Décision

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Costco Wholesale Canada Ltd. c. Simms Sigal & Co. Ltd.

2020 QCCA 1331

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-027254-184

(500-17-060159-103)

 

DATE :

 15 octobre 2020

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

 

COSTCO WHOLESALE CANADA LTD.

APPELANTE - défenderesse

c.

 

SIMMS SIGAL & CO. LTD.

INTIMÉE - demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 novembre 2017 et rectifié le 22 novembre 2017 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Mark G. Peacock) qui accueille en partie la demande de l’intimée et rejette la demande reconventionnelle de l’appelante, avec les frais de justice;

[2]           Pour les motifs de la juge Fournier auxquels souscrivent les juges Pelletier et Gagné, LA COUR :

 


 

[3]           REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 

Me Sophie Perreault

Me Catherine Cayer

Me Catherine Martel

LANGLOIS AVOCATS

Pour l’appelante

 

Me Sandra Mastrogiuseppe

Me Jean-François Carpentier

KUGLER KANDESTIN

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

30 janvier 2020


 

 

MOTIFS DE LA JUGE FOURNIER

 

 

INTRODUCTION

[4]           Le présent pourvoi traite principalement de la faute extracontractuelle qualifiée « d’interférence contractuelle » et du fardeau nécessaire pour l’établir.

[5]           L’appelante, Costco Wholesale Canada Ltd. (« Costco »), plaide que le juge s’est mépris sur les éléments constitutifs de la faute qui lui était reprochée et qu’il s’est éloigné des principes retenus par la jurisprudence dans un contexte similaire à celui du présent dossier, en concluant qu’en vendant dans ses magasins au Canada des produits pour lesquels l’intimée, Simms Sigal & Co. Ltd. (« Simms »), détenait des droits exclusifs de distribution au Canada, Costco a commis une faute d’interférence contractuelle.

[6]           Le pourvoi porte aussi, à titre subsidiaire, sur le partage de la responsabilité entre Costco et Rock & Republic Enterprises Inc. (« R & R »), puisque la première fait valoir une responsabilité accrue de la seconde, de même que sur les dommages punitifs de 500 000 $ accordés à Simms par le jugement, alors qu’il y aurait absence d’atteinte illicite et intentionnelle de Costco à la réputation de Simms.

LE CONTEXTE

[7]           Il importe de relater le contexte dans lequel les principaux faits se sont déroulés, les questions soulevées par le pourvoi portant essentiellement sur ceux-ci.

[8]           Simms est une entreprise canadienne spécialisée dans l’importation et la distribution de vêtements haut de gamme à des détaillants de ce type de marchandises à travers le Canada.

[9]           R & R est un manufacturier de vêtements américain qui détenait la marque de commerce Rock & Republic.

[10]        En 2006, Simms conclut avec R & R un premier contrat pour la distribution exclusive des produits R & R au Canada. Le 1er mars 2009, un nouveau contrat de distribution est signé pour une période devant se terminer le 31 décembre 2012 (« le Contrat de distribution »). R & R accorde à Simms des droits de distribution exclusive à des détaillants au Canada, en ce qui a trait aux produits suivants : la ligne de denim, les vêtements prêt-à-porter et les accessoires Rock & Republic.

[11]        Ainsi, depuis 2006, Simms distribue les produits R & R dans des magasins haut de gamme au Canada. Les jeans R & R y sont vendus à un prix oscillant entre 250 $ et 325 $.

[12]        Au printemps 2009, Costco, une entreprise fonctionnant sous la forme de « club-entrepôt avec adhésion » au Canada, est approchée par Kontakt U.S. International Inc. (« Kontakt »), un intermédiaire avec qui elle fait affaire, en vue de l’achat de produits R & R. Costco étant intéressée par les produits haut de gamme de R & R, il est convenu que Kontakt achètera la marchandise de R & R et que celle-ci sera vendue à Costco par Abfi Inc. (« Abfi »), une entreprise de distribution avec qui elle fait affaire au Canada[1]. En juin 2009, Costco passe une première commande de jeans R & R. Les jeans devant être vendus sur tout le marché canadien, y compris au Québec, les étiquettes devront être rédigées en français et en anglais. Le prix coûtant des jeans est de 84 $ et le prix de vente aux clients des entrepôts de Costco sera de 98,99 $.

[13]        En novembre 2009, Costco commence à vendre des jeans R & R dans ses entrepôts au Canada.

[14]        Simms reçoit immédiatement des plaintes de ses clients. Le 12 novembre 2009, Simms écrit à Costco pour requérir la cessation immédiate de la vente des produits R & R et la confirmation écrite du retrait des produits R & R de ses entrepôts, de même que la cessation de l’usage de cette marque de commerce. Cette mise en demeure des avocats de Simms précise que celle-ci est la distributrice exclusive au Canada des produits R & R et que les jeans vendus par Costco portent le numéro identifiant Simms[2] (« CA number ») au terme de la Loi sur l’étiquetage des textiles[3], contrairement à la réglementation à cet égard et que la vente des produits R & R par Costco constitue de la concurrence déloyale au terme de la Loi sur les marques de commerce[4].

[15]        Le 13 novembre 2009, les avocats de Costco répondent que les marchandises R & R qu’elle vend sont authentiques et que, s’agissant de biens acquis sur le (« Grey market »)[5], Costco est en droit de les vendre. De plus, la loi ne l’autorise pas à retirer le CA number apposé sur les jeans.

[16]        Le 16 novembre 2009, Simms répond qu’il ne peut s’agir de Grey market, vu la présence de son CA number sur les jeans R & R vendus par Costco. Elle somme Costco de lui communiquer le nom de son fournisseur, car les acheteurs de ses clients concluront que les jeans en vente chez Costco lui ont été vendus par Simms. Les avocats de Costco refusent d’identifier ce fournisseur et réitèrent le droit de cette dernière de vendre les jeans R & R acquis sur le Grey market.

[17]        Entre-temps, Costco communique avec Abfi pour obtenir la confirmation que les produits achetés sont authentiques et que R & R savait qu’ils étaient destinés à être vendus par Costco au Canada. Elle demande une preuve écrite de son droit de les vendre.

[18]        Abfi transmet à Costco une lettre datée du 18 septembre 2009 signée par R & R, confirmant l’achat de biens authentiques par Quetico[6]. Abfi précise à Costco que R & R « are already dealing with the mad distributor »[7] et « please do not release this letter to the distributor »[8].

[19]        Costco poursuit la vente des produits R & R portant le CA number de Simms jusqu’à la fin du mois de janvier ou le début du mois de février 2010. L’adresse et le nom de R & R apparaitront ensuite sur les étiquettes des produits R & R vendus par Costco[9].

[20]        En janvier et en avril 2010, Costco passe de nouvelles commandes pour des quantités plus importantes de produits R & R.

[21]        En avril 2010, R & R dépose une demande de redressement volontaire en vertu de la loi américaine sur la faillite[10].

[22]        En mai 2010, Simms apprend que Costco vend toujours des produits R & R; ses clients lui manifestent leur mécontentement et plusieurs annulent leurs commandes.

[23]        À la suite de discussions avec Simms, R & R lui remet, en juin 2010, une déclaration en vue de rassurer ses clients; R & R y déclare notamment[11] :

[…] Rock & Republic is also aware that products bearing the brand’s trademark have recently appeared at Costco in Canada. It is important our loyal customers are reassured that Costco is not on Rock & Republic’s customer list and a full investigation concerning this matter is ongoing based on these findings. Also to put further speculation to rest, there is no connection between the Costco Product and the recent Chapter 11 filing, Rock & Republic maintains its premium lifestyle brand image, not that of a discount warehouse. Rock & Republic takes its integrity and brand image very seriously, along with that of its valued partners in Canada and will pursue further investigations of this matter.

[Soulignement ajouté]

[24]        Le même jour où cette déclaration est faite par R & R, Costco confirme à Abfi une nouvelle commande de produits R & R qui sera suivie par d’autres en juin et en août 2010[12].

[25]        Le 20 juillet 2010, Simms transmet à Costco une nouvelle mise en demeure par laquelle elle lui rappelle son droit exclusif à la distribution des produits R & R au Canada et les termes de sa mise en demeure de novembre 2009. Elle ajoute que la vente des produits R & R par Costco lui a causé des dommages et requiert à nouveau la cessation immédiate de la vente des produits R & R.

[26]        Dans sa réponse du 30 juillet 2010, Costco soutient encore être en droit de vendre les produits R & R acquis sur le Grey market et que ni le détenteur de la marque de commerce ni Simms « as exclusive authorized distributor has any recourse in objecting to our client’s activities »[13].

[27]        Le 2 août 2010, les avocats de Simms avisent ceux de Costco que des procédures sont sur le point d’être entreprises contre Costco. Le même jour, R & R transmet à Simms un avis de résiliation alléguant une contravention au Contrat de distribution à la suite de l’annulation de commandes sans l’autorisation préalable de R & R. Simms s’oppose vigoureusement à cette tentative de résiliation de la part de R & R.

[28]        Le 6 aout 2010, Simms institue ses procédures contre Costco pour l’obtention d’une injonction permanente enjoignant à Costco de cesser la vente des produits R & R en plus de lui réclamer des dommages.

[29]        Le 12 août 2010, R & R dépose devant le U.S. Bankruptcy Court, Southern District of New York (« le Tribunal américain ») une « Motion to reject exclusive distribution agreement pursuant to 11 USC art. 365(a) »[14].

[30]        En août 2010, Costco annule ses commandes de produits R & R, sauf une du 11 juin 2010, pour laquelle des accords de paiement ont déjà été conclus[15].

[31]        Le 13 septembre 2010, à la suite du retrait de l’opposition de Simms, le Tribunal américain met fin au Contrat de distribution à compter du 12 août 2010, sans préjudice aux droits de Simms d’intenter un recours en dommages contre R & R.

[32]        Simms produit une « Proof of Claim » devant le Tribunal américain pour obtenir des dommages de 6 383 600 $. Le règlement de cette réclamation sera approuvé en octobre 2012 en contrepartie d’une somme de 2 700 000 $ US.

[33]        Entre-temps, le 30 novembre 2010, Simms modifie son recours contre Costco pour retirer ses conclusions injonctives et réclamer des dommages compensatoires de 6 383 600 $ et des dommages punitifs de 500 000 $. Les dommages compensatoires sont par la suite réduits à 4 593 038 $ après le règlement de la preuve de réclamation dans la faillite de R & R. En 2016, les parties modifient une dernière fois leurs procédures : Costco ajoute une demande reconventionnelle pour faire valoir l’abus de procédures de la part de Simms, alors que cette dernière demande le rejet de la demande reconventionnelle, vu son caractère abusif[16].

[34]        En septembre 2016, le procès se déroule sur une durée de 10 jours.

JUGEMENT ENTREPRIS

[35]        Dans un jugement rectifié daté du 22 novembre 2017, le juge rapporte de façon détaillée, sur 111 pages, la preuve administrée, la position des parties et le droit qu’il considère applicable à toutes les questions qui lui sont soumises.

[36]        Costco n’étant pas partie au Contrat de distribution, le juge qualifie la faute reprochée d’interférence contractuelle. Il détermine, dans un premier temps, la validité des droits conférés à Simms aux termes du Contrat de distribution et confirme le droit exclusif de Simms à la vente des produits R & R au Canada à des « approved retailers », c’est-à-dire à des « first class, ‘high-end’ retail departments or clothing stores »[17], ce qui exclut Costco qui ne peut acheter les produits R & R au Canada, vu l’exclusivité accordée à Simms pour leur distribution à l’intérieur du territoire canadien.

[37]        Le juge se livre ensuite à l’étude de la faute d’interférence contractuelle et vérifie si, en l’espèce, Costco a incité R & R ou participé avec celle-ci à la violation du Contrat de distribution.

[38]        Il ne retient pas la thèse de Simms que, dès janvier 2009, Costco ait eu connaissance des droits de Simms et qu’à compter de ce moment, elle a, de concert avec R & R, participé à la violation du Contrat de distribution dans le cadre d’un projet appelé « Projet X ». Il décrit de la façon suivante le Projet X, auquel réfèrent les dirigeants de R & R lorsqu’il est question des commandes de Costco pour les produits qui seront manufacturés au Guatemala plutôt qu’aux États-Unis[18] : 

[162]    From the evidence, the Court infers that “Project X” was a term used by certain “in the know” R & R senior managers to refer to the sale of these “second-tier goods” to Costco. It is likely that this suspicious terminology may have been developed by this R & R senior management team to keep the R & R operations' employees who were dealing directly with Simms “in the dark” about these “back channel” sales to Costco.

[163]    While internal R & R emails refer to “Project X”, there is nothing in this title alone that would cause Costco employees to conclude that R & R was trying to hide an exclusive distributorship agreement.

[39]        Cela permet au juge de conclure que R & R a toujours su que les marchandises étaient destinées à Costco. Quant à cette dernière, bien que certains faits laissent le juge perplexe et notamment son acceptation, sans aucune protestation, de marchandises de seconde catégorie, manufacturées au Guatemala, alors qu’il lui avait été représenté qu’on lui vendait des marchandises de première catégorie, manufacturées aux États-Unis. Cela n’amène toutefois pas le juge à conclure à la faute de Costco en ce qui a trait au Projet X[19] : 

[167]    The Court understands, in the context of everything that has transpired since 2009, that Simms could have reasonable suspicions concerning the use of the “Project X” appellation. However, such reasonable suspicions - in the context of the evidence produced in this file - do not reach the level of balance of probabilities.

[40]        La situation est cependant toute autre après la réception de la première mise en demeure en novembre 2009. Costco est alors informée de l’existence du Contrat de distribution et que les marchandises qu’elle vend portent le CA number de Simms. Pour le juge, différents indices démontrent aussi l’existence du Contrat de distribution et sa violation. Dès lors, en poursuivant la vente des produits R & R et en passant de nouvelles commandes, Costco commet une faute extracontractuelle la rendant responsable des dommages causés à Simms, à compter de cette première mise en demeure.

[41]        Le juge écarte l’argument de Costco d’un novus actus interveniens. D’abord, en ce qui concerne la résiliation du Contrat de distribution, il est d’avis qu’elle est plutôt due à la volonté de R & R d’y mettre fin en vue de poursuivre la vente de ses produits à Costco. En second lieu, même si la vente de la marque de commerce R & R en mars 2011, dans le cadre des procédures de redressement, constitue un novus actus interveniens, il n’a aucune incidence sur la causalité puisque la période des dommages accordée à Simms se termine aussi en mars 2011.

[42]        Le juge retient l’approche de l’expert de Costco concernant la perte de profits réclamée par Simms pour la période du 1er janvier 2010 au 30 mars 2011. Il tient compte qu’elle a déjà été indemnisée pour les pertes subies entre le 10 août 2010 et le 1er mars 2012 à la suite du règlement approuvé par le Tribunal américain. Il fixe ainsi les dommages à 722 010,89 $ pour la période du 1er janvier au 10 août 2010. Il partage cette somme à parts égales entre Costco et R & R, malgré le règlement approuvé par le Tribunal américain, vu l’absence d’intention de Simms de libérer Costco.

[43]        En ce qui concerne les dommages punitifs, le juge note la gravité de la faute de Costco et que l’interférence contractuelle a sérieusement nui à la réputation de Simms sur le marché canadien et que Costco ne pouvait ignorer les conséquences de sa faute. L’effet dissuasif recherché par ce type de dommages, la gravité de la faute et la situation patrimoniale de Costco justifient, selon le juge, l’octroi de dommages punitifs de 500 000 $.

[44]        Le juge rejette les demandes des deux parties quant à l’abus de procédures et les conclusions qui leur sont accessoires.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[45]        Pour Costco, le juge erre en : 

Ø   concluant à la faute extracontractuelle de Costco au sens de l’article 1457 du Code civil du Québec[20];

Ø   partageant également la responsabilité de R & R et de Costco;

Ø   octroyant des dommages punitifs de 500 000 $.

[46]        La validité du Contrat de distribution, les droits qu’il confère à Simms et le quantum des dommages compensatoires ne font pas l’objet du pourvoi, non plus que les abus de procédures soulevés en première instance.

ANALYSE

1.    La faute d’interférence contractuelle

[47]        Bien qu’en principe le contrat n’ait d’effet qu’entre les parties contractantes selon l’article 1440 C.c.Q., il y a interférence contractuelle lorsqu’un tiers incite, aide ou participe à la violation d’un contrat. Il s’agira alors de la faute extracontractuelle de l’article 1457 C.c.Q. Les auteurs Jobin et Vézina décrivent ce type de faute de la façon suivante[21] :

487 - Complicité dans la violation du contrat - Que le tiers devienne parfois responsable à l'égard d'un contractant parce qu'il s'est associé à la violation d'une obligation contractuelle par le cocontractant semble paradoxal et même illogique quand on invoque l'effet relatif du contrat. En principe, les tiers sont liés par les droits réels, opposables à tous, mais non par les droits personnels. Et pourtant, cette responsabilité est économiquement et socialement nécessaire, car autrement des comportements clairement répréhensibles seraient tolérés et affaibliraient en réalité la force obligatoire des contrats. Aussi la jurisprudence française a toujours admis cette responsabilité pour complicité dans la violation du contrat. La jurisprudence québécoise, quoique moins abondante et plus récente, la reconnaît également.

Parce qu'il leur est opposable, tout contrat constitue un fait juridique que les tiers doivent respecter. On peut même prétendre que c'est fondamentalement par sa force obligatoire que l'engagement s'impose aux tiers et que le droit les sanctionnera s'ils contribuent sciemment à sa violation. Les auteurs français ont proposé diverses bases juridiques, mais le fondement le plus sûr - et le plus simple - de la responsabilité extracontractuelle du tiers demeure la faute aquilienne, ici comme en France. Inciter quelqu'un, en toute connaissance de cause, même implicitement, à violer son engagement contractuel envers un autre constitue indéniablement la violation d'une « règle de conduite qui, suivant les circonstances [et] les usages [...] s'impose » à cette personne, selon l'heureuse formule de l'article 1457 du Code civil du Québec.

[…]

[…] Les accords d'exclusivité dans d'autres domaines, par exemple les contrats de distribution commerciale, constituent un terrain tout aussi propice à cette responsabilité. Le domaine d'application de la responsabilité d'un tiers s'avère plus vaste qu'il n'y paraît à première vue.

[Références omises]

[48]        Ce sont les mêmes principes qu’avait retenus la Cour suprême dans l’arrêt Trudel c. Clairol Inc. of Canada, un arrêt faisant autorité sur la question[22] :

[…] Mais, comme cela ne donnerait pas à l’intimée ce qu’elle recherche principalement, la cessation de cette vente pour usage personnel, il faut examiner le bien-fondé de l’autre moyen retenu par le juge de la Cour supérieure dans ses motifs sur le droit dont l’essentiel se trouve dans les passages suivants:

…Il est certain que si le défendeur se rend complice de la violation du contrat intervenu entre la demanderesse et chacun de ses agents, il commet une faute délictuelle entraînant sa responsabilité (H. et L. Mazeaud et Tunc, Traité de la responsabilité civile, 6e éd. 1965, tome I, n. 144, page 175); car il y a faute contre l’honnêteté de s’associer sciemment à la violation d’un contrat (Lalou et Azard, Traité de la responsabilité civile, 6e éd. 1962, n. 716, page 449)

Le défendeur connaît la politique et les instructions de la demanderesse quant à la vente de ses produits. La prohibition conventionnelle de la revente en détail est dénoncée dans la présente action; elle était déjà exprimée dans l’avis inscrit sur l’emballage du produit depuis 1966 . . .

Le défendeur a l’obligation de ne pas nuire à la demanderesse en favorisant même indirectement la violation de l’engagement déjà cité; car cet engagement de ne pas revendre le produit en détail est justifié à la fois par un intérêt sérieux de la demanderesse et, dans une certaine mesure, par l’intérêt public. Chacun a l’obligation morale de ne pas favoriser la violation d’un engagement validement assumé; la violation de cette obligation morale est sanctionnée par le droit civil (G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, 3e éd. Paris 1935, n. 170, page 336).

[Soulignements ajoutés]

[49]        Dans l’arrêt Dostie c. Sabourin, la Cour expose les circonstances où la responsabilité d’un tiers au contrat peut être engagée[23] :

[36]      En principe, les conventions - ici, une clause de non-concurrence - n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes. Néanmoins, les auteurs et la jurisprudence, sauf exceptions, s'accordent à dire que cette règle n'empêche pas d'imposer aux tiers le respect des relations que la convention a établies entre les parties.  En somme, la règle de la relativité des contrats ne signifie pas que les tiers ont toute liberté pour porter atteinte aux droits contractuels d'autrui.  Ainsi, toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui, par exemple celle de ne pas faire concurrence à l'acheteur de son fonds de commerce, commet une faute extracontractuelle à l'égard de la victime de cet acte.

[Soulignements ajoutés]

[50]        On peut retenir de la jurisprudence et de la doctrine les éléments constitutifs suivants de la faute du tiers :

Ø   la connaissance par le tiers des droits contractuels;

Ø   l’incitation ou la participation à la violation des obligations contractuelles; et

Ø   la mauvaise foi ou le mépris des intérêts d’autrui.

[51]        Il va de soi que la condition préalable à l’examen d’une telle faute nécessite l’existence du contrat et la validité des obligations contractuelles auxquelles le tiers aurait contrevenu.

[52]        En l’espèce, le juge, après avoir longuement analysé la preuve et les arguments des parties, conclut :

[215]    It is sufficient for Simms to prove, as it has done, that Costco has committed civil fault. In the Sobeys’ judgment of the Court of Appeal, Mr. Justice Baudouin decides that the principle of the relative effect of contracts requires proof not only of knowledge of the exclusivity clause but also bad faith on the part of the defendant.

[216]    The dual requirement of fault and bad faith has been cited in other subsequent Court of Appeal judgments.

[217]    This Court relies on legal authors Lluelles and Moore who interpret that what the Court of Appeal means in referring to “mauvaise foi” is really a “mépris caractérisé des intérêts d’autrui”, that is a component of “the fault”. In other words, bad faith is not a separate standalone condition but rather a component of the fault that must be proven.

[218]    The Quebec Charter’s preamble speaks to the fact that rights are inseparable from obligations (“Whereas the rights and freedoms of the human person are inseparable from the rights and freedoms of others….”). Similarly, in CCQ art. 7, no one may exercise a right with the intent of injuring another, including where the wrongdoer is reckless (in criminal law the term “wilful blindness” has a related connotation). Accordingly, a business that is aware that another business is protected by an exclusive distributorship agreement cannot knowingly do anything that contravenes rights under the agreement even where it is not bound by that agreement, whether one calls that conduct “bad faith” or the “reckless disregard for the rights of others”. The fault arises even where the wrongdoer has not specifically set out to harm the rights holder but where, if they thought about it, those are the probable consequences of their actions.

[219]    Both Ms. Ells and Ms. Janek, experienced as they were in the retail clothing business, could not ignore the probable negative impact on Simms of the Costco sales due to the substantial price differential i.e. their R & R Product would be sold at one third of Simms’ customers’ retail price. Ms. Ells confirmed that Costco was a retailer and that “every other retailer was competition”. At the same time, Ms. Ells who was aware of the “buzz” around the R & R brand having been to a Holt Renfrew store herself, knew or should have known that Costco would benefit, without having expended any money on marketing, with the consumer desire to purchase this premium brand product at one third of the normal price (the Costco “treasure hunt” effect).

[220]    After receiving the first cease-and-desist letter, Costco was told by Simms that only Simms was the exclusive Canadian distributor of authentic R & R merchandise in Canada. The Court has already determined that as a result of the cease-and-desist letters Costco was fixed with sufficient knowledge of the Simms' exclusivity that it was required to respect that exclusivity. Under crossexamination, Ms. Ells admits that she had no reason to believe that Simms assertion of exclusivity was untrue.

[221]    Costco asserts that it never “helped or encouraged R & R to… breach” the EDA.

[222]    This assertion is not supported by the evidence. The fact that Costco chose to ignore the uncontradicted assertion of exclusivity by Simms in the context of everything that Costco knew or should have known, proves that Costco’s subsequent orders to and through ABFI and Quetico to R & R were undertaken with the effective knowledge that they were inducing the breach of contract between R & R and Simms.

[223]    This implied intention by Costco demonstrates the fault on Costco’s part.

[Références omises]

[53]        Pour l’appelante, le juge s’est mépris dans son analyse de la faute en lui imposant un fardeau de se renseigner sur un contrat qui lui était complètement étranger en plus de conclure à sa mauvaise foi. Pour ce faire, elle propose sa propre vision de la preuve et une interprétation des faits qui lui est favorable sans soulever d’erreurs précises dans les constats du juge.

[54]        Il est acquis qu’une cour d’appel doit maintenir une grande réserve lorsqu’il est question de l’appréciation de la preuve faite en première instance et que son intervention ne devrait viser que les erreurs manifestes et déterminantes. Dans l’arrêt Regroupement des CSHLD Christ-Roy c. Comité provincial des malades[24], la Cour définit ainsi l’erreur manifeste et déterminante qui, seule, permet l’intervention de la Cour en l’absence d’erreur de droit :

[55]      Lorsqu’une preuve de quelque complexité prête à interprétation et requiert de la part du juge de première instance l’appréciation individuelle puis globale de multiples éléments, dont certains sont divergents ou contradictoires, il ne suffit pas de sélectionner aux fins du pourvoi tout ce qui aurait pu être interprété différemment, à l’exclusion de tout le reste, afin de réitérer une thèse déjà tenue pour non fondée par le juge qui a entendu le procès. Une erreur dans la détermination d’un fait litigieux n’est manifeste que si son caractère évident ou flagrant se dégage avec netteté du ré-examen de la partie pertinente de la preuve et qu’une conclusion différente sur ce fait litigieux s’impose dès lors à l’esprit. Une erreur n’est déterminante que si elle prive le jugement entrepris d’une assise nécessaire en fait, faussant ainsi le dispositif de la décision rendue en première instance et commandant réformation de ce dispositif pour cette raison. Cette question pourtant importante en appel n’est nulle part abordée par les appelants privés conventionnés pour qui, semble-t-il, toutes les erreurs ou prétentions d’erreur se valent. Il leur revenait d’identifier spécifiquement et de circonscrire dans leur mémoire ce en quoi le jugement souffrait d’une telle faiblesse et ils ne l’ont pas fait.

1.1         La connaissance du Contrat de distribution

[55]        Pour Costco, le juge se méprend en concluant que sa connaissance de l’exclusivité conférée à Simms par le Contrat de distribution est acquise après la réception de la première mise en demeure en novembre 2019. Selon elle, cette mise en demeure n’y faisait référence que de façon accessoire et laconique. Sa connaissance du contenu et de la portée réelle du Contrat de distribution n’aurait plutôt été acquise qu’après la signification des procédures en août 2010 lorsqu’elle en a reçu une copie.

[56]        Puisque le juge et les parties y ont référé souvent, la reproduction du contenu de la première mise en demeure transmise par Simms à Costco, presque immédiatement après que celle-ci ait débuté la vente des produits R & R, m’apparait utile[25] :

We are counsel for Simms & Sigal Co. Ltd. ("Simms").

Our client is the exclusive Canadian distributor of the "Rock & Republic" line of ready-to-wear apparel and accessories, including jeans.

It has come to our client's attention that you are selling in your stores "Rock & Republic" jeans bearing our client's CA Identification Number. As you know or ought to know, the CA identification Number appearing on the garments you are selling is registered for the exclusive use of our client, and allows our client to comply with the Textile Labelling Act and the Textile Labelling and Advertisement Regulations, which provide that the public is to be duly informed as to the person who has sold the particular product ln Canada.

Simms did not sell Costco the garments that are currently in your stores.

Pursuant to the Trade-marks Act and the common law of unfair competition, your sale of jeans bearing the Rock & Republic trade-mark along with our client's CA identification Number constitutes passing-off of the goods in question. Such use will also likely have the effect of depreciating the value of the goodwill attached to the Rock & Republic mark as well as the value of the goodwill attached to our client's business. Moreover, such sales render you liable for injunctive relief, damages and costs.

We hereby demand that you immediately and permanently cease and desist any use in Canada of the Rock & Republic mark. More particularly, without limitation, we demand that you immediately cease selling and remove from your stores the garments bearing the Rock & Republic Mark and our client's CA Identification Number.

To settle this without the substantial costs associated with litigation, we hereby request that you furnish the undersigned by the close of business on November 13, 2009 with the following: ·

1.      a written undertaking confirming that you will immediately and permanently ease using the Rock & Republic Mark in association with garments bearing our client's CA Identification Number; and

2.      a written undertaking that you will immediately remove all such garments from all of your stores in Canada within the next five (5) business days, or sooner, if this is possible.

We look forward to receiving your prompt response to our foregoing requests. Upon receipt of your response, we will discuss with our client the issue of waiving damages against you. However, if a satisfactory response is not received prior to the foregoing deadline, we have instructions to take all steps necessary to protect our client's rights. We trust, however, that such action will be unnecessary and that you will voluntarily comply with our requests.

Yours truly,

[Soulignements ajoutés]

[57]        La jurisprudence et la doctrine n’exigent pas, pour retenir la faute du tiers, que celui-ci ait reçu une copie du contrat ni même qu’il ait lu la clause d’exclusivité. La connaissance de l’obligation contractuelle à laquelle le tiers contrevient avec l’une des parties contractantes est essentiellement contextuelle. D’ailleurs, dans les arrêts Trudel c. Clairol et Dostie c. Sabourin, les tiers connaissaient l’existence et le contenu des clauses du contrat sans que le contrat leur ait été remis ou même qu’ils l’aient lu.

[58]        La mise en demeure de novembre 2009 n’est pas ambiguë quant au Contrat de distribution. Simms informe Costco être la distributrice exclusive au Canada des produits R & R. Cette affirmation de Simms est claire et ne nécessite aucune interprétation. La représentante de Costco, Mme Ells, interrogée précisément sur ce fait, tente d’éluder les questions et ses réponses trahissent sa réticence à aborder ce sujet[26] :

Q.834 So, when they say or when their attorneys

            say, in paragraph 2 that:

« Our client is the

exclusive Canadian

distributor of the

Rock & Republic line

of ready-to-wear

a p p a r e l a n d

accessories, including

jeans. »

Did you have reason to think they were

lying?

 

R.        They allege that they're the exclusive

Canadian distributor. My viewpoint was

this letter, the content, the concern is

the CA number.

 

Q.835  I'm going to get to the CA number,

Ms. Ells, in due course. But my question

to you is specific to the second paragraph

which contains an important statement. It

says:

« Our client is the

exclusive Canadian

distributor of the

Rock & Republic line

of ready-to-wear

a p p a r e l a n d

accessories, including

jeans. »

Do you see that?

 

R.        Yes, I do.

 

Q.836  My question to you is, did you have any

reason to believe that Simms Sigal, or

their attorneys, were lying about that

statement?

R. I view that as an introduction to the

letter.

 

LA COUR :

 

Q.837  That's not the question. Please repeat

the question for the last time. Listen

very carefully, please.

 

Me SANDRA MASTROGIUSEPPE :

 

Q.838  There is a statement in paragraph 2 that

Simms Sigal is the exclusive Canadian

distributor of the Rock & Republic line of

ready-to-wear apparel and accessories,

including jeans. And my question to you,

Ms. Ells, is whether you had any reason to

believe that that was an untrue statement

or a lie?

 

R.        It's alleged that they are the exclusive

Canadian distributor.

[59]        Les représentantes de Costco témoignent que cette lettre ne concernait que le CA number et qu’elles se sont empressées de corriger cet écart qu’elles reconnaissent[27]. Questionnées plusieurs fois sur le fait que la mise en demeure réfère aussi à l’existence du Contrat de distribution, tant Mme Janeck que sa supérieure, Mme Ells, maintiendront que la mise en demeure ne soulevait que la problématique relative au CA number[28] :

Q-        Yes. So after somebody had told you, after your

vendor had told you that he was authorized to sell

this merchandise to you, you saw this statement in

which on its face, meant that somebody else was an

exclusive distributor and you didn't query that

with your vendor?

A-         No. Again, I don't know what Simms distributorship

Details were. The body of the letter really

pertains to the CA number and that was my primary

focus.

Q-        You didn't think it was important to ask or inquire

as to whether or not Simms might have had some

rights here?

A-         No. It's not my ...

Q-        Did you ask for, did you ask for a guidance from

your superiors within Costco as to whether or not

you should continue buying R&R goods after

receiving this demand letter?

A-         No.

[60]        Le juge retient qu’à compter de la mise en demeure de novembre 2009, Costco a connaissance de l’existence du Contrat de distribution et de l’exclusivité conférée à Simms. Pour ce faire, il ne s’appuie pas seulement sur le contenu de celle-ci, mais aussi sur d’autres éléments de la preuve :

[183]    When Ms. Janek asked for a further and better confirmation from Mr. Rolnick, she received a copy of a Sept 18, 2009 letter from the President of R & R addressed to “Mr. Rolnick and Quetico” in which the “Re: line” said “Confirmation of Purchase and Sale of R & R Goods”. In the body of the letter it referred to the fact that “you have purchased authentic R & R goods” from R & R and “are authorized” to resell the goods. However, Mr. Rolnick did not purchase the goods, only Quetico did. The letter listed four separate purchase order numbers for a total of 9,234 units. However, the number of units and colour were not same as what Costco had ordered from ABFI (see Exhibit D-64 p. 2). Also, there was no reference to the re-sale being in Canada nor Costco being the purchaser. Most importantly, there was no mention at all of ABFI’s role. Put bluntly, Ms. Janek did not get a letter with the content that she asked for.

[184]    Moreover, Ms. Janek was suspicious herself. She asked Mr. Agakanian if the letter was backdated (Exhibit D-8). Importantly, she also asks for scanned copies of the four purchase orders that are referred to in the R & R letter. There is no evidence that she gets these four purchase orders since only 2 pages (content not described) (Exhibit D-7) are sent by Mr. Agakanian. When she asks whether there is anything else, Mr. Agakanian responds with a sarcastic email (“… you want a copy of the 30% deposit that we wire and copy of the LC that is written to R & R, blood. My first born? ME :”) and Ms. Janek does not pursue the matter further.

[185]    Importantly, Costco knows that Simms’ first cease-and-desist letter is correct in that the goods being sold by Costco bear the Simms CA number. Ms. Janek also has it confirmed to her at that time by Mr. Agakanian that R & R is “dealing with a very mad distributor (this Court’s note: Simms). This will all be resolved promptly.”

[186]    Costco relies on the fact that they were dealing with a trusted intermediary. Costco has filed no evidence that it was ever advised that, in fact, R & R had “resolved promptly” the matter with Simms. Accordingly, there was no reason for Costco to believe it could ignore the cease and desist letters.

[187]    Costco allowed itself to limit its focus to the issue of authenticity of the Product despite being put on notice by Simms that the up-front issue with Simms was the EDA. If Costco was not prepared to deal directly with Simms to resolve the issue, it needed to have the issue of the EDA asked and answered by R & R.  Costco failed to do either.

[188]    The Court determines that, in the context of Costco’s post cease-and-desist knowledge that Simms was alleging an exclusive distributorship agreement for Canada, Ms. Janek on behalf of Costco was at fault in not seeking: (a) some confirmation emanating from R & R that they knew the goods were being sold in Canada by Costco and (b) that there was no Simms EDA that would prevent such sales. The Court determines that this omission by Costco constituted a fault in the context of what Costco knew Simms was alleging in the cease-and-desist letters.

[189]    There were at least two reasonable courses for Costco to pursue to ensure it was not running afoul of the law: (a) getting satisfactory proof from Simms of the EDA (if Costco was not prepared to believe Simms attorneys’ assertions) and particularly, the exclusivity clause in issue and (b) thereafter, confronting ABFI and Quetico with same.

[190]    The Court now comes to a critical red flag.  As regards the R & R September 18 letter, Mr. Rolnick tells Ms. Janek that this “is the letter that Costco has been waiting for. Please do not release the letter to the distributor” (this Court’s emphasis).  This last statement should have put Costco on notice to a problem. Mr. Rolnick knew of the cease-and-desist letter sent by Simms and knew that Simms was alleging exclusivity. If this R & R authorization letter was supposed to “authorize the sale” which was “known to R & R”, why should the letter not be allowed to be shown to Simms to resolve the whole issue? This should have been a clear warning to Ms. Janek and Costco that something was amiss.

[61]        Non seulement Costco n’obtient pas les confirmations requises par Mme Janek, mais elle choisit d’ignorer les informations qui lui sont communiquées et qui lui indiquent que Simms est la distributrice exclusive au Canada des produits R & R, et ce, bien qu’elle reconnaisse vendre des produits portant le CA number de Simms.

[62]        Au surplus, la réponse des avocats de Costco est contradictoire avec la démarche et la position de ses représentantes. Les avocats affirment que les produits R & R vendus par Costco dans ses entrepôts sont d’authentiques produits R & R acquis sur le Grey market et que Costco est en droit de les vendre[29] :

I refer to your letters of November 12 and 16, 2009 in the matter above.

As you are likely aware, Canadian Courts on numerous occasions have refused the efforts of trade-mark owners or their authorized distributors to prohibit any activities in the nature of grey marketing. In the decision in Coca-Cola Ltd. et al. v. Musadlq Pardhan C.Q.B. as Universal Exporters et al. (1997), 77 C.P.R. (3d) 501, affirmed (1999), 85 C.P.R. (3d) 489 (F.C.A.), a judgment of His Honour Justice Wetston, the Federal Court Trial Division dismissed an action by Coca-Cola Ltd. as failing to disclose a reasonable cause of action. The Defendant had purchased large quantities of genuine COCA-COLA goods from a third party source and then exported them abroad for re-sale without authorization of the Coca-Cola companies. The action by Coke alleged trade-mark infringement as well as depreciation of the value of the goodwill attaching to its trade-marks. The Court quoted at page 510 from the earlier well-known decision of the Federal Court of Appeal in Smith & Nephew Inc. which held that:

“Goods which originate in the stream of commerce with the owner of a trade-mark are not counterfeit or infringing goods simply because they may have arrived in a particular geographical market where the trade-mark owner does not wish them to be distributed."

Smith & Nephew Inc, v. Glen Oak Inc, et al. (1996), 68 C.P.R. (3d) 153 (F.C.A.) at page 158.

These cases are simply two examples in a long line of decisions commencing with the well-known SEIKO case in which the Supreme Court of Canada refused an authorized distributor’s efforts to prohibit grey marketing of SEIKO watches on the basis of passing off as to do so would prohibit free competition in the marketplace and the defendant's right to deal in legitimate goods.

Consumers Distributing Co. Ltd. v. Seiko Time Canada Ltd. (1985), 1 C.P.R. (3d) 1.

You have also advanced the position that the use of the CA number in question amounts to a passing off by our client as Simms Sigal's customers have been misled into believing that the goods offered for sale in Costco Canada's warehouses originate with your client. We completely reject the notion that this constitutes some sort of passing off. We also note that our client is not the company responsible having employed the CA number on these garments. However, to assuage your client’s concerns Costco Canada is prepared to provide your client a letter which it may then forward to its customers in which it will confirm that it did not purchase the jeans in question from Simms Sigal.

Finally, you have indicated your client insists on being advised as to the source of Costco Canada’s goods in question. You have not indicated however what you would provide to Costco Canada in return. In any event our client is not prepared to provide this information as it clearly constitutes confidential information in the nature of trade-secrets to our client

Yours very truly,

[63]        De leur côté, Mmes Janeck et Ells affirment plutôt que les marchandises proviennent d’un distributeur autorisé et que R & R sait et consent que les produits soient vendus par Costco au Canada; c’est d’ailleurs ce que Mme Janeck explique à un client de Costco, comme le souligne avec justesse, le juge[30] :

[177]    Costco clearly knew it received Guatemalan-made goods. In fact, Ms. Janek wrote to a Costco customer in Edmonton in May 2010 to say that the R & R jeans originating in Guatemala were not “grey market goods” because they came from an authorized distributor. Ms. Janek considers ABFI to be the authorized distributor. In this regard, she is incorrect since the authorized distributor is actually Quetico according to R & R’s September 18, 2009 letter (D-5).

[64]        Le juge ne commet pas d’erreur en concluant que Costco choisit d’ignorer l’existence du Contrat de distribution malgré toutes les informations obtenues. Il n’impose pas non plus à celle-ci un fardeau additionnel de s’informer. Le juge analyse plutôt le comportement de Costco eu égard à la faute extracontractuelle reprochée et retient que la conduite de Costco n’est pas celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans les mêmes circonstances[31].

[65]        Costco ne convainc pas que cette analyse de la preuve ait été faite à travers un prisme déformant. Costco propose plutôt une analyse incomplète et sélective de la preuve à la vue de celle faite par le juge qui tient compte de son ensemble, avant de conclure que Costco avait connaissance à compter de novembre 2009 du droit exclusif de Simms pour la distribution au Canada.

[66]        Il n’est pas ici question d’ambiguïté ou d’interprétation de l’exclusivité conférée à Simms qui n’auraient pas permis à Costco d’en comprendre la portée ou l’étendue, mais seulement de la connaissance qu’avait Costco de son existence. Comme le juge le souligne, les représentantes de Costco sont des spécialistes de la vente au détail et bien au fait du marché. Elles savent que les produits R & R se vendent au Canada dans des magasins haut de gamme à presque trois fois le prix que Costco va les offrir dans ses entrepôts. Il n’est donc pas étonnant pour Costco qu’un contrat de distribution exclusive au Canada ait été accordé à Simms.

[67]        En novembre 2009, Costco ne tient pas compte des informations qui lui sont communiquées quant aux droits de Simms. Lorsque le Contrat de distribution lui est remis en août 2010, elle ne soutient pas en avoir appris davantage sur les droits de Simms. D’ailleurs, ses avocats répondent à la mise en demeure de juillet 2010 : « […] neither the trade-mark owner, its Canadian Licensees, nor your client as exclusive authorized distributor has any recourse in objecting to our client’s activities. Accordingly, in view of the fact that our client is selling legitimate goods, it declines to discontinue its sales and will vigorously defend any action brought against it. »[32].

[Soulignements ajoutés]

[68]        Costco peut difficilement prétendre ne pas avoir connaissance du Contrat de distribution.

1.2         L’incitation ou la participation à la violation

[69]        Puisqu’elle soutient ne pas avoir eu connaissance de l’étendue et de la portée du Contrat de distribution, Costco plaide qu’elle n’a pu inciter R & R à y contrevenir, sans autres arguments.

[70]        Comme je suis d’avis que le juge ne commet pas d’erreur en concluant que Costco connaissait l’existence des droits consentis à Simms, ce moyen est sans fondement.

[71]        Il y a lieu tout de même de souligner que, malgré cette connaissance acquise en novembre 2009, Costco passe des commandes jusqu’en août 2010[33]. Bien qu’elle ait annulé les commandes passées en juin et août 2010, à l’exception d’une[34], elle a continué de vendre des vêtements de marque R & R jusqu’en 2011, comme l’a relevé le juge de première instance.

1.3         La mauvaise foi ou le mépris des intérêts d’autrui

[72]        Costco plaide que le juge a erré en concluant à sa faute « sans considérer si Costco avait agi de mauvaise foi ou avec un mépris caractérisé des intérêts d’autrui ». Elle soutient qu’aucune preuve ne démontre sa mauvaise foi. Les motifs du juge permettent, au contraire, de constater qu’il a procédé à cette analyse.

[73]        Les auteurs Baudouin et Jobin suggèrent que cette condition soit analysée comme une composante de la faute si les autres conditions sont remplies[35] :

Certes, la connaissance par le tiers de l'obligation contractuelle est indispensable; mais elle est suffisante, en ce sens qu'il n'est pas nécessaire de prouver directement l'intention de nuire au bénéficiaire de la clause. Le contractant qui se prétend victime n'est pas requis de prouver des paroles ou gestes positifs d'incitation ; il a simplement le fardeau de prouver que le tiers avait pleinement conscience qu'en ·contractant avec lui, le débiteur violait son obligation contractuelle. Il peut parfois bénéficier d'une présomption de fait à ce sujet, « Il s'agit donc plus d'une complicité que d'une véritable incitation. Le tiers qui encourage le contractant à violer son contrat ne s'expose pas uniquement à des dommages-intérêts : il peut aussi se voir interdire de continuer de tels gestes, même par injonction interlocutoire.

[Références omises]

[74]        C’est dans ce cadre que le juge aborde cette troisième condition de l’interférence contractuelle. Le juge expose les faits l’amenant à conclure que Costco ne pouvait ignorer les effets négatifs pour Simms de la vente des produits R & R sur le marché canadien à un prix largement inférieur au sien[36] :

[219]    Both Ms. Ells and Ms. Janek, experienced as they were in the retail clothing business, could not ignore the probable negative impact on Simms of the Costco sales due to the substantial price differential i.e. their R & R Product would be sold at one third of Simms’ customers’ retail price. Ms. Ells confirmed that Costco was a retailer and that “every other retailer was competition”. At the same time, Ms. Ells who was aware of the “buzz” around the R & R brand having been to a Holt Renfrew store herself, knew or should have known that Costco would benefit, without having expended any money on marketing, with the consumer desire to purchase this premium brand product at one third of the normal price (the Costco “treasure hunt” effect).

[…]

[221]    Costco asserts that it never “helped or encouraged R & R to… breach” the EDA.

[222]    This assertion is not supported by the evidence. The fact that Costco chose to ignore the uncontradicted assertion of exclusivity by Simms in the context of everything that Costco knew or should have known, proves that Costco’s subsequent orders to and through ABFI and Quetico to R & R were undertaken with the effective knowledge that they were inducing the breach of contract between R & R and Simms.

[75]        Costco soulève aussi certaines erreurs du juge relativement à la date d’une commande passée en juin 2010, de même qu’en ce qui concerne le nombre d’unités commandées. Même s’il s’agissait d’erreurs, elles ne peuvent être déterminantes puisque Costco admet avoir commandé des produits R & R jusqu’en août 2010 et qu’elle n’a annulé que la commande pour laquelle aucun paiement n’avait été effectué. Elle a, par ailleurs, poursuivi la vente des produits R & R jusqu’en 2011, malgré sa connaissance du Contrat de distribution et des droits de Simms.

[76]        Le juge ne commet pas d’erreur en concluant que Costco a agi dans le mépris des intérêts de Simms.

2.    Le partage de responsabilité

[77]        À titre subsidiaire, Costco plaide que le juge a erré en partageant la responsabilité en parts égales avec R & R. Selon elle, s’il y avait responsabilité extracontractuelle de sa part et de R & R, cette dernière devrait l’assumer en totalité, vu la gravité de sa faute contractuelle et qu’il ne s’agit pas ici de faute commune.

[78]        Puisque la faute de R & R est contractuelle et celle de Costco extracontractuelle, le juge qualifie la responsabilité in solidum, les fautes étant de nature différente. Le Code civil du Québec prévoit dans ces circonstances le partage de responsabilité en fonction de la gravité des fautes :

1478. Lorsque le préjudice est causé par plusieurs personnes, la responsabilité se partage entre elles en proportion de la gravité de leur faute respective.

 

La faute de la victime, commune dans ses effets avec celle de l’auteur, entraîne également un tel partage.

1478. Where an injury has been caused by several persons, liability is shared between them in proportion to the seriousness of the fault of each.

 

 

The victim is included in the apportionment when the injury is partly the effect of his own fault.

[79]        Pour le juge, les fautes de R & R et Costco sont de même gravité et leur responsabilité doit être partagée à parts égales[37] :

[403]    In its summary of argument, Costco asserts that: “if R & R had not breached the Distribution Agreement, it would have been impossible to argue that Costco had any liability and therefore, liability should be shared among the in solidum co-debtors as follows: 100% for R & R and 0% for Costco” .

[404]    This conclusion is based on a false premise i.e. that R & R is 100% liable since only it could breach the EDA. On the contrary, the Court determines that there could be no damages without two participants: a buyer: Costco and a seller: R & R.

[80]        Il est d’avis qu’il n’y a pas ici de débitrice principale et de débitrice subsidiaire, mais bien deux débitrices, également responsables des dommages de Simms, puisqu’en l’absence de Costco, la faute de R & R n’aurait pas causé de dommages à Simms.

[81]        Il distingue la situation des parties de celle retenue par le juge Chamberland dans l’arrêt Dostie c. Sabourin où celui-ci suggère que le cocontractant assume la totalité de la responsabilité[38] :

[73]            Pour valoir entre les appelants seulement, je proposerais que Dostie assume la totalité de la responsabilité puisqu'en définitive, il devait être le seul à profiter de la mise en scène.  En effet, il était le seul débiteur de l'obligation de non-concurrence et le scénario juridique imaginé par Charland, et dans lequel Fortier ne jouait qu'un rôle de «poteau», n'avait pour but que de lui permettre de faire concurrence quand même à Sabourin.  Dans ce contexte, et au-delà des engagements qu'il a pu prendre à l'endroit de ses deux complices - un engagement écrit dans le cas du notaire (voir le paragraphe [13] - il est juste qu'ultimement, Dostie assume l'entière responsabilité.

[82]        Le juge est aussi d’avis qu’il ne peut s’agir ici d’une responsabilité subsidiaire au sens où une telle responsabilité a été qualifiée dans l’arrêt Bourque c. Poudrier [39] :

[41]            Le rejet de la théorie de la subsidiarité du recours en responsabilité fait donc obstacle à cette « sorte d’obligation préalable de discussion » en faveur du professionnel; il permet non seulement de poursuivre celui-ci en même temps que l'on poursuit l'autre débiteur, mais aussi d'obtenir la condamnation concomitante, in solidum, de l'un et de l'autre. Ce rejet ne change cependant rien au fait que, fréquemment, la faute du professionnel - et c'est ici le cas tout comme ce l'était dans l'arrêt Prévost-Masson - est subsidiaire. Cette différenciation des deux fautes a pour conséquence qu'entre les débiteurs in solidum de la condamnation, l'ultime responsabilité de celle-ci sera en principe assumée totalement par le débiteur primaire. C'est exactement ce qu'a fait la Cour dans l'arrêt Chartré, où l'on reconnaît une telle subsidiarité et où l'on conclut en conséquence qu'entre les débiteurs, 100 % de la responsabilité sera imposée au débiteur primaire et 0 % aux notaires, débiteurs subsidiaires.

[Références omises]

[83]        Le partage de responsabilité, selon la gravité des fautes contributives, prévu à l’article 1478 du Code civil du Québec est essentiellement une question de fait[40]. Ce n’est donc qu’en présence d’une erreur manifeste ou déterminante qu’une cour d’appel interviendra dans l’appréciation de la preuve du juge de première instance.

[84]        En l’espèce, le juge conclut que Costco a joué un rôle central dans l’interférence contractuelle et que sa responsabilité est aussi importante que celle de R & R. Costco ne démontre pas d’erreur du juge autrement que pour réitérer qu’elle n’a commis aucune faute.

[85]        Ce moyen d’appel portant sur le partage de responsabilité est rejeté.

3.    Les dommages punitifs

[86]        Le juge accueille la demande de Simms pour l’octroi de dommages punitifs et condamne Costco à payer 500 000 $ à ce titre. Il est d’avis que Costco a porté atteinte à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne, celui de la protection contre une atteinte à la réputation[41], et que cette atteinte illicite était intentionnelle de la part de Costco.

[87]        L’octroi des dommages punitifs demeure exceptionnel, comme la Cour l’a rappelé dans Imperial Tobacco Canada ltée[42]:

[999]    La nature exceptionnelle des dommages punitifs en droit civil québécois requiert que leur attribution résulte d’une disposition expresse de la loi, tel que prévu par l’article 1621 C.c.Q. Le second alinéa de l’article 49 de la Charte autorise l’attribution de dommages punitifs si l’atteinte illicite aux droits ou libertés protégés par la Charte est par ailleurs intentionnelle.

[1000]  Il est acquis au débat que l’analyse de l’intention doit porter sur les conséquences de la conduite attentatoire et fautive, et non sur la conduite elle-même. La jurisprudence exige la preuve (i) que l’auteur de l’atteinte a voulu causer les conséquences de l’atteinte fautive ou (ii) qu’il connaissait les conséquences immédiates et naturelles ou extrêmement probables de sa conduite fautive.

[88]        Pour Costco, les motifs retenus par le juge pour conclure à une atteinte intentionnelle à la réputation sont insuffisants et ne peuvent justifier l’octroi de dommages punitifs. Selon elle, le fait qu’elle soit elle-même une détaillante expérimentée et qu’elle sache que les clients de Simms sont des détaillants haut de gamme ne suffit pas pour conclure qu’elle aurait dû connaître les conséquences immédiates de ses agissements sur la réputation de Simms.

[89]        S’il est vrai que la preuve révèle que Costco est une entreprise spécialisée dans la vente au détail et qu’elle a une bonne connaissance du marché sur lequel les produits R & R sont vendus, tant avant qu’après qu’elle ne commence à les vendre elle-même, ce ne sont pas là les seuls motifs retenus par le juge pour conclure à une atteinte intentionnelle à la réputation. D’abord, dans ses mises en demeure, et notamment celle de juillet 2010, Simms souligne que la vente des produits R & R par Costco a un impact sur ses affaires et nuit à sa réputation sur le marché. Aussi, la revue méticuleuse du juge de la preuve et du comportement de Costco après les mises en demeure de novembre 2009 fait ressortir plusieurs autres éléments de la preuve[43] :

[458]    In the first cease and desist letter, Simm’s lawyers propose that if Costco undertakes to not use Simms’ CA number and to remove the impugned goods from sale, it will discuss with Simms waiving any damages.

[459]    In the second letter, Simms’ then counsel advises Costco’s then counsel that “Every day that is passing exacerbates the harm being done by your client” and asks that Simms be advised of the identity of the company from whom Costco purchased the Product. This is a reasonable request for cooperation based upon Simms’ assertions that it benefits from the EDA and the concomitant right to stop interference with its rights under the EDA.

[460]    What is Costco’s response through its attorneys? The last paragraph of Exhibit P-8, Costco’s then attorneys’ response letter of November 18, 2009 establishes a pattern of uncooperative behaviour that has led to this protracted litigation: “Finally, you have indicated your client (Simms) insists on being advised as to the source of Costco Canada’s goods in question. You have not indicated however what you would provide to Costco Canada in return. In any event, our client is not prepared to provide this information as it clearly constitutes confidential information in the nature of trade secrets to our client “(this Court's emphasis).

[461]    The Court underscores that at this time Costco knows that it is selling goods with Simms’ CA number (which is contrary to federal labelling law since Simms was not the source of these goods), that R & R is dealing with a “very mad” Simms and yet Costco’s supplier is telling it not to provide Simms with R & R’s letter that would confirm that Costco’s supplier purportedly had the right to sell the goods in Canada and potentially resolve the whole issue.

[90]        À l’inverse des décisions citées par Costco où les motifs ont été considérés insuffisants[44], le jugement s’appuie longuement sur la preuve avant de conclure que Costco a porté atteinte à la réputation de Simms de façon intentionnelle, en plus d’insister sur la gravité de la faute. Cette conclusion du juge n’a rien d’un automatisme, mais résulte de son appréciation de l’ensemble de la preuve quant au comportement de Costco à l’égard des dommages causés à Simms.

[91]        Subsidiairement, Costco plaide que le juge a erré quant au montant des dommages punitifs octroyés.

[92]        L’évaluation du montant des dommages punitifs est prévue à l’article 1621 C.c.Q. :

1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

 

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

1621. Where the awarding of punitive damages is provided for by law, the amount of such damages may not exceed what is sufficient to fulfil their preventive purpose.

 

Punitive damages are assessed in the light of all the appropriate circumstances, in particular the gravity of the debtor’s fault, his patrimonial situation, the extent of the reparation for which he is already liable to the creditor and, where such is the case, the fact that the payment of the reparatory damages is wholly or partly assumed by a third person.

[93]        Dans l’arrêt Agence du Revenu du Québec c. Groupe Enico inc., la Cour expose le contexte dans lequel cette évaluation doit se tenir et le poids à accorder aux facteurs pertinents, de même que la retenue dont doit faire preuve une cour d’appel à cet égard[45] :

[174]        L’article 1621 C.c.Q., énonce un principe clair : les dommages-intérêts punitifs « ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive ». Il s’agit vraisemblablement de la raison pour laquelle la Cour suprême, dans Cinar, a rappelé que les dommages punitifs doivent en principe être accordés avec retenue. Les professeurs Baudouin, Deslauriers et Moore expliquent bien l’idée qu’il existe un principe général de modération selon lequel le juge doit se tourner vers l’avenir plutôt que vers le passé, tout en reconnaissant qu’il peut arriver que la gravité de la faute fasse en sorte qu’il faille accorder une importance accrue à ce critère et accepter que des dommages importants soient accordés.

[175]        Dans l’affaire Times, les juges LeBel et Cromwell établissent que le montant octroyé à titre de dommages exemplaires ne doit jamais dépasser la somme nécessaire pour remplir leur fonction préventive, tout en reconnaissant que la détermination du montant doit tenir compte de la myriade d’éléments qui peuvent constituer les circonstances de l’affaire. Les juges mettent l’accent sur le fait que la gravité de la faute constitue sans aucun doute le facteur le plus important et que le niveau de gravité s’apprécie sous deux angles : la conduite fautive de l’auteur et l’importance de l’atteinte aux droits de la victime. Ils ajoutent que plus le patrimoine du débiteur est important, plus la condamnation doit être élevée. L’étendue de la condamnation déjà prononcée doit être prise en compte, notamment le fait que les dommages compensatoires ne soient pas suffisants pour décourager la récidive. Finalement, le montant octroyé doit être ajusté pour tenir compte du fait que le débiteur assume personnellement ou non l’obligation. Le juge doit aussi tenir compte de divers facteurs, tels l’identité et le profil d’une personne morale, les profits engrangés, la présence d’antécédents civils, disciplinaires et criminels et tout autre facteur considéré pertinent, dont l’impact de la faute sur le créancier de l’obligation.

[…]

[177]    La quantification des dommages punitifs est donc nécessairement fondée sur un examen de l’ensemble des faits et relève, par le fait même, du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. En conséquence, une cour d’appel doit faire preuve de beaucoup de retenue avant de modifier le quantum des dommages punitifs établi par un juge de première instance.

[Soulignements ajoutés]

[94]        Dans l’arrêt Cinar, la Cour suprême réitère les circonstances justifiant l’intervention d’une cour d’appel pour modifier les montants des dommages punitifs[46] :

[134]    La Cour a conclu dans Richard qu’une cour d’appel ne peut modifier le montant des dommages-intérêts punitifs établi par le juge de première instance que (1) en présence d’une erreur de droit; ou que (2) lorsque ce montant n’a pas de lien rationnel avec les objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs, soit la prévention, la dissuasion (particulière et générale) et la dénonciation (voir par. 190).

[95]        Les dommages punitifs sont ici évalués par le juge en fonction des critères prévus à l’article 1621 C.c.Q. Le juge précise dans son analyse qu’ils ne doivent pas excéder ce qui est suffisant pour remplir leur fonction préventive. Pour lui, le facteur principal est l’importance et la gravité de la faute de Costco. De plus, il indique que la taille de cette entreprise et le nombre de magasins entrepôts au Canada est à considérer, de même que la stratégie de marketing de Costco de créer un « Treasure hunt effect » en vendant les produits R & R à un prix près de trois fois inférieur à celui que ses clients pourraient retrouver chez les détaillants haut de gamme, c’est-à-dire les clients de Simms.

[96]        Le juge tient aussi compte du montant des dommages compensatoires accordé par le jugement et le montant reçu du règlement conclu devant le Tribunal américain, en plus de la situation patrimoniale de Costco. Il se fonde sur sa revue de la jurisprudence octroyant des dommages et intérêts punitifs importants pour décider que la gravité de la faute de Costco justifie l’octroi d’un montant de 500 000 $, lequel lui apparait approprié dans les circonstances pour remplir les critères de l’article 1621 C.c.Q.; il ajoute[47] :

[495]    In the present case, a punitive damages award of $500,000.00 would  represent .00170 % of the total assets of Costco’s parent company (US$ 23,815 million in 2010) noted earlier in this judgment.  Moreover, three months before trial, Costco asserted a counterclaim against Simms for punitive damages for harm to its reputation in the amount of $100,000.00. The patrimonial situation of Simms, as shown in the financial statements of Simms filed by Costco (Exhibit D-61 en liasse) to the end of 2012 is: $6.974 million in assets, a figure “light years apart” from that of Costco and its parent. In fact, it represents 1.43% of Simms total assets.

[97]        Tel que je l’ai mentionné précédemment, lorsqu’il analyse la faute de Costco, le juge ne le fait pas à travers un prisme déformant, comme le soulève à nouveau Costco sur cette question, mais en considérant le comportement de celle-ci dans son ensemble plutôt que d’isoler certains éléments qui lui seraient favorables. Le fait de tenir compte de l’objectif de Costco de créer un « Treasure hunt effect » lui permettant d’attirer la clientèle et d’augmenter ses ventes et ses adhésions avec des produits que celle-ci ne s’attendait pas à retrouver chez elle, et à des prix largement inférieurs à ceux qu’elle aurait pu trouver ailleurs sur le marché, ne peut constituer une erreur.

[98]        On ne constate pas d’erreurs de droit dans l’évaluation des dommages punitifs du juge. Costco n’établit pas non plus que le montant attribué n’est pas proportionnel avec les objectifs de la loi, c’est-à-dire la prévention, la dissuasion et la dénonciation. Dans ces circonstances, il ne revient pas à la Cour d’appel de substituer son appréciation ou sa propre évaluation des dommages punitifs, cet exercice étant réservé au juge de première instance qui a eu l’avantage d’entendre la preuve et de l’apprécier.

[99]        Je propose donc de rejeter l’appel de Costco, avec les frais de justice.

 

 

 

LUCIE FOURNIER, J.C.A.

 



[1]     Quetico LLC (« Quetico ») finance l’achat des marchandises vendues par Abfi au Canada. Quetico est une entreprise appartenant aux mêmes propriétaires qu’Abfi, mais ses activités sont limitées aux États-Unis.

[2]     Le CA number est un code à cinq chiffres qui identifie le fournisseur des produits de fibres de textile. En vertu de la Loi sur l’étiquetage des textiles, l’étiquetage des articles textiles de consommation doit contenir des renseignements exacts et suffisamment explicites. Tel que le prévoit la loi et son règlement, Règlement sur l’étiquetage et l’annonce des textiles, C.R.C., ch. 1551, le nom complet du fournisseur et son adresse postale ou son « CA number » doivent obligatoirement se retrouver sur l’étiquette. La loi interdit de donner de l’information qui est fausse ou trompeuse sur l’étiquette de ces produits.

[3]     Loi sur l’étiquetage des textiles, L.R.C. (1985), ch. T-10.

[4]     Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.

[5]     La Cour d’appel fédérale définit le Grey market de la façon suivante : « The expression ‘grey market’ or ‘gray market’ generally refers to goods that are imported contrary to the wishes of the copyright holder or an authorized importer in a specific territory. It refers to goods which, as a general rule, are legitimately marketed in the foreign market, but whose presence in the local market is clouded by allegations of infringement. For this reason it is referred to as the ‘grey market’ in contrast to the black market, in which copyright is infringed, and the white market, where there is no copyright infringement ».Kraft Canada Inc. v. Euro Excellence Inc., 2005 FCA 427, paragr. 2.

[6]     De fait, les jeans vendus à Costco sont acquis de R & R par Kontakt.

[7]     Pièce D-4.

[8]     Pièce D-6.

[9]     Le fournisseur peut apposer sur l’étiquette son adresse postale à la place du CA number en vertu des articles 11 et 12 du Règlement sur l’étiquetage et l’annonce des textiles. La définition de « fournisseur » au sens de l’article 2 de la loi sur l’étiquetage des textiles est large et comprend « quiconque procède à la fabrication, à la transformation ou au finissage d’un produit de fibres textiles ou se livre au commerce - vente ou importation - d’un tel produit ».

[10]    S 301 du Chapter du United States Bankruptcy Code,11 U.S.C. 101.

[11]    Pièce P-12.

[12]    Le 11 juin 2010, une commande de 36 064 paires de jeans pour hommes R & R et une seconde de 18 032 sont faites (Pièce P-21). Le 23 juin 2010, une commande de 32 000 paires de jeans R & R pour femmes est faite (Pièce P-50). Le 3 août 2010, une commande de 16 200 jeans R & R pour femmes et une commande de 16 000 t-shirts R & R sont placées (Pièce P-43).

[13]    Pièce P-15.

[14]    Pièce P-2D.

[15]    Pièce P-42, Annexe A - Joint Chronology of Key Events.

[16]    Il faut noter que Costco n’entreprend aucune procédure contre Abfi, avec qui elle a contracté directement pour l’achat des produits R & R, comme le mentionne le juge de première instance.au paragraphe 38 du jugement entrepris.

[17]    Jugement entrepris, paragr. 143.

[18]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 162 et 163.

[19]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 167.

[20]    Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991.

[21]    JOBIN, Pierre-Gabriel et VÉZINA, Nathalie, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, pages 579 à 582.

[22]    Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1975] 2 R.C.S. 236.

[23]    Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026. Motifs du juge Chamberland, dissident sur le fond de l’appel, mais avec lequel la majorité est en accord sur cette question.

[24]    Regroupement des CHSLD Christ-Roi (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, 2007 QCCA 1068, paragr. 55.

[25]    Pièce P-4.

[26]    Transcription d’une partie de l’audience du 19 septembre 2016.

[27]    De fait, après la réception de cette mise en demeure, Costco continue de vendre les produits R & R et ce n’est qu’à la fin de janvier ou au début de février 2010 que les étiquettes seront modifiées pour indiquer les noms et adresses de R & R.

[28]   Transcripts of the examinations after Plea of Pamela Janek (held on February 24, 2011, March 10, 2011 and June 10, 2011).

[29]    Pièce P-8.

[30]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 177.

[31]    Marcheterre c. Fédération (La), compagnie d'assurances du Canada, 2014 QCCA 1026.

[32]    P-15, p. 2.

[33]    Les 13 et 28 janvier 2010, Costco passe une commande de jeans R & R pour hommes et une commande de jeans R & R pour femmes. Le 11 juin 2010, deux commandes de jeans R & R pour hommes sont faites. Les 23 et 28 juin 2010, Costco passe une commande de jeans pour femmes et une autre de t-shirts R & R. Le 3 août 2010, Costco commande une nouvelle fois des jeans et des t-shirts R & R pour femmes.

[34]    La commande de 36 046 paires de jeans du 11 juin 2010 n’a pas été annulée. Annexe A - Joint Chronology of Key Events.

[35]    BEAUDOUIN, Jean-Louis et Jobin, Pierre-Gabriel, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 582.

[36]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 219, 221 et 222.

[37]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 403 et 404.

[38]    Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026. Le juge Chamberland, dissident dans cet arrêt, se prononce sur le partage de responsabilité, alors que la majorité n’en traite pas.

[39]    Bourque c. Poudrier , 2013 QCCA 1663.

[40]    La Malbaie (Ville de) c. Entreprises Beau-Voir inc., 2014 QCCA 739, paragr. 14 citant Laval (Ville de) c. Di Minno, 2008 QCCA 1882, Péribonka (municipalité de) c. Gagnon, 2015 QCCA 547 et 6362222 Canada inc. c. Prelco inc., 2019 QCCA 1457.

[41]    Charte des droits et libertés de la personne, c. C-12, art. 49.

[42]    Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil Québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 999, 1000.

[43]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 458 à 461.

[44]    Sunrise Tradex Corporation c. Tri-Caddi International Inc., 2011 QCCA 2064 et Bertrand Équipements inc. c. Kubota Canada Ltée, 2002 CanLII 31888 (QC CS).

[45]    Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc., 2016 QCCA 76, paragr. 174, 175 et 177.

[46]    Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, paragr. 134.

[47]    Jugement entrepris, supra, note 17, paragr. 495.

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