Décision

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Charland c. Lessard

2012 QCCS 2547

JC2308

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-11-027663-067

 

 

DATE :

12 juin 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CHANTAL CORRIVEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

MONIQUE CHARLAND

Demanderesse

c.

LOUIS LESSARD

YVES SAVARD

CÉLINE LESSARD

PIERRE HÉTU

GUY LEVASSEUR

YVON LEVASSEUR

SYLVIE BINETTE

JEAN SCARPINO

PHILIPPE HEINLY

LÉO BEAUDIN

Défendeurs

et

CONCEPT ECO-PLEIN-AIR LE BALUCHON INC.

9061-7838 QUÉBEC INC.

9009-6371 QUÉBEC INC.

9146-6227 QUÉBEC INC.

9095-6822 QUÉBEC INC.

Mises en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIANT LE JUGEMENT

RENDU LE 5 JUIN 2012

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]           Monique Charland demande au Tribunal de la déclarer victime d'oppression et d'abus de droit de la part des administrateurs et dirigeants des mises en cause qui composent le Groupe le Baluchon[1].

[2]           Monique Charland allègue être victime d'oppression et d'abus en raison de l'évolution corporative du Groupe le Baluchon avec laquelle elle est en désaccord.  Elle estime avoir été empêchée d'acquérir des actions de certaines mises en cause.  Elle est d'avis que le rachat de certaines de ses actions doit être annulé.

[3]           De plus, elle réclame différents montants à titre de dommages-intérêts.

[4]           Enfin, elle demande à la Cour d'instituer une action dérivée pour et au nom des mises en cause afin d'obtenir des mesures de redressement au motif que les défendeurs n'agissent pas dans le meilleur intérêt des sociétés.

[5]           Les défendeurs et mises en cause contestent le recours, l'estimant non fondé et disproportionné.  Par demande reconventionnelle, les défendeurs réclament des dommages.

[6]           Le Tribunal conclut que Mme Monique Charland n'est pas victime d'oppression et que l'action dérivée n'est pas justifiée dans ce dossier.

LES QUESTIONS

I)             Monique Charland est-elle victime d'abus et d'oppression à titre d'actionnaire du Groupe le Baluchon de la part des défendeurs et si oui, quelles ordonnances doivent être rendues?

1)    L'évolution corporative du Groupe le Baluchon est-elle source d'oppression et d'abus?

2)    Quels sont les droits de Monique Charland aux fins d'acquérir des actions du Groupe le Baluchon?

a)    Monique Charland bénéficie-t-elle d'une stipulation pour autrui issue de la convention unanime des actionnaires de Gestion I?

b)    Les procédures de vente d'actions sont-elles opposables à Monique Charland?  Et doivent-elles être annulées?

c)    Quels sont les droits de Monique Charland d'acheter les actions de :

                                                                                      i.    Claude Lessard dans le Baluchon?

 

                                                                                    ii.    Yvon Levasseur dans Gestion I?

                                                                                   iii.    la famille Guimond dans Gestion I?

                                                                                   iv.    Philippe Heinly dans Gestion I?

3)    Monique Charland peut-elle demander l'annulation du rachat de ses actions SPEQ II converties en actions Gestion II, notamment au motif qu'il n'y a pas d'évaluation indépendante de la juste valeur marchande des actions en 2004?

4)    Monique Charland a-t-elle droit à des dommages découlant de l'oppression et de l'abus de droit qu'elle allègue?

a)    Monique Charland a-t-elle droit au remboursement par les défendeurs de ses dépenses et déboursés encourus dans le cadre du présent recours? [2]

b)    Monique Charland a-t-elle droit au remboursement par Louis et Céline Lessard et Yves Savard des honoraires de 1 481 059,95 $ de ses avocats dans le cadre du présent recours?[3]

c)    Monique Charland a-t-elle droit à 50 000 $ à titre de dommages moraux de la part des défendeurs?

d)    Monique Charland a-t-elle droit à 50 000 $ à titre de dommages punitifs de la part des défendeurs?

5)    Le Tribunal doit-il interdire aux défendeurs de se faire rembourser leurs frais de défense par les sociétés mises en cause?

6)    Le Tribunal doit-il ordonner le remboursement aux sociétés mises en cause de tous les frais professionnels encourus?

II)            L'action dérivée

1)    Monique Charland doit-elle être autorisée à instituer une action dérivée au bénéfice des mises en cause, vu le comportement des défendeurs?

2)    Si oui, selon quelles modalités?

 

III)           Les ordonnances prononcées le 12 décembre 2005 par le juge Michel Richard doivent-elles être maintenues?

IV)          La demande reconventionnelle des défendeurs, Jean Scarpino, Guy Levasseur, Pierre Hétu, Sylvie Binette, Yvon Levasseur, Philippe Heinly, Léo Beaudin, Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard doit-elle être accueillie?

1)    Le recours de Monique Charland est-il déraisonnable et abusif au sens des articles 4.1 , 4.2 , 54.1 et suivants C.p.c.?

2)    Les défendeurs ont-ils droit au remboursement de leurs frais de défense et à des dommages moraux en raison des procédures de Monique Charland?

LES PARTIES

[7]           En 1982, Concept Eco-Plein-Air le Baluchon inc. («le Baluchon») est constituée en personne morale[4] à l'initiative d'étudiants qui désirent mettre sur pied une base de plein air avec activités de randonnées en Mauricie.

[8]           Par la suite, les mises en cause sont créées afin de regrouper des investisseurs intéressés à participer au développement du Baluchon.  Les investisseurs profitent alors de certains avantages fiscaux.

[9]           À compter de leur investissement initial, les actionnaires des mises causes SPEQ I, II et III acceptent de conserver leurs actions pour une durée de cinq ans.  Après cette période, le Baluchon peut racheter les actions de ceux qui désirent se retirer. Pour les actionnaires intéressés à le demeurer, ils peuvent alors recevoir en échange des actions du Baluchon ou de Gestion I ou II selon le cas.

[10]        2868-5550 Québec inc. («SPEQ I») est constituée le 31 décembre 1991[5]

[11]        9009-6371 Québec inc. SPEQ II») est constituée le 12 septembre 1994[6] .

[12]        9061-7838 Québec inc. («Gestion I») est constituée le 27 mars 1998[7] à la suite de la fusion de SPEQ I  avec le Baluchon[8].  La création de Gestion I est dictée par la volonté de s'assurer que le nombre d'actionnaires du Baluchon soit de moins de 50.

 

[13]        9095-6822 Québec inc. («SPEQ III») est constituée le 19 septembre 2000[9].

[14]        9146-6227 Québec inc. («Gestion II») est constituée le 10 septembre 2004[10], à la suite de la fusion de SPEQ II avec le Baluchon[11].  La création de Gestion II est également liée à la volonté de limiter de nombre d'actionnaires du Baluchon à moins de 50.

[15]        Le Groupe le Baluchon est alors composé de différentes sociétés autonomes.  Le Baluchon est la société qui opère toutes les activités récréotouristiques.  Gestion I, Gestion II et SPEQ III n'ont pas d'activités propres autres que d'avoir financé un volet de l'expansion du Baluchon.

[16]        En date du 2 avril 2012, à l'issue d'un plan d'arrangement autorisé par la soussignée, Baluchon 2011[12] est créée regroupant dans une seule société, les mises en cause dont le capital action intégré comprend toutes les actions résultantes des mises en cause.

[17]        Pour sa part, Monique Charland devient actionnaire de SPEQ I le 31 décembre 1991, du Baluchon le 25 février 1994, de SPEQ II le 31 décembre 1997, de SPEQ III le 31 décembre 2000 et de Gestion II le 22 octobre 2004.

[18]        Monique Charland est administratrice de SPEQ II du 27 juin 1998 au 19 juin 2004[13] ainsi que du Baluchon et de SPEQ III du 17 juin 2001 au 19 juin 2004[14].

[19]        Louis Lessard est administrateur, directeur général du Baluchon et le président jusqu'en 2004.  Il est l’un des quatre membres du Groupe de Contrôle[15].

[20]        Yves Savard est administrateur, vice-président et directeur adjoint du Baluchon.  Il est l’un des quatre membres du Groupe de Contrôle.

[21]        Céline Lessard est administratrice et secrétaire du Baluchon.  Elle est l’une des quatre membres du Groupe de Contrôle.  Depuis le 27 mars 1998, elle est secrétaire de Gestion I et de SPEQ III.

[22]        Louis Lessard, Céline Lessard et Yves Savard («les dirigeants») sont responsables des opérations, des finances et du développement du Groupe le Baluchon.

 

[23]        Gilles Lessard est actionnaire du Baluchon et de Gestion II et jusqu'en 2004, il est président de chacune des mises en cause à l'exception du Baluchon.  Il est l'un des quatre membres du Groupe de Contrôle.  Il n'est pas partie à la présente action.

[24]        Pierre Hétu est actionnaire de Gestion I, de Gestion II et SPEQ III.  Sa compagnie, Pierre Hétu Expert-Conseil inc., est actionnaire du Baluchon.  De plus, il est administrateur du Baluchon depuis le 19 juin 2004 à titre de représentant de Gestion I, dont il est le vice-président et administrateur.

[25]        Guy Levasseur est actionnaire de Gestion I, dont il est président et l’un des quatre administrateurs depuis 2004.

[26]        En date du 9 novembre 2004, Yvon Levasseur est actionnaire de Gestion I dans laquelle il détient 1 500 actions de catégorie «A».  À cette date, Yvon Levasseur accepte de vendre 1 200 des 1 500 actions qu'il détient dans Gestion I à Monique Charland.  Le transfert n’a cependant jamais eu lieu.

[27]        Sylvie Binette est une employée du Baluchon.  Elle est actionnaire de Gestion I et de Gestion II.  Elle est également secrétaire et administrateur de Gestion I.

[28]        Jean Scarpino est actionnaire et administrateur de Gestion I.

[29]        Philippe Heinly a travaillé pendant quelques années au Baluchon.  Il est actionnaire de Gestion I jusqu'en 2005, alors qu'il vend à un tiers ses actions que Monique Charland convoite.  De plus, il est actionnaire de SPEQ III.

[30]        Léo Beaudin est actionnaire de Gestion II et de SPEQ III.  Il est administrateur du Baluchon depuis le 19 juin 2004, président et administrateur de Gestion II.  En novembre 2004, Léo Beaudin, par l’intermédiaire de sa compagnie de gestion[16], acquiert 900 actions de Gestion I détenues par la famille Guimond que Monique Charland désire acheter.

LES CONVENTIONS D'ACTIONNAIRES

[31]        Les actionnaires du Baluchon sont liés par une première convention unanime en date du 1er mai 1992[17], elle est remplacée par celle du 4 décembre 1998 complétée par l'addendum du 4 décembre 2000[18].

[32]        La convention d'actionnaires du Baluchon de 1998 est adoptée alors que le Fonds régional de solidarité Mauricie («le Fonds») devient actionnaire du Baluchon en date du 30 juin 1998.

 

[33]        Des conventions unanimes des actionnaires sont adoptées pour chacune des mises en cause[19].

CHRONOLOGIE DES FAITS

[34]        En 1982, une société sans but lucratif est formée par sept étudiants de la communauté de St-Paulin, dont Louis Lessard.

[35]        À ses débuts, le Baluchon est un club de plein air.

[36]        À compter de 1986, certains des fondateurs, dont Louis Lessard, élaborent un plan de développement qui permettra l'ouverture du Baluchon en 1990, qui comprend une auberge de 12 chambres avec restaurant et activités de plein air.

[37]        Dès 1990, Louis Lessard, Jean-Marc Gauthier et Gilles Lessard mettent sur pied une SPEQ, soit une Société de Placement dans l'Entreprise Québécoise[20].  Il s'agit d'une corporation privée dont les activités consistent à faire des placements minoritaires dans une entreprise québécoise procurant à ses actionnaires des avantages fiscaux.

[38]        SPEQ I est continuée le 31 décembre 1991 et enregistrée auprès de la Société de Développement Industriel du Québec («SDI»).

[39]        Au cours de l’année 1991, Monique Charland est approchée par Gilles Lessard, qui lui parle du centre de villégiature qu’il a mis sur pied avec ses frères dans la région de la Mauricie sous le nom de l’Auberge Le Baluchon.

[40]        Après une visite, des explications et remise d'un prospectus[21], elle décide d’investir 20 000 $ pour l’achat de 2 000 actions dans SPEQ I.

[41]        À cette époque, le Baluchon opère à perte, il s'agit donc d'un investissement très risqué.

[42]        Au cours des années qui suivent, Monique Charland réinvestit dans le Groupe le Baluchon.

[43]        Entre le 31 décembre 1991 et le 31 décembre 2000, Monique Charland fait les investissements suivants dans diverses compagnies du Groupe le Baluchon :

 

 

Date

Compagnie

Achat d’actions/ Conversion

Nombre d’actions

Sommes investies

Investissement cumulatif

31.12.91

Speq I

Souscription du trésor

2 000

20 000 $

20 000 $

25.02.94

Le Baluchon

Achat de

Jacques Lessard

1 200

12 000 $

32 000 $

31.12.97

Speq II

Souscription du trésor

3 500

70 000 $

102 000 $

01.04.98

Speq I vers
Le Baluchon

Conversion

2 000 X 0.93 = 1 860

s/o

102 000 $

13.11.98

Le Baluchon

Achat de Jean-Marc Gauthier

5 000

50 000 $

152 000 $

19.11.98

Le Baluchon

Achat de

Sylvie Paquin

155

1 860 $

153 860 $

30.11.98

Le Baluchon

Achat de Jean-Marc Gauthier

1 000

10 000 $

163 860 $

31.12.00

Speq III

Souscription du trésor

600

15 000 $

178 860 $

 

 

 

 

TOTAL :

178 860 $

·        Le Fonds : un nouvel investisseur

[44]        En 1998, le Fonds désire appuyer le Baluchon dans son développement.  En plus de consentir un prêt au Baluchon, le Fonds devient actionnaire.  Il désigne Michel Pelletier représentant au conseil d'administration du Baluchon.  Il occupe le poste de 1998 à 2005.  Avec l'arrivée du Fonds, une nouvelle convention unanime des actionnaires est signée, elle porte la date du 4 décembre 1998[22].

[45]        C'est dans cette convention que le Groupe de Contrôle, composé de Jean-Marc Gauthier[23], Céline, Gilles et Louis Lessard ainsi que Yves Savard, est créé.  Ces personnes ont droit à un poste d'administrateur, à moins de vouloir se retirer volontairement des affaires de la société.

·        Le rapport Sogesco

[46]        À l'hiver 2003, Louis Lessard confie à son frère Jacques Lessard un mandat de procéder à un audit marketing.

[47]        À cette époque, le Baluchon veut réévaluer sa place sur le marché récréotouristique.

[48]        En effet, au cours des années précédentes, le Baluchon a, à l'aide des bâtiments érigés sur le site aux fins du tournage de la télésérie Marguerite Volant, pu s'attirer une clientèle intéressée à visiter les décors.  Avec le temps, certains décors sont démolis, n'ayant pu résister aux intempéries.

[49]        Il faut donc repositionner l'image du Baluchon et définir son marché pour les années à venir.

[50]        En parallèle, un litige survient entre les propriétaires des droits liés à la télésérie Marguerite Volant et le Baluchon.  Les modalités de règlement de ce litige entraînent des tensions au sein du conseil d'administration du Baluchon. 

[51]        Le rapport Sogesco[24] est le fruit des réflexions de Jacques Lessard.  

[52]        Il contient des constats, soit cinq éléments de force et une faiblesse ainsi que des recommandations.  La plus percutante est celle mettant en lumière les tensions qui existent au conseil d'administration au sein duquel il y a des luttes de pouvoir non productives.

[53]        En effet, il existe des tensions entre Louis et Gilles Lessard.  Ce dernier qui travaille à l'extérieur est intimement lié au Baluchon par sa collaboration à l'élaboration des véhicules de financement afin d'assurer le développement de l'entreprise.

[54]        Le rapport Sogesco est remis aux dirigeants en août 2003.  Il suggère la redéfinition des rôles de chacun, soit les administrateurs, les dirigeants et les partenaires d'affaires.

[55]        Le rapport est remis uniquement aux autres membres du conseil d'administration du Baluchon dont Monique Charland en octobre 2003.

·        Le rapport Maletto

[56]        À la suite du rapport Sogesco, Michel Pelletier, le représentant du Fonds, propose l'embauche d'un consultant, Michel Maletto, pour aider le Baluchon à mettre en application différentes recommandations formulées de façon générale dans le rapport Sogesco.

[57]        Après avoir rencontré les dirigeants, les membres des conseils d'administration du Groupe le Baluchon, des actionnaires, des employés et des partenaires d'affaires, Michel Maletto remet son rapport daté du 12 février 2004[25].

[58]        La principale constatation de Michel Maletto a trait à la nécessité de redéfinir le rôle des dirigeants qui supervisent la gestion du Baluchon et le rôle des administrateurs qui doivent se pencher sur les grandes orientations du Baluchon.

[59]        Michel Maletto élabore différents scénarios qui ont pour dénominateur commun de mieux définir les rôles des uns et des autres.  Il recommande notamment de faire appel à un tiers qui ne soit ni l'un des dirigeants, administrateurs, actionnaires ou employés pour devenir le président du conseil d'administration du Baluchon et d'y remplacer Louis Lessard.  Selon Michel Maletto, Louis Lessard doit se consacrer à l'exploitation et au développement de l'entreprise.

[60]        Le 1er mars 2004, les dirigeants remettent aux membres du conseil d'administration du Baluchon une lettre par laquelle ils demandent le retrait du rapport Maletto le qualifiant de tendancieux et ne répondant pas aux objectifs fixés par le mandat confié.

[61]        Malgré cela, à la demande de Monique Charland, le rapport est déposé au conseil d'administration du 23 mars 2004[26] afin d'y être adopté.  Michel Maletto ajoute un addendum contenant neuf recommandations additionnelles à son rapport initial[27], car il est conscient que les scénarios proposés à son rapport initial semblent inacceptables pour l'ensemble du groupe.

[62]        Aux neuf recommandations de Michel Maletto, Gilles Lessard en ajoute deux.  L'on constate au procès-verbal de la réunion du 23 mars 2004 les vives tensions qui opposent les membres du conseil d'administration du Baluchon.

[63]        Gilles Lessard, Monique Charland, Michel Pelletier, Marc Lessard, Martine Lessard et Louis-Marie Paquin («le Groupe des Six») votent en bloc en faveur de la résolution visant à mettre en application les nouvelles recommandations de Michel Maletto et celles de Gilles Lessard.

[64]        À l'inverse, les dirigeants du Baluchon votent contre.  Louis Lessard déplore l'attitude du Groupe des Six qui s'oppose systématiquement à toute proposition émanant des dirigeants.  Selon lui, le Groupe des Six veut exercer une forme de contrôle du conseil d'administration du Baluchon au détriment des intérêts de la société[28].

·        La vente des actions de Claude Lessard

[65]        De façon parallèle, par une lettre du 9 février 2004, Claude Lessard met ses actions du Baluchon en vente, car il a un besoin pressant d'argent.  À la suggestion de Louis Lessard, Claude Lessard consulte son frère René-Paul qui lui remet un modèle de lettre d'offre de vente à faire parvenir aux actionnaires du Baluchon.

[66]        À cette période, Céline Lessard est en congé de maladie.  Habituellement, c'est elle qui assiste les actionnaires souhaitant vendre leurs actions par la préparation de la lettre d'offre.

[67]        La lettre d'offre de vente des actions de Claude Lessard indique que toute personne intéressée doit se manifester à l'intérieur d'un délai de 15 jours, alors que la convention des actionnaires prévoit que le délai est de 45 jours[29].

[68]        Personne ne se rend compte de l'erreur avant l'expiration du délai.  À l'intérieur du délai de 15 jours indiqué à la lettre, Patricia Brouard[30] et Louis Lessard formulent une offre d'achat à Claude Lessard et ce dernier l'accepte.  Selon la preuve, l'erreur quant au délai indiqué n'est pas attribuable à Louis Lessard ou Patricia Brouard, mais sans doute à René-Paul Lessard.

[69]          Dès l'acceptation, la transaction est conclue.  Claude Lessard reçoit son argent et le certificat de transfert des actions est enregistré.

[70]        Gilles Lessard, informé de la situation après coup, indique à Monique Charland et à Michel Pelletier que la lettre d'offre de Claude Lessard contient une erreur et que Louis Lessard a acquis les actions.  C'est alors que Gilles Lessard, Monique Charland et Michel Pelletier manifestent à Céline Lessard leur intérêt pour acquérir les mêmes actions.

[71]        Confrontée à une situation où plusieurs actionnaires manifestent un intérêt pour les mêmes actions, Céline Lessard demande une opinion juridique à ses conseillers juridiques, McCarthy, Tétrault.

[72]        La réponse de la firme d'avocats est non équivoque.  La lettre d'opinion de Me Lortie du 6 avril 2004[31] conclut à la nullité de la vente.

[73]        La vente des actions de Claude Lessard est annulée.  Ce dernier n'est pas en mesure de rembourser Louis Lessard et Patricia Brouard, car il a déjà disposé de l'argent reçu.  Une entente de prêt est convenue entre eux.  Claude Lessard remboursera le prêt consenti dès qu'il vendra ses actions.

[74]        Claude Lessard déclare avoir voulu vendre ses actions par la suite, mais qu'aucun acheteur ne s'est déclaré intéressé.  Il ajoute même avoir indiqué à Monique Charland, à l'assemblée générale des actionnaires en juin 2004, son désir de vendre.  Celle-ci ne s'est pas montrée intéressée à les acquérir.  Monique Charland nie avoir reçu une telle offre verbale.

·        La constitution de Gestion II

[75]        En date du 3 février 2004, l'étude de comptables Dessureault, Leblanc, Leclerc («DLL») élabore le plan de rachat des actions de SPEQ II dans l'ébauche de planification[32] qui deviendra le plan d'action une fois celui-ci adopté[33].     

[76]        DLL propose le même plan que celui appliqué précédemment lors du rachat des actions de SPEQ I et élaboré par Samson, Bélair, Deloitte & Touche[34] quelques années auparavant.

[77]        À la réunion du conseil d'administration du Baluchon du 3 mai 2004[35], le rachat des actions de SPEQ II est discuté.  Il est proposé de créer une nouvelle société, soit Gestion II, en marge d'une fusion de SPEQ II avec le Baluchon.  La validité de cette nouvelle société est soulevée au conseil d'administration.  Michel Pelletier indique qu'il obtiendra une opinion juridique pour le Fonds concernant la légalité de procéder ainsi.

[78]        Selon le plan, les actionnaires de SPEQ II peuvent exercer un choix.  Ils peuvent se faire racheter leurs actions ou demeurer actionnaires.  Pour que les actions puissent être rachetées, elles sont d'abord fusionnées en catégorie «C» de Gestion II.  Pour les actionnaires qui veulent le demeurer, leurs actions sont fusionnées en catégorie «A» de Gestion II ou en catégorie «D» du Baluchon.

[79]        Lors de la réunion du conseil d'administration du Baluchon du 14 juin 2004[36], les membres adoptent les procès-verbaux des réunions des 23 mars et 3 mai 2004.  Monique Charland refuse de voter.

[80]        En date du 17 juin 2004, Monique Charland démissionne à titre de membre du conseil d'administration du Baluchon et de SPEQ III[37].  Elle estime que par le jeu des procurations, elle n'a alors aucune chance d'être réélue.

[81]        Le 10 septembre 2004, Gestion II est constituée.

[82]        En date du 22 octobre 2004, Monique Charland devient actionnaire de Gestion II avec des actions de catégorie «C» rachetables[38].

[83]        Ainsi, le Baluchon rachète une première tranche d'actions.  Dans le cas de Monique Charland, la moitié de ses 44 205 actions de catégorie «C» de Gestion II est rachetée.  Une seconde tranche doit être rachetée plus tard.

[84]        Dès le 25 octobre 2004, Monique Charland écrit à Céline Lessard[39] afin de protester contre la valeur du rachat de ses actions dans SPEQ II.

[85]        Le 29 octobre 2004[40], l'étude McCarthy, Tétrault répond à Monique Charland contestant sa façon d'évaluer la valeur de ses actions dans SPEQ II.  Monique Charland y voit là une déclaration d'intimidation.

[86]        Le 1er novembre 2004, le Baluchon et SPEQ II fusionnent[41].  Monique Charland refuse de signer les résolutions constatant la fusion[42].

[87]        Le 3 novembre 2004, Monique Charland engage ses avocats Paquette, Gadler[43].

[88]        La convention unanime des actionnaires de Gestion II est signée peu après et porte la date du 31 décembre 2004 et Monique Charland refuse de la signer.

·        Le désir de Léo Beaudin d'acheter des actions de Gestion I

[89]        En 2004, Léo Beaudin vend son entreprise de fabrication de meubles et il veut investir son capital.

[90]        À la suite d'une réunion du conseil d'administration du Baluchon en septembre 2004, il est approché par Céline Lessard qui cherche un acheteur pour racheter les actionnaires qui désirent vendre leurs actions, soit Claude Lessard, Yvon Levasseur, la famille Guimond et Philippe Heinly (les «Petits Actionnaires»).  Étant donné que le Baluchon a grandement bénéficié de leur appui, les dirigeants veulent les aider à vendre.

[91]         Dès la mi-octobre 2004, Léo Beaudin prend la décision d'acquérir les actions des Petits Actionnaires.

·        Les tentatives de Monique Charland de devenir actionnaire de Gestion I

[92]        Le 9 novembre 2004, Monique Charland décide de se procurer des actions de Gestion I.  À cette époque, elle vient tout juste de confier un mandat à ses avocats.  Elle souhaite acquérir les actions d'Yvon Levasseur mises en vente à la fin de l'été 2004 par l'envoi de la lettre[44].  Elle souhaite également acquérir les actions de la famille Guimond mises en vente en date du 5 septembre 2004[45] et un peu plus tard, celles de Philippe Heinly.

·        Les actions d'Yvon Levasseur

[93]        Le 9 novembre 2004, Monique Charland contacte par téléphone Yvon Levasseur concernant la vente de ses 1 500 actions.  Celui-ci lui dit qu'il veut en vendre 1 200.  Monique Charland l'informe qu'elle viendra à son lieu de travail pour conclure la transaction le jour même.  Quelques heures plus tard,  Monique Charland remet à Yvon Levasseur un chèque de 19 200 $ et lui demande d'endosser son certificat d'actions aux fins de transfert.

[94]        Au même moment, Céline Lessard retourne un appel logé par Yvon Levasseur le matin même.  Il lui explique qu'il vend 1 200 actions à Monique Charland.  Céline Lessard indique son étonnement quant à cette façon de procéder.

[95]        Céline Lessard demande aussitôt à parler à Monique Charland.  Elle lui déclare que la procédure n'a pas été suivie et qu'elle doit signer la convention unanime des actionnaires.  Monique Charland lui répond qu'elle est disposée à venir signer la convention dès que possible et qu'en ce qui concerne le certificat d'actions, elle lui remettra à la première occasion.  Après l'entretien téléphonique, Yvon Levasseur se rend à la Caisse Populaire de St-Paulin pour déposer le chèque reçu de Monique Charland.

[96]        Peu après, Yvon Levasseur reçoit la visite à son lieu de travail de Léo Beaudin qui est informé de la vente.  Ce dernier quitte, s'entretient avec Céline Lessard puis revient rencontrer Yvon Levasseur.  Léo Beaudin indique alors à ce dernier qu'il est étonné de la vente de ses actions à Monique Charland, car elles lui sont promises.  Léo Beaudin ajoute que ça ne restera pas là et que les avocats vont s'en mêler.

[97]        Yvon Levasseur retourne aussitôt à la Caisse Populaire et réussit à retirer le dépôt de 19 200 $ qu'il vient tout juste d'effectuer.

[98]        En après-midi le 9 novembre 2004, Monique Charland se rend au Baluchon en présence de ses avocats.  Elle veut obtenir copie d'une série de documents corporatifs demandés à Céline Lessard quelque temps auparavant afin d'avoir un plus grand éclairage sur la structure corporative du Groupe le Baluchon.

[99]        Monique Charland et Céline Lessard n'abordent pas la question de la vente des actions d'Yvon Levasseur, lors de cette rencontre de remise de documents.

[100]     Peu après, Yvon Levasseur parle à Louis Lessard et lui explique ce qui s'est passé.  Ce dernier suggère qu'une lettre soit rédigée informant Monique Charland qu'il renonce à la vente.  Une lettre datée du 12 novembre 2004[46] est adressée à Monique Charland sous la signature d'Yvon Levasseur.  Cette lettre est composée par Céline Lessard en fonction des explications données par ce dernier sur les circonstances de la vente des actions et de son désir de ne pas y donner suite.

[101]     Malgré ce qui est indiqué à la lettre, Yvon Levasseur reconnaît[47] qu'en tout temps, Monique Charland est polie avec lui et qu'elle n'est pas agressive.  Cependant, il se sent pressé d'agir par cette dernière et se sent inconfortable.

[102]     Par la suite, Monique Charland écrit à Céline Lessard pour lui demander de faire approuver par le conseil d'administration le transfert des actions d'Yvon Levasseur et de l'inscrire au registre des actionnaires[48].

[103]     Céline Lessard explique par courriel à Monique Charland qu'elle ne peut donner suite à la transaction, vu la volte-face d'Yvon Levasseur et que de toute façon, la procédure n'a pas été suivie.  Le 26 novembre 2004, Céline Lessard envoie la procédure de vente d'actions de Gestion I[49] à Monique Charland.  Cette dernière déclare ne jamais avoir vu au préalable une telle procédure écrite.

[104]     Les actions d'Yvon Levasseur n'ont jamais été transigées.  En effet, Yvon Levasseur indique lors de son interrogatoire préalable qu'il attend l'issue du procès pour décider à qui il vend ses actions.

[105]     Par ailleurs, vu la mise en place du plan d'arrangement, Gestion I s'est engagée à ce que Baluchon 2011 émet 1 200 actions à Monique Charland, si le Tribunal lui donne raison afin de permettre à Yvon Levasseur de pouvoir disposer de ses actions conformément au plan d'arrangement.  Monique Charland accepte de payer le prix des actions, soit la somme de 19 200 $ qu'elle a consignée au greffe par dépôt judiciaire en date du 4 novembre 2005[50]

·        La vente des actions de la famille Guimond

[106]     Le 9 novembre 2004, Monique Charland tente à multiples reprises et dans les deux jours qui suivent de communiquer avec Jacques Guimond afin d'acquérir les 900 actions mises en vente par la famille Guimond depuis le 5 septembre 2004[51].  La ligne téléphonique de Jacques Guimond est constamment occupée, Monique Charland n'établit jamais le contact.

[107]     Dès le 10 novembre 2004, Jacques Guimond est rejoint par Céline Lessard à son lieu de travail et cette dernière l'informe que Léo Beaudin est prêt à donner suite à son engagement d'acquérir ses actions.  Ainsi, Jacques Guimond doit réunir ses deux sœurs au Baluchon pour compléter le tout.  La vente des 900 actions de la famille Guimond est conclue le jour même en présence de Céline Lessard, des trois vendeurs et de l'acheteur, Léo Beaudin[52].

·        La vente des actions de Philippe Heinly

[108]     Philippe Heinly est un employé du Baluchon qui en septembre 2004, décide de retourner en France avec sa famille.  Dès lors, il indique à Céline Lessard qu'il souhaite vendre ses actions dans le Baluchon, puisqu'il a besoin d'argent pour se relocaliser.  Céline Lessard lui explique la procédure.

[109]     Par la lettre du 26 novembre 2004[53], Philippe Heinly offre de vendre ses actions dans Gestion I, uniquement aux actionnaires de cette dernière en plus du Fonds.  La lettre n'est pas acheminée aux actionnaires du Baluchon, dont Monique Charland.  Il s'agit d'un des motifs de reproche de cette dernière.

[110]     Monique Charland communique directement avec Philippe Heinly en Europe et lui manifeste son intérêt à acquérir ses actions.  Elle ne reçoit jamais la lettre d'offre de ce dernier.

[111]     Philippe Heinly correspond avec Céline Lessard par courriel[54].  Les échanges révèlent que cette dernière veut s'assurer que la vente des actions de Philippe Heinly soit conforme à la procédure de vente d'actions avec son intervention à titre d'agent de transfert.

[112]     Plusieurs mises en demeure sont acheminées aux dirigeants et aux entreprises par Monique Charland et ses avocats qui posent un nombre élevé de questions[55].  Ils allèguent l'oppression, l'abus, la privatisation du Baluchon, vu l'empêchement de Monique Charland d'acquérir les actions d'Yvon Levasseur, de la famille Guimond, de Philippe Heinly et de Claude Lessard en plus de remettre en question la validité des SPEQ.

[113]     Les avocats de Monique Charland annoncent également qu'ils veulent entreprendre une action dérivée.

[114]      L'avocat des mises en cause répond par la lettre du 23 décembre 2004[56] qu'une action dérivée n'est aucunement fondée.  Il propose de procéder par une requête en jugement déclaratoire afin d'éclaircir la portée de la convention unanime des actionnaires de Gestion I, estimant qu'il s'agit là du seul enjeu qui oppose véritablement les parties.

[115]     Dans cette lettre, Me Lortie propose de ne pas procéder à la vente des actions de Philippe Heinly tant que la question de l'interprétation de la convention unanime des actionnaires de Gestion I n'aura pas été tranchée par un tribunal ou par accord entre les parties.

[116]     Cette proposition n'est pas acceptée par les avocats de Monique Charland.

·        L'agent de transfert et les procédures de vente d'actions

[117]     Le 11 janvier 2005[57], les actionnaires sont informés que Céline Lessard agira dorénavant comme agent de transfert.  Le conseil d'administration du Baluchon approuve la nomination le 23 mars 2005[58].

[118]     Il y a alors dépôt au conseil d'administration du Baluchon des procédures de vente d'actions des quatre compagnies, à savoir le Baluchon, Gestion I, Gestion II et SPEQ III ainsi qu'une demande d'avis juridique.  Les procédures ont pour objectif de guider les actionnaires quant aux différentes étapes à franchir lors de la mise en vente de leurs actions.

[119]     Le 16 juin 2005, McCarthy, Tétrault transmet une opinion concernant les procédures de transfert, en précisant qu'elles demeurent sujettes à l'application des conventions d'actionnaires[59].

[120]     Philippe Heinly est autorisé par le conseil d'administration le 20 septembre 2005[60] à vendre ses actions.  La vente a lieu le 9 novembre 2005 et Charles Ronlez[61] est l'acquéreur, et ce, malgré l'offre de McCarthy, Tétrault dans la lettre du 23 décembre 2004 de ne pas procéder à la vente des actions de Philippe Heinly.  Il s'agit d'un autre motif de reproche de Monique Charland.  Céline Lessard soutient la décision du conseil d'administration en s'appuyant sur le contenu du courriel du 22 juillet 2005 de Me Fontaine[62].

[121]     Le 14 septembre 2005[63], le Fonds se retire du conseil d'administration du Baluchon et le 23 septembre 2005, met ses actions en vente, tel que l'autorise son option de vendre la totalité de ses actions[64].

[122]     Le 4 novembre 2005, Monique Charland dépose sa requête introductive d'instance à la base du présent dossier.

[123]     Selon la contestation du Groupe le Baluchon :

·        la procédure de la demanderesse contient de nombreuses allégations inexactes et trompeuses recherchant 134 conclusions hors de proportion avec le différend qui l'oppose aux défendeurs et aux mises en cause;

·        le seul véritable litige concerne l'interprétation de la convention des actionnaires de Gestion I en lien avec la vente des actions d'Yvon Levasseur, la famille Guimond et Philippe Heinly résultant d'une mésentente quant à l'application de l'article 5 de la convention unanime des actionnaires de Gestion I[65];

·        par sa lettre du 23 décembre 2004[66], l'avocat du Groupe le Baluchon propose de soumettre la mésentente au Tribunal par la voie d'une requête en jugement déclaratoire et dans l'attente d'une décision ou d'une entente, de suspendre la vente des actions;

·        la demanderesse n'accepte pas la proposition, tel qu'il appert de la lettre du 7 mars 2005[67].  Cette lettre contient toute une série de questions additionnelles soulevant des allégations de conflit d'intérêts des dirigeants en lien avec la vente des actions de la famille Guimond, Yvon Levasseur et Philippe Heinly et questionnant le mandat des avocats du Groupe le Baluchon.

[124]     En application des articles 4.1 , 4.2 , 54.1 et suivants C.p.c., les défendeurs et mises en cause réclament le rejet de la procédure entreprise par Monique Charland au motif d'abus de droit et d'absence de proportionnalité. De plus, les défendeurs réclament des dommages-intérêts.

·        L'intervention de l'Autorité des marchés financiers

[125]     En date du 29 novembre 2005, Monique Charland dépose une plainte à l'Autorité des marchés financiers («AMF») concernant la structure corporative du Groupe le Baluchon[68].  Elle questionne la création des mises en cause qui selon elle ont été mises sur pied afin de contourner les exigences de divulgations requises par la Loi sur les valeurs mobilières du Québec LVMQ»)[69] pour les compagnies ayant plus de 50 actionnaires.

[126]     Le Baluchon obtient une évaluation de la valeur de ses actions qui se situe entre 43 $ et 48 $ en date du 31 mars 2008[70].  Cette évaluation de la juste valeur marchande des actions est communiquée aux avocats de Monique Charland lors de la présente audience.

[127]     En décembre 2011, le Groupe le Baluchon présente une requête au Tribunal concernant l'approbation d'un plan d'arrangement visant la fusion des mises en cause[71].

[128]     Une entente administrative intervient entre le Groupe le Baluchon et l'AMF[72] par laquelle cette dernière donne son aval à la nouvelle structure corporative proposée.  Des pénalités afférentes aux souscriptions d'actions dans SPEQ I, SPEQ II et SPEQ III sont alors imposées à certains administrateurs du Groupe le Baluchon.

[129]     Selon l'entente administrative, l'AMF ne sanctionne pas le Groupe le Baluchon pour la structure corporative ayant entraîné la création de Gestion I et de Gestion II.

[130]     Avec la création du Baluchon 2011, le nouveau capital-actions regroupe l'ensemble des actionnaires désirant le demeurer.  Les autres peuvent se faire racheter leurs actions à un prix unitaire de 30 $.

QUESTIONS DE DROIT

I)             Monique Charland est-elle victime d'abus et d'oppression à titre d'actionnaire du Groupe le Baluchon de la part des défendeurs et si oui, quelles ordonnances doivent être rendues?

·        Droit applicable au présent recours

[131]     Monique Charland allègue que le présent recours est assujetti aux dispositions de la nouvelle Loi sur les sociétés par actionsLSAQ») entrée en vigueur le 13 juin 2011.

[132]     En vertu de l'article 716 LSAQ, une compagnie constituée sous la partie 1A de la Loi sur les compagnies du QuébecLCQ») est, depuis le 14 février 2011, régie par la nouvelle loi, la LSAQ.

[133]     Monique Charland réclame l'application du recours en oppression selon l'article 451 LSAQ et les remèdes qui y sont prévus.

[134]     En l'occurrence, bien que l'ensemble des sociétés visées par ce recours soit maintenant régi par la LSAQ, les faits en litige surviennent en large mesure entre 1990 et 2005, soit plus de six ans avant l'entrée en vigueur de la LSAQ.

[135]     Dans la décision 9126-7583 Québec inc. c. Investissements du Versant inc.[73], le juge Louis-Paul Cullen précise que la LSAQ n'a pas d'effet rétroactif plus particulièrement en ce qui concerne les dispositions concernant le recours en oppression.

[136]     Dans Roman St-Laurent et al. c. Pedro Lobato et al.[74], le juge Mark Schrager en vient à la même conclusion.

[137]     Le Tribunal est d'avis que les règles régissant le recours en oppression de la LSAQ ne peuvent trouver application au présent litige, puisque la loi est entrée en vigueur après le commencement des procédures, sans qu'un effet rétroactif ne soit prévu[75].

[138]     Le recours en oppression entrepris par Monique Charland doit donc être analysé sous les articles 33 et 46 du Code de procédure civileC.p.c.») et les dispositions du Code civil du QuébecC.c.Q.») qui peuvent être applicables en matière de redressement.

[139]     Monique Charland doit prouver une faute ou de la mauvaise foi affectant les droits des actionnaires pour que les ordonnances, qu'elle cherche à obtenir, puissent être rendues[76].

[140]     Tel que le souligne l'auteur Paul Martel, le pouvoir de surveillance de la Cour supérieure qui prend appui sur l'article 33 C.p.c. est suffisamment large pour permettre d'accueillir l'action personnelle d'un actionnaire[77].

[141]     De plus, l'article 46 C.p.c. prévoit qu'il est possible pour le Tribunal : «de rendre toute ordonnance appropriée pour pourvoir au cas où la loi n'a pas prévu de remède spécifique».

[142]     La jurisprudence reconnaît que l'article 46 C.p.c. sert d'appui au pouvoir d'intervention de la Cour supérieure dans un recours en oppression intenté par un actionnaire d'une société québécoise[78].

·        Les attentes légitimes des actionnaires

[143]     Le concept d’attentes légitimes ou raisonnables élaboré dans le cadre d'action en oppression instituée en vertu de la LCSA trouve application, même dans le cadre du recours selon l’article 33  C.p.c., tel qu'il fut exprimé dans la décision Laurent c. Buanderie Villeray Limitée[79].

[144]     Afin de décider si les attentes légitimes d'un actionnaire sont brimées, il faut être en présence d'un abus de la part des administrateurs ou d'une conduite injuste pour l’actionnaire.  À ce sujet, BCE inc. c. Détenteurs de débentures 1976[80] précise :

[56] À notre avis, la meilleure façon d’interpréter le par. 241(2) est de combiner les deux approches exposées dans la jurisprudence.  Il faut d’abord considérer les principes sur lesquels repose la demande de redressement pour abus et, en particulier, le concept des attentes raisonnables.  S’il est établi qu’une attente raisonnable a été frustrée, il faut déterminer si le comportement reproché constitue un « abus », un « préjudice injuste » ou une « omission injuste de tenir compte » des intérêts en cause au sens du par. 241(2) de la LCSA.

(Caractères gras ajoutés)

[145]     Voici comment la Cour suprême dans cet arrêt définit le concept d’attentes légitimes ou raisonnables et clarifie la façon de l’analyser[81] :

[62] Comme le suggère le mot « raisonnable », le concept d’attentes raisonnables est objectif et contextuel. Les attentes réelles d’une partie intéressée en particulier ne sont pas concluantes. Lorsqu’il s’agit de déterminer s’il serait « juste et équitable » d’accueillir un recours, la question est de savoir si ces attentes sont raisonnables compte tenu des faits propres à l’espèce, des rapports en cause et de l’ensemble du contexte, y compris la possibilité d’attentes et de demandes opposées.

 (Caractères gras ajoutés)

[146]     Il y a abus de droit, lorsque l’équilibre entre la protection des droits du plaignant et la liberté d’action des dirigeants est rompu, tout en tenant compte des intérêts de la société elle-même[82]

[147]     En conséquence, il faut analyser le comportement des administrateurs pour évaluer si ceux-ci ont pris des décisions à l'avantage des sociétés ou à leurs propres avantages.

[148]     Il sera possible de considérer que les administrateurs ont agi dans l'intérêt de la société dans la mesure où, dans le cadre des différentes décisions qu'ils ont prises, ils ont consulté des professionnels afin de les orienter dans la prise des décisions.  On pourra alors considérer qu'ils ont agi avec diligence et bonne foi[83].

1)    L'évolution corporative du Groupe le Baluchon est-elle source d'oppression et d'abus?

[149]     Monique Charland reproche aux administrateurs d'avoir adopté une structure qui lui soit nuisible à titre d'actionnaire et qui n'a pas répondu à ses attentes légitimes avec la création de Gestion II.

[150]     Elle soulève également ces éléments dans le cadre de sa demande d'autorisation d'instituer une action dérivée.

[151]      Selon Monique Charland, la création des mises en cause, ayant moins de 50 actionnaires chacune, a été faite afin de permettre au Groupe le Baluchon de solliciter des investissements en contournant les exigences de divulgation de la LVMQ.

[152]     En matière d'oppression, pour démontrer que la structure corporative est nuisible à l'actionnaire ou aux entreprises elles-mêmes, il faut notamment établir que les décisions sont prises à l'encontre des intérêts des actionnaires.

[153]     Dans le cas sous étude, la validité des SPEQ à l'égard de tous les actionnaires est remise en question par Monique Charland dans sa procédure introductive d'instance.  La preuve démontre par ailleurs amplement que les SPEQ sont mises sur pied afin d'attirer des investisseurs intéressés par le véhicule fiscal et aucunement pour avantager un groupe d'actionnaires par rapport à d'autres.

[154]     Monique Charland se plaint de la structure corporative une fois qu'elle retient les services de ses avocats en octobre 2004.  Pourtant, étant actionnaire depuis 1990, elle soutient la structure corporative jusqu'à 2004 ayant votée en faveur de celle-ci.

[155]     À l'audience, toutefois, Monique Charland se plaint de la création de Gestion II au motif que cette structure n'est pas prévue au moment où elle est devenue actionnaire de SPEQ II.  Pourtant, elle ne se plaint pas de la validité de SPEQ I ou Gestion I qui ont suivi le même scénario.

[156]     Soulignons qu'à l'époque de la création de chacune des entités, la SDI donne son aval à la structure telle que proposée.

[157]     De plus, les compagnies Gestion I et Gestion II sont constituées afin de maintenir ou prolonger certains avantages fiscaux pour les actionnaires, le tout en application des opinions de professionnels consultés, soit Samson, Bélair, Deloitte & Touche[84] en 1998 puis DLL[85] en 2004.

[158]     Michel Pelletier témoigne que lorsque les structures corporatives sont proposées, le Fonds obtient sa propre opinion juridique afin d'en vérifier la légalité.  D'aucune façon, ni Michel Pelletier ni aucun autre représentant du Fonds ne soulève de contestation à cet égard.

[159]     Il n'a pas été démontré que le fait de créer des sociétés mises en cause ayant moins de 50 actionnaires ait entraîné un contournement illégal de la LVMQ.

[160]     En l'occurrence, un traitement particulier et discriminatoire à l'égard d'un groupe d'actionnaires n'est pas démontré, puisque les mêmes véhicules ont toujours été offerts à tous ceux intéressés à investir. Ces véhicules ont été mis en place sans qu'un avantage quelconque n'en ait résulté pour un groupe d'actionnaires par rapport à un autre.

[161]     Par ailleurs, à l'issue de l'enquête de l'AMF, cette dernière souscrit une entente avec le Groupe le Baluchon en 2011[86] annonçant le regroupement des différentes sociétés avec la création du Baluchon 2011.  Des pénalités sont imposées à certains des administrateurs initiaux en lien avec leur rôle dans la recherche d'investisseurs pour les SPEQ.

[162]     Les reproches de Monique Charland s'adressent à la constitution de Gestion I et Gestion II, alors que l'entente souscrite avec l'AMF qui impose des pénalités vise les individus ayant sollicité des investisseurs lors de la mise sur pied de SPEQ I, SPEQ II et SPEQ III.

[163]     Le Tribunal ne peut conclure que l'intervention de l'AMF confirme le bien-fondé des reproches formulés par Monique Charland.

[164]     En application de l'entente administrative précitée, la soussignée a été saisie d'une requête pour autoriser un plan d'arrangement visant la restructuration et le regroupement de toutes les mises en cause.

[165]     Le Tribunal a donné son aval à cette façon de procéder.

[166]     La légalité de la nouvelle société ne peut plus être remise en doute dans le cadre de l'action en oppression et en abus de droit instituée par Monique Charland.

[167]     Le Tribunal retient que tout au long de la vie corporative des différentes sociétés membres du Groupe le Baluchon, divers organismes et professionnels sont intervenus pour donner leur aval ou la façonner.

[168]     En conclusion, le Tribunal ne peut conclure que l'évolution corporative des mises en cause est une source d'oppression à l'égard de Monique Charland.

2)    Quels sont les droits de Monique Charland aux fins d'acquérir des actions du Groupe le Baluchon?

·        Les droits de Monique Charland en tant qu'actionnaire du Baluchon

[169]     Monique Charland allègue qu'en tant qu'actionnaire de SPEQ I, elle bénéficie des mêmes droits et avantages que les actionnaires du Baluchon, et ce, en application de ses attentes légitimes d'actionnaires selon les représentations faites lors de son investissement initial.

[170]     Dans le cas de Monique Charland, ses actions de SPEQ I ont été converties en celles du Baluchon lors de la fusion entre ces deux sociétés.  Lors de son investissement, c'est ce qui était prévu.  Monique Charland ne peut, face à cette situation, alléguer que ses attentes légitimes d'actionnaires n'ont pas été respectées.

[171]     Dans les faits, Monique Charland acquiert des actions du Baluchon en 1994 et en 1998 par fusion.  Elle jouit des droits des actionnaires du Baluchon dès 1994.  Elle ne formule aucun reproche quant à la façon dont elle est traitée à cet égard, quoiqu'elle questionne la décision des dirigeants d'avoir créé Gestion I.

·        Le droit de Monique Charland de devenir actionnaire de Gestion I

[172]     Monique Charland estime qu'elle a été empêchée de devenir actionnaire de Gestion I, notamment par l'application des dirigeants de la convention unanime des actionnaires.

[173]     Examinons maintenant le texte de la clause de la convention unanime des actionnaires de Gestion I[87] concernant la clause 5 :Transfert d'actions entre vifs pour déterminer quels actionnaires, le cas échéant, peuvent revendiquer le droit d'être informés de la mise en vente d'actions et dans quel délai.

[174]     Le Tribunal cite la clause 5 dans son intégralité :

5.a) Si un des actionnaires veut pour quelque raison que ce soit, vendre ou autrement disposer ou aliéner toutes ou une partie de ses actions de catégories "A" et "B" dans la compagnie, il devra au préalable offrir ces actions aux autres actionnaires de la compagnie ainsi qu'aux actionnaires de Concept Eco-Plein-Air Le Baluchon Inc. et de 9009-6371 Québec Inc. (Speq II), par avis écrit, au prorata entre eux du nombre d'actions de catégories "A" et "B" détenues par eux, au prix mentionné à l'article 10 ou à tout prix inférieur choisi par I'offrant.

5.b) Les autres actionnaires bénéficieront d'un délai de quinze (15) jours à compter de la date de la réception de l'avis pour accepter l'offre, en tout ou en partie.

5.c) Au cas où l’un des autres actionnaires ne se prévaudrait pas en tout ou en partie de l'offre à l'intérieur du délai de quinze (15) jours, sa proportion des actions offertes ou Ie solde de celle-ci accroîtra aux autres de ces autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai. Ceux-ci bénéficieront alors d'un délai supplémentaire de dix (10) jours pour accepter cette offre additionnelle au prorata d'entre eux de leur détention d'actions de catégories "A" et "B" ou selon toute autre proportion dont ils conviendront, au prix offert;

5.d) A I'expiration du délai de quinze (15) jours, si les autres actionnaires ne se sont pas prévalu de I'offre (auquel cas I'offrant ne sera lié par aucune acceptation de son offre), l'offrant sera libre de les offrir en vente à qui et au prix qu'il voudra dans les trois (3) mois qui suivront I'expiration de ce délai. Si Ie prix alors demandé par I'offrant pour ses actions est inférieur à celui offert tel que susmentionné, les autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai par écrit, auront, pendant les quinze (15) jours qui suivront la réception de ce nouvel avis, un droit de premier refus pour ces actions à ce prix inférieur.

5.e) A I'expiration du délai de trois (3) mois, l’offrant devra, s'il désire de nouveau vendre ces actions, suivre les dispositions des paragraphes (a) et suivants ci-avant.

5.f.) Ne se trouve pas soumis à la règIe "Transports d'actions entrevifs", les transferts au conjoint, aux descendants et ascendants familiaux immédiat.

(Caractères gras et soulignés ajoutés)

a)    Monique Charland bénéficie-t-elle d'une stipulation pour autrui issue de la convention unanime des actionnaires de Gestion I?

[175]     Monique Charland estime pouvoir invoquer à son bénéfice la convention unanime des actionnaires de Gestion I, selon la mécanique prévue à la clause 5.

[176]     Elle allègue qu'elle bénéficie d'une stipulation pour autrui.  Les articles 1444 et 1445 C.c.Q. énoncent les règles en cette matière :

1444. On peut, dans un contrat, stipuler en faveur d'un tiers.

Cette stipulation confère au tiers bénéficiaire le droit d'exiger directement du promettant l'exécution de l'obligation promise.

1445. Il n'est pas nécessaire que le tiers bénéficiaire soit déterminé ou existe au moment de la stipulation; il suffit qu'il soit déterminable à cette époque et qu'il existe au moment où le promettant doit exécuter l'obligation en sa faveur.

[177]     Ainsi, il y a stipulation pour autrui, lorsqu'un contrat conclu entre un stipulant et un promettant crée une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire.  Dans ce cas, le tiers bénéficie d'un droit de créance que le promettant s’engage à respecter[88].

[178]     La stipulation pour autrui accorde un recours personnel en dommages contre le promettant directement.

[179]     Pour déterminer si Monique Charland peut invoquer à son bénéfice le texte de la clause 5 de la convention unanime des actionnaires de Gestion I, en s'appuyant sur le principe de la stipulation pour autrui, il faut interpréter cette clause en vertu des principes d’interprétation applicables aux contrats et prévus aux articles 1425 à 1432 C.c.Q.  Ainsi, la clause sera interprétée uniquement en cas d'ambiguïté, sinon elle sera tout simplement appliquée.

[180]     Contrairement à ce qui est soumis par les avocats de Monique Charland, le Tribunal n'estime pas que la clause 5 soit d'une limpidité absolue ne requérant aucune interprétation.  Bien au contraire, le Tribunal est d'avis qu'elle doit être interprétée.

[181]     En fait, il s’agit de découvrir la commune intention des parties lors de la rédaction de la clause en analysant les aspects suivants[89] :

·         le contenu global du texte et de la convention;

·         le contexte factuel de la rédaction de la clause;

·         la conduite des parties depuis la conclusion de la convention;

·         les usages;

·         finalement, des arguments de logique et de vraisemblance.

[182]     Généralement ce type de clause a pour but de permettre aux actionnaires de conserver l’équilibre des droits entre les actuels actionnaires[90] :

Afin d’assurer aux actionnaires le maintien de leur proportion d’actions dans la société advenant un transfert d’actions, la convention entre actionnaires stipule que, dans le cas d’offre de vente d’actions, volontaires ou non, cette offre est faite à tous les actionnaires signataires, au prorata du nombre d’actions « internes », c’est-à-dire qui interviennent à l’intérieur du groupe formé par les actionnaires signataires, lorsque ceux-ci sont plus de deux.

[183]     Céline Lessard livre au Tribunal sa compréhension du mécanisme de vente d'actions Gestion I.  En tant que secrétaire de l'entreprise, elle comprend que l'actionnaire d'une société doit au préalable offrir les actions à ses coactionnaires et qu'au bout d'un délai de 15 jours, il peut les offrir aux actionnaires des autres mises en cause.  Selon elle, cela a pour but de faciliter la répartition des actions au cas où plus d'un actionnaire de différentes sociétés désire acquérir des actions.  Dans ce cas, il faut déterminer l'ordre de priorité au prorata des actionnaires entre eux.

[184]     Ainsi, les procédures de vente d'actions qui ont circulé au Groupe le Baluchon reflètent sa compréhension de la mécanique de vente d'actions.  Il s'agit de documents rédigés en large mesure par Céline Lessard et révisés par les avocats du Groupe le Baluchon.  À la prochaine section, ces procédures seront revues plus en détail.

[185]     Le Tribunal a examiné ces textes qui ont circulé entre 2001 et 2004 intitulés procédure de vente des actions.  L'interprétation donnée par Céline Lessard à l'audience est conforme à la procédure de vente d'actions qu'elle a transmise à Monique Charland avec sa lettre du 26 novembre 2004[91] qui vise Gestion I. 

[186]     Cette interprétation est toutefois différente de ce qui ressort de la procédure de vente d'actions non datée, mais élaborée entre 2001 et 2004[92] qui régit les transferts d'action relatifs à Gestion I, SPEQ II et SPEQ III, dont le texte de la clause de transfert entrevifs est identique. Selon ce texte, l'avis est envoyé aux actionnaires de la compagnie visée (Gestion I ou SPEQ II ou SPEQ III) et aux actionnaires des autres compagnies.

[187]     Un troisième document élaboré en septembre 2003 a été produit devant le Tribunal.  Il s'agit de la politique de vente d'actions et le courriel l'accompagnant[93].  Selon ce document, l'avis de mise en vente est envoyé aux coactionnaires de la compagnie visée et/ou aux autres actionnaires pour augmenter la visibilité de la mise en vente et ainsi avoir de meilleures chances de vendre les actions.

[188]     De plus, dans le présent dossier, une vaste documentation a été produite où différents actionnaires formulent des offres de vente de leurs actions.

[189]     Ces lettres d'offre de mise en vente des actions[94], dont le texte est à peu près uniforme, sont adressées dans leur intitulé aux coactionnaires de la compagnie visée que ce soit pour vendre des actions du Baluchon ou de Gestion I[95].

[190]     Par ailleurs, en parallèle à cette pratique écrite, Céline Lessard témoigne à l'effet qu'il est arrivé que des actionnaires envoient dès le départ leur offre de vente à l'ensemble des actionnaires du Groupe le Baluchon afin d'élargir le bassin de personnes susceptibles d'être intéressées à acquérir leurs actions.

[191]     En novembre 2004, la compréhension des dirigeants du Baluchon et des actionnaires vendeurs de l'époque est qu'un vendeur (l'offrant) doit adresser sa proposition de vente des actions aux actionnaires de Gestion I.  Ainsi, l'offrant peut la communiquer uniquement à ses coactionnaires.  S'il le souhaite, il peut en même temps également l'acheminer à l'ensemble des actionnaires du Groupe le Baluchon.

[192]     La clause 5 doit être lue dans son ensemble pour pouvoir l'interpréter adéquatement.  Pour faciliter la compréhension, le texte est cité à nouveau :

5.a) Si un des actionnaires veut pour quelque raison que ce soit, vendre ou autrement disposer ou aliéner toutes ou une partie de ses actions de catégories "A" et "B" dans la compagnie, il devra au préalable offrir ces actions aux autres actionnaires de la compagnie ainsi qu'aux actionnaires de Concept Eco-Plein-Air Le Baluchon Inc. et de 9009-6371 Québec Inc. (Speq II), par avis écrit, au prorata entre eux du nombre d'actions de catégories "A" et "B" détenues par eux, au prix mentionné à l'article 10 ou à tout prix inférieur choisi par I'offrant.

[193]     Le paragraphe 5a) constitue l'énoncé selon lequel un actionnaire qui désire vendre ses actions doit s'adresser en premier lieu à ses coactionnaires pour les offrir ensuite aux actionnaires de l'une ou l'autre des sociétés du Groupe le Baluchon avant de les offrir à des tiers.  C'est ainsi que le Tribunal réconcilie l'utilisation des mots «au préalable» avec les mots «ainsi que» dans ce sous-paragraphe.

[194]     Quant à l'expression «les autres actionnaires de la compagnie» contenue au paragraphe 5a), elle semble viser les coactionnaires de la société d'où émanent les actions mises en vente.

5.b) Les autres actionnaires bénéficieront d'un délai de quinze (15) jours à compter de la date de la réception de l'avis pour accepter l'offre, en tout ou en partie.

[195]     Aux paragraphes 5b), 5c) et 5 d), l'expression «les autres actionnaires» n'est pas définie.

[196]     Le paragraphe 5b) vise la mécanique de mise en vente aux «autres actionnaires».  Ces derniers peuvent être les coactionnaires de la compagnie ou tous les actionnaires des mises en cause.

5.c) Au cas où l’un des autres actionnaires ne se prévaudrait pas en tout ou en partie de l'offre à l'intérieur du délai de quinze (15) jours, sa proportion des actions offertes ou Ie solde de celle-ci accroîtra aux autres de ces autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai. Ceux-ci bénéficieront alors d'un délai supplémentaire de dix (10) jours pour accepter cette offre additionnelle au prorata d'entre eux de leur détention d'actions de catégories "A" et "B" ou selon toute autre proportion dont ils conviendront, au prix offert;

[197]     Le paragraphe 5c), quant à lui, introduit d'autres acteurs : «les autres de ces actionnaires» qui recevront un avis advenant qu'un des coactionnaires ne se soit pas prévalût de l'offre.  C'est alors que le jeu du calcul des proportions intervient pour déterminer quel actionnaire a droit à quel nombre d'actions.

5.d) A I'expiration du délai de quinze (15) jours, si les autres actionnaires ne se sont pas prévalu de I'offre (auquel cas I'offrant ne sera lié par aucune acceptation de son offre), l'offrant sera libre de les offrir en vente à qui et au prix qu'il voudra dans les trois (3) mois qui suivront I'expiration de ce délai. Si Ie prix alors demandé par I'offrant pour ses actions est inférieur à celui offert tel que susmentionné, les autres actionnaires, que l'offrant devra aviser sans délai par écrit, auront, pendant les quinze (15) jours qui suivront la réception de ce nouvel avis, un droit de premier refus pour ces actions à ce prix inférieur.

5.e) A I'expiration du délai de trois (3) mois, l’offrant devra, s'il désire de nouveau vendre ces actions, suivre les dispositions des paragraphes (a) et suivants ci-avant.

[198]     Enfin, le paragraphe 5d) prévoit que si aucun des coactionnaires ne se prévaut de l'offre dans les 15 jours, l'offrant peut alors l'offrir à des tiers à l'intérieur d'un délai de trois mois, après quoi, il faut relancer ce processus.  Il s'agit cette fois de l'application du paragraphe 5e).  Dans ce cas, au bout de 15 jours, si aucun des coactionnaires ne s'est manifesté, les actions peuvent être vendues à des tiers, ce qui inclut les actionnaires de toutes les mises en cause.  Quant au paragraphe 5f), il ne s'applique pas à la situation du présent dossier.

[199]     En résumé, celui qui vend doit par lettre d'offre signaler dans un premier temps son intention à tous les actionnaires de Gestion I et leur donner un délai de 15 jours pour signaler leur intérêt.  L'offre de vente peut également être faite à tous les actionnaires des mises en cause.  Après le délai, les actionnaires qui se sont montrés intéressés peuvent acquérir davantage d'actions, si certaines demeurent disponibles.  Par ailleurs, si aucun actionnaire ne s'est montré intéressé, n'importe qui, incluant un tiers, peut alors acquérir les actions à l'intérieur d'un délai de trois mois.

[200]     Le Tribunal ne peut, en conséquence, conclure que Monique Charland démontre qu'elle bénéficie d'une stipulation pour autrui en sa faveur par le biais du texte du paragraphe 5 de la convention unanime entre actionnaires de Gestion I.  Selon le Tribunal, il n'y a pas de démonstration d'une intention ferme de créer des droits pour les actionnaires des mises en cause autre que ceux de Gestion I, à l'intérieur du délai initial de 15 jours.

[201]     Selon le document de procédure de vente d'actions datant de septembre 2003[96], soit bien avant les événements qui ont opposé Monique Charland aux dirigeants, ces derniers estiment que l'actionnaire, désirant vendre ses actions, doit acheminer son offre de vente à ses coactionnaires et peut, pour augmenter son bassin d'acheteurs, les offrir au même moment à l'ensemble des actionnaires des autres sociétés.

[202]     Le Tribunal retient que les dirigeants, qui ont appliqué la convention, n'ont pas agi de mauvaise foi, de façon négligente ou dans le but de faire pression sur quiconque.  De tout temps, la convention P-24 est interprétée de la même façon à l'égard de tous.  Monique Charland n'a pas fait l'objet d'oppression ni d'abus, puisqu'elle est traitée comme tous les autres actionnaires de l'entreprise, acheteur ou vendeur des actions des sociétés visées.

b)   Les procédures de vente d'actions sont-elles opposables à Monique Charland?  Et doivent-elles être annulées?

[203]     Les procédures de vente d'actions[97], élaborées au fil du temps principalement par Céline Lessard et complétées par les avocats du Baluchon, sont éventuellement adoptées par le conseil d'administration du Baluchon.  L'objectif étant d'adopter une marche à suivre, pour aider l'actionnaire désirant vendre ses actions à se conformer aux étapes requises.

[204]     Tel que discuté dans la section précédente, trois différents textes de procédure de vente d'actions ont été produits devant le Tribunal.  Une procédure de vente d'actions est élaborée par écrit dès 2003, alors que Céline Lessard doit s'absenter du travail pour congé de maladie et qu'elle laisse une note écrite à Patricia Brouard qui doit la remplacer.

[205]     Entre 2001 et 2004, à une date non déterminée, une autre procédure de transfert applicable à Gestion I, SPEQ II et SPEQ III a circulée[98].

[206]     Enfin, en réponse à une demande de Monique Charland, Céline Lessard lui fait parvenir une autre procédure de vente d'actions de Gestion I avec sa lettre du 26 novembre 2004[99].

[207]     De tout temps, les procédures de vente d'actions sont explicitement assujetties aux conventions d'actionnaires, comme il se doit.  Les conventions d'actionnaires priment sur les procédures de transfert, à moins que ces dernières ne soient soumises et votées par l'ensemble des actionnaires visés par telle procédure.

[208]     Selon la preuve, les procédures de vente d'actions sont acheminées aux actionnaires, mais il n'y a pas de preuve à l'effet qu'elles sont votées en assemblée générale des actionnaires.

[209]     Voyons maintenant ce qui ressort de la procédure de vente d'actions.

[210]     Dans un premier temps, la secrétaire ou agent de transfert demande à être informée de la volonté d'un actionnaire de procéder à la vente de ses actions.

[211]     Selon la preuve, cela a toujours été respecté.

[212]     Cela ne constitue pas aux yeux du Tribunal une exigence adoptée aux fins de nuire aux intérêts des actionnaires.

[213]     Dans les faits, en prévenant la secrétaire ou l'agent de transfert qu'un actionnaire met en vente ses actions, cela permet à cette dernière d'aider le proposant vendeur dans ses démarches en lui fournissant, s'il le désire, un modèle de lettre et en lui expliquant les modalités à suivre pour procéder à la vente des actions.

[214]     L'exigence que le conseil d'administration approuve la transaction est une règle habituelle que l'on retrouve dans la réglementation des compagnies, mais qui s'exerce le plus souvent en bloc une fois l'an lors de l'assemblée générale annuelle des actionnaires et non pas au fur et à mesure de la vente des actions.

[215]     Le Tribunal ne décèle pas dans les procédures de vente d'actions d'élément appuyant la recherche par Monique Charland d'éléments oppressifs ou abusifs.  Cependant, étant donné que les procédures de transfert ne sont pas adoptées avant 2005, le Tribunal conclut en conséquence que ces procédures ne peuvent être opposées à Monique Charland en ce qui concerne les transferts des actions de Claude Lessard, Yvon Levasseur, la famille Guimond et Philippe Heinly.

[216]     Quant à la question de décider si les procédures de transfert doivent être annulées, la question est devenue théorique à la lumière de la mise en place de la nouvelle structure corporative, avec la constitution de Baluchon 2011.

c)    Quels sont les droits de Monique Charland d'acheter les actions?

[217]     Monique Charland allègue avoir été opprimée et avoir subi un dommage du fait qu'elle ait été empêchée d'acquérir certaines actions.

[218]     Il y a lieu d'analyser les quatre situations décriées par Monique Charland.

                                                                      i.        Les actions de Claude Lessard dans le Baluchon

[219]     Monique Charland ne manifeste pas d'intérêt pour les actions de Claude Lessard dans le Baluchon lors de leur mise en vente le 9 février 2004.

[220]     La preuve ne démontre pas de mauvaise foi de Louis Lessard et Patricia Brouard lorsqu'ils acceptent d'acquérir ces actions à l'intérieur du délai de 15 jours inscrit à la lettre d'offre.  Lors de la mise en vente des actions, Céline Lessard est en congé de maladie.  Personne ne se rend compte de l'erreur de délai inscrit à l'offre qui aurait dû être de 45 jours.

[221]     Une fois le transfert complété, Gilles Lessard alerte Monique Charland et Michel Pelletier.  Ceux-ci se manifestent auprès de Céline Lessard indiquant pour la première fois leur intérêt à acquérir les actions.

[222]     Étant donné que la vente est déjà conclue, Céline Lessard demande une opinion juridique.  Conformément à cette opinion, la transaction est annulée peu après.

[223]     Claude Lessard n'a pas remis ses actions en vente par la suite par une nouvelle lettre d'offre.

[224]     Cependant, en juin 2004, lors de l'assemblée générale des actionnaires, il aborde notamment Monique Charland pour lui dire qu'il demeure vendeur.  Mais cette dernière ne donne pas suite à cette offre.

[225]     Monique Charland conteste qu'une offre lui ait été faite.  Le Tribunal retient de la preuve que Claude Lessard lui a offert ses actions et qu'il est vraisemblable que Monique Charland n'est pas intéressée en juin 2004 d'acquérir ces actions, puisqu'elle vient alors de démissionner comme membre du conseil d'administration du Baluchon.  En juin 2004, elle songe déjà à vendre ses actions dans SPEQ II.

[226]     D'ailleurs, en septembre 2004, Monique Charland accepte le rachat de ses actions dans SPEQ II dans le cadre de la conversion et de la création de Gestion II.

[227]     À cette époque, Monique Charland réfléchit à son avenir au sein du Baluchon.

[228]     À tout événement, la convention unanime d'actionnaires du Baluchon lui permet de formuler une offre à Claude Lessard, ce qu'elle n'a jamais fait.

[229]     En conséquence, le Tribunal conclut que Monique Charland ne peut réclamer aucun droit eu égard à sa volonté d'acheter les actions de Claude Lessard dans le Baluchon.  Elle n'a pas été victime d'oppression, car elle n'a pas établi que Louis Lessard avait voulu acquérir les actions en fraude des droits des actionnaires ni que le prêt consenti à Claude Lessard avait été fait pour empêcher Monique Charland ou d'autres actionnaires d'acquérir ces actions.

                                                                    ii.        Les actions d'Yvon Levasseur dans Gestion I?

[230]     Selon la preuve, en septembre 2004, Céline Lessard cherche des acheteurs pour racheter les actions des Petits Actionnaires.  Léo Beaudin est intéressé.  Il attend que Céline Lessard lui fasse signe.

[231]     Le Tribunal n'est pas en mesure d'établir avec précision la date de ces événements, mais la situe entre septembre et la mi-octobre 2004.

[232]     Céline Lessard est occupée à la fusion de SPEQ II mise en place à l'automne 2004.  Elle n'a pas le temps de procéder aux transferts des actions des Petits Actionnaires, puisque toute son attention porte sur la fusion de SPEQ II.

[233]     En date du 9 novembre 2004, Monique Charland appelle Yvon Levasseur qui a besoin d'argent et accepte volontiers de vendre ses actions à cette dernière.

[234]     Il tente de vérifier avec Céline Lessard quelle est la procédure, mais sans succès.  Il s'agit d'un actionnaire qui se rapporte à Céline Lessard pour connaître les différentes étapes à accomplir.  Ce qui illustre une pratique bien encrée en ce sens lors de ventes d'actions au sein du Groupe le Baluchon.

[235]     Une fois sur place, Yvon Levasseur éprouve un malaise, mais sans plus, il se laisse guider par Monique Charland.  Céline Lessard appelle et s'entretient avec Yvon Levasseur puis avec Monique Charland.

[236]     Les versions divergent quelque peu entre la version de Céline Lessard et celle de Monique Charland, concernant ce qui s'est dit.  Mais chose certaine, Céline Lessard exprime sa désapprobation sur la façon de procéder.  Toutefois, elle ne dissuade pas Yvon Levasseur de conclure la transaction, puisque celui-ci complète le tout et se rend à la Caisse Populaire déposer le chèque reçu de Monique Charland.

[237]     Une fois de retour à son lieu de travail, il reçoit la visite de Léo Beaudin.  Il lui annonce qu'il a vendu ses actions.  Léo Beaudin contacte Céline Lessard et lui demande si cela est conforme, compte tenu de son propre engagement d'acheter les actions d'Yvon Levasseur.  Léo Beaudin retourne rencontrer Yvon Levasseur à qui, il déclare que la procédure n'a pas été suivie, puisque l'agent de transfert n'a pas été impliqué et que les avocats s'en mêleront.

 

[238]     C'est la seconde intervention de Léo Beaudin qui incite Yvon Levasseur à retourner à la Caisse Populaire pour retirer son dépôt.  Une fois le dépôt retiré, dans les jours qui suivent, Yvon Levasseur discute avec Louis Lessard du fait qu'il ne désire plus vendre ses actions à Monique Charland.  Louis Lessard recueille les propos d'Yvon Levasseur et Céline Lessard transcrit le tout dans la lettre adressée à Monique Charland et signée par Yvon Levasseur.

[239]     La correspondance entre les parties démontre que ce n'est qu'une fois qu'Yvon Levasseur décide de retirer son dépôt et que les dirigeants du Baluchon l'appuient dans cette démarche.

[240]     Aucune preuve ne permet d'établir que les dirigeants du Baluchon incitent à agir ainsi.

[241]     Le Tribunal conclut que c'est l'intervention de Léo Beaudin qui a fait en sorte qu'Yvon Levasseur change d'idée et annule la vente de ses actions effectuée auprès de Monique Charland.

[242]     L'intervention de Léo Beaudin est quant à elle dictée par sa compréhension des règles à l'effet que le tout doit procéder en présence de l'agent de transfert ou la secrétaire, comme cela a été l'usage de tout temps lors de transactions d'actions pour quelque actionnaire que ce soit du Groupe le Baluchon.

[243]     Yvon Levasseur conserve ses actions déclarant qu'il attend la décision du Tribunal pour décider à qui il les vend.

[244]     N'eut été de l'intervention de Léo Beaudin, le Tribunal estime que Céline Lessard n'aurait eu d'autre choix que de donner suite à la transaction intervenue entre Monique Charland et Yvon Levasseur.

[245]     La convention d'actionnaires de Gestion I ne contient pas de disposition à l'effet que la transaction doit nécessairement intervenir en présence de la secrétaire ou de l'agent de transfert.  De plus, la proposition d'achat s'est faite à l'intérieur des délais contenus à la convention des actionnaires de Gestion I, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de trois mois prévus à la clause 5d).  En conséquence, le Tribunal conclut que Monique Charland a droit d'acquérir les actions d'Yvon Levasseur.

[246]     Compte tenu du plan d'arrangement autorisé par le Tribunal, les représentants de Gestion I ont pris l'engagement, advenant que le Tribunal donne raison à Monique Charland concernant les actions d'Yvon Levasseur, d'émettre 1 200 actions de la nouvelle entité à Monique Charland.  Le Tribunal ordonnera au Baluchon 2011 d'émettre 1 200 actions à Monique Charland en remplacement des 1 200 actions qu'elle veut acquérir d'Yvon Levasseur.  Monique Charland a consigné au greffe la somme de 19 200 $ en date du 4 novembre 2005, somme qui devra être versée au Baluchon 2011 en paiement des actions.

                                                                   iii.        Les actions de la famille Guimond dans Gestion I

[247]     Le 9 novembre 2004, Monique Charland décide de contacter la famille Guimond pour tenter d'acquérir les 900 actions mises en vente, mais sans succès.

[248]     Jacques Guimond et ses sœurs vendent leurs actions.  Compte tenu de l'engagement préalable de Léo Beaudin d'acquérir ces actions, le Tribunal ne peut donner suite au désir de Monique Charland de les acheter.  En cette matière et en application de la convention d'actionnaires Gestion I, c'est le premier arrivé, premier servi.  Dans ce cas-ci, le premier arrivé est Léo Beaudin qui a acquis les actions par le biais de sa compagnie de gestion.

[249]     Il n'y a ici pas de démonstration qu'une faute ait été commise à l'endroit de Monique Charland.

[250]     La réclamation de Monique Charland à l'égard des actions de la famille Guimond est donc refusée.

                                                                   iv.        Les actions de Philippe Heinly dans Gestion I

[251]     En ce qui concerne les actions de Philippe Heinly, la question est de savoir si la convention d'actionnaires Gestion I confère à Monique Charland le droit de recevoir l'offre de vente de Philippe Heinly, ce qu'elle n'a jamais reçu.  Le Tribunal a déjà conclu que Monique Charland n'a pas établi qu'elle bénéficie de droit en vertu de la convention pour actionnaires de Gestion I.

[252]     Philippe Heinly met ses actions en vente par une lettre datée du 26 novembre 2004 qu'il adresse uniquement à ses coactionnaires de Gestion I.

[253]     Aucun transfert d'actions n'est complété en 2004, puisque le tout est mis en veille.

[254]     À l'été 2005, les procédures de vente d'actions[100] sont adoptées et puisque Philippe Heinly a toujours un besoin criant d'argent, Céline Lessard saisit le conseil d'administration qui autorise le transfert à un tiers, soit Charles Ronlez.

[255]     Bien qu'en décembre 2004, les avocats des mises en cause ont proposé de suspendre la vente des actions de Philippe Heinly jusqu'à ce qu'il y ait une entente ou jugement à la suite d'une requête en jugement déclaratoire, cette offre n'a pas été acceptée par les avocats de Monique Charland.  On ne peut, par la suite, reprocher à Philippe Heinly ni aux dirigeants du Baluchon d'avoir donné leur aval à la vente lorsqu'un tiers se déclare intéressé presque un an plus tard.

[256]     En conclusion sur ce volet, le Tribunal ne peut donner raison à Monique Charland.

 

3)    Monique Charland peut-elle demander l'annulation du rachat de ses actions SPEQ II converties en actions Gestion II, notamment au motif qu'il n'y a pas d'évolution indépendante de la juste valeur marchande des actions en 2004?

[257]     En septembre 2004, dans le cadre de la conversion des actions de SPEQ II, différents choix s'offrent aux actionnaires.

[258]     Tel que mentionné précédemment, Monique Charland choisit de vendre ses actions plutôt que de demeurer actionnaire de Gestion II.  Il s'agit en fait d'une conversion d'actions catégorie «C» de Gestion II rachetables par la compagnie.  Cette dernière rachète la moitié des actions de Monique Charland.  Le rachat du reste des actions est suspendu en raison des procédures entreprises.  Monique Charland désire obtenir l'annulation du rachat.

[259]     À l'origine, lorsque Monique Charland investit dans SPEQ II, elle comprend les règles de rachat ou de conversion.  Il s'agit d'appliquer alors le même modèle que celui précédemment suivi pour SPEQ I dans laquelle elle a investi dans le passé.

[260]     Le Tribunal ne voit pas d'assise d'annulation de la décision de Monique Charland.  Sa décision a été librement consentie et prise avec toutes les explications nécessaires à l'époque.

[261]     En effet, rien n'indique que Monique Charland n'a pas bénéficié de toutes les explications qu'elle recherchait ou que quelque élément important ait été omis aux fins de lui permettre de prendre une décision éclairée.

[262]     Monique Charland se plaint de n'avoir pu bénéficier d'une évaluation indépendante de la juste valeur des actions lorsqu'elle exerce son choix de se faire racheter en 2004.

[263]     Ses avocats s'appuient sur une évaluation faite quatre ans plus tard en 2008 selon laquelle les actions ont une valeur entre 43 $ et 48 $.  Ils tentent ainsi de démontrer que la valeur de rachat des actions dans SPEQ II à 24.96 $ quatre ans plus tôt est déficiente[101] comme un autre motif d'oppression ou d'abus de droit.

[264]     Le Tribunal ne peut souscrire à un tel argument.  Le passage du temps peut, à lui seul, être une explication de la variation de valeur des actions avec le temps.

 

 

[265]     Par ailleurs, il n'y a pas eu de preuve devant le Tribunal de la justesse de cette évaluation de 2008.

[266]     En 2004, Monique Charland n'a jamais requis d'évaluation indépendante de la valeur de ses actions, alors que rien ne l'en empêchait.

[267]     De plus, plusieurs actionnaires de SPEQ II ont choisi comme Monique Charland de se faire racheter leurs actions.  Elle est la seule à s'en plaindre.

[268]     En conséquence, le Tribunal ne peut donner suite à la demande de Monique Charland d'annuler le rachat de ses actions de SPEQ II, puisqu'elle n'a établi aucun motif valable d'annulation.

4)    Monique Charland a-t-elle droit à des dommages découlant de l'oppression et de l'abus de droit qu'elle allègue?

a)    Monique Charland a-t-elle droit au remboursement par les défendeurs de ses dépenses et déboursés encourus dans le cadre du présent recours?

[269]     Monique Charland réclame des défendeurs le remboursement de diverses dépenses de 9 923,84 $[102] et ses déboursés de 90 508,53 $[103] qu'elle a payés dans le cadre du présent recours.

[270]     La réclamation des dépenses et déboursés est une demande qui s'appuie sur la prétention de Monique Charland que les défendeurs sont personnellement responsable de ses dommages.

[271]     Or, tel qu'amplement discuté dans ce jugement, le Tribunal ne retient pas de faute à l'encontre de quelconque des défendeurs.  En conséquence, le Tribunal ne peut reconnaître à Monique Charland le droit au remboursement des dépenses et déboursés qu'elle a payés.

[272]     Le Tribunal est d'avis, tout comme les avocats des mises en cause, qu'une requête en jugement déclaratoire afin d'éclaircir la portée de la convention unanime d'actionnaires de Gestion I[104] aurait été une procédure adéquate.  Cette proposition formulée en décembre 2004 n'a pas été acceptée et aucune autre proposition n'a été formulée.

[273]     Les coûts encourus par Monique Charland auraient été extrêmement limités et les bénéfices nettement augmentés si les parties s'étaient entendues sur des questions à soumettre au Tribunal par la voie d'une requête en jugement déclaratoire par rapport aux frais liés au présent dossier.

b)   Monique Charland a-t-elle droit au remboursement par Louis et Céline Lessard et Yves Savard des honoraires de 1 481 059,95 $ de ses avocats dans le cadre du présent recours?

[274]     La réclamation de Monique Charland en remboursement des honoraires de 1 481 059,95 $[105] est cette fois uniquement formulée à l'encontre des dirigeants.

[275]     Pour avoir gain de cause en ce qui concerne cette réclamation, Monique Charland doit démontrer que les dirigeants ont commis des fautes à son égard et qu'elles soient causales de dommages.

[276]     Cette réclamation présente deux difficultés principales.

[277]     Ayant revu toute une série d'événements survenus entre les parties depuis 1990, le Tribunal ne peut conclure qu'une faute a été commise par les dirigeants.

[278]     Le Tribunal ne conclut à aucune mauvaise foi ni abus de droit ou oppression de la part des dirigeants visés par cette conclusion.

[279]     Par ailleurs, le montant réclamé est calculé en fonction du temps inscrit à son dossier par les avocats qui l'ont représentée.  Or, selon la preuve, Monique Charland n'a payé aucun honoraire.

[280]     Le Tribunal ne peut ordonner un remboursement d'honoraires que Monique Charland n'a d'ailleurs pas encouru.  Monique Charland est liée par une convention d'honoraires qui peut entraîner le versement d'honoraires modulés, non pas selon le temps encouru par ses avocats, mais davantage sur les variations de valeur des différentes actions qu'elle possède et peut acquérir des différentes sociétés du Groupe le Baluchon plus un pourcentage du montant à être reçu sur les réclamations en dommages.  La réclamation est donc rejetée.

[281]     Questionnée au procès à ce sujet, Monique Charland a reconnu qu'elle peut être appelée à payer environ 75 000 $ d'honoraires en application des termes de la convention d'honoraires qu'elle a signée[106], si le Tribunal lui donne raison.  Il n'y a donc pas de lien de causalité entre la réclamation et les dommages prétendument subis.

[282]     En conséquence de l'absence de faute et de dommage, l'action en réclamation des honoraires est rejetée.

c)    Monique Charland a-t-elle droit à 50 000 $ à titre de dommages moraux de la part des défendeurs?

[283]     Monique Charland estime avoir subi du stress et un gain de poids en lien avec les événements.

 

[284]     Si Monique Charland éprouve de tels dommages, c'est sans doute à cause de sa décision d'entreprendre une croisade à l'encontre des défendeurs et des mises en cause.  Elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même.

[285]     Étant donné que le Tribunal n'a pas conclu que Monique Charland est victime d'oppression, le Tribunal ne peut faire droit à la réclamation de dommages moraux de la part de cette dernière de 50 000 $.  La réclamation est rejetée.

d)   Monique Charland a-t-elle droit à 50 000 $ à titre de dommages punitifs de la part des défendeurs?

[286]     Il n'y a aucune preuve permettant au Tribunal de considérer l'attribution de dommages punitifs, lesquels doivent s'inscrire nécessairement dans le cadre d'un comportement qui viole une loi.

[287]     En application des principes édictés par la Cour suprême dans les arrêts Québec (curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand[107] et  plus récemment dans Richard c. Time et Time Consumer Marketing[108], le Tribunal estime que cette réclamation doit être rejetée, car non fondée.

5)    Le Tribunal doit-il interdire aux défendeurs de se faire rembourser leurs frais par les sociétés mises en cause?

[288]     Le Tribunal ne voit pas en quoi une telle interdiction devrait être prononcée à l'égard des défendeurs.  Aucune preuve n'est présentée à l'effet que les défendeurs ont fait ou feront une réclamation afin de se faire rembourser leurs frais par les mises en cause.  De toute façon, cette question relève des pouvoirs des administrateurs des mises en cause.  Cette demande est donc refusée.

6)    Le Tribunal doit-il ordonner le remboursement aux sociétés mises en cause de tous les frais professionnels encourus?

[289]     Ici encore, le Tribunal ne voit aucune preuve permettant de conclure à la nécessité d'une telle ordonnance.  Les frais professionnels encourus ont été rendus nécessaires en très large mesure par les nombreuses questions soulevées par Monique Charland et ses avocats.

[290]     Donner suite à cette réclamation équivaudrait à décourager les sociétés aux prises avec des questions délicates concernant les droits de leurs actionnaires d'avoir recours à des conseillers extérieurs pour les guider dans leurs décisions.

[291]     Le Tribunal rejette cette demande d'ordonnance.

II)            L'action dérivée

1)    Monique Charland doit-elle être autorisée à instituer une action dérivée au bénéfice des mises en cause, vu le comportement des défendeurs?

2)    Si oui, selon quelles modalités?

[292]     Monique Charland demande l'autorisation du Tribunal d'instituer une action dérivée afin de protéger les mises en cause des abus commis contre elles par leurs administrateurs et officiers.

[293]     Le droit à l’action dérivée doit être examiné en vertu de l’article 33 C.p.c. et des dispositions au C.c.Q. qui permettent d'observer certaines mécaniques de protection et de réparation.

[294]     Pour qu'une action dérivée soit accueillie, certaines conditions doivent être présentes.  La jurisprudence détermine les critères applicables afin qu’un tel recours puisse être exercé, tel que décrit dans Crevier c. Paquin[109] :

L'action dérivée permet à un actionnaire d'exercer en son nom propre un recours pour faire valoir un droit que possède la compagnie. La reconnaissance d'un tel recours a pour effet de permettre à l'actionnaire de substituer en quelque sorte sa volonté à celle de la compagnie en regard de l'exercice du recours et comporte par conséquent une intervention d'autorité des tribunaux dans la gestion de la compagnie. Il est établi par une jurisprudence constante que les tribunaux normalement n'interviennent pas ainsi et un tel recours n'est admis que lorsque les personnes qui détiennent ou contrôlent la majorité des actions ne permettent pas qu'action soit prise au nom de la corporation. Ce recours ne peut être exercé qu'en trois circonstances soit:

1) Lorsque l'acte reproché est ultra vires des pouvoirs de la compagnie et par conséquent ne peut être validé par ratification;

2) Lorsque l'acte reproché constitue une fraude ou l'équivalent à l'endroit des actionnaires minoritaires

ou

3) Lorsqu'il s'agit d'un acte qui ne peut être posé par la compagnie en vertu de sa charte ou de ses règlements qu'avec l'assentiment d'une majorité spéciale. »

(…)

[295]     Concernant la question de savoir quand un actionnaire peut entreprendre un recours au nom de la compagnie, voici ce que Me Paul Martel indique :

Normalement, la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre appartient aux administrateurs de la compagnie, et nullement aux actionnaires. Si les administrateurs décident de ne pas poursuivre, les tribunaux n’interviendront pas à l’égard d’une telle mesure d’administration interne, à moins qu’on ne leur prouve que cette décision n’a pas été prise dans l’intérêt de cette compagnie, mais bien à son détriment, pour avantager les administrateurs ou des personnes qu’ils entendent protéger.[110]

[296]     Pour pouvoir entreprendre une action dérivée, Monique Charland doit démontrer que les défendeurs ont commis des actes illégaux, car non autorisés.  Il peut également s'agir d'actes frauduleux ou de nature frauduleuse par les dirigeants et administrateurs qui utilisent les mises en cause.

[297]     Dans le présent cas, aucune preuve n’est présentée voulant que les administrateurs, dirigeants ou actionnaires des sociétés du Groupe Baluchon aient tiré un quelconque avantage et encore moins un avantage indu, de la situation ou aient agi de façon illégale à l'encontre des intérêts des mises en cause.

[298]     Par ailleurs, la jurisprudence considère que pour démontrer qu’une personne agit de bonne foi dans la poursuite de son action dérivée, il faut que le recours entrepris le soit pris dans l’intérêt de la société et non pour servir ses intérêts personnels[111].

[299]     Monique Charland ne démontre pas que l'action dérivée est justifiée au bénéfice des mises en cause et que les administrateurs et dirigeants ont commis des fautes justifiant cette action.

[300]     À la lumière de l'ensemble de l'analyse qui est faite en détail sur le volet de l'oppression et de l'abus de droit, le Tribunal ne peut conclure que les mises en cause sont mal dirigées.  Une action dérivée n'est nullement indiquée en l'espèce.

[301]     La demande de Monique Charland d'entreprendre une action dérivée est donc rejetée.

III)           Les ordonnances prononcées le 12 décembre 2005 par le juge Michel Richard doivent-elles être maintenues?

[302]     Le 12 décembre 2005, le juge Michel Richard a prononcé des ordonnances de sauvegarde dans le présent dossier.  Celles-ci ont été rendues à la suite d'un consentement.  La soussignée a prononcé la levée de certaines des ordonnances le 2 février 2012, sans opposition de la part de Monique Charland.

[303]     Compte tenu des conclusions auxquelles le Tribunal en arrive sur l'ensemble des questions visant le recours en oppression et l'action dérivée, aucune des ordonnances rendues par le juge Richard le 12 décembre 2005, et qui sont toujours en vigueur, ne doit être maintenue.

[304]     Par ailleurs, il a été convenu le dernier jour de l'audience qu'advenant que le Tribunal annule les ordonnances, ce dispositif serait prononcé nonobstant appel.

LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

IV)          La demande reconventionnelle des défendeurs, Jean Scarpino, Guy Levasseur, Pierre Hétu, Sylvie Binette, Yvon Levasseur, Philippe Heinly, Léo Beaudin, Louis Lessard, Yves Savard et Céline Lessard doit-elle être accueillie?

[305]     Les défendeurs réclament, par la voie d'une demande reconventionnelle, une somme de 45 000 $ chacun.  Cette réclamation est composée d'une réclamation de 20 000 $ sauf à parfaire à titre de remboursement des honoraires et déboursés encourus pour assurer leur défense à l'action et une somme de 25 000 $ à titre de dommages moraux.

[306]     Le Tribunal reprend les réclamations de chacun des défendeurs à la lumière de la preuve offerte.

·        JEAN SCARPINO

[307]     Jean Scarpino est un travailleur d'usine qui devient actionnaire de SPEQ I, en acquérant 500 actions à 10 $ chacune, pour un investissement de 5 000 $.  Il est nommé officier et administrateur de Gestion I lors de la création de celle-ci.  À ce titre, il participe aux réunions du conseil d'administration de Gestion I.  C'est ainsi qu'il approuve le transfert d'actions de la famille Guimond à la compagnie de gestion de Léo Beaudin, le 22 novembre 2004[112].

[308]     Jean Scarpino réagit vivement à la réception de la requête introductive d'instance.  Ainsi, il met un mois et demi à la lire afin de la comprendre.  Il est inquiet et stressé.  Il craint les conséquences financières, lorsqu'il comprend qu'il est poursuivi pour 150 000 $[113] selon la requête initiale.  Il est également inquiété par les requêtes amendées alors que les montants réclamés sont augmentés.

[309]     Il consacre trois jours à sa préparation en vue de son interrogatoire au préalable.  Celui-ci s'est étendu sur une journée, la transcription contient 232 pages et 16 engagements sont souscrits.  Il consacre deux jours de préparation en vue de l'audition devant la soussignée.

[310]     Il encourt 7 568,53 $ pour les honoraires et déboursés payés à son avocat.

[311]     Jean Scarpino ajoute qu'il est heurté par les interventions de Me Paquette, alors qu'il assiste, tel qu'autorisé par l'ordonnance de sauvegarde rendue par le juge Michel Richard le 12 décembre 2005, aux assemblées générales des actionnaires.  Jean Scarpino qualifie d'arrogante l'attitude de Me Paquette, qui se présente aux assemblées avec Monique Charland et un ou deux avocats de son cabinet.  Selon Jean Scarpino, Me Paquette tente de contrôler l'assemblée.  Il ajoute qu'il trouve la présence et les interventions intimidantes afin de faire pression sur les actionnaires comme si ces derniers étaient «des êtres sans conscience».

·        GUY LEVASSEUR

[312]     Guy Levasseur est actionnaire et administrateur de Gestion I.

[313]     Guy Levasseur ne comprend pas pourquoi il a été poursuivi n'ayant jamais été impliqué dans un litige, il se sent dépassé par la procédure.  Il éprouve d'ailleurs des difficultés à la comprendre et à en saisir toute la portée.

[314]     La procédure initiale contient tout un chapitre où il est allégué que les dirigeants bénéficient de gratuité au marché d'alimentation de Guy Levasseur.  Ces allégations sont contestées puis retirées avant l'audience.

[315]     Les frais de défense qu'il encourt sont de 8 200,53 $.

[316]     Guy Levasseur explique qu'il éprouve beaucoup de stress lors de son interrogatoire au préalable.  Celui-ci dure deux jours de temps et est retranscrit sur 495 pages et 11 engagements sont souscrits.

[317]     De plus, il est inquiété par les réclamations en dommages qu'il considère très élevés.

·        PIERRE HÉTU

[318]     Pierre Hétu est actionnaire de Gestion I et II et sa compagnie personnelle de gestion est actionnaire de SPEQ III.  Depuis le 19 juin 2004, il est membre du conseil d'administration du Baluchon.  Il est architecte et à ce titre, participe à plusieurs projets de construction sur le site du Baluchon.  Pierre Hétu se fait réclamer 150 000 $ à titre de dommage moral subi par Monique Charland et pour dommages punitifs.  Il réagit très fortement à cette réclamation.

[319]     Pierre Hétu explique qu'en tant qu'architecte, il estime que sa réputation doit être sans tache.  Il est impliqué par une demande visant à le déclarer inhabile à siéger à un conseil d'administration et il conteste vivement cette déclaration[114].

[320]     L'interrogatoire que lui a fait subir Me Paquette dure trois jours.  Il contient 870 pages de transcription.  De plus, Pierre Hétu souscrit 66 engagements.

[321]     Il a dû recommencer à prendre des médicaments en lien avec une maladie chronique.  Le relevé DH-9 détaille le temps et déboursés consacrés au litige.

[322]     Les frais de défense qu'il a encourus sont de 12 360,16 $.

·        YVON LEVASSEUR

[323]     Yvon Levasseur est poursuivi par Monique Charland lors du dépôt de l'action.  Toutefois, les conclusions qui le visent sont retirées par l'amendement d'octobre 2011.

[324]     Yvon Levasseur témoigne avoir été fortement inquiété par la poursuite, alors qu'on lui réclame 150 000 $ en lien avec la vente de ses actions.

[325]     Yvon Levasseur explique que cela lui a causé un très grand stress.  Étant donné qu'il est anxieux, il a perdu le sommeil et n'a plus de concentration.  Cela l'a même poussé à abuser de l'alcool et il en éprouve de la colère.  C'est la première fois qu'il est impliqué dans une poursuite.

[326]     Il subit son interrogatoire qui dure deux jours comme un exercice excessivement stressant.  L'interrogatoire est transcrit sur 509 pages et il a dû souscrire 13 engagements.

[327]     Yvon Levasseur encourt 5 058,05 $ pour ses frais de défense, et ce, compte tenu des allégations qui le visent jusqu'au moment où les conclusions sont retirées contre lui.

·        PHILIPPE HEINLY

[328]     Philippe Heinly est poursuivi à titre de défendeur.  Il n'a jamais occupé de poste d'administrateur au sein de l'une ou l'autre des entités corporatives du Baluchon.

[329]     Il est devenu actionnaire de SPEQ I ayant acquis 465 actions de cette société en 1999.

[330]     Philippe Heinly n'est pas au courant de l'engagement préalable, proposé par les avocats McCarthy, Tétrault dans la lettre du 23 décembre 2004[115] de ne pas vendre ses actions.  Il vend ses actions à 17 $, les ayant acquises à 12 $.  Il ajoute qu'il a dû payer 25 % d'impôt sur cette transaction.

[331]     Philippe Heinly décrit la procédure de Monique Charland en novembre 2005 comme un tsunami.  Il dit n'avoir jamais été impliqué dans un litige au préalable.  Il qualifie la procédure de «brique démesurée».

[332]     Philippe Heinly se croit potentiellement responsable d'un montant de dommages de 150 000 $.  Lui et sa femme réagissent très fortement à cette menace.  En parallèle, dès leur retour en France, leur fils éprouve beaucoup de difficultés d'adaptation et son épouse est malade.  Il est donc difficile pour le Tribunal de départager les difficultés personnelles subies par la famille Heinly dues à leur retour en France par opposition à l'effet qu'a pu avoir l'action de Monique Charland.

[333]     Philippe Heinly réclame le remboursement des frais d'avocats qu'il a dû assumer au montant de 6 237,76 $.

·        LÉO BEAUDIN

[334]     Léo Beaudin est un homme d'affaires prospère qui a vendu une entreprise de meubles à l'automne 2004.

[335]     En novembre 2004, Léo Beaudin conclut la transaction avec la famille Guimond.

[336]     En ce qui concerne l'achat des actions de Philippe Heinly, il n'y donne pas suite, compte tenu des mises en demeure envoyées par Monique Charland et ses avocats.

[337]     De plus, il réclame des dommages pour perte de temps et dommages moraux.  Il dit avoir été très incommodé par la poursuite, n'ayant jamais, malgré sa longue expérience d'homme d'affaires, fait face à une poursuite judiciaire.  Il dit avoir souffert d'insomnie et avoir été très inquiet de devoir hypothéquer sa résidence, notamment à cause de la réclamation de 150 000 $.

[338]     Léo Beaudin est interrogé par Me Paquette le 20 septembre 2007.  La transcription est de 331 pages et 10 engagements sont souscrits.  La lecture de l'interrogatoire trouble le Tribunal.  Cet interrogatoire laisse comprendre à son lecteur le mépris avec lequel Me Paquette a interrogé Léo Beaudin le questionnant particulièrement quant à sa capacité de compréhension, à ses habiletés et sa capacité de lire un simple document[116].

[339]     Me Paquette met en doute la capacité de lecture de Léo Beaudin en le forçant devant sténographe et tous les avocats présents à lire un texte pour mesurer s'il en est capable et s'il en saisit la teneur.  Léo Beaudin est humilié par cet exercice.

[340]     Les frais de défense qu'il encourt sont de 5 892,10 $.

·        SYLVIE BINETTE

[341]     Sylvie Binette est ajoutée comme défenderesse lors du premier amendement à la requête initiale.

[342]     Elle retient, avec les autres défendeurs, les services de Me Jean-François Houle.  Elle a dû assumer des frais de défense au montant de 2 606,91 $.  Cependant, à la suite d'un amendement, toutes les conclusions sont retirées contre elle.  Enfin, elle retire le mandat à Me Houle de la représenter peu avant le procès.

[343]     Ainsi, dans le dernier tableau déposé devant le Tribunal par Me Houle, le nom de Sylvie Binette n'apparaît plus.

[344]     Au procès, elle est assignée par l'avocat de Monique Charland.  Elle explique qu'elle soutient celle-ci dans la poursuite.  Elle ne témoigne pas concernant sa réclamation initiale pour dommage moral et en remboursement de ses frais d'avocats.

·        LOUIS LESSARD

[345]     Louis Lessard est le principal protagoniste du Baluchon.

[346]     Jusqu'en 2004, Louis Lessard est président du Groupe le Baluchon.

[347]     À la suite des recommandations du rapport Maletto, le poste de président du conseil d'administration du Baluchon est confié à un tiers sans lien initial avec le Baluchon.

[348]     Louis Lessard explique avoir été profondément affecté par la réception des procédures contenant des allégations déraisonnables et fausses à son égard.  Cela entraîne beaucoup d'anxiété chez lui.

[349]     Il se décrit comme un leader reconnu dans la région et il craignait qu'un doute ne s'installe parmi les actionnaires et les employés du Baluchon.  Pourtant, l'entreprise va bien.  De plus, il ne comprend pas pourquoi des actionnaires sont également poursuivis comme défendeurs ou impliqués à titre de mises en cause.

[350]     Louis Lessard réagit fortement au fait que la procédure est un document public hautement préjudiciable.  Il dit avoir été affecté par les questions des journalistes à plus d'une occasion.

[351]     Pendant un mois et demi, il a dû consacrer une à deux heures par jour pour se préparer à son interrogatoire hors Cour.  Il y consacre autant de temps à sa préparation en vue du procès, en plus des huit à neuf heures chaque jour des deux fins de semaine précédant son témoignage.

[352]     De plus, l'échec d'une tentative de règlement hors Cour en novembre 2009 l'ébranle profondément.  Louis Lessard en perd totalement le sommeil.  Il doit alors suivre une cure importante pour retrouver le sommeil durant une période de quelques mois.

[353]     Louis Lessard est interrogé par Me Paquette et sa transcription contient 341 pages et il souscrit 18 engagements.

[354]     Les frais de défense qu'il encourt sont de 17 574,36 $.

·        YVES SAVARD

[355]     Yves Savard est vice-président développement du Groupe le Baluchon.  Il fait partie de l'aventure depuis 1982.

[356]     Yves Savard réagit extrêmement négativement à la réception des procédures.  De son point de vue, il ne comprend pas comment une procédure judiciaire peut contenir tant d'éléments qui déforment totalement la vérité.  Cela lui occasionne du stress et il estime que l'objectif de la procédure est de miner la crédibilité des dirigeants auprès des actionnaires.

[357]     Durant les assemblées des actionnaires, Yves Savard observe que Me Paquette semble en recrutement pour trouver des clients parmi les actionnaires et cela engendre sa colère.  Il constate que cela a également l'effet de créer un sentiment d'insécurité chez les employés du Baluchon.

[358]     Yves Savard explique être profondément attaché à l'entreprise le Baluchon.

[359]     L'entreprise va tellement bien au moment de l'émission des procédures, qu'il ne comprend pas.  Il ajoute que son interrogatoire hors Cour est extrêmement difficile, d'autant plus qu'il y a eu deux remises des dates prévues.  Cela a entraîné trois séances de préparation.  À chaque fois, il consacre énormément de temps et d'énergie à la préparation.

[360]     De plus, il s'active à collecter les nombreuses informations requises pour répondre aux innombrables demandes d'engagements, vu l'absence de Céline Lessard du travail pour cause de maladie.  Il cite à titre d'exemple Pierre Hétu qui doit répondre à 66 engagements.  Yves Savard ajoute que les engagements sont souvent répétitifs d'un témoin à l'autre, ce qui double ou triple les efforts à cet égard.

[361]     Malgré toutes les heures consacrées, il n'arrive pas.  Il fait appel à Céline Lessard et il le regrette amèrement, car bien qu'elle soit en congé de maladie, elle vient l'aider pour trouver l'information.

[362]     Concernant la procédure originale, il estime que les conclusions A-80 et A-81 concernant les réclamations pour dommages moraux et punitifs de 150 000 $ sont démesurées.  Dans la procédure amendée d'octobre 2011, il est d'avis que la conclusion A-42 où on lui demande une indemnisation de 734 186,25 $[117] pour les frais d'avocats et 77 000 $[118] pour les déboursés de Monique Charland est complètement exagérée.

[363]     Yves Savard subit également des problèmes de santé.  Il a dû tout de même demeurer au travail, puisque Céline Lessard et Louis Lessard sont en congé de maladie.  Ainsi, il a dû remplacer Louis Lessard à l'assemblée des actionnaires de 2010.  Il se prépare avec énormément de minutie, car il sait que Me Paquette et ses collègues seront présents à ladite assemblée des actionnaires, tel que prévu à l'ordonnance du juge Richard.  Yves Savard ne conteste pas le droit de Monique Charland d'être représentée, mais conteste la façon dont cette représentation est exercée.

[364]     Par ailleurs, l'interrogatoire que Me Paquette lui fait subir s'échelonne sur deux jours.  La transcription contient 775 pages et 58 engagements sont souscrits.  Yves Savard explique que Me Paquette met en doute sa compétence d'administrateur et de gestionnaire, questionnant également ses diplômes.  Yves Savard trouve cet exercice excessivement pénible.

[365]     Les frais de défense qu'il encourt sont de 17 574,36 $.

·        CÉLINE LESSARD

[366]     Quand Céline Lessard reçoit le huissier pour la première fois avec la procédure en novembre 2005, elle éprouve un sentiment d'impuissance.  Elle constate que 23 personnes physiques et morales sont parties à la procédure.  En regardant les 338 allégations et les 134 conclusions, elle voit l'énormité et l'ampleur de la procédure.

[367]     Après la réception de la procédure, les défendeurs prennent la décision de retenir le même avocat pour les représenter et se partager les coûts.

[368]     En plus de travailler 40 heures semaine aux opérations du Baluchon, elle consacre 15 heures par semaine pour se préparer à l'opposition à la demande d'ordonnance de sauvegarde.  La préparation de la contestation requiert trois semaines de travail.

[369]     En octobre 2006, elle éprouve des problèmes de santé.  Elle reporte de deux mois sa consultation puis est opérée d'urgence en décembre 2006 puis à nouveau en février 2007.  Elle a des traitements de chimiothérapie d'avril à août 2007.

[370]     Les interrogatoires ont lieu durant le printemps et l'été 2007.  Ses collègues éprouvent énormément de difficultés à remplir les multiples engagements requis par Me Paquette.  Elle décide finalement contre l'avis de son médecin de donner un coup de main dans la réponse aux engagements.  Pour chaque journée d'interrogatoire des différentes parties, elle consacre deux jours de travail.  Elle interrompt son travail pour se coucher à chaque période de deux heures.

[371]     Elle obtient un certificat médical pour ne pas être interrogée en 2007, puisqu'elle se sent épuisée.  Elle est finalement interrogée en février 2008.  Elle passe dix heures à se préparer.

[372]     Les coûts de défense, pour les cinq administrateurs Louis Lessard, Yves Savard, Léo Beaudin, Pierre Hétu et Céline Lessard, sont assumés en partie par un assureur administrateur et dirigeants en vertu d'une police.  Les défendeurs s'entendent afin de partager les montants remboursés par l'assureur entre tous les individus poursuivis ou impliqués à titre de mise en cause[119].

[373]     Céline Lessard coordonne les avances de fonds dues à l'avocat des défendeurs.  Il y en a eu 12 à ce jour et chacune a requis quatre à cinq heures de travail.

[374]     Depuis l'émission de la procédure en 2005, Céline Lessard consacre énormément de temps et d'énergie à la préparation des dossiers.

[375]     En novembre 2009, une tentative de règlement se solde par un échec.  Cela engendre pour elle beaucoup d'anxiété.

[376]     En 2010, Céline Lessard est à nouveau opérée d'urgence.

[377]     À la même époque, Louis Lessard tombe malade.  Il reste absent pendant huit mois.  Durant l'absence de ce dernier, Yves Savard et Céline Lessard se répartissent la tâche de Louis Lessard.

[378]     Céline Lessard explique que les assemblées générales d'actionnaires depuis juin 2006 sont beaucoup plus lourdes, puisque Me Paquette se présente avec Monique Charland et sont souvent accompagnés d'un ou deux autres avocats de son cabinet.  Cela implique que chaque décision et document distribué est revu plusieurs fois pour essayer d'éviter les pièges que leur tend Me Paquette.  Le tout rend beaucoup plus lourde la préparation des assemblées générales des actionnaires.

[379]     Par ses interventions, Céline Lessard est d'avis que Me Paquette tente de miner la crédibilité des défendeurs.

[380]     Il en fut de même lors de la demande du vote de confiance en 2008, Me Paquette distribue de la documentation pour faire déclarer ce vote illégal.  Les dirigeants décident d'aller de l'avant et obtiennent un large vote de confiance de l'ensemble des personnes présentes.

[381]     Céline Lessard est interrogée durant deux jours par Me Paquette.  La transcription est de 741 pages et 28 engagements sont souscrits.

[382]     Céline Lessard subit les interrogatoires avec beaucoup de difficultés.  Elle se sent attaquée, puisqu'on met en doute son intégrité et qu'on la traite d'incompétente et de malhonnête.  Elle souffre d'insomnie et d'indigestion.  Ça l'affecte tant au niveau psychique que psychologique.

[383]     La preuve démontre abondamment que Céline Lessard est une personne de grande rigueur et d'un comportement irréprochable.

[384]     Plusieurs témoins confirment à l'audience la qualité du travail de Céline Lessard dans tous les aspects de ses responsabilités.  Des déclarations soulignant la rigueur de Céline Lessard sont même faites par les membres de sa famille qui prennent le parti de Monique Charland, à savoir Gilles Lessard et Claude Lessard, même si ces derniers ont rompu leurs liens avec elle.

[385]     Le Tribunal retient également que Céline Lessard fait preuve de dévouement et d'intégrité au service des actionnaires, des mises en cause et dans le contexte du présent dossier.

[386]     Les frais de défense qu'elle encourt sont de 17 574,36 $.

1)    Le recours de Monique Charland est-il déraisonnable et abusif au sens des articles 4.1 , 4.2 , 54.1 et suivants C.p.c.?

[387]     Les défendeurs et mises en cause demandent le rejet de la procédure entreprise, car elle serait elle-même abusive ou à tout le moins disproportionnée.  Les défendeurs y ajoutent une réclamation en dommages.

[388]     Le Tribunal reprend ci-après le texte des dispositions du C.p.c. alléguées[120] :

4.1. Les parties à une instance sont maîtres de leur dossier dans le respect des règles de procédure et des délais prévus au présent code et elles sont tenues de ne pas agir en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

Le tribunal veille au bon déroulement de l'instance et intervient pour en assurer la saine gestion.

4.2. Dans toute instance, les parties doivent s'assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés, proportionnés à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige; le juge doit faire de même à l'égard des actes de procédure qu'il autorise ou ordonne.

54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.

54.3. Le tribunal peut, dans un cas d'abus, rejeter la demande en justice ou l'acte de procédure, supprimer une conclusion ou en exiger la modification, refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou annuler le bref d'assignation d'un témoin.

54.4. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine.

[389]     Les articles 54.1 C.p.c. et suivants soulèvent la notion d'abus de droit concernant une demande en justice ou une procédure en particulier.

[390]     Les principes découlant de l'arrêt Viel[121]demeurent d'actualité même si cet arrêt précède l'adoption des articles 54.1 C.p.c. et suivants.

[391]     La Cour d'appel établit alors que des dommages pourront être accordés dans le cas où le Tribunal conclut que la poursuite constitue un abus d'ester en justice par opposition à une action mal fondée en faits et en droit.  Ainsi, les honoraires extrajudiciaires ne pourront être attribués à titre de dommages que dans le cas d'abus.

[392]     Avec l'adoption des articles 4.1 , 4.2 C.p.c. suivis des articles 54.1 C.p.c. et suivants, les tribunaux ont maintenant le devoir de sanctionner, en cours d'instance ou au terme d'un procès, l'abus de procédure.

[393]     Une jurisprudence très volumineuse en découle.

[394]     Le concept de légèreté blâmable dans la conduite d'un litige apparaît notamment dans l'arrêt Royal Lepage commercial c. 109650 Canada Ltd[122].

[395]     Cette fois, la Cour d'appel précise qu'une action ne sera pas rejetée au motif que la partie qui l'a entreprise a injustement évalué ses chances de succès.  Seule une procédure n'offrant aucune véritable chance de succès peut être qualifiée d'abusive.  Ainsi, une partie n'abusera pas de ses droits, si elle a tenté de les faire valoir à la condition toutefois qu'elle n'ait pas multiplié inutilement les procédures.

[396]     Une partie qui abuse de son droit d'ester en justice pourra être appelée à rembourser les honoraires encourus à titre de dommages.

[397]     Avec l'arrêt Cosoltec[123], la Cour d'appel se prononce sur la portée des pouvoirs du tribunal en l'application des articles 54.1 C.p.c. et suivants notamment au chapitre des sanctions.

[398]     Le juge Dalphond reprend dans son analyse les principes retenus par la Cour d'appel sous les anciennes dispositions 75.1 et 75.2 C.p.c., dont l'arrêt Viel[124] précité et l'applique à nouveau.  De son côté, le juge Rochon retient qu'une condamnation à des dommages-intérêts s'appuyant sur une preuve des frais encourus peut être prononcée.

[399]     À cet effet, la Cour d'appel, dans Industries Lassonde c. L'Oasis d'Olivia [125], refuse de confirmer le jugement de première instance prononçant une condamnation d'un montant d'honoraires extrajudiciaires, faute de preuve suffisante.

[400]     Tel qu'exprimé dans l'arrêt Aliments Breton c. Bal Global Finance Canada Corporation[126], tout rejet de procédure en cours d'instance doit être ordonné avec la plus grande des prudences dans le cas où le tribunal est convaincu du caractère mal fondé de la procédure.

[401]     Par ailleurs, le juge Nicholas Kasirer de la Cour d'appel[127] refuse l'autorisation d'en appeler de la décision du juge Richard Mongeau dans Grill Newman c. Demers, Beaulne[128] qui sanctionne un comportement où des procédures disproportionnées ont été entreprises.

[402]     Dans cette affaire, le juge de première instance a considéré que la partie demanderesse avait, malgré plusieurs mises en garde, refusé de modifier les procédures.  À titre d'exemple, le juge reproche aux demandeurs d'avoir maintenu une demande de condamnation à des dommages punitifs.  De plus, les amendements apportés aux procédures à la demande du juge étaient purement cosmétiques plutôt que réels.  Enfin, le tribunal reproche aux demandeurs leur manque de concision en violation de l'article 111 C.p.c.

[403]     En résumé, dans les cas d'abus d'ester en justice, le tribunal sanctionnera la partie qui a intenté une procédure la sachant mal fondée ou intentée dans le but de nuire à la partie adverse.

[404]     La sanction dans ce cas peut être le rejet du recours avec une condamnation à des dommages-intérêts incluant les honoraires extrajudiciaires.

[405]     Par ailleurs, le tribunal peut conclure que le recours entrepris n'est pas un abus d'ester en justice dans un cas où il estime que la partie, qui a entrepris le recours, croit avoir des droits à faire valoir.  Le rejet du recours ne découle pas dans ce cas du caractère abusif de celui-ci, mais plutôt de sa faiblesse en faits et/ou en droit.

[406]     Dans ce cas, la partie qui perd peut tout de même être exposée à des dommages-intérêts s'il est démontré que les procédures entreprises sont disproportionnées ou inutiles.

[407]     En effet, dans ce cas, le tribunal pourra prononcer le rejet d'une ou de certaines procédures au motif d'abus, vu leur disproportionnalité et condamner la partie responsable à des dommages-intérêts incluant des honoraires extrajudiciaires en lien avec cette ou ces procédures disproportionnées.

[408]     La condamnation à des dommages-intérêts incluant les honoraires extrajudiciaires pourra être faite si une preuve suffisante des dommages a été présentée au tribunal.

ANALYSE

[409]     Dans le cas sous étude, appliquant les enseignements de la Cour d'appel, il faut évaluer le recours tel qu'entrepris depuis ses débuts.

[410]     Lors de l'émission de la requête originale le 4 novembre 2005, les défendeurs sont poursuivis à ce titre, sauf en ce qui concerne Léo Beaudin.  Ce dernier est mis en cause avec toute une autre série d'individus qui sont, par la suite, retirés lors de l'amendement d'octobre 2011.

[411]     La demande initiale contient 338 allégations et 134 conclusions.  Certaines conclusions visent la mise en place d'un système de dénonciation confidentielle parmi les employés[129], alors qu'il n'y a aucune allégation pouvant mettre en doute la qualité des opérations.

[412]     Les conclusions A-75 à A-78 demandent au Tribunal de déclarer inhabiles à siéger au conseil d'administration les défendeurs Louis et Céline Lessard, Yves Savard et Pierre Hétu.  Ces conclusions sont retirées par la suite.

[413]     À l'origine, Monique Charland réclame des défendeurs : à la conclusion A-79, 1 $ à parfaire à titre de dommages économiques.  Au procès, Monique Charland a déposé une liste de dépenses au montant de 9 923,84 $[130] dont elle réclame le remboursement.

[414]     De plus, elle réclame les déboursés de 90 508,53 $[131] payés et dus à ses avocats.

[415]     Monique Charland réclame aussi 50 000 $ à titre de dommages moraux[132].  Elle réclame 100 000 $ réduits à 50 000 $ en octobre 2011 pour les dommages punitifs[133].

[416]     La procédure est amendée le 12 décembre 2006 puis le 31 août 2007 et contient le même nombre d'allégations et de conclusions.

[417]     Les modifications ont trait à l'ajout de Sylvie Binette dans les conclusions et le changement de statut de Léo Beaudin qui passe de mise en cause à défendeur.

 

[418]     La procédure est amendée à nouveau en date du 24 octobre 2011.  Elle contient 335 allégations et 72 conclusions.  Certaines des conclusions de nature déclaratoire et injonctive sont retirées.

[419]     Enfin, en octobre 2011, Monique Charland ajoute une réclamation à l'encontre des dirigeants en leur réclamant des honoraires à payer de 734 186,25 $[134] avec mise à jour à l'audience au montant de 1 481 059,95 $[135].

[420]     Les interrogatoires au préalable des défendeurs se sont déroulés sur 15 jours.  Ainsi, les notes sténographiques contiennent 4736 pages et 248 engagements sont demandés.

[421]     Les avocats des défendeurs et mises en cause ont procédé à leurs interrogatoires sur trois jours[136] avec un total de 874 pages de notes sténographiques et 42 engagements.

[422]     En date du 13 août 2007, Monique Charland demande une prolongation de délais d'inscription.  L'audience est tenue devant le juge Claude Auclair.

[423]     À cette époque, même si les avocats de Monique Charland ont déjà procédé à sept journées d'interrogatoire au préalable des défendeurs, ils requièrent neuf journées additionnelles pour les compléter.

[424]     Alléguant l'application des articles 4.1 et 4.2 C.p.c., les avocats des défendeurs et mises en cause soutiennent que l'exercice ressemble à une commission d'enquête et une inquisition.  Ils allèguent la nécessité d'obtenir un encadrement strict de la marche à suivre.

[425]     C'est alors que l'avocat de Monique Charland affirme que les interrogatoires au préalable vont très certainement raccourcir l'audition.

[426]     Or, il n'en fut rien.  À l'audience, Me Paquette réfère le Tribunal aux notes sténographiques d'un seul témoin, soit Yvon Levasseur[137] afin d'éviter sa présence.  L'ensemble des transcriptions a été déposé à l'audience.

[427]     En date du 3 octobre 2007, le débat concernant les objections soulevées dans le cadre des interrogatoires au préalable a lieu devant le juge Robert Mongeon[138], 26 objections sont maintenues, 10 rejetées et 9 référées au juge de fonds.

 

 

[428]     Enfin, la procédure est amendée une dernière fois le 15 février 2012 et s'intitule Requête introductive d’instance ré-amendée (2) en jugement déclaratoire, en passation de titres et pour émission d’ordonnances de sauvegarde et en injonction (…) permanente en vertu des articles 6, 7, 300, 317, 321 et suivants, 329, 1375, 1457 et suivants, 1526, 1590, 1607, 1611, 1617, 1712, 2088 et 2130 et suivants du Code civil du Québec, des articles 2, 4.1, 20, 33, 46, 55, 189 et suivants, 453 et suivants, 751 et suivants, 828 et suivants et 844 du Code de procédure civile (…), des articles 104 et suivants, (…) 34, 114.4, 123.72 et suivants, 123.97, 123.98, 123.99, 123.100, 123.111, 123.112, 123.113 et 123.114 de la Loi sur les compagnies (Québec) L.R.Q., c. c-38. et des articles 31, 32, 33, 34, 106, 112, 119 et suivants, 225, 231, 239, 421 et suivants, 439, 445 et suivants et 450 et suivants de la Loi sur les sociétés par actions (Québec), L.R.Q., c. S-31.1 et contient 338 allégations et 75 conclusions.

[429]     Il est à noter que le Tribunal invite à plus d'une occasion les avocats de Monique Charland à amender leur procédure afin de la clarifier et la simplifier.  Le Tribunal refuse même d'accueillir un amendement lors de l'audience préparatoire du 31 octobre 2011, car l'objectif de clarification et de simplification n'est pas atteint.

[430]     Également, à la lumière de l'autorisation par le Tribunal du plan d'arrangement, la demande est faite aux avocats de Monique Charland d'amender à nouveau leurs procédures afin de l'ajuster à la nouvelle structure corporative autorisée.  La lecture de la dernière version de la requête réamendée (2) du 15 février 2012 illustre que le souhait du Tribunal n'a pas été répondu.  La règle de concision énoncée à l'article 111 C.p.c. n'a jamais été observée.

[431]     Le Tribunal estime que la réclamation de Monique Charland contre Jean Scarpino, Pierre Hétu et Guy Levasseur constitue un abus d'ester en justice.  Aucun reproche n'est formulé contre eux, sauf d'avoir «fait partie» du groupe.  Ils n'ont eu aucun rôle à jouer, à part celui de siéger sur le conseil d'administration d'une des mises en cause.  Il s'agit de recours qui ne présentent aucune chance de succès.

[432]     En appliquant les critères énoncés notamment par le juge Dalphond dans l'arrêt Royal Lepage[139], le Tribunal ne peut conclure à l'abus du droit de Monique Charland d'ester en justice concernant le recours entrepris contre les autres défendeurs.  Monique Charland estime qu'elle a un droit à faire valoir à l'encontre de ces défendeurs.  Cependant, le recours est disproportionné.

[433]     Quant à Philippe Heinly, Yvon Levasseur et Léo Beaudin, il s'agit de trois personnes qui ont eu un rôle à jouer en ce qui concerne le désir de Monique Charland d'acquérir des actions.

 

[434]     Bien que le Tribunal rejette le recours de Monique Charland à l'encontre de Philippe Heinly, il ne s'agit pas d'un cas où la poursuite entreprise à l'égard de celui-ci est intentée sans aucun fondement.  Le Tribunal conclut tout de même que la procédure entreprise est déraisonnable quant aux réclamations et moyens entrepris.

[435]     Du côté d'Yvon Levasseur, Monique Charland a intenté une poursuite alors qu'il a refusé de donner suite à la vente de ses actions.  Par la suite, avant l'audience, elle retire ses conclusions contre lui.  Il ne s'agit donc pas d'un cas visé par l'article 54.1 et suivants C.p.c. qui rencontre les exigences de la jurisprudence pour prononcer le rejet du recours.  Le Tribunal estime tout de même que le recours est disproportionné.

[436]     En ce qui concerne Léo Beaudin, au terme des interrogatoires, Monique Charland apprend que ce dernier décide d'acquérir les Petits Actionnaires vendeurs à l'automne 2004.  De plus, il a, par ses gestes, convaincu Yvon Levasseur de renverser sa promesse de vendre ses actions à Monique Charland.

[437]     Le Tribunal ne peut conclure que la poursuite entreprise contre Léo Beaudin doit être rejetée en s'appuyant sur les articles 54.1 et suivants C.p.c., mais en vient à la même conclusion relativement au caractère démesuré de la poursuite entreprise.

[438]     Enfin, concernant la poursuite instituée contre les dirigeants, le Tribunal doit se prononcer sur son caractère abusif ou disproportionné.  Les dirigeants comprennent que leur responsabilité personnelle puisse être engagée vis-à-vis des actionnaires à la lumière des responsabilités qu'ils assument au sein du Groupe le Baluchon.  Ils estiment que toutefois Monique Charland n'est pas de bonne foi, car elle n'a poursuivi que ses ennemis et omis de poursuivre ses alliés, tels Claude Lessard et Gilles Lessard.

[439]     Il est également éloquent que Monique Charland ait retiré ses conclusions contre Sylvie Binette, lorsque celle-ci s'est rangée de son côté.

[440]     Malgré cela, l'action de Monique Charland à l'encontre des trois dirigeants ne peut être rejetée en s'appuyant sur l'article 54.1 C.p.c. et suivants.  Cependant, encore ici, le caractère déraisonnable de la façon dont le recours est mené demeure pertinent.

[441]     À la lumière de l'ensemble de l'analyse faite dans le présent dossier, le Tribunal en vient à la conclusion que le recours en oppression et l'action dérivée étaient disproportionnés et démesurés, eu égard aux véritables enjeux et problèmes existants à l'égard des droits de Monique Charland dans le présent dossier.

[442]     Le dossier est truffé d'allégations, de suppositions, faisant en sorte qu'une large partie de l'argumentation soutenue par l'avocat de Monique Charland s'appuie sur des présomptions de fait qui n'ont pu être prouvées.  De plus, l'information était, en large mesure, connue à la suite des interrogatoires.  Le Tribunal n'estime pas toutefois que les interrogatoires ont été utiles ou nécessaires dans l'ensemble pour faire la lumière dans ce dossier.

[443]     Or, le Tribunal arrive à la conclusion qu'une requête en jugement déclaratoire aurait pu éclaircir les droits de Monique Charland, à titre d'actionnaires afin de répondre aux questions et vider le débat.

[444]     Au lieu d'emprunter cette voie, Monique Charland choisit en 2005 d'entreprendre et continuer une procédure qui a causé énormément de pression sur les défendeurs et mises en cause.  Une requête en jugement déclaratoire aurait entraîné un débat plus ciblé et moins étendu dans le temps.  De plus, un tel recours aurait pu apporter les réponses appropriées aux interrogations des parties.

[445]     Le Tribunal conclut que la procédure entreprise par Monique Charland est disproportionnée au sens des articles 4.1 , 4.2 , 54.1 et suivants C.p.c.

2)    Les défendeurs ont-ils droit au remboursement de leurs frais de défense et à des dommages moraux en raison des procédures de Monique Charland?

[446]     Le Tribunal estime que la réclamation en remboursement des honoraires et déboursés est bien fondée en ce qui concerne Jean Scarpino, Guy Levasseur et Pierre Hétu.  Vu le rôle extrêmement limité de ces derniers, le Tribunal ne comprend pas pourquoi ils sont poursuivis personnellement, de sorte qu'ils ont droit au remboursement de leurs frais de défense et a une indemnité pour dommage moral.  D'autant plus que Sylvie Binette, qui est dans une situation comparable à la leur, n'est plus visée par aucune conclusion.

[447]     Jean Scarpino a droit au remboursement de ses frais de défense au montant de 7 568,53$ et à une indemnité pour dommages moraux de 500 $.

[448]     Guy Levasseur a droit au remboursement de ses frais de défense au montant de 8 200,33 $ et à une indemnité pour dommages moraux de 500 $.

[449]     Pierre Hétu a droit au remboursement de ses frais de défense au montant de 12 360,16 $ et à une indemnité pour ses dommages moraux de 500 $.

[450]     À l'audience, Sylvie Binette ne fait état ni de sa réclamation initialement entreprise pour perte de temps, stress et dommages moraux ni des frais encourus.

[451]     Le Tribunal constate que la demande reconventionnelle de Sylvie Binette n'a pas fait l'objet d'une preuve et que celle-ci doit donc être rejetée, mais sans frais.

[452]     En ce qui concerne la réclamation des autres défendeurs à l'encontre de Monique Charland, des frais de défense élevés auraient pu être évités, n'eut été du recours et des procédures disproportionnées entreprises et maintenues par Monique Charland et ses avocats.

 

 

[453]     Ainsi, le Tribunal estime que le remboursement aux autres défendeurs de la moitié de leurs frais de défense est une mesure de réparation adéquate.  Pour faire cette détermination, le Tribunal a considéré le déroulement de l'instance en analysant diverses étapes franchies avec le détail des travaux en cours notés par les avocats (…)  des défendeurs[140].

[454]     Le Tribunal ordonne à Monique Charland de payer à :

- Philippe Heinly :                   3 118,88 $

- Yvon Levasseur :                  2 529,27 $

- Léo Beaudin :                       2 946,06 $

- Céline Lessard :                  8 787,18 $

- Yves Savard :                       8 787,18 $

- Louis Lessard :                    8 787,18 $

[455]     En ce qui concerne les réclamations des dirigeants pour leurs dommages moraux, le Tribunal ne peut les accorder.

[456]     Le Tribunal reconnaît que les défendeurs ont éprouvé un profond malaise depuis l'institution des procédures.  Cependant, en tant que dirigeants des entreprises qui composent le Groupe le Baluchon, ils ont dû défendre les mises en cause et de veiller à leur représentation adéquate.  Leurs efforts et implications ont été faits principalement à ce titre.

[457]     En ce qui concerne la réclamation pour dommages moraux de Philippe Heinly et Yvon Levasseur, le Tribunal ne peut les accorder.  Le Tribunal n'a pas été convaincu de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice réclamé et la façon dont les procédures ont été instituées et menées.

[458]     En ce qui concerne la réclamation pour dommages moraux de Léo Beaudin, le Tribunal doit l'accorder en partie.  En effet, le Tribunal est d'avis que Léo Beaudin a été humilié lors de son interrogatoire au préalable, alors que l'avocat de Monique Charland interroge Léo Beaudin pour tenter d'évaluer si ce dernier sait lire.  Le Tribunal lui attribue la somme de 500 $ au chapitre des dommages moraux.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[459]     REJETTE la requête en oppression instituée par Monique Charland;

 

[460]     REJETTE la requête en action dérivée instituée par Monique Charland;

[461]     PREND ACTE de l'engagement et ORDONNE au Baluchon 2011 d'émettre 1 200 actions ordinaires à Monique Charland;

[462]     PREND ACTE de la consignation du montant de 19 200 $ déposé au greffe de la Cour à titre de paiement des actions et en conséquence ORDONNE la remise du dépôt de 19 200 $ au Baluchon 2011 pour acquérir 1 200 actions;

[463]     CONDAMNE Monique Charland à payer à :

-         Jean Scarpino le montant de 7 568,53 $ en remboursement de ses frais de défense et une somme de 500 $ à titre de dommages moraux;

-         Guy Levasseur le montant de 8 200,53 $ en remboursement de ses frais de défense et une somme de 500 $ à titre de dommages moraux;

-         Pierre Hétu le montant de 12 360,16 $ en remboursement de ses frais de défense et une somme de 500 $ à titre de dommages moraux;

-         Philippe Heinly le montant de 3 118,88 $ en remboursement de la moitié de ses frais de défense;

-         Léo Beaudin le montant de 2 946,05 $ en remboursement de la moitié des frais de défense et 500 $ à titre de dommages moraux;

-         Yvon Levasseur le montant de 2 529,03 $ en remboursement de la moitié de ses frais de défense;

-         Louis Lessard le montant de 8 787,18 $ en remboursement de la moitié de ses frais de défense;

-         Céline Lessard le montant de 8 787,18 $ en remboursement de la moitié de ses frais de défense;

-         Yves Savard le montant de 8 787,18 $ en remboursement de la moitié de ses frais de défense;

-         Ces condamnations monétaires sont prononcées avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec depuis l'institution des procédures;

[464]     ORDONNE la levée des ordonnances prononcées le 12 décembre 2005 par le juge Michel Richard, cette conclusion étant applicable immédiatement, nonobstant appel;

[465]     LE TOUT avec dépens en faveur de tous les défendeurs et des mises en cause.

 

 

 

__________________________________

CHANTAL CORRIVEAU, j.c.s.

 

Me Guy Paquette, Me Vanessa O'Connell-Chrétien

et Me Karine St-Louis

Paquette, Gadler

Avocats de la demanderesse

 

Me Jean-François Houle

Houle, Nilsson, Jutras & Lafrenière

Avocat des défendeurs, à l'exception de Sylvie Binette

 

Me Jean Lortie et Me Philippe Levasseur

McCarthy, Tétrault

Avocats des mises en cause

 

Mme Sylvie Binette

Se représente seule

 

Dates d'audience :

6 au 23 février, 12 au 16 mars, 21 et 22 mars, 26 au 30 mars

et 2 avril 2012

 



[1]     La référence au Groupe le Baluchon inclut toutes les mises en cause ainsi que 2868-5550 Québec inc . (SPEQ I).

[2]     La réclamation des dépenses est détaillée à la pièce P-295e) et celle des déboursés a été mises à jour à l'audience par la production de la pièce P-295b).

[3]     La réclamation des honoraires a été mise à jour à l'audience par le dépôt de la pièce P-295a)2.

[4]     Lors de sa constitution, le Baluchon est une compagnie sans but lucratif constituée sous la partie III de la Loi sur les compagnies du Québec, L.R.Q., chapitre C-38, selon les lettres patentes du 19 octobre 1982 (P-17).  Le 4 juin 1991, les lettres patentes du Baluchon sont amendées afin de continuer celle-ci sous la partie 1A de la LCQ (P-18).

[5]     En vertu de la partie 1A de la Loi sur les compagnies du Québec (pièce P-1).

[6]     Id., pièce P-25.

[7]     Id., pièce P-22.

[8]    Le certificat de fusion en date du 1er avril 1998 est la pièce P-19.

[9]     Pièce P-31.

[10]    Pièce P-27.

[11]   Le certificat de fusion en date du 1er novembre 2004 est la pièce P-20.

[12]    La nouvelle entité Baluchon 2011 est régie par la Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q. c. S-31.1 par la décision rendue du 2 février 2012 dans le dossier numéro 500-11-041863-115.  Baluchon 2011 n'est pas partie à la présente action.

[13]    Tel qu’il appert des registres des administrateurs de SPEQ II, pièce P-13.

[14]    Tel qu'il appert du registre des administrateurs du Baluchon (pièce P-12) et de celui de SPEQ III (pièce P-14).

[15]    Tel que défini à la clause 1.11 de la convention unanime des actionnaires du 4 décembre 1998 (P-7).

[16]    9031-9633 Québec inc.

[17]    Pièce P-8.

[18]    Pièce P-7.

[19]    Pour chaque mise en cause, voir les pièces suivantes: SPEQ I (P-10), Gestion I (P-24), SPEQ II (P-11) Gestion II (P-30), SPEQ III (P-9).

[20]    Il s'agit d'une société régie par la Loi sur les sociétés de placements dans l'entreprise québécoise, L.R.Q. c. S-29.1.

[21]    Pièce P-42.

[22]    Pièce P-7.

[23]    Jean-Marc Gauthier quitte le Baluchon en 1998.  Il vend alors toutes ses actions au Fonds, à Monique Charland ainsi qu'aux trois dirigeants.  Jean-Marc Gauthier n'est pas remplacé au sein du Groupe de Contrôle.

[24]    Pièce P-44.

[25]    Pièce P-46.

[26]    Pièce P-48.

[27]    L'addendum est inclus à la pièce P-46.

[28]    Pièce P-48 au point 03-38.

[29]    Pièce P-7, paragr. 5.3.

[30]    Patricia Brouard est la conjointe de Louis Lessard.

[31]    Pièce P-53.

[32]    Pièce P-74.

[33]    Pièce P-75.

[34]    Pièces P-100 et P-136.

[35]    Pièce P-147l).

[36]    Pièce P-290.

[37]    Pièce P-49.

[38]    Tel qu'il appert du registre des actionnaires, pièce P-4, p. 23.

[39]    Pièce B-78.

[40]    Pièce P-288.

[41]    Pièce P-20.

[42]    Elle ne répond pas à la demande de Céline Lessard en ce sens, voir son courriel du 7 février 2005, pièce P-76.

[43]    Selon la lettre d'engagement de cette firme datée du 5 août 2005, mais rétroactive au 3 novembre 2004 (pièce P-296).

[44]    Pièce P-54, Monique Charland n'a pas donné suite à cette offre.

[45]    Pièce P-85, Monique Charland n'a pas donné suite à cette offre.

[46]    Pièce P-59.

[47]    Selon l'interrogatoire au préalable d'Yvon Levasseur du 13 février 2007, pages 248 à 255.

[48]    Pièce P-58.

[49]    Pièce P-60.

[50]    À l'audience, Monique Charland prend l'engagement moral de verser 30 $ par action à Yvon Levasseur, si le Tribunal lui donne raison, soit 36 000 $.

[51]    Pièce B-39.

[52]    Léo Beaudin agit en tant que représentant de sa compagnie de gestion qui acquiert les actions.

[53]    Pièce P-62.

[54]    Pièce P-293, annexe 3.

[55]    Il s'agit des pièces P-61, P-63, P-64.

[56]    P-65.

[57]    Pièce P-68.

[58]    Pièce B-31.

[59]    Pièce P-187b).

[60]    Pièce P-119.

[61]    Pièce P-105.

[62]    Pièce P-116.

[63]    Pièce B-24.

[64]    Pièces P-39 et P-206.

[65]    Pièce P-24.

[66]    Pièce P-65.

[67]    Pièce P-66.

[68]    Pièce P-269.

[69]    L.R.Q. chapitre V-1.1.

[70]    Pièce P-309.

[71]    Pièce P-272.

[72]    Pièce P-271.

[73]    2011 QCCS 6703 .  L'appel a été rejeté sur requête en date du 2 avril 2012.

[74]    10 janvier 2012, 500-11-032486-082.

[75]    Gustavson Drilling (1964) c. Le ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271 .

[76]    Laprise c. Résidence Seigneuriale 2005 inc., 2010 QCCS 1639 ; Grant c. Dion, 2007 QCCS 4833 .  Ces principes découlent d'un arrêt de la Cour d'appel rendu dans Martineau, Provencher & Associés Ltée c. Grace, 2001 CANLII 20656 QC CA, [2001] R.J.Q. 2414 .

[77]    Maurice MARTEL, Paul MARTEL, La compagnie au Québec, Les aspects juridiques, volume 1, Montréal, Wilson & Lafleur, Édition feuilles mobiles, page 31-3.

[78]    Desautels c. Desautels, 2005 CanLII 26795 (QC CS), paragr. 25, AZ-50325974 .

[79]    REJB 2001-28096 (C.S.), paragr. 21. «Comme les cours supérieures possèdent les pouvoirs de la Queen's Bench en Common Law et de la Chancery Court en equity en Angleterre, les principes d'Ebrahimi c. Westbourne Galleries Limited sont applicables en l'instance indépendamment de la présence ou de l'absence d'un texte semblable à ceux que l'on retrouve aux articles 234 et ss de la Loi sur les sociétés par actions (L.R.C. c. C-44). Cet arrêt a donné lieu à la théorie de l'attente légitime des actionnaires qui est retenue par WELLING, B. et par la professeure Raymonde Crête dans Les actionnaires minoritaires des compagnies québécoises: qu'en est-il de leurs recours en cas d'oppression? et par la juge Rayle de notre Cour dans Krela c. OrthoSoft inc. Dans une certaine mesure, l'arrêt de la Cour d'appel dans Martineau, Provencher & Associés c. Grace.»

[80]    BCE inc. c. Détenteurs de débentures de 1976, 2008 CSC 69 .

[81]    Id.

[82]    Raffo c. Teknor Ordinateurs Industriels inc., REJB 2000-17421 , paragr. 64, J.E. 2000-806 , C.S.

[83]    Consolidated Enfield Corp. c. Blair, [1995] 4 R.C.S. 5 , 57.

[84]    Pièces P-136 et P-100.

[85]    Pièces P-74 et P-75.

[86]    Pièce P-271.

[87]    Pièce P-24.

[88]    Didier LLUELLES, Les Obligations, Éditions Thémis, Montréal, 2006, p. 1324.

[89]    Id., p. 821 et ss.

[90]    Paul MARTEL, Les conventions entre actionnaires, une approche pratique, Éditions Wilson & Lafleur Martel ltée, Montréal, 2011, p. 18.

[91]    Pièce P-60.

[92]    Pièce P-104.

[93]    Pièce P-180.

[94]    Pièces P-50, P-54, P-85, P-303, P-304 et P-306.

[95]    La convention des actionnaires P-7 du Baluchon propose un texte différent quant aux modalités à suivre lors de la vente d'actions entrevifs.

[96]    Pièce P-180.

[97]    Pièces P-60, P-104 et P-180.

[98]    Pièce P-104, parag. 3 (troisième document).

[99]    Pièce P-60.

[100]   Pièce P-111, lettre du 21 juin 2005.

[101]   La valeur du rachat apparaît à la lettre (pièce P-288) de McCarthy, Tétrault du 29 octobre 2004 qui répond à la lettre (pièce B-78) de Monique Charland du 25 octobre 2004.

[102]   Pièce P-295e).

[103]   Pièce P-295b) et c).

[104]   Pièce P-24.

[105]   P-295a)2.

[106]   Pièces P-79 et P-296.

[107]   [1996] 3 R.C.S. 211 .

[108]   2012 CSC 8 .

[109]   [1975] C.S. 260 , SOQUIJ AZ-75021075 .

[110]   Précitée, note 90, dernière mise à jour août 2010, p. 30-18.

[111]   Bennet v. Rudek 2008 BCSC 1278 CanLII.

[112]   Pièce P-115.

[113]   Conclusions A-80 et A-81 de la requête introductive d'instance du 4 novembre 2005.

[114]   Id., conclusion A-78.

[115]   Pièce P-65.

[116]   Voir les pages 13, 14, 17 et 18 de l'interrogatoire au préalable de Léo Beaudin du 20 septembre 2007.

[117]   Le montant est mis à jour au montant de 1 481 059,95 $ à l'audience.

[118]   Le montant est mis à jour au montant de 90 508,53 $ à l'audience.

[119]   Jusqu'à l'amendement du 15 février 2012, les mises en cause comptent neuf individus.  Le tableau DL-10 constitue la dernière mise à jour des coûts encourus.

[120]   Le Tribunal omet d'énumération l'article 54.2 C.p.c., car cette disposition ne peut s'appliquer à un recours entrepris avant son entrée en vigueur.

[121]   Colette Viel c. Entreprises immobilières du terroir, [2002] R.J.Q. 1262 , AZ-50124437 , C.A.

[122]   2007 QCCA 915 .

[123]   Cosoltec c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 .

[124]   Précitée, note 121.

[125]   2012 QCCA 593 .

[126]   2010 QCCA 1369 .

[127]   Grill Newman c. Demers, Beaulne, 2010 QCCA 358 .

[128]   2009 QCCS 5827 .

[129]   Conclusion A-7 de la requête initiale déposée en novembre 2005.

[130]   Pièces P-295e) et P-295f).

[131]   Pièce P-295c).

[132]   Précitée, note 113, conclusion A-80.

[133]   Id., conclusion A-81 qui devient A-38 dans la dernière version de février 2012.

[134]   Conclusion A-42.

[135]   Pièce P-294a.2).

[136]   Sans compter les trois occasions où trois témoins interrogés par Me Paquette sont, le même jour, interrogés par Me Lortie.

[137]   Le témoin a dû venir témoigner dans le cadre de la preuve de sa demande reconventionnelle.

[138]   Certaines questions et objections sont retirées durant l'échange.

[139]   Précitée, note 122.

[140]   Pièce non caviardée DL-2, DH-2, DS-3, DHY-1 sous scellé.

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