Décision

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Gabarit EDJ

 

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

 

ORDRE PROFESSIONNEL DES INHALOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC.

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

40-16-038

 

 

 

DATE :

29 mars 2017

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE CONSEIL :

Me CHANTAL PERREAULT

Présidente

Mme CATHERINE CHAMPAGNE, inhalothérapeute

Membre

Mme CATHERINE O’BRIEN, inhalothérapeute

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

BERNARD CADIEUX, en sa qualité de syndic de l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec

 

Partie plaignante

 

c.

 

LOUISE MILMORE, inhalothérapeute

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

S’AUTORISANT DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL ÉMET LES ORDONNANCES DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION  QUANT AU NOM DE TOUS LES CLIENTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE ET DE TOUTE PIÈCE OU RENSEIGNEMENTS PERMETTANT DE LES IDENTIFIER.

INTRODUCTION

[1]           Une inhalothérapeute qui travaille dans un CLSC en soutien à domicile et soins palliatifs pour la clientèle ayant des problèmes pulmonaires chroniques désire acheter une maison près de son lieu de travail. Elle fait une offre d’achat sur un immeuble, propriété d’un client du CLSC et consulte son dossier client. De plus, elle consulte une vingtaine de dossiers médicaux d’usagers qui ne sont pas dans la liste de ses clients. S’est-elle placée en conflit d’intérêts? A-t-elle porté atteinte au droit à la vie privée et à la confidentialité des dossiers des usagers? Voici les questions que soulève le présent dossier.

CONTEXTE

[2]           La plainte du 2 février 2016 reproche à l’intimée les infractions qui se lisent comme suit :

1.      Au cours du mois de février 2015, alors qu’elle exerçait sa profession pour le compte du CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes, a commis plusieurs actes dérogatoires à l’honneur et la dignité de la profession en consultant à plusieurs reprises, sans aucun motif professionnel, des dossiers médicaux de plus de vingt personnes, le tout en violation du droit des usagers à la confidentialité de leurs dossiers et de leurs renseignements personnels, commettant ainsi une infraction aux dispositions de l’article 59.2 du Code des professions et de l’article 21 du Code de déontologie des inhalothérapeutes du Québec.

2.      Au cours des mois de février et de mars 2015, alors qu’elle exerçait sa profession pour le compte du CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes, a eu accès à des dossiers médicaux d’au moins deux personnes dans le but de favoriser son intérêt personnel, commettant ainsi une infraction aux dispositions de l’article 59.2 du Code des professions et des articles 16 et 19 du Code de déontologie des inhalothérapeutes du Québec.

[3]           Le ou les articles de rattachement se lisent comme suit :

Code de déontologie des inhalothérapeutes[1]

16.     L’inhalothérapeute doit subordonner son intérêt personnel, celui de la société au sein de laquelle il exerce sa profession ou dans laquelle il a des intérêts et celui de toute autre personne exerçant sa profession au sein de cette société, à l’intérêt de son client.

19. L’inhalothérapeute doit sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il pourrait être en conflit d’intérêts.

21.      L’inhalothérapeute est tenu au secret professionnel, conformément à l’article 60.4 du Code des professions (chapitre C-26).

(…)

                                                                             (Notre emphase)

Code des professions (RLRQ C-26)

             59.2     Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.

 

[4]           Lors de l’audition sur culpabilité, l’intimée est absente. Après avoir vérifié que l’avis d’audition a été signifié conformément au Code de procédure civile et après avoir donné un délai de grâce de 15 minutes, le Conseil conformément à l’article 144 du Code des professions permet à la plaignante de procéder en l’absence de l’Intimée.

[5]           La preuve de la plaignante est principalement documentaire (R-1 à R-47).

[6]           L’intimée est membre au tableau de l’Ordre depuis 1992 et faisait partie de l’équipe de soins à domicile et de soins palliatifs du CLSC des Deux-Montagnes, s’occupant des clients aux prises avec une maladie pulmonaire chronique

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[7]           Dans le présent dossier, le Conseil doit aborder les questions en litige suivantes :

A)   L’intimée s’est-elle placée en conflit d’intérêts en transmettant une offre d’achat sur un immeuble d’un client des soins à domicile et palliatifs du CLSC où elle travaille et en consultant à cette fin deux dossiers d’usagers? (Chef 2)

B)   L’intimée a-t-elle commis un bris de secret professionnel en consultant sans motif professionnel les dossiers d’une vingtaine d’usagers en soins à domicile et palliatifs du CLSC? (Chef 1)

 

ANALYSE

A)   L’intimée s’est-elle placée en conflit d’intérêts en transmettant une offre d’achat sur un immeuble d’un client des soins à domicile et palliatifs du CLSC où elle travaille et en consultant à cette fin deux dossiers d’usagers? (Chef 2)

[8]           Le syndic témoigne avoir reçu une plainte de la part de la direction des services professionnels du CLSC. Un de leurs clients, Monsieur B.N. a fait une crise psychosociale suite à une offre d’achat que l’intimée a faite sur sa maison; ce dernier étant en panique, croyant qu’il avait vendu suite à la signature de papiers que l’intimée lui a fait signer.

[9]           Dans les faits, il a signé la déclaration du vendeur seulement. Mais le client est de toute évidence une personne vulnérable, étant atteint d’un cancer invasif et sous les soins du CLSC en soins palliatifs (de fin de vie) ce que l’intimée savait. Le client est d’ailleurs décédé peu de temps après les événements en cause.

[10]        Le client vivait seul et n’avait pas de famille. L’intimée ne l’a jamais avisé qu’elle travaillait au même CLSC que ses intervenantes, infirmière et travailleuse sociale.

[11]        Avant de formuler son offre d’achat, l’intimée a accédé le 2 février 2015 à 19 dossiers des clients du CLSC suivis par une infirmière de l’équipe dont le dossier de M. B .N. La pièce P-33 démontre que l’intimée a consulté le dossier de M. B.N. pendant 50 minutes et celui du client G.D. pendant 40 minutes, les 2 et 3 février 2015. (R-46)

[12]        L’intimée qui connait bien le logiciel de consultation fait une recherche poussée du dossier de M. B.N. afin de connaitre son diagnostic.

[13]        Un collègue de l’intimée, M. Langlais, a corroboré le fait que l’intimée lui a confirmé qu’elle avait laissé une note dans la boîte postale de M.B.N. pour manifester son intérêt à acheter.

[14]        Tout le monde savait que celle-ci se cherchait un domicile près du CLSC. Elle l’a aussi questionné sur son client G.D., récemment décédé,  et sur la maison de ce dernier. Il confirme par ailleurs que l’intimée est une professionnelle très consciencieuse dans son travail d’inhalothérapeute.

[15]        L’intimée contacte M. B.N. pour la première fois le 16 février 2015 en lui laissant une note dans sa boîte postale à l’effet qu’elle serait intéressée à acheter sa maison (R-10).

[16]        L’intimée, suite à un appel du client, rencontre ce dernier à 2 reprises et lui remet une offre d’achat le 9 mars 2015 pour la somme de 120 000 $. L’évaluation municipale est de 161 000 $. Le client est très offusqué de son offre et lui demande de quitter.

[17]        L’infirmière responsable du dossier de M. B.N. constate que ce dernier est perturbé émotionnellement et rapporte l’incident au coordonnateur du soutien à domicile.

[18]        Après une suspension et une enquête, l’intimée est congédiée le 27 mars 2015.

[19]        Suite à la lettre du syndic de 15 juin 2015, l’intimée donne ses explications sur les événements dans une lettre datée du 19 juillet 2015 (R-3).

[20]        La lecture de ses explications démontre que l’intimée ne semble pas comprendre en quoi sa conduite était contraire à son Code de déontologie. Le Conseil constate que même si les explications indiquent que l’intimée n’était pas de mauvaise foi et que son intention n’était pas d’abuser du client, sa conduite était reprochable pour plusieurs raisons.

[21]        Premièrement, elle savait ou aurait dû savoir que sa seule connaissance du fait que M. B.N. est un client suivi en soins palliatifs au même CLSC où elle travaille, lui interdisait de transiger avec ce dernier, alors qu’il est de toute évidence une personne très vulnérable.

[22]        Deuxièmement, le fait que le client n’était pas conseillé ou représenté ajoute aux sonnettes d’alarme que l’intimée aurait dû entendre.

[23]        Elle ne les a pas entendues parce qu’elle a préféré ses intérêts soit de trouver une maison près du CLSC et s’est donc placée en situation de conflit d’intérêts.

[24]        Troisièmement, elle a fait fi du secret professionnel et du droit à la vie privée de deux usagers dont M. B.N. pour la recherche de ses propres et seuls intérêts.

[25]        Le syndic s’est donc déchargé de son fardeau de prouver que l’intimée a contrevenu à son obligation de ne pas se placer en situation où elle pourrait être en conflit d’intérêts et à son obligation de préserver le secret professionnel de deux clients du CLS C le tout contrairement aux articles 16, 19 et 21 du Code de déontologie des inhalothérapeutes.

B)   L’intimée a-t-elle commis un bris de secret professionnel en consultant sans motif professionnel les dossiers d’une vingtaine d’usagers en soins à domicile et palliatifs du CLSC? (Chef 1)

[26]        Le syndic souligne que 16 des 25 dossiers consultés par l’intimée les 2, 12 et 19 février 2015 étaient des clients demeurant près du CLSC. Il ne peut faire autrement que déduire que les dossiers consultés étaient dans le cadre de la recherche d’un domicile près du CLSC par l’intimée, car elle s’est retirée du système lors de la consultation d’un dossier de client qui indiquait qu’il était « locataire ».

[27]        Elle a aussi agi comme si les dossiers confidentiels du CLSC étaient à sa disposition pour servir de site de recherches de propriétés potentiellement disponibles sur le marché. Une telle consultation ou usage des dossiers pour ses seules fins personnelles est un bris du secret professionnel dont elle sait ou devrait savoir que ces dossiers bénéficient et par lequel ils sont protégés. En prendre connaissance pour ses fins personnelles est l’équivalent d’en dévoiler le contenu à un tiers.

[28]        Il s’agit d’un manquement clair qui n’est justifié par aucune explication raisonnable professionnellement.

[29]        Pour des motivations personnelles différentes, une infirmière qui consulte un dossier d’un patient est aussi trouvée en contravention de l’obligation de ne pas se placer en situation de conflit d’intérêts et d’avoir manqué à son obligation de préserver le secret professionnel dû au patient dans Infirmières et Infirmiers c. Marquis[2].

[30]        Le Conseil souscrit et fait sien le raisonnement du Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec dans cette affaire :

 

[85]   De plus, le Code de déontologie reconnait l’importance de la confidentialité des informations et impose aux infirmières et infirmiers l’obligation stricte de la préserver.

[86]   L’article 31 du Code de déontologie se lit d’ailleurs comme suit :

31.  L'infirmière ou l'infirmier doit respecter les règles prévues au Code des professions (chapitre C-26) relativement au secret qu'il doit préserver quant aux renseignements de nature confidentielle qui viennent à sa connaissance dans l'exercice de sa profession et des cas où il peut être relevé de ce secret.

[87]   Ainsi, le client a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de son dossier.  Le public en général est en droit de s’attendre à ce qu’un professionnel, comme une infirmière, agisse comme l’un des gardiens de ces droits.

[88]   La confidentialité des dossiers doit être préservée et toute dérogation ne peut être tolérée, afin de conserver la confiance du public envers les infirmières et infirmiers.

[89]   Consulter sans autorisation ni justification professionnelle les dossiers confidentiels d’un client, est en soi un comportement inadmissible de la part d’un professionnel membre de l’Ordre. On ne peut tolérer cet acte, ni le banaliser. 

[90]   Aussi, l’article 34 du Code de déontologie prévoit:

34.  L'infirmière ou l'infirmier ne doit pas faire usage de renseignements confidentiels au préjudice d'un client ou en vue d'obtenir directement ou indirectement un avantage pour lui-même ou pour autrui.

                                                                 (Nos soulignements)

[31]        De même, dans Travailleurs sociaux c. Rochette[3], où le Conseil confirme que de consulter des dossiers (d’usagers, de collègues ou de personnes de sa famille), sans justification professionnelle, pour passer le temps pendant qu’il n’avait rien à faire est un manque de jugement total du professionnel. La confidentialité des informations soumises au secret professionnel est un droit fondamental qui doit être préservé obligatoirement pour conserver la confiance du public envers les professionnels à qui il confie ses problèmes parfois les plus secrets dont ceux sur sa santé.

[32]        Ainsi, le seul statut de professionnel ne donne pas le droit d’avoir accès à des dossiers de clients ou de patients lorsqu’aucune raison professionnelle ne le justifie.

[33]        L’article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux[4] prévoit aussi la confidentialité et le non-accès au dossier si ce n’est avec le consentement de l’usager ou de la personne pouvant donne un consentement en son nom. Ce même article prévoit une liste de situations d’exception où un renseignement peut être communiqué.

[34]        La doctrine reconnaît  le droit pour le personnel  d'un établissement d'obtenir accès à un dossier, lorsque cela est nécessaire et pertinent dans l'exercice de ses fonctions.

[35]        Dans son  ouvrage  intitulé  Aspects  juridiques   du  dossier  de  santé  et  de  services sociaux[5], l'honorable juge Martin Hébert écrivait :

« Tout   professionnel    ou   tout   membre   du   personnel   d 'un   établissement   qui,   dans l 'exercice  de ses  fonctions,  doit  accéder  au  dossier  d'un  usager, est  autorisé  à  le faire . ( ...) En effet, au nom même de la qualité et de la continuité des services, il est légitime que les intervenants concernés puissent avoir accès à toute l'information requise pour exécuter  leur tâche.  Le droit  d'accès de ces personnes  est  soumis à deux  conditions :

1. l'accès au  dossier  doit être nécessaire et pertinent  à  l'exercice  des fonctions;

2. (...).

Ainsi, dans le contexte traditionnel du dossier papier,  il  faut  essentiellement  se fier au sens professionnel et déontologique de chacun pour assurer le respect des règles de confidentialité  et  du secret  professionnel.   Chaque   intervenant   doit  s'astreindre à une discipline personnelle pour limiter son accès au dossier aux seuls extraits  pertinents et nécessaires à ses tâches.

Une   précision   s'impose   toutefois   à   l'égard   du   partage   d'informations   entre   divers intervenants appelés à collaborer à un titre ou à un  autre dans  la  prestation  des soins  ou des services au bénéfice de l'usager. Un tel partage d'informations ne constitue pas en soi une violation du droit à confidentialité dans la mesure où il s'agit de la communication d'informations nécessaires et pertinentes à l'exécution des fonctions de chacun des membres  d'une équipe de soins et de services. Il  en  serait autrement  si  la divulgation   de ces  informations  n'était  pas justifiée.  »                                                        (Nos soulignés)

[36]        De même, dans leur ouvrage Éléments de responsabilité civile médicale[6], les auteurs Philips­ Nootens, Kouri et Lesage-Jarjoura indiquaient :

« Les « membres du personnel » d 'un établissement dont la fonction  l'exige et qui  font partie de la liste incluse dans la Déclaration d'un fichier de renseignements personnels transmise à la Commission d'accès à l'information   ont  droit  d'accès  aux  dossiers  de santé compte tenu des limites  indiquées  dans la déclaration . »                                                          (Nos soulignés)

 

[37]        La jurisprudence a suivi ces enseignements dans CLSC de l'Érable c. Lambert[7], et a contrario, dans Dembri c. Psychologues[8],  dans Syndicat des travailleuses et des travailleurs du  Centre  de santé et de services sociaux de la région de Thetford (FSSS-CSN) et Centre de santé et de services sociaux de la région de Thetford[9], et dans Syndicat des travailleuses et des travailleurs de ['Hôpital Charles Lemoyne (CSN) et Hôpital Charles  Lemoyne[10],  A.A.S.  2010A- 104.

[38]        L’intimée a donc manqué aux obligations des articles mentionnés à chacun des chefs. Cependant, en vertu de l’arrêt Kineapple[11] interdisant les condamnations multiples pour les mêmes faits, le Conseil prononce une suspension conditionnelle quant à l’article 59.2 du Code des professions sur le chef 1 et quant aux articles 16 du Code de déontologie des inhalothérapeutes et 59.2 du Code des professions sur le chef 2.

DÉCISION

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT CE JOUR :

DÉCLARE l’intimée coupable des infractions reprochées au chef 1 en vertu de l’article 19 du Code de déontologie des inhalothérapeutes du Québec.

DÉCLARE l’intimée coupable des infractions reprochées au chef 2 en vertu de l’article 21 du Code de déontologie des inhalothérapeutes du Québec.

PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant à l’article 59.2 du Code des professions sur le chef 1.

PRONONCE une suspension conditionnelle des procédures quant  à l’article 16 du Code de déontologie des inhalothérapeutes du Québec et quant à l’article 59.2 du Code des professions sur le chef 2.

DEMANDE à la secrétaire du Conseil de convoquer les parties pour l’audition sur sanction dans les meilleurs délais possibles.

 

 

 

 

Me CHANTAL PERREAULT, présidente

 

 

_________________________________________

Mme CATHERINE CHAMPAGNE, inhalothérapeute, Membre

 

 

_________________________________________

Mme CATHERINE O’BRIEN, inhalothérapeute,

Membre

 

 

 

 

 

Me Magali Cournoyer-Proulx, avocate

Partie plaignante

 

Partie intimée absente

 

Date d’audience :

26 janvier 2017

Date de début de délibéré : 10 février 2017


 

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

 

ORDRE PROFESSIONNEL DES INHALOTHÉRAPEUTES DU QUÉBEC.

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

40-16-038

 

 

 

DATE :

11 janvier 2018

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LE CONSEIL :

Me CHANTAL PERREAULT LL.M., Ad. É.

Présidente

Mme CATHERINE CHAMPAGNE, inhalothérapeute

Membre

Mme CATHERINE O’BRIEN, inhalothérapeute

Membre

______________________________________________________________________

 

 

 

BERNARD CADIEUX, en sa qualité de syndic de l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec

 

Partie plaignante

 

c.

 

LOUISE MILMORE, auparavant inhalothérapeute

 

Partie intimée

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR SANCTION RECTIFIÉE

 

______________________________________________________________________

 

 

S’AUTORISANT DES DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL ÉMET LES ORDONNANCES DE NON-PUBLICATION, DE NON-DIFFUSION ET DE NON-DIVULGATION QUANT AU NOM DE TOUS LES CLIENTS MENTIONNÉS DANS LA PLAINTE OU DANS TOUTE PIÈCE DÉPOSÉE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE LES IDENTIFIER.

INTRODUCTION

[1]           Une inhalothérapeute qui travaille dans un CLSC en soutien à domicile et soins palliatifs pour la clientèle ayant des problèmes pulmonaires chroniques, désire acheter une maison près de son lieu de travail. Elle fait une offre d’achat sur un immeuble, propriété d’un client du CLSC et consulte son dossier client. De plus, elle consulte une vingtaine de dossiers médicaux d’usagers qui ne sont pas dans la liste de ses clients. Le Conseil l’a trouvée coupable de s’être placée en conflit d’intérêts et d’avoir porté atteinte au droit à la vie privée et à la confidentialité des dossiers des usagers.

[2]            Quelle est la sanction appropriée, et y a-t-il application des amendements apportés à l’article 156 c) du Code des professions, entrés en vigueur le 8 juin 2017? Voici les questions que soulève le présent dossier.

CONTEXTE

[3]           Les infractions se sont produites au cours des mois de février et mars 2015 et la plainte est déposée le 2 février 2016.

[4]           L’audition sur culpabilité a lieu le 26 janvier 2017 en l’absence de l’intimée et la décision sur culpabilité est rendue le 29 mars 2017. L’audition sur sanction a lieu le 4 juillet 2017 et le délibéré débute le 31 août 2017 lors de la réception de la lettre et des autorités neutres[12], présentant les deux courants jurisprudentiels, préparées à titre d’amicus curiae par l’avocate du syndic.

[5]           Le Conseil remercie celle-ci et lui est reconnaissant vu l’importance de la question se posant à l’égard de l’application des modifications adoptées le 8 juin 2017 en regard de l’article 156 c) du Code des professions concernant les seuils minimums et maximums des amendes applicables dans la présente instance.

[6]           La suggestion du syndic à l’égard des deux chefs de la plainte est sur le chef 1 une période de 3 mois de radiation et l’amende minimale de 2 500 $ selon la décision du Conseil quant à l’ application ou non des modifications apportées à l’article 156 c) du Code des professions et sur le chef 2 une période de 6 mois de radiation.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]           Dans le présent dossier, le Conseil doit aborder les questions en litige suivantes :

1)    Les modifications apportées à l’article 156 c) du Code des professions, entrées en vigueur le 8 juin 2017, sont-elles applicables au présent dossier en l’absence de disposition transitoire spécifique quant à cet article?

Afin de répondre à cette question, le Conseil entend suivre le plan suivant :

A)   Les amendements en cause et autres amendements et dispositions à considérer.

B)   Le caractère sui generis du droit disciplinaire

B.1 Règles empruntées au droit criminel et pénal

B.1.1 Recommandations communes (Arrêt Cook)

B.1.2 Divulgation de la preuve

B.1.3 L’application de l’arrêt Kineapple contre les condamnations multiples

B.1.4 Validité d’un plaidoyer de culpabilité

B.1.5 Droit à une défense pleine et entière

B.1.6 Autres règles importées du droit pénal

B.2 L’équité procédurale et les règles de justice fondamentale et naturelle

B.2.1 Le droit de bénéficier de la peine la moins sévère au moment de l’infraction est un principe de justice fondamentale applicable à un intimé en droit disciplinaire.

C)   Le principe de non rétroactivité des lois

C.1 Les vastes pouvoirs du législateur

C.2 Le principe de non rétroactivité des lois

C.3 Raison d’être du principe

C.4 Différences entre la rétroactivité, l’effet rétrospectif et l’effet prospectif

C.4.1 effet prospectif

C.4.2 effet rétrospectif

C.4.3 effet rétroactif

C.4.4 Les nouvelles dispositions sont-elles de pure procédure ou de preuve?

C.5 L’intention du législateur et les dispositions transitoires

D)   Les arrêts Brosseau, Da Costa, la décision Rancourt et l’arrêt Tran

E)   Conclusion : Les amendements de l’article 156 du Code des professions ne sont applicables qu’aux infractions commises après l’entrée en vigueur de ceux-ci.

2)    Quelles sont les sanctions justes, raisonnables et appropriées pour les infractions commises?

 

 

 

ANALYSE

1)    Les modifications apportées à l’article 156 c) du Code des professions, entrées en vigueur le 8 juin 2017, sont-elles applicables au présent dossier en l’absence de disposition transitoire spécifique quant à cet article?

A)     Les amendements en cause et autres amendements et dispositions à considérer.

[8]           La Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, « Loi 11 »[13] a apporté de nombreuses modifications au Code des professions[14].

[9]           Celles qui nous concernent visent l’article 156 qui prévoit l’augmentation des amendes comme suit :

74. L’article 156 de ce code est modifié :

1     par le remplacement, dans le paragraphe c du premier alinéa, de « 1 000 $ et d’au plus 12 500 $ » par « 2 500 $ et d’au plus 62 500 $ »;

2     par le remplacement du deuxième alinéa par les suivants :

« Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1 ou un acte de même nature prévu au code de déontologie des membres de l’ordre professionnel, au moins les sanctions suivantes :

a)  conformément au paragraphe b du premier alinéa, une radiation d’au moins cinq ans, sauf s’il convainc le conseil qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances;

b)  une amende, conformément au paragraphe c du premier alinéa.

Dans la détermination des sanctions prévues au deuxième alinéa, le conseil tient notamment compte :

a)  de la gravité des faits pour lesquels le professionnel a été déclaré coupable;

b)  de la conduite du professionnel pendant l’enquête du syndic et, le cas échéant, lors de l’instruction de la plainte;

c)  des mesures prises par le professionnel pour permettre sa réintégration à l’exercice de la profession;

d)  du lien entre l’infraction et ce qui caractérise l’exercice de la profession;

e)  de l’impact de l’infraction sur la confiance du public envers les membres de l’ordre et envers la profession elle-même.

Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte de tout client ou déclaré coupable d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession, au moins la radiation temporaire conformément au paragraphe b du premier alinéa.

[10]        Les modifications apportées à l’article 156 c) du Code des professions portent sur l’augmentation des amendes pouvant s’appliquer à toute infraction.

[11]        Le paragraphe c) du premier alinéa de l’article 156 du Code des professions prévoit donc maintenant une amende minimale de 2 500 $ au lieu de 1 000 $ et un maximum par amende de 62 500 $ plutôt que 12 500 $.

[12]        Il est utile de reproduire certaines autres modifications illustrant l’obligation d’étudier chacune des modifications de façon individuelle, puisque quelques-unes sont clairement rétroactives, rétrospectives ou prospectives de par la volonté expresse ou implicite du législateur, alors que d’autres ne permettent pas de conclure à cet effet, exigeant alors l’utilisation des principes d’interprétation applicables en droit québécois.

[13]        Le Conseil considère que les modifications prévues à l’article 156 c) du Code des professions entrent dans cette dernière catégorie.

[14]        À titre d’exemple, l’article modifié suivant aura une application rétrospective, tel que prévu par le législateur à l’article 154 de la Loi 11 :

122.0.1.  Un syndic peut, lorsqu’il est d’avis qu’une poursuite intentée contre un professionnel pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus a un lien avec l’exercice de la profession, requérir du conseil de discipline qu’il impose immédiatement à ce professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre.
 
154.  Une poursuite intentée avant le 8 juin 2017 peut servir de fondement à une requête visée à l’article 122.0.1 du Code des professions, édicté par l’article 68.
 
[Notre soulignement]

[15]        L’ajout de l’article 121.0.1 ne pourra avoir qu’une application prospective de par sa nature :

121.0.1.  Le Conseil d’administration impose au syndic et, le cas échéant, aux syndics adjoints et aux syndics correspondants l’obligation de suivre des formations en lien avec l’exercice de leurs fonctions et s’assure qu’elles leur soient offertes. Ces formations portent notamment sur les actes dérogatoires visés à l’article 59.1 et sur ceux de même nature prévus au code de déontologie des membres de l’ordre professionnel.

[16]        Finalement, un exemple d’effet rétroactif exprimé clairement par le législateur:

25.        L’article 39.8 de ce code est modifié par l’insertion, après « voie orale », de « nasale, entérale ».
153.      L’article 39.8 du Code des professions, tel que modifié par l’article 25, est réputé s’être toujours lu comme autorisant également l’administration de médicaments prescrits et prêts à être administrés par voie entérale ou nasale.
[Notre soulignement]

[17]        Ainsi, à défaut d’indication claire quant à l’intention du législateur, comme c’est le cas pour l’article 156 du Code des professions, il y a lieu de circonscrire le contexte juridique et factuel afin de bien appliquer les principes d’interprétation.

 

 

B)    Le caractère sui generis du droit disciplinaire

[18]        Dans la décision Dentistes (Ordre professionnel des) c. Harandian[15], le conseil cite le Tribunal des professions dans Psychologues (Ordre professionnel des) c. Turgeon[16] qui rappelle que le droit disciplinaire est un droit sui generis qui est plus près du droit criminel et pénal que du droit civil :

[29]         En effet, dans Roy c. Médecins (Ordre professionnel des)2, le Tribunal des professions reconnaissait le caractère particulier du droit disciplinaire, notamment la position du professionnel faisant l'objet d'une plainte disciplinaire :

[…] le droit disciplinaire n'est pas identique au droit civil. Les enjeux ne sont pas les mêmes. La position du professionnel se rapproche davantage de l'accusé en droit pénal que d'une partie à un litige civil. On ne lui demande pas de verser une somme d'argent ou d'exécuter un contrat. On lui reproche un comportement professionnellement inacceptable, avec les conséquences qu'une condamnation risque de comporter pour lui. […]

[30]         C'est sans doute ce qui a fait en sorte que sans importer aveuglément tous les principes applicables dans le cadre d'une procédure criminelle, le droit disciplinaire, souvent qualifié de droit sui generis, a adopté mutatis mutandis certains de ces principes.

[31]         Par exemple, s'il est reconnu que les informations et renseignements colligés au dossier du syndic ont un caractère confidentiel au stade de son enquête, ce principe de confidentialité cesse au moment du dépôt de la plainte disciplinaire3 et il doit alors céder le pas à l'obligation de divulgation de la preuve au professionnel par le syndic.

[Nos emphases, références omises]

[19]        Le Conseil entérine cette vision du caractère sui generis du droit disciplinaire tout en reconnaissant qu’on ne peut importer tous les principes du droit criminel puisque le législateur a prévu des dispositions spécifiques pour écarter entre autres la règle que l’accusé est non contraignable. Les articles 146, 147 et 149 du Code des professions permettent clairement d’assigner le professionnel comme témoin.

[20]        Dans Laliberté c Delorme[17], le Tribunal des professions note par ailleurs les principales différences entre le droit criminel et le droit disciplinaire :

Au criminel, les articles 9, 10, 11, 12 de la Charte canadienne trouvent application; ce droit est punitif; la preuve à établir doit être hors de tout doute raisonnable; l’enquête porte sur un crime; l’accusé est non contraignable; l’accusé est confronté «to the control of the superior power of the state vis-à-vis the individual who has been detained by the state and thus, placed in its power» (R. c. Hébert, 1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 151 p. 179).

Le droit criminel est de «nature publique et vise à promouvoir l’ordre et le bien-être publics dans une sphère d’activités publiques» (Wigglesworth, loc. cit. p. 560).

Le droit disciplinaire se distingue très clairement eu égard à ces aspects du droit criminel:

Le droit disciplinaire a comme raison d’être d’assurer la protection du public (Code des professions, art. 23);

Il n’y a pas d’accusé en droit disciplinaire;

Le droit disciplinaire n’est pas en conséquence punitif:

Elle (la sanction) n’a pas pour but de punir le professionnel, mais de protéger le public en dissuadant ce professionnel de récidiver et en dissuadant les autres membres de sa profession de commettre de semblables infractions.

Infirmières et Infirmiers c. Lloyd, [1990] D.D.C.P. 318, 328

Voir également: Béchard c. Roy, [1975] C.A. 509

Le droit disciplinaire s’intéresse à des standards, c’est-à-dire qu’il établit les principes régissant la pratique d’une profession et en modifie l’application par le professionnel concerné;

Le fardeau de la preuve exigée est celui de la prépondérance. Il ne connaît pas le doute raisonnable et reconnaît la défense de diligence raisonnable (Sault-Ste-Marie c. R., 1978 CanLII 11 (CSC), [1978] 2 R.C.S. 1299);

L’enquête disciplinaire porte sur les relations entre un professionnel et un individu;

Le professionnel est un témoin contraignable (Code des professions, art. 149).

Dans ces deux branches de droit, Il y a des similarités:

-   preuve de l’infraction doit être faite;

-   droit d’être avisé de la tenue de l’enquête;

-   audi alteram partem;

-   décision rendue sur la preuve entendue (Sitba, loc. cit.).

B.1 Règles empruntées au droit criminel et pénal

[21]        Le droit disciplinaire, vu cette proximité avec le droit pénal et criminel, a importé de nombreux principes élaborés en ces matières.

[22]        Il est utile d’en faire une nomenclature afin de démontrer à quel point le droit disciplinaire se rapproche du droit pénal et criminel.

[23]        De nombreux principes de justice fondamentale, dont plusieurs ont été codifiés aux Chartes[18], s’appliquent en droit disciplinaire à moins d’indications contraires de la part du législateur, sans toutefois bénéficier de la même protection que les accusés au criminel, lesquels peuvent soulever l’inconstitutionnalité d’une loi ou de dispositions qui y contreviendraient.

B.1.1 Recommandations communes (Arrêt Cook)

[24]        La jurisprudence en droit disciplinaire suit entre autres les enseignements de la Cour Suprême du Canada quant aux principes à appliquer aux recommandations communes ou conjointes.

[25]        En effet, le Conseil a un rôle plus limité quant à l’établissement de la sanction lorsque les parties présentent des recommandations communes ou conjointes.

[26]        La Cour suprême vient de rappeler la règle à appliquer en matière de recommandation conjointe en matière pénale dans la cause R. c. Anthony-Cook[19] à l’effet qu’il ne faut pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.

[27]         Cet arrêt est dorénavant appliqué par tous les Conseils de discipline. Voici les extraits pertinents de l’arrêt Cook:

[32]   Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Mais que signifie ce seuil? Deux arrêts de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador sont utiles à cet égard.

[33]   Dans Druken, au par. 29, la cour a jugé qu’une recommandation conjointe déconsidérera l’administration de la justice ou sera contraire à l’intérêt public si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle [traduction] « correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale ». Et, comme l’a déclaré la même cour dans R. v. B.O.2, 2010 NLCA 19 (CanLII), au par. 56, lorsqu’ils examinent une recommandation conjointe, les juges du procès devraient [traduction] « éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable sa confiance dans l’institution des tribunaux ».

[34]   À mon avis, ces déclarations fermes traduisent l’essence du critère de l’intérêt public élaboré par le comité Martin. Elles soulignent qu’il ne faudrait pas rejeter trop facilement une recommandation conjointe, une conclusion à laquelle je souscris. Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre, comme je l’explique ci-après.

(…)

[36]   Les personnes accusées tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à la peine (voir D. Layton et M. Proulx, Ethics and Criminal Law (2e éd. 2015), p. 436). L’avantage le plus évident est le fait que le ministère public accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter. Cette recommandation est susceptible d’être plus clémente que ce à quoi l’accusé pourrait s’attendre à l’issue d’un procès ou d’une audience de détermination de la peine contestée. Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable.

(…)

[40]  En plus des nombreux avantages que les recommandations conjointes offrent aux participants dans le système de justice pénale, elles jouent un rôle vital en contribuant à l’administration de la justice en général. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité. Et les plaidoyers de culpabilité font économiser au système de justice des ressources et un temps précieux qui peuvent être alloués à d’autres affaires. Il ne s’agit pas là d’un léger avantage. Dans la mesure où elles font éviter des procès, les recommandations conjointes relatives à la peine permettent à notre système de justice de fonctionner plus efficacement. Je dirais en fait qu’elles lui permettent de fonctionner. Sans elles, notre système de justice serait mis à genoux, et s’effondrerait finalement sous son propre poids.

(…)

[42]   D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celui-ci jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.

[Nos soulignements]

[28]        En matière disciplinaire, la décision Gauthier[20] fait aussi référence à des arrêts de droit criminel pour rappeler qu’une suggestion commune ne devrait être mise de côté que si elle est déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice :

[20]   La véritable question en litige consiste donc à déterminer si la suggestion commune était « déraisonnable, inadéquate, contraire à l'intérêt public ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice », suivant les termes utilisés par la Cour d'appel dans l'affaire Boivin c. R.11

[21]   Si tel n'est pas le cas, il faut en conclure que le Conseil n'était pas justifié de s'en écarter suivant les enseignements de la Cour d'appel dans l'affaire Aucoin12.

[…]

[25]   La formulation de recommandations communes et d’une suggestion de sanction, sans être une panacée, constitue un rouage utile et parfois nécessaire à une saine administration de la justice. Pour reprendre les termes utilisés par la Cour d’appel dans l’affaire Dumont c. R [14], «il ne s’agit pas d’une règle formelle, mais plutôt d’une politique judiciaire nécessaire en vue d’encourager la négociation des plaidoyers de culpabilité».

[26]   Rappelons que lorsque le syndic, dont la mission première est la protection du public, formule une telle suggestion, il connait tous les tenants et les aboutissants de l’ensemble du dossier traité. De même, avant d’y donner suite, le Conseil doit s’assurer qu’elle n’est pas déraisonnable ou inadéquate.

[27]   Dans cette foulée, il est utile de citer un extrait du volume intitulé «Précis de droit professionnel» [15] dans lequel les auteurs s’expriment ainsi :

Lorsque le comité de discipline doit rendre une décision sur sanction à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, il doit faire preuve de plus de réserve face aux recommandations du syndic, puisqu’il est le seul à avoir mené l’enquête et à être au fait de toutes les circonstances pertinentes aux infractions : il est le premier responsable des mesures nécessaires à prendre pour protéger le public et réprimer les manquements déontologiques.

De plus, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans l’affaire Brunet c. Notaires (Ordre professionnel des), le comité de discipline ne peut fonder sa décision sur sanction uniquement sur une recommandation commune; il doit s’assurer, tout comme dans le cas d’un plaidoyer de culpabilité, que sa suggestion commune est faite librement et représente clairement la volonté du professionnel […]

[Nos soulignements]

_____________________

11 2010 QCCA 2187, par. 12.

12 Aucoin c. R., 2013 QCCA 855.

[29]        De même, dans Poirier[21], on peut constater que le droit disciplinaire applique la jurisprudence développée en droit criminel sur le sujet:

[32]       Une fois cette étape franchie, le Conseil doit décider si les recommandations communes sont tellement déraisonnables qu’elles auront pour effet de déconsidérer la justice. Ce n’est pas, en effet, parce que le Conseil imposerait une autre sanction qu’il peut écarter celle acceptée par l’intimé, qui a renoncé à présenter une défense, et qui est considérée juste et raisonnable par deux procureures expérimentées et le syndic adjoint.

[Notre soulignement]

B.1.2 Divulgation de la preuve

[30]        Ce principe développé en droit criminel est maintenant bien établi en droit disciplinaire, car le droit à la divulgation de la preuve fait partie du droit à une défense pleine et entière tel que le souligne la décision dans Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Pucher[22] :

[17]       Concernant la demande relativement à la divulgation de la preuve, le comité de discipline rappelle que ce principe a été développé en matière criminelle et introduit en droit disciplinaire à l’occasion de l’affaire Delorme[1] et que depuis, une telle divulgation se fait de façon automatique, sans qu’elle n’ait à faire l’objet d’une requête. C’est d’ailleurs ce qui ressort clairement des conclusions tirées par le Tribunal des professions à l’occasion de cette affaire :

Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le droit à une défense pleine et entière comporte l’obligation pour le plaignant de divulguer «tout ce qu’il envisage d’utiliser au procès, et particulièrement tous les éléments de preuve qui peuvent aider le professionnel même si le [plaignant] n’envisage pas de les présenter».  Nonobstant cette obligation, le plaignant a un pouvoir discrétionnaire de refuser la divulgation pour des motifs, entre autres, de pertinence et de secret professionnel.  Ce pouvoir discrétionnaire est sujet à révision par le comité.

Cette divulgation devrait être faite sur demande du professionnel intimé, ou en son nom.  Le plaignant doit cependant informer l’intimé de son droit à divulgation.

L’époque toute indiquée pour remplir cette obligation serait antérieure à l’enregistrement par l’intimé de son plaidoyer.

Si le dossier n’est pas complet à cette époque, l’obligation de divulguer subsiste et devra être complétée par la suite selon la réception des renseignements complémentaires.» [2]

[Notre soulignement, nos emphases]

[Références omises]

[31]        Dans Paquette c. Tribunal des professions[23], cette obligation de divulguer est assimilée à une règle d’équité procédurale :

[15]       Notons d’abord qu’il est bien établi qu’il existe une obligation de divulguer la preuve en droit disciplinaire, conformément aux règles de l’équité procédurale. La divulgation est nécessaire pour assurer au professionnel qui est traduit en discipline, son droit à une défense pleine et entière, droit garanti par l'article 144 du code des professions [4].

[Notre emphase, référence omise]

[32]        Dans Mailloux c. Deschênes[24] , on constate par ailleurs que le remède à un défaut de divulgation ne sera pas apprécié de la même façon en droit disciplinaire, en ce que l’arrêt des procédures ne sera accordé que dans les cas les plus manifestes lorsqu’aucune autre réparation n’est possible :

[169]    L’exigence de divulgation de la preuve issue du droit pénal s’applique en matière disciplinaire[172] encore qu’il faille tenir compte de la différence entre le droit criminel et le droit professionnel dans son application [173].

[170]    L’arrêt des procédures en matière de divulgation de la preuve constitue un remède ultime et exceptionnel qui ne sera accordé que dans les cas les plus manifestes lorsqu’aucune autre réparation n’est possible [174].

[Notre emphase et soulignement]

[33]        Dans la cause Lapointe c. Leduc[25], on reconnait aussi que l’arrêt des procédures est un remède accepté en droit disciplinaire lorsque la divulgation de preuve n’est pas complète:

[34]       Plus précisément, dans l’affaire Huot, la juge Andrée Ruffo s’exprime ainsi :

(64) L’arrêt définitif des procédures, que l’on voit en matière pénale ou disciplinaire, constitue un remède qui ne doit être accordé qu’exceptionnellement, lorsque aucune solution de rechange n’existe (…).

[33]      Bien que l’arrêt des procédures soit un remède accepté en droit disciplinaire lorsque la divulgation de preuve n’est pas complète, cela doit rester une mesure exceptionnelle. C’est d’ailleurs ce que nous enseignent les tribunaux supérieurs dans R. c O’connor et Huot c. Pigeon qui prévoit qu’une telle mesure ne devrait être accordée que dans les cas les plus manifestes, lorsqu’aucune autre réparation ne peut être envisagée ni constituer un remède approprié [15].

[Notre emphase]

[Références omises]

[34]        Ce principe a été réaffirmé par la Cour d’appel dans l’arrêt Mailloux[26] comme suit :

[169]    L’exigence de divulgation de la preuve issue du droit pénal s’applique en matière disciplinaire[172] encore qu’il faille tenir compte de la différence entre le droit criminel et le droit professionnel dans son application[173].

[170]    L’arrêt des procédures en matière de divulgation de la preuve constitue un remède ultime et exceptionnel qui ne sera accordé que dans les cas les plus manifestes lorsqu’aucune autre réparation n’est possible [174].

[Références omises]

[35]        Le droit à la divulgation de la preuve fait donc partie du droit à une défense pleine et entière conféré au professionnel par l'article 144 du Code des professions tout comme il fait partie du même droit garanti par les Chartes pour un accusé au pénal ou au criminel.

B.1.3 L’application de l’arrêt Kienapple contre les condamnations multiples

[36]        Il est accepté depuis longtemps que les principes de l’arrêt Kienapple[27] de la Cour Suprême du Canada en matière criminelle s’appliquent au droit disciplinaire[28] de façon à ce qu’il n’y ait pas de condamnations multiples à l’égard des mêmes faits.

[37]        L’explication de cette règle est qu’il faut un lien étroit entre les infractions, qu’elles soient basées sur les mêmes faits et qu’elles ne comportent pas d’éléments supplémentaires et distinctifs. Son applicabilité en droit disciplinaire est aussi reconnue en ce que le droit disciplinaire comporte des déclarations de culpabilité et des sanctions. Ceci justifie de s'inspirer du droit criminel.

[38]        La décision dans Lavallée c. Villeneuve[29] fait ainsi le lien entre le droit disciplinaire et le droit criminel:

Dans les circonstances, le Tribunal croit que le Comité de discipline aurait dû appliquer l'arrêt Kineapple, eu égard à l'article 3.02.01 du Code de déontologie. Le Tribunal des professions s'est déjà prononcé à cet égard dans l'arrêt : Tribunal -Audioprothésistes - 1 [1990 .D.C.P., 242], plus particulièrement à la page 244.

La Cour Suprême, dans un arrêt récent de R. c. Wigman, a repris ces principes et a établi la nécessité d'un lien entre les infractions et en établit les conditions. Voici ce que le Tribunal des professions, dans l'affaire Ghobril, retient de cette approche :

Récemment, la Cour Suprême, commentant l'application de l'arrêt Kineapple, s'exprimait comme suit dans l'arrêt Wigman -vs- La Reine (1981) i R.C.S. 246-256 :

[...] un critère en deux parties doit être satisfait pour que le principe de l'arrêt Kineapple s'applique: il doit y avoir un lien factuel et juridique entre les diverses accusations.

Le principe de l'arrêt Kineapple empêche les déclarations de culpabilité multiples seulement si elles résultent de la même "cause", de la même "chose" ou du même "délit", et s'il y a un lien suffisamment étroit entre les infractions reprochées. Cette exigence d'un lien suffisamment étroit entre les infractions ne sera satisfaite que si l'infraction à l'égard de laquelle on tente d'éviter une déclaration de culpabilité en invoquant le principe de l'arrêt Kineapple ne comporte pas d'éléments supplémentaires et distinctifs.

Conclure autrement, ferait en sorte que pour les mêmes faits, l'appelant ferait face à de multiples condamnations.

(..)

Il est vrai de dire que le droit disciplinaire est un droit "sui generis"; mais le Comité de discipline et le Tribunal des professions peuvent s'inspirer du droit civil et du droit criminel.

Le droit disciplinaire comportant des déclarations de culpabilité et des sanctions, ceci justifie le Tribunal des professions de s'inspirer du droit criminel. Toute la jurisprudence du Tribunal des professions, à cet effet, est clairement établie. Il est normal maintenant que l'on attende un texte législatif nouveau et spécifique pour modifier cette façon de voir.

[Notre emphase et soulignement]

[Reproduction intégrale]

B.1.4 Validité d’un plaidoyer de culpabilité

[39]        Tout comme en droit criminel et pénal, le Conseil de discipline doit vérifier avant d’accepter un plaidoyer de culpabilité que celui-ci est fait de façon libre, volontaire et éclairée tel qu’énoncé dans Médecins c. Duquette[30] :

[16]       Or, écrit le Comité ([6]) :

[76] Bien que les tribunaux aient émis de nombreuses mises en garde à l'encontre de l'importation sans distinction en matière disciplinaire de concepts développés à l'occasion de procès criminels, le comité est d'avis que le principe sous-jacent à cette obligation de vérification de la validité du plaidoyer doit trouver application en matière disciplinaire. Non pas qu'un comité de discipline ait l'obligation, tel que le prévoit le Code criminel, de s'assurer par un examen précis que les conditions de validité sont effectivement rencontrées. Il est toutefois indéniable qu'il a le pouvoir, lorsqu'il constate que tel n'est pas le cas, de rejeter le plaidoyer de culpabilité pour ce motif, l'obligation de vérification édictée par le Code criminel laissant sous-entendre l'existence d'un remède lorsque le Juge constate que les conditions ne sont pas rencontrées. Encore faut-il que le comité ait l'occasion de constater la validité ou non du plaidoyer. (Mes soulignements)

[Notre emphase et soulignement]

[40]        Cet aspect a aussi été traité dans Pivin c. Inhalothérapeutes[31] le tribunal conclut que si le plaidoyer de culpabilité est équivoque ou conditionnel, il doit être refusé :

[12]       Le Tribunal a écrit dans l'affaire Tremblay c. Gingras au sujet du plaidoyer de culpabilité:

Un plaidoyer de culpabilité ne peut être équivoque ou conditionnel: si tel est le cas, il doit être refusé puisque toute renonciation à un droit (en l'espèce le droit à une audition sur la culpabilité) doit être éclairée et volontaire.17

Sans importer au droit disciplinaire toutes les règles du droit pénal, il n'en reste pas moins qu'un plaidoyer de culpabilité doit, dans les deux régimes, répondre à certaines conditions. Il en est ainsi du caractère volontaire et éclairé d'un tel plaidoyer.

La Cour d'appel du Québec déclare:

« Un plaidoyer de culpabilité, parce qu’il entraîne pour l’accusé des conséquences graves, doit revêtir certaines qualités. Il doit être libre, volontaire, clair et informé. »18  

17 P.G. Canada c. Korponay, 1982 CanLII 12 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 41

18 Bergeron c. R., [2000] J.Q. no 503, par. 21.

[41]        Cet aspect est important en droit disciplinaire, car le droit d’exercer une profession peut être en jeu, ce qui peut constituer ultimement une conséquence très grave pour le professionnel.

B.1.5 Le droit à une défense pleine et entière

[42]        Le législateur a choisi d’utiliser les mêmes termes à l’article 144 du Code des professions que ceux prévus en droit pénal et criminel. Que ce droit soit au surplus garanti par les Chartes pour un accusé au criminel, justifie d’y donner un contenu semblable lorsqu’applicable à un intimé dans un processus disciplinaire.

[43]        Plusieurs éléments font partie du droit à une défense pleine et entière : la divulgation de la preuve, la transmission de la liste des témoins et un résumé de leur témoignage, le droit au contre-interrogatoire, et le fardeau de preuve reposant sur les épaules du syndic en sont tous des exemples.

[44]        Dans la décision Laliberté c. Delorme[32], le Tribunal des professions a tenté de définir le contenu à une défense pleine et entière, et affirme que les exigences de la justice fondamentale applicables en droit disciplinaire englobent tout au moins les règles de justice naturelle et l’équité en matière de procédure tel qu’il appert des passages suivants :

1. - Le contenu:

Avoir exclu, en droit disciplinaire, le recours à la Charte canadienne pour fonder la défense pleine et entière, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas lieu de s’inspirer des notions développées dans des affaires dites «de charte» pour nous aider à trouver une solution.

“Ainsi, en droit administratif, les principes de justice fondamentale englobent les règles de justice naturelle ..."

Pearlman c. Société du Barreau du Manitoba, 1991 CanLII 26 (CSC), [1991] 2 R.C.S. 869, 883

Ceci étant dit, il faut encore apporter des précisions :

“La portée des principes de justice fondamentale varie selon le contexte et la nature des intérêts en jeu. Dans l’arrêt R. c. Lyons, 119871 1987 CanLII 25 (CSC), 2 R.C.S. 309, le juge La Forest affirme au nom de la majorité, à la p. 361:

Évidemment, les exigences de la justice fondamentale englobent tout au moins l’équité en matière de procédure (voir, par exemple, les observations dans ce sens faites par le juge Wilson dans l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, 1985 CanLII 65 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 177, aux pp. 212 et 213). Il est également clair que les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque. Ainsi, certaines garanties en matière de procédure pourraient être requises par la Constitution dans une situation donnée et ne pas l’être dans une autre.

De même, les règles de justice naturelle et le concept de l’équité procédurale, qui peuvent dans un contexte donné faire partie des principes de justice fondamentale, ne constituent pas des normes figées. “

Chiarelli c. Canada (M.E.I.), 1992 CanLII 87 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 711, 743

(…)

Le juge Sopinka cite avec faveur le juge McEachern de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique:

"... le ministère public a l’obligation générale de divulguer tout ce qu’il envisage d’utiliser au procès, et particulièrement tous les éléments de preuve qui peuvent aider l’accusé, même si le ministère public n‘envisage pas de les présenter."

Stinchcombe, loc. cit. p. 338

[Notre emphase, nos soulignements]

B.1.6    Autres règles importées du droit pénal

[45]        Dans Ptack c. Comité de l'Ordre des dentistes du Québec[33], le droit d’être jugé dans un délai raisonnable constitue un principe de justice naturelle applicable dans les procédures quasi judiciaires et administratives telles celles en droit disciplinaire :

[10]       Ne pouvant prendre appui sur l’article 11b) de la Charte canadienne et 32.1 de la Charte québécoise, l’appelant plaide néanmoins que ce long délai enfreint les principes de justice naturelle et que le comité de discipline a ainsi perdu sa compétence.

[11]       Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable constitue un principe de justice naturelle applicable dans les procédures quasi judiciaires et administratives [18]. Il s’agit, comme le mentionne le juge La Forest dans R. c. Rahey[19]: « de l’un de nos plus anciens droits garantis par la loi, quoique traditionnellement il s’agisse de cas qui sont protégés le moins adéquatement.

[Notre emphase, nos soulignements]

[Référence omise]

[46]        Dans la décision Lamarche[34], le Tribunal des professions rappelle qu’en droit disciplinaire, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable est issu des règles de justice naturelle et non des protections prévues aux Chartes :

[25]      Par ailleurs, même si, dans les circonstances, la protection constitutionnelle prévue dans les deux Chartes d'être jugé dans un délai raisonnable ne saurait s'appliquer, il est acquis que les règles de justice naturelle comprennent l'obligation pour un décideur de procéder à une audition dans un délai raisonnable.

(…)

[27]       Au surplus, dans l'affaire Kane c. Conseil d'administration de l'U.C.-B., l'honorable juge Dickson écrit ceci[26] :

Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d'une personne d'exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. Abbott v. Sullivan[8], à la p. 198; Russell v. Duke of Norfolk, précité, à la p. 119. Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

[Nos soulignements, références omises]

[47]        Ce principe a donné lieu en droit disciplinaire à des solutions telles l’allègement de la sanction[35] ou la non-publication de la décision lorsqu’il y a de la radiation temporaire[36] ou en dernier lieu, à l’arrêt des procédures dans les situations exceptionnelles[37] où il est démontré que les délais ont causé un préjudice important, grave, sérieux.

[48]        La présomption d’innocence est aussi un principe de base importé du droit criminel et intégré à l’article 134 du Code des professions, de même que la procédure en deux temps, soit sur culpabilité puis sur sanction intégrée à l’article 150 du Code des professions.

[49]        Le principe d’individualisation de la sanction est utilisé par la jurisprudence en droit disciplinaire[38] tout comme ce principe est appliqué en droit criminel. Les critères de dissuasion et d’exemplarité se doivent d’être analysés dans les deux situations.

[50]        Dans R. c. G. (G.)[39], la justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine (sanction) suivant lequel elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’intimé.

[51]        Afin que la sanction corresponde à l’infraction, le principe de proportionnalité commande l’examen de la situation particulière de l’intimé et des circonstances particulières de l’infraction. Cela fait partie de la primauté du droit sur lequel repose la démocratie de notre société :

[12]      Pour la Cour, si l’accusé ne se voit pas imposer une peine de pénitencier en raison de son âge avancé, ne devrait-il pas purger sa peine en milieu carcéral et cela particulièrement en raison des critères d’exemplarité et de dissuasion? Elle rappelle l'enseignement de la Cour suprême du Canada qui a statué à maintes reprises que la détermination de la peine est un processus individualisé, dans le cadre duquel le juge du procès dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer la peine appropriée. La justification de cette approche individualisée réside dans le principe de proportionnalité, principe fondamental de détermination de la peine suivant lequel la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Afin que la peine corresponde au crime, le principe de proportionnalité commande l’examen de la situation particulière du délinquant et des circonstances particulières de l’infraction. La conséquence de l’application d’une telle démarche individualisée est qu’il existera inévitablement des écarts entre les peines prononcées pour des crimes donnés [5].

[17]      En l'espèce comme généralement, aucune peine ne saurait compenser ni surtout éradiquer les séquelles des gestes reprochables, mais comme l'enseigne la Cour suprême du Canada, en contexte criminel, par contraste, le châtiment se traduit par les déterminations objectives, raisonnées et mesurées d'une peine appropriée reflétant adéquatement la culpabilité morale du délinquant compte tenu des risques pris intentionnellement par le contrevenant, du préjudice qu'il a causé en conséquence et du caractère normatif de sa conduite[7]. Pour la doctrine les tribunaux ont ainsi souvent affirmé que la vengeance est la manifestation d'un pouvoir répressif exercé sans objectivité et dominé par la passion. Il importe donc que la sévérité soit fondée sur un objectif plus rationnel: la dissuasion. Il faut que la démesure dans l'imposition d'une peine ne repose pas sur une réaction passionnelle, mais sur la nécessité raisonnée de punir le contrevenant et de sensibiliser les autres tentés de l'imiter [8].

[18]      Dans la détermination de la peine, il faut également considérer la mise en garde de l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada selon lequel tout serait plus simple s'il existait une présomption de culpabilité et non d'innocence, si la vengeance était le seul principe de la détermination de la peine, si nous renoncions à l'argumentation logique et si nous remplacions l'impartialité par les préjugés. Bref, les choses seraient plus simples si nous renoncions au fondement même de notre société qui repose sur la démocratie et la primauté du droit. Les choses seraient plus simples, mais catastrophiques. ... Notre tâche consiste à appliquer la loi avec impartialité, compétence, compassion et, avant tout, humilité. Nous sommes au service de la société, mais notre mandat tire sa source de l'attachement profond de la société à la primauté du droit. Partant, la Cour emprunte en l'espèce l'avenue proposée par le rapport présentenciel.

[Notre emphase]

[Références omises]

B.2 L’équité procédurale et les règles de justice fondamentale et naturelle

[52]        Dans Laliberté c. Delorme [40], le Tribunal des professions se penche sur l’équité procédurale et retient que le concept de l’équité est ancré dans les principes qui sont à la base de notre système de droit. La mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu’à quel point ces principes directeurs doivent s’appliquer dans le domaine de la prise de décisions.

[53]        La justice naturelle, c’est l’équité exprimée en termes larges et juridiques qui se compare à « la mise en pratique du franc-jeu ». L’approche contextuelle permet, comme il l’a été fait pour de nombreux autres principes de droit criminel, de s’inspirer de ce droit pour définir son étendue en droit disciplinaire :

En droit administratif: l’équité procédurale.

Qu’est-ce que l’équité procédurale? De ce que déjà cité, il ressort que le concept de la défense pleine et entière est fondé sur l’équité procédurale.

"La nature de l’obligation d’agir équitablement.

Tout comme les principes de justice naturelle, la notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Dans l’arrêt Nicholson, précité, le juge en chef Laskin adopte, aux pp. 326 et 327, le passage suivant tiré de l’arrêt du Conseil privé Furnell c. Whangarei High Schools Board, [1973] A.C. 660, un pourvoi néo-zélandais où lord Morris of Borth-y-Gest écrit au nom de la majorité, à la p. 679:

[Traduction] La justice naturelle, c’est l’équité exprimée en termes larges et juridiques. On l’a décrite comme «la mise en pratique du franc-jeu.» C’est un catalyseur dont l’action n’est pas uniquement associée au processus judiciaire ou quasi judiciaire. Mais, comme l’a fait remarquer le lord juge Tucker dans Russell v. Duke of Norfolk [1949] 1 All E.R. 109, à la p. 118, les exigences de la justice naturelle sont tributaires des circonstances de chaque affaire particulière et de la question traitée.

Notre Cour a souligné une fois de plus très récemment dans l’arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), précité, où le juge Sopinka écrit au nom de la majorité, aux pp. 895 et 896:

Aussi bien les règles de justice naturelle que l’obligation d’agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s’estompe donc lorsqu’on approche du bas de l’échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l’échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C’est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question.

La méthode à adopter par un tribunal qui doit décider si l’on s’est acquitté de l’obligation d’agir équitablement confine donc à l’empirisme. Pépin et Ouellette, Principes de contentieux administratif, à la p. 249, citent ces propos pittoresques d’un juge anglais: [Traduction] «à l’occasion [...] les avocats et les juges ont tenté de définir ce qu’est l’équité. Tout comme définir un éléphant, ce n’est pas chose facile à faire, quoique, dans la pratique, l’équité, au même titre qu’un éléphant, soit facile à reconnaître» (Maxwell v. Department of Trade and Industry, [1974] Q.B. 523, à la page 539). Inhérente à cette flexibilité se trouve, évidemment, la difficulté que présentent des conceptions différentes de l’équité parmi ceux qui sont appelés à décider si l’obligation d’agir équitablement a été remplie. Il faut en conséquence atténuer les assertions que l’équité est une notion purement subjective. Comme les principes de justice fondamentale évoqués à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, le concept de l’équité est ancré dans les principes qui sont à la base de notre système de droit (R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 387, aux pp. 402 et 403, le juge La Forest au nom de la Cour), et la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire est de nature à indiquer jusqu’à quel point ces principes directeurs devraient s’appliquer dans le domaine de la prise de décisions administratives."

Knight c. Indian Head School Division No.19, 1990 CanLII 138 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 653, 682

(…)

Interprétation contextuelle:

Ce faisant, il y a lieu à procéder à une interprétation contextuelle du concept, analyse dont les conclusions ressortiront mieux en procédant, en même temps par méthode comparative avec le Code criminel.

“Il est particulièrement approprié ... d’utiliser la méthode contextuelle afin de tenir compte de la nature réglementaire de l’infraction et de sa présence dans un régime plus global de dispositions législatives visant à assurer le bien-être public. Cette méthode exige qu’on examine les droits revendiqués ... en tenant compte du cadre réglementaire dans lequel se situe la demande, tout en reconnaissant qu’un droit garanti ... peut avoir dans un cadre réglementaire une portée et une incidence différentes de celles qu’ils auraient dans un contexte criminel proprement dit.”

R. c. Wholesale Travel Group Inc., 1991 CanLII 39 (CSC), [1991] 3 R.C.S. 154, 226[41]

[Nos soulignements et emphases]

[54]        Le droit disciplinaire est très près du processus judiciaire et s’apparente de très près au droit criminel et pénal de sorte que les règles de justice naturelle, de même que l’obligation d’agir équitablement, s’appliquent aux Conseils de discipline.

B.2.1 Le droit de bénéficier de la peine la moins sévère au moment de l’infraction est un principe de justice fondamentale ou naturelle applicable à un intimé en droit disciplinaire

[55]        Dans Lapointe c. Médecins[42], un psychiatre fait l’objet d’une plainte lui reprochant d’avoir eu des relations sexuelles avec une patiente pendant environ deux ans. Il plaide coupable, ce qui entraîne sa radiation de l’Ordre pour une période de sept ans, ainsi qu’une amende de 3 000 $, en plus du paiement des débours.

[56]        Une modification de la peine liée à l’infraction est survenue entre la perpétration de l’infraction et le prononcé de la sanction. La sévérité de la peine a été augmentée.

[57]        Le Tribunal reconnait alors que les principes de justice naturelle donnent ouverture à l’imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère ainsi :

Ceci étant, le Tribunal reconnaît la validité de l’argument voulant que les principes de justice naturelle donnent ouverture à l’imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère.[43]

[58]        Dans Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boulanger[44], un avocat commet des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité du Barreau et est passible d’une amende prévue au Code des professions. Le Comité de discipline du Barreau du Québec est d’opinion qu’en matière disciplinaire, les principes de justice naturelle donnent ouverture à l’imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère :

Bien que l’amende minimale prévue au Code des professions ait été portée, entre le moment de la décision sur la culpabilité et le moment de la sanction, à 1 000 $ plutôt que 600 $, l’intimé doit bénéficier de l’amende la moins élevée, tel que l’a déjà décidé le Tribunal des professions dans la décision Lapointe c. Médecins :

« Même en matière disciplinaire, les principes de justice naturels (sic) donnent ouverture à l’imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère. »

[59]        Dans R. c. Bergeron[45], la Cour d’appel explique l’origine de la protection constitutionnelle du droit de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. Il s’agissait auparavant de principes d’interprétation qui étaient appliqués dans les situations visées :

[29]      Ainsi, dans notre cas, la durée de l’ordonnance d’interdiction relative aux armes a été augmentée entre le moment de la commission de l’infraction et celui du prononcé de la peine.

[30]      L’article 11i) de la Charte canadienne des droits et libertés[8] consacre le droit d’un inculpé de bénéficier de la peine la moins sévère :

Tout inculpé a le droit :

[…]

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence ;

[31]      Comme le mentionnent les auteurs François Chevrette et Hugo Cyr :

L’alinéa 11i) de la Charte eut donc pour conséquence de hausser au rang de règles constitutionnelles deux principes qui étaient traditionnellement de simples principes d’interprétation, à savoir le principe du bénéfice de la loi nouvelle en matière de peine et le principe de la non-rétroactivité de la peine aggravée[9];

[Nos emphases et notre soulignement]

[Références omises]

[60]        Dans Roche des brises inc. c. Laporte[46], le Tribunal conclut qu’il doit appliquer les dispositions du Code de procédure civile en vigueur au moment de sa décision, car les sanctions qui s’y trouvent s’avèrent moins sévères que celles applicables au moment de l’outrage :

3.1  Lequel du nouveau ou de l’ancien Code de procédure civile s’applique-t-il?

[14]       Comme l’infraction commise par Laporte l’a été avant le 1er janvier 2016, il faut déterminer lequel du Code de procédure civile en vigueur au moment de l’infraction ou de celui en vigueur au moment du présent jugement s’applique à la sanction à lui être imposée. Avec respect pour l’opinion contraire [6], le Tribunal conclut qu’il s’agit des dispositions du Code de procédure civile en vigueur actuellement parce que les sanctions qui s’y trouvent s’avèrent moins sévères.

3.1.1     Règles de droit transitoires

[15]       L’article 833 C.p.c. prévoit que le nouveau Code est d’application immédiate, dès son entrée en vigueur, mais établit une liste des exceptions à l’applicabilité immédiate du Code. Il n’est pas question des dispositions en matière d’outrage dans ces exceptions.

[16]       Aussi, il existe une présomption que les lois de pure procédure s’appliquent immédiatement aux instances en cours [7]. Une nouvelle loi procédurale n’étant pas censée toucher au fond même des droits des justiciables, elle ne s’avère donc pas susceptible de leur causer un préjudice [8].

[17]       Cependant, les règles qui touchent à l’outrage ne constituent pas de simples règles de procédure qui ne causent pas de préjudice au défendeur. En effet, dans l’arrêt Videotron, la Cour suprême précise que l’outrage au tribunal s’éloigne quelque peu du droit privé pour se rapprocher du droit public, ce qui lui confère une place d’exception au sein d’un code essentiellement de droit privé comme le Code de procédure civile. L’outrage, ajoute-t-elle, occupe en droit civil une place hautement spécifique, voire même exceptionnelle [9].

[18]       De plus, la Cour suprême y affirme que les dispositions portant sur l’outrage au tribunal constituent un régime spécial de nature quasi pénale étant donné ses conséquences possibles [10]. Selon le juge en chef Lamer, le fait que le législateur québécois ait choisi de traiter de l’outrage dans le Code de procédure civile ne change en rien le fait que le défendeur soit considéré comme un inculpé au sens de l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés[11].

[19]       Or l’article 11 i) prévoit ce qui suit :

Tout inculpé a le droit :

[…]

i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence.

[20]       De même, l’article 37.2 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit qu’un accusé a droit à la peine la moins sévère lorsque la peine prévue pour l’infraction a été modifiée entre la perpétration de l’infraction et le prononcé de la sentence.

[21]       Inversement, si la peine prévue au moment de l’infraction s’avère moins sévère que celle en vigueur au moment de la sentence, le tribunal doit appliquer la première [12].

[22]       En conséquence, il faut déterminer laquelle des peines, sous l’ancien Code ou le nouveau, constitue la peine la moins sévère et l’appliquer à l’espèce.

(…)

[29]       En conclusion, les sanctions prévues sous le nouveau Code s’avèrent moins sévères, en matière d’injonction du moins, que sous l’ancien. Il convient donc de les appliquer en l’espèce.

[39]       Comme l’indique la Cour d’appel dans l’arrêt Trudel, les objectifs de la détermination d’une sanction en matière d’outrage au tribunal s'inspirent du droit criminel. La sanction doit plus particulièrement dissuader le défendeur de récidiver et susciter chez lui une prise de conscience de ses responsabilités, tout en étant juste et proportionnelle à l'outrage.[20]

[Nos emphases et nos soulignements

[Références omises]

[61]        Le Tribunal des professions dans Lapointe c. Legros[47], reconnaît la validité de l'argument voulant que les principes de justice naturelle donnent ouverture à l'imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère:

Au soutien de ses prétentions, l'appelant invoque d'abord la règle d'équité procédurale codifiée par l'article 37.2 de la Charte des droits et libertés de la personne et l'alinéa 11(i) de la Charte canadienne des droits et libertés. Il prétend, en mettant le principe de la justice naturelle comme toile de fond, que lorsque la peine prévue pour l'infraction a été modifiée entre la perpétration de l'infraction et le prononcé de la sanction, le justiciable a droit à la peine la moins sévère.

(…)

Selon ces décisions, les mots "inculpé" et "accusé" que l'on retrouve dans les articles invoqués, ne s'appliquent pas en droit disciplinaire ou le professionnel n'est pas un accusé.

Ceci étant, le Tribunal reconnaît la validité de l'argument voulant que les principes de justice naturelle donnent ouverture à l'imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère.

(…)

Il appartient au législateur d'abroger et de remplacer au besoin des textes de loi et surtout d'en créer; l'interprétation de ces textes est dévolue aux instances compétentes qui en sont saisies.

[Notre soulignement]

[62]        Cette application de ce principe de justice naturelle a aussi été appliquée dans Guimont c. Boulanger[48] :

Bien que l’amende minimale prévue au Code des professions ait été portée, entre le moment de la décision sur la culpabilité et le moment de la sanction, à 1 000 $ plutôt que 600 $[9], l’intimé doit bénéficier de l’amende la moins élevée, tel que l’a déjà décidé le Tribunal des professions dans la décision Lapointe c. Médecins[10]

« Même en matière disciplinaire, les principes de justice naturels donnent ouverture à l’imposition de la peine moins sévère prévue dans une loi, par la suite modifiée par une disposition prévoyant une peine plus sévère. »

[Notre soulignement]

[Références omises]

[63]        Il en fut de même dans Seyer c. Saucier[49].

[64]         Le Conseil est d’avis que ces principes d’interprétation et de justice naturelle sont applicables en droit disciplinaire, à moins que le législateur ne prévoie une règle expresse au contraire.

[65]        On peut donc inférer de ces décisions qu’en vertu de ce principe de justice naturelle, l’intimée doit bénéficier de l’amende la moins élevée.

[66]        Nous n’avons pas retracé de décisions à l’effet contraire.

C)    Le principe de non rétroactivité des lois

C.1 Les vastes pouvoirs du législateur

[67]        Tout comme le souligne l’honorable juge Marie-Michèle Lavigne dans Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu)[50], il est nécessaire de rappeler un des principes en droit constitutionnel qui veut que le législateur peut tout faire, incluant adopter des lois à portée rétroactive ou rétrospective :

[19]       D'entrée de jeu, un principe fondamental du droit constitutionnel doit être énoncé: «la souveraineté législative postule que les organes qui exercent la fonction législative peuvent tout faire» [14]. Ainsi, mis à part les limites constitutionnelles, le législateur québécois peut tout faire, incluant déplacer fictivement les effets d'une loi à une date antérieure à sa naissance.

[Référence omise]

[68]        Les tribunaux, lorsque le législateur adopte une loi, ne peuvent refuser de l’appliquer aussi inéquitable puisse-t-elle être.

[69]        Le Conseil reconnait et accepte les principes élaborés dans l’affaire Bilodeau[51] à l’effet que le législateur peut promulguer des lois rétroactives et qu’il est en son pouvoir de renverser l’effet d’un jugement de façon législative ou l’état du droit et ce, même au détriment de causes pendantes[52].

[70]        La Cour explique la base de l’étendue des pouvoirs du législateur comme suit :

[48]      Ainsi, sous réserve du respect de la Constitution, le législateur peut définir le droit comme bon lui semble, la primauté du droit ne visant pas directement les termes de la loi[24].

[49]      Il n’appartient pas davantage aux tribunaux de se substituer au législateur et à son jugement politique [25] :

[50]       Le rôle principal des tribunaux est d’interpréter et d’appliquer le droit, qu’il soit procédural ou substantif, aux affaires qui leur sont soumises.  Ils doivent entendre et apprécier, conformément à la loi, la preuve pertinente aux questions de droit qui leur sont posées et accorder aux parties les réparations qui s’offrent à eux.

[52]       Il s’ensuit que le rôle des tribunaux n’est pas, comme les appelants semblent le prétendre, d’appliquer seulement le droit qu’ils approuvent.  Il ne s’agit pas non plus pour eux de rendre des décisions simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou pertinent.  Leur rôle ne consiste pas davantage à remettre en question la réforme du droit entreprise par le législateur, bien qu’elle introduise une nouvelle cause d’action ou des règles de procédure la régissant. (…)

[…]

[66]       D’autre part, les arguments des appelants ne tiennent pas compte du fait que plusieurs principes constitutionnels autres que la primauté du droit reconnu par notre Cour plus particulièrement, la démocratie et le constitutionnalisme militent très fortement en faveur de la confirmation de la validité des lois qui respectent les termes exprès de la Constitution (et les exigences, telles que l’indépendance judiciaire, qui découlent de ces termes par déduction nécessaire).  Autrement dit, les arguments soulevés par les appelants ne reconnaissent pas que, dans une démocratie constitutionnelle telle que la nôtre, la protection contre une loi que certains pourraient considérer injuste ou inéquitable ne réside pas dans les principes amorphes qui sous-tendent notre Constitution, mais dans son texte et dans l’urne électorale.[53]

[Nos emphases]

[Références omises]

[71]        Par ailleurs, le législateur a le devoir de s’exprimer clairement de façon expresse ou implicite[54] lorsqu’il veut donner un effet rétroactif affectant des droits substantiels :

[24]      Ainsi, le principe de la non rétroactivité de la loi nouvelle, comme celui de la non interférence avec les droits acquis, cédera le pas devant le langage clair et non équivoque de la loi. En présence de deux interprétations possibles, le Tribunal choisira celle qui ne donne pas d'effet rétroactif à la loi [18].

[Notre soulignement, nos emphases]

[Référence omise]

[72]        Au Québec, il existe la Loi sur l’interprétation[55] qui prévoit :

50. Nulle disposition légale n’est déclaratoire ou n’a d’effet rétroactif pour la raison seule qu’elle est énoncée au présent du verbe.

[73]        Dans la décision R. c. Dulude[56], on réfère à l’arrêt Spooner Oils Ltd c. Turner Valley Gas Conservation[57] la Cour suprême du Canada rappelle le principe de non rétroactivité des lois de façon à ne pas porter atteinte aux droits acquis ou à une situation constituée et que le Parlement, quand il entend porter atteinte à de tels droits ou à une telle situation, manifeste son intention en termes expresses, à moins que, de toute façon, cette intention ne soit manifestée clairement par la voie d’une implication inévitable :

Il ne faut pas interpréter une disposition législative de façon à porter atteinte aux droits acquis ou à une «situation constituée » (Main c. Stark, (1890) 15 A.C. 384, à la page 388), à moins que sa formulation ne requière une telle interprétation.  Coke appelle cette règle une «loi du Parlement» (2 Inst. 292), sans doute pour indiquer que c’est une règle fondée sur la pratique du Parlement, elle présuppose que le Parlement, quand il entend porter atteinte à de tels droits ou à une telle situation, manifeste son intention en termes exprès, à moins que, de toute façon, cette intention ne soit manifestée clairement par la voie d’une implication inévitable.[9]

[Nos emphases, notre soulignement]

[Référence omise]

[74]        Le Conseil conclut que les faits reprochés dans le présent dossier sont une « situation constituée », soit la commission de l’infraction, qui emporte l’application de la présomption de non rétroactivité car le législateur ne s’est pas exprimé de façon expresse ni clairement par la voie d’une implication inévitable.

 

C.2 Le principe

[75]        La doctrine retient le principe de la non-rétroactivité des lois comme un principe fondamental suivant lequel les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation, tel qu’illustré par l’extrait suivant du recueil Interprétation des lois de Me Pierre-André Côté[58] :

474. Le principe général de la non-rétroactivité ne reçoit pas, en droit canadien, de consécration dans un texte législatif de portée générale. Principe fondamental issu du « jus commune » européen, il eut sans doute été superflu de le consacrer dans un texte. La loi rétroactive doit en effet rester exceptionnelle. Le besoin de sécurité dans la vie juridique s'oppose à ce que des actes accomplis sous l'empire d'une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n'existaient pas jusqu'alors.

[…]

475. Si la loi est muette sur le principe général de non-rétroactivité, ses affirmations jurisprudentielles sont, elles, fort nombreuses, sinon toujours heureusement formulées, comme on le verra. Le dictum du juge Wright dans l'arrêt Re Athlumney est souvent cité à ce sujet :

« [Traduction] Il se peut qu'aucune règle d'interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci : un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte. Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l'interpréter comme devant prendre effet pour l'avenir seulement. »

476. Le principe a été affirmé souvent par la Cour suprême :

« Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.

[Nos soulignements et emphases]

[76]        La jurisprudence constante est au même effet. La Cour d’appel dans Charland c. Lessard[59], rappelle à nouveau le principe bien établi à l’effet qu’une loi ne produit pas d’effet rétroactif à moins que le législateur ne le décrète de façon expresse et non équivoque.

[77]        Les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours puisque les droits des parties s’évaluent au jour où la cause d'action a pris naissance : le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite[60]. Cela se traduit en droit disciplinaire comme le jour de la commission de l’infraction disciplinaire.

[78]        Dans cette affaire, la demanderesse ne put donc bénéficier du nouveau recours en oppression introduit dans la nouvelle Loi sur les sociétés par actions :

[63]       Il est bien établi qu’une loi ne produit pas d’effet rétroactif à moins que le législateur ne le décrète de façon expresse et non équivoque [18]. La loi rétroactive demeure en effet exceptionnelle. Dans l’arrêt Gustavson Drilling, la Cour suprême décrit le principe de la non-rétroactivité de la loi en ces termes [19] :

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation.

[64]       Par ailleurs, il faut se garder de confondre les notions de « rétroactivité » et d’« application immédiate ». Une loi qui se veut d’application immédiate n’est pas, de ce seul fait, une loi rétroactive. Voici comment l’auteur Pierre-André Côté distingue ces deux notions [20] :

En principe, les lois nouvelles touchant le fond ne s'appliquent pas aux instances en cours, y compris celles qui sont en appel. Le processus judiciaire étant généralement déclaratif de droit, le juge déclare les droits des parties tels qu'ils existaient le jour où la cause d'action a pris naissance : le jour du délit, le jour de la formation du contrat, le jour de la perpétration de l'acte criminel, et ainsi de suite. Par contre, une loi de fond nouvelle est applicable à une instance en cours lorsqu’elle modifie de façon rétroactive le droit qui existait le jour du délit, du contrat, de l’acte criminel, et ainsi de suite. Une instance en cours pourra donc être régie par une loi nouvelle rétroactive, ceci valant même pour la loi rétroactive adoptée pendant que l’instance est pendante en appel.

[Notre emphase]

[Références omises]

[79]        Dans la cause Rouleau c. Mercier (Ville de)[61], le Tribunal partage l’avis et le raisonnement juridique de sa collègue, l’Honorable Annie Breault de la Cour du Québec, exprimé dans son jugement du 13 avril 2015 dans l’affaire Sarrasin c. Roy et al[62], à l’effet que lorsque le législateur est silencieux quant à sa volonté en matière d’effet temporel, il faut appliquer les présomptions développées par la common law et éviter d’interpréter la loi nouvelle de façon à créer un effet rétroactif ou encore porter atteinte à des droits acquis. Ainsi, l’amendement à un article du Code de procédure civile est jugé non applicable aux instances en cours:

[13]      Concernant le principe de la non-rétroactivité des lois, la Juge Breault s’exprime ainsi :

« [16]  Il appartient au législateur de préciser l’effet dans le temps d’une loi, et ce, lors de son adoption.   Lorsque le législateur est silencieux quant à sa volonté en matière d’effet temporel, il faut appliquer les présomptions développées par la common law et éviter d’interpréter la Loi nouvelle de façon à créer un effet rétroactif ou encore porter atteinte à des droits acquis.

[….]

[18]  D’ailleurs, dans l’arrêt Droit de la famille - 132210, la Cour d’appel reproche l’utilisation des dispositions transitoires contenues à la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, et de l’interprétation qui en a été faite, pour interpréter un amendement subséquent au Code civil du Québec[2].

[39]  Au Québec, comme ailleurs au pays, les principes d’interprétation quant à l’effet temporel des lois relèvent de la common law, lorsque l’Assemblée nationale ne précise pas sa volonté en matière de rétroactivité ou autre méthode d’application de la loi nouvelle.  En effet, la Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57 ne peut être utilisée pour interpréter les amendements au Code civil du Québec subséquents à son entrée en vigueur :  (…).  Par ailleurs, « Le système d’application immédiate des lois élaboré par Roubier ne fait […] pas […] office de droit commun transitoire au Québec. » (…).

[40]  La common law reconnaît deux présomptions en matière  de droit transitoire : une loi ne doit pas être interprétée de manière à avoir un effet rétroactif ni à porter atteinte aux droits acquis.  Même si elles ont déjà été confondues, ces deux présomptions sont distinctes (…).  Évidemment, le principe cardinal demeure l’intention du législateur, mais en cas de silence, comme en l’espèce, ces deux règles trouvent application.

[….]

[23]  Dans l’arrêt Thibault c. Da Costa, la Cour d’appel rappelle que la non-rétroactivité des lois est un principe développé par la jurisprudence en réponse à un besoin de sécurité de la vie juridique [3]De même, dans l’arrêt Charland c. Lessard, la Cour d’appel rappelle le principe qu’une loi ne produit d’effet rétroactif que si le législateur le décrète clairement.[4]

[….]

[45]  En conséquence, les présomptions de non-rétroactivité de la loi nouvelle et de respect des droits acquis, en l’absence d’une disposition claire du législateur et en l’absence d’une exception d’application immédiate, empêchent l’application du nouvel article 953 C.p.c. aux instances en cours. »

[Notre soulignement et nos emphases]

[80]        La décision dans Gestion Jean & Guy Hurteau inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu) (Agence du revenu du Québec)[63], est un exemple où la Cour accepte que la loi puisse avoir un effet rétroactif lorsqu’elle contient une disposition lui donnant effet à un jour antérieur à son entrée en vigueur :

[96]      Ainsi, une loi a un effet rétroactif lorsqu’elle contient une disposition qui lui donne effet à compter d’un jour antérieur à sa sanction [72], ce qui est le cas ici

[97]      Pierre-André Côté propose une méthode pour analyser l’effet rétroactif d’une loi :

« […] il y a effet rétroactif lorsqu’une loi nouvelle s’applique de façon à prescrire le régime juridique de faits entièrement accomplis avant son entrée en vigueur.  Pour déterminer si l’application d’une loi nouvelle conduit à lui donner un effet rétroactif, il est commode de procéder à une analyse en trois étapes : identification des faits juridiques, localisation temporelle de ces faits et qualification.[73] […] »

[Notre emphase, références omises]

[81]        Dans Bazile c. Fonds d'indemnisation en assurance de personnes[64], la Cour réitère aussi la règle générale selon laquelle les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive, à moins que le texte de la loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation. Il existe même un principe à l’effet qu’une loi est, à première vue, d’application prospective : 

29  Notons en premier lieu, les dispositions de la Loi d'interprétation (L.R.Q. ch. 1-16):

50. Nulle disposition légale n'est déclaratoire ou n'a d'effet rétroactif pour la raison seule qu'elle est énoncée au présent du verbe.

30  Ensuite, l'Honorable Louis-Philippe Pigeon, rappelant le pouvoir de la Législature à décréter des lois ayant un effet rétroactif, y compris des lois déclaratoires, écrivait dans une décision de la Cour Suprême du Canada:

Cependant, cela ne se présume pas.2

31  L'année précédente, l'Honorable Brian Dickson, plus tard Juge en chef du Canada, avait écrit:

Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation.3

32  Encore plus tôt, dans une décision de 1939, l'Honorable Juge Davis de la Cour Suprême du Canada, écrivait:

The principle is too well established to require authority that a statute is “prima facie” prospective unless it contains express words or there is the plainest implication to the contrary effect.4

[Nos emphases et soulignements, références omises]

[82]        Droit de la famille — 093312[65], réfère à des autorités soutenant qu’une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu'elle était ou rend la loi différente de ce qu'elle serait autrement à l'égard d'un événement antérieur. De même, il y va de l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède.

[83]        À l’inverse, celles qui désavantagent les individus sont présumées ne pas être rétroactives :

[28]      La Cour suprême du Canada traitant des principes de rétroactivité, d'application immédiate et de rétrospectivité des lois nouvelles écrit:

«46. […] Si les effets juridiques sont en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le principe de la rétrospectivité s'applique.  Selon le principe, la loi nouvelle régit les conséquences futures de faits accomplis avant son entrée en vigueur, sans toutefois modifier les effets qui se sont produits avant cette date.  (…)  Dans le cas où elle vient modifier ces effets antérieurs, la loi nouvelle a un effet rétroactif (…).  Le professeur Driedger a bien mis en évidence cette distinction entre les effets rétroactif et rétrospectif:

[TRADUCTION] Une loi rétroactive est une loi qui s'applique à une époque antérieure à son adoption.  Une loi rétrospective ne dispose qu'à l'égard de l'avenir.  Elle vise l'avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l'égard d'événements passés.  Une loi rétroactive agit à l'égard du passé.  Une loi rétrospective agit pour l'avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu'elle attache de nouvelles conséquences à l'avenir à l'égard d'un événement qui a eu lieu avant l'adoption de la loi.  Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu'elle était; une loi rétroactive rend la loi différente de ce qu'elle serait autrement à l'égard d'un événement antérieur.»[6]

[29]      Traitant des mêmes principes, la Cour d'appel du Québec écrit:

«48. Finalement, il faut souligner l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède. Loin d'apporter le chaos, ces lois stabilisent plutôt les situations juridiques.

49. Une analogie peut à ce sujet être faite avec les principes applicables en matière de rétroactivité. La Cour suprême limite la présomption de non-rétroactivité des lois aux seules règles qui désavantagent les individus (Brosseau, précité) :

Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage.

Ainsi, il n'y a pas de fardeau à renverser avant de reconnaître la rétroactivité d'une loi qui apporte un bénéfice.

50. Dans le cas de lois réparatrices, une interprétation large et favorable doit être adoptée. Le caractère réparateur de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, a poussé la Cour d'appel à lui donner l'effet le plus vaste possible (Martin c. Cie d'assurance du Canada sur la vie, 1987 CanLII 371 (QC CA), [1987] R.J.Q. 514 (C.A.)) :

Les principes d'interprétation exigent qu'une loi remédiatrice de cette nature ne soit pas stérilisée par une application stricte de ses dispositions. Même si le législateur a omis de lui donner un effet rétroactif par une disposition affirmative, il faut à mon sens rechercher son effet prospectif et se demander si par implication nécessaire elle ne doit pas affecter tous les contrats de travail de ceux qui ne tombent pas sous la couverture d'une convention collective ou d'une loi particulière, sans égard au fait que tel contrat de travail soit ou non postérieur à l'adoption de la Loi.

[Nos soulignements]

C.3 Raison d’être du principe

[84]        Il y a deux raisons à l’existence de cette présomption bien établie. La première est le besoin de sécurité dans la vie juridique qui s’oppose à ce que des actes accomplis sous l’empire d’une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n’existaient pas jusqu'alors.

[85]         La deuxième est que la rétroactivité se concilie difficilement avec le principe de la primauté du droit et son application peut être une source d'injustice, « faisant ainsi montre de duplicité et d’un manque de droiture qui à la limite peut effectivement miner l'efficacité même du droit comme instrument de direction des conduites humaines. »[66]

[86]        Dans Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée c. Laval (Ville)[67], le tribunal rappelle le principe puis la règle à l’effet que la rétroactivité ne doit pas créer une injustice :

La présomption de non-rétroactivité des lois

[22]      Mentionnons en premier lieu la présomption de non-rétroactivité des lois. Ce principe était clairement exprimé par le juge Wright dans l’arrêt Re Athlumney[6] :

« [Traduction] Il se peut qu’aucune règle d’interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci : un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte.  Si la rédaction du texte peut donner lieu à plusieurs interprétations, on doit l’interpréter comme devant prendre effet pour l’avenir seulement»

[23]      L’auteur Pierre-André Côté, dans son ouvrage intitulé Interprétation des lois, souligne qu’une loi rétroactive doit demeurer exceptionnelle puisque « le besoin de sécurité dans la vie juridique s’oppose à ce que des actes accomplis sous l’empire d’une loi soient, après coup, appréciés par rapport à des règles qui n’existaient pas jusqu'alors »[7].

[30]      Ainsi, entre deux interprétations dont l’une mène à une injustice ou une absurdité, il y a lieu de retenir celle qui ne conduit pas à un tel résultat.

[31]      Dans l’arrêt Vandekerckhove[9], la Cour suprême, sous la plume du juge Cartwright, s’exprimait ainsi à ce sujet :

« There is ample authority for the proposition that when the language used by the legislature admits of two constructions one of which would lead to obvious injustice or absurdity the courts act on the view that such a result could not have been intended »

[Notre emphase et nos soulignés]

[87]        La présomption de non rétroactivité des lois s’explique donc par ses effets indésirables et ses atteintes à la primauté de la règle de droit[68] :

[30]       L'incongruité que crée cette situation trouve écho dans les propos tenus par le professeur Côté, relativement aux lois rétroactives:

«La loi rétroactive présente effectivement certains caractères anti juridiques; elle se concilie difficilement avec le principe de la primauté du droit et son application peut être une source d'injustice. La loi rétroactive a pour effet qu'une même conduite se trouve successivement régie par deux règles: celle en vigueur au moment où elle a été tenue et celle édictée par la loi rétroactive. Le droit fait ainsi montre de duplicité. Il affiche un manque de droiture. Un recours trop répandu à ce procédé peut effectivement miner l'efficacité même du droit comme instrument de direction des conduites humaines. En remettant en cause le passé, la loi rétroactive est facteur d'insécurité pour l'individu.[19]»

[Nos soulignements]

[88]        Tout récemment, le 19 octobre 2017, la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Tran[69] vient rappeler l’importance de la primauté du droit pour écarter une application rétrospective d’un changement législatif à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui, si appliqué à la date de la décision quant à l’interdiction de territoire, aurait permis d’appliquer une telle ordonnance à un résident permanent.

[89]        La Cour Suprême a donc décidé que c’est le droit applicable lors de la commission de l’infraction qui doit être retenu et que la primauté du droit « exige qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique » :

[42]      Le ministre invoque Medovarski (par. 47), plus précisément la proposition selon laquelle les résidents permanents doivent s’attendre à ce que « la loi change à l’occasion ». Il soutient que l’interdiction de territoire aux termes de l’al. 36(1)a) doit être évaluée à l’aune des positions du législateur concernant la gravité de l’infraction au moment de la décision concernant l’interdiction de territoire. Je ne suis pas d’accord. Bien que le législateur puisse changer de position au sujet de la gravité d’un crime, il ne peut changer les obligations mutuelles entre les résidents permanents et la société canadienne sans le faire clairement et sans équivoque. Il ne l’a pas fait. Il faut plutôt interpréter l’alinéa 36(1)a) d’une manière qui respecte ces obligations mutuelles. Le droit de demeurer au Canada est conditionnel, mais il dépend du respect des obligations qui peuvent être connues. Par conséquent, la date pertinente pour évaluer la grande criminalité dont il est question à l’al. 36(1)a) est la date de la commission de l’infraction, et non la date de la décision quant à l’interdiction de territoire.

[43]      La présomption du caractère non rétrospectif confirme la justesse de cette conclusion. Bien que je partage l’opinion de la Cour d’appel selon laquelle l’al. 11i) de la Charte ne s’applique pas à la décision du délégué du ministre, parce que la procédure n’est ni criminelle ni pénale, la présomption du caractère non rétrospectif est une règle d’interprétation législative applicable dans la présente affaire. Cette présomption vise à protéger les droits acquis et à éviter une modification de la loi qui découle d’un regard [traduction] « orienté[e] vers le passé et [qui] joi[gne] de nouvelles conséquences préjudiciables à une transaction complétée » : Driedger (1983), p. 186. Selon cette présomption, « les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation » : Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, 1975 CanLII 4 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 271, p. 279; voir aussi Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 473, par. 71.

[44]      La présomption du caractère non rétrospectif fait intervenir la primauté du droit. Comme Lord Diplock l’a expliqué, la primauté du droit [traduction] « exige qu’un citoyen, avant d’adopter une ligne de conduite, puisse connaître à l’avance les conséquences qui en découleront sur le plan juridique » : Black-Clawson International Ltd. c. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg A.G., [1975] A.C. 591 (H.L.), p. 638. Comme la Cour l’a expliqué dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 70, la primauté du droit « assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée où mener leurs activités ».

[45]      La présomption du caractère non rétrospectif est également un signe d’équité : R. c. K.R.J., 2016 CSC 31 (CanLII), [2016] 1 R.C.S. 906, par. 25. Par exemple, les juges qui déterminent une peine doivent tenir compte des conséquences en matière d’immigration : R. c. Pham, 2013 CSC 15 (CanLII), [2013] 1 R.C.S. 739. Adopter une nouvelle conséquence indirecte après le prononcé de la peine, conséquence qui aurait été pertinente avant le prononcé, soulèverait des questions d’équité. Comme M. Tran le fait remarquer, un résident permanent déclaré coupable de production de marijuana il y a 25 ans se retrouverait soudainement interdit de territoire des années après avoir purgé sa peine. Un tel résultat irait non seulement à l’encontre de l’équité et de la primauté du droit, mais minerait également la décision du juge chargé de la détermination de la peine qui a façonné, il y a plusieurs décennies, une peine appropriée sans savoir qu’il y aurait des conséquences additionnelles quant à la déportation.

[Nos emphases et soulignements]

[90]        Le Conseil est pleinement en accord avec ces énoncés qui confirment que c’est le droit applicable au moment de l’infraction qu’il faut appliquer en l’instance.

[91]        La Cour d’appel dans Da Costa[70] reconnait que les personnes ont droit à la stabilité juridique de leurs obligations et que les actes accomplis sous l’emprise d’une loi ne soient pas évalués a posteriori, en tenant compte de règles différentes :

[29]       Dans leur ouvrage Interprétation des lois [25], les auteurs Pierre-André Côté, Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat rappellent que le principe de la non-rétroactivité des lois, d’origine jurisprudentielle, s’explique par le besoin de sécurité de la vie juridique. La stabilité exige que les actes accomplis sous l’emprise d’une loi ne soient pas évalués a posteriori, en tenant compte de règles différentes [26].

[Notre soulignement, références omises]

C.4 Différences entre l’effet rétroactif, l’effet rétrospectif et l’effet prospectif ou immédiat de la loi

[92]        Beaucoup de confusion existe quant à la distinction entre l’effet rétroactif, l’effet rétrospectif et l’effet prospectif d’une loi[71] où les termes sont malheureusement inter changés alors qu’ils visent chacun des situations différentes.

C.4.1 Effet prospectif

[93]        L’effet prospectif est limpide en ce que les nouvelles dispositions ne s’appliquent qu’aux faits ou situations juridiques qui surviennent après leur adoption. En cas de silence du législateur, les lois sont censées être prospectives seulement.

C.4.2 Effet rétrospectif

[94]        L’effet rétrospectif est celui qui regarde vers le passé, mais dont l’effet des nouvelles dispositions ne s’appliquera qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi. Par exemple, une loi qui s’appliquerait à des situations factuelles survenues avant l’entrée en vigueur, mais qui se continuent après leur adoption telle une loi s’appliquant aux personnes mariées, s’appliquerait autant aux mariages antérieurs que postérieurs[72].

[95]        Plusieurs décisions nous donnent des exemples d’effets rétrospectifs.

[96]        Dans Forest et Unitcast Canada Ltee[73], le commissaire souligne les difficultés qui existent en jurisprudence quant à la distinction entre l’effet rétroactif et l’effet immédiat, qui constitue un autre vocable pour l’effet rétrospectif :

Pour fondamentale qu'elle soit, la distinction de l'effet rétroactif et de l'effet immédiat ou, si l'on préfère, de la non-rétroactivité et du respect des droits acquis, ne manque pas de soulever des difficultés d'application et souvent le même problème est analysé par certains juges comme un problème de rétroactivité et par d'autres comme un problème d'effet immédiat. Ces difficultés sont normales si on tient compte de la complexité de la matière et elles ne devraient pas remettre en cause l'évolution jurisprudentielle qui a mené, avec l'affaire Gustavson Drilling, à la consécration de la distinction entre le principe de non-rétroactivité de la loi et celui du respect des droits acquis.

Étant admis que la loi rétroactive est celle qui prétend s'immiscer dans le passé, quand peut-on dire, en pratique, que telle application de la loi aurait cet effet? Il n'est pas toujours facile de répondre avec assurance à cette question.

Cela tient essentiellement, comme l'ont souligné les tribunaux, à ce qu'une loi ne peut être considérée comme rétroactive simplement parce que son application exigerait la prise en considération de faits survenus avant son entrée en vigueur. Un exemple simple permettra de mieux saisir ceci. Une loi dit toute personne mariée a droit ... L'application de cette loi exige la prise en considération d'un fait, le mariage, fait qui a pu se produire avant l'entrée en vigueur de la loi. Nul ne contestera cependant que l'application de cette loi à une personne qui s'est mariée avant l'adoption de la loi n'implique aucune rétroactivité. Ce qui est visé par ce texte, c'est l'état de personne marié et non le fait du mariage. Il est possible qu'un état se crée avant qu'une loi entre en vigueur et se prolonge sous l'empire de la loi nouvelle: la loi qui édicte qu'un certain état entraîne certains effets ne sera pas rétroactive si elle tire des conséquences d'un état qui se prolonge sous son empire bien qu'il se soit constitué avant son entrée en vigueur.

[Nos soulignements]

[97]        La décision dans Krichtoff c. Québec (Contrôleur des armes à feu)[74], présente un cas d’application rétrospective tout comme dans 9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec[75], car il s’agit de l’adoption d’une loi qui tient compte de l’existence d’un casier judiciaire antérieur pour la délivrance d’un permis de possession d’arme à feu. Ces lois ont une portée rétrospective :

[8]         Il existe un principe d’interprétation des lois qui permet d’invalider une disposition législative si elle a pour effet de modifier les droits et obligations pour des situations antérieures à l’entrée en vigueur de la loi.  Le législateur peut toujours vouloir donner des effets rétroactifs en le mentionnant expressément ou tacitement. En résumé, l’exercice d’interprétation approprié consiste à distinguer des effets rétroactifs de la loi de l’application immédiate de la loi à des faits pendants.  L’auteur Me Pierre-André Coté[3]  fait état d’une étude intéressante sur la théorie des effets immédiats sur des faits pendants dispersés de part et autre de l’entrée en vigueur d’une loi :

«Le cas qui vient d'être décrit correspond, dans le système de Héron, à l'hypothèse de la «dispersion des faits»: les faits qui amènent l'application du règlement ne se sont produits ni avant, ni après l'entrée en vigueur de celui-ci.  Ce sont des faits «pendants», dispersés de part et d'autre de l'entrée en vigueur»

[9]         L’entrée en vigueur de la LAF ne vient pas changer la nature intrinsèque de l’antécédent de voie de fait. Elle donne cependant des effets nouveaux à une situation pendante à savoir l’existence d’un casier judiciaire comportant une condamnation pour une infraction figurant à la liste de l’article 5 (2) de la LAF.

[10]       À mon avis, le législateur en adoptant la LAF a clairement signifié qu’il entendait resserrer les critères d’admissibilité pour la possession d’arme à feu. Pour ce faire, la technique d’une loi avec effet rétrospective a été employée pour donner légalement des conséquences dans l’avenir à une situation pendante même si l’évènement a pris naissance avant l`entrée en vigueur de la loi. En doctrine, l’auteur E.A. Driedger[4] commente l’effet d’une loi rétrospective de la façon suivante :

« Une loi rétroactive est une loi dont l'application s'applique à une époque antérieure à son adoption.  Une loi rétrospective ne dispose qu'à l'égard de l'avenir.  Elle vise l'avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l'égard d'évènements passés.  Une loi rétroactive agit à l'égard du passé. Une loi rétrospective agit pour l'avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu'elle attache de nouvelles conséquences à l'avenir à l'égard d'un événement qui a eu lieu avant l'adoption de la loi.  Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu'elle était; une loi rétrospective rend la loi différente de ce qu'elle serait autrement à l'égard d'un événement antérieur.»  

[11]       Dans l’espèce, le plaidoyer de culpabilité remonte au 27 février 1998 et la demande présentée par le requérant est datée du 31 décembre 2000. Le contrôleur pouvait légalement évaluer  cet antécédent à titre de critère d’admissibilité.  L’article 5 de la LAF stipule que le contrôleur des armes à feu tient compte tout comme le juge de la cour provinciale de l’existence d’un antécédent figurant à la liste dudit article 5 dans la mesure qu’il ne remonte pas plus de 5 ans précédant la demande.

[Nos emphases et soulignements, références omises]

[98]        La décision dans 9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec[76], illustre aussi le propos. En effet, la loi qui prévoit une restriction à une licence d’entrepreneur, lorsque ce dernier a été condamné, dans les derniers 5 ans, pour une infraction criminelle, est une loi rétrospective et non rétroactive :

2.          L’effet rétroactif ou rétrospectif d’une loi

[21]      L’article 65.1 de la Loi prévoit que la restriction imposée à une licence d’entrepreneur s'applique lorsque l'entrepreneur a été condamné «dans les cinq dernières années». Le législateur a-t-il ainsi donné un effet rétroactif à cette disposition? À cet égard, il y a lieu de relire ce qu’écrivait l’honorable Iacobucci dans l’arrêt Benner[11] prononcé en février 1997:

«[39] Les mots rétroactivité et rétrospectivité, bien que fréquemment utilisés dans le domaine de l’interprétation des lois peuvent porter à confusion.  E. A. Driedger, dans Statutes: Retroactive Retrospective Reflections (1978), 56 R. du B. can. 264, aux pp. 268 et 269, en a proposé des définitions concises, que j’estime utiles.  Voici ces définitions:

[traduction] Une loi rétroactive est une loi dont l’application s’applique à une époque antérieure à son adoption. Une loi rétrospective ne dispose qu’à l’égard de l’avenir.  Elle vise l’avenir, mais elle impose de nouvelles conséquences à l’égard d’événements passés. Une loi rétroactive agit à l’égard du passé. Une loi rétrospective agit pour l’avenir, mais elle jette aussi un regard vers le passé en ce sens qu’elle attache de nouvelles conséquences à l’avenir à l’égard d’un événement qui a eu lieu avant l’adoption de la loi. Une loi rétroactive modifie la loi par rapport à ce qu’elle était; une loi rétrospective rend la loi différente de ce qu’elle serait autrement à l’égard d’un événement antérieur.»

[22]      En l’occurrence, rien n’indique que le législateur ait voulu donner un effet rétroactif à l’article 65.1 de la Loi. Cette disposition amène pour l’avenir une conséquence nouvelle en raison d’un évènement s’étant produit avant l’entrée en vigueur de la loi, ici «depuis moins de cinq ans». En l’espèce, il est clair que le législateur a voulu donner un effet rétrospectif et non rétroactif à la Loi.

[Nos emphases, références omises]

[99]        La Cour d’appel dans A. (P.) c. G. (C.)[77] reconnait la portée rétrospective d’une loi qui a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède, dont une loi qui fournit une solution à des couples aux prises avec un mariage susceptible d'être annulé :

Selon cette présomption, la rétroactivité ne peut exister qu'en présence d'un texte clair ou par implication nécessaire (Brosseau c. Alberta Securities Commission 1989 CanLII 121 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 301). Or, comme il a été démontré plus haut, la Loi sur le mariage (degrés prohibés) n'a pas de portée rétroactive : elle bénéficie plutôt d'une application immédiate.

48  Finalement, il faut souligner l'intérêt social à reconnaître l'application immédiate de la loi nouvelle lorsqu'elle a pour fonction d'améliorer la situation des personnes, de valider des actes ou d'apporter un remède. Loin d'apporter le chaos, ces lois stabilisent plutôt les situations juridiques.

49  Une analogie peut à ce sujet être faite avec les principes applicables en matière de rétroactivité. La Cour suprême limite la présomption de non-rétroactivité des lois aux seules règles qui désavantagent les individus (Brosseau, précité) :

Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage.

Ainsi, il n'y a pas de fardeau à renverser avant de reconnaître la rétroactivité d'une loi qui apporte un bénéfice.

50  Dans le cas de lois réparatrices, une interprétation large et favorable doit être adoptée. Le caractère réparateur de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, a poussé la Cour d'appel à lui donner l'effet le plus vaste possible ( Martin c. Cie d'assurance du Canada sur la vie 1987 CanLII 371 (QC CA), [1987] R.J.Q. 514 C.A. ) :

Les principes d'interprétation exigent qu'une loi remédiatrice de cette nature ne soit pas stérilisée par une application stricte de ses dispositions. Même si le législateur a omis de lui donner un effet rétroactif par une disposition affirmative il faut à mon sens rechercher son effet prospectif et se demander si par implication nécessaire elle ne doit pas affecter tous les contrats de travail de ceux qui ne tombent pas sous la couverture d'une convention collective ou d'une loi particulière, sans égard au fait que tel contrat de travail soit ou non postérieur à l'adoption de la Loi.

Ce raisonnement est applicable à la loi ici en cause. La Loi sur le mariage (degrés prohibés) fournit une solution à des couples aux prises avec un mariage susceptible d'être annulé. Elle apporte un remède à la situation précaire dans laquelle se trouvent ces individus qui ont justement souhaité vivre comme mari et femme. Une loi validant un mariage que les parties ont désiré s'inscrit dans la lignée des lois renforçant la stabilité sociale et juridique. Son application immédiate aux mariages en cours est justifiée.

[Nos emphases et nos soulignements]

[100]     Dans Droit de la famille — 093312[78], il s’agit aussi d’un effet rétrospectif quant aux jugements passés, mais aussi applicable aux procédures en cours, la présomption de non rétroactivité ne s’appliquant pas vu que la loi se qualifie de loi de pure procédure :

[27]      Le Tribunal conclut que la Loi sur l'application réciproque d'ordonnances alimentaires n'est pas rétroactive, mais qu'elle est d'application immédiate.  Le Décret 642-2006, ajoutant l'État du New Hampshire aux États auxquels s'applique la Loi, étant entré en vigueur en 2006, la procédure de demande de paiement entreprise en 2009 doit être traitée en fonction de cette Loi, même si le jugement permettant cette procédure est antérieur au décret:

« Par application générale des lois de pure procédure, on entend signifier que ces lois, à quelque moment qu'elles prennent effet, sont présumées être dès lors applicables à l'égard de tous les faits de procédure qui se produisent subséquemment, indépendamment de la relation que ces faits peuvent entretenir avec des faits antérieurs, […]   Ces lois s'appliquent même à des procédures relatives à des faits passés et même à l'égard de procédures ou d'instances en cours, pour ce qui regarde uniquement, cependant, leur déroulement postérieur au moment de la prise d'effet des lois de procédure nouvelles. »[5]

[Notre soulignement]

[Référence omise]

[101]     Tous ces exemples permettent de mieux distinguer l’effet rétrospectif de l’effet rétroactif et de constater que le présent dossier n’est pas un cas d’application de la notion de « rétrospectivité » mais implique plutôt la présomption de non rétroactivité.

[102]     L’arrêt très récent dans Tran[79] implique aussi un cas d’application rétrospective tel qu’il sera vu plus loin.

C.4.3 Effet rétroactif

[103]     Une loi à effet rétroactif est celle qui modifie le droit ou les règles à l’égard d’une « situation constituée » antérieurement à l’entrée en vigueur de la Loi nouvelle. Il peut être fait exception à la présomption de non rétroactivité s’il s’agit de modifications de pure procédure ou si elle ne crée pas de préjudice.

[104]     Ainsi, c’est clairement un effet rétroactif qu’auraient les modifications à l’article 156 c) du Code des professions si elles étaient appliquées au présent dossier.

C.4.4 Les nouvelles dispositions sont-elles de pure procédure ou de preuve?

[105]     De la cause de Dulude[80], on peut conclure que modifier la sanction comme le fait l’article 156 c) modifié du Code des professions, est une atteinte à un droit substantif qui n’est pas de pure procédure et qui ne peut donc être rétroactif. Bien qu’il soit fait référence à l’aspect « rétrospectif », il aurait été plus juste de parler de « rétroactivité » vu la situation en litige :

[52]      Dans l’affaire Bickford[21], la Cour d’appel d’Ontario reprend les principes  mis de l’avant dans Wildman, et s’exprime ainsi:

«[…]

et plus loin:

The amendments in questions clearly do not alter the essential elements of the offence with which this respondent is charged; the substance of the law he is alleged to have violated remains unchanged.  The trier of fact is still required to determine whether on the totality of the evidence the Crown has discharged the onus of proving the commission of the offence beyond a reasonable doubt. »[22] 

[53]      La poursuite se réclame de ce passage et soumet que les nouvelles dispositions ne modifient ni les éléments constitutifs de l’infraction reprochée, ni la substance de la loi, ni le fardeau de  preuve de chacune des parties, tel que mentionné plus haut.

(…)

[86]      En effet, sous une apparence procédurale, une modification peut receler une véritable atteinte aux droits substantifs.  Ainsi, en a décidé la Cour  d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire de R. v. K (D.W.[66]) qui se penchait sur les modifications apportées à la défense d’erreur de fait  quant au consentement d’une victime d’agression sexuelle.  L’article 273.2 b) limitait ce moyen de défense d’une façon telle qu’il se voyait exclu  lorsque l’accusé n’avait pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont  il avait connaissance, pour s’assurer du consentement de la victime.  La Cour a conclu que les modifications, puisqu’elles limitaient un moyen de défense, apportaient un changement au droit substantif et ne pouvaient par conséquent se voir accorder une portée rétrospective.

[112]    De plus, l’obligation, pour la défense, d’établir un lien de causalité entre les résultats attaqués et le mauvais fonctionnement  ou la mauvaise  utilisation de l’appareil, modifie, sinon dans son libellé, à tout le moins dans sa charge intellectuelle, le fardeau de preuve de la défense.

[117]    La loi ne contient aucune disposition transitoire  explicite quant à l’effet  rétrospectif  de la loi.

[118]    La poursuite soumet au tribunal que l’on peut glaner une intention implicite à cet effet dans les débats du Parlement et attire l’attention du Tribunal sur les propos de M. Moore, Secrétaire parlementaire du Ministre de la justice et Procureur général du Canada.  Il s’exprime  ainsi :

«… Je sais que tous les députés reconnaissent que la conduite avec facultés affaiblies demeure l’infraction criminelle la plus susceptible de causer la mort ou d’infliger des blessures à des Canadiens.  Si elle est adoptée, cette mesure législative apportera une incommensurable contribution à la sécurité de tous les Canadiens.

… Le projet de loi en question comporte trois volets principaux.  Premièrement, il donnerait aux policiers les outils dont ils ont besoin pour enquêter sur les cas de conduite avec facultés affaiblies.

Deuxièmement, il apporterait des changements qui tiennent compte des immenses progrès qu’a connus la technologie de l’ivressomètre depuis que le Parlement en a permis l’utilisation il y a près de 40 ans.

Probablement que la plus importante modification que propose ce projet de loi est celle qui vise à assurer que seuls les moyens de défenses fondés sur des facteurs valides du point de vue scientifique pourront être utilisés dans le cas d’une personne accusée de conduite avec un taux d’alcoolémie supérieur à 80 milligrammes par 100 millilitres de sang.  C’est ce qu’on appelle conduire avec une alcoolémie supérieure à 0.08.

… On sait depuis plus de 50 ans qu’une personne qui conduit avec une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes d’alcool constitue un danger pour elle-même et pour les autres usagers sur la route.

… Ces alcootests approuvés sont très perfectionnés et doivent être évalués rigoureusement avant que le comité sur l’alcootest ne recommande leur approbation comme instruments pouvant servir dans les tribunaux aux termes du Code criminel…

Compte tenu de l’évolution de la science et de la mise au point d’alcootests approuvés, il est malheureux que les tribunaux n’aient pas su tenir compte dans leur jurisprudence de l’évolution de la technologie…

Les amendements que nous proposons éliminent le concept flou de la "preuve contraire" et énumèrent les motifs de défense scientifiquement valides qu’un accusé peut invoquer.»

[119]    Dans l’affaire R. v. Sung[77], le juge Clearly fait écho à ces propos en    mentionnant que les nouvelles dispositions reflètent la confiance qu’a le Parlement en la fiabilité des appareils approuvés et en la reconnaissance des avancements technologiques des dernières années  à leur égard.

[120]    Cela est sans conteste vrai et aura force de loi pour le futur, mais ne révèle en rien, aux yeux du Tribunal, une intention d’application  rétrospective de la loi.

[Nos emphases et nos soulignements, références omises]

[106]     Il fut décidé dans Paquin c. Avocats[81] que la modification doit être de « pure » procédure pour être rétroactive. Le Tribunal des professions réfère à l’auteur Pierre A. Côté comme suit :

[40]      Enfin, traitant de la "loi de procédure", il précise ([23]) :

" Il ne suffit pas que la loi soit une loi de procédure : elle doit, pour s'appliquer immédiatement, avoir, dans les circonstances concrètes où elle doit s'appliquer, un effet sur la «procédure seulement» («procedure only»), elle ne doit être que de «simple procédure» («mere procedure») ou de «pure procédure».  Il est en effet des cas où un changement dans la procédure peut compromettre l'exercice d'un droit :

«Les règles de procédure ne sont pas toujours de pures règles de forme, sans conséquence sur le fond ou la substance du droit. [L]a procédure, dans certains cas, s'associe si profondément au droit lui-même, l'affecte si radicalement, que la survie de la procédure existante devient une condition essentielle du droit lui-même.384»

384 Boisclair c. Guilde des employés de la Cie Toastess Inc., précité, note 264, 813 (j. LeBel). "

[Nos soulignements]

[107]     Le présent Conseil est d’avis qu’il est clair que les modifications à l’article 156 c) du Code des professions ne sont pas de « pure » procédure et qu’elles portent atteinte aux droits substantifs de l’intimée et conséquemment, sont préjudiciables.

[108]     Dans l’affaire R. v. Lungal[82], un changement aux droits d’un accusé de se défendre des accusations portées contre lui est considéré comme un changement à un droit substantif et non de simple procédure :

The amendments define the type and content of evidence which is available to the accused to rebut an otherwise conclusive presumption.  They set out what kind of evidence is not capable of rebutting the presumption.  Essentially, evidence directed solely to rebutting an essential element of the offence (blood alcohol level) is not sufficient.  Evidence respecting other matters (not related to the essential elements of the offence) is required.  This is a significant change.

This change in the law relates the right of the accused to respond to the Crown’s case.  That is a substantive right - it transcends procedure.

Moreover, it is no longer the sole purview of the Court to determine the sufficiency of evidence adduced to rebut the presumption.  It can only be rebutted in the manner set out. 

The amendments affect not only the conduct but the "content" of the defence. »[62]

[Notre emphase, référence omise]

[109]     Pour avoir un effet rétroactif aux instances en cours, il est bien expliqué dans Droit de la famille — 093312[83], qu’une loi à effet purement procédural ne doit régler que la procédure et ne toucher en aucune façon aux règles de fond :

[21]      Pour qualifier une loi de purement procédurale, deux (2) critères doivent être vérifiés:

a)   Critère matériel

b)   Critère fonctionnel

Critère matériel

[22]       Une loi à effet purement procédural ne doit régler que la procédure et ne toucher en aucune façon aux règles de fond. 

[23]       Dans le cas présent, la Loi sur l'exécution réciproque d'ordonnances alimentaires ne régissant que la façon d'obtenir l'accomplissement d'une obligation, c'est-à-dire l'exécution d'un jugement, elle respecte le premier critère de qualification.

Critère fonctionnel

[24]       Le critère fonctionnel permet de s'assurer que la loi visée est de caractère purement procédural et n'est pas simplement une loi de procédure. 

[25]       Dans le cas qui nous occupe, la Loi est purement procédurale en ce qu'elle ne touche pas aux droits des parties.  Le fait de permettre ou non l'utilisation de la procédure simplifiée d'exécution du jugement ne prive pas le mis en cause de son droit, le processus ne sera qu'allongé si la procédure simplifiée n'est pas permise.

DÉCISION

[26]       Traitant de l'application dans le temps des lois de pure procédure, l'auteur Pierre-André Côté écrit:

«Les règles relatives aux modes d'exécution du jugement appartiendraient elles aussi à la catégorie des règles de pure procédure.  Un plaideur ne pourrait donc faire valoir de droits acquis aux modes d'exécution en vigueur à l'institution des procédures.»[4]

[Notre emphase, référence omise]

[110]     Dans Sarrasin c. Roy[84], la Cour décide que le fait de retirer au défendeur le bénéfice de la réduction volontaire de la créance, constitue un effet qui n’est pas purement procédural et qui lui est préjudiciable :

[44]      De plus, le fait de retirer au défendeur le bénéfice de la réduction volontaire de la créance constitue un effet qui n’est pas purement procédural et qui lui est, à mon avis, préjudiciable au sens de ce qu’entendait la Cour suprême dans l’arrêt Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance[13].

[45]      En conséquence, les présomptions de non-rétroactivité de la loi nouvelle et de respect des droits acquis, en l’absence d’une disposition claire du législateur et en l’absence d’une exception d’application immédiate, empêchent l’application du nouvel article 953 C.p.c. aux instances en cours.

[Nos emphases et nos soulignements, référence omise]

[111]     L’aspect préjudiciable auquel il est référé est expliqué comme suit dans Angus c. Sun Alliance compagnie d’assurance[85], à savoir lorsque des droits matériels sont touchés ou que quelqu’un subi un préjudice de la modification, ce qui s’applique en l’instance vu l’augmentation de l’amende à 2 500 $ au lieu de 1 000 $ :

Cette affaire constitue une bonne illustration des raisons de politique générale pour lesquels les lois ne doivent pas avoir d'application rétroactive en l'absence d'une intention à cet effet que la loi décrète expressément ou exige implicitement. Les droits matériels des compagnies d'assurances sont touchés par la décision du juge Galligan. Le raisonnement concernant la prescription s'applique à fortiori à la situation des compagnies d'assurances. Celles-ci calculent leurs primes en tenant compte des facteurs de risque connus. Lorsque les taux relatifs au contrat en question en l'espèce ont été calculés, il était "connu" que ce risque en particulier--une poursuite en responsabilité civile par Diane Angus contre son mari--était écarté par l'art. 7. La compagnie d'assurances s'est fondée sur cette "connaissance" pour fixer ses taux. Une modification rétroactive de cette situation ne devrait pas être présumée à la légère. Dans l'arrêt Martin c. Perrie, précité, cette Cour a conclu que la modification d'un délai de prescription pour intenter des poursuites pour faute médicale (d'une année à compter de l'acte à une année à compter de la date de la découverte du préjudice) ne pouvait pas avoir d'effet rétroactif étant donné que les médecins auraient pu se fonder sur l'ancienne disposition pour organiser leurs affaires (p. ex. en détruisant des dossiers) d'une telle manière qu'ils auraient subi des préjudices en raison de la modification. À mon avis, l'analogie en l'espèce est évidente.

[Nos soulignements]

C.5 L’intention du législateur et les dispositions transitoires

[112]     La loi 11 prévoit les dispositions transitoires suivantes :

152.      Malgré l’article 80 du Code des professions, tel que modifié par l’article 46, le président du Conseil d’administration d’un ordre peut, jusqu’au 8 juin 2018, cumuler ses fonctions avec celles de directeur général.

153.      L’article 39.8 du Code des professions, tel que modifié par l’article 25, est réputé s’être toujours lu comme autorisant également l’administration de médicaments prescrits et prêts à être administrés par voie entérale ou nasale.

154.     Une poursuite intentée avant le 8 juin 2017 peut servir de fondement à une requête visée à l’article 122.0.1 du Code des professions, édicté par l’article 68.

155.     Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur le 8 juin 2017, à l’exception :

1    de celles de l’article 29, qui entreront en vigueur le 8 juillet 2017;

2    de celles des articles 1, 3, 5, 45, 48, 49, 58 et 59, qui entreront en vigueur le 1er janvier 2018;

3    de celles de l’article 39, qui entreront en vigueur le 8 juin 2018;

4    de celles de l’article 146, qui entreront en vigueur à la date fixée par le gouvernement.

[Notre emphase]

[113]     On peut constater que le législateur s’est exprimé clairement quant à l’effet temporel de ses modifications lorsqu’il a voulu donner une portée rétroactive (article 153) ou une portée rétrospective (article 154) à la Loi 11.

[114]     On peut donc en déduire, a contrario, qu’il n’a pas entendu donner de tels effets aux modifications de l‘article 156 c) du Code des professions.

[115]     Dans l’affaire Bélanger[86], une disposition transitoire exprime clairement l’intention du législateur de donner une portée rétroactive :

DISPOSITIONS TRANSITOIRES

10.(1) Sous réserve du paragraphe (2), la procédure d’examen expéditif prévue par les articles 125 et 126.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition,  dans leur version antérieure à la date d’entrée en vigueur de l’article 5, cesse de s’appliquer, à compter de cette date, à l’égard de tous les délinquants condamnés ou transférés au pénitencier, que la condamnation ou le transfert ait eu lieu à cette date ou avant ou après celle-ci.

[Nos soulignements]

[116]     Dans R. c. Loiseau[87], l’honorable juge Buffoni se pose la question sur l’intention du législateur en l’absence de dispositions transitoires prévues par ce dernier et conclut que pour ce faire, il faut regarder s’il s’agit d’amendements de pure procédure ou si cela touche les droits substantifs. S’ils se rapportent au droit substantiel, ils sont présumés avoir un effet prospectif seulement :

[18]      La question cruciale est de savoir si les amendements touchent la procédure et la preuve, auquel cas ils sont présumés avoir un effet rétrospectif, ou s’ils se rapportent plutôt au droit substantiel, auquel cas ils sont présumés avoir un effet prospectif.

[19]      Les amendements en question modifient de manière significative le droit antérieur.  Ils abolissent dans la plupart des cas la défense de type Carter fondée sur le scénario de consommation.  Ils alourdissent considérablement les moyens de soulever un doute raisonnable.

[20]      Soit dit avec égards pour l’opinion contraire, le tribunal estime que ces amendements vont au-delà de la preuve et de la procédure.  Ils touchent véritablement le droit substantiel.

[21]      C’est pourquoi ces amendements doivent être présumés prospectifs.[5]

[22]      Pour contrer cette présomption, il aurait fallu - et il aurait suffi - que la loi le dise.

[Notre emphase et nos soulignements]

[117]     Dans Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada Ltée.[88], la Cour conclut qu’on peut présumer que le législateur ne fait pas de changement aussi important sans prévoir, par des dispositions transitoires, l’application aux situations juridiques en cours :

[23]       En raison des bouleversements que cela aurait créés, il est raisonnable de supposer que le législateur n'aurait pas fait un changement aussi important sans manifester de façon absolument claire son intention à cet effet et sans prévoir des mesures transitoires [6].  Une modification à des règles de prescription entraîne presque toujours des règles transitoires, et ce, afin de prévoir l'application des nouvelles dispositions aux situations juridiques en cours.

[Nos emphases]

[118]     Il en est décidé de même dans l’arrêt Green c. R.[89] :

[50]      In a nutshell, the provisions of the new section 34 of the Criminal Code have effected substantive changes to the law of self-defence rather than mere procedural changes, and they are not simply declaratory of the law as contained in the former provisions. As a result, the presumption against the retrospective application of these provisions applies as Parliament has not explicitly or implicitly indicated that the new provisions should apply retrospectively.

[51]      Though the presumption against retrospective application may be rebutted by evidence of a “clear legislative intent that [the statute] is to apply retrospectively”[18], there is no such clear legislative intent here. Parliament can be assumed to understand the impact of not dealing with the issue of retrospective application in the legislation it passes. Absent clear legislative intent or a constitutional imperative, courts have no residual discretion to apply legislation retrospectively in order to accord with a subjective view of optimal fairness.

[Nos emphases]

[119]     Le Conseil est du même avis face aux changements significatifs apportés à l’article 156 c) du Code des professions.

[120]     Un arrêt important[90] vient d’être rendu dans une situation impliquant une loi à portée rétrospective. La toile de fond est bien résumée par l’arrêtiste comme suit :

T, un résident permanent au Canada, a été accusé d’une infraction fédérale passible, au moment de sa commission, d’une peine maximale de sept ans d’emprisonnement. Après que T a été accusé, mais avant qu’il soit déclaré coupable, la peine maximale dont était passible ceux qui se rendaient coupables de l’infraction a été portée à 14 ans d’emprisonnement. T a été déclaré coupable de l’accusation portée contre lui et il a été condamné à une peine de 12 mois d’emprisonnement avec sursis à purger dans la communauté.

             Après que T a été déclaré coupable et que sa peine lui a été infligée, des agents d’immigration ont préparé un rapport selon lequel il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, en application de l’al. 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR »). Suivant cette disposition, un résident permanent est interdit de territoire au Canada s’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction fédérale punissable d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins 10 ans, ou d’une infraction fédérale pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de 6 mois. Le rapport a ensuite été soumis à un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile qui a décidé de l’adopter et de déférer l’affaire à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête.

[121]     La Cour Suprême dans l’arrêt Tran[91] rappelle que les règles d’interprétation législative imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et que les avantages de la rétroactivité (ou du caractère rétrospectif) l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité.

[122]     Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets[92] :

[48]       La présomption est un outil pour cerner la portée temporelle voulue de la loi. En l’absence d’une indication selon laquelle le législateur a envisagé qu’une loi soit rétrospective et possiblement inéquitable, il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre :

Il n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 5, p. 13. Ceux qui partagent cette perception seront peut-être rassurés par les règles d’interprétation législative qui imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et [traduction] « a conclu que les avantages de la rétroactivité (ou du caractère rétrospectif) l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité » : Landgraf c. USI Film Products, 511 U.S. 244 (1994), p. 268. [Je souligne.]

(Imperial Tobacco, par. 71, juge Major)

[49]       La présomption existe pour garantir que les lois ne s’appliquent rétrospectivement que lorsque le législateur a clairement indiqué qu’il a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et l’iniquité potentielle, d’autre part. Sans cela, il faut présumer que le législateur n’a pas souhaité de tels effets.

[50]       Règle générale, un texte exprès ou nettement implicite en ce sens (Gustavson Drilling, p. 279) donne l’indication nécessaire que le législateur a réfléchi à la question de la rétrospectivité. L’exception relative à la « protection du public » permet que la législation protective ait un effet rétrospectif même en l’absence d’un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens, dans la mesure où il ressort autrement de l’intention du législateur qu’il en soit ainsi. Cela dit, conformément à l’objectif sous-jacent de la présomption, l’exception s’applique uniquement lorsque la structure de la pénalité elle-même illustre que le législateur a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif, d’une part, et ses effets inéquitables potentiels, d’autre part. Ce sera le cas lorsqu’il y a clairement un lien entre la mesure protective et les risques encourus par le public associés à la conduite antérieure à laquelle ils se rattachent. Dans de tels cas, comme dans Brosseau, l’étendue de la protection doit s’aligner avec les risques précis engendrés par ceux qui ont eu une conduite dommageable spécifique et elle est façonnée pour prévenir ces risques pour l’avenir : voir Brosseau, p. 319 et 320, citant R. c. Vine (1875), L.R. 10 Q.B. 195, p. 199; voir également In re A Solicitor’s Clerk, [1957] 1 W.L.R. 1219 (B.R.).

[Nos emphases]

[123]     Commentant l’arrêt Brosseau[93], la Cour dit que s’il fallait appliquer l’exception de protection du public à toute législation qui vise la protection du public, « cela reviendrait à faire fi de l’objectif sous-jacent à la présomption du caractère non rétrospectif. »[94]

[124]     Rien dans la Loi 11 ou dans les propos des parlementaires ne permet de déduire que le législateur a clairement mis en balance les avantages de donner une portée rétrospective ou rétroactive et l’iniquité potentielle.

[125]     Dans Corporation de Ste-Angèle de Monnoir c. Bérubé[95], la Cour d’appel conclut que les lois qui modifient la compétence des tribunaux ne sont pas, en règle générale, applicables aux instances en cours, car il est bien établi que la compétence n'est pas une question de procédure :

[17]       In the Mont-Tremblant case, the issues were very similar. Mr, Justice Bernier wrote :

"Aussi suis-je d'avis que lors de l'entrée en vigueur de l'article 92 de la Loi de l'expropriation, les expropriés mis en cause avaient un droit acquis au processus quasi judiciaire établi aux articles 795 et sqq. du Code municipal. Ils avaient droit à ce que l'indemnité soit établie au jour de l'introduction de l'instance devant les estimateurs intimés par la décision que devront rendre les arbitres intimés, laquelle rétroagira au jour de l'introduction de cette instance."[7]

[18]       There can be no doubt that, in the absence of transitional provisions to the contrary, the repeal of Articles 794 to 802 of the Municipal Code by Section 92 of the Expropriation Act in April 1976 did not apply retrospectively to municipal expropriation proceedings commenced prior to that date. This expropriation having been commenced in 1973, the parties had acquired rights to the appeal procedure under Article 795 and following of the Municipal Code.

[19]       Professor Pierre-André Côté[8], reviewing the jurisprudence on the question, states :

"Les lois qui modifient la compétence des tribunaux ne sont pas, en règle générale, applicables aux instances en cours, car il est bien établi que la compétence n'est pas une question de procédure...'. Ce principe, fréquemment appliqué par les tribunaux, vaut aussi bien pour la compétence du tribunal de première instance que pour celle des tribunaux compétents à l'égard des recours contre les décisions de première instance.

Ainsi, il est bien établi qu'une loi qui modifie un droit d'appel n'est pas applicable à une instance en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Il en va de même pour une loi qui crée ou étend un droit de recours, évocation ou appel."[9]

(…)

[22]       Unfortunately, however, Appellant's argument cannot be accepted. Jurisdiction to hear an appeal is not a procedural matter and a statute changing the jurisdiction of a court or tribunal to hear an appeal does not operate retrospectively. It does not apply to cases pending at the time of its enactment unless the statute clearly indicates that it is to have a retrospective effect. Nor is an appeal jurisdiction something that can be conferred by consent of the parties or accepted by a court or tribunal on that basis. The jurisdiction of courts is conferred by the Legislature and it is modified in the same manner. Had the Legislature intended to confer jurisdiction on the Tribunal with respect to pending municipal expropriations, it would have so provided.

[23]       In the Royal Bank of Canada v. Concrete Column Clamps (1961) Ltd.[10], the Supreme Court had to decide whether it had jurisdiction to entertain an appeal under a 1970 amendment[11] to the Supreme Court Act[12] which permitted the Supreme Court to authorize per saltum appeals. Previous to the amendment, such appeals were entertained only when authorized by the Court of Appeal. The proceedings in the Courts below had been instituted before the amendment to the Supreme Court Act. In dismissing the motion for leave to appeal, Mr. Justice Pigeon observed :

"Partant de là, l'avocat de l'appelante soutient qu'il ne s'agit pas ici d'un nouveau droit d'appel puisque ce droit existait. Il ne me semble pas nécessaire de rechercher si l'on peut considérer que le droit de demander à cette Cour l'autorisation d'appeler est le même droit que celui de demander l'autorisation dans un cas semblable à la Cour d'appel, ce dont je doute fort. Il me suffit de constater que le principe fermement établi et par application duquel on a posé la question, c'est qu'à moins d'une disposition expresse au contraire on ne doit pas donner d'effet rétroactif à un texte attribuant une compétence nouvelle à une cour d'appel. Or, c'est expressément cela que l'on nous demande de faire, car il est indubitable qu'avant l'entrée en vigueur de la Loi de 1970, cette Cour n'avait pas compétence pour accorder l'autorisation d'appeler per saltum."[13]

[Nos emphases et soulignements]

[Références omises]

[126]     Dans l’affaire Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu)[96], il est réitéré qu’il faut tenir compte du contexte global de la disposition pour déterminer si elle est susceptible de plusieurs interprétations, mais ce, après avoir tenté de déterminer l’intention du législateur en s’appuyant sur tous les principes d’interprétation législative y compris les présomptions :

[34]       La Cour suprême en profite pour mettre à jour l'approche élaborée dans l'arrêt Gustavson Drilling[21] qui limite la présomption aux seuls cas où la loi est ambiguë ou susceptible de plusieurs interprétations:

« Cet énoncé doit être quelque peu nuancé à la lumière de la jurisprudence récente de notre Cour. Comme le dit la professeure Sullivan, il faut se garder de tomber dans le piège des derniers vestiges de l’interprétation littérale des lois :

[traduction] Ces propos sont trompeurs dans la mesure où ils reprennent la règle du sens ordinaire.  Les valeurs inhérentes à la présomption contre l’empiétement sur des droits acquis, soit éviter l’injustice et observer la règle de droit, guident l’interprétation dans tous les cas, pas seulement lorsque le tribunal dit constater une ambiguïté.  Le tribunal doit d’abord déterminer l’intention du législateur et, [. . .] à cette fin, il doit s’appuyer sur tous les principes d’interprétation législative, y compris les présomptions. [p. 576]

Depuis l’adoption de la méthode moderne d’interprétation législative, notre Cour a maintes fois indiqué qu’il faut tenir compte du « contexte global » de la disposition pour déterminer si elle est raisonnablement susceptible de plusieurs interprétations (voir p. ex. Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2R.C.S. 559, 2002 CSC 42 (CanLII), par. 29). »

[Nos double-soulignements]

[127]     Une modification dans la compétence des Conseils de discipline ne peut donc, non plus, être rétroactive ou rétrospective sans que le législateur l’ait spécifiquement prévu.

[128]     Le haussement de l’amende minimale et maximale affecte la juridiction du Conseil. Les modifications touchant à la compétence des Conseils de discipline, ne peuvent donc s’appliquer à l’instance en cours.

[129]     De plus, l’augmentation de l’amende minimale et maximale, n’est pas une modification de pure procédure mais une modification aux droits substantiels de l’intimée et elle ne peut recevoir, non plus, d’application rétroactive à l’instance en cours avant l’entrée en vigueur de la Loi 11.

[130]     Le Conseil conclut en conséquence que le législateur n’a pas envisagé que cette modification soit rétroactive et possiblement inéquitable, et qu’il faut présumer qu’il n’a souhaité ni l’un ni l’autre.

D)    L’arrêt Brosseau, Da Costa, la décision Rancourt et l’arrêt Tran : distinctions à faire et aspects non considérés.

[131]     Le Conseil ne croit pas que l’arrêt Da Costa s’impose absolument au présent dossier pour plusieurs raisons. Premièrement, l’arrêt Da Costa[97] a été rendu avant la décision de la Cour Suprême dans Tran[98].

[132]     Deuxièmement, l’arrêt Da Costa ne traite que de décisions en matière de valeurs mobilières. Le milieu de la finance et des marchés boursiers est un domaine fort particulier lorsqu’il s’agit de protéger le public, car des milliers d’investisseurs peuvent être fraudés pour des centaines de millions de dollars par le non-respect des obligations prévues à l’une ou l’autre des lois applicables dans ce domaine.

[133]     C’est d’ailleurs ce qu’exprimait la Cour Suprême dans l’arrêt Brosseau[99] :

Ce rôle protecteur, qui est commun à toutes les commissions des valeurs mobilières, donne à ces organismes un caractère particulier qui doit être reconnu lorsqu'on examine la manière dont leurs fonctions sont exercées aux termes des lois qui leur sont applicables.

[134]     Il s’agit donc d’un contexte si particulier qu’il est possible que la Cour a interprété l’intention du législateur applicable pour ce contexte spécifique.

[135]     Troisièmement, la motivation de la Cour d’appel répond nécessairement aux arguments plaidés par les procureurs devant elle. Il est possible que tout l’éclairage et les distinctions entre la non rétroactivité et l’effet rétrospectif n’aient pas été apportés par les procureurs.

[136]     Avec respect, l’arrêt Da Costa vise un cas différent de l’arrêt Brosseau sur lequel elle prend appui. En effet, dans l’arrêt Brosseau, il ne s’agit pas de modifier une sanction applicable à des faits passés mais vise plutôt l’exercice de nouveaux pouvoirs par la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta pour rendre une ordonnance d’interdiction de transiger sur des valeurs mobilières. Les dispositions en jeu dans Brosseau se lisent comme suit :

165(1) La Commission peut ordonner

a)         que cessent toutes opérations relatives à des valeurs mobilières pendant la période précisée dans l'ordonnance, ou

b)         qu'une personne ou une société cesse d'effectuer des opérations relatives à des valeurs mobilières ou à des valeurs mobilières désignées pendant la période précisée dans l'ordonnance.

(2) La Commission ne doit pas prendre d'ordonnance aux termes du paragraphe (1) sans audition.

166(1) La Commission peut ordonner que l'une ou l'autre des exemptions prévues aux articles 65, 66, 107, 115, 116, 132 et 133 ou dans le Règlement ne s'applique pas à la personne ou à la société désignée dans l'ordonnance.

(2) La Commission ne doit pas rendre d'ordonnance aux termes du paragraphe (1) sans tenir d'audition.

[137]     La Cour Suprême avec justesse décide qu’il s’agit d’un cas de législation rétrospective puisque :

La présente affaire concerne un redressement dont l'application est fondée sur la conduite de l'appelant avant l'adoption des art. 165 et 166. Néanmoins, le redressement n'est pas conçu comme une peine liée à cette conduite. Il vise plutôt à protéger le public.

[138]     En effet, il ne s’agissait aucunement d’augmentation des amendes pour une conduite passée, ce qui serait « comme une peine liée à cette conduite » et tous les cas de référence dans Brosseau sont des cas clairs d’application rétrospective.

[139]     Dans Da Costa, il ne s’agissait pas du même genre de modification législative. En effet, les nouvelles amendes adoptées visent à sanctionner la conduite elle-même. Il ne s’agit donc pas d’un cas de rétrospectivité mais bien de rétroactivité.

[140]     Les modifications législatives dans Da Costa font donc appel à la présomption de non rétroactivité lorsque la loi a des effets préjudiciables. L’auteur Driedger a utilisé des termes différents soit « préjudiciables » pour le second type de lois et les mots « objet n’est pas de punir » pour le troisième type ce qui emporte nécessairement des significations différentes.

[141]     Conséquemment, l’arrêt Brosseau ne pouvait, avec respect, s’appliquer à la situation visée dans Da Costa.

[142]     De plus, les décisions du Québec citées aux paragraphes 48 à 56 de la présente décision ne semblent pas avoir été soumises puisqu’elles ne sont pas abordées dans l’arrêt Da Costa.

[143]      Le Conseil ne croit pas que la Cour d’appel ait voulu que sa décision ait valeur de stare decisis quant à l’application à d’autres lois que celle qu’elle avait à interpréter[100].

[144]      La Cour d’appel adoptait d’ailleurs une application souple de cette règle dans l’arrêt La Laurentienne-vie, compagnie d'assurance inc. c. l'Empire, compagnie d'assurance-vie[101] :

[59]      La seconde conception du stare decisis, plus moderne, reconnaît qu'un tribunal est généralement lié par une décision antérieure, mais que cela ne l'empêche pas de reconsidérer les motifs qui en sont à l'origine et de retenir une solution différente.

[60]      L'examen de la jurisprudence récente de notre Cour démontre que c'est l'approche moderne du stare decisis qui est appliquée au Québec.

[61]      Dans Lefebvre c. Commission des affaires sociales20, le juge Baudouin rappelait que la règle du stare decisis ne doit pas être appliquée avec rigidité pour deux raisons: d'abord, pour éviter la répétition d'erreurs et, ensuite, pour permettre l'évolution du droit avec les mentalités et le contexte social21.

(…)

[67]      Dans la mesure où notre Cour ne considère pas manifestement déraisonnable le fait, pour un tribunal spécialisé, de s'écarter des enseignements de la Cour suprême, il est difficile de voir comment elle pourrait qualifier de contraire à l'ordre public une sentence arbitrale qui dévie de sa jurisprudence.

[68]      À mon avis, il faut éviter d'appliquer de manière trop stricte la notion du stare decisis en conférant une autorité absolue à la décision de notre Cour dans l'affaire L'Excelsior.  Il est d'ailleurs à noter que les parties n'ont pas plaidé cet arrêt au fond. Le cas échéant, notre Cour aurait eu le loisir de reconsidérer les motifs qui en sont à l'origine et peut-être aurait-elle retenu une solution différente.

 [Nos soulignements]

[145]     Sur de nombreux aspects, le Conseil est en accord avec la Cour d’appel, à l’effet que les sanctions en droit disciplinaire n’ont pas un but punitif au sens pénal du terme et qu’en conséquence les droits garantis prévus à la Charte canadienne ou québécoise ne trouvent pas application.

[146]     Nous abondons également quant au constat que les Chartes n’ont pas non plus prévu un droit garanti que les lois soient prospectives seulement. En effet, le législateur peut adopter des lois rétroactives ou rétrospectives lorsqu’il l’indique clairement.

[147]     Étudiant les cas donnant ouverture à la présomption de non rétroactivité, la Cour conclut en reprenant les termes du cas où la présomption de non rétroactivité s’applique (loi à effet préjudiciable) pour ensuite assimiler les aspects non punitif et protection du public du troisième type de législation élaboré par l’auteur Driedger où l’effet rétrospectif est possible :

[66]       En résumé, une loi a un effet « rétrospectif » lorsqu'elle n'a pas un effet préjudiciable. Selon le contexte, une amende n'est pas considérée comme une mesure punitive lorsqu'elle vise à protéger le public. En matière disciplinaire, la condamnation au paiement d'une amende ne constitue pas, en principe, une conséquence de nature pénale, même lorsque le montant de l'amende est important, si cela est nécessaire pour prévenir la récidive du contrevenant et dissuader d'autres professionnels de contrevenir à la loi. [102]

[148]     De cet extrait, il appert que la rétroactivité et l’effet rétrospectif ont été confondus.

[149]     La confusion vient peut-être de la portée donnée à un passage de l’auteur Driedger qui est repris comme suit :

Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable. Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage. Elmer Driedger, explique dans Construction of Statutes (2nd ed. 1983), à la p. 198 :

[TRADUCTION]  Il y a trois sortes de lois que l'on peut, à proprement parler, qualifier de rétroactives, mais il n'y en a qu'une qui donne lieu à la présomption.  Premièrement, il y a les lois qui rattachent des conséquences bienfaisantes à un événement antérieur; elles ne donnent pas lieu à la présomption.  Deuxièmement, il y a celles qui rattachent des conséquences préjudiciables à un événement antérieur; elles donnent lieu à la présomption.  Troisièmement, il y a celles qui imposent une peine à une personne qui est décrite par rapport à un événement antérieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer une autre punition pour l'événement; elles ne donnent pas lieu à la présomption.

Une sous-catégorie du troisième type de lois décrit par Driedger est composée des textes législatifs qui peuvent imposer à une personne une peine liée à un événement passé en autant que le but de la peine n'est pas de punir la personne en question, mais de protéger le public.[103]

[Nos emphases]

[150]     La version originale anglaise de cet extrait fait apparaitre la confusion que l’auteur Driedger lui-même crée en utilisant le terme « retrospectivity » et non le terme adéquat « retroactive » pour les deux premiers cas de lois tel qu’il appert ci-dessous :

The so-called presumption against retrospectivity applies only to prejudicial statutes.  It does not apply to those which confer a benefit.   As Elmer Driedger, Construction of Statutes (2nd ed. 1983), explains at p. 198:

There are three kinds of statutes that can properly be said to be retrospective, but there is only one that attracts the presumption.  First, there are the statutes that attach benevolent consequences to a prior event; they do not attract the presumption.  Second, there are those that attach prejudicial consequences to a prior event; they attract the presumption.  Third, there are those that impose a penalty on a person who is described by reference to a prior event, but the penalty is not intended as further punishment for the event; these do not attract the presumption.

A sub-category of the third type of statute described by Driedger is enactments which may impose a penalty on a person related to a past event, so long as the goal of the penalty is not to punish the person in question, but to protect the public.  This distinction was elaborated in the early case of R. v. Vine (1875), 10 L.R. Q.B. 195, where Cockburn C.J. wrote at p. 199:

If one could see some reason for thinking that the intention of this enactment was merely to aggravate the punishment for felony by imposing this disqualification in addition, I should feel the force of Mr. Poland's argument, founded on the rule which has obtained in putting a construction upon statutes -- that when they are penal in their nature they are not to be construed retrospectively, if the language is capable of having a prospective effect given to it and is not necessarily retrospective.  But here the object of the enactment is not to punish offenders, but to protect the public against public-houses in which spirits are retailed being kept by persons of doubtful character . . . the legislature has categorically drawn a hard and fast line, obviously with a view to protect the public, in order that places of public resort may be kept by persons of good character; and it matters not for this purpose whether a person was convicted before or after the Act passed, one is equally bad as the other and ought not to be intrusted with a licence.

[151]     Il faut donc prendre garde quant à l’utilisation de cet auteur dont la publication remonte à 1983 et de ces passages qui en anglais confondent l’effet rétroactif avec l’effet rétrospectif et vice et versa en français. Il s’agit de deux concepts différents.

[152]     Avec respect, les modifications à l’article 156 c) du Code des professions doivent être analysées sous l’angle de la présomption de non rétroactivité vis-à-vis d’une loi qui a un effet préjudiciable en rapport à des faits passés.

[153]     La troisième option de Driedger, selon le présent Conseil, n’est pas de la nature d’une loi rétroactive, mais bien seulement d’une loi à effet rétrospectif comme le démontre l’arrêt dans Tran[104]. Seules les deux premières catégories de lois mettent en jeu la notion de rétroactivité.

[154]     Le Conseil est d’avis qu’il ne peut donc, avec tout le respect qu’il doit, appliquer l’arrêt Da Costa[105] dans le présent dossier puisque cela irait à l’encontre des principes de non rétroactivité des lois applicables aux dispositions en cause dans le présent dossier.

[155]     En effet, le Conseil est d’avis qu’on ne peut faire une équation entre le terme « préjudiciable » de la deuxième catégorie de lois selon Driedger et le terme « punir » de la troisième catégorie.

[156]     La signification du mot préjudiciable peut se comprendre dans son sens ordinaire et dans ses synonymes tels qu’attentatoires, compromettant, contraire, dangereux, désavantageux, dommageable, malfaisant, malheureux, néfaste, nocif et nuisible.

[157]     Le sens le plus juste dans notre contexte est « désavantageux ». Il est clair que les modifications sont désavantageuses et donc préjudiciables pour l’intimée dans le présent dossier.

[158]     Il n’est absolument pas nécessaire de conclure à un aspect « punitif » de la sanction pour empêcher la présomption de non rétroactivité de s’appliquer.

[159]     Le présent Conseil conclut qu’elle s’applique donc en l’instance. Pour l’écarter, il aurait fallu que le législateur le dise clairement ou que cela s’infère implicitement du texte.

[160]     Aucun de ces deux cas ne s’applique aux modifications ici en cause.

[161]     Il importe de souligner que, dans l’arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission[106] sur lequel la Cour d’appel dans Da Costa prend appui, il est fait référence à des décisions qui relèvent toutes de la notion de l’effet rétrospectif et non de cas d’application de la présomption de non rétroactivité :

Cette Cour a eu l'occasion d'examiner la question de l'application rétroactive des lois. Dans l'arrêt Nova, An Alberta Corporation c. Amoco Canada Petroleum Co., 1981 CanLII 211 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 437, le juge Estey a analysé la question de la rétroactivité en examinant l'intention qui sous-tend la disposition législative visée.  Il a dit à la p. 448 que "chaque loi doit être complète en elle-même et se lire en fonction de sa terminologie propre et du plan législatif général qu'elle met en place".  Dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 1975 CanLII 4 (CSC), [1977] 1 R.C.S. 271, le juge Dickson (maintenant Juge en chef) a énoncé le principe général relatif à la rétroactivité des textes législatifs à la p. 279:

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétationUne disposition modificatrice peut prévoir qu'elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu'elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption.  Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif.

Ce qu'on appelle la présomption de non-rétroactivité ne s'applique qu'aux lois qui ont un effet préjudiciable.  Elle ne s'applique pas à celles qui confèrent un avantage.  Elmer Driedger, explique dans Construction of Statutes (2nd ed. 1983), à la p. 198:

[TRADUCTION]  Il y a trois sortes de lois que l'on peut, à proprement parler, qualifier de rétroactives, mais il n'y en a qu'une qui donne lieu à la présomption.  Premièrement, il y a les lois qui rattachent des conséquences bienfaisantes à un événement antérieur; elles ne donnent pas lieu à la présomption.  Deuxièmement, il y a celles qui rattachent des conséquences préjudiciables à un événement antérieur; elles donnent lieu à la présomption.  Troisièmement, il y a celles qui imposent une peine à une personne qui est décrite par rapport à un événement antérieur, mais la peine n'est pas destinée à constituer une autre punition pour l'événement; elles ne donnent pas lieu à la présomption.

Une sous-catégorie du troisième type de lois décrit par Driedger est composée des textes législatifs qui peuvent imposer à une personne une peine liée à un événement passé en autant que le but de la peine n'est pas de punir la personne en question, mais de protéger le public.  Cette distinction a été élaborée dans un arrêt ancien, R. v. Vine (1875), 10 L.R. Q.B. 195, dans lequel le juge en chef Cockburn a écrit à la p. 199:

[TRADUCTION]  Si on pouvait trouver une raison pour penser que l'intention de ce texte législatif était simplement d'augmenter la peine à l'égard d'une infraction majeure en y ajoutant cette interdiction, je serais sensible à la force de l'argument de M. Poland, qui est fondé sur la règle d'interprétation des lois selon laquelle, lorsqu'elles sont de nature pénale, elles ne peuvent être interprétées rétroactivement, si le texte peut avoir un effet pour l'avenir et n'est pas nécessairement rétroactif.  Toutefois, en l'espèce, le but du texte législatif n'est pas de punir les contrevenants, mais de protéger le public contre la possibilité que des débits d'alcool soient tenus par des personnes de m{oe}urs douteuses . . . le Parlement a de façon catégorique adopté une position ferme, de toute évidence pour protéger le public, afin que les endroits publics puissent être tenus par des personnes de bonnes m{oe}urs, et il n'est pas important à cette fin de savoir si une personne a été déclarée coupable avant ou après l'adoption de la loi, car elle est tout aussi mauvaise dans un cas comme dans l'autre et ne devrait pas recevoir de permis.

Dans l'arrêt Re A Solicitor's Clerk, [1957] 3 All E.R. 617, une loi concernant l'exercice de la profession d'avocat avait été modifiée de manière à autoriser une ordonnance empêchant une personne d'agir à titre de clerc d'avocat si cette personne avait été déclarée coupable de vol, d'abus de confiance ou de détournement de biens.  Un clerc, qui avait été déclaré coupable de l'une de ces infractions avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, avait contesté son exclusion parce que l'on donnait à la loi un effet rétroactif.  La Court of Queen's Bench a rejeté ces arguments.  Le juge en chef, Lord Goddard, a conclu qu'il n'y avait pas d'effet rétroactif, étant donné que le but réel de la loi était prospectif et visait la protection du public.  Il écrit à la p. 619:

[TRADUCTION]  À mon avis, cette loi n'est pas véritablement rétroactive.  Elle permet de rendre une ordonnance empêchant une personne d'agir à titre de clerc d'avocat dans l'avenir et ce qui s'est produit dans le passé constitue la cause ou la raison de l'ordonnance; mais l'ordonnance n'a pas d'effet rétroactif.  Elle serait rétroactive si la loi déclarait nulle ou annulable une chose faite avant l'entrée en vigueur de la loi ou avant l'ordonnance ou imposait une peine pour avoir agi à tel titre avant que l'entrée en vigueur de la loi ou avant l'ordonnance.  La loi permet simplement l'exclusion pour l'avenir, ce qui n'a aucun d'effet sur ce que l'appelant a fait dans le passé.

[Nos emphases]

[162]     En effet, dans Brosseau[107], la Cour réfère à deux cas de figure (R. v. Vine[108] et Re A Solicitor's Clerk[109]) dont l’un concerne une loi qui vient empêcher quelqu’un qui a été condamné dans le passé pour une infraction criminelle de pouvoir détenir un permis d’alcool[110], et l’autre concerne une loi qui permet l’interdiction de devenir avocat si la personne a été déclarée coupable de vol, d'abus de confiance ou de détournement de biens[111].

[163]     Il est clair que le texte des nouvelles lois ou dispositions en jeu dans ces décisions emporte un effet rétrospectif implicite en ce qu’un état de fait dans le passé devient une condition pour l’application des nouvelles dispositions qui visent à protéger le public pour le futur.

[164]     L’arrêt Brosseau concerne une situation bien différente de la situation ici en cause et ne trouve donc pas application. La nouvelle loi donnait des pouvoirs additionnels à la Commission d’empêcher quelqu’une de transiger sur les marchés publics et il est possible que dans l’économie de cette législation, l’intention du législateur impliquait que ces nouveaux pouvoirs puissent être exercés dès leur entrée en vigueur par rapport à des conduites antérieures.

[165]      Nous n’avons pas un tel libellé implicite dans la Loi 11 et au contraire, lorsque le législateur a voulu donner un effet rétroactif ou rétrospectif, il s’est exprimé clairement à cet égard.

[166]     Avec le plus grand respect pour l’opinion contraire, il ne faut pas confondre le principe de non rétroactivité des lois qui ont un effet préjudiciable avec le principe de l’effet rétrospectif possible si la loi ne crée pas de punition nouvelle pour un évènement passé.

[167]     Le Conseil est d’avis que l’augmentation des amendes de la loi 11 pour une conduite passée n’est pas une situation envisagée pour les lois à effet rétrospectif.

[168]     La récente décision dans Médecins (Ordre professionnel des) c. Rancourt[112]a été rendue avant la décision dans Tran[113] et s’appuie sur l’arrêt Da Costa qui s’appuie sur l’arrêt Brosseau.

[169]     Vu toutes les distinctions et concepts élaborés plus avant, le Conseil diffère d’opinion avec la décision Rancourt.

[170]     Il semble aussi que les parties s’en soient tenues à plaider des questions déjà tranchées par la jurisprudence soit l’application de l’article 11 i) de la Charte en faveur d’un intimé en droit disciplinaire et l’aspect punitif de la sanction. Il était donc juste de rejeter ces arguments.

[171]     En effet, l’aspect punitif n’est pas en cause puisque le droit est bien établi que le droit disciplinaire ne vise pas à punir l’intimé.

[172]     L’application des Chartes n’est pas non plus en cause ici. Le Conseil abonde dans le sens que ce n’est pas en vertu de l’article 11 i) de la Charte canadienne des droits et libertés qu’il doit être décidé si l’intimée doit bénéficier de la peine la moins sévère dans le présent dossier mais plutôt en vertu des principes de justice naturelle et des principes d’interprétation de la common law.

[173]     Nous différons cependant, avec respect, d’opinion avec le Conseil dans l’affaire Rancourt quant à la volonté du législateur qui transparaitrait des travaux parlementaires. La lecture de ceux-ci ne nous permet aucunement d’en inférer une intention rétroactive.

[174]     Bien évidemment, dans un cas où le législateur s’exprime de façon limpide sur son intention, comme dans la décision Bilodeau[114], les principes de justice naturelle ne peuvent y faire échec.

[175]     La loi en jeu dans cette décision a clairement une portée rétroactive et a des conséquences injustes considérant qu’elle vise à valider un décret qui a été annulé par un jugement. En voici le texte[115] :

[28]       Puisqu’elle est au centre de la présente affaire, il convient de reproduire les notes explicatives et le texte complet de cette loi.  Elle comporte 2 articles:

NOTES EXPLICATIVES

Cette loi a pour objet de valider le décret numéro 1180-2009 du 11 novembre 2009 concernant  le prolongement de l’autoroute 73, du territoire de la Ville de Beauceville à celui de la Ville de Saint-Georges.

LE PARLEMENT DU QUÉBEC DÉCRÈTE CE QUI SUIT ;

1.    Le décret numéro 1180-2009 du 11 novembre 2009 (2009, G.O. 2, 5845), qui concerne l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, le lotissement ou l’aliénation de lots situés en zone agricole pour le prolongement de l’autoroute 73 sur le territoire des municipalités de Beauceville, de Notre-Dame-des-Pins et de Saint-Simon-les-Mines, est validé.

Le premier alinéa a effet depuis le 11 novembre 2009 et s’applique malgré toute décision d’un tribunal qui a déclaré invalide, après cette date, le décret qui y est visé.

2.    La présente loi entre en vigueur le 8 juin 2011.

[Notre emphase]

[176]      Notre dossier ne vise pas une telle situation de toute évidence puisque le langage utilisé par le législateur quant à l’article 156 c) du Code des professions n’exprime aucunement une telle intention.

[177]     Le Conseil dans Rancourt conclut sur ce sujet que d’appliquer la loi en vigueur au jour du prononcé de la sanction ne contrevient donc pas aux principes de justice naturelle et d’équité[116].

[178]     Le Conseil est, avec respect, d’avis contraire, en ce que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale applicables tel que précédemment élaborés, ne permettent pas de donner une portée rétroactive à une loi qui ne devrait pas en avoir suivant les principes d’interprétation des lois, la présomption de non rétroactivité et la primauté du droit.

[179]     Avec respect, pour toutes les raisons élaborées, le Conseil ne partage donc pas les conclusions déclaratoires du Conseil dans Rancourt.

[180]     Pour résumer notre analyse, le Conseil a considéré les questions suivantes :

1.    Le législateur s’est-il exprimé clairement quant à l’effet temporel de la nouvelle loi? Notre réponse est non.

2.    Si la réponse est non, les principes d’interprétation permettent-ils d’en arriver à la conclusion que le législateur a implicitement voulu une application rétroactive? Notre réponse est non.

3.    Dans la négative, la présomption de non rétroactivité s’applique-t-elle ou a-t-elle été renversée par une de ses exceptions telles une loi apportant un bénéfice ou une loi de pure procédure? Notre réponse est non.

4.    S’agit-il d’un cas d’effet rétrospectif au sens donné par la jurisprudence? Notre réponse est non.

5.    Subsidiairement, les principes de justice naturelle et de justice fondamentale s’appliquent-ils à un changement préjudiciable de la sanction qui survient entre la commission de l’infraction et le prononcé de la sanction? Notre réponse est oui.

F)     Conclusion

[181]     Il est clair que le législateur n’a pas prévu de disposition donnant un effet rétroactif ou rétrospectif aux amendements de l’article 156 c) du Code des professions. On peut en déduire a contrario que telle n’était pas son intention puisque lorsqu’il a voulu un tel effet, il s’en est exprimé clairement aux articles 153 et 154 de la loi 11. Le texte, ni les propos des parlementaires ne permettent pas non plus d’en inférer une intention implicite.

[182]     Il ne s’agit pas de modifications de pure procédure, mais de modifications de droits substantiels des professionnels poursuivis en discipline, ce qui ne permet pas de mettre de côté le principe de non-rétroactivité des lois.

[183]     Des sanctions plus lourdes sont certainement préjudiciables pour l’intimée. La présomption de non rétroactivité s’applique donc.

[184]     Appliquer, aux instances en cours, les modifications quant aux sanctions nouvelles de l’article 156 c) serait clairement leur donner un effet rétroactif allant à l’encontre de la présomption de base de notre droit.

[185]     Cette modification à la compétence du Conseil ne peut non plus avoir de portée rétroactive tel qu’établi par la jurisprudence, à moins d’indication claire du législateur.

[186]     Dans les instances en cours, les Conseils de discipline vont continuer leur mandat soit appliquer la loi avec impartialité, compétence, compassion et, avant tout, humilité. Nous sommes au service de la société, mais notre mandat tire sa source de l'attachement profond de la société à la primauté du droit.[117]

[187]     Les règles de justice naturelle au surplus militent en faveur que l’intimée soit jugée suivant le droit existant lors de la commission de ses infractions.

[188]     Finalement, le principe d’interprétation du bénéfice de la sanction la moins sévère s’applique également vu la proximité entre le droit criminel et le droit disciplinaire tel qu’établi en droit québécois.

[189]     Tout ce portrait, situant le droit disciplinaire dans son contexte sui generis, proche du droit criminel et pénal, permet maintenant de trancher la question en litige.

[190]     Le Conseil en vient à la conclusion que les modifications de la Loi 11 quant à l’article 156 c) du Code des professions ne doivent pas recevoir une application rétroactive c’est-à-dire qu’elles ne sont pas applicables aux instances en cours avant leur entrée en vigueur.

[191]     Le droit applicable est donc celui en vigueur au moment des infractions.

[192]     En conséquence, le Conseil est d’avis que les modifications adoptées à l’article 156 c) du Code des professions et en vigueur depuis le 8 juin 2017 ne trouveront application qu’aux infractions commises après leur entrée en vigueur.

2)    Quelles sont les sanctions justes, raisonnables et appropriées pour les infractions commises.

[193]     L’intimée a été membre de l’Ordre depuis 1984.

[194]     Elle n’est plus inscrite au Tableau de l’Ordre depuis avril 2017.

[195]     Après une suspension et une enquête sur sa conduite, l’intimée est congédiée le 27 mars 2015.

[196]     La lecture de ses explications démontre que l’intimée ne semble pas comprendre en quoi sa conduite était contraire à son Code de déontologie, ce qui ne rassure pas le Conseil quant au danger de récidive.

[197]     Le Conseil constate que même si les explications indiquent que l’intimée n’était pas de mauvaise foi et que son intention n’était pas d’abuser du client, sa conduite est contraire aux valeurs de la profession en ce que les inhalothérapeutes ne peuvent se placer en situation où leurs intérêts peuvent être préférés à ceux du client surtout lorsque ce dernier est d’une grande vulnérabilité comme en l’instance.

[198]     Le devoir de respecter le secret professionnel et le droit à la vie privée des usagers est aussi au cœur de l’exercice de la profession. N’eût été son code d’accès au système du CLSC, elle n’aurait pu consulter ces dossiers.

[199]      Elle a consulté sans motif professionnel les dossiers d’une vingtaine d’usagers en soins à domicile et palliatifs du CLSC. (Chef 1)

[200]     Il ne s’agit pas d’un geste, mais plutôt d’une pluralité de gestes.

[201]     Le syndic demande une radiation temporaire de 3 mois plus l’amende minimale sur le chef 1 quant au secret professionnel et une radiation temporaire de 6 mois sur le chef 2 quant au conflit d’intérêts.

[202]     Lors de l’entrevue avec le syndic, elle n’a manifesté aucun repentir ou remords.

[203]     L’intimée n’a aucun antécédent et a collaboré avec le syndic. Elle n’a pas reconnu ses torts. Son absence lors de l’audition sur sanction est regrettable.

[204]     Toutefois, un témoin entendu lors de l’audition sur culpabilité a décrit l’intimée comme une personne consciencieuse et professionnelle dans son travail.

[205]     Le syndic soumet les autorités suivantes :

-       Infirmières c. Roberge 2017 CanLII 29841

-       Travailleurs sociaux c. Rochette 2012 CanLII 99569

-       Technologues en radiologie c. Desmarais 2008CanLII 88645

-       Infirmières et Infirmiers c. Marquis 2016 CanLII 63939

-       Infirmières et Infirmiers c. Lavoie 2008 CanLII 89782

[206]     Cette jurisprudence démontre pour le chef de manquement au secret professionnel ou à la confidentialité, des sanctions variant de l’amende à trois mois de radiation sauf dans l’affaire Roberge où il y a une radiation de 15 mois, mais où les faits étaient beaucoup plus graves, répartis sur une période de 10 ans et où il y a eu divulgation des informations concernant les nouveau-nés à des tiers pour fins de sollicitation pour des régimes d’épargne études.

[207]     Pour les cas de conflit d’intérêts, la jurisprudence soumise varie de 3 à 6 mois de radiation.

[208]     Toutefois, à cet égard, le Tribunal des professions dans la cause Chbeir[118] rappelle les enseignements récents de la Cour suprême dans l’affaire Lacasse[119], à l’effet que le Conseil doit voir les fourchettes de peines comme des outils visant à favoriser l'harmonisation des sanctions et non pas comme des carcans, puisqu’elles n'ont pas un caractère coercitif. Le Tribunal ajoute que le fait d'y déroger ne constitue pas une erreur de principe.

[209]     Pour ces motifs, le Conseil croit que les sanctions appropriées sont :

Sur le chef 1 : une période de 3 mois de radiation et une amende de 1 000 $

Sur le chef 2 : une période de 6 mois de radiation

[210]     L’intimée est aussi condamnée à payer les déboursés suivant l’article 151 du Code des professions. Un délai de six mois lui est accordé pour s’acquitter de l’amende et des déboursés.

 

 

Exécution et publication

[211]     Le Conseil doit maintenant aborder la question de l’exécution et de la publication de l’avis des radiations temporaires puisque l’intimée n’est plus membre de l’Ordre.

[212]     En 1997, le Tribunal des professions pose la prémisse par sa décision dans Perreton[120] à l’effet qu’une radiation pour être efficace et utile, suppose nécessairement que celui qui en fait l’objet soit membre en règle de son ordre professionnel.

[213]     Cet extrait est cité et réaffirmé par le Tribunal à l’occasion des affaires Labelle[121] en 2005 et Latraverse[122] en 2010. Par la suite, le Tribunal reprend cet extrait dans le cadre de sa décision dans l’affaire Lambert[123].

[214]     Le Conseil constate que les décisions du Tribunal des professions dans les affaires Perreton[124], Labelle[125], Latraverse[126] et Lambert[127] établissent que le Conseil a le pouvoir de décider que l’exécution d’une période de radiation temporaire soit exécutoire alors que le professionnel est membre en règle de son ordre professionnel et que la publication de l’avis de radiation aille de pair avec l’exécution de la période de radiation.

[215]     Les périodes de radiation seront purgées de façon concurrente et seront exécutoires lors de la réinscription de l’intimée au Tableau de l’Ordre.

[216]     Il en sera de même quant à la publication de l’avis suivant l’article 156 du Code des professions. L’intimée devra assumer le paiement des frais de publication de l’avis de la décision à être publiée, le cas échéant.

DÉCISION

 

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT CE JOUR :

[217]     IMPOSE à l’intimée sur le chef 1 : une période de 3 mois de radiation et une amende de 1 000 $.

[218]     IMPOSE à l’intimée sur le chef 2 : une période de 6 mois de radiation.

[219]     DÉCLARE que ces périodes de radiation temporaire seront purgées de façon concurrente et ne deviendront exécutoires que lorsque l’intimée, le cas échéant, redeviendra membre en règle au Tableau de l’Ordre.

[220]     DEMANDE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu où l’intimée avait ou aura son domicile professionnel, le cas échéant, cet avis ne sera publié qu’au moment où les périodes de radiation temporaire deviendront exécutoires.

[221]     CONDAMNE l’intimée au paiement des débours prévus à l’article 151 du Code des professions de même que les frais de publication, le cas échéant.

[222]     ACCORDE à l’intimée un délai de six mois pour s’acquitter de l’amende, des débours et le cas échéant, des frais de publication.

 

 

 

_________________________________________

Me CHANTAL PERREAULT, LL.M., Ad. É.

présidente

 

 

_________________________________________

Mme CATHERINE CHAMPAGNE, inhalothérapeute, Membre

 

 

_________________________________________

Mme CATHERINE O’BRIEN, inhalothérapeute,

Membre

 

 

Me Magali Cournoyer-Proulx, avocate

Partie plaignante

 

Partie intimée absente

 

Date d’audience : 4 juillet 2017

 

Date de début de délibéré : 31 août 2017

 

 



[1]     RLRQ C-26, r. 167.

[2]    Infirmières (Ordre professionnel des) c. Marquis, 2016 CanLII 63939.

[3]    Travailleurs sociaux c. Rochette, 2012 CanLII 99569, pa. 24 et 25.

[4]    C. S-4.2, article 19.

[5]    Martin  HÉBERT, Aspects juridiques du dossier de santé et de services sociaux, AQAM,  juillet  2002, pp. 117 à 1 19.

[6]   PH ILI PS-NOOTENS, S., KOURI, R. Et LESAGE-JARJOURA, P., Éléments de responsabilité civile médicale, 4e édition, Yvon Blais, à la page 447.

[7]    CLSC de L'Érable c. Lambert,  [1981] C.S. 1077

[8]    1999 QCTP 13.

[9]    2014 CanLII   79625   (QC  SAT) paragraphes 123 à 130.

[10]   Syndicat des travailleuses et des travailleurs de L'Hôpital Charles Lemoyne (CSN) et Hôpital Charles  Lemoyne,  A.A.S.  2010A- 104

[11]   Kienapple c. R., [1975] 1 RCS 729, 1974 CanLII 14 (CSC).

[12]    Lapointe c. Médecins, 1997 DDOP 317; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boulanger, 2008 QCCDBQ 079; Seyer c. Médecins vétérinaires, 1996 DDOP 280; Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347; Gauthier c. Roberge, [2003] R.J.Q. 1793 (C.S.); Derome c. Robillard, 2015 QCCS 2704; Théberge c. Autorité des marchés financiers, 2009 QCBDRVM 48.

[13]    Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, LQ 2017, c 11.

[14]    Code des professions, RLRQ c C-26.

[15]    Dentistes (Ordre professionnel des) c. Harandian, 2014 CanLII 72408 (QC ODQ).

[16]    Psychologues (Ordre professionnel des) c. Turgeon, 2013 QCTP 32.

[17]    Laliberté c. Delorme, 1994 CanLII 10788 (QC TP).

[18]    Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 : Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12.

[19]    R. c. Anthony-Cook, [2016] 2 RCS 204, 2016 CSC 43.

[20]    Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 89; Voir aussi : Dentistes (Ordre professionnel des) c. Tremblay, 2014 CanLII 31695 paragr. 54 à 58; Audioprothésistes (Ordre professionnel des) c. Laplante, 2015 CanLII 87927 (QC OQPQ).

 

[21]   Dentistes (Ordre professionnel des) c. Poirier, 2014 CanLII 49143 (QC ODQ).

[22]   Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Pucher, 2004 CanLII 73524 (QC CDOII).

[23]   Paquette c. Tribunal des professions, 2012 QCCS 5847.

[24]   Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619; Notaires (Corporation professionnelle) c. Delorme, [1994] D.D.C.P. 287 (requête en révision judiciaire rejetée par la Cour supérieure le 31 août 1994 : AZ-50726227); J.G. Villeneuve, N. Dubé et T. Hobday, Précis de droit professionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 182-196 ; Latulippe c. Tribunal des professions, J.E. 98-1367 (C.A.).

[25]   Lapointe c. Leduc, 2016 QCCDBQ 38.

[26]   Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619 (demande d’autorisation à la Cour Suprême du Canada refusée).

[27]   R. c. Kienapple, (1975) 1974 CanLII 14 (CSC), 1 R.C.S. 729.

[28]   Ahn c. Dentistes (Corp. professionnelle des), 1993 CanLII 9239 (QC TP).

[29]   Lavallée c. Villeneuve, 1992 CanLII 8417 (QC TP).

[30]   Médecins c. Duquette, 2004 QCTP 82.

[31]   Pivin c. Inhalothérapeutes, 2002 QCTP 32.

[32]   Laliberté c. Delorme, supra, note 6.

[33]   Ptack c. Comité de l'Ordre des dentistes du Québec, 1992 CanLII 3303 (QCCA), paragr. 11; Lamarche c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 62, paragr. 25 et 26; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, 2000 CSC 44, paragr. 102.

[34]   Lamarche, supra, note 22.

[35]   R. c. Nasogaluak, [2010] 1 RCS 206, 2010 CSC 6, paragr. 53; Lamarche, supra note 22, paragr. 39 et 45 et paragr. 38, 44 et 45; Girouard c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2013 QCTP 67, paragr. 25 à 30; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Gauthier, 2012 QCTP 151; St-Pierre c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 5; Richard c. Inhalothérapeutes (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 57; Gamache c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), 2011 QCTP 145, paragr. 53; Veilleux c. Infirmières et Infirmiers (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 17.

[36]   Lamarche, supra note 22, paragr. 64 et 68; St-Pierre c. Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 5.

[37]   Huot c. Pigeon, 2006 QCCA 164; Bellemarre c. Lisio, 2010 QCCA 859; Dentistes (Ordre professionnel des) c. Terjanian, 2016 CanLII 99149 (QC ODQ).

[38]   Girard c. Médecins (Ordre professionnel des), 2016 QCTP 129.

[39]   R. c. G. (G.), 2003 CanLII 4079 (QC CQ).

[40]    Laliberté c. Delorme, supra, note 6: Voir aussi Hébert c. Avocats (Ordre professionnel des), 2015 QCTP 35 ; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC).

[41]   Laliberté c. Delorme, supra, note 6.

[42]   Lapointe c. Médecins, 1997 DDOP 317, p. 12.

[43]   Ibid.

[44]   Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Boulanger, 2008 QCCDBQ 079.

[45]   R. c. Bergeron, 2000 CanLII 3648 (QC CA).

[46]   Roche des brises inc. c. Laporte, 2017 QCCS 2142.

[47]   Lapointe c. Legros, 1996 CanLII 12235 (QC TP).

[48]   Guimont c. Boulanger, 2006 CanLII 81027 (QC CDBQ).

[49]   Seyer c. Saucier, 1996 CanLII 12146 (QC TP).

[50]   Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCQ 2900.

[51]   Bilodeau c. Québec (Procureur général), 2014 QCCS 3234.

[52]   Ibid, paragr. 65.

[53]   Bilodeau, supra, note 40.

[54]   Ibid.

[55]   Loi d'interprétation, RLRQ c I-16.

[56]   R. c. Dulude, 2008 QCCM 254.

[57]   Spooner Oils Ltd. v. Turner Valley Gas Conservation, [1933] SCR 629, 1933 CanLII 86 (SCC).

[58]   Pierre-André Côté, avec la collaboration de Stéphane Beaulac, Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, paragr. 509 et 513.

 

[59]   Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14.

[60]   Ibid, paragr. 64.

[61]   Rouleau c. Mercier (Ville de), 2015 QCCQ 9803.

[62]   Sarrasin c. Roy, 2015 QCCQ 3200.

52   Gestion Jean & Guy Hurteau inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu) (Agence du revenu du Québec), 2014 QCCQ 12452.

[64]   Bazile c. Fonds d'indemnisation en assurance de personnes, 1995 CanLII 3703 (QC CS).

[65]   Droit de la famille — 093312, 2009 QCCS 6249.

[66]   Boehringer Ingelheim (Canada) Ltée c Laval (Ville), 2012 CanLII 73163 (QC TAQ) ; PIERRE A. CÖTÉ, Interprétation des lois.

[67]   Ibid.

[68]   Ibid, paragr. 30.

[69]   Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, rendue le 19 octobre 2017.

[70]   Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347.

[71]   Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 RCS 358, 1997 CanLII 376 (CSC), paragr. 39.

[72]   Forest et Unitcast Canada Ltee, 1989 CanLII 6086 (QC CALP).

[73]   Ibid.

[74]   Krichtoff c. Québec (Contrôleur des armes à feu), 2002 CanLII 38805 (QC CQ).

[75]   9257-2486 Québec inc. c. Régie du bâtiment du Québec, 2014 QCCS 1226.

[76]   Ibid.

[77]   A. (P.) c. G. (C.), 2002 CanLII 63784 (QC CA).

[78]   Droit de la famille — 093312, 2009 QCCS 6249.

[79]   Tran, supra, note 58.

[80]   R. c. Dulude, 2008 QCCM 254.

[81]   Paquin c. Avocats, 2004 QCTP 58.

[82]   R. v. Lungal, [2008] A.B.P.C. 282, page 13.

[83]   Droit de la famille — 093312, 2009 QCCS 6249.

[84]   Sarrasin c. Roy, supra, note 51.

[85]   Angus c. Sun Alliance compagnie d'assurance, [1988] 2 RCS 256, 1988 CanLII 5 (CSC).

[86]   Bélanger c. Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2014 QCCS 68.

[87]   R. c. Loiseau 2009 QCCS 4631.

[88]   Longueuil (Ville de) c. Carquest Canada Ltée., 2002 CanLII 41236 (QC CA).

[89]   Green c. R., 2015 QCCA 2109.

[90]   Tran, supra, note 58.

[91]   Ibid.

[92]   Ibid.

[93]   Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 RCS 301, 1989 CanLII 121 (CSC).

[94]   Tran, supra note 58, paragr. 47.

[95]   Corporation de Ste-Angèle de Monnoir c. Bérubé, 1986 CanLII 3892 (QC CA).

[96]   Entreprises Jacques Dufour et Fils inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCQ 2900.

[97]   Da Costa, supra, note 59.

[98]   Tran, supra, note 58.

[99]   Brosseau, supra, note 82.

[101]   La Laurentienne-vie, compagnie d'assurance inc. c. l'Empire, compagnie d'assurance-vie, 2000 CanLII 9001 (QC CA).

[102]   Da Costa, supra, note 59.

[103]   Ibid.

[104]   Tran, supra, note 58.

[105]   Da Costa, supra, note 59.

[106]   Brosseau, supra, note 82.

[107]   Ibid.

[108]   R. v. Vine (1875), 10 L.R. Q.B. 195.

[109]   Re A Solicitor's Clerk, [1957] 3 All E.R. 617.

[110]   Supra, note 97.

[111] Supra, note 98.

[112] Médecins (Ordre professionnel des) c. Rancourt, 2017 CanLII 64528 (QC CDCM), rendue le 22 septembre 2017.

[113] Tran, supra, note 58.

[114] Bilodeau c. Québec (Procureur général), 2014 QCCS 3234.

[115] Ibid.

[116] Rancourt, supra, note 101, paragr. 182.

[117] Supra, note 19.

[118] Médecins (Ordre professionnel des) c. Chbeir, 2017 QCTP 3.

[119] R. c. Lacasse, [2015] 3 RCS 1089, .2015 CSC 64.

[120] Avocats (Ordre professionnel des) c. Perreton, [1997] D.D.O.P. 19 et 20.

[123] Lambert c. Agronomes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 39.

[124] Perreton, supra, note 109.

[125] Labelle, supra, note 110.

[126] Latraverse, supra, note 111.

[127] Lambert, supra, note 112.

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