Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

200788

Cas :

CM-2009-3314

 

Référence :

2010 QCCRT 0322

 

Montréal, le

23 juin 2010

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Irène Zaïkoff, juge administrative

______________________________________________________________________

 

 

Christine Gorsy

 

Plaignante

c.

 

Association des parents de l’enfance en difficulté de la Rive-Sud, Montréal, ltée

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

 

 

[1]           Le 22 janvier 2009, Christine Gorsy (la plaignante) dépose une plainte selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (la Loi), dans laquelle elle allègue avoir été congédiée sans cause juste et suffisante le 29 décembre 2008 par l’Association des parents de l’enfance en difficulté de la Rive-Sud, Montréal, ltée (l’employeur).

[2]           L’employeur admet les conditions d’ouverture du recours, soit que la plaignante est une salariée, de plus de deux ans de service continu et qu’il l’a congédiée. Par contre, il soutient avoir fait un congédiement administratif le 19 décembre 2008, en raison de son absence prolongée (près de 30 mois) et de son incapacité à fournir une prestation de travail normale dans un avenir prévisible. De plus, il allègue qu’il ne pouvait l’accommoder sans subir une contrainte excessive.

[3]           À la demande de l’employeur, la Commission ne scinde pas sa compétence et les parties administrent une preuve tant sur le fond que sur les modes de réparation. Compte tenu des conclusions auxquelles la Commission arrive, seule la preuve pertinente quant au fond sera rapportée.

la preuve

[4]           L’employeur est un petit organisme sans but lucratif, à vocation communautaire, dont le financement dépend essentiellement de subventions. Son objet est de soutenir les parents d’enfants ayant une déficience intellectuelle ou un problème de santé mentale. Ses activités s’articulent autour de trois volets : un axé sur le soutien aux parents, un autre destiné à procurer des activités aux jeunes, et enfin le programme « Coup de pouce », par lequel sont offerts des services d’intervention à domicile aux familles ayant un enfant avec des problèmes de santé mentale.

[5]           L’organisme emploie environ huit employés permanents, dont la directrice générale, qui gère les affaires courantes et s’occupe des ressources humaines. Il est dirigé par un conseil d’administration composé de bénévoles, qui se réunit environ aux huit semaines.

[6]           En janvier 2000, la plaignante est embauchée comme coordinatrice du programme « Coup de pouce ». Sa tâche principale consiste à faire des interventions à domicile auprès des familles, en lien avec les divers intervenants de la santé ou des services sociaux. À l’exception d’une brève période, la plaignante travaille seule.

l’absence de la plaignante

[7]           Le 8 juillet 2006, la plaignante dépose à l’employeur un certificat médical, daté du 5 juillet, qui la met en arrêt de travail pour dépression. Elle est prise en charge par les assurances collectives, et ce, sans interruption jusqu’en novembre 2008. Elle fournit régulièrement des certificats médicaux à l’employeur jusqu’à la mi-juin 2007.

[8]           Selon un document de janvier 2007, un retour au travail est considéré pour la fin mars 2007. Un autre retour progressif au travail à partir de la mi-juillet 2007 est mentionné dans le dernier certificat. Cependant, la plaignante ne revient pas au travail à ces dates, ni à aucun moment avant son congédiement en décembre 2008.

les documents médicaux portés à la connaissance de l’employeur

[9]           Madame Suzie Lessard devient directrice générale par intérim en janvier 2008 et sur une base permanente en décembre de la même année. Elle a auparavant travaillé à divers autres postes chez l’employeur. Elle prend connaissance du dossier de la plaignante et y trouve copie des certificats médicaux. Elle constate que la plaignante n’en envoie plus depuis juin 2007. Par ailleurs, le dossier contient quelques autres documents en lien avec son état de santé.

[10]        Plus spécifiquement, elle y trouve des copies d’une demande de prestations aux assurances collectives, datée du 8 janvier 2007 et des rapports supplémentaires pour les assurances collectives, datés du 26 mars 2007 et du 2 mai 2007. De plus, en février 2008, la plaignante la sollicite pour qu’elle complète en partie une demande de règlement pour une assurance hypothèque avec une institution financière. Ces documents sont pris sous réserve, la plaignante s’opposant à leur dépôt en raison de leur caractère confidentiel et du fait qu’ils ne devraient pas être en possession de l’employeur.

[11]        Il y a lieu de rejeter maintenant cette objection. Ces documents sont pertinents puisqu’ils permettent d’établir l’historique de l’état de santé de la plaignante tel que connu par l’employeur. La preuve a démontré que pour deux d’entre eux, la plaignante a requis l’aide de l’employeur pour les remplir en partie. Un de ces documents a même été acheminé par l’employeur directement à l’institution financière. Pour les deux autres documents, bien que l’actuelle directrice générale, madame Lessard, ignore comment ils ont été mis au dossier de l’employeur, la preuve ne démontre pas qu’ils auraient été obtenus illégalement. Il est plus vraisemblable que la plaignante en ait donné copie à l’employeur à l’époque, mais qu’elle ne s’en souvienne pas, tout comme elle n’avait pas souvenir au début des audiences d’avoir sollicité l’employeur pour remplir les autres documents.

[12]        Il ressort des documents au dossier de la plaignante que celle-ci a subi une dépression en raison de problèmes familiaux majeurs, en lien avec son père et avec son ex-conjoint. Elle a indiqué à diverses reprises qu’il ne s’agissait pas d’un accident de travail. Elle est toujours incapable de travailler en février 2008 et il n’y a pas de perspective de retour au travail.

La conversation de juin 2008

[13]        Au printemps 2008, madame Lessard réalise que la plaignante n’assume pas sa part des primes d’assurance depuis le début de son absence, ainsi qu’elle le devrait. C’est l’employeur qui a déboursé la totalité de la prime. Aussi, le 29 avril 2008, elle lui écrit qu’elle doit rembourser 1 087,53 $ à l’employeur et assumer le versement de ses primes mensuelles de 42,64 $. Cette lettre sera suivie d’une autre, une semaine plus tard, afin d’apporter une correction mineure.

[14]        Ne recevant pas de réponse à ses lettres, la directrice générale essaie, sans succès, de joindre la plaignante par téléphone au début du mois de juin. Elle laisse des messages qui demeurent sans réponse.

[15]        Finalement, à la mi-juin 2008, la directrice générale et la plaignante arrivent à se parler de vive voix, par téléphone. Selon la directrice générale, la plaignante contacte la commis-comptable plutôt qu’elle-même. Elle lui est transférée conformément à ses instructions. La plaignante affirme au contraire avoir appelé immédiatement la directrice générale après réception des lettres sur les primes d’assurance. Cependant, elle confirme les avoir reçues de façon concomitante à la date qui est mentionnée dessus, en avril ainsi qu’en début mai, et elle ne contredit pas la directrice générale quant à l’époque où a lieu cet entretien téléphonique, soit mi-juin. Il y a donc lieu de retenir la version de la directrice générale.

[16]        La plaignante refuse de rembourser la somme réclamée par l’employeur ou, à tout le moins, veut en discuter avec le conseil d’administration, mais semble disposée à payer une partie de sa part des primes pour le futur. La conversation dévie ensuite sur les perspectives de retour au travail. Les versions de la directrice générale et de la plaignante diffèrent à nouveau.

[17]        Selon la directrice générale, la plaignante est hésitante à répondre quand elle lui demande si elle envisage un retour au travail. Elle veut savoir si la conversation est enregistrée. Rassurée sur ce point, elle se renseigne sur son poste. La directrice générale lui répond qu’il n’existe plus tel quel, car il a été modifié depuis son départ. La plaignante lui dit alors qu’elle ne peut plus occuper le même genre de fonction, étant trop fragile à la suite des problèmes personnels qu’elle a vécus. La directrice générale lui répond qu’à l’exception de postes d’intervenantes, elle n’en a pas d’autres à lui confier. La plaignante lui aurait alors dit qu’elle comprenait et ne voulait de toute façon plus revenir chez l’employeur. Elle souhaitait réorienter sa carrière et donner des conférences sur son vécu. Pour cela, elle entend faire une réclamation à la CSST, pour pouvoir financer une réorientation professionnelle et requiert l’aide de la directrice générale à cette fin. Celle-ci refuse. La plaignante n’a donné aucune information selon laquelle son état de santé lui permettrait de reprendre le travail dans un avenir prévisible.

[18]        La directrice générale retient donc de cette conversation que la plaignante n’est toujours pas apte au travail, qu’elle ne souhaite pas revenir dans un poste d’intervenante et qu’elle considère faire une réclamation à la CSST.

[19]        La plaignante affirme qu’elle n’a jamais demandé si son poste existait toujours, car elle en était persuadée. Elle nie avoir dit qu’elle ne voulait pas revenir dans son poste ou dans un poste similaire. Au contraire, elle se dit très attachée à son travail. Quant aux conférences qu’elle voulait donner, elle soutient que c’est dans le cadre de son emploi qu’elle pensait les faire et partager ainsi son vécu avec la clientèle et les autres employés. Elle nie avoir parlé de ses problèmes personnels et avoir évoqué une réclamation à la CSST. Elle aurait cependant expliqué à la directrice générale qu’elle aurait dû être indemnisée par la CSST, car sa maladie aurait été causée par un incident survenu lors de son travail. Elle a « partagé » avec madame Lessard ce qu’elle aurait subi, soit des menaces de la part d’un homme, après le départ de sa conjointe avec leurs enfants auprès de qui elle était intervenue. Elle soutient que l’ancienne directrice générale l’aurait dissuadée de faire une réclamation à la CSST. Elle précise avoir voulu que madame Lessard l’assure qu’elle serait soutenue si une telle situation devait se reproduire.

[20]        La plaignante ne donne pas suite aux demandes de remboursement et de paiement des primes.

[21]        À la suite de cette conversation, en juillet 2008, la directrice générale consulte un avocat en regard de la gestion du dossier de la plaignante. L’avocat doit la rappeler pour lui faire part de ses recommandations. Sur ses conseils, elle met par écrit un résumé de la conversation qu’elle a eue quelques semaines auparavant avec la plaignante et décide à l’avenir de noter leurs entretiens. Les notes qu’elle dépose à l’audience reflètent correctement son témoignage.

[22]        Les vacances estivales et l’absence de réunions du conseil d’administration pendant l’été suspendent temporairement les interventions de la directrice générale.

La réclamation de la plaignante à la CSST

[23]        En août 2008, la plaignante dépose une réclamation à la CSST. Assez paradoxalement, elle affirme à l’audience que sa démarche était motivée par son désir de revenir au travail chez l’employeur.

[24]        La directrice générale, sur les conseils de son avocat, suspend toute action pour mettre fin à l’emploi de la plaignante tant que cette réclamation ne sera pas traitée.

[25]        En septembre 2008, la CSST refuse la réclamation de la plaignante parce que tardive. La plaignante dépose une demande de révision en octobre.

la fin d’emploi de la plaignante

[26]        À la suite de la réception de la décision de la CSST, la directrice générale s’inscrit à un séminaire en matière de cessation d’emploi donné par la Commission des normes du travail au début du mois d’octobre pour être mieux à même de gérer le cas de la plaignante, qu’elle juge complexe. Au terme de cette formation, elle discute avec les conférencières et leur soumet le cas de la plaignante. Elle comprend que malgré les propos de la plaignante selon lesquels elle ne voudrait pas revenir au travail, il serait préférable de lui envoyer une lettre l’avisant de sa fin d’emploi.

[27]        À la fin du mois d’octobre, la directrice générale reçoit un appel d’un certain monsieur Dupuis, de la firme Optima, qui a reçu mandat de l’assureur d’évaluer les possibilités de retour au travail de la plaignante. Il a déjà rencontré cette dernière dans le cadre de son évaluation. La directrice générale lui expose ce qu’elle sait de la situation de la plaignante et lui fait part de leur conversation de la mi-juin, selon laquelle la plaignante lui a dit ne pas être apte à revenir et ne pas le désirer. Monsieur Dupuis lui aurait confirmé que la plaignante ne pourrait pas revenir dans son emploi d’intervenante dans un avenir prévisible. Compte tenu de la nature et de la taille de l’organisme, la directrice générale l’informe qu’elle ne voit pas quel autre poste elle pourrait confier à la plaignante.

[28]        La directrice générale charge la commis-comptable de vérifier auprès de leur courtier et de leur assureur si le fait de mettre fin à l’emploi de la plaignante peut la pénaliser au niveau de ses prestations d’assurance. On lui affirme que l’invalidité ayant commencé avant la fin d’emploi, ses droits aux prestations ne seraient pas affectés.

[29]        Le 7 novembre 2008, la directrice générale saisit le conseil d’administration de la situation de la plaignante. La nature des fonctions de la plaignante exige qu’elle ait une bonne santé mentale, d’autant plus qu’elle est seule lors des interventions. Or, elle ne semble toujours pas apte au travail. Elle suggère qu’on mette fin à son emploi compte tenu de la longue absence, qu’aucun retour au travail n’est envisageable et des difficultés que cela occasionne. Le conseil d’administration lui donne le mandat de préparer un dossier complet aux fins de procéder au congédiement de la plaignante à la séance suivante.

[30]        La directrice générale explique que les difficultés auxquelles elle réfère sont de trois ordres. D’une part, la structure de l’organisme a été modifiée en mars 2008. Le poste de la plaignante a été transformé en mars 2008 pour devenir celui de coordinatrice santé mentale, aux responsabilités élargies. Celle-ci est responsable du programme « Coup de pouce » et de certaines activités avec les jeunes, autrefois sous la responsabilité de la coordinatrice services aux jeunes. Elle supervise une à deux intervenantes. La personne qui a remplacé à l’origine la plaignante est la titulaire de ce poste et celle-ci s’inquiète de la précarité de son statut. Certaines tâches de ce nouveau poste n’étaient pas auparavant faites par la plaignante et madame Lessard doute de ses capacités à les effectuer. La plaignante affirme pour sa part qu’elle aurait été capable professionnellement de les accomplir.

[31]        D’autre part, la plaignante n’assume pas ses primes d’assurance et n’a pas remboursé le trop-payé de l’employeur. Celui-ci continue à assumer la totalité des primes. De plus, le fait que la plaignante soit toujours à l’emploi oblige l’employeur à produire certains documents administratifs.

[32]        Enfin, la plaignante est difficile à joindre. Toutefois, la directrice générale convient qu’elle a tenté de contacter la plaignante qu’à environ cinq reprises.

[33]        Le 11 décembre 2008, la directrice générale expose l’historique du dossier de la plaignante au conseil d’administration, qui décide de procéder à son congédiement.

[34]        La directrice générale tente de joindre la plaignante afin de lui annoncer la nouvelle, mais sans succès. Elle lui envoie une lettre datée du 19 décembre 2008 l’informant de la décision du conseil. Elle précise que l’employeur renonce à lui demander le remboursement des primes.

[35]        Le 23 décembre 2008, la plaignante appelle la commis-comptable, qui a pour consigne de la transférer à la directrice générale. Selon cette dernière, celle-ci n’aurait pas encore eu connaissance de la lettre l’informant de son congédiement. La plaignante soutient le contraire, mais son témoignage est imprécis, voire confus.

[36]        Lors de cette conversation, la plaignante nie avoir dit en juin qu’elle ne voulait pas reprendre son emploi, mais elle ne mentionne pas être apte au travail. Au contraire, elle avise l’employeur qu’elle a demandé une révision administrative de la décision de la CSST refusant sa réclamation. La plaignante attribue les causes de sa maladie à l’ancienne directrice générale et au manque de soutien au moment où elle recevait des menaces de la part d’un client.

[37]        La directrice générale n’a jamais reçu d’information, même à la suite du congédiement, indiquant que la plaignante était apte au travail. Par ailleurs, elle ne lui a pas demandé de subir une expertise médicale ou de fournir un certificat médical.

la preuve médicale postérieure

[38]        En octobre 2009, la Commission des lésions professionnelles rejette l’appel de la plaignante à la suite du refus de sa réclamation par la CSST et par l’instance de révision, en raison de la tardivité de sa réclamation.

[39]        Lors de ces audiences, l’employeur obtient copie de deux expertises médicales, qu’il veut déposer en preuve à la Commission. La première est celle d’un médecin expert, Docteur Montagne, qui a examiné la plaignante à la demande de l’assureur à la mi-décembre 2008, soit de façon contemporaine à son congédiement, et qui a fait un rapport daté du 5 janvier 2009. La deuxième est celle du Docteur Béliveau, qui a produit un rapport à la demande de la plaignante après l’avoir rencontrée en juillet 2009.

[40]        La plaignante s’objecte au dépôt de ces expertises parce qu’elles sont postérieures à la décision de l’employeur de la congédier. L’employeur allègue que même s’il n’avait pas connaissance de ces expertises, elles portent en grande partie, sinon entièrement, sur des faits antérieurs au congédiement et elles permettent d’apporter un éclairage complet sur l’historique médical de la plaignante et sur ses expectatives de retour au travail.

[41]        Les deux expertises sont prises sous réserve. Il convient maintenant de trancher les objections. La règle en cette matière a été établie dans l’arrêt Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095 , et se résume comme suit : « une telle preuve sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné » (par.13).

[42]        La Commission rejette les objections et accepte le dépôt de ces deux expertises. Celles-ci permettent d’apporter un éclairage pertinent sur l’état de santé de la plaignante au moment de son congédiement, sur sa volonté de reprendre le travail et sur la date éventuelle d’un retour au travail. De plus, ces rapports font état de faits qui se sont passés avant le congédiement et qui ont fait l’objet de témoignages. Ainsi, ils permettent de corroborer certaines versions et sont hautement utiles pour évaluer la crédibilité des témoins. La Cour suprême du Canada a récemment confirmé qu’un arbitre de griefs avait eu raison de considérer une expertise médicale postérieure au congédiement dans un contexte de congédiement administratif en raison d’une incapacité physique à fournir une prestation de travail, puisque les faits postérieurs s’inscrivaient dans un continuum et permettaient de préciser la situation réelle au moment du grief (Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161 , par. 34).

[43]        Abordons maintenant plus en détail le contenu de ces deux expertises.

[44]        Docteur Montagne a pour mandat de déterminer si la plaignante répond à la définition d’invalidité totale après 24 mois d’absence, c'est-à-dire si elle est incapable de se livrer à tout travail (avant 24 mois, l’assuré a droit aux prestations s’il n’est pas apte à occuper son emploi). Il résume l’ensemble du dossier médical de la plaignante. Il n’est pas utile ici de le relater, sinon qu’il confirme que la plaignante a été sous les soins de nombreux médecins ou professionnels de la santé entre 2006 et le moment de l’expertise, mi-décembre 2008. En ce qui à trait à 2008, il mentionne que la plaignante a dû être hospitalisée en psychiatrie pendant deux semaines en février 2008, et qu’elle a eu de vingt à trente séances avec une psychologue. Celle-ci note en fin octobre 2008 que la plaignante démontre encore « une grande tristesse, un mal de vivre, elle pleurait beaucoup ».

[45]        Docteur Montagne résume aussi le rapport de monsieur Dupuis, du groupe Optima, daté du 23 octobre 2008, qui a rencontré la plaignante à son domicile afin d’explorer les possibilités de retour au travail. Selon ce rapport, la plaignante doute qu’elle puisse revenir à son travail antérieur, car elle a peur de rechuter. Elle souhaite réorienter sa carrière et donner des conférences pour partager son expérience avec les gens, mais elle ne sait pas comment structurer son projet. Quant aux possibilités de retour au travail, il conclut : « le potentiel de réadaptation à court terme à son emploi, apparaît incertain à cause des conflits au travail et dans sa vie personnelle. […] Le potentiel de réadaptation à moyen ou plus long terme au même emploi est incertain. Il est possible qu’il faille passer par un autre genre d’emploi ».

[46]        Par la suite, Docteur Montagne relate les propos de la plaignante lors de leur entrevue quant à un éventuel retour au travail :

Lorsque je lui demande si elle a actuellement une activité professionnelle, elle hésite, puis répond que non. Puis elle ajoute que l’argent, ce n’est pas le bonheur. Madame prétend qu’elle ne sait pas quand elle pourra retourner au travail. Puis, d’un ton vigoureux, avec le sourire, madame nous dit qu’elle ne retournera jamais chez son employeur, APEDRSM car, dit-elle, elle a des valeurs et on les aurait méprisées. Questionnée sur ce qui peut l’empêcher actuellement de travailler, Madame parle de sa peine, de sa déception. Elle nous dit qu’avec tout le bagage quelle a, elle est sûre qu’elle pourrait être conseillère pour le ministre ou porte-parole pour les maisons d’hébergement. (p.14)

[…]

Il s’avère que Madame n’a aucune intention de retourner à son emploi, elle dit être complètement démotivée, en rupture d’idéal par rapport à cet emploi.

(Reproduit tel quel; p.16.)

[47]        Docteur Montagne conclut que la motivation de la plaignante pour tout travail est faible, mais qu’elle est en mesure d’occuper un emploi rémunérateur.

[48]        Docteur Béliveau a reçu mandat de la plaignante et son expertise a été produite au soutien de ses prétentions à la Commission des lésions professionnelles. Elle est donc particulièrement pertinente aux fins de déterminer quelle était la position de la plaignante à l’époque quant à son état de santé et à un éventuel retour au travail. Docteur Béliveau, qui voit la plaignante sept mois plus tard, soit en juillet 2009, ne partage pas l’avis du Docteur Montagne. Selon lui, la plaignante présente depuis juillet 2006 une symptomatologie continue de dépression qui la rend encore incapable d’exercer de façon régulière tout emploi rémunérateur. Il juge qu’elle n’est toujours pas consolidée à la date de son examen. Quant aux perspectives de retour au travail dans le futur, il écrit :

Étant donné que la condition psychique de Mme Gorsy n’est pas encore consolidée, il est par conséquent trop tôt pour tenter d’évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles qu’elle conservera sur le plan psychique en relation avec l’évènement du 8 juillet 2006.

[49]        La plaignante soutient que ses propos ont mal été interprétés tant par monsieur Dupuis que par Docteur Montagne. Elle affirme, comme elle l’a soutenu à l’égard de ceux relatés par la directrice générale, qu’elle évoquait la possibilité de donner des conférences dans le cadre de son emploi. Quant à l’opinion du Docteur Béliveau sur son état de santé, elle dit qu’il n’a passé que peu de temps avec elle et qu’elle a essentiellement parlé à son adjointe.

[50]        La plaignante confirme cependant l’historique médical relaté dans les expertises. Outre l’épisode déjà relaté de février 2008, elle convient qu’elle avait encore besoin d’aide en août, ainsi qu’en octobre 2008, lorsqu’elle a déposé respectivement sa demande d’indemnisation et de révision à la CSST. Il en était de même lorsqu’elle a parlé à monsieur Dupuis et en mars 2009, lorsqu’elle a fait appel à la Commission des lésions professionnelles. Son congédiement aurait été un facteur aggravant selon elle à son état psychologique. Sur ce point, la Commission note cependant que Docteur Béliveau ne fait aucune mention de sa fin d’emploi en lien avec une aggravation de son état de santé.

[51]        La plaignante a connu un autre épisode en avril 2009, qui a entraîné son hospitalisation. Lors des audiences à la Commission des lésions professionnelles en octobre 2009, elle prétendait toujours ne pas être apte au travail. Elle a continué à prendre de la médication et à avoir des suivis mensuels avec son médecin jusqu’en février 2010.

[52]        Questionnée sur son état de santé et sa capacité à reprendre le travail au moment de son congédiement, le témoignage de la plaignante fluctue. Elle prétend qu’elle était apte au travail à 85 % lorsqu’on l’a congédiée et qu’elle a même suivi une formation de ressourcement pour reprendre le travail chez l’employeur. Puis, elle ne se souvient plus si ce séminaire a eu lieu avant ou après son congédiement. Elle n’a pas non plus transmis de documents médicaux pouvant laisser croire à une amélioration ou à un retour au travail. Elle dit ensuite qu’elle aurait pu reprendre son poste seulement si on lui avait offert des garanties de sécurité. À un autre moment, elle soutient qu’elle a toujours été apte au travail, et ce, depuis le début de son absence, en 2006. Tout de suite après, elle dit qu’elle souffrait d’une grande tristesse et avait besoin d’aide.

les motifs

[53]        Les conditions d’ouverture du recours étant admises, l’employeur assume le fardeau de preuve de démontrer qu’il a congédié la plaignante pour une cause juste et suffisante. En l’espèce, la seule cause qui est invoquée est d’ordre administratif, soit la longue incapacité de la plaignante et l’absence de retour au travail dans un avenir prévisible, jumelées à une intention manifeste de la plaignante de ne pas reprendre son emploi. Dans un premier temps, la Commission exposera quels sont les principes qui gouvernent un congédiement en pareille matière, puis elle en fera l’application au cas en l’espèce.

les principes en matière de congédiement pour incapacité au travail

[54]        La jurisprudence en droit du travail a établi un test « classique » en deux volets en matière de congédiement administratif pour incapacité à fournir une prestation de travail : la preuve d’une absence prolongée (ou d’un taux d’absentéisme excessif) et celle d’une incapacité à fournir une prestation de travail normale, sur une base régulière, dans un avenir prévisible ou rapproché (Langlois c. Gaz Métropolitain inc. 2004 QCCRT 0267 , requêtes en révision judiciaire et pour permission d’appeler rejetées AZ-50351207 et AZ-5036830; Tecilla c. Sistemalux inc., 2004 QCCRT 0552 ; Anctil c. Industries Maibec inc., 2005 QCCRT 0101 ).

[55]        La plaignante invite la Commission à retenir un test appliqué à maintes reprises dans ses décisions, où, en plus des deux critères énoncés précédemment, la preuve d’un préjudice subi à l’entreprise doit aussi être faite. Ce test a reçu l’aval des tribunaux judiciaires (Whol c. Joly, D.T.E. 96T-230 , C.S.; Brunet c. Arthrolab inc., 2010 QCCA 123 ). Elle plaide aussi que l’employeur doit respecter les droits fondamentaux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12 (la Charte), et l’obligation d’accommodement qui en découle.

[56]        La Commission considère qu’il y a lieu d’aborder le présent dossier en considérant les balises édictées par la Charte. En effet, il est bien établi qu’une maladie psychologique empêchant l’employé de fournir sa prestation de travail est un handicap et que l’employeur doit respecter la Charte qui prohibe la discrimination fondée notamment sur ce motif (article 10). Plus précisément, on reconnaît que l’employeur doit tâcher d’accommoder le salarié sans que cela ne lui cause de contraintes excessives.

[57]        La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée dans deux arrêts sur l’interaction de l’obligation d’accommodement de l’employeur et celle de l’employé de fournir une prestation de travail.

[58]        Dans le premier, l’arrêt Centre universitaire de santé McGill précité, la Cour suprême rétablit la décision de l’arbitre de grief maintenant le congédiement d’une employée absente depuis trois ans. L’approche des juges est divisée, mais les conclusions sont au même effet. Pour la juge Deschamps, qui écrit au nom de quatre autres juges, le maintien du lien d’emploi pendant une longue période, en l’espèce en raison d’une clause d’une convention collective, est en soi une mesure accommodement. Cependant, le simple écoulement du temps ne suffit pas à justifier un congédiement. L’employeur doit faire une évaluation individualisée de la situation avant de congédier son employé. Par ailleurs, certaines obligations incombent aussi à l’employé : « L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée. L’employée doit faire sa part dans la recherche d’un compromis raisonnable. SI l’accommodement prévu par la convention en l’espèce lui paraissait insuffisant et qu’elle estimait être en mesure de reprendre le travail dans un délai raisonnable, elle devait fournir à l’arbitre des éléments permettant à celui-ci de conclure en sa faveur » (par. 38).

[59]        Dans un arrêt postérieur, Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), [2008] 2 R.C.S. 561 , la Cour aborde à nouveau cette question, mais cette fois de façon unanime. La Cour rappelle que la base d’une relation d’emploi est la prestation de travail moyennant une rémunération. L’obligation d’accommodement dans un contexte d’emploi vise à permettre à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail sans que l’employeur n’en subisse une contrainte excessive (par. 13). Quant à la contrainte excessive, la Cour précise ce qui suit :

[15]      L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération une prestation de travail.[…]

[16]      Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

[17]      En raison du caractère individualisé de l’obligation d’accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir une contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l’employé, ou même procéder à autoriser des déplacements de personnel, permettait à l’employé de fournir sa prestation de travail, l’employeur devra alors ainsi accommoder l’employé. […] Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, l’employé ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuve et établi l’existence d’une contrainte excessive.

(Nos soulignements.)

[60]        La Cour résume ainsi l’interaction entre l’obligation d’accommodement de l’employeur et celle de l’employé de fournir une prestation de travail :

[19]      L’obligation d’accommodement est donc parfaitement conciliable avec les règles générales du droit du travail, tant celle qui impose à l’employeur l’obligation de respecter les droits fondamentaux des employés que celle qui oblige les employés à fournir leur prestation de travail. L’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur cesse là où les obligations fondamentales rattachées à la relation de travail ne peuvent plus être remplies par l’employé dans un avenir prévisible.

[61]        À la lumière de ces principes, la Commission analysera la preuve en regard des principes dégagés par la Cour suprême. Ainsi, les critères de droit du travail utilisés traditionnellement seront abordés à travers l’examen de deux éléments : les accommodements de l’employeur dans le but de permettre à la salariée de fournir une prestation de travail normale et régulière et l’évaluation faite par l’employeur dans sa décision de congédier la plaignante.

application DE ces principes en l’espèce

Les accommodements adoptés par l’employeur

[62]        La plaignante plaide que la durée de l’absence, dans les circonstances, ne remplit pas les critères de la jurisprudence pour être considérée comme excessive. Elle souligne qu’elle avait près de 9 ans d’ancienneté au moment de son congédiement et que son absence n’est due qu’à une seule cause. De plus, à deux reprises, des retours progressifs au travail ont été mentionnés dans la documentation médicale. Celui du mois de juin 2007 ne se serait pas concrétisé par la faute de l’employeur. Enfin, elle souligne que l’employeur, l’ayant remplacée, ne subit pas de contraintes excessives de son absence.

[63]        La Commission retient que l’employeur a maintenu le lien d’emploi pendant près de trente mois, alors que la plaignante a été en incapacité totale pendant toute cette période.

[64]        Malgré le fait que deux certificats médicaux aient fait mention de retour progressif en 2007, ceux-ci ne se sont pas concrétisés. La plaignante a toujours été considérée comme incapable de reprendre son poste par l’assureur, qui a continué à l’indemniser. Aucune demande de retour au travail progressif n’a été formulée à l’employeur dans les 18 mois précédant le congédiement.

[65]        La durée de cette absence est très largement supérieure à celle de 26 semaines prévue à l’article 79.1 de la Loi ou à la période de protection d’emploi prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A.3.001) d’un an pour une entreprise de 20 employés ou moins et de deux ans pour une entreprise de plus de 20 employés (article 240). Cette durée dépasse même celle que l’on trouve dans de nombreuses conventions collectives, qui accordent rarement une protection au-delà de 24 mois.

[66]        Le maintien du lien d’emploi sur une telle période est en soi un accommodement, d’autant plus important considérant la taille de l’organisme et ses faibles moyens financiers. De plus, l’employeur a maintenu les avantages sociaux de la plaignante, et ce, même après avoir découvert qu’il assumait sa part de primes par erreur et qu’elle ne la remboursait pas.

[67]        Dans la mesure où la plaignante n’a pas fourni une quelconque preuve d’amélioration de son état et d’une possibilité de retour au travail avant sa fin d’emploi, l’employeur ne pouvait faire plus pour l’accommoder. Le seul accommodement possible dans ce contexte était donc le maintien du lien d’emploi, ce que l’employeur a fait jusqu’en décembre 2008. Reste à voir s’il était en droit de mettre fin, comme il l’a fait, à l’emploi de la plaignante.

L’évaluation de la situation avant de procéder au congédiement

[68]        La plaignante reproche à l’employeur de n’avoir pas démontré, preuve médicale à l’appui, qu’elle était incapable de reprendre le travail au moment du congédiement et de s’être fondé essentiellement sur une conversation téléphonique qui s’est déroulée six mois avant le congédiement et dont le contenu est nié par elle.

[69]        La Commission est d’avis que l’employeur ne s’est pas contenté de congédier la plaignante en raison du caractère excessif de son absence. Il a procédé de façon individualisée, en tenant compte de la situation particulière de la plaignante.

[70]        D’une part, l’employeur a conclu à bon droit que la plaignante ne reviendrait pas au travail dans un avenir prévisible. Pour cela, il s’est fondé essentiellement sur trois éléments : la conversation du mois de juin 2008, les propos rapportés par monsieur Dupuis et les démarches de la plaignante pour se faire indemniser par la CSST.

[71]        Certes, la preuve est contradictoire quant aux propos de la plaignante sur sa capacité et son désir à reprendre son travail, tenus tant à l’employeur en juin 2008 qu’à monsieur Dupuis en octobre 2008. De plus, celui-ci, bien qu’annoncé comme témoin par la plaignante, n’est pas venu témoigner. Cependant, l’appréciation de la crédibilité des témoignages et l’analyse globale de la preuve amènent la Commission à retenir que l’employeur pouvait raisonnablement arriver à la conclusion que la plaignante ne serait pas apte dans un avenir prévisible à occuper un poste d’intervenante.

[72]        En effet, la crédibilité de la plaignante est douteuse. À plusieurs reprises durant son témoignage, elle hésite à répondre de peur que « cela ne se retourne contre elle », même pendant son interrogatoire principal. Elle se contredit souvent. Elle a en général des souvenirs très flous, et ce, même en prenant en considération le temps écoulé et le fait qu’elle n’ait pu se rafraîchir la mémoire avec son dossier d’employée. Par contre, de façon surprenante, sur certains points précis, elle est alors catégorique et n’hésite pas à contredire le témoignage de la directrice générale ou le contenu des expertises médicales. Elle martèle qu’elle voulait revenir au travail dès 2007, tout au long de son contre-interrogatoire, avec une insistance exagérée.

[73]        Le témoignage de la directrice générale, en plus d’être plus crédible dans l’ensemble que celui de la plaignante, est corroboré par monsieur Dupuis et Docteur Montagne. Il est vrai que ceux-ci ne sont pas venus témoigner, mais l’ensemble de la preuve démontre la fiabilité des propos de monsieur Dupuis, qui sont rapportés de façon identique par la directrice générale et par Docteur Montagne dans le résumé qu’il fait de son rapport. De plus, Docteur Montagne écrit que la plaignante lui a tenu un discours similaire.

[74]        Rappelons que la Commission applique ses propres règles de preuve et de procédure (article 30 des Règles de preuve et de procédure de la Commission des relations du travail). Elle n’est donc pas liée par les règles strictes du ouï-dire qui s’appliquent devant les tribunaux civils.

[75]        Mais il y a plus. En déposant une réclamation à la CSST en août 2008, en demandant la révision de cette décision en octobre 2008 et en poursuivant les démarches devant la Commission des lésions professionnelles (la CLP) jusqu’en octobre 2009, la plaignante a confirmé la version de l’employeur par des actions concrètes visant à faire reconnaître qu’elle n’était pas apte au travail, et ce, tant avant que près d’un an après le congédiement. L’expertise du Docteur Béliveau, que la plaignante a déposée au soutien de ses prétentions à la CLP, est des plus explicites quant au fait que la plaignante n’était pas apte à reprendre le travail.

[76]        Aussi, la preuve démontre que la plaignante ne se sentait plus capable de reprendre son poste ou un emploi d’intervenante et qu’elle désirait réorienter sa carrière.

[77]        D’autre part, l’employeur n’a pas saisi la première occasion pour se débarrasser de la plaignante, loin de là. Après avoir maintenu le lien d’emploi pendant près de trente mois et avoir eu la confirmation que la plaignante ne se sentait plus capable de travailler à titre d’intervenante, il s’est renseigné sur les conséquences d’un congédiement quant au droit de la plaignante à toucher des prestations d’assurance. Il a appris que cela n’aurait pas d’impact. Il est vrai que l’assureur a cessé de verser des prestations à la plaignante en novembre 2008, mais cette décision n’était pas définitive puisque Docteur Montagne n’a rendu son expertise à l’assureur qu’en janvier 2009, soit après le congédiement. De plus, il n’est pas démontré que l’employeur en avait connaissance.

[78]        Enfin, l’employeur a consulté un avocat, la directrice générale a suivi une formation en matière de cessation d’emploi et le conseil d’administration a tenu deux réunions avant de prendre la décision de congédier la plaignante.

[79]        Par ailleurs, la plaignante soumet que les impacts sur l’organisme invoqués par l’employeur ne constituent pas une contrainte excessive. Rappelons que la directrice générale a mentionné, à ce chapitre, les changements dans la structure de l’organisme, le coût du maintien des avantages sociaux, les démarches administratives et la difficulté à joindre la plaignante.

[80]        Compte tenu de la nature des fonctions de la plaignante et de la taille de l’organisme, l’employeur ne pouvait adopter d’autres mesures d’accommodement. La plaignante en indiquant qu’elle ne pouvait et ne souhaitait pas reprendre un emploi d’intervenante ne permettait pas non plus la recherche d’un compromis raisonnable. Le maintien du lien d’emploi demeurait alors la seule mesure possible. Selon les enseignements de la Cour suprême, si l’employé demeure incapable, malgré les mesures d’accommodement, de fournir une prestation de travail, le maintien du lien d’emploi constitue alors une contrainte excessive.

[81]        Manifestement, les choses n’ont pas tourné comme la plaignante le souhaitait : l’assureur a mis fin à ses prestations en raison de l’opinion du Docteur Montagne selon laquelle elle ne répond plus à la définition d’invalidité après 24 mois; la CLP a rejeté sa réclamation parce que tardive. Cela ne lui permet cependant pas de prétendre maintenant qu’elle voulait reprendre son emploi, d’autant plus que lors des audiences, la plaignante est loin d’être convaincante quant à sa capacité à fournir une prestation de travail régulière à l’époque du congédiement. Pour paraphraser la Commission, dans la décision Dumaine c. Urgences Bois-Francs inc., 2007 QCCRT 0111 , « à la lecture des évènements, il est clair que l[a] plaignant[e] frappe sur tous les fronts, plaide une chose et son contraire » (par. 27).

[82]        Compte tenu de l’ensemble des circonstances, l’employeur était fondé à mettre fin à l’emploi de la plaignante.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte.

 

 

__________________________________

Irène Zaïkoff

 

Me Jocelyne Cotnoir

RIVEST, FRADETTE, TELLIER

Représentante de la plaignante

 

Me Nicola Joubert

LAVERY, DE BILLY, S.E.N.C.R.L.

Représentant de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

15 avril 2010

/mfrp

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.