Soudo-Technic inc. |
2008 QCCLP 3232 |
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DÉCISION
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[1] Le 17 janvier 2008, Soudo-Technic inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 7 janvier 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 25 octobre 2007 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par Jimmy Imbeault, le travailleur, en date du 21 janvier 2004.
[3] Une audience était prévue à Sept-Îles le 23 avril 2008 mais l’employeur y a renoncé préférant déposer une argumentation écrite qui fut reçue par le soussigné en date du 14 mai 2008. C’est à cette date que le dossier a été pris en délibéré.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que tous les coûts versés après le 6 août 2004 doivent être imputés aux employeurs de toutes les unités.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la demande de transfert d’imputation déposée par l’employeur est bien fondée.
[6] La demande initiale déposée par l’employeur le 29 juin 2006 invoque les dispositions de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[7] L’employeur demande maintenant à la Commission des lésions professionnelles d’appliquer plutôt les articles 327 et 31 de la loi qui se lisent comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
[8] La Commission des lésions professionnelles a compétence pour statuer sur une demande de partage de coûts formulée en vertu de l’article 327 même si la demande initiale de l’employeur visait plutôt l’obtention d’un partage selon l’article 329 de la loi[2]. Le présent tribunal peut donc se pencher sur cette demande et étudier les critères prévus à l’article 327 de la loi, surtout qu’aucun délai n’est imparti à l’employeur pour s’adresser à la CSST en cette matière[3]
[9] Le tribunal comprend donc que l’employeur se désiste de la demande déposée en vertu de l’article 329 et n’invoque plus que les dispositions de l’article 327 de la loi.
[10] La lésion du travailleur survient le 21 janvier 2004 alors qu’il se trouve sur une passerelle extérieure et qu’il veut rentrer du matériel à l’intérieur d’une bâtisse. En transportant une charge, son pied droit glisse sur de la glace et il ressent une vive douleur au niveau du genou.
[11] Un diagnostic d’entorse au genou droit est posé initialement.
[12] Une résonance magnétique est interprétée par le radiologiste Pierre Grondin le 14 mai 2004 :
« Déchirure oblique intéressant la portion périphérique de la corne postérieure du ménisque interne. Légères modifications dégénératives du rebord libre de la portion la plus médiane de la corne antérieure des ménisques interne et externe sans déchirure cependant associée. Épanchement intra-articulaire modéré s’associant à une plica médio-patellaire. »
[13] Le 6 août 2004, la docteure Griffiths procède à une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie partielle externe.
[14] Après la chirurgie du 6 août 2004, des complications surviennent et sont diagnostiquées sous forme de synovite rebelle, d’arthrite septique, de gonarthrite, d’inflammation, d’infection et de thrombophlébite profonde. Le tribunal croit qu’une arthrite septique est bel et bien survenue dans ce dossier car une antibiothérapie intraveineuse a été prodiguée au travailleur à domicile pendant un mois. Le diagnostic de gonarthrite inflammatoire a été accepté par décision du 20 décembre 2004.
[15] De toute façon, même si le diagnostic d’arthrite septique n’était pas fondé, il reste tout de même la synovite rebelle et la thrombophlébite profonde qui justifient à elles seules l’octroi d’un transfert de coût.
[16] Ceci étant dit, une deuxième chirurgie sera pratiquée par la suite.
[17] Le 14 octobre 2005, le travailleur rencontre l’orthopédiste François Morin agissant à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Il établit comme diagnostic de la lésion professionnelle celui d’entorse du genou droit avec méniscectomie externe le tout compliqué d’une synovite inflammatoire avec thrombophlébite profonde au mollet droit.
[18] Il réfère aussi à la présence d’une douleur à la 5e articulation Lisfranc du pied gauche. Il constate que le médecin du travailleur et celui consulté par la CSST établissent tous deux la date de consolidation au 30 juin 2005 et qu’aucun autre traitement n’est nécessaire. Un déficit anatomo-physiologique de 1 % pour arthroscopie et méniscectomie externe sans séquelle fonctionnelle est accordé. Aucunes limitations fonctionnelles ne sont retenues.
[19] Le 1er mai 2008, la docteure Pierrette Girard, chirurgienne orthopédiste, produit une opinion médicale sur dossier à la demande de l’employeur. Elle rappelle les faits et notamment qu’une deuxième chirurgie a dû être réalisée le 26 novembre 2004 en lien avec une suspicion d’arthrite septique du genou droit. Une arthroscopie avec débridement et lavage est effectuée. Elle rapporte les constatations du protocole opératoire.
[20] Quant à une possible application de l’article 327 de la loi, elle s’exprime comme suit :
« […]
En effet, le travailleur a développé des complications à la suite de l’intervention chirurgicale du 6 août 2004. Les diagnostics de synovite inflammatoire et de thrombophlébite profonde sont essentiellement en relation directe avec l’intervention chirurgicale. Elles sont en relation directe avec l’intervention en tant que telle ainsi qu’à l’immobilisation associée de façon inhérente à cette intervention chirurgicale. L’arthrite septique est également une complication associée.
À quelle date diriez-vous que les complications liées aux nouveaux diagnostics ont commencé?
En fait, les nouveaux diagnostics de synovite sont survenus de façon progressive, mais elles partent de la date de l’intervention. Elles ont augmenté de façon progressive, mais elles étaient présentes à partir de cette date.
Quant au diagnostic de thrombophlébite profonde, la suspicion a été notée au rapport médical pour la première fois le 25 novembre 2004. Ceci est en lien direct avec l’intervention chirurgicale et le traumatisme qui a fait en sorte que le travailleur avait une mobilité réduite et qu’il a fait cette thrombophlébite.
Par ailleurs, aux antécédents, il n’y avait pas de facteur prédisposant noté pour avoir développé cette thrombophlébite.
Les complications ont-elles affecté la lésion professionnelle ? Si oui, de quelle façon ?
Les complications, à savoir la synovite suivie de l’arthrite septique potentielle ainsi que la thrombophlébite, ont retardé la guérison parce que le travailleur présentait une inflammation et un gonflement de son genou qui diminuait sa mobilité, sa capacité fonctionnelle et qui a nécessité des traitements. Par la suite, il est demeuré avec une ankylose résiduelle qui est habituelle post-synovite, d’autant plus que le travailleur avait une suspicion d’arthrite septique, alors une ankylose résiduelle pour laquelle il devait regagner une amplitude articulaire, une mobilité, une souplesse et une capacité fonctionnelle. Ceci a retardé de façon globale la récupération de son genou.
Pour la méniscectomie comme telle, la déchirure méniscale avait été enlevée par la première intervention, celle-ci n’a pas été touchée par les complications, mais de façon subséquente, dû au fait qu’elle touche l’articulation du genou, le travailleur était toujours limité par son genou. Il ne pouvait pas dissocier que ceci soit dû dans un premier temps par la déchirure de son ménisque ou dans un deuxième temps par les complications dues à l’intervention chirurgicale, à savoir l’arthrite septique ainsi que de façon secondaire, la thrombophlébite.
Les soins prodiguées à la suite de l’intervention chirurgicale du 6 août 2004 ont-ils été donnés uniquement ou principalement pour les complications ?
À la revue du dossier, il appert que les soins prodigués à la suite de l’intervention du 6 août 2004 ont été donnés principalement pour les complications à la suite de cette intervention, à savoir la synovite, une arthrite septique possible et probable, ainsi que la thrombophlébite. »
[21] À l’étude de cette preuve, le tribunal constate que l’une des conditions d’application de l’article 327 est présente en l’espèce, soit l’existence d’une nouvelle lésion autonome et distincte de la lésion professionnelle initiale ne constituant pas seulement une conséquence habituelle de l’évolution de cette lésion[4]. Ainsi, la synovite inflammatoire, la thrombophlébite profonde et l’arthrite septique se démarquent des diagnostics d’entorse et de lésion méniscale.
[22] C’est après la chirurgie du 6 août 2004 que les complications ont débuté selon la preuve prépondérante au dossier.
[23] La preuve au dossier révèle aussi que ces complications sont survenues par le fait ou à l’occasion des soins reçus en lien avec la lésion professionnelle du 21 janvier 2004. L’avis de la docteure Pierrette Girard va dans ce sens et n’est pas contredit. Il s’agit de l’opinion d’un médecin spécialiste qui a fait une revue complète de la preuve médicale au dossier.
[24] Le tribunal constate qu’elle donne à l’employeur un avis défavorable quant à l’application de l’article 329 de la loi ce qui donne de la crédibilité à son opinion quant à l’application de l’article 327, ayant démontré son objectivité et son impartialité.
[25] Même le docteur Morin du Bureau d’évaluation médicale acquiesce au fait que la synovite inflammatoire et la thrombophlébite profonde au mollet droit sont des complications de la lésion initiale survenues en post-opératoire.
[26] Rien dans la preuve n’indique que les complications subies par le travailleur à la suite de sa chirurgie peuvent être considérées comme normales et prévisibles. De toute façon, cela n’aurait pu avoir pour effet d’exclure l’application de l’article 31 de la loi[5].
[27] Les complications observées au présent dossier ne peuvent être considérées comme des conséquences directes et indissociables de l’intervention chirurgicale[6].
[28] Les complications éprouvées par le travailleur, et notamment la présence d’une infection, représentent des conditions médicales distinctes de la lésion initiale pour laquelle il a été traité et il ne s’agit pas de complications automatiques ou indissociables bien que le tribunal convienne qu’il est possible qu’elles surviennent, la preuve étant qu’elles sont survenues[7].
[29] En effet, le fait qu’une complication survienne est la meilleure preuve qu’il était possible qu’elle survienne. Refuser un transfert de coût pour ce motif stériliserait les prescriptions de l’article 327 de la loi. Vu l’état avancé de la science, à peu près toutes les complications, même rares, sont connues et peuvent être considérées comme possibles.
[30] Dans l’affaire Poirier Bérard ltée[8] la Commission des lésions professionnelles affirmait qu’une complication, même prévisible, peut donner ouverture au transfert prévu à l’article 327 lorsqu’elle est dissociable de la lésion professionnelle et n’en est pas la conséquence normale et habituelle.
[31] Le tribunal note également que la Commission des lésions professionnelles et la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles ont régulièrement appliqué l’article 327 de la loi en présence d’un diagnostic de thrombophlébite[9].
[32] Il est vrai que les diagnostics posés après la chirurgie d’août 2004 n’ont pas fait l’objet d’une décision explicite par la CSST en vertu de l’article 31 de la loi. Toutefois, il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir à une demande de transfert de coût à ce sujet[10].
[33] Cependant, le tribunal ne peut octroyer le transfert à compter de la chirurgie du 6 août 2004. Même si aucune complication n’était survenue par la suite, la lésion initiale ne serait pas rentrée dans l’ordre ce jour-là et le travailleur aurait eu tout de même droit à une indemnisation.
[34] La preuve démontre que la docteure Griffiths a libéré le travailleur le 16 août 2004 et recommandé un retour au travail en fonction de l’opinion du docteur Brassard qui a lui-même vu le travailleur le 26 août 2004 pour recommander un retour au travail à compter du 30 août 2004.
[35] Le tribunal estime donc que le transfert de coût doit s’effectuer à compter du 30 août 2004 en ce qui concerne l’indemnité de remplacement du revenu et les soins ou traitements prodigués au travailleur.
[36] L’atteinte permanente découle de la lésion initiale et les coûts afférents n’ont pas à être transférés à tous les employeurs.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Soudo-Technic inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 janvier 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations inhérentes à la lésion professionnelle subie le 21 janvier 2004 par monsieur Jimmy Imbeault, le travailleur, et versées à compter du 30 août 2004 doivent être imputées aux employeurs de toutes les unités, à l’exclusion de l’indemnité pour préjudice corporel.
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Me Jean-François Clément |
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Commissaire |
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Me Angelica Carrero |
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GROUPE AST INC. |
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Procureure de la partie requérante |
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[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Pâtisserie Chevalier inc., 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal
[3] Roland Boulanger & Compagnie et CSST, [2006] C.L.P. 1252 (formation de 3 commissaires)
[4] Ville de Montréal et CSST, 109665-01A-9902, 27 avril 1999, Y. Vigneault
[5] Ressources Meston inc. et CSST, [2001] C.L.P. 355
[6] Métro Richelieu-Épicerie Newton, [2000] C.L.P. 5
[7] Structures Derek inc., [2004] C.L.P. 902
[8] [2006] C.L.P. 818
[9] Hydro-Québec et CSST, 83255-62-9610, 26 septembre 1997, S. Di Pasquale; Bell Canada et CSST, 120568-04B-9907, 7 septembre 2000, A. Gauthier; Commission scolaire Chemin du Roy, 142003-04-0007, 23 novembre 2000, J.-L. Rivard
[10] Industrie manufacturière Mégantic et Roy, [1995] C.A.L.P. 842 ; Provigo div. Montréal-détail, [1999] C.L.P. 1029
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