Commission scolaire A |
2010 QCCLP 5954 |
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[1] Le 21 octobre 2008, la Commission Scolaire A, l’employeur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 septembre 2008 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 24 janvier 2008, déclare que la totalité des coûts dus en raison de l’accident du travail subi le 15 mars 2007 par le travailleur, monsieur Y... T..., doit être imputée au dossier de l’employeur.
[3] L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 2 juin 2010 en présence de l’employeur et de sa représentante. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur invoque les dispositions de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi) et demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il est obéré injustement du fait que la CSST lui a imputé le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 15 mars 2007 par le travailleur, monsieur Y... T....
LES FAITS
[5] De l’analyse du dossier, des témoignage et des documents produits à l’audience, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[6] Le travailleur occupe un emploi d’enseignant chez l’employeur depuis 1990. Pour l’année scolaire 2006-2007, il enseigne les sciences humaines aux élèves de 4e et 5e secondaire à l’école A.
[7] Au printemps 2007, le travailleur devient accompagnateur pour un projet d’aide humanitaire au Sénégal à la demande d’un collègue, monsieur Ma... Go..., animateur à la vie spirituelle et engagement communautaire (AVSEC) à l’école.
[8] Ce projet consiste en un voyage avec 16 étudiants de 5e secondaire, voyage devant se tenir du 16 février au 9 mars 2007, et pour lequel au préalable un financement fut requis (diverses activités de levées de fonds).
[9] Le 16 mars 2007, le travailleur consulte le Dr Poulin qui pose le diagnostic de stress post-traumatique et qui prescrit un arrêt du travail pour deux semaines. Il retourne le travailleur à son médecin de famille pour le suivi.
[10] Le 23 mars 2007, l’employeur fait parvenir un formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement » à la CSST indiquant un « événement » au 15 mars 2007 pour le travailleur avec la mention « Bien vouloir communiquer avec D… G… » chez l’employeur.
[11] Le 30 mars 2007, la CSST demande au travailleur de lui donner des précisions quant aux circonstances l’ayant amené à déposer sa réclamation.
[12] Le 3 avril 2007, le Dr Proulx pose le diagnostic d’anxiété post-trauma. Le médecin indique à l’attestation qu’il émet que le travailleur est suivi par un psychologue et que le retour au travail se fera selon les directives de la psychologue.
[13] Le 12 avril 2007, le travailleur fait parvenir à la CSST une longue lettre dans laquelle il raconte comment il fut amené à participer au voyage au Sénégal, à la demande de monsieur Go..., la nature des préparatifs du voyage et du fait que celui-ci fut ponctué de divers incidents relativement banals et pour lesquels il écrit : « En bout de ligne, j’apprécie mon expérience, mais je trouve que le niveau de stress est élevé compte tenu des événements et des responsabilités ».
[14] Puis, quant aux événements l’ayant amené à consulter un médecin, le travailleur écrit ceci :
« Le retour s’effectue, le 9 mars en soirée, après plus de 36 heures de voyagement. Le lundi 12 mars, je me présente à l’école, rien de particulier à signaler. Le mardi 13, étant encore sous l’effet du décalage et d’un bon «va-vite», je prends congé, je demeure à la maison.
Le véritable drame pour moi, débute le mercredi 14 mars, vers 8 :00. Je reçois alors un appel du directeur de l’école monsieur M... L..., qui me demande de me présenter à son bureau dès mon arrivée à l’école. De plus, il m’informe que je suis dégagé de ma tâche d’enseignement et que des événements ce seraient possiblement produits au Sénégal avec des élèves. À ce moment, je ne sais pas trop quoi penser.
Arrivé à l’école, j’apprends que mon collègue est sous enquête policière, pour des accusations à caractères sexuels sur un élève. Les gestes se seraient produits quelques heures avant le départ Dakar, lors d’une sieste. L’élève s’est confié à une intervenante de l’école, le lundi 12 mars en après-midi, ce qui déclenchera l’enquête. Je suis sous le choc.
Dans la nuit suivante, je me réveille en pleurs au beau milieu de la nuit. Je me présente à l’école, je passe une matinée difficile en compagnie de la travailleuse sociale, madame Guylaine Bouchard. Elle me dirige vers le service d’aide au personnel. J’obtiens un rendez-vous chez une psychologue, le mardi 20 mars. En après-midi, toujours le jeudi 15 mars, je rencontre la sergent-détective, madame Linda De Laplante, ainsi que la représentante de la Direction de la Protection de la Jeunesse. L’écriture de ma déposition durera plus de trois heures.
Le lendemain, vendredi 16 mars, je rencontre le Dr Poulin à l’urgence, ce qui confirme la demande à la CSST. Il me réfère aussi à mon médecin de famille, le Dr Denis Proulx. Mon rendez-vous est fixé au 4 avril.
Entre temps, je suis contrains au silence complet. C’est-à-dire, que je ne peux parler de la situation à mon environnement, amis, connaissances, voisins, qui me questionnent sur le stage, qui veulent avoir mes impressions. Je m’empêche donc de reprendre une vie sociale normale… Ce silence est obligatoire tant que les accusations ne seront pas publiques. Finalement, les accusations tomberont le vendredi 23 mars, au palais de justice de Longueuil. M. Go... est accusé, selon article 153, d’exploitation sexuelle. Le tout passera dans les médias télévisés le 29 mars et sera repris dans la revue «Dernière heure», édition du 14 avril. Suite au plaidoyer enregistré de non-culpabilité, l’accusé repassera en cours le 7 mai.
Vous comprendrez que tout le milieu est très touché par cette affaire. L’accusé y œuvrait depuis une quinzaine d’année. Les collègues, les professionnels, l’administration, les élèves, les parents, tous ressentent un sentiment de consternation, un effet de choc, un énorme questionnement. Nécessairement, la victime, les autres élèves du stage ainsi que moi-même sommes davantage concernés.
Personnellement, une foule d’émotions m’habitent : la rage, la culpabilité, le sentiment d’avoir été manipulé, l’incompréhension. Je dois donc vivre une situation qui m’éclabousse professionnellement et personnellement. Que je le veuille ou non, je suis impliqué sans le vouloir dans la possible réalisation d’un crime, qui comme père et enseignant touche mes racines profondes, je suis bouleversé et sans mots. En fait, ce sont ces mots que je cherche et qui traînent dans ma tête pratiquement jour et nuit.» [sic]
[15] Le 30 avril 2007, le Dr Proulx pose le même diagnostic et mentionne que l’anxiété commence à diminuer chez le travailleur. Il demande à revoir le travailleur le 8 juin 2007.
[16] Le 29 mai 2007, le Dr Proulx pose cette fois le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse, note que le travailleur « évolue bien » et indique « RAT définitif le 18 juin 2007.
[17] Le 8 juin 2007, la CSST accepte la réclamation du travailleur et reconnaît qu’il a subi le 15 mars 2007 une lésion professionnelle, à savoir un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse. Cette décision n’est pas contestée.
[18] Le tribunal n’a pas retrouvé au dossier cette décision de la CSST. Toutefois, dans sa note du même jour, l’agent Parent écrit ceci au soutien de sa décision d’accepter la réclamation du travailleur:
« Étude de l’admissibilité
Considérant le Dx de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse;
Considérant que la situation vécue, au retour de voyage (projet scolaire), dépasse le cadre normal du travail;
Considérant qu’en s’engageant dans ce projet scolaire, T ne pouvait pas considérer ou se douter de la situation à venir;
Considérant qu’il s’agit d’une situation complètement hors du contrôle de T;
Considérant qu’il y a présence d’un événement imprévu et soudain;
Considérant que le dx est en relation avec l’événement vécu au retour de voyage, avec la situation hors du contrôle de T et qui dépasse le cadre normal du travail »
[19] Le 20 juin 2007, l’employeur présente une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 326 de la loi, invoquant que la lésion professionnelle subie par le travailleur T... est « attribuable à un tiers ».
[20] Le 24 janvier 2008, la CSST refuse la demande de transfert de coûts de l’employeur. Cette décision sera confirmée le 24 septembre 2008 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[21] Monsieur M... L..., directeur au sein de la Commission scolaire A depuis huit ans, témoigne pour l’employeur. Monsieur L... est actuellement directeur à l’école B, mais il occupait le poste de directeur à l’école A au moment des événements en cause.
[22] Il témoigne du fait que le travailleur a participé au projet mis en place par monsieur Go..., précisant que ce type de projet est organisé aux deux ans à l’école. Il ajoute que celui auquel a participé le travailleur s’est effectivement tenu du 16 février au 9 mars 2007, soit en partie dans la semaine de relâche prévue au calendrier scolaire.
[23] Monsieur L... explique qu’au retour du voyage humanitaire au Sénégal, le travailleur s’est présenté au travail le 12 mars 2007. Monsieur L... a discuté avec lui du voyage et le travailleur lui a fait part du fait « qu’il avait trouvé le voyage ardu » en raison des lourdes responsabilités que cela entraînait pour lui. Monsieur T... a également indiqué au directeur L... avoir rencontré quelques pépins, tels le fait « d’avoir perdu un jeune » pour quelques instants et que certains malaises de santé se sont produits, tels des piqûres et la « tourista ».
[24] Par ailleurs, le témoin L... ajoute que lors de cette conversation, le travailleur lui a mentionné ne pas avoir « apprécié l’attitude de monsieur Go... » au Sénégal, notamment du fait qu’il jugeait que celui-ci avait été « hautain avec les Sénégalais », qu’il avait fait preuve, à son avis, d’une consommation excessive d’alcool et qu’en définitive, « il s’était déchargé de ses responsabilités du voyage » en les mettant sur le travailleur.
[25] Le directeur L... a indiqué au travailleur qu’il avait pris note de ses commentaires et qu’un suivi serait effectué de sa part.
[26] Monsieur L... témoigne de la suite des événements.
[27] Le témoin indique que le travailleur ne s’est pas présenté au travail le 13 mars, ayant demandé et obtenu un congé.
[28] Le 13 mars 2007, le directeur L... est informé par une responsable du service de l’encadrement scolaire qu’un étudiant ayant pris part au voyage communautaire au Sénégal lui a dénoncé avoir été victime de gestes de la nature d’une agression sexuelle lors du voyage.
[29] Monsieur L... explique que des mesures exceptionnelles sont mises en place dès ce moment : l’étudiant est immédiatement pris en charge par le personnel de l’école; un appel est logé auprès des policiers; une réunion de crise est tenue à laquelle participent la psychologue de l’école et divers intervenants du CLSC.
[30] Le 13 mars 2007 en soirée, Monsieur L... informe monsieur Ma... Go... que des allégations d’agression sexuelle ont été formulées à son endroit. Monsieur L... somme monsieur Go... de n’avoir aucune communication avec des élèves et lui demande de demeurer à la maison jusqu’à nouvel ordre.
[31] Par la suite, monsieur L... téléphone au travailleur. Il l’informe de la situation à l’égard de monsieur Go... et lui demande de se présenter à lui dès son arrivée à l’école.
[32] Le 14 mars 2007, monsieur L... rencontre le travailleur. Monsieur L... mentionne qu’au cours de la rencontre, le travailleur lui a indiqué se « sentir coupable » du fait qu’il n’avait « rien vu » des événement allégués par l’étudiant.
[33] Le témoin ajoute que le travailleur a ensuite rencontré une intervenante du CLSC et qu’il a été « encadré » et supporté, notamment dans le cadre du programme d’aide aux employés.
[34] Au terme de sa rencontre avec lui, le directeur L... a « libéré le travailleur de sa tâche éducative » et lui a demandé de se rendre disponible pour les policiers. Le travailleur a effectivement donné une déposition aux policiers et, le 23 mars 2007, monsieur L... était informé que des accusations criminelles étaient déposées contre monsieur Ma... Go.... À sa connaissance, le procès a débuté et n’est toujours pas terminé à ce jour.
[35] Le témoin explique que ces événements ont requis qu’il fasse parvenir de la correspondance informative à la fois à l’interne (au membre du personnel de l’école) et aux parents concernés. Il dépose des lettres à cet effet, datées du 16, du 23 et du 28 mars 2007, ainsi que du 17 avril et du 3 mai, lettres proposant des rencontres aux parents, et du 30 mai 2007, pour les membres du personnel.
[36] Monsieur L... termine son témoignage en indiquant que depuis qu’il est directeur au sein d’écoles de la Commission scolaire A, soit depuis huit ans, il n’a jamais vécu une situation de crise de cette nature.
[37] Monsieur D… G…, conseiller en gestion du personnel chez l’employeur, dépose au tribunal divers documents pertinents.
[38] À l’aide de ceux-ci, le témoin indique que l’employeur est classifié par la CSST dans l’unité de classification 60100, au titre d’enseignement primaire, secondaire ou professionnel et qu’il est cotisé à un taux personnalisé de 0,86 $/100 $ de masse salariale assurable dans le cadre du régime rétrospectif qui s’applique à ses activités.
[39] Monsieur G... explique que dans le cadre de l’application de ce régime, lors de l’ajustement final, la lésion professionnelle du travailleur, laquelle a entraîné une absence du travail du 15 mars 2007 au 18 juin 2007, entraînera un coût total de 33 105,07 $.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[40] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert des coûts qu’il réclame. L’employeur invoque l’article 326 de la loi :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[41] On retrouve au second paragraphe de l’article 326 deux situations d’exception au principe général d’imputation des coûts, principe formulé au premier paragraphe :
- le cas de l’imputation pour un accident attribuable à un tiers;
- le cas d’un accident du travail pour lequel l’imputation des coûts a pour effet « d’obérer injustement » l’employeur.
[42] Dans les deux cas, le dernier paragraphe de l’article 326 édicte que la demande d’un employeur invoquant l’application des exceptions de l’article 326 (2) doit être faite dans l’année de l’accident. En l’espèce, la demande de l’employeur ayant été produite le 20 juin 2007 alors que l’accident du travail a eu lieu le 15 mars 2007, il s’ensuit que le délai indiqué à la loi pour présenter une demande a été respecté.
[43] D’emblée, le tribunal souligne que dans sa demande initiale à la CSST, l’employeur invoquait que la lésion professionnelle du travailleur avait été causée « par la faute d’un tiers ». C’est sur cette seule base que la CSST, tant initialement que lors de sa décision en révision administrative, a refusé la demande de l’employeur, et ce, au motif que cette lésion n’était pas « attribuable à un tiers », le travailleur Go..., responsable des événements en cause, n’étant pas « un tiers » par rapport à l’employeur.
[44] Le tribunal partage, à cet égard, l’avis de la CSST.
[45] Toutefois à l’audience, la représentante de l’employeur n’invoque plus cette situation de la « faute d’un tiers » au soutien de sa demande, mais plutôt le fait que l’employeur est « obéré injustement », situation également prévue par les dispositions de l’article 326 de la loi.
[46] La Commission des lésions professionnelles a déterminé à de nombreuses reprises qu’elle avait les entiers pouvoirs de disposer d’une requête même si l’employeur n’allègue pas devant elle l’application du même article de loi que celui invoqué initialement auprès de la CSST. A fortiori, le tribunal croit que le même raisonnement doit s’appliquer lorsqu’il est question d’une autre modalité de transfert de coûts prévu au même article de la loi que celui invoqué initialement.
[47] Dans l’affaire Pâtisserie Chevalier inc.[2], la juge Sénéchal écrivait ceci :
« [75] Par conséquent, lorsque le tribunal est valablement saisi d’un recours formé en vertu de l’article 359 de la Loi et que dans le cadre de sa preuve ou de son argumentation, l’employeur soumet une façon nouvelle d’évaluer sa demande initiale d’imputation, le tribunal ne croit pas que cette demande soit une encoche à sa compétence mais plutôt une référence au caractère « de novo » du processus de contestation et surtout l’occasion pour le tribunal d’exercer son pouvoir d’apprécier les faits et de confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et de rendre celle qui aurait dû être rendue en premier lieu.
[76] La jurisprudence des tribunaux supérieurs10 regorge d’exemples illustrant et surtout réitérant ce caractère « de novo » du processus de contestation devant la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ou la Commission des lésions professionnelles et ce, en accord avec les principes de célérité, d’efficacité et de souplesse qui caractérisent la justice administrative.
[77] S’il est possible pour une partie de faire valoir une preuve nouvelle devant la Commission des lésions professionnelles, il est d’autant possible pour cette partie de faire valoir une argumentation nouvelle. À la seule différence qu’en l’absence de preuve nouvelle pour supporter l’argumentation nouvelle, le tribunal doit s’en tenir à la preuve colligée au dossier pour juger de la demande. Le tribunal peut alors procéder à sa propre appréciation de la preuve sans être contraint de suivre celle faite par la CSST. Dans de telles circonstances, le tribunal devra toutefois s’assurer de la validité de la demande de l’employeur, c’est-à-dire, que les formalités prévues, le cas échéant, sont respectées. »
10 Bruneau c. Centre hospitalier St-Jean et C.A.L.P. et CSST, [1997] C.A.L.P. 1874(C.A.);C.A.L.P. c. Turbide et CSST, [1997] C.A.L.P. 1375 (C.A.); Les Industries Super Métal inc. c. C.A.L.P. et CSST, [1995] C.A.L.P. 1961 (C.A.); Brière c. Laberge et CSST, [1985] R.D.J 599 (C.A.); Desruisseaux c. C.L.P. et CSST, C.S. 200-05-013595-009, 27 septembre 2000, j. Bouchard; Fortin c. C.L.P. et CSST, C.S. 200-05-012812-009, 23 mars 2000, j. Walters; Légaré c. C.A.L.P., [1989] C.A.L.P. 685 (C.S.)
[48] Ce principe a été repris de façon constante par la suite[3] et le tribunal partage entièrement les avis émis dans ces affaires.
[49] En l’espèce, la demande de l’employeur ayant été présentée « dans l’année suivant la date de l’accident » et, pour reprendre l’expression utilisée dans l’affaire Chevalier, précitée, « les formalités prévues, le cas échéant, étant respectées », le tribunal entend donc déterminer si l’employeur a droit au partage demandé en vertu de l’article 326 de la loi du fait que l’imputation des coûts de la lésion subie par le travailleur T... aurait pour effet de l’obérer injustement.
[50] La notion d’être « d’obéré injustement » a fait l’objet d’une importante jurisprudence au fil des années. Le tribunal fait siennes l’analyse et les conclusions de cette évolution jurisprudentielle faite par la juge Racine dans une récente décision, l’affaire CUSM-Pavillon Hôpital Général de Montréal[4] lorsqu’elle écrit :
« [7] Les termes « obérer injustement » ont fait l’objet de plusieurs interprétations depuis l’introduction de ce concept dans la loi.
[8] Ainsi, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles préconise d’abord une interprétation restrictive de ceux-ci. Elle exige alors une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière pour que l’employeur puisse bénéficier du transfert des coûts prévu au second alinéa de l’article 326 de la loi 2.
[9] Toutefois, cette notion évolue vers une interprétation plus libérale où, dorénavant, « toute somme qui ne doit pas pour une question de justice être imputée à l’employeur, l’obère injustement »3 .
[10] Cependant, cette interprétation ne fait pas l’unanimité. Entre autres, dans l’affaire Cegelec Entreprises (1991) ltée et la CSST4 , le Tribunal, sans exiger une preuve de faillite ou de situation financière précaire, juge tout de même que l’article 326 de la loi « doit être lu dans son ensemble et que le mot « injustement » doit être lu en corrélation avec le terme « obéré » qui comporte une signification financière ». Il exige donc une preuve de nature financière pour appliquer cet article.
[11] Enfin, dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des transports du Québec5 , la Commission des lésions professionnelles tente de réconcilier ces courants en proposant une troisième avenue. Elle détermine que, pour obtenir un transfert des coûts au motif qu’il est obéré injustement, « l’employeur a le fardeau de démontrer une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter » et « une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause ».
[12] Après avoir considéré les différents courants jurisprudentiels, la soussignée est d’avis qu’imposer à l’employeur une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière, pour conclure qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi, a pour effet de rendre cet article inapplicable à la majorité de ceux-ci. En effet, plusieurs employeurs prospères auront peine à prétendre que l’imputation de coûts à leur dossier, même exorbitants, les conduit à une situation financière précaire ou leur impose une lourde charge. Or, une loi doit être interprétée de façon à favoriser son application. C’est pourquoi la soussignée ne peut retenir une interprétation aussi restrictive.
[13] Il faut toutefois se garder de généraliser et prétendre que toute lésion professionnelle générant des coûts élevés obère injustement l’employeur. L’imputation au dossier d’expérience de ce dernier doit également être injuste. Dans un tel contexte, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il assume certains coûts, mais il doit également démontrer qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances. La soussignée ne retient donc pas les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposé dans l’affaire Location Pro-Cam. Elle préfère laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce. Cette interprétation est certes imparfaite; elle n’impose pas de recette miracle, mais elle permet d’apprécier chaque cas à son mérite.
[…]
[27] La Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur a raison et que les coûts générés du 10 juin au 27 novembre 2006 doivent être retranchés de son dossier d’expérience.
[28] En effet, le texte de l’article 326 de la loi parle d’imputation ayant pour effet d’obérer injustement l’employeur. Le législateur n’y décrit aucune situation spécifique orientant vers une telle « obération ». Outre les mots utilisés, il ne prévoit aucune limite, ni aucun encadrement particulier. Il ne restreint pas son application aux cas d’assignation temporaire interrompue par une maladie intercurrente. En fait, le législateur énonce, en termes généraux, une des façons dont l’employeur peut se voir décharger des coûts et il laisse aux décideurs le soin d’apprécier les circonstances propres à chacun des cas portés à leur attention et de déterminer si celles-ci correspondent aux termes employés dans cet article. » (Les soulignements sont du tribunal)
2 Voir à ce sujet : Standard Paper Box Canada inc. et Picard, C.A.L.P. 01364-60-8611, le 14 août 1987, M.-C. Lévesque; Howard Bienvenu inc. et Fournier, C.A.L.P. 07209-08-8804, le 27 février 1990, R. Brassard; Transport Cabano Expéditex et Lessard [1991] C.A.L.P. 459 ; CSST et Société canadienne de métaux Reynolds, C.A.L.P. 41245-09-9206, le 25 mars 1994, M. Renaud; Thiro ltée et Succession Clermont Girard [1994] C.A.L.P. 204 ; Protection Viking ltée et Prairie, C.A.L.P. 51128-60-9305, le 2 février 1995, J.-C. Danis, (révision rejetée le 15 novembre 1995, N. Lacroix).
3 C.S.Brooks Canada inc., C.L.P. 87679-05-9704, le 26 mai 1998, M. Cuddihy; Corporation d’urgences santé de la région de Montréal-Métropolitain, C.L.P. 89582-64-9706, le 19 novembre 1998, M. Montplaisir.
4 C.L.P. 85003-09-9701, le 11 juin 1998, C. Bérubé.
5 C.L.P. 114354-32-9904, le 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.
[51] Tout comme la juge Racine, le soussigné ne retient pas les critères et l’encadrement proposés par l’affaire Location Pro-Cam, critères qui ne permettent pas, de l’avis du soussigné, d’apprécier pleinement la question de l’injustice dont peut être victime un employeur.
[52] Pour le soussigné, exiger de l’employeur qu’il démontre qu’une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice « est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause » a pour effet de rendre inapplicable, pour une foule de situations, la notion même d’être obéré injustement. De l’avis du soussigné, ce n’est pas parce qu’une somme injustement imputée a peu d’impact sur la valeur totale d’un dossier qu’elle est pour autant « moins injuste ».
[53] Le tribunal partage également l’avis de la juge administratif Montplaisir qui, après avoir retenu l’approche proposée par la juge Racine exposée précédemment, concluait ainsi :
« [18] La soussignée retient cette dernière approche et considère que lorsqu'il demande un transfert d'imputation pour le motif qu’il a été obéré injustement, un employeur doit, en plus de démontrer qu’il a subi une injustice, présenter une preuve relativement à l'impact financier de l'imputation du coût des prestations dont il est question dans le dossier en litige. Il reviendra alors au tribunal d'évaluer si, selon les circonstances propres à ce dossier, cet impact financier correspond à la notion « d'obérer » dont il est question à l'article 326. »[5]
(Les soulignements sont du tribunal)
[54] Le soussigné est également d’avis qu’un employeur qui invoque être obéré injustement par l’imputation des coûts dans un dossier doit donc, en plus de démontrer qu’il subit une injustice, présenter une preuve relativement à l’impact financier qui résulte de cette imputation. Toutefois, pour le soussigné, ce n’est pas par le seul impact financier en question que s’évalue « l’injustice subie », mais cela devient l’un des critères à considérer dans l’équation.
[55] Quant à la notion d’injustice elle-même, le tribunal constate que l’article 326 de la loi y réfère à la fois en ce qui a trait à l’imputation des coûts d’une lésion qui est « attribuable à un tiers » que dans le cas d’une imputation ayant pour effet « d’obérer injustement » un employeur.
[56] La jurisprudence reconnaît que la notion d’être obéré injustement est intimement liée à celle de l’injustice. La jurisprudence récente du tribunal est également à l’effet que le critère de « l’injustice » en question doit être interprété de la même façon, qu’il s’agisse d’une situation « d’obération injuste » ou d’un cas résultant de la faute d’un tiers. Dans l’affaire Centre de santé et de services sociaux de Rivière-du-Loup[6], la juge Desbois écrit ceci :
«[19] Quoi qu’il en soit, le fait d’être « obéré » est toujours très intimement lié au critère d’injustice.
[20] Le tribunal souligne que le critère d’injustice est le même lorsqu’il est question de la première exception de l’article 326, soit le fait de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, que lorsqu’il est question de la seconde exception, soit celle qui est visée en l’instance et qui concerne le fait d’obérer injustement un employeur.
[21] Or, bien que la jurisprudence soit distincte selon que la première ou la seconde exception est en cause, le tribunal ne voit pas comment ce même critère d’injustice pourrait, en toute logique, être abordé différemment dans l’un et l’autre cas : le même terme est en effet employé, dans la même disposition et dans le même contexte d’exception au principe général. »
[57] Or, la jurisprudence a également interprété la notion d’injustice que l’on retrouve à l’article 326 de la loi. Dans l’affaire Ministère des transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[7], après une revue exhaustive de la jurisprudence et de la législation pertinente, la Commission des lésions professionnelles a retenu que plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du deuxième alinéa de l'article 326 aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[58] Le tribunal écrit ceci quant aux critères servant à déterminer si l’employeur subit une « injustice »:
« [330] L’analyse de la jurisprudence permet de constater que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert de coûts.
[331] Ainsi, dans les cas où l’accident est dû à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées, l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.
[332] Si le législateur n’avait pas voulu qu’il soit remédié à de telles situations, il n’aurait tout simplement pas prévu l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 326.
[333] D’autres critères, en sus de celui tenant compte du risque inhérent à l’ensemble de ses activités, sont donc nécessaires pour apprécier correctement l’effet juste ou injuste de l’imputation à l’employeur.
[334] Le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine d’un accident du travail doit s’apprécier in concreto, c’est-à-dire à la lumière du contexte particulier qui les encadre. Ce qui, dans un secteur d’activités donné, est monnaie courante deviendra, en d’autres occasions, un véritable piège, voire un guet-apens.
[335] En effet, les mêmes circonstances ne revêtiront pas toujours le même caractère d’exception, selon le genre d’activités exercées par l’employeur, la description de l’unité de classification à laquelle il appartient, la tâche accomplie par le travailleur, les lieux du travail, la qualité, le statut et le comportement des diverses personnes (dont le tiers) impliquées dans l’accident, les conditions d’exercice de l’emploi, la structure de l’entreprise, l’encadrement du travail, l’éventuelle contravention à des règles (législatives, réglementaires ou de l’art) applicables en semblables matières, la soudaineté de l’événement, son degré de prévisibilité, etc.
[…]
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
(Les soulignements sont du soussigné)
[59] Qu’en est-il en l’espèce?
[60] L’employeur est classifié à la CSST au titre d’un établissement d’enseignement primaire, secondaire ou professionnel.
[61] De son côté, le travailleur exerce une tâche d’enseignant. Il participe à un voyage organisé au Sénégal durant la période visée par la relâche scolaire, dans le contexte d’une activité que le tribunal n’hésite pas à qualifier de « parascolaire » puisqu’elle met à contribution à la fois du personnel de l’école et des étudiants, pendant la durée de l’année scolaire.
[62] Au retour de cette activité, le travailleur est informé par la direction de l’école que des allégations d’agression sexuelle sur un des étudiants ayant participé au voyage ont été faites à l’encontre du collègue du travailleur. Les gestes reprochés au collègue se seraient produits au Sénégal. Toute une procédure d’enquête est mise en branle à la fois par l’école et par les policiers.
[63] Le travailleur est, à son corps défendant, partie à l’ensemble du processus d’enquête, étant tenu au silence jusqu’à ce que des accusations criminelles soient portées contre le collègue quelques jours plus tard.
[64] Le travailleur se sent « coupable de n’avoir rien vu » et la situation stressante qui découle de l’enquête et de l’ensemble de la crise l’amène à consulter, à obtenir un suivi auprès d’un psychologue et à présenter une réclamation à la CSST qui, à juste titre, reconnaît qu’il a subi une « lésion professionnelle » à compter du 15 mars 2007.
[65] De l’avis du tribunal, à la lumière des critères définis dans l’affaire Ministère du Transport, précitée, les causes de « l’accident du travail » du travailleur T... ne relèvent pas des « risques particuliers inhérents ou reliés à l’ensemble des activités de l’employeur » et le coût des prestations qui en découle ne doit pas lui être imputé.
[66] Le tribunal reconnaît que les risques inhérents aux activités de l’employeur sont fonction de la nature de ses activités, soit l’enseignement, et que l’on devrait y inclure, de façon générale, les coûts afférents à toute lésion professionnelle subie par un de ses travailleurs dans le cadre de ses activités.
[67] En l’espèce, le tribunal ne peut dissocier l’activité parascolaire ayant consisté en l’organisation d’un voyage humanitaire au Sénégal de la nature des activités de l’employeur, soit l’enseignement. De l’avis du tribunal, une telle activité, dans le contexte de l’organisation, se veut certes, d’un point de vue global, « éducative ».
[68] Aussi, si un travailleur se blesse dans le cadre même de cette activité parascolaire, il en résultera pour lui, sauf exception (par exemple si la lésion découle d’une négligence grossière et volontaire de la part du travailleur), une lésion professionnelle.
[69] Pour donner un exemple simple, si le travailleur T... s’était blessé en chutant au Sénégal, ou en soulevant une valise utilisée dans le cadre du voyage, le tribunal n’aurait pas hésité à reconnaître que les coûts afférents à cette lésion devraient être imputés au dossier de l’employeur.
[70] Mais telle n’est pas la situation en cause. Le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle dans le cadre de l’activité parascolaire à laquelle il a participé.
[71] Sa lésion professionnelle résulte des conséquences attribuables au stress engendré par la divulgation, au retour du voyage, du fait que le collègue qu’il avait accompagné au Sénégal aurait posé, lors du voyage, des gestes de nature sexuelle à l’encontre d’un des étudiants. Elle résulte également du stress engendré par l’enquête policière qui s’en est suivie.
[72] De l’avis du tribunal, bien que la lésion professionnelle du travailleur ne résulte pas d’une infraction criminelle dont il aurait lui-même été victime, elle découle de la divulgation d’un comportement de nature criminelle de la part de son collègue.
[73] Un geste de nature criminelle demeure l’apanage de son seul auteur. Lorsqu’un tel geste se produit dans le contexte où l’activité économique de l’employeur est l’enseignement, il ne s’agit certes pas pour l’employeur d’un risque inhérent à cette activité.
[74] Dans ce contexte, du point de vue de l’employeur et à l’égard de la seule question de l’imputation des coûts à son dossier, le tribunal est d’avis qu’il s’agit d’une situation qui, d’aucune façon, ne participe à la nature de l’activité économique de l’employeur, un établissement d’enseignement.
[75] Pour paraphraser les propos du tribunal dans l’affaire Ministère du Transport, la lésion du travailleur « est due à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées » et elle peut aisément être assimilée à une situation « d’acte criminel » auquel aurait été exposé le travailleur lui-même.
[76] D’ailleurs, la CSST elle-même a clairement identifié le caractère « extraordinaire » de l’événement en cause. Le tribunal retient les propos de l’agent de la CSST lorsqu’il écrit :
« Considérant que la situation vécue, au retour de voyage (projet scolaire), dépasse le cadre normal du travail;
Considérant qu’en s’engageant dans ce projet scolaire, T ne pouvait pas considérer ou se douter de la situation à venir;
Considérant qu’il s’agit d’une situation complètement hors du contrôle de T; »
[77] Le tribunal partage entièrement les conclusions que tire, à l’égard du travailleur, l’agent de la CSST. Le tribunal croit que la situation qu’a vécue le travailleur était tout aussi incontrôlable du point de vue de l’employeur, tout comme elle ne constitue pas une situation que l’on s’attend à retrouver dans le cadre normal du travail dans une organisation scolaire. En ce sens, et du point de vue de l’employeur, on ne peut que conclure qu’il ne s’agit pas d’un risque inhérent à la nature de son activité économique.
[78] Enfin, et pour reprendre le dernier critère d’analyse retenu dans l’affaire Ministère du Transport, le soussigné est d’avis que « les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi », sont en effet rarissimes.
[79] À cet égard, le tribunal retient le témoignage du directeur L... voulant qu’en huit ans au poste de directeur, il n’a jamais connu une crise de cette nature.
[80] Dans les circonstances, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas à supporter les coûts importants qui lui ont été imputés pour la lésion du travailleur. La preuve offerte par l’employeur à ce sujet révèle que des coûts totaux de plus de 33 000 $ résulteront de la lésion au terme du calcul final de la cotisation de l’employeur dans le cadre du régime rétrospectif.
[81] Le tribunal considère que cette somme importante, dans le contexte d’une organisation scolaire, à la lumière des circonstances analysées par le tribunal et propres à l’événement lui-même, participe également au fait qu’il s’agisse d’une injustice pour l’employeur et que l’imputation à son dossier de telles sommes l’obère injustement.
[82] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête de l’employeur doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Commission Scolaire A, l’employeur, déposée le 21 octobre 2008;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 24 septembre 2008 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il y a lieu de transférer aux employeurs de toutes les unités de classification le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par monsieur Y... T... le 15 mars 2007.
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Michel Watkins |
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Me Claire Gauthier |
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AUBRY, GAUTHIER, AVOCATS |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal.
[3] Voir par exemple : La Compagnie US Coton (Canada) (La), C.L.P. 244507-62C-0409, 28 juin 2005, R. Hudon; Royal Kia, C.L.P. 378594-71-0905, 6 janvier 2010, D. Lajoie; Industries Caxton inc., 254266-04-0502, 21 septembre 2005, J.-F. Clément; R.T.C. Chauffeurs, 263297-31-0505, 29 décembre 2005, M.-A. Jobidon; Éditions Le Téléphone rouge inc., C.L.P. 339867-31-0802, 22 octobre 2008, P. Simard; Lyo-San inc. et CSST, C.L.P. 379394-64-0905, 8 avril 2010, L. Nadeau; Nortel Networks, C.L.P. 244361-62C-0409, 16 mars 2005, J.-D. Kushner (citée par l’employeur) ; Pavages St-François (1992) inc., C.L.P. 373003-03B-0903, 11 mai 2010, M. Watkins.
[4] C.L.P. 360345-71-0810, 21 octobre 2009, C. Racine; Cie A et C… C…, C.L.P. 358478-62C-0809, 6 mars 2009, C. Racine.
[5] Groupe Sécurité Garda inc. (P.E.T.), C.L.P. 377450-61-0905, 27 janvier 2010, M. Montplaisir (citée par l’employeur).
[6] C.L.P. 298077-01A-0609, 4 mars 2008, L. Desbois. Voir également dans le même sens : SGT 2000 inc. et CSST, C.L.P. 286203-01A-0603 et al., 4 juillet 2008, L. Collin ; Transport Luc Richard, C.L.P. 330652-04B-0710, 3 septembre 2008, L. Collin; Groupe de sécurité Garda inc. (P.E.T.), supra note 5; Station Mont-Tremblant (Hôtel), C.L.P. 312365-64-0703, 23 juin 2009, M. Montplaisir; Coopérative Forestière des Hautes-Laurentides, C.L.P. 335500-64-0712, 19 juin 2009, M. Montplaisir; Arrondissement Ville-Marie, C.L.P. 389213-71-0909, 26 mars 2010, Anne Vaillancourt;
[7] [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires)
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