gravité 3, car il ne peut s’accroupir, adopter un pas rapide, ni courir.
[40] Il accorde des restrictions fonctionnelles : soit éviter les efforts de plus de 7 à 10 kilos pour tirer, soulever ou pousser; éviter les mouvements avec amplitude « modérée à extrême » de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne dorsolombaire; éviter les mouvements répétitifs de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne dorsolombaire, même de faible amplitude; éviter de s’accroupir ou de se mettre à genoux; éviter de ramper, grimper, ou d’emprunter les terrains accidentés ou glissants; éviter les positions statiques lombaires pour plus de 30 minutes à la fois; éviter les échelles, les escaliers et les escabeaux; éviter l’exposition aux vibrations pour le rachis dorsolombaire; éviter d’activer des pédales avec le membre inférieur droit de façon répétitive.
[41] Il estime qu’il ne peut faire l’emploi de livreur de mets préparés; il n’a aucun autre traitement à recommander.
[42] Le 25 juillet 2011, Dr Serge Gauthier, psychiatre, procède à une expertise, à la demande du procureur de la partie requérante.
[43] L’expert en psychiatrie étudie le dossier de l’accidenté et cite des extraits des expertises orthopédiques des docteurs Rousseau et Tremblay, les notes évolutives et les rapports médicaux des médecins traitants, le dossier d’hospitalisation, etc.
[44] L’expert note que la partie intimée a fait enquête et que l’enquêteur de la partie inti-mée, monsieur Luc Juteau, indique qu’il s’agit bel et bien d’un accident d’automobile, validé par l’enquête policière, et que le requérant fut éjecté du véhicule dont il était passager.[18]
[45] L’expert qui a également témoigné à l’audience après avoir entendu le témoignage de la partie requérante, note que durant l’hospitalisation de celui-ci le psychiatre de l’hôpital avait diagnostiqué de la dépendance à l’alcool et à la cocaïne, ainsi qu’un trouble de la personnalité du Groupe 2. Il note qu’il n’y a eu aucun suivi en psychologie et que tout traitement avait cessé au moment de son évaluation.
[46] Il note ensuite les antécédents personnels, soit une commotion cérébrale en 1990 qui n'a laissé aucune séquelle permanente. Il fume et consomme du speed à l'occasion et de la bière.
[47] Il procède ensuite à son examen mental. Le requérant lui fait part de sa peur de la circulation automobile et d’être passager, de sa fatigue, de ses problèmes de sommeil, de son manque de résistance, de sa douleur aux membres inférieurs lorsqu'il est en activité ou statique. Il note des capacités d’attention et de concentration diminuées. Il note des traits de personnalité antisociale.
[48] Il pose ensuite, selon les critères du DSM-IV, un diagnostic de trouble de l’adap-tation avec humeur anxieuse et irritable (Axe I). Il évalue l’EGF entre 60 et 65/100 (Axe V). Il estime que ce diagnostic de l’Axe I est relié à l’accident et que la lésion est consolidée au jour de l’évaluation. Selon lui, les séquelles permanentes sont évaluées à 5 %.
[49] Il émet des restrictions fonctionnelles, soit une diminution de la résistance à l’effort et au stress, ainsi qu’une altération de l’humeur avec anxiété, irritabilité, et difficultés au niveau du contrôle des émotions.
[50] Il estime qu’il ne peut effectuer les emplois de livreur de mets préparés, ni de journalier spécialisé dans la construction.
[51] En contre-expertise, la partie intimée a produit l’opinion sur dossier du Dre Isabelle Gingras, psychiatre.
[52] Son opinion émise à partir de la stricte preuve au dossier date du 19 septembre 2013. Celle-ci note un silence médical de 21 mois entre le moment de l’accident, le 14 octobre 2009, et la date de l’expertise du Dr Gauthier, le 25 juillet 2011. Elle note que le requérant a souffert de « délirium tremens » selon les notes d’hospitalisation. Elle conclut que celui-ci avait une dépendance sévère à l’alcool depuis un bon nombre d’années. On avait diagnostiqué lors de l’hospitalisation son alcoolisme et son trouble de personnalité. Le requérant avait perdu le droit de conduire un véhicule et n’avait pas de permis. La psychiatre conclut à une instabilité chez le requérant parce qu’il aurait travaillé chez huit différents employeurs entre 2002 et 2006.
[53] La psychiatre critique l’expertise du Dr Gauthier. Elle lui reproche de ne pas détailler les craintes en voiture, elle souligne qu’il ne documente pas en quoi consiste son irritabilité et son agressivité et l’impact au niveau du fonctionnement. Elle n’explique pas pourquoi il sort peu. Elle estime que si le requérant joue à des jeux vidéo chez lui, il doit avoir une bonne attention et concentration. Elle dit ensuite que l’histoire personnelle est très incomplète. Au niveau des habitudes de vie, elle trouve le rapport incomplet. Son examen mental est pourtant normal.
[54] Elle mentionne que le requérant avait des antécédents importants avant l’accident d’automobile : sa dépendance à l’alcool, à la cocaïne et à des amphétamines. Selon elle, ces antécédents et le trouble de la personnalité sont des pathologies à l’Axe I. Elle conclut qu’il y a discordance entre les conclusions du Dr Gauthier, son histoire, et l’examen mental. Selon elle, la classe de gravité 2 attribuée par le Dr Gauthier n’est pas justifiée.
[55] Elle termine en concluant que les symptômes psychiques allégués n’ont pas de lien probable avec l’accident.
[56] Le procureur de la partie requérante a produit au dossier un rapport rédigé et signé le 28 juin 2013 par madame Caroline Poitras, optométriste, concernant la vision de monsieur qui se plaint de la présence d’un scotome (perte de vision) dans son champ visuel inféro-temporal paracentral (proche de la sa vision centrale) de son œil gauche. Madame Poitras conclut qu’il est possible qu’un œdème maculaire post-traumatique se soit produit. Selon elle, cet œdème, en se résorbant, aurait causé un amincissement para-fovéolaire supéro-nasal à l’œil gauche. Ce défaut serait permanent et non évolutif. Aucun traitement n’est disponible pour ce genre de perte.
[57] Le procureur de la partie requérante a aussi produit au dossier copie d’une IRM dorsolombaire effectuée le 22 mai 2013 au Centre hospitalier A.
[58] Il y a lieu également de mentionner la production au dossier de la note de monsieur Hébert Henry, ergothérapeute, datée du 28 mars 2013, par la partie intimée, en réponse au rapport d’expertise de monsieur Claude Bougie du 4 janvier 2013. Le Tribunal reviendra, dans son analyse et décision, sur ces rapports. Ce dernier a témoigné à l’audience.
[59] Le Tribunal ne reproduira pas ci-dessous le compte rendu des témoignages rendus à l’audience, mais il en tiendra compte dans son analyse et motifs de la décision. Il en est de même des plaidoiries des deux procureurs, ainsi que de la jurisprudence produite.[19]
Analyse et décision
[60] Le Tribunal doit décider de plusieurs questions dans ces deux dossiers. Chacun des items contestés est étudié ici, séparément :
1. L’Emploi déterminé au 181ième jour de l’accident
[61] En ce qui a trait d’abord à l’emploi d’aide-commis de magasin en conformité avec l’article 45 de la Loi sur l’assurance automobile[20], ci-après la loi, le Tribunal ne partage pas l’avis de la Direction de la révision.
[62] Il estime que cet emploi ne répond pas aux exigences de cet article qui se lit comme suit :
« 45. Lorsque la Société est tenue de déterminer un emploi à une victime à compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, elle doit tenir compte, outre les normes et modalités prévues par règlement, de la formation, de l'expérience de travail et des capacités physiques et intellectuelles de la victime à la date de l'accident.
Il doit s'agir d'un emploi que la victime aurait pu exercer habituelle-ment, à temps plein ou, à défaut, à temps partiel, lors de l'accident. »
(Soulignement ajouté)
[63] Le requérant, de toute évidence, n’a pas la formation et l’expérience au moment de l’accident d’exercer un emploi d’aide-commis de magasin. Le requérant, la majorité du temps, a travaillé dans la construction ou a œuvré dans des emplois manuels. Il s’apprêtait peu avant l’accident à exécuter des travaux majeurs dans la maison de sa conjointe.
[64] Il n’a, en aucun temps, travaillé dans des emplois s’apparentant à « aide-commis de magasin ». Il s’agit d’un homme qui a une scolarité d’un Secondaire III. Ajoutons que le requérant dit avoir fait également deux autres années, plus tard, et qu’il détient un Secondaire V, mais cette preuve tangible n’est pas au dossier. C'est lui-même qui a spontanément fait des aveux au psychiatre traitant peu après son accident du fait qu’il n’avait qu’un Secondaire III. Pourquoi ne pas avoir dit à ce moment-là qu’il avait un Secondaire V?
[65] Le fait de ne pas avoir un certificat de compétence émis par la Commission de la construction (CCQ) au moment de l’accident n’est pas crucial. Le certificat de compétence est un document bureaucratique exigé par les syndicats pour travailler dans la construction. Le requérant a acquis une certaine expérience dans ce domaine avec ou sans carte de compétence.
[66] Probablement, le requérant n’avait pas complété les 150 heures minimum comme manœuvre, car son certificat n’a pu être renouvelé automatiquement à l’échéance.[21] Il devait en plus démontrer qu’il avait été actif au cours des 14 mois précédant la date d’expiration de son certificat et qu’il a suivi une formation spécifique dans le cadre de son travail.
[67] La preuve documentaire versée au dossier par le requérant n’a pas été valablement contredite pour l’écarter. Le Tribunal est d’avis qu’il doit en tenir compte. Il ne croit pas qu’il faille renvoyer le dossier à l’intimée pour qu’elle se prononce sur un nouvel emploi. Cette opportunité existait déjà à la révision administrative lors de laquelle il y a eu un débat important et échange des documents. Le Tribunal doit maintenant rendre la décision qui aurait dû être rendue, sans plus tarder et sans alourdir le processus. Le procureur de l’intimée connaissait déjà cet emploi qui avait été proposé lors de l’audience en révision. Il savait, sans surprise, que la demande allait être soumise à nouveau devant le Tribunal.
[68] La Loi sur l’assurance automobile s’applique même dans certaines circonstances aux non-résidents du Québec; comment alors pouvons-nous appliquer l'exigence d'un certificat de compétence à un non-résident? En aucun temps, le certificat de compétence délivré par la CCQ peut être comparé à un permis de conduire une automobile. Ce permis est universel et tout le monde qui conduit une voiture doit en posséder, alors que le certificat de compétence ne s’applique qu’aux résidents du Québec. C’est pourquoi les soussignés croient que l'absence du renouvellement du certificat de compétence en l’instance ne peut être opposée au requérant pour le priver d'un présumé emploi manuel.
[69] Le fait de ne pas avoir été sur le marché de travail durant les trois années précédant l’accident n’est pas non plus un motif valable pour lui attribuer un emploi qui ne correspond pas à sa formation et à ses capacités physiques et intellectuelles. Ici, le fardeau incombe à l’intimée de lui déterminer l’emploi le plus approprié à sa formation et à son expérience.
[70] Le Tribunal arrive à la conclusion, sous ce volet, que l’emploi déterminé doit être celui de manœuvre spécialisé en construction de Repères[22] et qu’il devra être indemnisé en conséquence, compte tenu du témoignage du requérant et de la preuve documentaire non contredite.
[71] Le dossier, sous ce volet, est renvoyé à la partie intimée pour qu’elle puisse déterminer le revenu brut annuel pour cet emploi, en fonction des années travaillées antérieurement.
[72] Le recours, sous ce volet, est accueilli.
2. Les troubles psychiques (le lien)
[73] Le Tribunal est ici appelé à déterminer le lien direct entre l’accident et les problèmes psychiques qu’aurait subis le requérant.
[74] Le Tribunal doit ici faire la part des choses entre un expert psychiatre qui a vu le requérant et l’a entendu à l’audience et qui est même venu s’expliquer devant le Tribunal, et une autre psychiatre qui a émis son opinion à partir de la seule preuve au dossier.[23] Le fardeau incombe au requérant.
[75] Le Tribunal, après avoir étudié minutieusement le dossier et délibéré, estime que le point de vue du Dr Gauthier ne peut être accepté. Celui-ci manque de l’objectivité requise et de la crédibilité que doit posséder un expert. Sans nullement mettre en doute sa grande expérience et sa compétence, le Tribunal estime que son point de vue ne reflète pas l’état du dossier. Il passe outre ou minimise certains faits au dossier et accorde peu ou pas d’importance à des faits consignés au dossier qui sont très importants.
[76] D’abord, le Tribunal attache beaucoup d’importance aux faits et circonstances qui sont contemporains à l’accident. Durant les deux années qui se sont écoulées entre l’accident et l’expertise du Dr Gauthier, il y a effectivement un silence médical inexplicable. Le psychiatre ne pouvait passer outre à ce fait. Ses explications à l’audience ne sont pas convaincantes.
[77] Même si le requérant a subi un polytraumatisme important, il n’y a rien au dossier qui suggère un trouble psychique important dans les jours, les semaines, et les mois suivant l’accident.
[78] Par ailleurs, il passe outre à un examen mental normal qui se trouve au dossier, effectué par un psychiatre indépendant qui n’a aucun intérêt dans le dossier. Cet examen mental normal a eu lieu le 26 octobre 2009, soit 12 jours après l’accident que venait de subir le requérant. Voici ce qu’écrit le psychiatre :
« Patient se dit de bonne humeur. Bonne entente avec sa famille. Dit avoir un bon réseau social. Appétit OK. Poids stable. Pas suicidaire. Pas de délire. Pas d’hallucinations. Bien orienté ce jour. Poli. Alerte. Collabore bien. (…) Affect modulé et mobilisable. Humeur non déprimée. (…)Pas de délire. Pas suicidaire. (…) »[24]
[79] Entre cet examen mental normal et celui du Dr Gauthier, il ne s’est rien passé d’anormal et il n’y a eu aucun changement de situation qui a été signalé à l’intimée. La psychiatre de l’intimée a entièrement raison lorsqu’elle invoque cette situation capitale.
[80] À part la crainte lorsqu’il est en voiture, la condition actuelle du requérant au moment de son examen n’a rien de particulier du point de vue psychiatrique; le requérant n’est pas en détresse psychologique. Il vaque à des occupations normales chez lui, entouré de sa conjointe et de ses deux enfants; il joue de la guitare électrique, au billard; s’amuse à jouer à des jeux vidéo qui demandent beaucoup de concentration; regarde la télévision; cuisine son pain et fait de la natation.
[81] Le psychiatre note que le requérant consomme du speed à l’occasion, qu’il a con-sommé de la cocaïne et qu’il consomme 12 bières par semaine et que cette consommation est variable. Il attache peu d’importance à ses antécédents personnels, les minimise.
[82] Au cours de son long témoignage, le requérant n’a valablement jamais pu expliquer pourquoi il n’a pas travaillé durant les trois ans entre la date de son accident et l’année 2006. L’explication selon laquelle les gros contrats étaient sur la rive sud de Montréal, et non pas dans sa région, n’est pas convaincante. Ce fait aurait dû être relevé et pris en considération par le psychiatre expert qui doit être impartial et objectif.
[83] Le Tribunal note que l’examen mental est normal. Il fait état que monsieur présente une diminution des capacités d’attention et de concentration, mais fait plutôt état du fait qu’il passe une partie importante de son temps chez lui à jouer à des jeux vidéo et à écouter la télévision, des activités qui requièrent de l’attention et de la concentration.
[84] Ses traits de personnalité antisociale ne datent pas de l’accident. Le psychiatre dit d’ailleurs qu’il s’agit d’une condition personnelle. Il ne suggère d’ailleurs aucun traitement, ni aucun médicament. Il considère même que la condition préaccidentelle du requérant le situait au seuil minimal d’indemnisation. Son rapport n’est tout simplement pas convaincant ou même crédible en regard de la preuve au dossier ou entendue à l’audience. Le Tribunal ne peut accorder de poids à son témoignage.
[85] Dr Gauthier passe outre ou minimise le « delirium tremens » dont a souffert le requérant au cours de son hospitalisation. Dr Gingras explique très bien ce que cela signifie. Le requérant souffrait donc d’un alcoolisme sévère depuis bon nombre d’années. Le requérant minimise cette condition alors qu’il souffrait d’alcoolisme sévère au moment de l’accident, en plus de sa dépendance à d’autres substances nocives pour sa santé physique et mentale. D’ailleurs, il n’avait plus de permis de conduire pour ivresse au volant. Il est étonnant d’ailleurs que le Dr Gauthier ait écrit au début de son expertise que le requérant avait occupé un travail de manœuvre spécialisé en génie civil avant son accident. Un expert, surtout en psychiatrie, doit se soucier de l’exactitude des faits qui se trouvent au dossier et ne pas bonifier les informations. Le requérant, au moment de l’accident, était prestataire de l’aide sociale, capable de travailler, et faisait à l’occasion de la livraison de pizza.
[86] Le Tribunal est d’avis que la dépendance à l’alcool et l’abus des substances avant le fait accidentel sont des pathologies de l’Axe I du DSM-IV. Dr Gauthier passe outre à la personnalité antisociale du requérant qui amène une altération de son fonctionnement : il passe outre à ses antécédents légaux, à sa vie entre 2006 et 2009, et à ses activités anté-rieures à l’accident; il passe outre au fait qu’il a été victime d’un accident avec un con-ducteur et qu’il était en boisson et ne portait pas sa ceinture. Il passe outre au fait qu’il ne travaillait pas depuis bon nombre d’années, mais disait qu’il faisait beaucoup plus d’argent que ce que l’intimée lui versait en deux semaines dans la construction, alors qu’en réalité il recevait à peine 500 $ par mois de l’État comme prestataire de l’aide de dernier recours.
[87] Le rapport du Dr Gauthier est discordant; ses conclusions ne sont pas justifiées par son examen mental, ni par le dossier.
[88] C’est pourquoi le Tribunal estime plus crédible et plus près de la réalité l’opinion sur dossier émise par la psychiatre de la partie intimée. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une opinion sur dossier qu’elle doit être écartée du revers de la main. Le Tribunal est à même de la juger avec le reste de la preuve entendue à l’audience.
[89] La décision en révision contestée est bien motivée : il n’y a aucune blessure psychique contemporaine à l’accident, aucune continuité évolutive, et aucun suivi pour cette condition. Le rapport psychiatrique au dossier, en date du 26 octobre 2009, avec l’opinion sur dossier de la psychiatre-conseil, Dre Isabelle Gingras, est considéré comme prépondérant.
[90] Certes, le requérant, au début de son témoignage, aux questions préliminaires de son procureur, a répondu qu’il n’avait aucun antécédent psychiatrique, aucun trouble de personnalité, aucun problème d’humeur, et que pour lui tout était normal avant l’accident.
[91] Mais le Tribunal doit ici donner préséance à l’opinion des psychiatres qui ont étudié le dossier, et particulièrement à celle qui accorde avec raison une importance de taille aux activités, à la vie, et aux habitudes de vie du requérant. On peut difficilement écarter la dépendance à l’alcool et aux autres substances du requérant avant son accident. On peut également difficilement passer outre à la personnalité du requérant qui admet d’ailleurs avoir commis une introduction par effraction en 1996 et avoir perdu son permis pour ivres-se au volant en 2009. En psychiatrie, ce genre d’activité a son importance et doit être pris en compte. Au moment de l’audience, le requérant n’avait pas encore pu récupérer son permis de conduire. Cette situation décrit bien l’ampleur du problème qui l’afflige encore.
[92] Le dossier du requérant ne révèle aucun suivi d’une condition psychologique importante ou notable jusqu’à l’expertise du Dr Gauthier. Il ne révèle pas, sauf ces examen et consultation fin octobre 2009 en psychiatrie, de recours à un psychologue ou à un psychiatre.
[93] Il ne révèle pas que le requérant était en dépression après la rencontre avec le Dr Rousseau ou même avec le Dr Tremblay. Les tendances suicidaires, les idées noires, la dépression, dont le requérant parle avec emphase dans son témoignage, ne sont pas documentées au dossier. Les rencontres ou visites au CLSC de sa région ne sont pas documentées. Nous n’avons aucune preuve qu’il a pris des médicaments contre sa dépression ou son anxiété. Nous n’avons aucune preuve au dossier, sauf le témoignage du requérant qui est d’ailleurs peu fiable, du fait qu’il a commencé à déprimer après les rencontres avec les experts orthopédistes qui lui ont dit qu’il n’y aurait pas d’amélioration de son état physique, qu’il devrait se faire opérer éventuellement, etc. Le désespoir du requérant suivant le fait que son état ne s’améliorerait pas, n’apparaît que lors de son témoignage devant le Tribunal, et non pas avant. Il n’est même pas mentionné dans le rapport d’expertise du Dr Gauthier. Son témoignage à l’audience est différent de son rapport d’expertise. Il manque même d’objectivité et d’impartialité, ce qu’on s’attend d’un expert en psychiatrie. Il parle d’une dépression chez le requérant qui se serait résorbée, alors qu’il n’y a rien au dossier à ce sujet. Aux questions du Tribunal, il minimise les antécédents du requérant et il finit par dire qu’il s’est fié sur les dires de ce dernier, alors qu’il a pour mission de vérifier aussi le dossier.
[94] Nous n’avons aucune preuve au dossier pour la période qui nous concerne que le requérant aurait bénéficié d’interventions en ergothérapie, en santé mentale, et qu’il y aurait eu un suivi en psychothérapie. Le recours au guichet de santé mentale est postérieur à la décision de première instance et ne peut servir de preuve valable aux fins du présent litige.[25] Aucun changement de situation n’a été demandé à l’intimée. La psychothérapie et la médication antidépressive ont débuté en mars 2012.
[95] Le recours, sous ce volet, ne peut donc être accueilli.
3. Les séquelles permanentes
[96] Le requérant demande une classe de gravité 1 pour le thorax et l’abdomen, alors que la décision contestée considère que cette condition est sous le seuil minimum, et donc non indemnisable. Le requérant s’appuie sur l’opinion du Dr Tremblay qui justifie sa classe de gravité à cause de la voussure persistante au sternum et à l’hémithorax droit qui est douloureuse à la palpation. Il n’y a aucune plainte à ce sujet de la part du requérant, sauf au Dr Rousseau et au Dr Tremblay; il fait état d’une douleur intermittente une fois par semaine et de courte durée. Dr Rousseau n’accorde aucune séquelle à cette unité, car dans son examen physique, il constate la proéminence, mais ne constate pas de douleur à la palpation ou de craquement. Le Tribunal fait sienne l’opinion de la réviseure, sous ce volet, car le barème parle d’une atteinte à l’intégrité du contenu thoracique et abdominal, ce qui n’est pas le cas ici. L’opinion du Dr Rousseau est préférée et la gravité 1 (1 %) n’est pas justifiée.
[97] Le requérant demande une classe de gravité 3 pour la fonction de locomotion, alors que la partie intimée lui accorde une classe 2; cette question a été traitée minutieusement par la réviseure et le Tribunal fait sienne son opinion. En effet, rien ne justifie la classe de gravité 3 du barème. Le requérant présente toutes les caractéristiques d’une classe de gravité 2 (6 %) du barème. L’opinion du Dr Rousseau a préséance sur celle du Dr Tremblay qui n’est pas justifiée.
[98] Quant à la classe de gravité concernant le déplacement et le maintien du tronc, le requérant demande une classe de gravité 3, alors que l’intimée lui accorde une classe de gravité 1. Sur cette question également, le Tribunal estime que la réviseure a raison de ne pas accepter le point de vue du Dr Tremblay en se basant sur l’évaluation globale pondérée des deux experts orthopédistes. Le Tribunal estime que le rapport d’expertise du Dr Tremblay n’est pas plus précis que celui du Dr Rousseau, tel que plaidé. La gravité des blessures a été considérée par Dr Rousseau. Le recours, sous ce volet, est rejeté.
4. Les yeux (œil gauche/relation/séquelles)
[99] Probablement à cause du polytraumatisme et les plaintes du requérant, Dr Bonin, orthopédiste traitant, a demandé une radiographie des yeux pour la recherche de corps é-trangers. Celle-ci, effectuée le 21 mai 2010, n’a rien révélé au niveau de l’orbite des yeux.[26]
[100] La partie intimée, en révision, a tranché le litige globalement. D’une part, elle a accepté la présence des flottants à l’œil gauche, mais il s’est prononcé aussi en faisant valoir qu’il n’y avait aucune séquelle indemnisable. La décision en révision, sous ce volet, est bien motivée, et le Tribunal fait siennes les conclusions auxquelles elle en arrive. La perte de champ de vision fut la raison de la visite du requérant chez l’optométriste, mais elle n’a jamais été mise en évidence par un ophtalmologiste.[27] Au surplus, l’optométriste soulève la possibilité, sans plus, d’une origine traumatique pour expliquer le scotome dont se plaint le requérant.
[101] C’est à tort, croyons-nous, que le procureur du requérant demande le renvoi du dossier en première instance pour évaluation des séquelles pour la perte du champ visuel, alors qu’il n’en est rien. La présence de corps flottants n’affecte pas le champ de vision et ne justifie pas, non plus, l’octroi des séquelles. Le Tribunal doit rendre la décision qui aurait dû être rendue et n’a pas à tenir compte de la demande du procureur de l’intimée qui est d’accord pour le renvoi du dossier à l’intimée.[28]
[102] Le recours, sous ce volet, est donc rejeté.
5. Aide personnelle à domicile
[103] Durant la période contemporaine qui a suivi l’accident, l’actuelle conjointe au requérant et sa mère ont aidé le requérant, selon la preuve, dans ses besoins en aide personnelle.
[104] Il appert de la preuve que le requérant n’a demandé le remboursement de frais d’aide personnelle qu’en décembre 2010, après avoir consulté une avocate. Aucune preuve d’engagement réel de frais n’a été produite dans la période contemporaine de l’accident. Dans ce contexte, il apparaît au Tribunal que la S.A.A.Q. était justifiée de refuser de rembourser au requérant les frais ainsi réclamés.
[105] Pour les périodes subséquentes, le Tribunal doit déterminer, en fonction de la preuve soumise, si le requérant a droit à de l’aide personnelle à domicile pour la période du 11 décembre 2010 au 27 mai 2011, alors que la partie intimée ne lui accorde rien sous prétexte que le seuil du pointage de 11/174 n’est pas franchi. Le requérant demande un pointage de 12/174.
[106] Le requérant demande aussi la prolongation de cette aide jusqu’à aujourd’hui avec un pointage identique de 12/174, selon l’opinion de son ergothérapeute.
[107] À ce sujet, le Tribunal a entendu les témoignages du requérant et de sa conjointe et a examiné minutieusement les documents produits. Il a également entendu le témoignage de l’ergothérapeute Bougie qui s’est rendu au domicile du requérant et a produit un rapport d’expertise. La contre-expertise à ce sujet a été rédigée par monsieur Hébert Henry, ergothérapeute, mais sur dossier.
[108] À noter que l’ergothérapeute, monsieur Bougie, n’indique pas dans son rapport qu’il a fait une mise en situation de la condition du requérant, de ses capacités fonctionnelles ou de ses limitations, et aucun test n’est pratiqué à cet égard pour mesurer ses capacités fonctionnelles. L’explication qu’il donna à l’audience, et compte tenu de sa vaste expérience dans ce domaine, n’a pas convaincu le Tribunal.
[109] Contrairement à ce qu’il écrit dans son rapport, la maison qu’il a visitée et où demeure le requérant, appartient en exclusivité à sa conjointe, et le requérant n’est pas copropriétaire. Le requérant a donc fourni une fausse information à l’ergothérapeute, ce qui n’a pas été corrigé à l’audience.[29]
[110] Tel qu’il a été vu et observé à l’audience, le requérant présente une boiterie à la marche. Il existe également une inégalité de longueur objective des membres inférieurs résultant de l'accident. Il utilise du Lyrica pour soulager sa douleur, selon son témoignage teinté d’exagérations, de manque de crédibilité et de fiabilité.
[111] Il y a lieu de préciser qu’un pointage inférieur à 11 points ne donne droit à aucun remboursement en vertu des dispositions de l’article 3 du Règlement sur le remboursement de certains frais.[30]
[112] Le Tribunal doit faire la part des choses entre l’expertise de monsieur Bougie et l’ergothérapeute œuvrant à l’interne chez l’intimée. Il évaluera chaque besoin séparément pour les deux périodes en question :
[113] Pour la première période du 11 décembre 2010 au 27 mai 2011, monsieur Bougie arrive à un pointage de 12. Il en est de même pour la seconde période, du 28 mai 2012 à aujourd'hui. Durant son témoignage, après celui du requérant et de sa conjointe, il justifie ses prises de position.
· Préparation des repas complexes :
- Monsieur Bougie accorde un besoin d’aide partielle à ce sujet. Le Tribunal estime au contraire, selon la preuve, que le requérant pourra se préparer des repas complexes. Il n’y a aucun ustensile de cuisine qui pèse plus de 15 kg. Ce n’est pas nécessaire de rester debout plusieurs heures. À la rigueur, il pourra s’asseoir et continuer par la suite. C'est la préparation d’un repas pour une personne seule dont il s’agit ici, et non pas pour une foule d’invités. Le Tribunal ne partage pas l’opinion selon laquelle il ne pourra que participer à la préparation d’un repas complexe. Il n’y a aucun mouvement répétitif qui est exigé pour faire un repas complexe. Ce n’est pas nécessaire de se pencher d’une manière répétitive. Il pourra ponctuellement, sans problème, atteindre les armoires basses de la cuisine ou à l’occasion pour prendre un chaudron et ouvrir ou fermer la porte du four au besoin. Le témoignage rendu par le requérant à ce sujet, selon lequel il ne peut soulever des marmites du four, n'est pas cru. Concernant l'utilisation de l'aspirateur, son témoignage contredit celui de sa conjointe qui affirme qu’il passe l’aspirateur. Le requérant dit même qu’il cuisine le pain à la maison. Le pointage 4 accordé par monsieur Bougie est injustifié.
· Entretien quotidien :
[114] Un besoin d’aide partielle est accordé sous ce volet à cause des limitations fonctionnelles pour les deux périodes en question. Le pointage est de 3.
· Ménage hebdomadaire :
[115] Sous ce volet, le Tribunal estime qu’un besoin d’aide partielle pourra être accordé au requérant qui ne pourra faire certaines tâches comme par exemple nettoyer le four, balayer les dessous du lit, nettoyer le congélateur, passer l'aspirateur à la grandeur de la maison, même si sa conjointe a reconnu qu’il passe l’aspirateur. Par contre, il pourra faire le lavage et le séchage du linge dans les machines et plier le linge. Il pourra faire l’épous-setage de certaines surfaces faciles comme les comptoirs de cuisine. La demande formu-lée par monsieur Bougie d’un pointage 3 n’est pas justifiée et semble exagérée, même en tenant compte du ménage annuel. Le point de vue de monsieur Bougie concernant le bas niveau du lit et, que de ce fait, il serait incapable de faire son lit, n’est pas accepté. On n’a pas besoin de se pencher continuellement pour faire un lit. Le Tribunal ne croit pas à la version de la conjointe selon laquelle elle aide le requérant à sortir du lit et à l’habiller, alors que celui-ci peut ranger ses vêtements et aider sa conjointe à passer la balayeuse.[31]
· Consommation de biens et services
[116] Vu les restrictions fonctionnelles admises, le Tribunal estime qu’une aide partielle est justifiée pour les charges dépassant les 15 kg. Le Tribunal estime qu’il ne pourra soulever les lourds sacs d’épicerie. On ne peut reprocher au requérant de ne pas conduire ou de ne pas avoir de permis de conduire, lorsqu’on sait la difficulté de le récupérer une fois qu’on l’a perdu après ivresse au volant. Cette aide partielle s’applique aux deux périodes en question. Le pointage 2 est justifié.
[117] Le Tribunal arrive donc à la conclusion qu’un pointage de 12, selon la suggestion de monsieur Bougie, n’est pas justifié pour aucune des périodes. Le pointage serait de 7, donc inférieur à 11 points, et donc aucune aide ne peut lui être versée.
[118] Le recours, sous ce volet, est donc rejeté.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- INFIRME en partie la décision en révision qui lui détermine l’emploi d’aide-commis en magasin, tel que décrit dans le système Repères, avec le salaire annuel brut retenu, soit 18 771 $.
- DÉCLARE que l’emploi déterminé au 181ième jour devra être de manœuvre spécialisé en construction dans le système Repères;
- ORDONNE à la partie intimée de calculer le revenu brut annuel en fonction des années et d’indemniser le requérant en conséquence en IRR en conformité avec cet emploi déterminé;
- REJETTE tous les autres recours du requérant; et
- CONFIRME les deux décisions en révision, sauf le volet ci-dessus accueilli.
Laporte & Lavallée
Me André Laporte
Procureur de la partie requérante
Me Patrick Grondin
Procureur de la partie intimée
/jj
[1] Le Tribunal note que le requérant s’est présenté avec son avocat devant l’agente réviseur pour faire valoir ses droits, au lieu de demander simplement qu’on rende une décision sur dossier sans présenter aucune nouvelle preuve.
[2] Rapport reçu au Tribunal le 20 février 2013.
[3] Décision rendue le 7 février 2012; elle conclut que l’état psychique du requérant relève d’une condition personnelle. De plus, il est mentionné qu’aucune blessure psychique n’a eu lieu lors de l’accident, qu’il n’y a eu aucune continuité évolutive et aucun suivi pour cette condition.
[4] Il s’agit de la décision de première instance du 8 mai 2012; selon la décision, le suivi avec l’optométriste et l’ophtalmologiste démontre un examen normal. La décision en révision modifie cette décision, notant au passage qu’il y a eu mention d’une plaie à l’œil gauche. Toutefois, la décision en révision accepte la relation entre une blessure à l’œil gauche et l’accident, mais statue que cette blessure n’a engendré aucune perte de champ visuel et surtout aucune séquelle permanente.
[5] Les plaidoiries ont été entendues plus tard, le 6 novembre 2013.
[6] Au moment de l’accident, le requérant n’avait pas de carte d’assurance maladie depuis mars 2004 et demeurait chez ses parents. Il n’a déménagé chez sa conjointe de fait qu’à la sortie de l’hôpital.
[7] Un Ford Mercury de l’année 1995.
[8] Voir dossier SAS-M-194654-1201, à la page 17.
[9] Il était prestataire de l’aide sociale, voir Pièce I-1, mise à jour des commentaires d’un dossier réclamation, à la page 23. Voir également à la page 4.
[10] Il est pris en charge par les ambulanciers vers 4 h 01, le 14 octobre 2009.
[11] La demande d’indemnité est rédigée par une agente de liaison de l’intimée, en présence de ses parents qui sont à son chevet.
[12] Il s’agit des fractures de D12, L1, L2.
[13] On le traite avec une attelle de Stevenson.
[14] Voir dossier SAS-M-194654-1210, aux pages 60 et 61.
[15] Il fait état que le requérant a une scolarité de Secondaire III, alors qu’il déclare à l’intimée qu’il a l’équivalent d’un Secondaire V. Voir à la page 24 du dossier.
[16] Idem aux pages 65, 66, 67 et 68.
[17] Idem page 64.
[18] Voir notamment à la page 185 du dossier précité.
[19] La jurisprudence produite par les parties et étudiée par le Tribunal : 2009 QCTAQ 06701 (25 juin 2009); 2009 QCTAQ 1214 (10 décembre 2009); 2009 QCTAQ 01767 (2 février 2009); 2009 QCTAQ 06761 (26 juin 2009); 2009 QCTAQ 03572 (27 mars 2009); Alary c. TAQ, 26 octobre 1998, Cour Supérieure, REBJ 1998-10210.
[20] RLRQ, chapitre A-25
[21] Voir pour les détails la Pièce R-4.
[22] Voir la description des tâches à la Pièce R-3.
[23] Voir la Pièce I-3.
[24] Voir dossier SAS-M-194654-1210, à la page 66.
[25] Dossier SAS-M-200766-1207, aux pages 249 et 250.
[26] Idem à la page 91.
[27] Voir documents expédiés par Me André Laporte le 23 juillet 2013.
[28] Voir dossier SAS-M-200766-1207, notamment aux pages 238 (examen ophtalmologique normal - Dr Pierre Jeanson) pages 236-237-239 (pas d’atteinte visible à l’œil gauche, de l’optométriste),
[29] Voir la fin du contre-interrogatoire de madame P.B.
[30] RLRQ, chapitre A-25, r. 14
[31] Voir dossier SAS-M-200766-1207, aux pages 262 et 263.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.